ROME ET LA GRÈCE DE 200 A 146 AVANT JÉSUS-CHRIST

 

Gaston COLIN - 1905

 

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

AVANT-PROPOS

Intérêt particulier des rapports de la Grèce avec Rome. — Opinions de M. Mommsen ; de M. Duruy ; de M. Peter ; de M. Hertzberg. — Méthode adoptée dans le présent travail. — Les sources. — Limites assignées à cette étude.

INTRODUCTION. — Les relations de la Grèce et de Rome jusqu’au IIe siècle avant Jésus-Christ

I. — Origine des relations de la Grèce et de Rome. — Les Grecs en Italie jusqu’à la guerre de Pyrrhus. — Leur influence sur la civilisation romaine.

II. — La politique extérieure de Rome, de la guerre de Pyrrhus à la seconde guerre de Macédoine. — Développement donné à la marine. — Suite de guerres et de conquêtes. Intervention en faveur des Mamertins ; première guerre Punique : la Sicile réduite on province, excepté le petit royaume de Hiéron. Acquisition de la Sardaigne et de la Corse. Expéditions en Illyrie : Rome établit son protectorat sur toute la région. Campagnes en Cisalpine. Deuxième guerre Punique : annexion du royaume de Syracuse ; attitude de Marcellus. — La raison d’Etat domine seule la politique romaine.

III. — Négociations diplomatiques avec l’Orient. Traité de commerce avec Rhodes. Démonstration amicale de Démétrius Poliorcète. Traité avec Ptolémée II Philadelphe. Réparation accordée à une ambassade d’Apollonie. Traité avec Séleucus II Callinicos. Démarche en faveur des Acarnaniens. Relations nouées en Grèce à la suite de la guerre d’Illyrie. Première guerre de Macédoine : Rome, par ses intrigues, met aux prises un grand nombre d’Etats grecs. — Doutes émis sur l’authenticité de la plupart de ces traditions ; y a-t-il vraiment lieu de n’y plus ajouter foi ?

IV. — Sentiments des Grecs vis-à-vis de Rome vers la fin du IIIe siècle. Ils étudient les institutions romaines. Craintes manifestées par les politiques clairvoyants.

PREMIÈRE PARTIE — LES PREMIÈRES ANNÉES DU IIe SIÈCLE

CHAPITRE I. — La seconde guerre de Macédoine. Evacuation de la Grèce par les Romains

I. — Etat politique du monde grec vers l’an 200. Trois grands royaumes sont issus de l’empire d’Alexandre L’Egypte, en décadence, est déjà placée, ainsi que son roi Ptolémée V Epiphane, sous la tutelle de Rome. En Syrie, Antiochus III a remporté des succès inattendus ; mais sa puissance est plus apparente que réelle. La Macédoine, après un long abaissement, a repris le premier rang, bien que Philippe V ne se montre pas toujours il la hauteur des circonstances. — A côte de ces trois royaumes, beaucoup de petits Etats aspirent à l’indépendance, et, pour y parvenir, sont assez disposés à faire appel à l’étranger. — Le monde grec dispose encore de forces considérables ; son défaut d’union est sa plus grande cause de faiblesse.

II. — La seconde guerre de Macédoine. Elle n’a été ni réclamée par le peuple romain, ni provoquée par Philippe : elle a été voulue par le Sénat. — Prétextes dont il se couvre. — Son but réel. — Après Cynocéphales, la Macédoine perd toutes ses possessions extérieures ; la Grèce est déclarée libre, et, nu bout de deux ans d’hésitations, les troupes romaines l’évacuent entièrement.

III. — Examen de la conduite de Rome dans ces circonstances. Elle sépare systématiquement la Macédoine de la Grèce, bien qu’il y ait entre les deux pays unité de race et d’intérêts. — Elle prétend se substituer à la Macédoine dans le rôle de protectrice des Grecs ; mais, tandis qu’Alexandre les associait à sa gloire, il serait contraire aux habitudes de Rome de suivre un tel exemple. — La reconnaissance même de l’indépendance hellénique ne suffit pas à prouver son désintéressement ; car elle est susceptible d’interprétations différentes. — Attitude de Flamininus en Grèce, de 196 à 194 : elle résulte de mobiles divers, mais témoigne pourtant d’un souci sincère des intérêts des Grecs. — Les adversaires de Flamininus. Les partisans de la tradition. Les financiers : origine de leur puissance ; complaisance de l’aristocratie à leur égard ; leur intérêt A l’acquisition de pro vinces nouvelles : apparition de commerçants romains en Orient au IIIe siècle ; les prête-noms. — Imminence d’un conflit avec Antiochus. — Comme Flamininus, malgré tout, finit pur amener le Sénat à ses vues, il faut bien admettre l’existence, à cette date, parmi les Romains, d’un parti philhellène considérable.

CHAPITRE II. — Le philhellénisme à Rome au temps de Flamininus

I. — Depuis la guerre de Pyrrhus, les Romains ont souvent séjourné en pays grec. — A Rome même, influence des triomphes. Importation en masse des œuvres de l’art grec, et travaux commandés à leur imitation. — Abondance croissante des esclaves grecs. Importance prise par eux dans l’éducation privée et publique. Ils apprennent le grec à leurs élèves, introduisent la littérature dans l’enseignement, et donnent à Rome ses premières œuvres poétiques.

II. — Caractère hellénisant très marqué de la littérature latine au début du IIe siècle. Les fabulæ palliatae à quoi s’y réduit l’originalité ?  — Les prætextœ et les togatœ. — Les sources de la comédie latine. Elle s’inspire surtout de la comédie nouvelle attique ; raisons de ce fait. Plaute utilise aussi des pièces récentes ou des pièces siciliennes. Il semble prendre simplement pour guide le répertoire en vogue de son temps sur les scènes grecques de l’Italie méridionale. — Les sources de la tragédie. Elle reproduit surtout Euripide, c’est-à-dire le plus populaire des tragiques grecs. Elle suit dans son développement la même marche que la comédie. — L’épopée Naevius même subit l’influence de la Grèce ; Ennius s’attache de très près à Homère. — Ennius imitateur d’œuvres grecques diverses, et parfois contradictoires. — La prose garde plus d’indépendance ; pourtant l’histoire s’écrit en grec.

III. — L’hellénisme dans l’aristocratie. Les Scipions ; Flamininus. Relations des poètes avec les nobles : Ennius. — L’hellénisme favorisé par l’Etat. Ses représentants peuvent obtenir le droit de cité ; on leur confie des missions officielles ; fondation d’un collège d’auteurs et d’acteurs. Multiplication des jeux scéniques ; les sénateurs y ont des places séparées. Le Sénat traduit en grec ses décisions relatives à la Grèce ; les magistrats adoptent, pour exprimer leurs titres, les expressions préférées par les Grecs. — L’hellénisme dans le peuple. Le théâtre latin suppose chez les spectateurs une certaine connaissance de la langue et de la mythologie grecques ; la plèbe manifeste des préférences littéraires.

IV. — La légende d’Enée. Ses modifications jusqu’à Timée. — Origines de cette légende chez les Grecs : sentiment vague de parenté avec les Romains, désir de rattacher l’Italie à la Grèce, influence du culte d’Aphrodite Ænéade. — Les Grecs auraient préféré prendre pour héros Ulysse ; Enée seul peut se faire accepter par les Romains. — Sa légende pénètre à Rome dans la première moitié du IIIe siècle, et y est acceptée d’abord par le Sénat, dont elle sert les visées politiques sur l’Orient. — La première guerre Punique contribue à la répandre. — Sa popularité générale à la fin du IIIe siècle : elle est alors admise dans la politique, même sans préoccupation d’intérêt ; la littérature lui fait aussi une place considérable. — Elle permet aux Romains d’échapper au reproche de barbarie qui leur est devenu pénible.

V. — Caractère général de la politique romaine en Grèce vers 104 : elle est disposée à des ménagements, au moins envers les petits États. Bien qu’elle n’oublie pas ses intérêts, Rome, malgré tout, accorde aux Grecs un traitement de faveur : elle fait effort pour prouver par des actes son philhellénisme. — Lettre de Flamininus aux habitants de Cyréties ; sentiments qu’elle reflète. —Difficultés auxquelles doit se heurter très vite la politique de Flamininus ; elle représente le maximum des concessions que Rome voudra jamais faire.

DEUXIÈME PARTIE - DE LA SECONDE A LA TROISIÈME GUERRE DE MACÉDOINE

CHAPITRE I. — La guerre étolo-syrienne et ses résultats

I. — Vers 194, Rome s’inspire pleinement des idées de Flamininus. Lettre du Sénat aux habitants de Téos. — La guerre contre Antiochus est le pendant de la guerre contre Philippe : Rome veut arrêter les progrès de la Syrie comme ceux de la Macédoine. — Prétextes et mobiles véritables du Sénat. — Ultimatum adressé à Antiochus. — Rome se pose de nouveau en protectrice des Grecs. — Antiochus offre en vain des concessions importantes. — Défiance des Grecs vis-à-vis des Romains. — Rome débarque la première des troupes en Grèce : Antiochus, nullement préparé, est battu aux Thermopyles. — On refuse ses propositions de paix ; il est rejeté au-delà du Taurus. — Règlement des affaires de l’Asie Mineure. Rome ne garde encore rien pour elle de ses conquêtes ; mais la répartition assez arbitraire qu’elle en fait entre ses alliés trahit des préoccupations égoïstes.

II. — Explication de l’attitude nouvelle des Romains. Au début de la guerre contre Antiochus, ils ont constaté trop de défections parmi les Grecs, 194. — Malgré la courte durée de la plupart d’entre elles, ils en ressentent une vive désillusion. — Ils ne perdent pas d’un coup toute leur sympathie pour les Grecs ; mais ils spécifient bien maintenant à quel prix ils mettent leur alliance, et ils prennent des précautions vis-à-vis d’eux.

III. — Conséquences de cet esprit de défiance. Rome craint le relèvement de la Macédoine. En dépit des services qu’elle vient de recevoir de Phi lippe, elle l’oblige à de nombreuses restitutions. Elle intervient dans les querelles de la famille royale. — En Grèce, elle occupe Céphallénie et Zacynthe.

IV. — Transformation progressive de ses rapports avec les Achéens. Extension de la Ligue pendant la guerre contre Antiochus : Rome ne tarde pas à se défier d’elle comme de Philippe. — Révolte à Sparte : campagne imprudente de Philopœmen. Rome se contente d’abord de désapprouver certains actes des Achéens ; mais elle ne casse aucune de leurs décisions. — Bientôt l’arrogance de ses ambassadeurs tend les rapports entre les deux peuples. Démarche privée de Q. Cæcilius Metellus ; son rapport exagéré. Mission officielle d’Ap. Claudius : il autorise les confédérés à communiquer directement avec Rome. Le Sénat détruit en grande partie l’œuvre de Philopœmen. — Révolte en Messénie. Modération relative de Flamininus. Politique malhonnête de Q. Marcius Philippus : on encourage les défections parmi les confédérés. Quand Lycortas a réduit Messène et fait rentrer Sparte dans la Ligue, le Sénat accepte les faits accomplis ; mais il réclame le retour des bannis à Sparte. — Callicrate conseille aux Romains d’imposer leur volonté aux Achéens. Rome intervient dans la lutte des partis : Callicrate au pouvoir. — Comment peut se justifier la politique romaine en Achaïe : puissance des Achéens, leurs relations extérieures, leurs tendances démocratiques ; part de responsabilité des Grecs. Néanmoins, il doit y avoir à Rome une diminution du philhellénisme.

CHAPITRE II. — Modifications à Rome dans l’état des esprits. Réaction contre l’hellénisme

I. — Attitude des diplomates romains en Grèce après 194. Flamininus ; M. Ælius Glabrio ; Q. Cæcilius Metellus ; Ap. Claudius ; Q. Marcius Philippus. Ils montrent une tendance de plus en plus accentuée à agir en maîtres absolus. — Conception nouvelle des droits de Rome sur les peuples étrangers. — Abus de pouvoirs analogues dans d’autres contrées que la Grèce ; les Italiens mêmes ne sont pas mieux traités. — Indulgence ordinairement accordée à ces excès. — Les Romains, en prenant conscience de leur force, se laissent aller volontiers à en abuser.

II. — Les financiers. Leur importance dans le théâtre de Plaute. Caton leur construit une basilique. L’Etat n’arrive pas a leur l’aire restituer les terres de Campanie. Ils peuvent lutter contre les censeurs. — Extension des opérations des trafiquants en Grèce. Romains nommés proxènes à Delphes. Offrandes consacrées par des Romains à Délos. Des Italiens s’établissent à demeure à Délos. — Financiers ou trafiquants sont peu disposés à ménager les provinces. — Premières me sures prises par le Sénat pour protéger le commerce romain en Orient.

III. — Refroidissement de l’enthousiasme des philhellènes. Ils avaient été séduits d’abord par l’éclat de la civilisation grecque ; leur désillusion quand ils connaissent mieux les Grecs. — A Rome, l’intérêt particulier est toujours subordonné à l’intérêt public ; en Grèce, l’individualisme triomphe. Rivalités intestines ; incapacité à réaliser l’unité nationale ; on se fait un principe de renfermer chaque cité dans des limites restreintes. Maintenant même, le patriotisme disparaît : les hommes actifs se mettent au service de l’étranger ; les autres se désintéressent des affaires publiques. — Instinct de cruauté : acharnement déployé entre compatriotes. Brigandage et piraterie. Pillage des sanctuaires. — Manque de respect à la parole donnée. — Cupidité, corruption, vénalité générale. —Exagération déplaisante dans la flatterie. — Substitution trop fréquente des paroles aux actes. — Vanité injustifiée. — Extrême légèreté dans les affaires sérieuses. — Attitude de Paul-Émile pendant la troisième guerre de Macédoine.

IV. — Hostilité du vieux parti romain, qui rend la Grèce responsable de la ruine des mœurs nationales. Part d’erreur dans cette imputation. Rome souffre surtout de l’inégalité croissante de ses citoyens. Déchéance du peuple, 312. Fortune immense des grandes familles ; leur ambition ; leur orgueil. Origine de ce nouvel état de choses : la Grèce, au lieu d’en être la cause, en est la première victime. — Mais, au moment où Rome se corrompt, la Grèce lui fournit toutes sortes d’exemples pernicieux. Les Romains recherchent maintenant le luxe et les voluptés. La doctrine du plaisir chez les Grecs ; dissolution des mœurs grecques. — Progrès de l’irréligion à Rome ; la noblesse se désintéresse des sacerdoces ; indifférence du peuple pour la religion nationale. Les divers systèmes philosophiques de la Grèce mènent à l’incrédulité ; la religion, dans les cercles éclairés, est regardée comme un instrument politique ; le théâtre, les arts, les oracles contribuent à la déconsidérer auprès du peuple. — La philosophie ruine aussi le patriotisme. — Hardiesses de la littérature inspirée de la Grèce. Les dieux dans le théâtre de Plaute ; Ennius traduit Épicharme et Évhémère ; même liberté d’esprit dans ses tragédies.

V. — Réaction anti-hellénique. Caton. — Ses attaques contre les Romains qui copient les habitudes grecques ; contre les Grecs eux-mêmes. —Ses contradictions et ses exagérations. — Beaucoup d’hommes poli tiques partagent ses idées. Le peuple aussi les approuve. Elles pénètrent dans la littérature, même chez les poètes hellénisants. — Mesures adoptées contre l’hellénisme.

CHAPITRE III. — La troisième guerre de Macédoine

I. — Causes de la guerre. D’après Polybe, elle a été voulue par Philippe, dont Persée a fidèlement exécuté les desseins : c’est la thèse des Romains. — Distinctions et restrictions nécessaires. L’animosité très réelle de Philippe se justifie amplement par les vexations continuelles dont il était l’objet. Quant à Persée, il était loin de posséder l’énergie de son père ; Rome pouvait aisément s’entendre avec lui. — Attitude belliqueuse des Romains. — La conduite de Persée leur fournit des prétextes à alléguer ; en réalité, ils s’effraient du relèvement de la Macédoine, et veulent l’abaisser sans retour.

II. — Dispositions des Grecs vis-à-vis des belligérants. Avant la guerre, une certaine sympathie s’est réveillée chez eux pour la Macédoine : ils la regardent comme un contrepoids fort utile à la toute-puissance de Rome. Mais ce sentiment s’est manifesté en un temps où il n’était pas question de guerre entre Rome et la Macédoine. — Multiples ambassades des Romains en Orient, de 174 à 171. — Attitude des divers peuples de la Grèce au moment de l’ouverture des hostilités : Ligue achéenne : Athènes : Béotie : Etolie : Acarnanie ; Thessalie : Epire : Illyrie ; Dardanie et Thrace : royaumes hellénistiques d’Orient : villes libres de l’Asie et des îles ; Crète ; Rhodes. — Au moment décisif, pas un Etat grec n’opte nettement pour Persée ; la plupart au contraire se déclarent pour Rome.

III. — Conduite des Romains en Grèce de 171 à 168. Dès le temps de la guerre contre Antiochus, les armées se montraient déjà fort préoccupées de s’enrichir aux dépens des peuples étrangers. Poursuites contre des généraux. Désormais cette tendance s’accentue encore. Les soldats méprisent l’ancienne discipline, et regardent le pillage comme un droit, 410. Les généraux ne tiennent compte ni des ordres du Sénat ni des droits des alliés. Ils rejettent sur les alliés la responsabilité de leurs défaites ; leur sans-gêne dans les réquisitions : leurs violences en cas de résistance. — Les trafiquants profitent de la présence des armées romaines pour ruiner le pays. — Le Sénat évite le plus longtemps possible de sévir contre les fonctionnaires coupables, ils : il se contente d’accorder parfois des satisfactions matérielles. A partir de l’automne 170, il apporte plus de soin à protéger les Grecs : mais cette bienveillance semble n’être qu’une habileté politique. Sénatus-consulte de Thisbées. Comparaison de ce document avec d’autres pièces officielles antérieures. — Les diplomates jugent bons tous les moyens pour assurer l’empire à leur patrie. Fourberies de Q. Marcius Philippus. Même quand le Sénat fait effort pour rassurer les Grecs, ses ambassadeurs laissent percer leur préférence personnelle pour une action beaucoup plus énergique.

IV. — Traitement de la Macédoine et de l’Illyrie : elles ne sont pas réduites en provinces. Conditions imposées par Rome. — Les auteurs anciens attribuent cette modération relative à la magnanimité de Rome ; difficultés à admettre une telle explication. — L’intervention bienveillante de Paul-Émile n’est pas démontrée. — Le parti de Caton s’est opposé à l’annexion : seulement il n’agissait pas par philhellénisme, comme Flamininus, mais par crainte des conséquences funestes de l’annexion pour Rome elle-même.

TROISIÈME PARTIE — DE LA TROISIÈME GUERRE DE MACÉDOINE A L’ÉTABLISSEMENT DÉFINITIF DE L’HÉGÉMONIE ROMAINE EN GRÈCE

CHAPITRE I. — Attitude de Rome envers les Grecs après Pydna

I. — Aussitôt après sa victoire, le Sénat traite à peu près tous les Grecs avec une égale dureté. Vengeances exercées contre des villes qui ont soutenu isolément la Macédoine. — Etolie : exécutions et proscriptions ; perte de l’Amphilochie. — Epire : pillage méthodique de 70 villes ; 150.000 habitants réduits en esclavage. — Acarnanie : proscriptions, perte de Leucade. — Rhodes : sa conduite pendant la guerre ; exagération manifeste des griefs formulés par les Romains. Après Pydna, on parle de lui déclarer la guerre ; opposition de Caton à ce projet. Rhodes perd une partie de ses possessions continentales ; son commerce est ruiné par l’ouverture d’un port franc à Délos ; elle doit entrer dans la clientèle de Rome. — Pergame : fidélité constante d’Eumène. Bruits répandus à Rome contre lui ; leur vanité. Eumène, après la défaite de Persée, est traité comme Philippe après la défaite d’Antiochus : on essaie de soulever contre lui son frère Attale ; on ménage les Galates qui l’ont attaqué ; on l’humilie lui-même à dessein. — Achéens : Rome n’a aucun reproche à leur adresser. Cependant elle accueille les délations de Callicrate. Déportation en Italie de plus de 1.000 citoyens. — Syrie. Elle ne s’est en rien mêlée à la guerre contre Persée ; elle est en lutte avec l’Egypte, et sa victoire paraît assurée. Rome décide de la contraindre à évacuer l’Egypte. Ambassade insolente de Popilius. — Athènes seule est bien traitée par le Sénat sans arrière-pensée égoïste. — Si Rome ménage quelques autres peuples, elle se guide uniquement sur son intérêt personnel.

II. — Condition des Grecs sous ce nouveau régime. Les rois en sont réduits aux plus basses flatteries. — Les petits Etats doivent subir chez eux la tyrannie du parti romain. — Leurs rapports avec Rome, même dans la forme, sont ceux de clients à patron. — Comparaison entre deux ambassades adressées par des villes grecques à Rome, l’une après Cynocéphales, l’autre après Pydna.

III. — L’intervention romaine dans les affaires de la Grèce, de 164 environ à 149. La question des otages achéens. Rome, très dure pendant les quatre ou cinq ans qui suivent immédiatement Pydna, se relâche ensuite beaucoup de sa sévérité. — Même changement vis-à-vis de la Macédoine. — Dans les petits Etats, Rome cesse, après 164, de soutenir aveuglément ses partisans ; elle donne tort aux Athéniens, ses favoris ; elle met fin à la guerre entre Rhodes et la Crète. L’affaire d’Oropos. — Examen de quelques contestations soumises à Rome par les Grecs. Le Sénat confie volontiers l’arbitrage à des commissions étrangères. Procédure suivie dans ce cas : Rome conserve toujours la haute main sur les opérations des arbitres. En général, elle confirme l’état de choses qui existait au moment où elle est intervenue pour la première fois dans le pays des intéressés. — Crainte très vive chez les Grecs, même chez les rois, de rien faire qui déplaise aux Romains : lettre d’Attale II.

IV. — Caractère général des relations de la Grèce et de Rome après 164. Les Grecs restent toujours dans une sorte de demi-vasselage. Mais l’intervention des Romains est souvent réclamée par les Grecs eux-mêmes : plus d’un Humain fait personnellement preuve de bienveillance ; le Sénat même montre beaucoup d’indulgence. Les ambassades grecques ne sont plus humiliées. — Cause de cette évolution nouvelle. Comme elle ne se manifeste pas à l’égard des autres nations, il semble y avoir là indice d’un certain retour au philhellénisme.

CHAPITRE II. — L’Hellénisme à Rome après Pydna

I. — éléments capables d’exercer une influence fâcheuse sur les rapports de la Grèce et de Rome. Absence de scrupules des généraux dans les provinces, 524. Indifférence à peu prés unanime à propos de leurs excès. L’institution d’un jury permanent en matière de concussions ne réussit pas, en fait, à protéger les étrangers. — Puissance toujours croissante des financiers. Preuves diverses du crédit dont ils disposent. Ils vont former, à coté du Sénat, un ordre privilégie. Leur situation en Orient : ils font lever l’interdiction d’exploiter les mines de Macédoine ; ils obtiennent l’abaissement de Rhodes ; leurs progrès à Délos. On ne peut attendre d’eux aucun ménagement. Beaucoup de gens à Rome sont intéressés dans leurs opérations. — En revanche, nombreuses raisons propres à expliquer le développement de l’hellénisme. Supériorité de la civilisation grecque ; les Romains en Grèce ; les Grecs en Italie.

II. — Décadence générale des mœurs romaines après la guerre contre Persée. Magnificence des jeux. Changements dans les habitations, la vaisselle, le mobilier. Luxe de la table. Recherches de toilette. Corruption des écoles. Amollissement des armées. — L’hellénisme dans l’aristocratie. Scipion Emilien et Lælius. Ils admettent des auteurs dans leur intimité : Polybe, Panætius, Térence. Le cercle de Scipion. Autres Romains philhellènes en dehors de ce cercle, 562. — Les beaux-arts. Les triomphes continuent à accumuler les œuvres d’art en Italie. On demande à la Givre des architectes, des peintres, des sculpteurs. Rome va provoquer une sorte de renaissance de l’art classique. — Les sciences. On améliore le calendrier, on s’occupe de cosmographie, on détermine avec exactitude les heures de la journée. — La rhétorique et la philosophie. Les édits de proscription restent sans effet. Conférences de Cratès de Mallos. Ambassade de Critolaos, Diogène et Carnéade. Succès éclatant de Carnéade. Caton est presque seul à protester. Beaucoup d’autres philosophes obtiennent aussi un excellent accueil. Influence de la rhétorique et de la philosophie sur les études grammaticales, sur le droit, sur la religion, et même sur la politique. — Le théâtre. Térence est plus grec encore que Piaule. Prætextæ et togatæ n’arrivent pas à s’affranchir des modèles grecs. —Excès de l’hellénisme. Non seulement beaucoup de Romains savent le grec, mais ils aiment a en faire parade. On continue à écrire des livres en grec. On pense en grec. Caton est décidément débordé : ses contradictions.

III. — Maigre tout, l’hellénisme, vers 146, ne suscite plus le même enthousiasme qu’au temps de Flamininus. Le gouvernement fait preuve à son égard d’impuissance plutôt que de bienveillance. Les philhellènes ne l’acceptent qu’avec la volonté de limiter son action. On lui témoigne toujours un certain mépris ; on affecte de dénigrer toutes les parties de la civilisation grecque. Le peuple s’y montre réfractaire : le public romain du IIe siècle. Echec des spectacles purement grecs.

CHAPITRE III. — Les derniers soulèvements dans la Grèce continentale

I. — Contrairement aux guerres précédentes, celles de 149 et de 146 ne sont pas voulues par le Sénat. En Macédoine, il s’agit d’un soulèvement national. Rome songe si peu à provoquer les hostilités qu’elle refuse d’abord d’y croire. — En Achaïe, la guerre éclate au moment où la domination romaine s’est sensiblement adoucie. Intrigues de Ménalcidas, Callicrate et Diæos. Pour assurer leur vengeance ou leur salut personnel, ils ressuscitent la question des droits de la Ligue sur Sparte, et mêlent le Sénat à leurs querelles. Ils ne tiennent aucun compte des avis répétés de Metellus. Rome menace de ramener la Ligue aux limites qu’elle avait au début du IIe siècle. Raison de cette sévérité. L’ambassade de L. Aurelius Orestes est insultée : le Sénat cependant ne présente que des réclamations modérées. Les Achéens se jouent de Sext. Julius Cæsar. Nouvelle démarche conciliante de Metellus ; ses envoyés sont outragés : le Sénat se résout à la lutte. — Responsabilité des chefs achéens dans ces événements. Jugement très sévère des historiens anciens à leur sujet.

II. — Attitude des soldats et des généraux. Indifférence des soldats pour la civilisation grecque. — Philhellénisme manifeste de Metellus. — Mummius. Sa sévérité pendant les premiers mois qui suivent la défaite de Diæos ; il ne tarde pas ensuite à se montrer assez doux envers les Grecs. Examen de sa réputation de rudesse et de barbarie. Il est victime d’un parti pris. On peut citer plus d’un trait à son honneur pendant son séjour en Grèce, et aussi après son retour en Italie. Il n’était donc pas aussi insensible qu’on l’a dit à l’hellénisme.

III. — Résultats des derniers soulèvements. La Macédoine est réduite en province dès 148. — Difficulté de la question au sujet de la Grèce propre. — Nécessité de mettre a part la destruction de Corinthe : elle a été réclamée par les financiers. — Traitement imposé à la Grèce par le Sénat. Il ne s’annexe de ce côté qu’une faible étendue du territoire. Il ne paraît pas avoir soumis l’ensemble du pays à un tribut. Après avoir d’abord dissous toutes les Ligues, il en permet bientôt le rétablissement ; importance de cette faveur. Rome tient seulement la main à ce que le pouvoir appartienne partout à l’aristocratie. Athènes moine doit transformer dans ce sens sa constitution. Lettre de Q. Fabius Maximus aux habitants de Dymé. Les modifications introduites en 146 sont suffisantes pour justifier l’adoption d’une ère nouvelle. — Rome pourtant n’use pas de tous ses droits : la Grèce n’est pas réduite en province ; elle est simplement surveillée par le gouverneur de Macédoine, comme elle l’était auparavant par le Sénat. Elle est beaucoup mieux traitée que ne le sont, dans le même temps, la Macédoine ou Carthage.

CONCLUSION.

Résumé de cette étude. Nécessité de distinguer plusieurs phases dans les relations de Rome avec la Grèce. — En conséquence, MM. Duruy et Peter d’une part, M. Mommsen d’autre part, ont tort de vouloir ramener l’attitude des Romains à une formule immuable. — Origine du philhellénisme à Rome. Pourquoi il se rencontre surtout dans l’aristocratie, et se manifeste de préférence à l’égard de la Grèce propre. — Il n’exclut pas chez les Romains, un certain mépris persistant pour la race grecque.