Le 1er
mai Louis-Philippe ouvrit solennellement l'Exposition de 1834 et la lutte
électorale s'engagea sous l'impression favorable produite par cet événement.
Elle fut défavorable aux républicains ; malgré la coalition
carlo-républicaine, ils perdirent la plupart de leurs sièges. Les partis se
classaient ainsi dans la nouvelle assemblée : 200 conservateurs, 120
tiers-parti, autant d'opposants de toute nuance et 21 légitimistes. Seul, le
tiers-parti, qui penchait pour la clémence dans la répression des troubles
civils avait vu ses forces augmenter ; la majorité ministérielle était plutôt
ébranlée que consolidée. Thiers et Guizot attribuaient cet affaiblissement à
l'incapacité du maréchal Soult ; ils l'éliminèrent et lui donnèrent pour
successeur le maréchal Gérard. La session ouverte, Dupin fut élu président ;
hostile au ministère, la Commission de l'adresse laissa percer, dans ce
document, ses vœux en faveur de l'amnistie. Les Chambres furent prorogées au
29 décembre et on se trouva en pleine crise ministérielle. Après la démission
de Gérard (29 octobre),
celle de Thiers, Humann, Guizot, Duchâtel et de Rigny (4 novembre), après la constitution du
ministère des six jours (15-19 novembre), composé du duc de Bassano, de Teste, Passy,
Bernard et Persil, le cabinet du 11 octobre revint aux affaires avec Mortier
à la place de Gérard. Le ter janvier 1855 la lutte s'engagea entre le nouveau
ministère et le tiers-parti sur la question d'amnistie : au fond la véritable
question était celle de l'intervention ostensible du roi dans toutes les
délibérations du conseil, Après un débat oratoire entre Thiers et Dupin, un
ordre du jour favorable au Gouvernement rallia la majorité. Le tiers-parti
était vaincu. Pendant
cette crise ministérielle la Chambre des pairs, sur la dénonciation du comte
de Ségur, avait cité Armand Carrel à comparaître devant elle pour un article
injurieux publié dans le National (16 décembre). Armand Carrel, dans sa
défense, fit une allusion sanglante au procès du maréchal Ney ; il déclara
que le juge avait plus besoin de réhabilitation que la victime, et que la
mort du maréchal était un abominable assassinat. « Je suis de l'avis de
M. Carrel, s'écria Exelmans, la mort du maréchal Ney est un abominable
assassinat.» Le gérant du National fut condamné à
deux mois de prison et 10000 francs d'amende, par 122 voix sur 152 votants. A la
Chambre des députés la discussion du projet de loi portant allocation de
crédit pour la construction d'une salle où seraient jugés les accusés d'avril
préjugeait la question d'amnistie. Sauzet, Lamartine qui faisait ses débuts
parlementaires, Odilon Barrot, parlèrent contre le projet, qui fut voté après
un habile discours de Guizot, par 209 voix contre 185. Après
ce vote, Mortier, qui n'avait accepté la présidence du Conseil que pour tirer
le roi d'embarras, donna sa démission et fut remplacé par le duc de Broglie. Dans
cette session fut adoptée la loi sur les caisses d'épargne et celle qui
attribuait une indemnité de 25 millions aux États-Unis. Le budget des
dépenses fut fixé au chiffre de 978 681 075 francs en diminution d'une
dizaine de millions sur le budget précédent. Le 5
mai avaient commencé les débats du procès d'avril. Cent vingt et un accusés
comparurent devant a Cour des pairs. Pasquier présidait ; le procureur
général Martin du Nord occupait le parquet ; quatre-vingt-seize pairs étaient
absents. Après plusieurs audiences tumultueuses dans lesquelles les accusés
réclamèrent énergiquement, mais sans succès, le droit de choisir leurs
défenseurs en dehors du barreau, le procès principal fut interrompu pour le
jugement d'une cause secondaire qui se rattachait intimement à la première.
Trélat, Michel de Bourges, Gervais de Caen, Raynaud, Jules Bernard, David et
de Thiais, auteurs d'une lettre qui conseillait aux accusés d'avril de
récuser les juges et de refuser le procès tant qu'ils n'auraient pas obtenu
des défenseurs de leur choix, furent condamnés à des emprisonnements variant
de deux mois à trois ans et à des amendes de 200 à 10.000 francs. On revint
alors aux accusés d'avril : quand on eut épuisé l'audition de ceux qui
acceptaient le débat, on employa la force pour faire comparaître les autres,
et la Chambre des pairs assista aux scènes les plus lamentables. On dut
suspendre les audiences jusqu'au 20 juin ; le 11 juillet la Cour, à la
demande de Martin du Nord, prononça la disjonction de la cause des accusés de
Lyon. Leur sentence allait être prononcée à la fin de juillet, quand trois
assassins : Fieschi, Morey et Pépin, saisirent l'occasion de l'anniversaire
des trois journées, pour commettre sur la personne du roi un exécrable
attentat (c2S juillet). La garde nationale et l'armée occupaient toute la
ligne des boulevards, de la Bastille à la Madeleine ; la foule se masse en
rangs serrés derrière les troupes. A midi, le roi monte à cheval accompagné
de ses fils et d'un nombreux état-major ; il arrive devant la maison du
boulevard du Temple qui porte le n° 50 ; une épouvantable explosion se fait
entendre, des cris de douleur s'élèvent, quarante morts ou blessés gisent sur
le pavé : le duc de Trévise, six généraux, deux colonels, neuf officiers et
soldats de la garde nationale, un officier d'état-major, vingt et un
spectateurs sont frappés Le roi n'est pas touché ; il achève la revue avec le
plus grand calme. Le 5
juillet, les funérailles des victimes sont célébrées avec une grande
solennité. Fieschi
blessé par sa machine infernale a été arrêté le jour même. Son crime était
horrible : l'indignation qui l'accueillit fut unanime, mais les passions
politiques l'exploitèrent ; la presse et le libéralisme en furent rendus
responsables. La machine de Fieschi, disait-on, était une idée républicaine. C'est
en se plaçant sur ce terrain que le ministère présenta, le 4 août, un projet
de loi qui supprimait toute discussion touchant le principe du gouvernement.
Un second projet autorisait le ministre de la justice à créer, dans les cas
de rébellion, autant de Cours d'assises qu'il serait besoin, attribuait le
vote secret au jury et réduisait de huit à sept le nombre des voix
nécessaires pour la condamnation. La
discussion de ces lois dura du 13 au 29 août : la Chambre des députés en
aggrava les dispositions, malgré les protestations de Royer-Collard, de Dupin
aîné, qui défendirent éloquemment les prérogatives de la presse et du jury.
Après le vote des. Lois, dites de septembre, qui portaient une véritable
atteinte aux principes de la Charte constitutionnelle et la clôture de la
session (11
septembre), la Cour
des pairs qui avait condamné, le 15 août, les accusés de Lyon, reprit le
jugement des accusés de Lunéville, puis de ceux de Paris : cet interminable
procès prit fin le 25 janvier 1836. La déportation et la détention frappèrent
les plus compromis des prévenus. La
royauté constitutionnelle avait triomphé des légitimistes et des
républicains, elle venait, d'obtenir un puissant moyen de gouvernement :
c'est alors que les chefs du parti vainqueur se divisèrent et que le cabinet
du 11 octobre fut menacé de dissolution par la rivalité de deux grands
esprits bien dissemblables, Thiers et Guizot. Cette rivalité, assoupie jusqu'alors par les nécessités de la lutte pour l'existence, se réveilla au sujet de l'Espagne. La régente Christine invoquait l'intervention de l'Angleterre et de la France, en vertu du traité de quadruple alliance. L'Angleterre consentait à intervenir. Thiers voulait imiter l'Angleterre, Guizot s'y opposait. Louis-Philippe réconcilia les deux adversaires en leur faisant accepter une intervention atténuée sous forme de coopération de la légion étrangère. La crise conjurée renaquit à l'ouverture de la session : Humann d'accord avec Thiers se prononça pour la réduction de la rente sans avoir consulté ses collègues (14 janvier 1836) ; forcé de se retirer, il est remplacé par d'Argout, et le duc de Broglie déclare que le ministère ne proposera pas la réduction. La Chambre, à la majorité de 2 voix, se prononça contre l'ajournement de la question, et le ministère se rendit aux Tuileries pour annoncer sa démission au roi. Le cabinet du 11 octobre avait vécu près de 4 ans. |