HISTOIRE DE LOUIS-PHILIPPE

 

CHAPITRE V. — LES CABINETS DE RÉSISTANCE. - SOULT, MORTIER, DE BROGLIE. — DES ÉLECTIONS DE 1834 AU 23 FÉVRIER 1836.

 

 

Le 1er mai Louis-Philippe ouvrit solennellement l'Exposition de 1834 et la lutte électorale s'engagea sous l'impression favorable produite par cet événement. Elle fut défavorable aux républicains ; malgré la coalition carlo-républicaine, ils perdirent la plupart de leurs sièges. Les partis se classaient ainsi dans la nouvelle assemblée : 200 conservateurs, 120 tiers-parti, autant d'opposants de toute nuance et 21 légitimistes. Seul, le tiers-parti, qui penchait pour la clémence dans la répression des troubles civils avait vu ses forces augmenter ; la majorité ministérielle était plutôt ébranlée que consolidée. Thiers et Guizot attribuaient cet affaiblissement à l'incapacité du maréchal Soult ; ils l'éliminèrent et lui donnèrent pour successeur le maréchal Gérard. La session ouverte, Dupin fut élu président ; hostile au ministère, la Commission de l'adresse laissa percer, dans ce document, ses vœux en faveur de l'amnistie. Les Chambres furent prorogées au 29 décembre et on se trouva en pleine crise ministérielle. Après la démission de Gérard (29 octobre), celle de Thiers, Humann, Guizot, Duchâtel et de Rigny (4 novembre), après la constitution du ministère des six jours (15-19 novembre), composé du duc de Bassano, de Teste, Passy, Bernard et Persil, le cabinet du 11 octobre revint aux affaires avec Mortier à la place de Gérard. Le ter janvier 1855 la lutte s'engagea entre le nouveau ministère et le tiers-parti sur la question d'amnistie : au fond la véritable question était celle de l'intervention ostensible du roi dans toutes les délibérations du conseil, Après un débat oratoire entre Thiers et Dupin, un ordre du jour favorable au Gouvernement rallia la majorité. Le tiers-parti était vaincu.

Pendant cette crise ministérielle la Chambre des pairs, sur la dénonciation du comte de Ségur, avait cité Armand Carrel à comparaître devant elle pour un article injurieux publié dans le National (16 décembre). Armand Carrel, dans sa défense, fit une allusion sanglante au procès du maréchal Ney ; il déclara que le juge avait plus besoin de réhabilitation que la victime, et que la mort du maréchal était un abominable assassinat. « Je suis de l'avis de M. Carrel, s'écria Exelmans, la mort du maréchal Ney est un abominable assassinat Le gérant du National fut condamné à deux mois de prison et 10000 francs d'amende, par 122 voix sur 152 votants.

A la Chambre des députés la discussion du projet de loi portant allocation de crédit pour la construction d'une salle où seraient jugés les accusés d'avril préjugeait la question d'amnistie. Sauzet, Lamartine qui faisait ses débuts parlementaires, Odilon Barrot, parlèrent contre le projet, qui fut voté après un habile discours de Guizot, par 209 voix contre 185.

Après ce vote, Mortier, qui n'avait accepté la présidence du Conseil que pour tirer le roi d'embarras, donna sa démission et fut remplacé par le duc de Broglie.

Dans cette session fut adoptée la loi sur les caisses d'épargne et celle qui attribuait une indemnité de 25 millions aux États-Unis. Le budget des dépenses fut fixé au chiffre de 978 681 075 francs en diminution d'une dizaine de millions sur le budget précédent.

Le 5 mai avaient commencé les débats du procès d'avril. Cent vingt et un accusés comparurent devant a Cour des pairs. Pasquier présidait ; le procureur général Martin du Nord occupait le parquet ; quatre-vingt-seize pairs étaient absents. Après plusieurs audiences tumultueuses dans lesquelles les accusés réclamèrent énergiquement, mais sans succès, le droit de choisir leurs défenseurs en dehors du barreau, le procès principal fut interrompu pour le jugement d'une cause secondaire qui se rattachait intimement à la première. Trélat, Michel de Bourges, Gervais de Caen, Raynaud, Jules Bernard, David et de Thiais, auteurs d'une lettre qui conseillait aux accusés d'avril de récuser les juges et de refuser le procès tant qu'ils n'auraient pas obtenu des défenseurs de leur choix, furent condamnés à des emprisonnements variant de deux mois à trois ans et à des amendes de 200 à 10.000 francs. On revint alors aux accusés d'avril : quand on eut épuisé l'audition de ceux qui acceptaient le débat, on employa la force pour faire comparaître les autres, et la Chambre des pairs assista aux scènes les plus lamentables. On dut suspendre les audiences jusqu'au 20 juin ; le 11 juillet la Cour, à la demande de Martin du Nord, prononça la disjonction de la cause des accusés de Lyon. Leur sentence allait être prononcée à la fin de juillet, quand trois assassins : Fieschi, Morey et Pépin, saisirent l'occasion de l'anniversaire des trois journées, pour commettre sur la personne du roi un exécrable attentat (c2S juillet). La garde nationale et l'armée occupaient toute la ligne des boulevards, de la Bastille à la Madeleine ; la foule se masse en rangs serrés derrière les troupes. A midi, le roi monte à cheval accompagné de ses fils et d'un nombreux état-major ; il arrive devant la maison du boulevard du Temple qui porte le n° 50 ; une épouvantable explosion se fait entendre, des cris de douleur s'élèvent, quarante morts ou blessés gisent sur le pavé : le duc de Trévise, six généraux, deux colonels, neuf officiers et soldats de la garde nationale, un officier d'état-major, vingt et un spectateurs sont frappés Le roi n'est pas touché ; il achève la revue avec le plus grand calme.

Le 5 juillet, les funérailles des victimes sont célébrées avec une grande solennité.

Fieschi blessé par sa machine infernale a été arrêté le jour même. Son crime était horrible : l'indignation qui l'accueillit fut unanime, mais les passions politiques l'exploitèrent ; la presse et le libéralisme en furent rendus responsables. La machine de Fieschi, disait-on, était une idée républicaine.

C'est en se plaçant sur ce terrain que le ministère présenta, le 4 août, un projet de loi qui supprimait toute discussion touchant le principe du gouvernement. Un second projet autorisait le ministre de la justice à créer, dans les cas de rébellion, autant de Cours d'assises qu'il serait besoin, attribuait le vote secret au jury et réduisait de huit à sept le nombre des voix nécessaires pour la condamnation.

La discussion de ces lois dura du 13 au 29 août : la Chambre des députés en aggrava les dispositions, malgré les protestations de Royer-Collard, de Dupin aîné, qui défendirent éloquemment les prérogatives de la presse et du jury. Après le vote des. Lois, dites de septembre, qui portaient une véritable atteinte aux principes de la Charte constitutionnelle et la clôture de la session (11 septembre), la Cour des pairs qui avait condamné, le 15 août, les accusés de Lyon, reprit le jugement des accusés de Lunéville, puis de ceux de Paris : cet interminable procès prit fin le 25 janvier 1836. La déportation et la détention frappèrent les plus compromis des prévenus.

La royauté constitutionnelle avait triomphé des légitimistes et des républicains, elle venait, d'obtenir un puissant moyen de gouvernement : c'est alors que les chefs du parti vainqueur se divisèrent et que le cabinet du 11 octobre fut menacé de dissolution par la rivalité de deux grands esprits bien dissemblables, Thiers et Guizot.

Cette rivalité, assoupie jusqu'alors par les nécessités de la lutte pour l'existence, se réveilla au sujet de l'Espagne. La régente Christine invoquait l'intervention de l'Angleterre et de la France, en vertu du traité de quadruple alliance. L'Angleterre consentait à intervenir. Thiers voulait imiter l'Angleterre, Guizot s'y opposait. Louis-Philippe réconcilia les deux adversaires en leur faisant accepter une intervention atténuée sous forme de coopération de la légion étrangère. La crise conjurée renaquit à l'ouverture de la session : Humann d'accord avec Thiers se prononça pour la réduction de la rente sans avoir consulté ses collègues (14 janvier 1836) ; forcé de se retirer, il est remplacé par d'Argout, et le duc de Broglie déclare que le ministère ne proposera pas la réduction. La Chambre, à la majorité de 2 voix, se prononça contre l'ajournement de la question, et le ministère se rendit aux Tuileries pour annoncer sa démission au roi. Le cabinet du 11 octobre avait vécu près de 4 ans.