Le
gouvernement déclarant après la mort de Casimir Périer que son système
restait en vigueur, l'opposition se réunit le 20 mai chez Laffitte et sous
forme d'un Compte rendu à leurs commettants, les députés rédigèrent une
protestation contre ce système qui éloignait chaque jour davantage le
gouvernement de la révolution, qui avait par ses violences organisé la
résistance sur tous les points du territoire, qui avait encouragé les menées
des légitimistes qui avait abandonné la cause des peuples opprimés Ce manifeste,
fort de cent trente-cinq adhésions, produisit une impression immense, à peine
diminuée par l'intérêt qui s'attachait aux péripéties de la lutte contre la
duchesse de Berry. Le
général Dermoncourt, envoyé à Nantes, avait fait fouiller les maisons des
principaux agents du parti légitimiste. La duchesse de Berry, malgré les
efforts de Berryer et de plusieurs royalistes qui cherchaient à la dissuader
d'une prise d'armes. ? avait assigné la nuit du 3 au 4 juin à la levée des
boucliers. Le 28 mai, le général Dermoncourt s'emparait du château de la
Charlière, où il trouvait enfermés dans des bouteilles la correspondance de
la duchesse et tout le plan de la prise d'armes. Il n'y eut d'engagements un
peu sérieux qu'à Pont-la-Claye, en Vendée, à Chemisé-le-Gaudin, dans la
Sarthe, au village du Chêne et au Château de la Penissière. La Vendée n'était
plus le pays féodal de 1793 : sur 1.500.000 habitants, 2 ou 3.000 seulement
prirent les armes en 1832. Forcé de quitter les Mesliers, la duchesse erra de
ferme en ferme, et le 8 juin, sous le déguisement d'une paysanne, elle
entrait à Nantes avec Mlle de Kersabiec et M. de Ménars. La Vendée était
soumise, au moment même où le gouvernement livrait aux républicains une
véritable bataille dans les rues de Paris. Nous
avons dit que les membres de l'opposition de la Chambre des députés, réunis
chez Laffitte, avaient adopté le Compte rendu à leurs commettants. Le général
Lamarque, alors malade, y apposa sa signature. Trois jours après, le ter
juin, la réunion de la Société des amis du peuple fut dissoute par la police
: le lendemain, le général Lamarque expirait. La Société Aide-toi organise
ses funérailles avec la pensée de faire une manifestation importante pour
ébranler le ministère. Les obsèques sont fixées au 5 juin. Le cortège devait
suivre le boulevard jusqu'au pont d'Austerlitz, où une voiture de voyage
prendrait le corps pour le transporter à Mont-de-Marsan. Personne ne songeait
à faire une révolution : le gouvernement agit comme s'il la redoutait et
assigna des positions stratégiques à tous les régiments. A onze heures, le
cortège, escorté par deux bataillons d'infanterie, quitta dans le plus grand
ordre le domicile du défunt, rue d'Anjou Saint-Honoré : Lafayette, Clausel,
Laffitte et Mauguin tenaient les cordons du char que suivaient 20.000 gardes
nationaux. Après eux venaient plus de 40.000 assistants ; 20.000 spectateurs
emplissaient les boulevards. Les cris de « vive la Pologne » retentissaient
avec force ; ceux de « vive la République » ne sont poussés que par les
sectionnaires et les réclamants de Juillet. Sur le boulevard Saint-Denis, on
commence à déraciner les arbres pour s'en faire des armes ; sur la place de
la Bastille, les élèves de l'École polytechnique, qui ont violé la consigne,
rejoignent le cortège, grossi encore par 500 ouvriers du faubourg
Saint-Antoine, armés de bâtons. A trois
heures et demie, le convoi arrive sur le pont d'Austerlitz, Mauguin, Clausel,
le Polonais Lelewel, le général Salhanda et Lafayette adressent à Lamarque un
dernier adieu. L'allocution de Lafayette toute pacifique et modérée est
accueillie par les cris : « A bas Louis-Philippe ! » A peine
est-elle terminée, que 200 dragons quittent la caserne des Célestins, suivent
le quai et se dirigent vers la tête du pont d'Austerlitz. A leur aspect, la
foule organise des barricades : Jules Bastide, qui commande l'artillerie de
la garde nationale, crie à ses hommes que le moment est venu de vaincre de
nouveau le despotisme. Le commandant des dragons, accompagné d'un fourrier,
s'avance vers les groupes armés en les assurant de ses intentions pacifiques
: il est accueilli à coups de pistolet. Une seconde colonne de dragons fait
évacuer les rues Montmorency et Sully, la place de l'Arsenal et débouche sur
le boulevard Bourdon, sabrant tout sur son passage : accueillie par une vive
fusillade au pavillon Sully, elle est forcée de battre en retraite. Sur la
rive gauche, le combat livré à la garde municipale avait tourné contre les
insurgés et le cercueil de Lamarque que la foule voulait porter au Panthéon,
avait été conduit à sa destination. Malgré ce succès la guerre civile se
répandait dans tout Paris. Les insurgés occupaient la poudrière des
Deux-Moulins, la caserne des Petits-Pères, les rues du Temple, Saint-Martin,
Saint-Denis, Montmartre et s'avançaient jusqu'à la place des Victoires. La
garde nationale se réunissait sans empressement, l'armée n'agissait avec un
peu de suite et d'énergie que dans la soirée. La Banque, la place des
Victoires, les rues du Mail et du Petit-Reposoir sont alors dégagées par un
escadron du 2e dragons. Dans la
nuit les barricades de la rue du Temple et de la rue Saint-Denis furent
enlevées. La fermeté, la présence d'esprit de Louis-Philippe raffermirent
tous les courages. Le maréchal Lobau, commandant général des gardes
nationales, reçoit le commandement suprême de toutes les troupes ; la
Tribune, la Quotidienne et le Courrier de l'Europe sont
saisis ; des mandats d'arrêt sont lancés contre Armand Carrel, rédacteur du
National et contre trois députés Garnier-Pagès, La-baissière et Cabet. Le 6
juin, le faubourg Saint-Antoine fut enlevé sans résistance : l'insurrection
se trouvait localisée dans la partie de la rue Saint-Martin, comprise entre
les rues Maubuée et Saint-Méry, où elle occupait une position formidable.
Sous la conduite d'un jeune homme de vingt-sept ans, nommé Jeanne, cent
cinquante hommes au plus résistèrent longtemps à tous les assauts de la
troupe et de la garde nationale. Quand le général Laydet, à la tête du 38e de
ligne et de bataillons du 1er et du 42e, eut emporté la barricade principale,
les défenseurs du Cloître Saint-Merry parvinrent à se faire jour la
baïonnette au bout du fusil. La lutte avait duré deux jours (5 et 6 juin). L'armée et la garde nationale
y avaient eu soixante-dix tués et trois cent vingt-six blessés, les insurgés
près de deux cents morts et autant de blessés. Le lendemain de la victoire,
Paris fut mis en état de siège ; l'École d'Alfort, l'École polytechnique et
l'artillerie de la garde nationale furent dissoutes ; une ordonnance, bientôt
retirée, enjoignait aux médecins et chirurgiens de donner à la police les
noms des blessés. Le G
juin, Louis-Philippe recevant au Tuileries Laffitte, Odilon Barrot et Arago,
délégués auprès de lui par les députés de l'opposition, affirma qu'il n'avait
fait aucune promesse en 1850, que le système suivi depuis lors était le sien
et qu'il ne s'en départirait pas. Ce langage, de l'aveu même de Guizot, était
une faute grave. Quant à Odilon Barrot il a résumé ainsi ses impressions et
celles de ses deux collègues : « Nous fûmes comme stupéfaits. La chute
de ce gouvernement qui niait si absolument la condition de son origine, nous
apparut comme fatalement certaine et nous convînmes de rédiger en triple
expédition le procès-verbal de cet entretien, comme pour en prendre acte
devant l'histoire. » A seize ans de là cette prophétie, remarquable par
sa date, devait se réaliser. Dans la
même conversation, Louis-Philippe avait ajouté qu' « on le hacherait
comme chair à pâté dans un mortier » plutôt que de l'entraîner dans une
autre voie et qu'il n'avait « absolument rien trouvé » dans le
Compte rendu des députés de l'opposition. En résumé il se déclarait solidaire
du cabinet du 13 mars et de sa politique, mais promettait de n'approuver
aucune mesure exceptionnelle, promesse qui ne fut pas tenue. L'œuvre des
conseils de guerre commença le 16 juin : Pepin, capitaine de la garde nationale,
fut acquitté faute de preuves ; un peintre Auguste Geoffroy, est condamné à
mort ; il se pourvoit en cassation et est renvoyé devant ses juges naturels.
Cet échec décide le gouvernement à lever l'état de siège (30 juin) et à renvoyer devant la Cour
d'assises toutes les poursuites relatives à l'insurrection. L'émotion
à peine calmée fut ravivée par la nouvelle de la mort du duc de Reichstadt (22 juillet
1832) et par la
scène de meurtre du pont d'Arcole (29 juillet) : des jeunes- gens qui
chantaient la Marseillaise avaient été cernés sur le pont par les gardes
municipaux et les sergents de ville et attaqués avec la dernière brutalité.
Les violences, les condamnations à mort prononcées par la Cour d'assises
auraient pu provoquer une nouvelle lutte, si Louis-Philippe n'avait sagement
commué les peines capitales. Les
procès de presse tournèrent presque tous à la confusion du gouvernement : le
Commerce, le Message et le National furent acquittés ; le
gérant du Corsaire fut condamné à six mois de prison et 1,000 francs
d'amende. Le 23
octobre commença le procès de vingt-deux insurgés qui avaient pris part au
combat du Cloître Saint-Merri. Quelques accusés, comme Rossignol Fournier,
nièrent leur participation à la lutte, Jeanne l'avoua et s'en fit gloire. Il
fut condamné à la déportation ; Rossignol à huit ans de réclusion, Goujon et
Vigoureux à six années de travaux forcés ; quinze prévenus furent acquittés
par le jury. Pendant que ces procès avaient lieu à Paris, on jugeait dans la
Vendée et dans le Midi, nombre de royalistes compromis dans la tentative
insurrectionnelle de la duchesse de Berry : presque tous furent acquittés. Plus
sûr de sa force, plus confiant après sa victoire sur les républicains, le
gouvernement inquiéta plusieurs sectes religieuses qui avaient fait d'assez
rapides progrès depuis la révolution de Juillet, surtout celle des Saint-Simoniens
et l'Église dite française. Poursuivis pour délit d'association
et d'escroquerie, les Saint-Simoniens furent condamnés à des peines
correctionnelles rigoureuses : les plus avisés renoncèrent à leur costume
bizarre et à leurs doctrines, pour accepter de grandes situations administratives
ou financières. Les fondateurs de l'Église française, les disciples de
l'abbé Châtel, ne montrèrent pas plus de goût pour le martyre. Quelques
jours avant ces procès, qui eurent bien moins de retentissement que les
procès politiques, on avait célébré à Compiègne le mariage de la fille aînée
du roi Louise-Marie d'Orléans, avec le roi Léopold, 9 août. Cette union
semblait devoir préparer la solution de la question belge. La
reconstitution du cabinet (11 octobre) parut aplanir toutes les difficultés intérieures.
La coalition de Thiers, de Broglie et Guizot donnait au ministère une grande
action sur la Chambre des députés ; la majorité fut assurée à la Chambre
haute par une nombreuse fournée de pairs. Les ministres déclarèrent que leur
politique serait la continuation de celle du 13 mars. L'un de leurs premiers
actes fut le rétablissement de la classe des sciences morales et politiques à
l'Institut ; excellente mesure dont l'honneur revient à Guizot. Thiers chargé
de mener à terme la délicate question de la duchesse de Berry, parvint à son
but par des moyens peu honorables : un juif converti, Deutz, fut l'agent
soldé de la trahison. Découverte à Nantes, dans la maison des demoiselles
Duguigny, la duchesse fut transférée à la citadelle de Blaye. Cette
importante capture réduisait à l'impuissance le parti légitimiste : il ne
pouvait plus rien contre la sûreté de l'État. La grossesse 'et l'accouchement
de la duchesse du Berry lui portèrent le dernier coup. Ce
succès du gouvernement coïncida avec la prise d'Anvers : le roi de Hollande
s'étant refusé à exécuter le traité franco-anglais du 15 novembre 1851, une
armée de 70.000 hommes, commandée par le maréchal Gérard, entra en Belgique,
pendant que les flottes combinées de la France et de l'Angleterre quittaient
Spithead et se dirigeaient vers la Hollande. La
session de 1833 s'ouvrit le 19 novembre 1832 : le roi en se rendant au
Palais-Bourbon échappa à un coup de pistolet tiré sur lui à l'extrémité du
Pont-Royal, et fut vivement acclamé par les Chambres. Après l'élection de
Dupin aîné comme président, on commença la discussion de l'adresse adoptée
malgré les efforts d'Odilon Barrot et de la gauche qui reprochaient au
Gouvernement de méconnaître les conditions de la monarchie populaire. Thiers
et Soult répondirent, en opposant à la gauche son Compte rendu, ses
sympathies pour les insurgés de juin et sa tendance inconsciente à la
république. Pendant
ces débats, le siège d'Anvers commençait ; le 4 décembre l'assaut allait être
donné, après dix-jours de bombardement, quand le général Chassé capitula (23 décembre). Le même jour, l'escadre
hollandaise et la garnison du fort Liefkensœck étaient battus par Tiburce
Sébastiani, à Doel. La guerre était terminée : on ne laissa en Belgique qu'un
corps d'occupation de 20.000 hommes. Cette courte et décisive campagne avait
singulièrement honoré, outre le maréchal Gérard, les généraux Nègre et Haxo,
sans parler des ducs d'Orléans et de Nemours. Mêmes succès en Afrique : le
général Clausel, successeur de Bourmont, y avait trouvé les services civils
désorganisés ; il avait tout rétabli, créé une ferme modèle, étudié des
projets de colonisation dans la Mitidja. Sébastiani, jaloux de l'initiative
qu'il s'attribuait, le remplaça par Berthezène, que sa docilité seule
recommandait. Dans une excursion à Médéah, il aurait perdu une partie de son
armée sans l'énergie du commandant Duvivier qui fit face à l'ennemi et protégea
la retraite. Il acheta 70.000 francs, à Ben-Moubarek, la jouissance paisible
de la banlieue d'Alger. Ii fut remplacé, le 1er décembre 1851, par le duc de
Rovigo Savary : sous cette administration, les capitaines d'Armandy et
Youssouf s'emparent de Bône par un coup de main audacieux (25 mars 1852). Les généraux Boyer et Faudoas
contiennent l'ennemi à Oran et aux environs d'Alger. La capitale de notre
colonie, sous l'administration tyrannique et cruelle, mais probe et habile de
l'ancien ministre de la police, se peuple et s'embellit ; on l'entoure de
camps que relient des bloc-bus ; on étend son action sur une étendue de six lieues
carrées ; on fonde des villages, on perce des routes. Malheureusement, le duc
de Rovigo ne put échapper à l'influence du climat ; de retour à Paris, en
mars 1832, il mourut peu de mois après. Le général Voirol le remplaça : son
administration conciliante assura le développement des bureaux arabes,
organisés par le capitaine Lamoricière. Le
cabinet fut modifié à la suite de l'expédition en Belgique ; Thiers remplaça
d'Argout à l'intérieur et lui laissa sa succession au commerce et aux travaux
publics. Un nouveau procès dirigé contre les membres de l'ancienne Société
des amis du peuple amena, sur les bancs des prévenus, Godefroi Cavaignac,
Ploque, Desjardins, Rittiez, Bernier Fontaine accusés d'avoir contrevenu à
l'article 291 du Code pénal. Leur acquittement produisit une vive sensation
dans l'auditoire et dans le public. La
Chambre des députés, après avoir voté l'ordre du jour sur les pétitions qui
demandaient la mise en liberté de la duchesse de Berry, aborda la discussion
de- la loi d'organisation départementale promise en 1830. Le principe électif
fut substitué au choix des conseillers par le Gouvernement ; la base de
l'élection fut la même que pour la loi électorale. Les ministres du culte
furent exclus des fonctions départementales, après une véhémente
improvisation de Dupin. Les
deux Chambres adoptèrent ensuite la loi d'expropriation pour cause d'utilité
publique qui permit de commencer la construction des chemins de fer. Pendant
le vote du budget, Baude, conseiller d'État, et Dubois, inspecteur général de
l'Université, se séparèrent du ministère, sur la question des pensions
accordées aux officiers et soldats qui avaient servi dans les armées
étrangères ou dans les armées vendéennes. Baude et Dubois furent destitués (6 mars). Sur la question des
fortifications de Paris, la Chambre émit un vote de défiance en refusant tout
crédit pour la continuation des travaux (2 avril). La Chambre des pairs avait montré le même
esprit d'hostilité, en ajournant un projet de loi sur l'état de siège. La
dénonciation, par le poète Viennet, du journal la Tribune, qui l’avait
pris à partie, ramena devant la Chambre la question des fortifications et
introduisit celle de la corruption parlementaire. Lionne, gérant de la
Tribune, parut devant la Chambre assisté de Godefroi Cavaignac et d'Armand
Marrast, qui, au lieu de défendre leur client, firent un violent réquisitoire
contre la Chambre prostituée. Lionne fut condamné à trois ans de prison et
2000 francs d’amende. La
session de 1832 fut close le 25 avril ; la nouvelle session s'ouvrit le 26
avril 1835, peu de temps après le procès dit du coup de pistolet, qui
aboutit à l'acquittement de l'accusé Bergeron. La Chambre adopta l'excellente
loi Guizot sur l'organisation de l'enseignement primaire par 249 voix contre
7. Le 28 mai, la Chambre des pairs confirma ce vote et la loi fut
immédiatement exécutée. Des allocations considérables sont accordées dans
cette session pour les routes, les canaux, les phares : 100 millions, votés
la demande de Thiers, durent être consacrés aux monuments de la capitale, aux
travaux de canalisation, aux routes royales, aux routes stratégiques de la
Vendée, à l'éclairage des côtes et à l'étude des lignes de chemin de fer. La
session close (26 juin),
le maréchal Soult fit continuer les travaux de. fortification malgré le vote
de la Chambre ; les journaux tonnèrent ; toutes les sociétés s'agitèrent :
celle des Droits de l'homme, dirigée par Godefroy Cavaignac ; celle de
l'Action, fondée par de Kersausie ; celle de la Liberté de la presse,
patronnée par Lafayette. La poursuite entamée contre cette dernière
association aboutit encore à un acquittement. Une autre association fort
influente, celle de l'Instruction populaire, avait été créée en 1852
par Arago, Cabet et Cormenin. L'agitation
entretenue par la presse et les sociétés força le Gouvernement à ajourner ce
que l'on appelait l'embastillement de Paris. Les esprits s'étant calmés, on
procéda, le 28 juillet, à l'inauguration solennelle de la statue de
l'empereur sur la colonne Vendôme. La
question sociale allait ramener le trouble dans les esprits et le désordre
dans les rues. La société des Droits de l'homme avait de nombreux
adhérents parmi les ouvriers ; plus de soixante mille, en 1855, unis dans une
action commune, traitaient les questions de salaires, d'heures de travail,
agitées dans une foule d'écrits que les crieurs publics colportaient dans les
rues. Dans un procès intenté aux crieurs publics, le procureur général Persil
fit entendre des paroles menaçantes pour les ouvriers, déclarant qu'entre eux
et les patrons il n'y avait pas de transaction possible. L'émotion fut
extrême. Quelques augmentations de salaires, des menaces, des promesses,
quelques arrestations portant sur les membres de la Société des droits de l’homme
parvinrent cependant à dissoudre les coalitions ouvrières. Le roi, dans un
voyage en Normandie, exposa ses idées économiques, à Rouen, à Bernay, il se
déclara partisan de la plus grande liberté, tout en considérant comme une
chimère toute innovation en matière commerciale. Dans le
discours de rentrée qu'il prononça devant la Cour, Persil attaqua violemment
la Société des droits de l'homme et le manifeste républicain qu'elle venait
de publier ; il demanda la réforme du jury, et il traita de niaise et
d'impraticable la maxime constitutionnelle : « Le roi règne et ne
gouverne pas. » Quelques jours après, le 11 décembre, vingt-sept membres
de la Société des droits de l'homme comparaissaient devant le jury sous
l'accusation de complot, Raspail, Kersausie et cinq élèves de l'École polytechnique
étaient les principaux accusés. Tous furent acquittés, mais leurs avocats
furent frappés de peines disciplinaires. Dupont fut interdit pour une année,
Michel de Bourges et Pinard pour six mois. On leur reprochait des paroles
injurieuses pour l'avocat général Delapalme. Cette
agitation, qui de la France s'étendait en Suisse et en Allemagne, provoqua la
réunion diplomatique, à Tœplitz, des représentants de l'Autriche, de la
Prusse et de la Russie, Metternich, Ancillon et Nesselrode, qui se
prononcèrent pour une conférence de leurs souverains, à Müntz-Graetz (septembre). On accepta les faits accomplis
en Belgique, on convint des secours à fournir par la Russie au cas où la
Confédération germanique serait menacée ; on s'entendit contre le parti qui
désirait les bouleversements, et on fit à la France une guerre douanière dont
le Zollverein 'fut la première manifestation. Les souverains ne s'occupèrent
pas de la péninsule ibérique, malgré la gravité des événements qui s'y
étaient accomplis. Don
Pedro, installé à Lisbonne depuis le 28 juillet, avait promulgué une
constitution libérale. En Espagne, Christine, prévoyant la mort de Ferdinand
VII, se rapprocha des libéraux, réprima les complots des apostoliques et fit
révoquer le décret qui rétablissait la loi salique. Après la mort du roi (29 septembre 1833), elle fut proclamée régente, et
don Carlos se réfugia en Portugal. Mais les cours du Nord refusèrent de
reconnaître cet état de choses. En
France, la session de 1831k s'ouvrit le 25 décembre 1833. Le discours du roi
affirma la bonne entente avec l'extérieur et laissa entrevoir la présentation
de mesures répressives. Dupin
fut élu président ; l'adresse fut votée sans opposition. Le 25 janvier 1834,
le ministère de la justice déposa le projet de loi contre les crieurs
publics. La discussion fut précédée d'une interpellation de Larabit, signalée
par une intervention imprudente de Dulong, fils adoptif de Dupont de l'Eure,
et suivie d'un duel où le jeune député fut mortellement blessé par le général
Bugeaud. Dupont de l'Eure désolé, renonça à la vie politique. La loi sur les
crieurs publics fut adoptée, le 7 février : elle soumettait la distribution
sur la voie publique à la nécessité d'une autorisation préalable de la
municipalité. La
tentative des réfugiés politiques contre la Savoie, conçue à Paris par
Mazzini, dirigée par le général Ramorino, provoque de nouvelles notes des
souverains contre les comités de propagande révolutionnaire. Le gouvernement
français demanda à la Chambre l'autorisation de poursuivre un de ses membres,
Cabet, rédacteur du journal le Populaire. L'autorisation accordée, Cabet fut
condamné à deux ans de prison et 4,000 francs d'amende. La rigueur de cette
sentence surexcita les esprits et ralluma l'incendie à peine éteint à Lyon. La
Glaneuse, le
Précurseur et l'Écho de la Fabrique faisaient une guerre acharnée
au gouvernement mal défendu par le Courrier de Lyon. En février 1834,
la question sociale surgit de nouveau : les fabricants avaient décidé une
diminution de 25 centimes sur le prix de la fabrication de l'aune de peluche
; les mutuellistes par 1.287 voix contre 1.043 décidèrent la cessation
immédiate du travail : 20.000 métiers cessent de battre, à partir du 14
février. L'intervention des républicains fit reprendre les travaux dès le 22.
Le gouvernement au lieu de chercher à calmer l'agitation fit poursuivre
plusieurs ouvriers pour délit de coalition ; à Paris, il présenta le projet
contre les associations (25 février). La loi de Barthe aggravait les pénalités édictées
par l'article 291 et conférait aux tribunaux correctionnels la connaissance
des attentats commis contre la sûreté de l'État. Après une mémorable
discussion, Où Guizot étala sa froide ironie, son éloquence sèche et
vigoureuse, où l'opposition défendit énergiquement la souveraineté populaire,
où le général Bugeaud se montra plus provocateur que jamais, la loi fut votée
le 25 mars par 246 voix contre 154. D'un bout à l'autre de la France, les
sociétés politiques firent entendre d'énergiques protestations. Trois mille
mutuellistes déclarèrent qu'ils ne céderaient pas ; l'Union de juillet,
réunie sous la présidence de Lafayette refusa de se soumettre ; la société
des Droits de l'homme au lieu de se contenter d'une résistance légale,
qui ne pouvait manquer d'être efficace, se décida pour la voie des armes.
C'était folie avec les trois mille hommes de forces actives que possédait le
parti républicain à Paris. Mais on comptait sur Lyon et sur la complicité de
l'armée. Le 5
avril 1834 commença devant la police correctionnelle de Lyon, le procès des
mutuellistes ; au sortir de l'audience un détachement du 7e de ligne, chargé
de disperser la foule, fraternise avec les ouvriers sur la place Saint-Jean. Une
modification ministérielle qui substitua Persil à Barthe, nommé président de
la Cour des comptes parut significative : des deux parts, on se préparait à
la lutte. Le 8 avril, le maire de Lyon fait afficher une proclamation
menaçante ; le lendemain onze mille hommes, quinze cents chevaux et dix
batteries d'artillerie, réunis sous le commandement du général Aymard,
occupent la place Bellecour. Dix à douze mille ouvriers se pressent sur la
place Saint-Jean ; à dix heures une barricade est élevée à l'entrée de la rue
Saint-Jean, la troupe s'en empare ; mais en un quart-d'heure de nombreuses
barricades sont dressées dans la rue de la Préfecture, rue Mercière, rue
Grôlée, rue de l'Hôpital. À midi on se bat partout. La préfecture enserrée
par l'insurrection, est dégagée par la troupe qui lance des pétards pour
débusquer les ouvriers et allume un violent incendie rue de l'Hôpital. A la
fin de la journée l'armée était maîtresse des ponts, du quartier Saint-Jean,
des places Bellecour, de la Préfecture et des Terreaux. Le jeudi 1.0, le
combat s'engage à la Guillotière, qui offre bientôt le spectacle d'un immense
embrasement ; à midi les insurgés occupent la caserne du Bon-Pasteur,
au-dessus du Jardin des Plantes ; de partout ils tiraillent, à l'abri dans
les maisons, sans se montrer en masse. La place Sathonay qu'ils ont un moment
occupée est bientôt reconquise par le 28e de ligne, qui souille sa victoire
par le massacre dans une maison où se sont réfugiés les insurgés. Ceux-ci
s'abstinrent de toute violence contre les personnes. La Guillotière fut
conquise par l'armée dans la journée du 10, mais le faubourg de Vaisse se
joignit à l'insurrection qui se fortifia à la Croix-Rousse et s'empara du
fort et de la caserne Saint-Irénée. Dans la
journée du 11 les républicains essayaient vainement de s'ouvrir un passage de
la place des Cordeliers à l'Hôtel de Ville : les armes leur manquaient et
pour s'en procurer ils firent des excursions peu fructueuses dans les
communes de la banlieue ; le même jour plusieurs ouvriers constatant leur
isolement abandonnèrent les barricades. La Guillotière est reconquise par la
troupe et le général Aymard disposant de quinze mille hommes prépare une
attaque décisive : il rencontre peu de résistance à Vaisse, enlève la
barricade de la place des Cordeliers, fait arracher le drapeau noir du
clocher de Saint-Nizier. Le
dimanche 15 avril, la Croix-Rousse résistait seule, les femmes et les enfants
poussent les ouvriers à faire leur soumission : la lutte était finie. L'armée
y avait eu 115 hommes tués et 360 blessés, l'insurrection 400 blessés et 200
tués. A. la
nouvelle des troubles de Lyon, le préfet de police avait fait arrêter les
principaux membres du comité des Droits de l'homme, moins Cavaignac et
Kersausie qui réussirent à prendre la fuite. Le jour même où l'insurrection
était vaincue, la Tribune annonçait qu'elle était maîtresse de Lyon,
de toute la ligne de Paris à Lyon, de Belfort et d'Orléans ; les sections des
Droits de l'homme, demandaient à marcher ; l'arrestation de
Kersausie opérée à midi fit élever des barricades, rue Maubuée et dans les
rues adjacentes : attaquées le lendemain par Bugeaud, Tourton, de Lascours et
Rumigny, elles sont emportées sans résistance sérieuse. Les barricades
élevées rue Transnonain furent enlevées aussi facilement que celles de la rue
Maubuée par le 35e de ligne. C'est alors que les soldats ivres de fureur,
voyant rouge, comme il arrive trop souvent dans les guerres civiles,
massacrèrent jusqu'au dernier tous les habitants de la maison portant le
numéro 12, rue Transnonain. On
réprima aussi des troubles moins graves à Grenoble, Marseille, Arbois et une
émeute militaire à Lunéville. Le 14
avril Guizot annonçait aux Chambres la répression de l'insurrection ; le
lendemain une loi fut présentée contre les détenteurs d'armes de guerre ; une
autre demandait un crédit extraordinaire pour maintenir l'armée à quatre cent
mille hommes et une ordonnance royale constitua la Chambre des pairs en Cour
de justice. Un mois
après ces tristes événements, Lafayette succombait (20 mai) ; ses funérailles furent
tristes et lugubres. Sa mort privait les libéraux d'un puissant appui, au
moment où les idées qui leur étaient chères allaient subir un furieux assaut
réactionnaire. Le 24 mai la session de 1834 était close, le lendemain la dissolution
était prononcée. Le 22 avril précédent, Talleyrand avait signé à Londres le traité de la quadruple alliance qui assurait par l'union de la France et de l'Angleterre avec le Portugal et l'Espagne, la défaite de don Carlos et de don Miguel. C'était la réponse des puissances libérales aux coalisés de Müntz-Graetz. |