Né le 6
octobre 1773, à Paris, Louis-Philippe reçut à son berceau le titre de duc de
Valois, en 1785 celui de duc de Chartres, et en 1793, à la mort de
Philippe-Égalité, il prit celui de duc d'Orléans. Le jeune prince ne dut
presque rien à ses parents : son père, sans principes, sans moralité,
n'obéissait qu'à ses passions ; sa mère, très vertueuse, fut à peine en
contact avec lui. Abandonné à son institutrice, Mme de Genlis, l'enfant reçut
d'elle une éducation simple, forte et pratique, des connaissances étendues,
un goût éclairé pour les arts. Colonel des dragons de Chartres à douze ans,
lieutenant général à dix-neuf, le jeune officier adopta avec un enthousiasme
sincère les principes de 1789, applaudit à la chute de la Bastille, se montra
fréquemment dans les tribunes de la Constituante, remplit même les fonctions
d'appariteur et de censeur aux Jacobins, et présida par intérim les Amis de
la constitution de Vendôme, lorsqu'il tint garnison dans cette ville. Au
début de la guerre de 1792, il commandait la place de Valenciennes ; il se
fit remarquer comme volontaire à Quiévrain, contribua, sous Kellermann, à la
victoire de Valmy, sous Dumouriez à celle de Jemmapes, fit en 1793 la
première campagne de Hollande, bombarda Vanloo, Maëstricht, et prit part à la
bataille de Nerwinde. S'il passa à l'ennemi avec Dumouriez, il refusa de
commander une division dans l'armée de duc de Saxe-Cobourg, resta étranger
aux intrigues de Coblentz et de Worms et fut toujours odieux aux émigrés, à
cause de son père et de ses propres exploits dans les armées républicaines.
Réfugié en Suisse avec sa sœurs Adélaïde, le duc de Chartres est réduit à
vivre de la vente de ses chevaux ; il prend le nom de Corby, sous lequel il
ne peut se soustraire à la persécution, place sa sœur dans un couvent, d'où
elle passe en Hongrie, et finit par entrer au collège de Reichenau, comme
professeur de géographie, de mathématiques et de langues, aux appointements
de 1400 francs par an. Il y passa huit mois, dont il aimait à évoquer le
souvenir, et continua d'entretenir des relations avec Narbonne et
Montesquiou, comme lui réfugiés en Suisse. En1795, Mme de Flahaut lui fournit
les moyens et l'occasion de passer en Amérique. Il devait s'embarquer à
Hambourg ; mais, bien accueilli dans cette ville, il retarde son départ ; il
visite en observateur et en géographe le Danemark, la Suède, la Norvège et
pousse ses excursions jusqu'en Laponie. Le Directoire lui ayant fait espérer
que son éloignement mettrait un terme à la captivité de sa famille, il se
décide enfin à s'embarquer ; dans le Nouveau-monde, il suit les rives du
Saint-Laurent, il parcourt les États de l'Union baignés par l'Océan. Il
revint en Angleterre, en 1799, et vécut ignoré à Twickenham, près Londres. Sa
mère Adélaïde de Bourbon Penthièvre, petite-fille du comte de Toulouse, à
force d'instances et de prières, obtint de Louis XVIII qu'il le reçût à
Mittau, lui rendit le titre de prince français et le fît participer à la
pension que le czar payait aux Bourbons. Malgré ce rapprochement, les
relations restèrent froides entre les Bourbons et le duc de Chartres,
compromis par les intrigues de Dumouriez. Cependant, après la mort de ses
deux frères Montpensier et Beaujolais, le duc, admis dans l'intimité de
Ferdinand IV, à Palerme, donna des gages sérieux aux princes. Il offrait de
se mettre à la tête d'un soulèvement des îles ioniennes contre la France ou
d'aller combattre Napoléon en Espagne le 25 novembre 1809, on lui accorda la
main de Marie-Amélie de Bourbon. Avant ce mariage, il avait été appelé par la
junte insurrectionnelle de Séville pour repousser l'invasion française : il
réclama la régence et fut éconduit à Séville comme à Tarragone, soit à cause
de ses prétentions ambitieuses, soit par suite des menées du cabinet anglais.
En 1814 il quitta la Sicile, vint à Paris, et sachant que sa candidature au
trône avait été agitée dans les conseils des souverains, il prodigua les
protestations de fidélité à Louis XVIII. Rétabli dans les biens immenses de
sa famille, dans tous ses titres honorifiques, il fut naturellement amené à
se rapprocher des constitutionnels et de Lafayette. Envoyé à Lyon, puis
investi d'un commandement dans le Nord au retour de File d'Elbe, il s'en
déchargea sur Mortier et passa les Cent jours en Angleterre, évitant
soigneusement de se montrer à Gand. Sa candidature au trône, appuyée par
Fouché, par Talleyrand, et proposée par le Czar en plein congrès de Vienne,
ne fut écartée que par l'opposition de lord Clancarty. Après la seconde
Restauration, il prononça à la Chambre des pairs, dans la discussion de
l'adresse, un discours qui le fit éloigner de France et retourna à Twickenham
où il resta deux ans. De 1817 à 1850, il fut le point de ralliement de
l'opposition, il vit sa fortune augmentée par la générosité de Charles X, et,
tout en risquant sa popularité dans des procès d'intérêt personnel, tout en
accablant le roi de ses assiduités, de ses prévenances obséquieuses, il donna
des gages nombreux au parti libéral, fit élever ses fils à Henri IV, protégea
les écrivains compromis par leur patriotisme, s'attacha même les bonapartistes
par son admiration expansive pour les hommes de l'empire. Telle
fut, de 1775 à 1850, la carrière du prince habile, souple, sceptique, qui
allait échanger le titre de duc d'Orléans contre celui de roi des Français.
Il arrivait au pouvoir à l'âge de cinquante-sept ans, avec une longue
expérience, une connaissance approfondie de l'Europe, une vie privée sans
tache et au dire de ses familiers, Laffitte, Ganneron, Dupont de l'Eure,
Béranger, un libéralisme non joué, fortifié par les épreuves, entretenu par
la haine de la branche aînée, de tradition dans sa famille. Le 29
juillet 1850, la population parisienne s'empare du Louvre et des Tuileries ;
le drapeau tricolore, proscrit depuis quatorze ans flotte sur le dôme du
palais, le duc de Raguse ramène à Saint-Cloud ses régiments exténués. L'Hôtel
de ville, évacué par les troupes royales dans la nuit précédente, fut occupé
à trois heures par le général Lafayette et devint le quartier général de
l'insurrection. Un des signataires de la protestation des journalistes,
Baude, rédacteur du Temps et agent de Casimir Périer, remplace le préfet de
la Seine, qui a quitté son poste. D'accord avec deux anciens officiers
supérieurs, le généra Dubourg et le colonel Zimmer, il annonce au peuple la
constitution d'un gouvernement provisoire de trois membres : Lafayette,
Gérard et de Choiseul. Un certain nombre de députés, réunis à midi chez
Laffitte, avaient conféré au général Lafayette le commandement de la garde
nationale, au général Gérard celui des troupes et nommé une commission
municipale ainsi composée : Audry de Puyraveau, Gérard, Laffitte, comte
Lobau, Mauguin, Odier, Casimir Périer et de Schonen. A
Saint-Cloud, Charles X en apprenant, vers cinq heures, la prise des
Tuileries, retira les ordonnances et chargea de Mortemart, son ambassadeur à
Saint-Pétersbourg, de la constitution d'un nouveau cabinet. Le grand
référendaire de la Chambre des pairs, de Sémonville, qui lui avait arraché
cette concession, quitta Saint-Cloud avec d'Argout et de Vitrolles et courut
à Paris. Il fut introduit à huit heures devant la commission municipale. « Il
est trop tard ! s'écria de Schonen, en réponse à la communication de
Sémonville, Charles X a glissé dans le sang, il y est tombé, qu'il y reste. »
De Schonen était un partisan déclaré du duc d'Orléans. Malgré l'échec de
cette mission officieuse, le 30 juillet, de Mortemart entrait dans Paris
hérissé de barricades gardées par plus de 100.000 hommes. Partout des
affiches énergiques affirmaient la souveraineté du peuple, réclamaient une
Constitution et n'accordaient à la Commission municipale que le droit de
consulter la France ; quelques-unes, plus rares, sans se prononcer sur la
forme du gouvernement, demandaient l'exclusion formelle des Bourbons ; les
plus nombreuses étaient ainsi conçues : «
Charles X ne peut plus rentrer dans Paris ; il a fait couler le sang du
peuple ! « La
république nous exposerait à d'affreuses divisions ; elle nous brouillerait
avec l'Europe. « Le
duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la révolution. « Le
duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous. « Le
duc d'Orléans était à Jemmapes. « Le
duc d'Orléans est un roi-citoyen. Le duc d'Orléans a porté au feu les
couleurs tricolores ; le duc d'Orléans peut seul les porter encore. « Nous
n'en voulons pas d'autres. « Le
duc d'Orléans ne se prononce pas ; il attend notre vœu, et il acceptera la
Charte, comme nous l'avons toujours voulue et entendue. C'est du peuple
français qu'il tiendra la couronne. » Ce
manifeste avait été rédigé, chez Laffitte, par Thiers, Mignet et Larreguy,
rédacteur du Journal du Commerce. La
majorité des députés pensait comme eux : elle inclinait à un simple
changement de dynastie ; réunie au palais Bourbon, en séance secrète, sous la
présidence de Laffitte, elle chargea Augustin Périer, le général Sébastiani,
Guizot, Benjamin Delessert et, Hyde de Neuville, de se réunir à cinq
commissaires nommés par les pairs. Les députés rencontrèrent au Luxembourg un
grand nombre de pairs, y compris de Mortemart, discutèrent courtoisement sur
les moyens d'assurer la liberté et la paix et revinrent au palais Bourbon
déclarer que la nomination du duc d'Orléans en qualité de lieutenant général
du royaume était la meilleure solution : elle fut adoptée à l'unanimité moins
trois abstentions. Sébastiani, Benjamin Delessert, Mathieu Dumas,
Dugas-Montbel, Augustin Périer et Auguste Saint-Aignan reçurent mission de se
rendre au Palais-Royal. A la
même heure Lafayette, à l'Hôtel de ville, éconduisait de Sussy l'envoyé des
royalistes et les délégués républicains venus pour lui déclarer que la
désignation d'un chef serait intempestive et coupable. La tentative
napoléonienne du commandant Dumoulin en faveur du duc de Reichstadt n'eut pas
plus de succès. Tout conspirait en faveur du duc d'Orléans. Dans la soirée du
28 il avait quitté Neuilly pour se renfermer au Raincy. Thiers, chargé de lui
faire connaître la décision de la Chambre, fut reçu à Neuilly par la duchesse
d'Orléans et Madame Adélaïde : il leur exposa qu'il s'agissait de remplacer
Charles X par Louis-Philippe. Le duc d'Orléans averti par Montesquiou,
revient à Neuilly et se dirige sur Paris, en habit bourgeois, en chapeau
rond, le ruban tricolore à la boutonnière. Arrivé au Palais-Royal à onze
heures du soir, il fait mander de Mortemart et proteste qu'il se fera mettre
en pièces plutôt que de se laisser poser la couronne sur la tête. Le
lendemain Dupin rédige, sous sa dictée, l'acte d'acceptation de la
lieutenance générale, et quelques heures après, les députés accourus au
Palais-Royal reçoivent communication de la proclamation suivante : « Habitants de Paris, « Les
députés de la France, en ce moment réunis à Paris, ont exprimé le désir que
je me rendisse dans cette capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant
général du royaume. « Je
n'ai pas balancé à venir partager vos dangers, à me placer au milieu de votre
héroïque population et à frire tous mes efforts pour vous préserver d la
guerre civile et de l'anarchie. En rentrant dans « la ville de Paris, je
portais avec orgueil ces cou- leurs glorieuses que vous avez reprises et que
j'avais moi-même' longtemps portées. « Les
Chambres vont se réunir ; elles aviseront au moyen d'assurer le règne des
lois et le maintien des droits de la nation. « Une
charte sera désormais une vérité. » La
commission de la Chambre des députés répondit à cette proclamation par une
adresse au peuple annonçant l'élection de Louis-Philippe comme roi des
Français et déclarant que la Charte sera une vérité ; le duc d'Orléans se
rend à l'Hôtel de ville, elle l'y accompagne. Moins
engagée dans les intrigues orléanistes, la commission municipale était
défiante, inquiète et armée ; Lafayette était une puissance sans laquelle on
ne pouvait rien. Le vieux général aimait la république, il sentait l'occasion
favorable pour la proclamer, mais il comprenait que la France y était peu
préparée : personne n'y avait songé, en dehors des sociétés secrètes.
Circonvenu par Odilon Barrot, par Rémusat, par Georges Lafayette, éloigné de
ses amis politiques, il accepta la monarchie constitutionnelle, espérant
qu'elle conduirait sûrement à la république et malgré ses préférences pour
une constitution purement américaine. « Un trône populaire, au nom de la
souveraineté nationale, entouré d'institutions républicaines », tel était son
idéal. En
arrivant sur la place de l'Hôtel-de-Ville, aux cris de : « Vive la nation !
vive la liberté ! vive la république, » le duc d'Orléans eut un mot
heureux : « Messieurs, dit-il ; c'est un garde national qui vient rendre
visite à son ancien général, M. de Lafayette. » Dans la grande salle où sont
réunis la Commission municipale et un certain nombre de députés, perdus dans
une foule nombreuse, l'accueil est hésitant ; sur la place retentissent les
cris de : « Vive la république ! » dominés par ceux de : «A bas les Bourbons
!» Ils ne cessent que lorsque le duc, conduit par Lafayette, se présente à
une fenêtre, tenant en main le drapeau tricolore. Après son départ,
Lafayette, assailli de réclamations, s'engage à porter au Palais-Royal un
programme des• garanties à exiger du lieutenant général. Il fut reçu avec
empressement, et, à la suite, d'une conversation prolongée, il se retira en
se déclarant satisfait des professions du prince, et en particulier de la
promesse d'établir un trône populaire entouré d'institutions tout à fait
républicaines. De part et n'autre, on se maintint dans le vague de ces
déclarations ; quant au programme il n'en fut pas question. Dans une
entrevue, provoquée par Thiers, avec les chefs du parti républicain, Bastide,
Godefroy Cavaignac, Guinard, Thomas et quelques autres combattants de
juillet, Louis-Philippe se montra à peine plus explicite : il se prononça
contre les traités.de 1815, contre l'hérédité de la pairie, contre la
convocation des assemblées primaires, contre le clergé et les légitimistes et
surtout contre la branche aînée. Bastide, en quittant le Palais-Royal, résuma
la situation d'un mot : « Le duc est un des 221, et rien de plus. » Son
libéralisme ne devait jamais aller plus loin que celui des 221. Dès le
premier jour il réagissait prudemment mais fermement contre les patriotes qui
avaient fait la révolution, croyant renverser un trône pour fonder une
république. Ce fut là le vice originel du gouvernement de Louis-Philippe.
C'est là ce qui explique et sa lutte continuelle pour l'existence et sa chute
lamentable. La royauté de 1830 n'était pas la meilleure des républiques, et
Lafayette lui-même le reconnaîtra avant de mourir. Les 221, malgré leur
courageuse adresse, n'avaient pas qualité pour engager la France : leur
prétendue souveraineté fut mise au-dessus de la souveraineté du pays ; on se
crut tout permis parce qu'on avait la majorité légale ; on escamota la
victoire du peuple de Paris pour la tourner au profit d'une classe. La
république, soumise au suffrage populaire, en 1830, n'eut probablement pas
réuni une majorité : Duchâtel et bien d'autres le pensaient, puisqu'ils
conseillaient un appel à la nation. On hésita, on recula devant cette
nécessité. On laissa aux libéraux le droit de parler d'attentat et
d'usurpation ; au peuple, l'espoir d'une revanche. La
première ordonnance du lieutenant général rétablit le drapeau tricolore, la
seconde constitua un ministère provisoire : Dupont de l'Eure à la justice,
Gérard à la guerre, Louis aux finances, Guizot à l'intérieur, de Broglie à
l'instruction publique, le maréchal Jourdan aux affaires étrangères. Girod de
l'Ain fut fait préfet de police et Lafayette commandant général de toutes les
gardes nationales de France. Il dirigea à ce titre l'expédition de
Rambouillet destinée à éloigner de Paris les combattants de Juillet et à
obtenir le départ de Charles X. Le vieux roi avait abdiqué et fait abdiquer
son fils, le duc d'Angoulême, en faveur du duc de Bordeaux. A la nouvelle que
15.000 Parisiens, sous le commandement du général Pajol, s'approchaient de
Rambouillet, il prit le chemin de l'exil (2 août) ; quant à l'abdication,
elle ne servit qu'à hâter l'avènement de Louis-Philippe. Des bruits perfides,
d'habiles calomnies furent répandus, sur la légitimité du duc de Bordeaux,
sur l'assassinat du duc de Berry, sur les mœurs de la duchesse d'Angoulême et
de la duchesse de Berry ; on fit même le siège de Chateaubriand : le grand
écrivain, malgré ses griefs contre la branche aînée, refusa de capituler. L'ouverture
des Chambres eut lieu le 3 août, à la date fixée par Charles X.
Louis-Philippe renouvela les assurances de fidélité à la Charte, affirma la
nécessité de la paix, de la liberté, et termina en annonçant qu'il avait reçu
l'acte d'abdication de Charles X et du Dauphin. Le 5
août les deux Chambres étaient constituées : Pasquier avait été nommé
président de la Chambre des pairs, par ordonnance ; Casimir Périer, placé en
tête de la liste des candidats dressée par la Chambre des députés, fut choisi
par le lieutenant général. Casimir
Périer se fit remplacer au fauteuil par Laffitte et la Chambre s'occupa
immédiatement de constituer un pouvoir national. Les doctrinaires de Broglie,
Guizot, Royer-Collard, étaient décidés à conserver la Charte dans son
intégralité, sauf à y introduire les modifications indispensables : pleins
des souvenirs de la révolution de 1688, ils voulaient que l'on considérât
Louis-Philippe comme le successeur naturel de Charles X. Un député obscur,
Bérard, déjoua leurs plans en proposant de déférer la couronne au duc
d'Orléans et de réviser la Charte. Dans le ministère, Dupont de l'Eure,
appuya la proposition en haine de « la faction aristocratico-doctrinaire ».
Ses collègues, forcés de l'accueillir, en changèrent le caractère : d'une
déclaration de principes libéraux ils firent un acte constitutionnel
définitif. Le troisième paragraphe du préambule était ainsi conçu : « La
Chambre des députés déclare que le trône est vacant et qu'il est indispensablement
besoin d'y pourvoir ; déclare que dans l'intérêt universel et pressant du
peuple français, elle appelle au trône Son Altesse Royale Louis-Philippe
d'Orléans, duc d'Orléans, lieutenant général du royaume et ses descendants à
perpétuité. » Les
changements à la Charte réclamés par la proposition, surtout ceux qui étaient
relatifs au cens électoral et au cens d'éligibilité, furent trouvés excessifs
par les doctrinaires, attaqués comme insuffisants par les libéraux. Dès le
lendemain, Dupin présentait son rapport sur la proposition : une émeute de 12
à 1500 personnes, facilement réprimée par Lafayette, en hâta l'adoption. Le 7
août, dans une séance du matin, la discussion générale s'ouvrit ; après
l'adoption du préambule que nous avons cité, les modifications suivantes
furent successivement votées ; l'article 6, qui reconnaissait une religion de
l'État, fut supprimé ; le paragraphe de l'article 14 qui avait permis les
ordonnances de Charles X fut aboli ; les séances de la Chambre des pairs
furent rendues publiques ; l'initiative des lois fut accordée aux trois
pouvoirs ; le recours aux tribunaux extraordinaires fut interdit. La
discussion relative à l'hérédité de la pairie fut ajournée, la magistrature
fut maintenue sans nouvelle investiture. Des lois séparées devaient régler
dans le plus court délai : l'attribution au jury des délits de presse et des
délits politiques ; la responsabilité des ministres et des agents du pouvoir
; la réélection des députés promus à des fonctions publiques ; le vote annuel
du contingent de l'armée ; l'organisation de la garde nationale, des
institutions municipales et départementales électives, de l'instruction
publique et de la liberté d'enseignement, et en-. fin l'abolition du double
vote. La
proposition Bérard est adoptée par 219 voix, sur 252 votants. Demarçay et de
Corcelle demandent que ce vote soit soumis à la ratification populaire ; leur
proposition est rejetée et les députés, courant au Palais-Royal, entourent
Louis-Philippe aux cris de « vive le roi ». L'enthousiasme gagne la
place couverte de monde : le monarque se présente au balcon et répète avec la
foule les refrains de la Marseillaise. La
Chambre des pairs, malgré une éloquente protestation de Chateaubriand, adopta
dans toutes ses parties la proposition Bérard. A dix heures et demie du soir,
le président Pasquier apportait son adhésion au Palais-Royal : la révolution
légale était accomplie, il ne manquait à la nouvelle légitimité que la
sanction d'un vote populaire. Le 8
août, le conseil des ministres décide contre les doctrinaires que le roi
prendra le titre de Louis-Philippe Ier et non pas celui de Louis-Philippe
VII. « Ce n'est pas parce que Bourbon, c'est quoique Bourbon qu'il
arrive au trône, dit Dupin, et à la charge de ne pas ressembler à ses aînés. » Le 9
août eut lieu au Palais-Bourbon la prestation du serment royal : « En
présence de Dieu, dit Louis» Philippe, je jure d'observer fidèlement la
Charte constitutionnelle avec les modifications exprimées dans la
déclaration, de ne gouverner que par les lois et selon les lois, de faire
rendre bonne et exacte justice à chacun selon son droit et d'agir en toutes
choses dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple
français. » Le roi revint au Palais-Royal au milieu de vives acclamations. La révolution n'éprouva nulle part de résistance sérieuse ; le midi et l'ouest de la France acceptèrent les faits accomplis. En Algérie le maréchal de Bourmont résigna ses pouvoirs aux mains du maréchal Clausel (2 septembre). |