I Discours de M. Floquet, Président du Conseil, et de la Chambre des
Députés (Séance du 19 avril 1888).
M. CHARLES FLOQUET, Président du Conseil,
ministre de l'Intérieur. — Messieurs, au moment où M. le Président de la
Chambre vient de vous appeler à discuter la première affaire qui se trouve à
l'ordre du jour, je n'ai pu me défendre d'un certain étonnement ; il me
paraissait que quelques explications devaient être échangées entre la Chambre
et le Gouvernement. (Très bien ! très bien ! à
gauche.) M. PAUL DE CASSAGNAC. — Vous vous interpellez vous-même alors ? (Rires à
droite.) M. LE MARQUIS DE BRETEUIL. — Développez votre
interpellation. M. DE BAUDRY D'ASSON. — M. le Président du Conseil n'a pas trouvé un
ami complaisant. M. LE PRÉSIDENT. — Veuillez garder le silence. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je répondrai à ceux de mes
collègues qui veulent bien m'interrompre que je ne m'interpelle pas moi-même
et que je n'ai pas besoin d'amis complaisants. (Très
bien ! très bien ! à gauche.) Je
m'adresse à ceux qui, par des prétentions plus ou moins calculées, ou par des
attaques plus ou moins vives, ont, en dehors de cette tribune, exercé leur
verve contre le Gouvernement, et je viens leur dire devant la Chambre et
devant le pays que les circonstances, sans être aussi périlleuses qu'on
pourrait le croire (Exclamations à droite. — Applaudissements à gauche
et divers bancs au centre), ont une suffisante gravité pour que des explications claires et
nettes. (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs) s'échangent entre les
représentants légaux de la nation et le Gouvernement qui est chargé, à
l'heure qu'il est de lourdes responsabilités. (Nouveaux
applaudissements.) On s'en
va répétant qu'on nous donnera quelque répit, qu'on nous accordera une
tolérance provisoire, quelque chose comme un délai de vingt ou vingt-huit
jours. M. DE LA ROCHETTE. — Oui, treize jours ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... de service obligatoire. (Rires et
applaudissements à gauche.) M. PAUL DE CASSACNAC. — Monsieur Ribot, vous êtes interpellé M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Nous n'avons pas besoin de
tant de miséricorde. (Très bien ! très bien ! et
applaudissements à gauche.) Ce
qu'il nous faut, c'est, devant la nation, la confiance complète des
représentants du pays. (Nouveaux applaudissements à gauche.) Ce
qu'il nous faut, c'est de savoir s'il y a dans cette Chambre, comme nous le
croyons, une majorité résolument décidée aux réformes. (Nouveaux
applaudissements à gauche.) M. LAROCHE-JOUBERT. — C'est la majorité du pays
qu'il faut avoir M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... et prête à donner sa
confiance à un Gouvernement qui marche vers la gauche. (Applaudissements
sur les mêmes bancs. — Bruits à droite.) M. PÉRILLIER. — Très bien ! C'est la
réponse au mot : « Le péril est à gauche ! » M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL... qui ne croit pas que le
péril soit à gauche. (Très bien ! et applaudissements
répétés à gauche)
et qui veut avoir la consécration de la Chambre pour l'œuvre de réformation
qui est son but, et la force qu'elle peut lui donner pour défendre les
institutions républicaines contre tous les prétendants, qu'ils se couvrent
ouvertement du drapeau de la monarchie ou qu'ils présentent à la nation des
énigmes plébiscitaires, (Acclamations prolongés à gauche. — L’orateur en
descendant de la tribune reçoit des félicitations.) Après
une intervention de M. Andrieux, M. le Président du Conseil répliqua « Messieurs,
je ne pense pas que, dans cette Assemblée parmi mes adversaires, ou, à plus
forte raison, parmi mes amis il y ait personne qui puisse supposer que je me
sois jamais prêté à ce qu'on me demande dans quelques journaux, à ce qu'aucun
de mes collègues ne se croirait le droit d'exiger de moi, c'est-à-dire à
faire des amendes honorables, à atténuer mes opinions, à changer le langage
que nous avons tenu a la première heure devant la Chambre. » (Applaudissements
à gauche.) Parmi
les membres du Gouvernement, il y en a plusieurs qui ont dirigé, presque tous
ont déjà exercé le pouvoir vous les connaissez. UN MEMBRE DE LA DROITE. — Hélas ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Quant à moi, Messieurs, je
crois être de ceux à qui on reconnaît quelque sincérité et quelque fixité
dans les opinions ! (Applaudissements à gauche.) M. DE BAUDRY D'ASSON. — Et les autres ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ce que nous avons déclaré,
le jour où nous nous sommes présentés devant la Chambre, nous l'avons dit
après mure délibération. Les membres du Cabinet nouveau appartiennent
diverses fractions de l'opinion républicaine. Ils ont pu être séparés dans le
passé par la politique du moment, divisés sur des questions même importantes,
mais en présence des circonstances actuelles, après un examen approfondi et
une discussion complète ; ils se sont trouvés réunis dans cette solution
commune, et sur laquelle il ne saurait plus y avoir, quoi qu'on en dise
aucune dissidence entre nous, ni aucun désir de nous séparer les uns des
autres. (Applaudissements à gauche.) M. DE LA ROCHEFOUCAULD, DUC DE DOUDEAUVILLE. — C'est-à-dire que vous ne
voulez plus de révision ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Cette pensée commune, c'est
de faire appel à la conciliation de tous les républicains. (Applaudissements
à gauche.) A DROITE. — C'est le vieux jeu ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... dans un programme de
marche en avant... (Nouveaux applaudissements à gauche.), et dans une aspiration égale
vers la réalisation du progrès démocratique. Ce que nous avons dit devant la
Chambre, nous le répétons. M. PAUL DE CASSAGNAC. — Oui, mais précisez. M. CAMILLE PELLETAN. — C'est l'auteur de la
métaphore sur la botte qui demande de préciser M. DE BAUDRY D'ASSON. — Parlez-nous donc de la révision ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Oui, sur la révision, je
n'ai qu'à répéter ce que nous avons dit dans notre programme que, parmi les
membres du Cabinet, ceux-là mêmes qui, de tout temps, s'étaient montrés et
j'en suis les plus ardents promoteurs de la révision sincèrement démocratique
de la Constitution, demanderont à la Chambre d'attendre. (Applaudissements
à gauche et au centre. — Exclamations à droite.) M. DE LA ROCHETTE. —C'est le comble de
l'opportunisme M. DE BAUDRY D'ASSON. — C'est un aveu que nous attendions et 'que nous
retiendrons ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... d'attendre que la révision
ne soit plus le piège tendu par les partis monarchiques. (Vifs applaudissements
à gauche et au centre.) UN MEMBRE A
DROITE. — Vous
appelez un piège la volonté du pays ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... tendu par les
monarchistes... M. CUNÉO D'ORNANO. — Vous vous moquez du pays (Réclamations à
gauche et cris : à l’ordre ! à l’ordre !) M. LE PRÉSIDENT. — Monsieur Cunéo d'Ornano, je
vous prie de ne plus employer de pareilles expressions ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je répète ce que j'ai dit,
pour que mes paroles constituent un engagement solennel devant la Chambre et
devant le pays d'attendre que la révision ne soit plus le piège tendu par les
monarchistes ou le manteau. M. CUNÉO D'ORNANO. — Alors pourquoi êtes-vous président du Conseil ?
Il faut rappeler M. Tirard. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... ou le manteau troué de
la dictature. (Applaudissements prolongés à gauche et au centre) II Discours de M. Floquet, Président du Conseil, à la Chambre des Députés
(Séance du 4 juin 1888).
M. CHARLES FLOQUET, Président du Conseil,
Ministre de l'intérieur. — Messieurs, après cette discussion déjà longue
et dans laquelle se sont produits tant d'incidents, où, de divers côtés de la
Chambre, ont été attaquées, avec une violence que nous réprouvons également,
les choses que nous respectons le plus la République, les libres
institutions, l'armée de notre pays. (Très bien ! très
bien ! à gauche — Interruptions à droite), je crois que le Gouvernement a
le droit de demander à la majorité républicaine de cette Assemblée de s'unir
pour repousser l'urgence. (Applaudissements répétés à gauche et au centre.) M. PAUL DE CASSAGNAC. — Je demande la parole. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Pour repousser l'urgence de
la proposition présentée par M. le Général Boulanger. M. CUNÉO D'ORNANO. — Nous voterons l'urgence de la vôtre. (Applaudissements
et rires à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Eh, bien, moi, Monsieur, je
ne voterai jamais l'urgence de la vôtre (Très
bien ! très bien ! à gauche et au centre) M. CUNÉO D'ORNANO. — Vous l'avez votée, monsieur Floquet. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ne l'ai jamais votée. M. CUNÉO D'ORNANO. — Quand vous vouliez arriver au pouvoir, vous
avez-voté avec nous Je vous montrerai le.7o :t)'Ka/ officiel M. LE PRÉSIDENT.
Monsieur Cunéo d'Ornano, si vous continuez à interrompre, je vous rappellerai
à l'ordre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous pouvez essayer de
mettre vos adversaires en contradiction avec eux-mêmes. M. PAUL DE CASSAGNAC. — Ce n'est pas difficile avec
vous ! A DROITE. — Souvenez-vous ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Quand vous voudrez, non pas ici,
ce serait trop long, mais entre nous, nous instituerons un débat sur ce
point. M. CUNÉO D'ORNANO. — En Juin 1884 vous avez voté l'urgence avec
nous. (Très
bien ! et rires à droite.) M. LE PRÉSIDENT. — Je vous rappelle à l'ordre,
monsieur Cunéo d'Ornano. Ne
pouvez-vous donc pas, Messieurs, permettre au Gouvernement de s'expliquer et
l'écouter avec respect ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ne répondrai plus aux
interruptions, parce que je voudrais abréger le débat et prononcer très peu
de paroles. Au
surplus, je crois que l'honorable orateur qui est venu ici, au commencement
de la séance, fait à sa proposition la plus cruelle injure en demandant
l'urgence. Cet
exposé des motifs, qu'on pourrait appeler un nouveau résumé de toutes les
contradictions politiques en matière constitutionnelle. (Rires à gauche) mérite de fixer les plus
longues méditations du législateur. (Rires et applaudissements sur un grand
nombre de rangs.) Nous
n'avons pas été étonnés de le voir se produire à la tribune. On avait eu le
soin de nous annoncer, sous une forme solennelle, que pour la première fois
le député du Nord viendrait à cette séance à une heure et demie. (On rit.) A DROITE. — Parlez en face M. LE PRÉSIDENT. — Ce n'est pas à vous,
Messieurs, il dicter à l'orateur la façon dont il doit parler. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je vous demande pardon,
Messieurs, veuillez être indulgents pour moi, j'essayerai de me conformer à
votre désir. M. PAUL DE CASSAGNAC. C'est parce que nous voulons
savourer vos paroles. (Rires à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — L'honorable orateur avait
fait annoncer qu'il déposerait une proposition de révision. Il l'avait
annoncé solennellement. t. M. CLOVIS HUGUES. — Qui est-ce qui est le plus
solennel ? Le général ou le président du Conseil. (Bruits). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Il n'avait pas réfléchi,
Messieurs, que sa proposition était inutile, car il y a déjà quatre
propositions de révision des lois constitutionnelles qui... A DROITE. — Eh bien qu'est-ce que cela
fait ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... qui ont été l'objet
d'une déclaration d'urgence et dont le dispositif est rédigé absolument dans
les mêmes termes : « Il y a lieu à révision des lois
constitutionnelles. » En conséquence il pouvait suffire du simple dépôt et de
la demande de renvoi à la Commission. M. DE LA ROCUEFOUCALUD, DUC DE DOUDEAUVILLE ... qui ne veut pas de la
révision. (Très bien ! à droite). M. LABOUDÈRE. — Vous n'avez pas le droit de
parler au nom de la Commission... M. DE LA ROCUEFOUCALUD. — Vous non plus ! M. LABOUDÈRE. — Vous savez bien que la
majorité de la Commission veut la révision aussi énergiquement que personne
au monde et qu'elle est résolue a la porter devant la Chambre. M. DE LA ROCUEFOUCALUD. — J'affirme que la Commission,
tout en disant qu'elle vent la révision, n'en veut pas. C'est ma conviction. (Applaudissements
à droite.) M. LE COMTE DE LANJUINAIS. — Ce qui prouve qu'elle n'en
veut pas, c'est qu'elle ne nous apporte pas de rapport ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Monsieur de La
Rochefoucauld, permettez-moi de vous le dire avec beaucoup de déférence, vous
avez eu tort d'engager votre parole loyale dans cette affirmation, -car
j'allais ajouter justement qu'il y avait, outre les propositions qui ont été
envoyées à la commission, la déclaration nette, claire, dans laquelle le
Gouvernement persistera, que j'ai eu l’honneur de faire à la Commission il y
a deux jours. (Rires et interruptions à droite.) Vous
pouvez en rire, Messieurs, et d'autres peuvent me faire des éloges que je
n'accepte pas, en disant que j'ai abdiqué mes opinions et mon programme ;
mais ce qui est vrai, c'est que dans la Commission, comme a cette tribune, je
reste fidèle aux déclarations que j'ai faites, il y a bien longtemps, dans
les discours que j'ai prononcés au cours de la discussion sur la révision, et
notamment le 30 Juin 1884, discours que vous pourriez lire, si ce n'était pas
une trop grande fatigue pour vous, et que je ne prétends pas vous imposer. M. PAUL DE CASSAGNAC. — Nous l'avons lu. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Eh bien, relisez-le. Je n'y
change un mot. M. CUNÉO D'ORNANO. — Je l'ai ici il est excellent ! A GAUCHE. — Laissez parler M. LE PRÉSIDENT. — Monsieur Cunéo d'Ornano, si
vous persistez à interrompre, je vous rappellerai à l'ordre avec inscription
au procès-verbal. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ce qui est également vrai,
c'est que je suis resté fidèle à la déclaration, qui a été comme le contrat
entre le Gouvernement nouveau et l'Assemblée, à la déclaration que j'ai
portée à la tribune, le premier jour où nous sommes venus devant vous ; que
je suis resté fidèle à ('esprit même des paroles que j'ai prononcées )e i9
avril, quand, entre les deux vacances, la Chambre s'est réunie passagèrement,
et qu'elle nous a accordé un ordre du jour de confiance, précisément à la
suite des paroles que je rappelle. Je ne
permets à personne de dire que la résolution que nous avons prise, que la
volonté que nous avons exprimée, la promesse faite par nous ne seraient que
des illusions. Nous avons dit et nous répétons que nous présenterons un
projet de révision à notre heure... (Exclamations ironiques à droite. —
Applaudissements à gauche.) M. SEVAISTRE. — Vous êtes un simple
opportuniste. M. LAGUERRE. — Vous tenez le même langage
que M. Jules Ferry en 1884. (Exclamations à gauche). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... à notre heure, qui ne
serait certainement ni la vôtre, ni celle de l'honorable membre qui a parlé
au commencement de cette séance, mais à une heure qui ne nous condamne pas à
une vaine espérance, ni à un délai indéterminé, puisque nous avons fixé des
dates qui reculeraient, cette discussion de quelques mois à peine. (Interruptions à
gauche). M. LAROCHE-JOUBERT. — Pourquoi pas tout de suite ? M. BENJAMIN RASPAIL. — Ne répondez pas ! (Rires à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Ce n'était donc, Messieurs,
ni pour appuyer sérieusement une proposition de révision, ni pour répondre,
comme on l'a dit, aux déclarations que j'avais faites avant-hier devant la
Commission de révision, que le manifeste de M. le général Boulanger a été
porté a la tribune. (Interruptions à droite.) It est
très difficile, Messieurs, de parler au milieu de toutes ces interruptions. M. PAUL DE CASSAGNAC. — M. Boulanger s'en est aperçu, tout à l'heure,
quand il était à la tribune. M. MILLERAND. — Mais il lisait son discours ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — L'honorable député du Nord a
tout simplement voulu notifier, probablement à ses électeurs qui commençaient
peut-être à murmurer de son absentéisme. (Exclamations à droite. — Assentiment
à gauche.) M. CAMILLE DREYFUS, s'adressant à la droite. — Vous
en répondez donc ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... que, au milieu de ces
580 rois qu'il a publiquement stigmatisés, il ne voulait pas jouer le rôle d'un
dictateur fainéant. (Vifs applaudissements à gauche et au centre.) J'ignore
quelle inspiration supérieure a illuminé la conscience politique de notre
honorable collègue, mais à l'entendre on pourrait s'apercevoir que, s'il a
l'habitude du langage des cours, celui de la démocratie lui est un peu plus
étranger. (Rires approbatifs et applaudissements répétés à gauche et au
centre.) M. GILLET. — Il sait mieux dire «
monseigneur » que « citoyen ». M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je cherche ce qui pourrait
autoriser notre collègue à prendre devant cette Assemblée une attitude si
hautaine... (Nombreux applaudissements à gauche et centre. — Rumeurs à droite), et à parier comme le général
Bonaparte revenant de ses victoires... (Vifs applaudissements sur les mêmes
bancs). M. GILLET. — Lui, c'est en revenant de la
revue. (On rit). M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... et disant aux Cinq-Cents :
Qu'avez-vous fait de la France ? ... (Longs applaudissements à gauche et au
centre. — Bruits.) M. PAUL DE CASSAGNAC. — Cela vous oblige à délivrer la Pologne,
monsieur Boulanger M. LE PRÉSIDENT. — Monsieur de Cassagnac,
veuillez regagner votre place. (Réclamations à droite et sur quelques
bancs de l’extrême gauche.) M. CAMILLE PELLETAN. — Allons, rejoignez-vous donc,
les bouiangistes des deux côtés de la Chambre. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je cherche d'où lui vient ce
droit qu'i[ revendique avec une si naïve audace, de représenter à lui seul en
France le patriotisme, de prétendre l'enseigner aux représentants de la
nation, à ses généraux, à ses officiers fidèles à la discipline. (Applaudissements
répétés au centre et à gauche), à cette armée, à ces soldats obscurs qui ont versé autant de
sang que lui pour le pays, et qui n'en parlent pas ! (Nouveaux
applaudissements sur les mêmes bancs.) M. FÉLIX PRAT. — Il l'a surtout versé, son sang,
sous la Commune ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — tous ces serviteurs dévoués
qui travaillent silencieusement pour protéger au jour du danger la patrie, au
lieu de venir apporter ici des manifestations de néo-césarisme. (Vifs applaudissements
au centre et à gauche.) Car
enfin, c'est là le résumé des doctrines enveloppées, contradictoires... (Interruptions
à droite ; cris : parlez en face !) Je vous
prie de ne pas m'interrompre C'est intolérable ! M. LE PRÉSIDENT. — Messieurs, ces interruptions
sont intolérables, inconvenantes au dernier point. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Car enfin, je le répète, à
travers ces doctrines contradictoires, ces hypothèses dans lesquelles se
balance la pensée d'avenir de M. le général Boulanger. M. LE GÉNÉRAL BOULANGER. — Elle vaut bien la vôtre !
(Applaudissements
sur l’extrême gauche et à droite.) M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — ... ce qui est l'idée
maitresse de ses vues sur le gouvernement futur de la France, c'est que le
pouvoir exécutif est trop faible, qu'il ressemble au soliveau de la fable,
qu'il faut lui rendre la suprématie et le commandement en face des
représentants élus de la nation que le plus mauvais des gouvernements, c'est
le gouvernement collectif ; que le peuple est un enfant auquel il faut mettre
des lisières. (Applaudissements et bravos répétés à gauche et au centre.) Ces
doctrines, Messieurs, elles ont malheureusement paru par deux fois déjà dans
notre pays, alors que la France était fatiguée des grandes luttes pour la
liberté. (Ah ! ah ! à droite). A la
fin de la Révolution française, Bonaparte le premier, escorté lui aussi de
quelques républicains égarés, les conduisit à l'assaut des Assemblées et des
institutions libres. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs. —
Interruptions à droite.) En 1851
Bonaparte le second, qui se disait socialiste, proclamait lui aussi
l'impuissance de l'oligarchie parlementaire et les bienfaits de l'omnipotence
d'un seul. Mais,
Messieurs, il faut se rassurer. A votre âge, Monsieur le général Boulanger,
Napoléon était mort. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs. —
Vives interruptions sur quelques bancs à l’extrême gauche.) A votre
âge Napoléon était mort, et vous ne serez que le Sieyès d'une Constitution
mort-née. (Applaudissements prolongés au centre et à gauche, agitation.) A ce
moment un grand nombre de membres au centre et à gauche se lèvent et se
tournent vers le général Boulanger en disant : Répondez ! à la tribune ! M. le
général Boulanger se lève et prononce quelques paroles qui ne parviennent pas
jusqu'au bureau. III Discours de M. Carnot aux Maires le 14 Juillet 1888.
Messieurs, Le
Gouvernement de la République vous a conviés à venir célébrer la fête
nationale du 14Juilletpar une manifestation de concorde et d'union. ` Entouré
des membres du Parlement, des représentants de la ville de Paris, des chefs
de la magistrature, de l'armée et des grandes administrations publiques, il a
voulu souhaiter la bienvenue aux nouveaux élus du suffrage universel, à ceux
que le vote indépendant des Conseils municipaux vient de placer à la tête des
principales communes de France. Vous
avez, Messieurs, avec empressement, répondu à notre appel et, de tous nos
départements, vous êtes venus apporter ici une éclatante affirmation de
l'union nationale, de la solidarité des villes et des campagnes, du
dévouement de tous à la patrie commune et à la République. Au nom
du Gouvernement, je vous remercie, avec l'émotion qu'un pareil spectacle
inspire à tout cœur patriote. La fête
qui nous réunit, Messieurs, couronne deux belles journées, qui laisseront
dans vos mémoires un ineffaçable souvenir. Hier,
vous aviez sous les yeux ce spectacle touchant et grandiose de la
glorification d'un grand citoyen qui n'a pas désespéré de son pays accablé
par l'infortune. L'acclamation populaire vous a rappelé cet immense é !an qui
emportait naguère, aux funérailles de Gambetta, la France entière
personnifiant, dans le puissant tribun, la défense du sol et de l'honneur
national. Aujourd'hui,
Messieurs, vos cœurs français ont battu d'une patriotique émotion à l'aspect
de notre armée si forte, si disciplinée, si confiante dans des chefs dignes
d'elle ; animée des seuls sentiments de l'honneur et du devoir. Vous avez
ressenti tout ce que-cette fleur de notre jeunesse, pénétrée de sa haute
mission, doit inspirer de confiance et de sécurité à un pays qui veut résolument
au dedans le calme et le respect de la loi, au dehors la paix et l'estime du
monde. Ce
soir, enfin, vous venez de parcourir un merveilleux chantier où s'élèvent,
comme par enchantement, les constructions élégantes et hardies qui doivent,
dans quelques mois, abriter l'Exposition universelle. Ces
vastes travées, que nous inaugurons aujourd'hui par une fête de la solidarité
nationale, celte tour gigantesque qui semble croître à vue d'œil, sous
l'effort de la science de nos ingénieurs, tout se prépare pour le rendez-vous
que la France a donné à l'art et a l'industrie de l'univers. Tout
sera prêt à l'heure dite, et sur ce théâtre immense, que vous avez pu
embrasser du regard, s'ouvriront, l'année prochaine, ces grandes assises du
travail qui commandent la concorde entre les citoyens et les bons rapports
entre les peuples. Vous
emporterez, Messieurs, des souvenirs réconfortants de votre visite à la
généreuse cité républicaine qui vous réservait un accueil fraternel. Vous
avez trouvé en elle ce foyer actif de la civilisation, répandant au loin sa
vivifiante lumière. Vous avez vu cette patrie du goût, fertile en toutes les
productions du génie, chaque jour plus belle, chaque jour plus animée, et
mettant à profit le calme et la paix dont elle n'a cessé de jouir, sous
l'égide de la République. Vous
direz à vos concitoyens que vous avez rencontré ici des cœurs battant à
l'unisson des vôtres, ayant vos aspirations et vos espérances ; les fils de
la Révolution française, résolus à défendre l'héritage des libertés léguées
par nos pères ; de fermes républicains qui demandent le progrès au
développement régulier des institutions de la France, qui savent garder le
plus de sang-froid en face des agitations des partis, au dehors ou au dedans
de nos frontières, et ne se laissent pas plus séduire par de fallacieuses
promesses qu'émouvoir par de bruyantes entreprises. Vous
emporterez de votre visite, Messieurs, le sentiment profond que les destinées
de la France sont indissolublement liées à celles de la République et qu'un
siècle après la Révolution, un Gouvernement ne peut avoir d'autre assise que
la volonté nationale. Ici-même,
sur ce Champ de Mars, aujourd'hui transformé en un champ de travail, la
France entière, il y a quatre-vingt-dix-huit ans, s'est trouvée un jour
réunie dans une fraternelle étreinte, pour proclamer la solidarité nationale. Les
mêmes sentiments vous animent, Messieurs, et, en appelant ici les
représentants que nos communes ont honorés de leur confiance et de leurs
libres suffrages, c'est à ces sentiments que la Gouvernement faisait appel. Rien ne
saurait plus que leur éclatante manifestation réjouir des Français et
fortifier la patrie. A la
fraternité française ! IV Résumé du Projet de résolution de révision constitutionnelle déposé par
M. Floquet le 15 Octobre 1888.
Pour
résumer ces trop longues considérations, voici les bases sur lesquelles le
Gouvernement pense qu'on pourrait entreprendre la révision des lois
constitutionnelles 1"
Une Chambre des représentants élus par le suffrage universel direct, se
renouvelant par tiers tous les deux ans, ce qui permet de supprimer le droit
de dissolution et d'ajournement ; 2° Un
Sénat choisi par le suffrage universel à deux degrés, avec des conditions
spéciales d'âge et d'éligibilité, ayant une autorité de contrôle sur
l'ensemble des lois, et se renouvelant par tiers tous les deux ans, aux mêmes
périodes que la Chambre des représentants ; 3° Des
ministres nommés par le Président de la République pour la durée de la
période de renouvellement législatif, et pouvant toujours être maintenus par
lui dans leurs fonctions, ces ministres étant responsables devant la Chambre
des représentants qui peut les mettre en accusation devant le Sénat et qui
peut aussi réclamer leur renvoi, par une déclaration formelle qu'ils ont
perdu la confiance de la nation, conformément à la procédure prescrite par
l'article 28 de la loi du 24 Avril 1791 ; 4° Un
Conseil d'État, désigné par le Sénat et la Chambre des représentants, ayant
un rôle consultatif dans la préparation, la discussion et la rédaction des
lois au point de vue juridique, et renfermant des sections plus spécialement
chargées d'éclairer les Assemblées par des avis officiels, sur les grandes
questions d'affaires touchant aux intérêts du travail, de l'industrie, du
commerce, des arts et de l'agriculture. Il nous
sera permis, en terminant, de faire remarquer qu'en étudiant les conditions
dans lesquelles on pourrait faire la révision, le Gouvernement ne s'est pas
préoccupé de chercher la victoire de théories exclusives. Son devoir était de
se placer sur un terrain commun à tous les républicains sincères, et où ils
pussent se concentrer sans abdication pour personne. Nous sommes convaincus
qu'à l'Assemblée nationale une majorité imposante s'affirmerait pour voter
les réformes qui correspondent aux réclamations les plus générâtes de
l'opinion et pour repousser toute proposition qui porterait atteinte aux
principes essentiels du Gouvernement républicain, libre, représentatif. Voici
le texte du projet de résolution que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau
de la Chambre : Le président de la République française. Décrète : Le projet de résolution dont la teneur suit sera
présenté a la Chambre des Députés par le président du Conseil, ministre de
l'Intérieur, et par le garde des sceaux, ministre de la Justice et des
Cultes, qui sont chargés d'en exposer les motifs et d'en soutenir la
discussion. Article unique. — Conformément à l'article 8 de la loi
constitutionnelle du 25 Février 1875, la Chambre des députés déclare qu'il y
a lieu de réviser les lois constitutionnelles. V Discours prononcé à Versailles le 3 mai 1889 par M. Carnot aux fêtes
commémoratives du Centenaire de la Révolution.
Messieurs, C'est
avec une émotion profonde, c'est le cœur pénètre de gratitude envers nos
ancêtres et rempli d'une ardente espérance en l'avenir que je salue, comme
premier magistrat de la République, dans ce palais élevé par l'ancienne
Monarchie, les représentants de la nation française, en pleine possession
d'elle-même, maîtresse de ses destinées et dans tout l'éclat de sa force et
de sa liberté. Notre
première pensée, dans cette réunion solennelle, doit s'élever vers nos pères,
vers cette immortelle génération de 1789, fille du XVIIIe siècle, qui, à
force de courage et de persévérance, au prix de tant d'efforts et de
sacrifices, nous a conquis les biens dont nous jouissons et dont nous
transmettrons à nos fils le précieux héritage. Jamais notre reconnaissance,
jamais celle de notre postérité n'égalera la grandeur des services rendus par
nos pères à la France et au génie humain. D'illustres
penseurs avaient proclamé les principes de justice, d'égalité et
d'indépendance, qui contenaient en germe le Révolution française. Nos pères
assumèrent la tâche héroïque de faire de ces principes la base même de la
société et de fonder un régime nouveau sur la raison et la justice. Gloire
à eux ! gloire à ces généreux lutteurs ! Ils surent affronter tous
les périls, supporter toutes les épreuves pour laisser à leurs descendants un
précieux patrimoine qui n'est le monopole d'aucun parti, dont tous les
Français peuvent revendiquer leur part et qui est devenu le domaine commun du
monde civilisé ! Le 5
Mai 1789, les États généraux, convoqués à Versailles pour la première fois
depuis cent soixante-quinze ans, étaient invités à pourvoir aux besoins
financiers de la Monarchie française. Mais
telle n'était pas la mission que le pays leur avait confiée. La résistance
aveugle des privilégiés, paralysant les meilleures intentions de la royauté
et les efforts éclairés d'un grand ministre, avait fait échouer toutes les
tentatives de réformes. L'heure de la Révolution avait sonné. On le
vit bien dès la réunion de ces élus de la nation qui, écartant les anciennes
appellations, se déclarèrent « membres de l'Assemblée nationale »
et jurèrent de ne se séparer qu'en laissant à la France une Constitution de
ses droits et de ses libertés. Le pays
lui-même avait tracé le programme de leurs travaux. Il est,
tout entier, écrit dans ces Cahiers, approuvés par six millions d'électeurs,
où la modération du langage fait t ressortir la force et l'élévation de la
pensée, où l'on voit apparaître cette belle devise de « Liberté,
Égalité, Fraternité », qui est devenue celle de la République, et dont
la surprenante unanimité atteste à. la. fois la clairvoyance et l'unité
morale du peuple français, en dépit de la division des provinces. Plus de
provinces, disait-on déjà, la patrie ! Faire
une nation forte, unie, respectée, vivante et libre, en abaissant les
barrières qui découpent le territoire de l'ancienne France, en supprimant des
privilèges incommodes et blessants assurer à cette nation un droit uniforme,
un Gouvernement représentatif exercé au nom de tous et contrôlé par les élus
du peuple ; fonder l'égalité devant la loi, garantir la liberté individuelle
et l'indépendance des opinions religieuses et politiques, et effacer toutes
les traces de la féodalité et du servage ainsi se résument les principes de
89, épars dans les Cahiers et coordonnés dans la Déclaration des droits de
l'homme. Tâche grandiose devant laquelle nos pères n'ont pas reculé et qu'ils
ont su accomplir avec une admirable persévérance, sans se laisser ébranler par
les plus redoutables obstacles. Condamnée
à soutenir contre l'ancien monde une lutte gigantesque, la France a traversé
des temps douloureux, où tous les partis ont successivement cédé à des
entraînements à jamais regrettables. Elle n'a pas dévié de la voie qui, dès
la première heure, lui fut tracée par les hommes de 89. Constituante,
Législative, Convention, autant d'étapes, autant de relais sur la route du
progrès constitutionnels, girondins, montagnards, tous architectes du même
édifice qui s'est achevé à travers les régimes successifs et qui abrite
aujourd'hui tous les Français, sans distinction d'opinions ni de partis. Du même
cœur, avec la même reconnaissance, nous devons tous nous retourner vers ceux
qui, il y a cent ans, ont gravé, dans les institutions de notre pays,
l'égalité des citoyens devant la loi et des enfants devant l'héritage,
l'abolition des privilèges et le droit pour r tous les Français d'accéder aux
emplois publics et aux grades de ('armée, la liberté du travail, l'équitable
répartition de l'impôt annuellement consenti, l'indépendance de la pensée, la
liberté des opinions religieuses et la souveraineté de la nation, d'où émane
toute autorité légitime. Ces
grands ancêtres ont fait notre France d'aujourd'hui, celle que nourrissent
nos laborieux agriculteurs, devenus inviolables dans la propriété du sol
qu'ils cultivent, celle qu'enrichissent nos industriels, nos commerçants, nos
ouvriers, délivrés des entraves des corporations et des jurandes ; celle
qu'illustrent nos écrivains et nos artistes ; celle que nos braves soldats
défendent et qui est pour tous ses fils, de près comme de loin, aux heures
d'adversité comme aux jours de triomphe, l'objet d'un amour sans bornes et
d'une indéfectible espérance. La
Révolution, dont nous célébrons l'aurore, a fait éclore en un jour les germes
féconds accumulés par un labeur dix fois séculaire et échauffés par le
souffle des grands penseurs du XVIIe et du XVIIIe siècle. Elle a
ouvert une ère nouvelle dans l'histoire. Elle a fondé la société moderne sur
d'immuables assises el !e a créé la France démocratique, inébranlable dans
son attachement aux principes de 1889, à travers les régimes politiques
qu'elle a vus se succéder depuis un siècle. Il
était réservé à notre génération de donner à cette démocratie son
Gouvernement nécessaire, une organisation politique assurant à la nation
l'exercice de la souveraineté qui réside en elle, offrant à la liberté, à
l'ordre et au progrès les garanties qui sont la condition première du travail
et de la paix. La
fondation de cette République est le couronnement de l'œuvre impérissable qui
a été commencée ici il y a un siècle. Elle est le but que devait atteindre,
après bien des secousses, après de cruelles épreuves, qui lui laissent une
inconsolable douleur, cette généreuse nation française, si passionnée pour
l'égalité et si jalouse de sa liberté. Elle a
définitivement rompu avec le pouvoir personnel d'un homme, quelque titre
qu'il prenne, et ne reconnaît plus d'autre souverain que la loi, délibérée
par les élus du peuple dans leur pleine indépendance. Telle
est, Messieurs, l'œuvre d'un siècle, le résultat acquis par cent années de
travail politique, de réflexion et d'expérience. Qu'il
nous soit permis, en ces lieux mêmes où nos glorieux ancêtres ont apporté les
premières revendications de la France, d'élever vers eux nos cœurs
reconnaissants, de mesurer du regard le chemin parcouru, de comparer la
patrie à cent ans de distance, de montrer ce qu'ont pu réaliser les efforts
d'un grand peuple, armé des vivifiants principes dont 89 a éclairé le monde. J'en
appelle à vous tous, Français de 1889, à vous, représentants de la nation, à
qui le suffrage universel a confié la haute mission de faire les lois du pays A vous,
grands corps de l'État français, qui avez la charge d'appliquer ces lois,
d'assurer le respect de nos institutions, de garantir les droits et la
liberté de tous A vous,
officiers et soldats de l'armée nationale, qui portez si haut le sentiment de
vos devoirs, et ce respect de la discipline qui fait la force de la patrie A vous,
chers élèves de nos grandes Ecoles, filles de la Révolution à vous, l'élite
de notre jeunesse à vous, généreux initiateurs de toutes les œuvres de
prévoyance et de bienfaisance, qui sont nées de la liberté de la pensée et
des confessions à vous, écrivains et artistes a vous, travailleurs de tout
ordre, qui nous montrerez demain les merveilles enfantées par l'esprit
fécondant de 1789 ; à vous tous, je fais ici un appel qui sera entendu
de votre patriotisme Ce que
nous sommes, nous le devons à ceux que nous venons glorifier aujourd'hui. Ils
nous ont laissé d'admirables exemples dont nous devons savoir nous inspirer.
Soyons toujours prêts à parfaire leur œuvre. Sachons retrouver les élans
généreux de cette grande époque, nous élever au-dessus des mesquines
passions, des querelles de partis, des divisions d'écoles. Sous
l'égide de la République, qui est le droit constitutionnel, cherchons dans
l'esprit d'apaisement, de tolérance mutuelle, de concorde, cette force
irrésistible des peuples unis. Le
siècle glorieux que nous célébrons, dans cette pieuse et grandiose cérémonie,
doit être couronné par la réconciliation de tous les Français, dans la
commune passion du bien public, au nom de la liberté, au nom de la patrie. Et la
France aura toujours son rang, à l'avant-garde des nations. Honneur à nos
pères de 1789 ! Vive la
France ! Vive la
République ! VI Discours prononcé par M. Carnot au banquet des maires le 18 Août 1889.
Messieurs, L'année
dernière, au lendemain des élections municipales, le Gouvernement de la République
conviait les maires élus des principales communes de France à célébrer la
fête du 14 Juillet par une imposante manifestation de concorde et d'union, et
à préparer la commémoration de la date immortelle de 1789, par cette
proclamation de solidarité et de reconnaissance nationales. La fête
qui nous réunit aujourd'hui s'inspire des mêmes pensées patriotiques nous
avons voulu appeler les représentants de toutes les communes de France à
marquer mieux encore, en cette année mémorable, par leurs sentiments de
gratitude et de fraternité, la force et l'unité de notre chère patrie. Depuis
la noble et splendide ville de Paris, qui attire le monde par sa courtoise et
généreuse hospitalité, jusqu'au moindre de nos villages, membres non moins
aimés de la famille nationale, nous avons souhaité que tous eussent ici leurs
représentants, associés et groupés dans une vaste Fédération, qui rappelle
celle d'autrefois, où la France nouvelle a puisé tant de force et de
confiance en ses destinées. A tous
les élus des communes françaises, aux absents et aux présents, le premier
magistrat du pays, gardien de sa Constitution et de ses lois, adresse le
salut cordial de la France républicaine. Cette
belle manifestation de solidarité nationale ne sera pas seule, Messieurs, à
laisser dans vos cœurs de profondes et fortifiantes impressions. Il vous sera
donné, pendant votre trop court séjour, de contempler des merveilles qui sont
bien faites pour inspirer à tous, avec l'amour sans bornes de la France, le
sentiment de ce que nous devons à sa sécurité, à sa liberté, à son influence,
à sa grandeur entre toutes les nations. Que
pourrais-je vous dire de l'Exposition universelle, qui soit vraiment digne
des splendeurs dont l'imagination reste confondue ? Comment réussirais-je à
louer, en quelques paroles, tous ces prodiges de l'art et de l'industrie, que
le monde entier ne se lasse pas de voir et d'admirer ? Qui ne connaît
aujourd'hui, même chez les peuples les plus lointains, ce palais des
machines, véritable temple du génie moderne, ou cette tour Eiffel, monument
d'audace et de science, ou ces dômes élégants, ou ces galeries remplies de
merveilles ? Vous
verrez tout ce qu'il y a là de travail, de force, de génie accumulé que de
virilité, que de promesses pour l'avenir ! Et
c'est la France, Messieurs, c'est notre patrie bien-aimée qui est et qui
demeure le foyer de ces lumières, le centre de cette activité, que les
coupables agitations, que les factieuses entreprises n'ont pas réussi à
stériliser ? Quel légitime sujet de fierté pour nous, mes chers concitoyens,
et avec quelle effusion cordiale nous pouvons remercier tous les peuples qui
nous ont soutenus de leurs sympathies, et qui sont venus contribuer à la
splendeur de ce que des étrangers ont appelé « le plus grand monument
pacifique de l'Europe » ! Il n'est
pas seulement, par sa nature même, un monument de paix. il l'est encore par
les manifestations dont il ne cesse d'être l'occasion dans le monde entier,
par le courant d'affection qu'il a fait naître en faveur de notre pays. Je dois
à la haute situation, où m'ont appelé les suffrages des élus de la nation,
l'insigne honneur de recueillir parfois, au nom de la France, l'expression
des vœux qui s'adressent à elle, et de sentir de près battre les cœurs qui
l'aiment. L'assemblée de bons Français qui m'écoute comprendra ma patriotique
émotion, en présence des visiteurs amis qui ont traversé les frontières ou
les mers pour venir acclamer la France. Ecrivains,
savants, industriels, ouvriers, gymnastes, sociétés chorales, jeunesse des
deux mondes, qui accourent pour partager nos travaux, ou pour mêler leurs
bannières à nos trois couleurs, laissent ici et emportent, j'en suis sûr, des
souvenirs et des sympathies qui sont un germe fécond, semé parmi les peuples,
d'amitiés plus durables peut-être que des alliances et qui ne portent en
elles que des sentiments de concorde et de paix. Notre
France, Messieurs, a tout à gagner dans cette visite des peuples. Si souvent
calomniée, si souvent desservie par des plumes que conduit la passion ou la
haine, elle peut se montrer telle qu'elle est, dans sa grâce hospitalière,
dans son désintéressément, dans sa généreuse loyauté ; elle fait dire aux
visiteurs qui nous quittent, comme au poète : Tout homme a deux pays, le sien et puis la France. Nos
hôtes ont pu constater aussi ce que dix-huit années de travail et d'efforts,
sous un régime de liberté, ont fait d'un peuple durement éprouvé, qui a su
tenir tête à la mauvaise fortune et reprendre le rang qui lui appartient dans
le monde. Ils ont
compris que ce peuple se soit fermement attaché à la République, qui a
présidé à son relèvement, qui a su lui assurer une forte éducation civile et
militaire, garantir son indépendance et sa dignité, développer son outillage
industriel et commercial et préparer les progrès qui s'imposent à une
démocratie laborieuse. La
République, Messieurs, cent ans après 1T89, la République est devenue la
France même. Elle
est le couronnement nécessaire de notre immortelle Révolution. Le double but
qu'ont poursuivi nos pères, la liberté politique et la justice sociale, c'est
la République qui nous permettra de l'atteindre. Gouvernement de la nation
par elle-même, c'est à la nation qu'il appartient de veiller sur elle, comme
sur le plus précieux de ses biens, la garantie de ses droits, le palladium de
ses libertés. J'ai
pleine confiance, Messieurs, dans le sens éclairé, dans la droiture, dans la
noble fierté de ce grand peuple de France, qu'on peut abuser une heure, mais
qui sait retrouver et faire entendre sa voix souveraine. Résolument
attaché aux conquêtes qu'il a réalisées depuis un siècle, il ne permettra à
personne de porter la main sur elles. Ecartant les partis, qui songent encore
à miner l'édifice indestructible élevé par nos pères sur le vieux sol
national, il saura faire appel aux dévouements sincères et désintéressés. Il
saura obtenir l'oubli des discordes passagères, des divisions néfastes qui
ont, à certaines heures, jeté dans notre pays des germes de découragement et
de faiblesse. Il saura former un faisceau de toutes les forces républicaines
et réconcilier tous les fils de 89 au nom de la patrie. C'est
dans cette pensée et dans cette espérance, mes chers concitoyens,
représentants dévoués des communes françaises, que je vous propose de lever
avec moi vos verres, à la République une et indivisible ! à la liberté à la
grandeur de la France VII Les Cahiers de la Droite en 1889.
Pour
s'organiser en vue des élections générales, la Droite avait institué dans les
départements des Assemblées provinciales chargées soi-disant de dresser les « Cahiers
de 1889 » comme d'autres Assemblées l'avaient fait un siècle auparavant.
Une Assemblée centrale, réunie à Paris à la fin de Juin, sous la présidence
de M. de Mua, résuma les vœux des premières. Nous donnons la liste de ces
vœux : Vœux pour que la France prenne, comme base de ses
institutions, les enseignements de l'Evangile et de l'Église ; pour
l'indépendance du Pape pour l'arbitrage suprême du Saint-Père entre les
nations pour l'interprétation sincère du Concordat ; pour le repos légal du
Dimanche ; pour la liberté des processions ; pour que l'Eglise ait le droit
d'acquérir et de posséder pour que les clercs soient exemptés du service
militaire pour qu'il soit revenu sur la sécularisation des cimetières et des
cloches ; pour que l'indemnité due au clergé ne soit pas inscrite au budget,
mais assurée par une dotation convenable et permanente pour que le service
des aumôneries soit assuré dans l'armée ; ainsi que dans les hôpitaux,
hospices et établissements pénitentiaires ; pour que l'autorité civile ne puisse
s'ingérer dans l'administration des menses épiscopales enfin, pour
l'abolition de l'esclavage. « Vœux pour qu'à la représentation actuelle
soit substituée la représentation par groupes coordonnés et définis ; pour
que les groupes professionnels participent à la rédaction des lois qui les
intéressent pour que la représentation nationale émane de groupes sociaux et
professionnels ; pour la gratuité des fonctions électives pour que l'âge des
électeurs soit porté à vingt-cinq ans pour le retour progressif à la vie
provinciale ; pour la liberté communale et l'adjonction des plus imposés aux
Conseils municipaux ; pour la représentation des veuves, filles majeures et
des mineurs dans la gestion des intérêts communaux pour la liberté
d'association pour l'arbitrage du Saint-Père dans les conflits entre nations. « Vœux pour le repos légal du Dimanche ; pour
la libre organisation coopérative de l'industrie ; pour la limitation du
travail des femmes et des enfants ; pour l'hygiène ouvrière ; pour le salaire
partiellement incessible et insaisissable ; pour la dénonciation des traités
de commerce pour que les travaux publics soient réservés à l'industrie
nationale ; pour que le Conseil supérieur du commerce soit élu partes
Chambres de commerce ; pour que les produits français ne payent pas de tarifs
de transport supérieurs à ceux des produits étrangers sur les lignes
françaises. Vœux pour que l'agriculture soit représentée dans
le Parlement subsidiairement, pour que des Chambres consultatives
d'agriculture soient organisées ; pour l'adjonction des plus imposés aux
Conseils municipaux ; pour rétablissement de droits compensateurs, sinon
protecteurs, au profit de l'agriculture française contre les tarifs de
pénétration trop avantageux aux produits agricoles étrangers vœux pour que
les Syndicats agricoles soient pleinement investis de la personnalité civile
; pour que l'enseignement agricole soit développé dans les divers degrés de
l'enseignement ; que les caisses d'épargne encouragent le crédit agricole et
que la Banque de France soit astreinte à la même obligation ; que les marchés
avec l’État soient réservés à la production nationale que l'impôt, surtout
pour les prestations, soit plus équitablement établi ; que le droit des
bouilleurs de cru soit maintenu que les biens communaux existant soient
conservés ; que les pouvoirs publics appliquent sévèrement la loi sur
l'ivresse et le vagabondage, notamment par la surveillance des frontières et
la création de moyens d'existence pour l'ouvrier sans travail ; que la
liberté des pères de famille pour les successions soit plus grande que les
frais de partage des biens de mineurs soient moindres que la petite propriété
foncière puisse être assimilée aux biens de famille création d'un tarif
général sur les produits agricoles et industriels étrangers, protégeant les
produits français agricoles ; taxe sur les étrangers exerçant en France un
commerce, une profession ou un métier ; liberté du travail pour ceux qui ne
veulent pas s'associer aux grèves ; organisation des groupes d'intérêts
provinciaux ; réorganisation du travail par les corporations. Abrogation du divorce ; respect de l'autorité
paternelle, fortifiée par l'extension de la quotité disponible ; nécessité de
conserver le foyer paternel simplification des formalités des successions où
les intérêts des mineurs sont en jeu extension des droits du conjoint
survivant réduction des droits de succession, surtout en voie directe
maintien de la femme et des enfants au foyer par des lois nouvelles sur le
travail répression des publications immondes police sévère des cabarets
répression sévère du duel surtout dans l'armée. Vœux pour la liberté de l'Eglise ; pour la liberté
de la charité par la concession de la personnalité civile et la suppression
des impôts sur les Associations charitables pour la liberté du choix du
mandataire en matière de charité pour le rétablissement des religieuses dans
les hôpitaux ; pour la liberté de conscience accordée aux mourants et le
rétablissement des aumôniers ; pour la surveillance du prêtre établie sur les
enfants assistés de la paroisse. L'inamovibilité des magistrats l'avancement réglé
d'après la capacité ; garantie de l'indépendance des juges de paix :
suppression des tribunaux administratifs réforme du Code de procédure civile
pour la proportion des frais à l'importance de la cause ; remaniement de la
formation des listes de jury ; juridiction spéciale pour les arbitrages
élection des juges consulaires par les commerçants notables. Le remplacement de l'armée permanente par une armée
d'élite, engagés et rengagés les réserves constituées pour la défensive le
maintien des cas d'exemption existants ; le rétablissement de l'aumônerie
militaire la stabilité du commandement en chef de l'armée la formation d'une
armée coloniale fournie par les colonies la fondation de primes nécessaires à
la marine marchande. II est
à remarquer que, suivant les paroles de M. de Mayol de Luppé, aucune
Assemblée provinciale n'avait formellement affirmé d'espérances monarchiques. VIII Discours de M. Ribot, en réponse à Mgr Freppel, qui revendiquait pour le
clergé le droit d’intervenir dans les élections (Février
1890).
Vous
dites : Nous ne désignerons pas en chaire les personnes que nous voulons
exclure de la vie politique, contre lesquelles nous voulons soulever les
consciences catholiques. Mais
lisez toutes ces brochures qui ont été distribuées, lisez ce qu'on dit en
chaire, voyez la campagne qui a été faite partout, dans tous les
arrondissements, et dites-moi si c'est. là le rôle de l'Eglise, tel qu'il a
été défini dans ces mandements et dans ces instructions, auxquels je faisais
allusion tout à l'heure ? Votre
thèse est une thèse dangereuse pour l'Eglise elle-même. Nous avons un
Concordat. Je ne discute pas s'il fait ou non un fonctionnaire du prêtre,
c'est inutile ; mais il établit entre l'Eglise et l'Etat des liens que
vous connaissez, que vous ne voulez pas voir rompre, que moi-même je ne veux
ni délier, ni trancher. Eh bien, si votre thèse était vraie, si le prêtre
était un simple citoyen, ayant le droit d'attaquer toutes les lois du pays,
non pas dans les conversations particulières, mais avec sa puissance de
prêtre, du haut de cette tribune qui est élevée dans chaque village, si,
dis-je, il avait le droit d'attaquer les institutions et les lois, de mêler
enfin la politique à ia religion, ce jour-là, qui donc pourrait défendre le
Concordat ? Vous précipiteriez ainsi une mesure politique que, pour ma part,
je regretterais de toutes mes forces, parce que modéré, ainsi que m'avez
appelé tout à l'heure par ironie, je tiens avant tout à la paix religieuse, à
la liberté de conscience ; je ne veux pas de ce conflit qui éclaterait
violent, implacable, entre l'Eglise d'une part, et de l'autre tous ses
adversaires. Je n'en
veux pas et je supplie tous les hommes sages de ne pas précipiter une
pareille crise ; mais vous, avec les paroles que vous prononcez ici, avec
cette sorte de provocation que vous adressez, ce ne sont pas les intérêts de
la paix religieuse que vous servez. Je
comprends l'ardeur belliqueuse qui vous anime, mais il y a autre chose que le
désir de combattre à cette tribune, il y aussi le sentiment profond, éclaire
de ce que commandent les intérêts supérieurs de l'Eglise, et j'ai le regret
de dire que votre attitude et le langage que vous tenez et que d'autres
tiennent, à côté de vous, n'est pas de nature à faciliter cet apaisement. Tout à
l'heure vous parliez d'autres pays, dans lesquels on ne conteste pas ses
droits au clergé. Voulez-vous
me citer, Monseigneur, un pays ou le clergé, non pas tout entier mais dans
une portion trop nombreuse de ses membres, est à l'état, je ne veux pas dire
de révolte, mais enfin d'hostilité flagrante, non pas contre tel ou tel
détail de nos lois, mais contre nos institutions elles-mêmes ? Pouvez-vous le
contester, vous qui avez écrit ces pages éloquentes, que nous avons lues, sur
la Révolution française ? Eh bien
oui c'est un malheur pour ce pays que l'hostilité qui s'élève contre la
religion. Je la déplore autant que personne dans cette Chambre, mais enfin,
est-ce que l'attitude politique du clergé n'a pas quelquefois contribué à
créer cette hostilité ? Vous
avez parlé, à ce propos, de lois récentes nous nous sommes expliqués sur ces
lois mais est-ce que l'hostilité déclarée d'une partie du clergé contre la République
ne remonte pas au delà de ces lois, aux jours qui ont précédé cette crise
néfaste du iC Mai, qui a fait tant de mal à ce pays ? Comparez cette attitude
à celle que le clergé observe dans d'autres pays, aux États-Unis par exemple
; il n'est pas le lien d'un parti, il n'a pas l'ambition de tenir le drapeau
politique d'un parti. La conséquence, vous la voyez, dans ce pays il n'y a
nulle part, ni parmi les républicains, ni parmi les démocrates, ni dans
aucune fraction du pays, d'hostilité systématique contre la religion, parce
qu'elle ne s'offre pas elle-même aux coups de ses adversaires, en prenant les
apparences tout au moins d'un parti, d'une association politique. La paix
religieuse, je la demande. Je veux le prêtre libre, respecté dans son église,
mais je veux aussi maintenir les droits du pouvoir civil, suivre les
traditions de ce pays, me conformer à l'instinct profond, au génie du peuple
français je veux le curé hors de la politique. A l'église, oui ; sur la place
publique, sur le forum, jamais ! Nos
lois, s'inspirant de cet esprit, ont écrit en termes formels que le prêtre
transgressait ses droits lorsque, sortant du sanctuaire, il portait des
censures contre les actes du pouvoir législatif. Cette
règle a été trop souvent oubliée. Notre devoir est de la faire respecter et
aucun de nous, dans cette Chambre, ne manquera ace devoir. Que
l'Eglise, comprenant enfin que ces luttes stériles ne peuvent que nuire au
respect qu'elle mérite, à la situation qu'elle a dans l'Etat, ne s'inspire
pas des conseil dangereux qui viennent de lui être donnés du haut de la
tribune Qu'elle se renferme dans son rôle, qu'elle soit l'Eglise enseignante
et non pas l'Eglise militante, dirigeant toute la force morale des
consciences contre les institutions, contre la République, contre les lois
cela vous pouvez le tenter nous ne le tolérerons jamais IX Discours de M. de Freycinet au Sénat sur les relations de l’État et de
l’Église.
M. DE FREYCINET. — Messieurs, l'honorable M.
Chesnelong a eu raison de dire qu'il n'attendait pas de nous la paix telle
qu'il la comprend, car cette paix, qu'il vient de définir à l'instant, on
devrait la nommer capitulation. Ce qu'il nous demande, c'est de revenir sur
les lois que la République a votées depuis qu'elle est consolidée ces lois,
nous n'y reviendrons pas. Par conséquent, il ne faut pas qu'il y ait de
malentendu, et j'ai tenu, dès les premiers mots, à ne laisser à l'honorable
M. Chesnelong aucune illusion à cet égard. Mais
j'ai hâte d'arriver au point précis du débat, dont son éloquent discours nous
a singulièrement écartés. Au
fond, il ne s'agit ici d'aucun des sujets que l'honorable M. Chesnelong a
traités ; ni le Pape, dont il a longuement parlé, ni la politique du Vatican,
ni l'Italie ne sont en cause. Il ne s'agit pas davantage des congrégations et
encore moins de la religion pour laquelle la République française est pleine
de respect et d'égards. Aucun Gouvernement républicain n'a eu la pensée de
froisser en quoi que ce soit la religion, ou de restreindre l'exercice du
culte. Le
débat est beaucoup plus simple et, je pourrais dire, d'un ordre plus modeste,
au point de vue moral. Il
s'agit purement et simplement d'une question de discipline et d'ordre public.
Je crois que nous sommes tous d'accord dans le Sénat, au moins dans la
majorité républicaine, pour reconnaître que les derniers incidents, dont vous
avez été témoins, et l'attitude prise par un certain nombre, un trop grand
nombre de prélats, sont véritablement intolérables. Ce qui
m'a paru particulièrement choquant, dans les manifestations épistolaires que
vous avez vues, c'est moins la vivacité du langage, c'est moins l'exagération
des pensées, que l'état d'esprit singulier que ces lettres ont mis à jour. Il
résulte, de la lecture de ces documents, qu'une partie des membres du clergé
affichent la prétention d'être au-dessus des lois. Non seulement ils
revendiquent et cela je te leur concède le droit d'être absolument
indépendants dans les matières religieuses et de ne relever que du Pape et de
leur conscience, mais ils ne reconnaissent pas l'autorité de l'État en
matière temporelle ; ils sont allés jusqu'à soutenir cette théorie que le
ministre de la Justice, appliquant la loi à l'un d'eux, le Tribunal devant
lequel il comparaissait n'avait pas qualité pour le juger. C'est
cet état d'esprit que, pour ma part, je ne puis tolérer en aucune façon, que
je trouve choquant et absolument, insupportable dans une société bien réglée. Je
laisse même de côté l'objet primitif du différend, je ne veux pas entrer dans
l'examen de la circulaire de l'honorable garde des sceaux, ni du but que les
pèlerins avaient poursuivi à Home, ni des incidents qui sont survenus ce
n'est pas de cela que je m'occupe. Ce qui m'étonne, ce que je ne puis pas
accepter, c'est cette prétention que l'Etat n'a pas le droit d'intervenir,
que les prélats ne sont pas les subordonnés du ministre des Cultes dans le
temporel. Cette
doctrine, je rie dirai pas qu'elle est absolument nouvelle, car elle s'est
fait jour à diverses époques, mais c'est peut-être la première fois qu'elle
s'est manifestée d'une manière aussi claire que dans les lettres auxquelles
je fais allusion. Cette doctrine, Messieurs, nous ne pouvons pas l'admettre. Ainsi
que l'ont affirmé tous ceux qui ont pris part a. l'élaboration du Concordat
et tous les ministres des Cultes depuis quatre-vingts ans, les évêques, en ce
qui concerne le temporel, sont les subordonnés du ministre des Cultes ils
doivent se soumettre aux pouvoirs et aux droits que l'Etat exerce vis-à-vis
d'eux, dans le domaine des lois. M. BUFFET. — Qu'entendez-vous par
temporel ? M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'entends par temporel
l'obligation, par exemple, où se trouvent les évêques, lorsqu'ils s'éloignent
de leur siège, d'en demander l'autorisation lorsqu'ils veulent faire des
nominations de curés, de les soumettre à l'approbation du représentant de
l'État. Est-ce
que l'État n'exerce pas un pouvoir supérieur, pour approuver ou refuser ces
nominations ? Est-ce que les évêques, lorsqu'ils administrent leur diocèse,
lorsqu'ils délivrent des certificats pour les séminaristes qui sont, à ce
titre, plus ou moins dispensés du service militaire, ne remplissent pas des
fonctions civiles ? — c'est là ce que j'appelle le temporel. Quant à
nous ingérer dans ce qui se passe a l'intérieur des églises, des édifices
religieux, dans l'enseignement religieux proprement dit, nous n'y avons
jamais songé. L'Etat n'a pas la prétention d'être docteur en théologie,
d'intervenir en matière religieuse, mais il entend user de ses droits dans le
domaine temporel. L'honorable
garde des sceaux vous l'a dit. « Nous sommes décidés à les exercer et
les lois actuelles nous permettent de le faire. » Je n'énumérerai pas
les moyens qu'a indiqués M. le garde des sceaux et dont quelques-uns vous
paraissent insignifiants, d'autres odieux : quant à moi, je les trouve tous
légitimes et proportionnés à la gravité des faits auxquels ils se rapportent. Ces
moyens, on les emploiera suivant les circonstances et sans hésitation, parce
que cette situation ne peut pas être tolérée plus longtemps ; elle ne peut
pas se prolonger. Si ces
moyens ne suffisaient pas, nous n'hésiterions pas à proposer aux Chambres et
je suis sûr qu'elles seraient toutes disposées à les voter, )e cas échéant,
les moyens complémentaires qui pourraient nous faire défaut et qui seraient
jugés nécessaires. Je sais
bien que de ce côté-ci (la Droite) on ne reconnaît pas la valeur des articles de loi
auxquels je fais allusion. On affecte, depuis 1801, de séparer les Lois
organiques du Concordat. Je sais que cette prétention a été élevée et
l'honorable M. Buffet me fait un signe d'assentiment, qui semble indiquer
que, sans doute, il partage cette opinion. M. BUFFET. — Complètement ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Eh bien je déclare, quant à
moi, que je la trouve absolument renversante. Que le
Pape ait pu, dans une certaine mesure, se croire autorisé à contester la
valeur des Lois organiques, on peut le comprendre. L'article premier du
Concordat reconnait à l'État le droit d'édicter des règlements de police,
c'est tout au long dans l'article premier ; ces règlements de police, ce sont
précisément les Lois organiques. Je
disais que les Lois organiques ont été promulguées « ensemble »
avec le Concordat — l'expression y est — et Portalis, quand il les présenta,
déclara qu'elles en faisaient partie intégrante ; par conséquent, à l'époque
même où les auteurs du Concordat promulguaient les Lois organiques, ils ne
comprenaient pas autrement l'expression « règlements de police »
qui figure dans l'article premier. Mais
enfin, je comprends que le Pape ait pu se considérer comme ayant, jusqu'à un
certain point, le droit de contester les Lois organiques qui avaient été
faites sans lui. Mais les évêques, ce sont, j'imagine, des citoyens français
Est-ce que leur nomination d'évêque leur enlève cette qualité ? Est-ce qu'en
acceptant la dignité épiscopale, ils renoncent à leur nationalité ? Est-ce
qu'ils sont soumis à toutes les lois de l'Etat ? Est-ce
que les Lois organiques ne sont pas des lois applicables comme les autres
lois ? Est-ce
que les ecclésiastiques ont, plus que tout autre, le droit de faire un tri
parmi les lois et de dire : « A partir du jour où je serai évêque,
j'accepterai telle loi et pas telle autre ? » Si ces
lois répugnent à leur conscience, qu'ils ne sollicitent pas un siège épiscopal.
Personne ne les y a contraints, et si vous aviez été amenés, comme moi, à
recevoir les communications de bon nombre d'entre eux, vous verriez qu'ils
n'y sont pas forcés et que les démarches qu'ils font ont généralement un
caractère spontané. M. BUFFET. Un pareil langage est un
scandale, delà part d'un membre du Gouvernement. (Exclamations à
gauche.) M. LE PRÉSIDENT. — M. Buffet, veuillez, je vous
prie, retirer l'expression dont vous venez de vous servir. M.
BUFFET. — Je dis, Monsieur le président, qu'il y a quelque chose de
douloureux à entendre un ministre accuser publiquement, à la tribune, les
prêtres français d'être des solliciteurs ! M. LE PRÉSIDENT. — Le mot « scandale »
est retiré. Cela suffit. Veuillez continuer, monsieur le Président du
Conseil. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je disais donc, Messieurs,
que lorsqu'un prêtre est nommé évoque, vous n'accorderez bien qu'il n'est pas
nommé malgré lui et qu'il n'est pas contraint d'accepter ces fonctions. Or,
il sait bien, lorsqu'il les accepte, que les lois dont nous parlons sont en
vigueur, et si elles blessent sa conscience, pourquoi accepte-t-il les
fonctions épiscopales ? Je dis donc, Messieurs, que, à mon sens, il n'est pas
possible d'arguer de ce fait, que les Lois organiques ne sont pas partie intégrante
du Concordat, ou qu'elles n'y sont pas directement contenues, pour se dérober
à leur exécution. Dès lors, le Gouvernement considère que tous les moyens
d'action que ces lois mettent à sa disposition lui appartiennent
légitimement. !1 en fera l'emploi qu'il convient, pour ramener au degré
d'obéissance voulu, tous ceux qui seraient tentés de s'en écarter. Nous ne
demandons aux prélats rien de contraire à leur conscience, dans le domaine
religieux, rien qui puisse froisser leurs croyances, mais, je le répète, dans
le domaine temporel, nous entendons qu'ils soient les subordonnés du ministre
des Cultes et que, dans leurs rapports avec l'Etat, ils conservent la
déférence qui lui est due. Je vous
fais juges vous-mêmes, Messieurs (l'orateur désigne la Droite) admettez-vous que dans un Etat
bien réglé je n'emploierai pas le mot de fonctionnaires, nous prendrons le
mot que vous voudrez admettez-vous que des hommes placés à la tête d'un
service public, de quelque nom que vous le désigniez, non seulement puissent
écrire à un ministre dans les termes que vous connaissez, mais puissent
encore livrer leur lettre à la publicité ? UN SÉNATEUR A GAUCHE. — Le voilà, le scandale ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous m'adressiez tout à
l'heure, monsieur Buffet, un mot violent et que je ne mérite pas je serais en
droit de l'employer moi-même, pour qualifier de pareil, actes C'est la
modération de mon caractère et le respect de la tribune qui m'empêchent
d'user de pareils termes, mais je dis que cela n'est pas supportable, que,
dans une société bien ordonnée, les hommes qui sont dans une relation aussi
étroite avec l'Etat, qui en sont les salariés, pour accomplir un service
public important, respectable, élevé autant que vous voudrez, mais qui les
oblige d'autant pins qu'il est plus respectable et plus élevé, je dis que ces
hommes n'ont pas le droit de faire appel à une publicité malsaine, pour
mettre en échec le ministre des Cultes qui a autorité sur eux. Je soutiens
que ce n'est pas là un procédé régulier, correct, et qu'un Etat qui se
respecte puisse accepter. Eh
bien, vous nous avez dit : « Faites la paix ». Certainement,
nous ne demandons pas mieux que de vivre en paix... (Bruits à
Droite) ...
mais nous ne voulons pas être dupes. (C'est cela ! Très bien !
à Gauche.) Nous
entendons pratiquer, et nous l'avons fait, une politique de modération et
d'apaisement. En présence des incidents qui viennent de se produire, ne soyez
point surpris que notre attitude se modifie en ce sens que, sans nous livrer
à une politique de provocation et d'agression, nous aurons du moins une
politique momentanément plus réservée et plus sévère, jusqu'à ce que l'ordre
se soit rétabli, jusqu'à ce que nous soyons convaincus que les choses se
passent comme elles doivent se passer. Mais nous ne consentirons pas à
prendre cette attitude faible et effacée que vous appelez : « la paix avec le
clergé français ». Non,
nous n'y consentirons pas, nous exigerons au préalable la soumission aux
droits de l'Etat, et si nous ne l'obtenons pas ainsi, nous emploierons les
autres moyens que la loi met à notre disposition s'ils ne suffisent pas, si
de nouveaux moyens sont nécessaires, nous les réclamerons de vous. Enfin, si
rien de tout cela ne' réussit, si nous sommes en présence d'une insurrection
voulue et qu'il y ait une sorte de parti pris, eh bien, alors, nous
déclinerons la responsabilité des conséquences elle retomberait directement
sur ceux qui auraient pris cette attitude vis-à-vis de l'Etat. Si, en effet,
J'union entre l'Etat et le clergé ne pouvait pas se maintenir, par la faute
de l'un des deux coassociés, ce n'est pas nous qui en aurions la
responsabilité. Le
Cabinet qui siège sur ces bancs ne croit pas avoir reçu le mandat, ni des
Chambres ni du pays, d'accomplir la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ni
de la préparer mais nous avons reçu le mandat de faire respecter l'Etat et si
la séparation devait s'accomplir à la suite de l'agitation a laquelle je
viens de faire allusion, la responsabilité en retomberait sur ses auteurs et
non sur nous. Je
demande au Sénat de vouloir bien, quand il clora ce débat, formuler, dans un
ordre du jour ferme, la pensée que j'ai exprimée à cette tribune, comme je le
demanderai dans quarante-huit heures à la Chambre des députés. Il faut, que
ceux qui seraient tentés de manquer de respect à l'Etat, sentent qu'ils ont
devant eux non seulement les ministres de la République, mais le Parlement
français tout entier. X Discours de M. de Freycinet sur les grèves du Pas-de-Calais et du Nord.
M. DE FREYCINET, PRËSIDENT DU CONSEIL. — Messieurs, l'honorable M. Haynaut
a prononcé tout à l'heure certaines paroles qui sont entièrement conformes à
ma propre manière de voir, et d'autres que je ne puis, au contraire,
accepter. A cette
tribune, et au moment où s'agitent de semblables questions, je crois que nous
devons nous expliquer avec une entière franchise et ne pas laisser naître des
illusions qui pourraient être funestes aux intérêts mêmes que l'on veut faire
prévaloir. Ainsi,
j'entendais l'honorable M. Haynaut insister sur la question des salaires.
Certes, personne ne désire plus que moi l'amélioration du sort des
travailleurs je souhaite que les conditions de l'industrie permettent une
progression constante des salaires ; mais le Gouvernement ne peut pas, par
son intervention, amener cette progression immédiate. Ne laissons pas se
créer au dehors l'illusion de croire que, par une sorte d'intervention
surnaturelle, à la faveur de quelques paroles qu'il adresserait à des industriels,
le Gouvernement aurait la puissance de déterminer cette élévation des
salaires, que nous désirons comme vous, mais qui doit résulter de la libre
discussion entre le capitaliste et le travailleur. M. MILLERAND, ironiquement. — La
libre discussion entre les mineurs et la Compagnie d'Anzin ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Vous pouvez m'interrompre,
vous ne changerez pas le caractère de cette vérité, que les salaires
résultent de lois profondes, sur lesquelles l'intervention directe du
Gouvernement ne peut rien. Le
Gouvernement ne peut agir que d'une façon indirecte et de deux manières
d'abord en donnant lui-même l'exemple, en traitant aussi bien que cela lui
est possible les ouvriers qu'il emploie. C'est
ce que nous faisons, et le ministre qui a l'honneur d'être à cette tribune
peut affirmer en particulier que, dans les nombreuses manufactures dont il a
la direction, dans les fabriques d'armes et de cartouches, dans les arsenaux,
il s'est toujours appliqué à rechercher non pas le salaire minimum qu'il
pourrait donner aux ouvriers, mais bien le salaire maximum que les crédits
dont il dispose lui permettent de leur allouer. Je dis que le Gouvernement
peut agir par l'exemple, en traitant le mieux qu'il peut les ouvriers qu'il
emploie dans ses propres industries il le fait dans les limites des crédits
dont il dispose, et je n'ajoute pas — parce que cela va de soi — dans les
limites du bon sens et de la raison. Le Gouvernement s'est toujours montre et
se montre extrêmement paternel et humain, dans le règlement, de ces intérêts
et, par l'efficacité de l'exemple, il peut certainement établir une espèce
d'étalon industriel dont l'influence, dans une certaine mesure, s'exercera
favorablement sur les industries qui l'entourent. Le
Gouvernement peut agir indirectement encore, d'une autre façon c'est, toutes
les fois qu'il en trouve l'occasion, de faire entendre des conseils aux
intérêts, en se plaçant au point de vue de la justice et de l'utilité bien
entendues des uns et des autres. Lorsque le Gouvernement, pris ainsi pour
arbitre officieux, a constaté que certains droits sont lésés et que certaines
améliorations pourraient être accordées, il n'a jamais manqué à ce devoir
d'influence morale il a toujours donné les avis que l'on pouvait attendre de
lui. Ce que je vous dis n'est pas de la théorie, c'est de la pratique. Il
n'est pas une grêve où le Gouvernement n'ait été amené, sur plusieurs points,
à jouer un rôle tutélaire. C'est un rôle de persuasion, un rôle moral, qui
dépend pour beaucoup du bon vouloir des partis en présence. Mais
quant à exercer une action en quelque sorte obligatoire, quant à exiger du
Gouvernement qu'il fixe lui-même les salaires, est-ce que cela est possible ?
Est-ce qu'il entre dans les attributions des pouvoirs publics de régler le
taux des salaires ? Ce serait le renversement absolu de toutes les lois de la
production. Si j'ai
insisté sur ce point, c'est parce que l'honorable M. Haynaut a prononcé des
paroles qui, certainement, ont dépassé sa pensée et qui pourraient faire
croire à tort, au dehors, que le Gouvernement est, en quelque sorte,
responsable de l'insuffisance des salaires dans certaines industries.
L'honorable M. Haynaut a débuté en appelant l'attention de la Chambre sur la
gravité de la situation qui se produit et en déclarant que le Gouvernement
était tenu d'en arrêter le développement, sinon qu'il serait responsable de
ce qui surviendrait. Il y a là une sorte de responsabilité que je cherche à
préciser et à dégager ; nous ne pouvons pas l'accepter, car elle dominerait
absolument notre pouvoir. En matière de salaires, cette question si aiguë
dans la plupart des grèves, le Gouvernement ne peut agir qu'indirectement,
par l'influence morale... C'est
l'évidence même ce que je dis est l'A B C de la science économique. M. MILLERAND. — L'A B C de M. Bastiat. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je vous demande pardon, je
n'ai pas appris la science économique seulement dans les livres je l'ai
étudiée peut-être dans un plus grand nombre d'industries que vous-même car
j'ai passé les deux tiers de ma vie dans l'industrie. J'ai employé des
ouvriers, je les ai suivis de près, je connais leurs mœurs et leurs besoins,
et ce n'est pas en théoricien que je parle des faits économiques. Ici, j'ai
le courage, non comme membre du Gouvernement, mais comme simple citoyen, de
dire qu'il ne faut pas faire naître certaines illusions. Il y a,
au contraire, des questions sur lesquelles le Gouvernement est armé de droits
positifs, et il faut qu'il les exerce. Ces
questions sont celles qui touchent à la conservation du travailleur, à
l'hygiène... Vous
riez, Messieurs on voit bien que vous n'avez pas parcouru les établissements
insalubres, ou la vie du travailleur est abrégée de dix, de quinze années,
par la nature même du travail. Quand
le représentant du Gouvernement, ici, s'exprime avec un souci sincère des
travailleurs, vous l'interrompez d'une façon qui n'est pas, je puis le dire,
en harmonie avec la gravité de la question qui se débat. Oui, il
est des questions en vue desquelles le Gouvernement est armé, ou pour
lesquelles le Parlement peut lui fournir des armes ce sont les questions
d'hygiène, de salubrité, les questions qui se rattachent à la fixation des
heures de travail car je suis un partisan de la fixation de la durée du
travail par les pouvoirs publics, dans une certaine limite, bien entendu,
lorsque la durée du travail importe à l'hygiène. Il y a des travaux dont la
durée — et presque tous les travaux industriels sont dans ce cas — intéresse
la conservation du travailleur. Lorsque la durée du travail se prolonge au
point de compromettre l'existence, la santé des ouvriers, les pouvoirs
publics ont le droit d'intervenir. Un
sujet extrêmement délicat a été touché à cette tribune, et, soyez-en
certains, c'est l'un de ceux qui préoccupent le plus les travailleurs je veux
parler de la question du chômage et des caisses de retraites. Ces
deux préoccupations inquiètent en ce moment les ouvriers, plus encore que la
question des salaires. Les travailleurs — et je parle de gens avec lesquels
j'ai souvent causé, dont j'ai sondé les pensées intimes —, envisagent avec
anxiété cette perspective que si le travail venait à leur manquer, par suite
d'accident, de maladie ou de toute autre cause de force majeure, ils se
trouveraient subitement plongés dans la misère. Ils ne sont pas moins émus de
l'idée, qu'au bout d'un certain nombre d'années, ils pourront également se
trouver sans ressources. Eh
bien, s'il ne nous est pas possible d'agir directement sur les Sociétés qui
emploient des travailleurs, nous devons les pousser de tous nos efforts dans
cette voie. Il y a plus en matière de secours, je crois que les industries
privées sont capables d'organiser ou d'aider à organiser autour d'elles des
caisses efficaces de secours, parce que ces caisses ont un objectif
éminemment transitoire parce que, si l'ouvrier quitte un établissement, il
n'a plus rien à réclamer de la caisse de secours qui a fait, tant qu'il est
resté dans cet établissement, ce qu'elle avait à faire, en le protégeant
contre les chômages accidentels dont il a pu être victime. Nous devons donc
employer tous nos efforts a développer la formation des caisses de secours,
et je crois qu'il serait possible d'arriver à leur donner une forme
satisfaisante, même sans le concours de l'Etat. Mais il est une seconde
catégorie pour laquelle je crois, moi, le concours de l'Etat indispensable
c'est la caisse des retraites, parce qu'elle a besoin de s'appuyer sur
quelque chose de permanent, qui dure en quelque sorte indéfiniment. Les
déclarations que je vous fais, vous montrent que ce n'est pas d'aujourd'hui
que je m'occupe de ces questions. M. MILLERAND. — Seulement il y a ia grêve du
Pas-de-Calais. M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — J'ai passé de longues années
à les étudier. Je répète que la question des caisses de retraite dépasse les
forces des industries particulières. Malgré toute leur bonne volonté, elles
ne sauraient offrir aux ouvriers ce quelque chose de permanent, qui dure à
travers les années et leur donne les garanties nécessaires. Et c'est
précisément parce que nous sommes pénétrés de cette conviction que M. le
ministre de l'Intérieur a déposé — je dis « nous » parce que tous
les membres du Cabinet sont solidaires dans des actes semblables, dans toutes
les questions importantes qui vous sont soumises. Donc, M. le ministre de
l'Intérieur a déposé récemment, au nom du Gouvernement, un projet auquel il a
attaché son nom, et que, pour ma part, je crois destiné à être adopté par la
Chambre — tout au moins dans son principe — je laisse de côté les
modifications de détail sur lesquelles je n'ai pas à insister —, parce qu'il
remplit cette condition de durée, de pérennité, à laquelle doivent satisfaire
les institutions relatives aux retraites. Voilà
ce que j'avais à dire en réponse à l'honorable M. Haynaut. M. Millerand
m'interpellait tout à. l'heure et me disait : Il y a une grêve qui
presse Sans doute. Mais nous sommes-nous refusés à faire ce qui dépendait de
nous, pour atténuer cette grêve et en amener la fin le plus rapidement
possible ? Est-ce que le ministre des Travaux Publics ne vous a pas dit
lui-même qu'il s'était mis en rapport avec les chefs de ces industries ? M. CAMILLE PELLETAN. — S'il avait dit à ces chefs
d'industrie la moitié de ce qui vient d'être dit à la tribune, la grêve
actuelle n'existerait pas M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Je ne suis pas responsable
de ce qui a été dit aux ouvriers. Je parle à la tribune, selon mes
convictions, et en m'inspirant des observations auxquelles je me suis livré. J'ai
été entraîné par le hasard de la discussion et par le cours même des idées
que j'expose à cette tribune. Il me semble cependant que mes déclarations
étaient de nature à inspirer quelque intérêt... surtout à ceux qui se
préoccupent d'une façon aussi manifeste du sort des travailleurs. Quel
est, en effet, le point que je traitais, au moment où des interruptions m'ont
obligé à m'arrêter ? C'était une question vitale, qu'aucun de vous ne saurait
méconnaitre ; c'était ce grand problème qui actuellement domine, dans une
large mesure, toutes les préoccupations industrielles et qui se résume dans
ces simples mots : la conciliation du travail et du capital. Le
Gouvernement va déposer un projet de loi qui a pour but de résoudre une
partie de ce problème, projet dans lequel, entre autres dispositions, on
trouvera l'organisation d'une sorte d'arbitrage régulier. M. LE COMTE ALBERT DE MUN. — Très bien ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Entre ces deux mondes qui se
cherchent et qui ont besoin de se connaître et de se voir, il y a un
intermédiaire à établir. Eh bien, je suis convaincu que, le jour où vous
aurez organisé un arbitrage raisonnable, une grande partie des malentendus
auxquels je viens de faire allusion disparaîtront et que beaucoup de grèves
seront évitées. Il y a
d'autres solutions que nous cherchons, qui ne peuvent se trouver en un jour
ce sont les problèmes les plus difficiles à résoudre par la législation, car
nous côtoyons à chaque instant la liberté individuelle. Nous nous occupons
constamment de ces problèmes, et vous-mêmes ne cessez d’y penser ; j'en
ai la preuve dans la multitude de projets de loi qui sont déposés et qui,
s'ils ne sont pas tous applicables, dénotent cependant les sentiments
profonds qui vous animent. Voilà
la tâche que nous voulons poursuivre. Mais, en même temps, nous devons faire
entendre de bons conseils aux travailleurs nous devons leur dire que ce n'est
pas avec des grèves qu'ils faciliteront la solution du problème. En procédant
ainsi, ils ne feront tout au contraire que rendre la situation plus
difficile, parce que les Chambres elles-mêmes sont moins libres pour traiter
de ces questions, quand une grêve est déchaînée. Autant les pouvoirs publics
ont le droit de s'emparer de ces problèmes et de les résoudre, autant ils
sont embarrassés, quand on vient leur parler au nom de 30.000 grévistes. Non,
ce n'est pas là le système qu'il faut engager les ouvriers a suivre. On doit
leur dire que, parce moyen, ils agissent souvent contre leurs intérêts. Il
importe qu'ils se rendent compte, non seulement des souffrances et des
retards auxquels ils se condamnent, mais aussi des accidents qui peuvent
résulter de pareilles masses mises en mouvement, sous l'influence de telles
passions. Pouvez-vous répondre des accidents ? Et nous-mêmes le pouvons-nous,
alors que nous sommes obligés sans nous départir de notre fermeté et de notre
sang-froid de prendre des mesures pénibles, douloureuses ; quand, en présence
de masses souvent ignorantes, excitées et qui ne raisonnent pas, nous avons à
maintenir l'ordre public et avant tout nous devons le maintenir. M. MILLERAND. — En envoyant des troupes
contre le vœu des municipalités ! M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. — Quand il nous faut protéger
les personnes et les propriétés, et aussi faire respecter la liberté du
travail. Car c'est là encore un des préjugés qu'il importe de faire
disparaître de ces masses en les éclairant, en leur parlant le langage de
véritables amis. Oui ! il faut leur faire comprendre que, si la grêve est un
droit, elle n'est pas un moyen d'oppression et que l'ouvrier qui ne veut pas
travailler n'est pas libre d’imposer sa volonté à l'ouvrier qui veut
travailler. Le
Gouvernement est fermement résolu à accomplir son devoir. Il le fera, je l'ai
dit, avec fermeté, avec sang-froid il le fera tel qu'il lui sera imposé par
les circonstances mais, en même temps, je l'ai dit également et je le répète,
toute la sollicitude du Gouvernement est tournée vers ces questions. Et il
sait qu'il est en communion d'idées avec cette Chambre. De
cette collaboration féconde, de cette bonne volonté mutuelle, il résultera,
j'en suis certain, et dans un délai moins long que celui que faisaient
entrevoir les pessimistes, des solutions qui apporteront peu à peu l'apaisement
que nous désirons tous. En conséquence, je vous demande d'émettre un vote qui
fera comprendre aux travailleurs, qui s'agitent en ce moment, dans quels
sentiments cette discussion s'est dénouée devant la Chambre. XI Discours de M. Clémenceau sur les relations de l’État et de l’Église.
M. DE FREYCINET. — Messieurs, je viens en deux
mots joindre ma voix a cette de mon honorable ami, M. Brisson, pour obtenir
une réponse du Gouvernement à ta question qui lui a été posée. Depuis
que M. le Président du Conseil a fait la lumière complète sur la question qui
nous est soumise, je dois confesser que je n'y vois plus goutte. C'est une
preuve de plus que la grande lumière est aveuglante. Eh bien
je demande, non un supplément de lumière, mais une lumière mieux distribuée,
qui me permette d'apercevoir les différents côtés de la question. Nous
avons entendu deux fois M. le Président du Conseil et nous pouvons, à l'heure
actuelle, nous poser cette question le Gouvernement est-il pour ou contre
l'urgence ? sans que personne soit en état d'y répondre. C'est
pourtant une question à laquelle il faut répondre. Je sais bien que M. le
Président du Conseil a apporté cette tribune une discussion fort captieuse.
Suivant lui, le sens du vote résulte, non du vote lui-même, mais d'une
certaine direction d'intention, qui fait que, dans certains cas, le vote de
l'urgence a un sens déterminé ou un sens directement contraire. On nous a
exposé qu'il fallait pénétrer dans la conscience de chaque député, pour
savoir avec précision ce qui s'y passait et déterminer le sens du vote. Monsieur
le Président du Conseil, c'est là un travail auquel nul ici n'a le droit de
se livrer. Les bulletins de vote ne portent aucun commentaire. Ils sont
simples ; ils sont brutaux ; c'est oui ! ou c'est non ! Vous
demandez quelle est la signification du vote qui va être rendu, sur un projet
de loi qui est vôtre ? Tout le monde le sait. M. Brisson vient de vous le
dire. Je vais vous le répéter. La
lutte, dans laquelle nous sommes engagés contre l'Eglise, doit aboutir
fatalement à la sécularisation compter de l'Etat c'est le mouvement de la
Révolution, il ira plus ou moins vite, plus ou moins lentement, mais il
arrivera un moment où on pourra se retourner vers l'Église, comme autrefois
vers le Tiers état et lui dire : « Qu'étiez-vous hier ? Tout. Qu'êtes-vous
aujourd'hui ? rien. » Quand
je dis « rien », je lui fais cependant la part assez belle, car je
lui laisse — ce n'est pas la part du législateur — la conscience humaine. C'est
que, dans l'Église catholique, il faut distinguer deux choses il faut
distinguer les croyances qui ne sont pas de notre ressort, sur lesquelles
nous n'avons pas d'action. Nous pouvons nous prononcer sur elles
individuellement, nous les approuvons ou nous les blâmons, nous-les
partageons ou nous les répudions, ce n'est pas affaire de discussion
parlementaire. Et puis, il y a cet autre fait. qu'aucun de vous ne peut
méconnaître ici. C'est que l'Eglise catholique est la plus grande
construction politique qui ait jamais existe c'est qu'elle a été maîtresse de
ce pays pendant mille quatre cents ans, qu'elle l'a dirigé, gouverné, modelé
à sa façon, qu'elle en a fait ce qu'elle a voulu. C'est
contre cet organisme politique, que nous sommes en lutte ; et quelle lutte !
Est-ce que nous avons résolu de le détruire ? Oui, en tant que pouvoir
politique, en tant que pouvoir dominateur. Et cela n'est juste, et cela n'est
possible qu'a la condition de faire leur part aux catholiques comme a tous
les autres citoyens dans la République, en leur assurant leur part de
liberté, qui est la même, quoi que vous en disiez, que la nôtre, en leur assurant
leur part de justice, celle à laquelle ils ont le droit, comme tous les
citoyens français. Et
lorsque, renversant les rôles, vous me demandez la signification du projet de
loi que vous avez déposé, je vous réponds que vous le vouliez ou que vous ne
le vouliez pas, ce projet de loi constitue à notre profit, un pas en avant
dans la lutte du pouvoir civil contre le pouvoir catholique, contre le
pouvoir religieux. Que
vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, quelles que soient les
intentions a Gauche, à Droite, au Centre, cela importe peu au résultat. Le
jour où ce projet de loi aura force de loi, la sécularisation du pouvoir
civil aura fait un pas de plus. Je vois
des signes de dénégation de la part de M. le Ministre des Affaires Etrangères
et de la part de M. le Président du Conseil j'en suis Je vais essayer de
répondre à ta pensée qui, sans doute, est dans leur esprit. Est-il
donc nécessaire de répondre sérieusement à l'argumentation de M. le Président
du Conseil, qui prétend que les congrégations ne font pas partie de l'Eglise
catholique ? Je sais qu'il a reçu des lumières spéciales du Pape, mais enfin,
moi qui ne suis pas dans ce cas, je juge avec le sens commun je dis que les
congrégations sont le pouvoir militant de l'Église, que ce sont les
congrégations qui, dans le passé, ont combattu le plus vaillamment pour elle,
et qui, dans le présent, sont au plus fort de la bataille. Il
faudrait de longs développements pour dire les inappréciables services
qu'elles lui ont de tout temps rendus, sous la direction suprême (lu chef de
l'Eglise. Comment osez-vous soutenir qu'elles sont en dehors de l'Eglise ?
Cela est bon à dire ici à des députés, mais c'est une distinction à laquelle
le pouvoir catholique suprême ne souscrira jamais. Il le voudrait qu'il ne le
pourrait pas ; ce serait consentir bénévolement à l'amputation de ses membres ! Que
vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, votre loi est faite contre les
congrégations religieuses si vous les soumettez à la loi que vous avez
proposée, ce sera un nouveau triomphe du pouvoir civil sur le pouvoir
théocratique. Je le
sais bien, vous croyez naïvement qu'il y a une très grande subtilité à ne pas
le dire ; vous croyez qu'il y a une très grande habileté parlementaire à
poser, à cette tribune, la question de la séparation de l'Église et de
l'État, qui ne s'y pose pas actuellement. Non, non il faut ramener la
question à ses véritables termes. Il ne s'agit pas en ce moment de la
séparation de l'Eglise et de l'État. Mais vous, qui dites que l'heure de
cette séparation n'est pas arrivée, ne sentez-vous pas que vous contribuez
malgré vous peut-être à hâter sa venue et que, quoi que vous fassiez, quoi
que vous disiez, vous ne pouvez-vous soustraire au mouvement qui entraîne
toutes les sociétés modernes vers la sécularisation complète de l'État ? Quand
vous aurez fait rentrer les Associations religieuses dans la loi civile que
vous préparez, savez-vous ce qui se passera dans l'esprit de tous les
citoyens ? On se dira voilà les associations religieuses qui vivent sous la
loi commune ; pourquoi la grande association, l'association religieuse par
excellence, l'Eglise catholique, ne pourrait-elle pas en faire autant ? C'est
ainsi que, tout en combattant la séparation de l'Église et de l'État, vous
rendez à cette cause un éminent service. De sorte que je ne saurais dire
comment il faut, pour être équitable, caractériser votre attitude à l'égard
de la séparation de l'Eglise et de l'État. Vous la servez en la combattant,
ou — peut-être préférez-vous cette formule — vous la combattez en la servant. Eh
bien, assez d'ambiguïtés et de réticences Il est temps que la question soit
nettement posée ! Il faut que nous sachions comment nous allons voter. Quant
à moi, je vous le répète, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas,
votre projet de loi est un pas de plus vers la sécularisation définitive du
pouvoir civil ; c'est un pas fait en avant par le pouvoir civil, dans sa
lutte contre le pouvoir de la théocratie. Un
dernier mot. Il me parait que le Gouvernement est en proie à une illusion
dangereuse, qui faussera toujours, comme elle l'a faussée jusqu'ici, toute sa
politique. Vous nous avez dit, tout à l'heure, que vous visiez à séparer les
partis monarchistes du pouvoir catholique, que les monarchistes ne pouvaient
pas être ramenés, mais que vous ramèneriez l'Église à la République. JI n'y a
pas de plus décevante illusion Tout au contraire, vous ramènerez plus ou
moins vite les partis monarchistes, mais vous ne ramènerez jamais l'Église. Il y a
pour cela cent raisons. Les bonapartistes ? Je ne sais pas pourquoi, il y a
encore-dès bonapartistes nous vivons sous le régime de la Constitution de
l'an VIII. M. PAUL DE CASSAGNAC. — Oui, mais il y a trop d'Empereurs ! M. CLÉMENCEAU. — Nous appliquons à chaque
instant les décrets de 1851 et 1852. Il y a cent raisons pour que les
bonapartistes entrent dans une République, qui est déjà à eux pour une bonne
part ce n'est pas ce qu'il y a à dire de mieux en sa faveur. Les
légitimistes ? il ne s'agit que d'interpréter le droit divin d'une façon plus
moderne et on dira du suffrage universel : Vox populi, vox Dei.
Et maintenant que le dernier représentant de la branche aînée a disparu, les
vrais légitimistes n'ont plus qu'à accepter une République déjà légitimée
parle sucrage universel et qu'ils légitimeront eux-mêmes définitivement par
une édifiante union. Les
orléanistes, les partisans du régime bourgeois du cens et du juste milieu ?
mais qu'est-ce qu'il leur faut de plus ? Qu'est-ce qui leur manque, en vérité
? Ce sont des ingrats. N'avez-vous pas deux Chambres, comme sous la
Monarchie, avec les oligarchies bourgeoises de la Monarchie de Juillet et le
suffrage restreint ? N'avez-vous pas un pouvoir central très fortement
constitué ? Y
a-t-il tant de distance entre un Président de la République à vie, qui
s'appelle Roi, qui peut régner une moyenne de dix à quinze ans, et un Roi
élu, qui s'appelle Président de !a République et qu'on peut réélire
indéfiniment ? Non,
quand vous écarterez les questions de mots, quand vous voudrez pénétrer
jusqu'au tuf, ne considérer que la réalité, vous verrez que votre place,
Messieurs les monarchistes, est toute prête et que vous pouvez entrer dans la
maison. Mais il
y a une chose que vous ne pourrez pas faire, Messieurs du Gouvernement, c'est
d'amener l'Église catholique à vous servir, autrement que dans la mesure de
ses intérêts de pouvoir dominateur. C'est
qu'elle est placée plus haut, c'est qu'elle voit de plus loin, c'est qu'elle
embrasse d'un coup d'œil le vaste espace d'une longue histoire, et que toute
cette histoire se résume dans ces mots l'Eglise n'est rien si elle n'est
tout. Sur
toutes les questions, elle a réponse a tout ; elle est une grande conception
morale, elle est au-dessus de tous les intérêts humains qui peuvent s'agiter
sur la terre, et, par-dessus tout cela, elle représente la théorie même de la
théocratie, elle a seule le droit de gouverner les hommes, sans que leur
consentement soit nécessaire, et ayant ta vérité absolue, la vérité divine,
la vérité par excellence, elle possède a fortiori la vérité terrestre. Et
c'est vous, Gouvernement laïque, Gouvernement de parvenus, qui voulez ruser
avec un tel pouvoir, un pouvoir éternel, qui tient les balances de la justice
dans ce monde et dans l'autre ? La lutte est possible entre les droits
de l'homme et ce qu'on appelle les droits de Dieu. L'alliance ne l'est pas.
En tout cas, la lutte est engagée, il faut qu'elle se poursuive. L'avenir
dira le vainqueur. Mais réunir, associer les contradictoires, toute votre
subtilité, tout votre art n'y suffirait pas. Je vous le dis, vous n'êtes pas
de force à ruser avec le Pape vous feriez mieux de vous rendre tout de suite. M. DE BAUDRY D'ASSON. Qui mange du Pape en meurt ! M. CLÉMENCEAU. — Il n'y a qu'un moyen de
ramener l'Eglise, c'est d'abandonner votre principe pour le sien. Le reste
n'est que pure fantasmagorie. Rappelez-vous le remarquable discours que mon
honorable ami, M. Pichon, prononçait ici il y a quelques semaines
rappelez-vous l'alliance de l'Église toujours à son profit, avec les divers
Gouvernements qui se sont succédé dans ce pays, et la réponse sera faite aux
prétentions que vous manifestez aujourd'hui. On vous tend la main,
dites-vous, mettez-y la vôtre elle sera si bien étreinte, que vous ne pourrez
plus la dégager. Vous pourrez être, vous serez prisonniers de l'Eglise.
L'Eglise ne sera jamais en votre pouvoir. Napoléon
a tenu le Pape prisonnier à Fontainebleau vous connaissez la revanche. Vous
n'êtes pas plus forts que Napoléon ! Je vous
dis que vous ne ramènerez pas l'Eglise, parce que l'Église veut précisément
le contraire de tout ce que nous voulons. M n'y a pas une loi que nous ayons
votée, il n'en est pas une que nous nous préparions à voter, qui n'ait été
formellement condamnée par les Papes qui se sont succédé à Rome. -Vous
le savez, et le sachant, vous venez nous dire, — avec plus de candeur que
vous ne pensez, — que vous vous proposez de séparer l'Église des partis
hostiles à la République et que vous ferez entrer le Pape dans le giron
républicain ! C'est
une entreprise qui est au-dessus de vos forces, au-dessus des forces humaines
; parce que les deux éléments que vous prétendez réunir sont inconciliables,
contradictoires ; pour tout dire d'un mot, ils s'excluent. Eh bien !
Monsieur le président du Conseil, s'il en est ainsi, je vous demande une
réponse nette et franche. Etes-vous pour ou contre l'urgence de votre propre projet de lui ? Si vous êtes pour l'urgence, moi qui suis partisan de la séparation de l'Eglise et de l’Etat, je vous dis merci ! Si vous êtes contre, je n'ai plus rien à vous dire. Je vous laisse en tête à tête avec les amis autorisés de l'Église romaine. Entendez-vous avec eux je n'ai rien à y voir. |