HISTOIRE DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL

 

APPENDICE.

DEUXIÈME PARTIE

 

 

VI

Assemblée nationale. — Séance du 18 Mars 1874. Discours de M. Challemel-Lacour.

 

M. CHALLEMEL-LACOUR. Messieurs, il nous était permis d'espérer, et j'espérais, pour ma part, que les six semaines, et davantage, écoulées depuis le jour où l'Assemblée a bien voulu accueillir notre demande, auraient rendu inutile ou moins opportune l'interpellation que je suis chargé de développer devant vous.

Il n'en a rien été. La crise des affaires continue et s'aggrave le malaise des esprits n'a jamais été plus grand. Il s'est d'ailleurs produit, dans cet intervalle, divers incidents que j'aurai sans doute occasion de rappeler, et qui prouveraient, au besoin, que, sans y chercher d'autre plaisir que celui d'entendre les explications de M. le ministre de l'Intérieur, ni d'autre profit que celui du pays, nous devions maintenir notre interpellation. Elle roule sur un sujet dans lequel sont engagées deux choses intimement liées l'autorité du pouvoir et la sécurité du pays. Il importe d'aborder la discussion avec une gravité proportionnée à de tels intérêts. C'est ce que je tâcherai de faire, et il ne tiendra qu'à moi d'éviter non seulement, ce qui va sans dire, tout ce qui pourrait effleurer les personnes, mais même toute parole capable d'irriter ce qu'il y a de plus ombrageux au monde les passions de parti. (A gauche : Très bien ! très bien !)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Le 22 Janvier, M. le vice-président du Conseil, ministre de l'Intérieur, a adressé aux préfets une circulaire relative à l'application de la loi des maires.

Cette circulaire contient quelques assertions contestables et des appréciations dont j'aime mieux ne pas parler mais elle s'explique aussi sur le pouvoir Présidentiel, qu'elle déclare « élevé dès à présent, et pour toute la durée que. la loi lui assigne, au-dessus de toute contestation ».

Cela posé, elle signale, parmi les devoirs que les nouveaux maires auront à remplir à l'égard de M. le Président de la République, celui « d'apporter tout leur concours à son pouvoir et de ne se prêter à rien de ce qui pourrait l'ébranler ou l'amoindrir ». Il n'y avait rien de plus naturel que de pareilles prescriptions, à la veille d'appliquer une loi qui donnait au pouvoir le droit de nommer un si grand nombre d'agents. Tout le monde comprend qu'il n'y aurait pas de Gouvernement possible, si les agents de ce Gouvernement ne savaient à quoi s'en tenir sur le pouvoir dont ils relèvent, et s'ils ne recevaient pas une impulsion uniforme et précise. Et cependant, ces déclarations ont immédiatement suscité dans la presse des discussions dans lesquelles a percé avec énergie, avec âpreté, la persistance des prétentions monarchiques. Alors, comme il est arrivé déjà plus d'une fois, dans des circonstances critiques pour M. le vice-président du Conseil, M. le Président de la République est intervenu à son tour. Le 4 Février, il a prononcé un discours dans lequel il confirme pleinement les déclarations de M. le ministre ; on y lit quelques paroles qui ont déjà été citées à cotte tribune, et que je demande la permission de vous rappeler « Le 19 Novembre, l'Assemblée nationale m'a. remis le pouvoir pour sept ans mon premier devoir est de veiller à l'exécution de cette décision souveraine. Soyez donc sans inquiétude pendant sept ans, je saurai faire respecter de tous l'ordre de choses légalement établi. »

M. le Président de la République, en s'exprimant en ces termes devant le Tribunal de commerce, comme M. le ministre de l'Intérieur dans sa circulaire, voulait rassurer la France. La France a, en effet, grand besoin d'être rassurée (Légères rumeurs à droite), et c'est pourquoi nous avons applaudi à la pensée qui a dicté ces déclarations. Mais nous devons dire qu'elles ne nous paraissent pas suffisantes la confiance, nécessaire à la reprise du travail et des transactions, l'autorité du pouvoir, l'honneur des partis dans cette Assemblée, le crédit de la France au dehors, exigent impérieusement, selon nous, non seulement qu'elles soient répétées à cette tribune, mais qu'elles y soient complétées. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Nous n'avons pas besoin, Messieurs, qu'on nous rappelle, qu'avec un grand nombre de membres de cette Assemblée, nous nous sommes opposés à la loi du 20 Novembre. Cette loi a été combattue par des orateurs de divers partis, à l'aide d'arguments différents, quelquefois contraires. Plusieurs de ceux qui l'ont votée n'avaient pas caché leur répugnance ou leurs scrupules plusieurs avaient pris soin de faire, avant le vote, comme d'autres l'ont fait après, leurs réserves, dans des lettres qui ont été publiées.

Quant à nous, Messieurs, nous avons combattu cette loi, parce qu'elle ne nous paraissait pas répondre à ce que la France désire et réclame depuis longtemps parce qu'un provisoire ou un définitif de sept ans, car c'est le vice principal de cette loi qu'on puisse lui appliquer les deux termes avec une égale justesse. (Approbation à gauche.), parce qu'un pouvoir, à l'abri duquel devaient continuer à s'agiter des prétentions diverses, ne nous paraissait pas avoir de force, ni être fait pour mettre un terme aux anxiétés dont le pays est travaillé depuis trois ans. (Très bien ! très bien ! à gauche.) Nous l'avons combattue, parce que cette prorogation d'un pouvoir, défini dans sa durée, indéfini dans son caractère, commencé sous un régime et destiné, dans la pensée de ceux qui l'avaient imaginé, à se continuer sous un autre, nous paraissait être une création pour le moins étrange, et que, si la logique ne gouverne pas seule les choses humaines, elle ne souffre pas qu'on lui adresse impunément des défis trop violents. (Vive approbation à l’extrême gauche.)

Mais, nous le déclarons, au risque de provoquer l'étonnement sincère de M. le ministre de l'Intérieur, lorsqu'un projet de loi que nous avons combattu est devenu une loi, nous faisons profession de nous y soumettre et de la respecter. (Exclamations er rires ironiques à droite. — Très bien ! très bien ! à gauche.)

M. DE CARAYON-LATOUR. — Je demande la parole. (Mouvement.)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Nous n'admettrions pas que personne, soit ici, soit ailleurs, élevât la prétention de confisquer à son profit, s'arrogeât le droit exclusif d’interpréter, à sa guise, une loi de l'Etat, sous prétexte qu'il a compté parmi ses partisans de la première heure.

M. LE MARQUIS DE CASTELLANE. — Qu'est-ce que vous en avez fait des lois ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Vous n'avez pas oublié non plus, Messieurs, et je n'ai pas oublié, pour ma part, qu'un des orateurs les plus graves de cette Assemblée, un homme dont tout le monde apprécie la raison prévoyante et écoute la parole, s'était posé devant vous une question sérieuse il s'était demandé si la loi que vous aviez à faire était une loi comme une autre, une loi que vos successeurs pussent abroger comme toute autre loi, ou bien si c'était un article de Constitution, par lequel ils fussent liés aussi bien que vous. Son opinion n'était pas douteuse ; vous n'avez pas partagé ses craintes et vous avez tranché la question d'une manière différente. Si, maintenant, les prédictions de l'honorable M. Grévy vous revenaient en mémoire et vous paraissaient avoir besoin de commentaire, personne ne peut le remplacer ici, et je n'aurai pas la prétention, la présomption de le suppléer.

Je n'aurai pas non plus l'imprudence de dire ce que feront nos successeurs mais j'ai le droit d'espérer qu'issus, comme vous, du suffrage universel, préoccupés, comme vous, des intérêts généraux, interprètes autorisés de la volonté nationale, ils auront plus à cœur de mettre un terme aux perplexités du pays, que de renouveler ses agitations. (Très bien ! très bien ! à gauche.) J'ai le droit d'espérer que cette Assemblée, dont il faudra bien que le jour vienne enfin, et qui sera républicaine. (Applaudissements sur les mêmes bancs), et qui sera républicaine parce que le pays est républicain. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs. Non ! non ! à droite et au centre droit), maintiendra, respectera toute institution dans laquelle elle ne verra pas une menace avouée pour la République, c'est-à-dire une chance prochaine de Révolution pour la France. (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche et à gauche.)

Quant à nous, Messieurs, je le répète, nous respectons toutes les lois du pays. (Rires et exclamations à droite.)

M. RIVAILLE. — L'histoire proteste contre vos assertions.

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Et c'est pour cela que nous avons applaudi aux déclarations successives de M. le ministre de l'Intérieur et de M. le Président de la République.

Mais les inquiétudes du pays, qui subsistent, même après ces déclarations, prouvent qu'elles ne sont pas suffisantes. Les polémiques de la presse, qu'on ne peut se flatter tout au plus que d'avoir pacifiées momentanément les interprétations divergentes de la Prorogation par les divers partis de cette Assemblée les prétentions et les espérances que M. le ministre de l'intérieur ne parvient pas à réfréner, et, pour tout dire, nos perplexités à tous, prouvent qu'il faut des explications décisives. (Très bien ! à gauche.)

Ce que les partis réclament, ce qu'ils prétendent maintenir en face de la Prorogation, ce n'est pas le droit de définir le pouvoir Présidentiel, de le circonscrire, de régler ses rapports avec les autres pouvoirs, c'est celui de le remplacer (Nouvelle approbation à gauche), c'est celui d'annoncer, de préparer la substitution d'une Monarchie au pouvoir Présidentiel.

M. DAHIREL. — C'est vrai ! (Mouvement. Ah ! Ah ! et applaudissements à gauche.)

UNE VOIX A L'EXTRÊME GAUCHE. — Voilà de la franchise !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Il n'y a pas à s'y tromper ce qui se continue ou se renouvelle, sous ces interprétations divergentes, c'est la lutte des deux principes qui sont en présence dans cette Assemblée, depuis trois ans, le principe de la souveraineté nationale et le principe du droit traditionnel ; ce qui est en question, c'est la Monarchie et la République. (Oui ! Oui !)

Eh bien, nous pensons que le moment est venu pour la France de savoir, et, pour le Gouvernement, de dire s'il se considère comme engagé, ainsi qu'on l'affirme, à nous acheminer à la Monarchie, ou, au contraire, à maintenir le fait existant, qui, pour nous, est la République. (Très bien ! Applaudissements à gauche.)

UN MEMBRE A DROITE. — Laquelle ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Messieurs, le Gouvernement du 24 Mai existe depuis près de dix mois, le pouvoir Présidentiel créé ce jour-là a été prorogé pour sept ans, il y a bientôt quatre mois, et cependant, quoiqu'on se nattât bien haut de calmer les inquiétudes du pays, ces inquiétudes subsistent. M. le Président de la République a été obligé de constater que la confiance est encore à naitre et que les inquiétudes du pays tiennent à ses préoccupations politiques.

M. le vice-président du Conseil s'est expliqué plus d'une fois sur la Prorogation il l'a fait le 12 Janvier, notamment, en des termes qui ne satisfaisaient pas tout le monde, l'honorable M. Raoul Duval entre autres, et qui ne pouvaient, en effet, satisfaire que des esprits faciles. Depuis ce jour-là, les polémiques de la presse ont continué avec un redoublement d'ardeur. Le 22 Janvier, il s'est expliqué de nouveau, et jamais les polémiques n'ont été plus vives.

Je me demande comment il se fait que les déclarations du Gouvernement, au lieu de répandre la lumière, ne fassent jamais qu'épaissir les ténèbres... (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche) comment il se fait qu'elles fournissent toujours un texte nouveau aux arguties grammaticales, aux subtilités, à la dialectique des partis. Je demande, enfin, s'il est impossible de dire quelque chose de net, et si la langue française aurait ce malheur d'avoir perdu jusqu'à sa clarté proverbiale. (Approbation sur plusieurs bancs à gauche.) S'il suffisait de dire un mot pour dissiper les incertitudes qui planent sur la politique du Cabinet et que ce mot, le Gouvernement ne puisse pas ou ne veuille pas le dire, je me demande comment il aurait la prétention et comment nous aurions l'espérance que la confiance se rétablisse jamais. Ce mot, nous demandons à M. le vice-président du Conseil de venir le prononcer à cette tribune. Car nous sommes convaincus que pour signifier stabilité, résistance efficace aux entreprises des partis, pour signifier sécurité et confiance, il faut que la Prorogation signifie d'abord République. (Très bien ! à gauche. — Exclamations diverses à droite.)

M. LE MARQUIS DE MORTEMART. — La République, c'est le provisoire perpétuel

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Il importe, tout autant à la dignité du pouvoir qu'à la sécurité du pays, de s'expliquer aujourd'hui clairement.

Je pourrais m'arrêter au titre sous lequel ce Gouvernement a été établi et qui lui a été confirmé au 20 Novembre ; car, enfin, ce titre a sans doute sa raison d'être et atteste, à tout le moins, une nécessité que vous avez reconnue ou que vous avez subie. Mais il me suffit de faire appel aux faits il me suffit de montrer que le Gouvernement a le devoir de reconnaitre, le droit de revendiquer la caractère qui lui appartient et qui ressort de faits irréfragables.

Le 19 Novembre, M. le vice-président du Conseil, après avoir exposé à l'Assemblée que la Commission, chargée d'organiser les pouvoir du Président, n'avait pas jugé à. propos de l'appeler devant elle et de l'entendre, ajoutait : « Réflexion faite, j'ai pensé qu'elle avait raison ; qu'après tout, nous étions sous le Régime essentiellement républicain de la responsabilité Présidentielle ; que si on avait réduit cette responsabilité par la loi des Trente, on ne l'avait pas détruite, on l'avait réservée expressément pour les cas graves et exceptionnels. »

Je ne sais pas où ces réservés ont été formulées mais le caractère républicain du Gouvernement qui nous régit n'en est pas moins reconnu dans ces paroles.

Personne, ce jour-là, personne dans cette Assemblée n'a pensé ni à fonder une Monarchie constitutionnelle, ni à créer une dynastie ; et cette responsabilité, M. le Président de la République, dans ses Messages et dans quelques-unes des paroles qu'il a prononcées devant le Tribunal de commerce, l'a expressément reconnue, en des termes qui témoignent qu'il en a le sentiment le plus vif. Ce n'est pas tout ce Gouvernement est issu d'une Assemblée qui procède elle-même du suffrage universel. Au 24 Mai, vous avez choisi M. le Maréchal de Mac-Mahon pour remplacer M. Thiers vous l'avez choisi dans les mêmes conditions, sous le même titre, avec le même nom, et, à cet égard, la loi du 20 Novembre n'a fait que confirmer l'acte du 24 Mai.

Enfin, cette loi du 20 Novembre a donné une durée fixe à un pouvoir qui était déjà limité dans sa durée. De telle sorte qu'au bout de sept ans la France sera, non pas, comme quelqu'un l'a dit, rendue à elle-même, car il faut bien qu'on sache qu'elle ne cesse jamais de s'appartenir, même quand elle a été surprise, même quand elle a été garrottée. (Très bien ! très bien ! et applaudissements à gauche. Murmures à droite.)

UN MEMBRE A DROITE. — Comme au 18 Mars !

UN AUTRE MEMBRE. — Et au 4 Septembre, qui est-ce qui l'a surprise ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Au bout de cette période elle sera appelée, si la loi est exécutée dans toute sa teneur, à déléguer le pouvoir exécutif à un autre pour une période également limitée.

M. PAJOT. — Pas du tout

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Ce pouvoir est donc responsable il est électif ; il est temporaire. Qu'est-ce à dire, Messieurs, sinon qu'il est républicain, et que tant qu'il dure la République a pour elle, non seulement le droit, mais le fait, et que le Gouvernement ne peut se défendre et durer qu'à la condition de défendre du même coup la République (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche.) Si je passe en revue les circonstances déjà nombreuses dans lesquelles le Gouvernement s'est adressé au pays, je remarque que toujours il s'est présenté à lui comme chargé de maintenir le fait existant. C'était ce qui ressortait avec évidence du langage tenu par M. le Président de la République, dans la lettre de remercîments qu'il adressait à l'Assemblée te 24 Mai ; c'était aussi ce qu'il répétait le lendemain, lorsqu'il s'adressait pour la première fois au pays et qu'il disait : « Aucune atteinte ne sera portée aux lois existantes et aux institutions. C'était encore ce que, dans le feu des plus ardentes polémiques, il répétait le 4 Janvier, devant les représentants du haut commerce de Paris, en des termes que le Journal officiel n'aurait pas, dit-on, reproduits avec une rigoureuse exactitude. (Rumeurs.)

AU BANC DES MINISTRES. — Qu'est-ce que cela signifie ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — mais qui, tels qu'ils ont été publiés, n'en paraissent pas moins avoir une signification parfaitement positive.

Devrai-je, Messieurs, discuter les termes mêmes de la loi du 20 Novembre, pour y reconnaître le caractère vrai du pouvoir qu'elle a institué ? beaucoup de personnes croient aujourd'hui avoir intérêt à obscurcir cette loi et à la sophistiquer ; mais je croirais manquer au respect que je dois à l'Assemblée, si je m'arrêtais à discuter des arguties grammaticales, plus dignes en vérité de la comédie que de cette tribune. (Murmures sur divers bancs. Approbations sur d’autres.)

Non, je ne m'attacherai pas à débattre la question de savoir si ces mots Jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles s'appliquent uniquement aux conditions dans lesquelles le pouvoir créé par la loi du 20 Novembre s'exerce, ou si ces paroles doivent s'étendre jusqu'au titre sous lequel il s'exerce, ou si, enfin, elles doivent s'appliquer a la durée même qui lui a été assignée de telle sorte que, s'il en était ainsi, cette loi, qui prorogeait le pouvoir du Président de la République pour sept ans, pourrait se traduire à peu près en ces termes le pouvoir du Président de la République est prorogé pour sept ans, jusqu'à ce que les lois constitutionnelles, que nous ferons dans quelques mois, l'aient absolument changé ou abrogé définitivement. (A gauche, AW ~/«.SM'M~ bancs : C'est cela ! Très bien !)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je dis, Messieurs, que cela est inadmissible que personne n'admettra ni ne croira que l'Assemblée ait pu se tromper volontairement elle-même et choisir précisément les termes propres à donner le change aux esprits de bonne foi. Cela eût été dérisoire, indigne du pays, indigne de vous. (Nouvel assentiment sur les mêmes bancs.)

Messieurs, on a pu, depuis quatre mois, élever bien des controverses, on a pu multiplier les sophismes, on a pu imaginer et commenter des gloses plus ou moins captieuses mais il y a une vérité qu'on n'est pas parvenu à ébranler. Cette vérité certaine, c'est que, ce jour-là, en votant la loi, vous avez pris avec le pays un engagement volontaire et solennel, celui de le mettre à l'abri, pour sept ans au moins, des agitations qu'il avait traversées et qui l'avaient troublé si profondément. (Rumeurs à droite.)

Quelles que fussent alors les répugnances qui se cachaient au fond de quelques esprits, ou qui se faisaient jour a mots plus ou moins couverts dans certains discours, vous avez pris un engagement dont la signification formelle était déterminée, et par les circonstances dans lesquelles le projet de loi vous était présenté, et par l'argument, par l'unique argument qu'on a fait valoir en sa faveur ; les circonstances, c'était l'état douloureusement troublé dans lequel avaient laissé le pays les tentatives de restauration monarchique ; (C'est vrai ! Très bien ! à gauche) l'argument, c'était le besoin d'assurer à un pays fatigué, irrité, et que l'inquiétude et la défiance conduisaient à sa ruine, un long repos. Tous ceux qui, ce jour-là, ont pris la parole pour défendre le projet de loi, ont conspiré à faire croire au pays que, pendant sept ans au moins, il vivrait, il travaillerait, à l'abri d'un pouvoir incontesté. Et quel pouvait être ce pouvoir, si ce n'était la République ? (Assentiment à gauche.)

Le pays demandait davantage, nous le savons bien, et c'est pour cela que nous avons combattu la loi mais il n'en a pas moins pris notre engagement au sérieux, et, si la confiance ne s'est pas rétablie ce n'est pas sa faute c'est qu'il n'a pas vu que cet engagement pris par le Cabinet fut justifié, fût confirmé soit par son langage, soit par ses actes.

La confiance ne s'est pas rétablie, parce que les lois que le Cabinet a demandées, obtenues ou annoncées, inquiètent le pays, parce que les procédés de Gouvernement qu'il (pratique inquiètent le pays. (Bravo à gauche. — Réclamations au centre et à droite.)

UN MEMBRE A DROITE ironiquement. — Le pays ne sera rassuré que par vous !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — La confiance ne s'est pas rétablie, parce que, lorsque le Gouvernement s'adresse au pays, comme au 24 Mai, comme au 22 Janvier, comme au 4 Février, lorsque, parlant à la France et contraint d'avoir égard à l'opinion, il déclare qu'il maintiendra les lois existantes et l'ordre légalement établi, il sent que le pays entend par Ia=la République, et lorsque, au contraire, il s'adresse à la majorité disparate qui le soutient, et qu'il parle de la nécessité de combattre le péril social, il veut que par ce péril vous entendiez la République. (Très bien ! très bien !)

De telle sorte que le pays, ne voyant qu'opposition entre les engagements pris par le Cabinet et sa conduite, que contrariété dans son langage, quand il s'adresse au pays et quand il s'adresse à vous, le pays ne sachant pas où vous voulez le conduire ni quels sont vos desseins, le pays garde ses défiances et reste en proie aux soupçons qui l'énervent et le ruinent. (Marques d'adhésion à l'extrême gauche.) Messieurs, si la situation générale et l'état des esprits n'ont pas notablement changé, non seulement depuis le 20 Novembre, mais depuis le 24 Mai, si, malgré les déclarations successives de M. le vice-président du Conseil, de M. le ministre du Commerce à Nevers et de M. le Président de la République devant le Tribunal de commerce', les inquiétudes subsistent, si le Cabinet, en butte aux défiances du pays, se voit exposé d'autre part aux objurgations et aux réclamations d'une partie de la majorité, c'est, Messieurs, qu'une équivoque déplorable a présidé à la loi du 20 Novembre, comme elle avait présidé à l'acte de 24 Mai.

Il importe, et je pense que personne ici ne me contredira, que cette équivoque qui a duré trop longtemps, soit, s'il se peut, dissipée. Le 24 Mai, le Cabinet actuel est arrivé au pouvoir, après quels efforts et combien de tentatives, tout le monde se le rappelle ! Il était alors rempli d'une confiance, qu'il me pardonne de le dire, un peu novice... (Rumeurs) il donnait à ses amis l'assurance un peu présomptueuse que sa seule présence sur ces bancs suffirait pour ramener l'opinion de la France dans ce qui lui paraissait être le droit chemin mais il s'est trouvé en présence d'une nation avide, je le crois, de réformes sérieuses, mais surtout impatiente de se reposer dans la République définitive, à l'abri des manœuvres des partis (Exclamations et rires a droite. Applaudissements sur quelques bancs à gauche) et il s'est trouvé, d'autre part, en présence d'une majorité diversement monarchique qui considérait la journée du 24 Mai comme sa victoire et qui avait la prétention d'en tirer profit sans délai. Et, en effet, les manœuvres monarchiques ont recommencé presque aussitôt, plus actives que jamais, avec la tolérance du Gouvernement, quelques-uns ont dit alors, et peut-être le croient encore à cette heure, avec sa protection et avec son concours. (Rumeurs à droite.)

M. TAILHAND. — Tout cela a déjà été dit !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Cette tentative a échoué elle a échoué avec éclat mais la nation en a gardé, à l'égard du Gouvernement, une défiance plus marquée. Elle a conservé des dispositions amères à l'égard de ce Gouvernement qui n'avait su ni empêcher, ni répudier à temps ces manœuvres et qui, après lui avoir promis le repos, la laissait, à peine délivrée de la présence de l'étranger, troubler jusqu'au fond par des agitations funestes. (Vives réclamations à droite. Applaudissements à gauche.)

C'est alors que la Prorogation a été imaginée. Contre les plaintes du pays et contre son mécontentement, le Gouvernement a bien compris qu'il n'avait de refuge que dans la République. (Rumeurs à droite.)

M. LE MARQUIS DE PLŒUC. — Laquelle ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Mais il a reculé, par instinct, par amour-propre, devant la nécessité qui lui était imposée, et à la place de la République définitive, il a imaginé une République momentanée, passagère, transitoire, une République de sept ans. Et pour la faire accepter de la nation, qui demandait la République définitive. (Allons donc ! Allons donc !)

M. LE COMTE DE RESSÉGUIER. — Proposez-la !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — ... et des royalistes eux-mêmes qui, malgré leur déroute, ne voulaient ni abjurer ni désarmer, il a enveloppé sa pensée et ses projets dans un langage obscur, et dont l'obscurité était faite pour gagner, pour flatter toutes les espérances et pour capter toutes les crédulités. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Aux uns il a laissé croire que, obligé de se résigner in extremis à la République, il fallait au moins s'assurer l'avantage de fixer et d'affermir pour sept ans le pouvoir entre les mains d'un homme qu'on disait étranger, supérieur aux partis et dont le nom, dans tous les cas, était propre à couvrir, à protéger les desseins conservateurs quels qu'ils fussent. (Mouvements divers.)

Aux autres il a laissé croire que la Prorogation n'avait qu'un seul but, qui était de combattre le péril social, c'est-à-dire de détruire en France l'esprit républicain (Ah ! Ah ! à droite) et que l'opinion républicaine, une fois domptée, une fois vaincue, refoulée, anéantie, que ce fut dans sept ans ou que ce fut dans trois mois, la Monarchie n'aurait plus qu'à occuper la place ainsi déblayée. (C'est cela ! — Très bien ! Très bien ! à gauche.)

Je ne dis pas que cela ait été l'objet d'un contrat formel. Non, je ne scrute pas les intentions du Cabinet ni de son chef. (Rires ironiques sur quelques bancs à droite.) Mais je dis que c'est ainsi que l'ont entendu un grand nombre des auxiliaires que M. le vice-président du Conseil a eus le 20 Novembre et s'il en doutait, je lui rappellerais les lettres pleines d'explications et de réserves écrites avant le vote et le lendemain du vote je lui rappellerais les lettres de M. Limasyrac, de M. de la Rochette, de M. Boyer, qui ont attiré si vivement et à si juste titre l'attention de la France. Je lui rappellerais les interprétations soutenues avec tant de suite et d'énergie par tous les organes de la presse royaliste et notamment par l'organe le plus autorisé, le seul vraiment autorisé de cette presse monarchique, l'Union, dont peu de personnes, je pense, de ce côté (la droite) seront tentées de récuser les explications et la politique (Dénégations à droite et applaudissements ironiques à gauche.)

M. LE MARQUIS DE LA ROCHETHULON. — Vous êtes dans l'erreur !

M. LE VICOMTE DE RAINNEVILLE. — Absolument !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — -Cette politique, du moins, si elle n'a pas l'assentiment de tous ces Messieurs, à l'assentiment du premier des légitimistes, de M. le comte de Chambord (Réclamations et interventions à droite) et j'en ai pour preuve.

A DROITE. — Qu'en savez-vous ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — La preuve, c'est la lettre qu'il a écrite à M. Laurentie, récompense d'une fidélité de cinquante ans.

VOIX A DROITE. — A la question ! à la loi des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — J'ajouterai encore pour preuve qu'ainsi a été entendue la Prorogation, que, depuis le 20 Novembre, cinquante-deux membres du Cabinet, des ambassadeurs, des membres de la Commission chargée d'organiser les pouvoirs du Maréchal, ont déposé et déposent encore tous les jours sur le bureau des pétitions dans lesquelles on demande la proclamation immédiate de la Monarchie de Henri V.

PLUSIEURS MEMBRES. — C'est leur droit !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — chose évidemment peu compatible avec la durée du Septennat que M. le vice-président du Conseil. (Vive approbation et applaudissements à gauche. Réclamations à droite.)

M. LE MARQUIS DE PLŒUC. — Voulez-vous supprimer le droit de pétition ?

M. LE BARON DE BARANTE. — Est-ce qu'on n'a pas déposé des pétitions demandant la dissolution ? Vous réservez-vous ce droit à vous seuls ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je dis qu'ainsi l'ont entendu un grand nombre des auxiliaires dont le vice-président du Conseil a eu besoin pour faire voter la loi de Prorogation, et je dois ajouter qu'il n'avait, jusqu'au 22 Janvier, rien fait pour les détromper. J'ajouterai encore que M. le vice-président du Conseil n'a pas le droit de s'étonner si aujourd'hui ces auxiliaires, ces partisans sous condition de la Prorogation, viennent en donner une interprétation qu'il répudie, en tirer des conséquences qu'il repousse. Personne parmi eux n'a certainement eu la pensée de le river au pouvoir pour sept ans. (Sourires à gauche. — Murmures au centre.) Mais il devait savoir, et c'est pourquoi il ne doit pas s'étonner s'il trouve aujourd'hui ses auxiliaires difficiles, chagrins et, qu'il me passe le mot, un peu ingouvernables ; il devait savoir qu'ils professent un principe devant lequel tout autre principe doit fléchir quand ils agissent ou qu'ils parlent, c'est en vertu d'un droit absolu auquel nul autre droit ne peut ni s'opposer, ni faire équilibre, et à côté duquel tout est expédient secondaire, tout est procédé transitoire et contingent, la Prorogation comme tout le reste. Ils ne sont point disposés a accepter pour sept ans la suspension de ce droit, car pendant ces sept ans peut sonner pour eux l'heure qu'ils attendent depuis si longtemps, l'heure de la victoire. (Bruit.)

On parle de mandat impératif, et nous avons vu, dans un projet déposé et distribué récemment, qu'on ne le comprend guère, et qu'on tend à le proscrire.

A DROITE. — A la question ! à la question !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Eh bien, plusieurs des auxiliaires de M. le vice-président du Conseil, au 20 Novembre, ont un mandat bien autrement impératif que celui qui peut être donné par des électeurs... (Rumeurs à droite.) C'est le mandat qu'ils tiennent, qu'ils croient tenir de la Providence qui les a envoyés ici. (Bruyantes interruptions à droite. — Vives marques d’assentiment à gauche.)

M. GASLONDE. — Parlez donc de la circulaire et de la loi des maires !

A DROITE. — Oui ! oui ! à la question ! à la loi des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je suis surpris, en vérité, que ces Messieurs ne voient pas que je suis au cœur de la question. (Mais non ! mais non ! à droite.)

Et maintenant, Messieurs, s'il m'était permis de m'adresser à ces royalistes inflexibles qui n'admettent pas que le droit monarchique puisse être ni diminué, ni suspendu, ni prescrit, je leur dirais qu'il y a un peu de leur faute, s'ils se sont trompés sur la Prorogation.

Dès le 5 Novembre, l'honorable M. Grévy les avait avertis que l'heure du repentir pourrait venir bientôt pour plusieurs, et cette heure est venue.

A DROITE. — Ah ! ah !

M. TAILHAND. — Qu'en savez-vous ?

M. LE MARQUIS DE DAMPIERRE. — Vous voyez donc dans toutes les consciences ? (Rires ironiques à gauche.)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je n'ai garde, Messieurs, de mettre en question leur bonne foi ; mais l'égoïsme des convictions politiques a ses calculs secrets qui se dérobent dans les replis de la conscience. Eh bien, ce jour-là, en votant ainsi la loi du 20 Novembre, en instituant un pouvoir si long, si exceptionnel, qu'ils comptaient armer d'une autorité plus exceptionnelle encore, ils ont cru fonder quelque chose d'assez semblable à un établissement monarchique, pour accoutumer la France à la royauté, de telle sorte que, non pas dans sept ans, mais bien avant, la France convertie glissât pour ainsi dire d'elle-même et sans s'en apercevoir dans la Monarchie. (Exclamations et mouvements divers.) Et ils ont cru, d'autre part, en établissant ainsi, au pied levé, d'une manière expéditive, en une soirée.

M. LE MARQUIS DE GRAMMONT. — Le 4 Septembre ? ...

M. CHALLEMEL-LACOUR. — ... à quelques voix de majorité, un pouvoir limité dans sa durée, et en le confiant à un homme dont les idées, peu connues ou neutres, étaient à leurs yeux un des mérites éminents, ils ont cru faire quelque chose d'assez semblable à la République, pour que le passage de ce qui existait à ce qui se faisait ne provoquât pas dans le pays un soubresaut redoutable. (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche.)

On a procédé ce jour-Jà, comme on avait procédé au 24 Mai, pour adoucir la transition d'un homme illustre dans la politique, à un homme inconnu dans la politique. (Rumeurs sur divers bancs.)

On a laissé croire, on a voulu que le pays fut persuadé que, d'ici a sept ans au moins, la République ne serait pas mise en question. C'est ce caractère à la fois monarchique et républicain de la Prorogation qui a, je crois, tenté un certain nombre de royalistes, qui les a induits à la voter. La combinaison était adroite, mais l'habileté même peut se prendre dans ses propres calculs, et, dans tous les cas, elle ne peut pas prévaloir contre la nature des choses.

Eh bien, le caractère républicain de la Prorogation a forcément et définitivement prévalu de telle sorte que, quelque amère que soit la déception de quelques-uns, il faut bien, si le Gouvernement se prend lui-même au sérieux, s'il veut inspirer quelque confiance au pays, qu'il se décide à s'appeler hautement, de son vrai nom, la République.

M. DE COLOMBET. — Vous ne l'avez pas votée, la Prorogation !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Personne d'entre eux n'a pu, ce jour-là, avoir la pensée de réserver, ni pour sept ans, ni pour un an, le droit de mettre en question, non pas seulement la durée du pouvoir qu'on établissait, mais son nom et son caractère.

Personne n'a pu avoir cette pensée, pour une infinité de raisons, parmi lesquelles il y en a deux qui me semblent décisives.

La première, c'est que, ce jour-là, vous promettiez à la France la sécurité et que, quelque vigilant que soit le pouvoir, il ne peut pas y avoir de sécurité sans un Gouvernement reposant sur un principe de droit, sur un principe incontesté, capable de se faire respecter et de se défendre. (Interruptions à droite.)

QUELQUES MEMBRES A DROITE. — Et la loi des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Vous n'êtes pas, Messieurs, permettez-moi de le dire, une Académie ; vous n'êtes pas un Concile qui puisse ici chercher à son aise, sans se presser, indéfiniment, la meilleure forme de Gouvernement vous ne pouvez pas suspendre la vie politique d'une nation. Il faut qu'elle vive à l'abri d'un Gouvernement défini, sérieux, puisant dans son titre et dans son origine le droit de se défendre et de protéger le pays. (Exclamations à droite Très bien ! à gauche.)

Et voici une seconde raison c'est que, s'il est rare qu'une nation se trouve dans cet état d'indifférence qui permette à une Assemblée de trancher par un vote ses incertitudes, la France n'est assurément pas dans cet état-là. Elle a fait son choix. La République a été assez hautement, assez longtemps, j'ajouterais assez sévèrement discutée et dans les principes qui la constituent, et dans les hommes qui.la représentent (Rires à droite), pour que la nation ait pu faire son choix à bon escient.

Ce choix, elle l'a fait. Il se peut que vous trouviez que la prédominance de l'idée républicaine soit un fait déplorable il se peut que vous la considériez comme un mal passager dont vous aurez raison, moyennant quelques remèdes énergiques et transitoires mais, quant au fait, vous ne pouvez le contester, et vous aurez beau en réduire la portée, il signifie, tout au moins, que la France ne veut plus de secousses, qu'elle veut s'en tenir à ce qu'elle a, c'est-à-dire à la République.

A DROITE. — Laquelle ? laquelle ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Vous me demandez laquelle ? (Oui ! oui à droite.) Mais vous ne comptez pas sans doute que j'improvise une Constitution républicaine à la tribune (Nouveaux rires à droite.) Je puis vous dire, néanmoins, que la République, que la France républicaine et que tout le monde veut de ce côté.

A DROITE. — Non ! non !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — C'est la République qui repose sur la souveraineté nationale sincèrement respectée, c'est-à-dire sur le suffrage universel. (Vive approbation à gauche.)

C'est la République qui repose sur le développement de tous les droits, sur le respect de toutes les libertés, sur le maintien inflexible du bon ordre et des lois... (Applaudissements sur divers bancs à gauche. — Exclamations à droite.)

M. DE RESSÉGUIER. — Alors ce n'est pas la vôtre l

M. DE MONTGOLFIER. — Est-ce la République comme à Lyon ? (Bruits.)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — C'est la République qui, résolue à se défendre contre tous les perturbateurs, anarchistes ou monarchistes. (Nouvelles exclamations à droite) n'en reste pas moins ouverte à tout le monde, parce qu'elle ne connaît ni caste, ni classe, et qu'elle ne tient compte que des services rendus et des bonnes volontés avérées. (Rires ironiques à droite.)

M. LE MARQUIS DE FRANCLIEU. — La République a toujours livré la France au premier venu !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — C'est la République qui, dans un pays longtemps monarchique et divisé entre tant d'opinions. (Rumeurs diverses), comprend qu'il n'y a de sûreté pour elle que dans les voies moyennes et veut rester à égale distance et de la routine obstinée et des changements précipités. (Applaudissements à gauche.) C'est une République où il y aura sans doute encore des diversités d'opinions, où il y aura des divergences et des partis, car il y a des partis sous tous les Régimes, excepté sous le despotisme absolu, mais où les partis ne triompheront, s'ils méritent de triompher, que par les voies laborieuses et sures de la publicité et de la discussion. (Applaudissements à gauche. Exclamations à droite.)

M. LE PRÉSIDENT. — Je prie qu'on n'interrompe pas. Les interruptions ne servent qu'à passionner le débat.

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Permettez-moi, Messieurs, de revenir à la question qui nous préoccupe.

Je vous disais que l'opinion de la France est fixée et détermine le sens qui, selon nous, est celui de la Prorogation. J'arriverais bien tard, vous le comprenez, pour m'expliquer sur le pouvoir constituant que vous avez revendiqué je n'en ai nullement la pensée mais il me sera permis de dire, au moins, que, dans l'esprit même de ceux qui sont le plus disposés à l'étendre, ce pouvoir à sa limite. Il se borne, et c'est déjà beaucoup, a recueillir le principe qui vous est donné par les événements, par la situation générale du pays, par l'état des esprits et des opinions l'exercice de ce pouvoir suppose nécessairement un certain accord, une certaine entente entre vous et le pays et vous l'avez bien compris, puisque vous attendez depuis trois ans, vous attendez, contrairement à toute logique, au risque d'épuiser ce pouvoir en tentatives partielles, en organisation de détails, vous attendez que cet accord rompu, presque au lendemain de, votre réunion, se rétablisse, nous ne savons par quel miracle. Quand cette Assemblée serait souveraine, d'une souveraineté absolue comme quelques-uns l'entendent, l'opinion de la France, la France, ne seraient pas entre ses mains comme une matière inerte, qu'elle pût vouloir, sans excéder son pouvoir aussi bien que son droit, pétrir à son gré.

Et si on essayait, si on espérait, par lassitude, ou par séduction, ou par intimidation, changer cette direction puissante de l'opinion, on tenterait une œuvre inutile, je le crois, mais on tenterait surtout une œuvre pernicieuse et corruptrice, en apprenant à cette nation que les opinions les plus réfléchies, que les principes les plus chèrement conquis ne sont rien que la sagesse consiste à en changer avec les Gouvernements, et qu'il faut, en un mot, que l'esprit suive toutes les vicissitudes de la force. Eh Messieurs, c'est l'exemple donné par le 2 Décembre, par le Gouvernement de l'Empire, et les conséquences en pèsent encore cruellement sur nous. (Applaudissements à gauche.)

Je crois que cet état de l'opinion du pays impose au Gouvernement l'obligation stricte de s'expliquer enfin avec clarté sur le caractère de la Prorogation, et nous espérons qu'il ne viendra pas, pour toute réponse, nous redire que la Prorogation, c'est la trêve des partis, ou bien qu'il ne nous ajournera pas aux lois constitutionnelles. Et laissez-moi, sur ces deux points, vous soumettre de courtes observations. (Mouvements divers.) La trêve c'est le mot d'ordre que vous aviez adopté dès votre réunion à Bordeaux c'était la devise du Pacte de Bordeaux, c'est la formule que tout le monde a répétée pendant deux ans et, quand on songe au fractionnement des partis dans cette Assemblée, aux contre-coups que des discussions nécessairement sans issue auraient eus sur le pays, à la présence de l'étranger sur le sol français quand on songe surtout au désaccord qui s'était manifesté entre une grande partie, entre la majorité du pays, c'est notre conviction, et la majorité de cette Assemblée, il fallait bien accepter la trêve des partis.

VOIX A DROITE. — A la question ! Les maires ! les maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Qu'est-ce que cela signifiait ? Cela signifiait qu'il fallait attendre qu'il fut établi par les faits (A la question !) qu'on pût savoir, par les faits, si la même division, le même fractionnement, la même incertitude régnaient dans le pays, ou bien s'il n'en sortirait pas un vœu dominant, irrésistible, auquel tout le monde fût obligé de se ranger. (Très bien ! très bien ! et applaudissements à gauche.)

A DROITE. — Et les maires ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Encore une fois, vous pouviez bien ajourner vos décisions, ajourner des débats qui eussent été, pour le pays, sans profits ; mais ce que vous ne pouviez pas empêcher, c'est le développement de l'opinion dans le pays, c'est que la lutte ne se poursuivît entre les divers partis dans les élections, dans la presse, ardente et passionnée.

Les opinions se sont mesurées, en effet. Une de ces opinions a fini par dominer, et certes les faveurs, s'il y a eu des faveurs, non seulement depuis le 24 Mai, mais auparavant, n'ont pas été pour cette opinion qui l'a emporté. (Mouvements divers.)

La trêve, c'était un délai nécessaire donné au pays pour s'expliquer plus clairement qu'il ne l'avait fait au 8 Février 1811. Le pays s'est expliqué depuis lors avec une clarté qui ne permet pas désormais de s'abuser sur ce qu'il veut, et le temps des délais, qui ne pouvaient être éternels, est à présent passé.

Je le répète, une opinion a triomphé ; elle l'emporte dans les élections.

UN MEMBRE A DROITE. — Pas dans les élections des Conseils généraux.

UN AUTRE MEMBRE A DROITE. — Parlez donc des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Et quant au Gouvernement, la trêve signifiait qu'il avait le devoir de ne point user des moyens qui lui appartiennent pour avancer frauduleusement les affaires d'un parti, qu'il devait maintenir avec sincérité le fait existant et vous apporter, de temps en temps, des informations sur l'état du pays, en vous soumettant les conclusions pratiques qu'il convenait, selon lui, d'en tirer.

C'est, Messieurs, ce qu'a fait le Gouvernement antérieur au 24 Mai.

Direz-vous que l'opinion publique imposait au Gouvernement un autre devoir encore celui de gouverner sans un principe régulateur, sans un titre avoué, sans règle, ou du moins, sans autre règle que celle de combattre le péril social, c'est-à-dire l'esprit républicain ? Car nous savons bien, par les explications qui ont été tant de fois apportées à cette tribune, que, dans la bouche do MM. les ministres, les deux mots sont équivalents. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Mais, Messieurs, j'ose dire que c'est là une prétention insoutenable, une impossibilité ; j'ose dire que c'est là une neutralité chimérique. Il faut bien une direction ; il faut bien que le Gouvernement imprime une direction à ses agents ; qu'il leur trace une règle uniforme ; que sa propre conduite, que son langage procèdent d'une pensée suivie.

Eh bien, Messieurs, le Gouvernement qui a précédé le 24 Mai puisait cette règle dans l'opinion publique ; il la trouvait dans le maintien du fait existant qui lui avait été confié.

Il est venu vous le déclarer avec loyauté dans le Message du 13 Novembre et c'est pour cela, c'est pour vous débarrasser d'un Gouvernement que vous accusiez d'avoir trompé vos espérances, d'un Gouvernement à la prétendue connivence duquel vous imputiez, bien à tort, le progrès des opinions républicaines, c'est pour vous défaire du vieux et intelligent pilote. (Murmures à droite — Applaudissements répétés à gauche, auxquels répondent quelques applaudissements ironiques à droite.) Je remarque de ce côté (l'orateur se tourne vers la droite) des applaudissements ironiques que je ne comprends guère, car, enfin, c'est sur ces bancs que siègent ceux qui se plaignent de la diminution du respect et qui ont la prétention de le restaurer dans notre pays, et ils ne peuvent pas laisser passer, sans le couvrir de leurs murmures, un des plus grands noms parlementaires de France (Bravos et acclamations à gauche.)

M. DE GAVARDIE. — Vous l'avez insulté vous-même dans votre journal

A GAUCHE. — Allons donc ! N'interrompez pas ! Laissez parler !

M. LE PRÉSIDENT. — Veuillez ne pas interrompre, Monsieur de Gavardie !

M. DE GAVARDIE. — Je répète que M. Thiers a été en butte aux insultes de certains Républicains.

DIVERS BANCS A GAUCHE. — Non ! non ! jamais !

M. DUSSAUSSOY. — Ils l'ont appelé « cheval de renfort ! »

M. CHALLEMEL-LACOUR. — C'est, dis-je, pour vous débarrasser de ce guide intelligent et sûr, qui, consultant tout le monde, sait avec quelle circonspection, avec quelle lenteur presque craintive, l'opinion publique, se décidait à mettre le cap sur la République ; c'est pour vous en débarrasser, qu'à l'aide d'une majorité de coalition, vous avez fait le 24 Mai.

A DROITE ET AU CENTRE. — Les maires ! les maires ! Parlez donc de l'application de la loi des maires i

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je ne pense pas que le Cabinet se flatte que le pouvoir Présidentiel institué le 24 Mai et prorogé le 20 Novembre puisse tenir une conduite bien différente. S'il le croyait, les objurgations et les reproches d'un certain nombre de ses auxiliaires de ce jour-là lui prouveraient à quel point il se trompe ; car enfin, le Cabinet n'a pas la prétention que ce pouvoir Présidentiel puisse, pendant sept ans, gouverner sans un principe et sans un but politique ; il n'a pas la prétention de n'être, pendant sept ans, ni la Monarchie, ni la République, d'être un Gouvernement sans nom, qui ne trouve aucune place dans les classifications connues, qu'on appellera tantôt pouvoir nouveau, comme si la nouveauté était un titre, tantôt Gouvernement conservateur, comme si tout Gouvernement n'avait pas la prétention d'être conservateur. (Exclamations et rires à droite et au centre) oui, Messieurs, et quelques-uns à meilleur titre que celui-ci. (Approbation du côté gauche.)

Il est bien facile d'éviter de prononcer dans ses discours le nom de République ou le nom de Monarchie il est bien facile de s'envelopper dans des expressions générales qui donnent, peut-être, au langage de la noblesse, mais qui lui donnent, à coup sûr, encore plus d'obscurité. (Très bien ! très bien ! à gauche.) Mais ce qui n'est pas facile, c'est de gouverner sans un principe ; c'est d'assurer la confiance, de calmer les inquiétudes, quand on ne se réclame pas d'un droit positif et incontesté.

Je ne crois pas que M. le vice-président du Conseil veuille ajourner sa réponse jusqu'aux lois constitutionnelles. Tout le monde se rappelle ce qui s'est passé à l'égard des lois constitutionnelles. Dès le 5 Novembre, l'honorable M. Grévy et l'honorable M. Dufaure vous avaient demandé de les rattacher au projet de Prorogation. La Commission chargée d'examiner ces pouvoirs vous avait fait la même demande. Vous crûtes bien faire, Messieurs, de voter d'avance, à part, isolément, la Prorogation, en vous appuyant sur une raison d'urgence dont tout le monde n'était pas également convaincu. Mais, en même temps, vous décidâtes que ces lois constitutionnelles viendraient le plus tôt possible. Tous les orateurs qui vinrent à cette tribune soutenir le projet de loi, M. Depeyre, M. de Goulard, M. le vice-président du Conseil, y engagèrent leur parole, j'ai presque dit leur honneur.

Eh bien, personne, à ce moment-là, personne, au moment où vous décidiez qu'une Commission serait nommée dans les trois jours, pour examiner les lois constitutionnelles déposées par M. Dufaure, personne ne pouvait s'y méprendre. Vous pouviez bien songer, comme sans doute y avait songé lui-même le premier auteur du projet de loi, à jeter les bases d'un Gouvernement soustrait aux fluctuations de l'opinion, capable de se défendre contre toutes les attaques, armé de précautions, peut-être superflues, contre les périls réels ou imaginaires des emportements d'une Assemblée unique ou d'une législation de classe.

QUELQUES MEMBRES A DROITE. — Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Mais personne, alors, ne pouvait songer à faire des lois constitutionnelles banales...

A DROITE. — Au fait ! Parlez donc des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — ... qui pussent s'adapter indifféremment a. la République ou à la Monarchie. Cela eût été dérisoire.

Pourquoi donc, Messieurs. (Interruptions.)

Que signifiait donc le vote de la loi de Prorogation, avant le vote des lois constitutionnelles dont vous avez décidé l'examen ? Cela signifiait que, obligés d'organiser la République, vous vouliez au moins vous assurer, pour un long temps, le nom de celui qui en serait le Président, à cause de ce nom d'abord, et ensuite afin d'exclure de toute compétition d'autres noms qui, peut-être, vous agréaient moins. Cela signifiait que, obligés de subir une obligation qui vous était pénible, vous vouliez la compenser par un avantage qui vous semblait précieux ; vous faisiez une loi extraordinaire à tous les points de vue, afin d'atténuer l'ennui, désormais inévitable, d'organiser la République. (H ?'t<<.) Je crois, Messieurs, que ces circonstances que j'ai cru devoir vous rappeler suffisent pour montrer que les lois constitutionnelles, quelles qu'elles soient, ne sauraient altérer essentiellement le pouvoir constitué le 20 Novembre. Et si M. le vice-président du Conseil persistait a en laisser le caractère indéterminé jusque-là, qu'il me permette de lui dire quelle serait la situation, au moment de la discussion des lois constitutionnelles.

Nous ne savons pas, Messieurs, combien de temps nous séparé encore de ces lois constitutionnelles. Et à voir à quelles études approfondies et diverses se livre, pour l'instruction de la France, la Commission que vous avez chargée de les élaborer, elle peut n'être pas, d'ici à bien longtemps encore, prête à vous apporter ses conclusions. Eh bien, je demande quelle peut être l'autorité du Gouvernement jusque-là, quelle peut être son autorité dans l'attente du jour qui mettra une fois de plus en question et sa durée et son caractère et l'avenir même de la France.

Et lorsque viendra cette discussion, lorsque ceux qui n'ont voté la Prorogation que comme une convention, qui n'ont accepté le pouvoir Présidentiel de sept ans que comme un pis-aller, comme un en-cas, et, permettez-moi de le dire, malgré la familiarité de l'expression, — que comme un bouche-trou... (Oh ! oh ! à droite et au centre droit.)

PLUSIEURS MEMBRES. — Ce n'est pas convenable !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — ... comme un suppléant provisoire, si vous aimez mieux, destiné à occuper temporairement la place qui, dans leur conviction indestructible, appartient à une autre, lorsqu'ils viendront demander l'exécution de la convention, je demande quelle sera la situation du Cabinet ? Et si, d'aventure, si contre toute vraisemblance, si malgré le cri de l'opinion, le principe monarchique était proclamé, était imposé à la France, ce que je ne crois pas, ce qui est impossible, mais permettez-moi l'hypothèse, je demande quelle serait la situation du pouvoir du 20 Novembre ? Cédera-t-il, après tant de déclarations réitérées à la face du pays ? Ou bien, aura-t-il la prétention de maintenir la Monarchie en quarantaine pendant sept ans, de maintenir, comme on l'a dit, pendant sept ans, le bannissement légal du comte de Chambord ? Aura-t-il la prétention de tenir la France, pendant sept ans, sous la menace d'un tel changement ? Donnera-t-il sept ans aux projets pour se mûrir, aux partis pour fourbir leurs armes, aux faiseurs de coups d'Etat pour dresser leurs batteries. (Mouvements.) Je dis que la raison se trouble à contempler la situation d'un peuple en présence d'un tel avenir. Est-ce là ce que vous appelez bon ordre, sécurité, confiance ? Et si un pareil état est trop violent pour durer sept ans, je demande quel fond le pays peut faire sur les déclarations du Cabinet, à moins que M. le vice-président du Conseil ne sorte, enfin, de ces déclarations évasives, dont il a usé trop longtemps, pour permettre à toutes les espérances de les interpréter à leur gré et, à moins qu'il ne vienne nous dire quelles sont ces lois existantes, quel est cet ordre légal établi, quelles sont ces institutions qu'il prend l'engagement de maintenir. (Très bien ! à gauche.)

Cela, Messieurs, est nécessaire pour que la confiance se rétablisse à l'intérieur cela n'est pas moins nécessaire pour faire naitre la confiance que la France a besoin d'inspirer au dehors. (Mouvements divers.) La question est assez grave pour mériter de votre part encore quelques minutes d'attention. (Les maires ! les maires ! à droite — Parlez ! parlez ! à gauche.)

UN MEMBRE A DROITE. — L'orateur parle depuis près de deux heures, et il n'a pas encore dit un mot des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je dis, Messieurs, que je n'aborde que malgré moi... (Oh ! oh !) parce que je crois obéir à un devoir strict, une question qu'il ne faut toucher qu'avec une extrême discrétion celle de nos relations avec le reste de l'Europe. (Exclamations à droite.)

M. GASLONDE. — Cela n'a aucun rapport avec la loi des maires, aucun !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Tout ce qui touche à cette question mérite l'attention de l'Assemblée, d'une Assemblée française. (Rumeurs.)

M. LEPÈRE. — Parlez ! parlez ! Honorez la tribune française. (Exclamations ironiques à droite.)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je ne citerai point de faits ; j'en aurais d'anciens, j'en aurais de récents à citer je les passerai sous silence. La seule chose qui nous convienne, c'est d'en dévorer l'amer souvenir.

Mais je vous demande si vous croyez, en supposant au Gouvernement et à tous ses agents toute la bonne volonté, toute l'habileté du monde, je demande si vous croyez que sa diplomatie puisse agir efficacement, que le Gouvernement puisse être écouté, s'il se considère lui-même comme un Gouvernement d'expédient, s'il admet seulement l'hypothèse qu'il puisse être, dans un temps plus ou moins long, plus tôt ou plus tard, évincé par un Gouvernement d'un caractère* différent et de tendances inconnues. Je crois au patriotisme de tous les Gouvernements, mais, pour être écouté, pour être ménagé, pour être respecté, le patriotisme ne suffit pas. Il faut la suite, la durée, la durée qui ne tient pas aux personnes, mais qui tient à la permanence des principes. (Rires à droite.)

Eh bien, je demande quelle peut être au dehors le crédit d'un Gouvernement qui n'ose pas dire son nom, d'un pouvoir et d'un peuple qui se trouvent en présence d'une Révolution, à échéance fixe, la plus pleine d'inconnu, la plus grosse de péril qui se puisse imaginer.

Je vous dis, Messieurs, que, quand ce Gouvernement devrait durer sept ans entiers, s'il ne se réclame pas d'un principe, s'il n'a pas un avenir plus assuré et plus certain, il est impossible qu'il parle au dehors un langage digne de la France il est impossible qu'il assure au pays la sécurité. (Mouvements à droite.)

Je m'arrête, Messieurs, et bien que vos murmures me prouvent que j'ai trop longtemps abusé de votre attention, je suis, bien malgré moi, obligé de vous retenir encore quelques instants. (Parlez ! parlez !)

Si, Messieurs, conformément aux déclarations réitérées de MM. les ministres et du Président de la République, selon la lettre de la loi, le pouvoir Présidentiel doit nous régir pendant un certain nombre d'années, nous avons le droit, nous avons le devoir de nous intéresser à sa dignité et à sa force.

Eh bien, l'honorable M. Grévy vous avertissait, le 20 Novembre, dans le cours de la discussion, que vous alliez créer un Gouvernement plus faible que celui qui l'avait précédé.

Cette parole d'un esprit clairvoyant, d'une intelligence vraiment politique, je crois qu'elle est justifiée ; s'il est vrai, comme le disait M. le vice-président du Conseil, que la force d'un Gouvernement consiste surtout dans l'opinion qu'on a de sa force, celui du 20 Novembre en est dépourvu. On a des doutes sur sa force, on a des doutes sur son avenir, et ces doutes ne sont que trop justifiés. A voir de quelle manière il est mis en discussion, à lire les lettres qui ont été écrites, avant et après le vote de la loi, par ceux mêmes qui l'ont votée, il est impossible qu'on ne soit pas tenté de considérer ce Gouvernement comme un pur expédient.

Mais, Messieurs, la France a lu la lettre de M. Rouher, cette lettre où, après avoir éconduit, avec un sans-façon qu'il ne m'appartient pas de qualifier, toutes les Monarchies rivales, pour ne laisser en présence que la République et l'Empire, le chef des Bonapartistes, leur conseiller, traite le pouvoir Présidentiel comme un Gouvernement déjà presque caduc, prend en pitié sa débilité, le recommande d'un ton protecteur aux ménagements dédaigneux, aux respects extérieurs de ses amis, en considération du seul mérite qu'il reconnaisse au Septennat celui d'acheminer la France à l'Empire, c'est-à-dire à la ruine finale et au déshonneur. (Bravos et applaudissements à gauche.)

M. LE MARQUIS DE LA ROCHEJAQUELEIN. — C'est malheureusement vrai !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — La France entend parler depuis quelques jours de ces promenades, de ces démonstrations en Angleterre. A l'heure où je vous parle, elle lit ces Manifestes, ridicules sans doute, mais encore plus insolents, qui sont une insulte à la loi, mais qui sont surtout une humiliation pour le Cabinet. (Applaudissements répétés à gauche.)

M. ANDRÉ (de la Charente). — Notre parti s'incline devant la souveraineté nationale ! (Bruits.) Il demande l'appel au peuple et vous, vous le repoussez !

A GAUCHE. — A la tribune l'interrupteur ! On n'a pas entendu !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Eh bien le pays qui voit, non seulement le parti légitimiste, mais encore la faction bonapartiste, malgré le double vote de déchéance que vous avez prononcé contre la dynastie du 2 Décembre et de Sedan. (Vifs et bruyants applaudissements à gauche), le pays qui la voit étaler ces espérances, ouvrir dès à présent le chapitre des accidents imprévus et divers, qui peuvent abréger à son profit la durée du pouvoir Présidentiel le pays, qui voit cette faction passer en revue ses forces, presque sous les yeux et comme avec la permission du pouvoir. (Dénégations sur plusieurs bancs à droite. — Très bien ! et nombreux applaudissements à gauche.) comment ce pays, qui ne sait pas pour combien le calcul et l'illusion entrent dans ces fanfaronnades des partis, ne serait-il pas inquiet, comment s'assurerait-il en vos déclarations ?

Croyez-vous qu'il suffise d'une dépêche comme celle du 19 Février, dépêche si bénigne qu'elle pourrait, en vérité, avoir été dictée par M. Rouher, ou corrigée de sa main. (Exclamations à droite. — Bravos et applaudissements à gauche à gauche.) Je demande s'il est possible qu'un pouvoir né d'une coalition et dont on voit ainsi les partis se disputer, dévorer tous les jours le prochain héritage, je demande si ce pouvoir peut inspirer confiance, ou bien si on n'est pas conduit, comme par force, a croire qu'il est, malgré lui, je le crois, à son insu, je le pense, je ne dirai pas l'instrument, mais au moins le paravent, derrière lequel se cachent des projets opposés, mais également inquiétants. (Nouvelle et vive approbation à gauche.)

M. ANDRÉ (de la Charente). — C'est ainsi que vous entendez la liberté !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Et cependant, Messieurs, ce pouvoir est un pouvoir responsable ; il répond de la sécurité, il répond de la paix intérieure qu'il a promise à la France ; il a besoin d'être fort et nous voudrions qu'il le fut. (Rumeurs dubitatives et rires ironiques à droite et au centre !)

A GAUCHE. — Oui ! Oui ! C'est vrai !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — La Démocratie, Messieurs, n'aime pas les Gouvernements sans force. (Ah ! Ah ! — Vive interruption.)

VOIX A DROITE. — Vous l'avez prouvé !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Elle les méprise, elle les redoute, comme une proie promise a. l'anarchie ou à l'usurpation. (Très bien ! Très bien ! à gauche.)

Mais je crains que le Cabinet ne se méprenne sur les conditions de la force. Il ne suffit pas, pour la posséder, d'être constamment armé en guerre contre un désordre matériel dont on n'aperçoit les traces nulle part, il ne suffit pas de dissoudre les cercles, de fermer les cafés, de supprimer les journaux, de remplacer par milliers les municipalités républicaines. (Interruption prolongée.)

VOIX DIVERSES A DROITE ET AU CENTRE. — C'est votre politique ! C'est ce que vous avez fait. Remember !

M. LE PRÉSIDENT. — Je réclame le silence.

M. DE GAVARDIE, s'adressant avec vivacité à l'orateur. — Vous parlez de Gouvernement faible... (Exclamations à gauche. N’interrompez pas !) Vous avez laissé assassiner... (Oh ! oh !) le commandant Arnaud à Lyon. (Bruyante agitation.)

M. Challemel-Lacour échange, à voix basse, quelques paroles avec M. le président.

M. LE PRÉSIDENT. — J'invite M. de Gavardie à expliquer ses paroles.

A GAUCHE. — Non ! non ! Ce n'est pas la peine !

M. LE MARQUIS DE DAMPIERRE. — Il s'expliquera tout à l'heure.

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Tout cela n'es), pas la force, ce n'en cet que l'apparence, ce n'est qu'un vain épouvantail. L'honorable M. Lucien Brun a signalé un jour au Cabinet sa faiblesse, et il lui en adonné le secret : c'est que l'autorité lui manque. M. Lucien Brun, bien entendu, plaçait cette autorité dans le principe monarchique où, selon nous, elle ne réside pas mais il n'y en avait pas moins un grand fond de vérité dans ses paroles, car l'autorité ne résulte pas de la force brutale dont on est armé elle résulte de l'ascendant qui dispense de s'en servir. (Très bien ! Très bien ! à gauche.) Elle ne résulte pas des lois d'intimidation qu'on sollicite et qu'on obtient, dévoilant ainsi sa faiblesse, mais du principe au nom duquel on les applique. Eh bien quel est votre ascendant ? Quel est votre principe ? Vous n'en avouez aucun, car vous conviendrez bien que votre fiction de péril social n'est pas un principe. (Nouvel assentiment à gauche.)

M. LE COMTE DE TREVENEUC. — C'est un fait malheureusement.

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Il y a, Messieurs, une autre condition de force dont aucun Gouvernement, quels que soient son nom et son origine, n'a jamais pu se passer ; les Gouvernements despotiques eux-mêmes, en leurs jours de prudence, n'ont pas été les moins attentifs à s'assurer cet appui cette condition, plus nécessaire à un Gouvernement de discussion qu'à tout autre, c'est un certain accord avec l'opinion dominante, avec la masse des intérêts, j'oserais presque dire avec les passions du pays.

Eh bien, cette opinion dominante, que vous avez tant besoin de reconquérir et de ramener à vous, vous la froissez tous les jours. (Très bien ! sur quelques bancs à gauche) ; depuis dix mois que vous existez, vous n'avez su ni la retenir ni la comprendre. (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.) Les intérêts, vous les défiez, vous les négligez cette masse des intérêts vous l'avez qualifiée vous-mêmes ici de brutalité du nombre... (Très bien ! sur les mêmes bancs) et depuis nous avons souvent entendu parler — nous en avons eu les oreilles rebattues, — de la représentation des intérêts, paroles dans lesquelles tout le monde a reconnu le langage éternel des prétentions oligarchiques... (Rumeurs et chuchotements à droite) comme si, dans les Démocraties, tous, les petits comme les grands, n'avaient pas des intérêts, et comme si ces grands intérêts qui ont le privilège de vous préoccuper ne pouvaient être rassurés qu'à la condition d'exclure les petits, c'est-à-dire le grand nombre, de toute participation à la gestion des affaires locales et des affaires publiques. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Cette opinion générale, cette opinion dominante, elle s'est assez manifestée, depuis trois ans, dans cette longue suite d'élections qui commencent au 18 Avril d8' ?i, et qui se continuent maintenant de mois en mois ; elle s'est manifestée également dans ces démarches, dans ces délégations, dans ces adresses qui ont été, pendant la prorogation de l'Assemblée, bien plus encore que la lettre du 27 Octobre, le véritable écueil de la tentative monarchique.

PLUSIEURS MEMBRES A GAUCHE. — Voilà la vérité !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Eh bien, au lieu de vous rapprocher de l'esprit public, pour exercer sur lui une action légitime, vous vous en éloignez de plus en plus, vous couvrez de qualifications dures l'opinion qui vous déplaît. Ce peuple républicain (Rumeurs à droite), vous le froissez, vous le blessez, tantôt en lui disant que cette République, à laquelle il est attaché, ne peut être que le chaos, tantôt en lui répétant, au contraire, que c'est un régime pour lequel il n'est point fait, que c'est un régime qui exige des idées des vertus qu'il n'a pas. Comme si, à l'heure qu'il est, cette nation, labourée par les Révolutions,

M. RIVAILLE. — A qui est-ce dû ?

M. CHALLEMEL-LACOUR. — revenue de toutes les dynasties, avait ou pouvait jamais reprendre les idées, les dispositions, les habitudes sans lesquelles un établissement monarchique est un établissement précaire ou plutôt reste toujours la plus impraticable des utopies. (Vive approbation à gauche. Exclamations ironiques à droite.)

VOIX AU CENTRE. — Et l'Angleterre, et la Belgique !

M. GASLONDE. — Parlez des maires !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Je n'ai plus que quelques mots à dire. Messieurs.

QUELQUES MEMBRES. — Ah ! ah !

D'AUTRES MEMBRES. — Parlez ! parlez !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — et quoi que je puisse faire, j'ai bien peur que ces quelques mots mêmes, vous ne puissiez les écouter en silence. (Rumeurs et chuchotements.)

Assurément, M. le vice-président du Conseil ne croit pas qu'un Gouvernement soit fait pour être commis aux soins de la sécurité matérielle, rien de plus qu'il ne soit fait que pour gérer, tant bien que mal, les affaires d'un pays et surveiller ses mouvements il ne le croit pas, puisque, depuis dix mois et plus, il affiche la prétention de rétablir l'ordre moral, c'est-à-dire, en langage plus simple, de mettre sa petite sagesse à la place de la sagesse du pays. (Rires approbatifs à gauche.) Et la preuve, c'est précisément l'application qui a été faite de la loi des maires.

A DROITE. — Ah enfin !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — J'ai mieux aimé finir par là. Quelques paroles de la circulaire nous avaient porté à croire que le vice-président du Conseil, ministre de l'Intérieur, avait l'intention de faire de cette loi, si vivement sollicitée, une application prudente. Il écrivait à ses préfets « Vous appliquerez la loi actuelle avec l'esprit d'équité que je vous recommande. Ai-je besoin d'ajouter que vous n'avez, dans le choix des maires, aucune exclusion systématique à prononcer pour des raisons purement politiques ? » (Rires à gauche.)

Voilà ce qu'il disait, et qu'avons-nous vu depuis six semaines ? Le Journal officiel a donné chaque matin à la France le spectacle d'une orgie de révocations. (Exclamations au centre et à droite. — Quelques cris : A l'ordre !) Les hommes que vous en avez exclus, ce ne sont pas les administrateurs malhabiles, ce ne sont pas ceux dont la probité était attaquée, ce ne sont pas ceux que vous accusiez de manquer de courtoisie à. l'égard de vos préfets ; les noms de ceux que vous avez exclus résument, presque toujours, la considération publique, la dignité de la vie... (Réclamations et rires à droite. — Applaudissements à gauche et au centre gauche.)

M. RICARD. — Oui ! oui ! c'est vrai ! Très bien !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — l'autorité du caractère, la modération dans les idées, les services rendus. Ce sont des noms qui sont l'honneur et la force du Gouvernement qui sait se les attacher, qui sont la condamnation de celui qui les éloigne. (Bravos et applaudissements au centre gauche et à gauche.) Quand on vous voit frapper des hommes comme M. Fourcand, comme M Lenoël, comme M. de Tocqueville, comme MM. Paye, Margaine, Deregnaucourt et mille autres. (Rires sur quelques bancs), comme M. Delacroix, comme M. Rameau.

UNE VOIX A DROITE. — C'est le massacre des innocents !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Que voulez-vous que pense la France, sinon que, lorsque vous parliez d'une ici d'intérêt général, vous la trompiez, vous ne songiez qu'à faire une loi de parti ? (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Je demande de quel nom vous voulez qu'on appelle une telle politique ? Oserez-vous dire que c'est la trêve ? Et dans le cas où vous le diriez, osez-vous espérer qu'on vous croie ? Pour reconquérir la France, vous commencez par exclure tous ceux que ta France estime et qu'elle choisit depuis trois ans. (Très bien ! très bien ! à gauche.) Système déplorable, système dangereux, qui, s'il durait longtemps et si vous étiez assez forts, inquiéterait justement tous ceux qui ont appris dans l'histoire qu'après avoir commencé par exclure, on finit souvent par proscrire. (Oh ! oh ! à droite. Très bien ! très bien ! à gauche. Sourires ironiques au banc des ministres.)

M. le vice-président, du Conseil ne refusera pas sans doute d'apporter à la tribune quelques explications sur des procédés qui ne nous paraissent point en parfait accord avec l'esprit de la loi, mais qui sont, dans tous les cas, en contradiction formelle avec l'esprit et avec le langage de sa circulaire.

Là toutefois n'est pas notre question principale. Nous espérons qu'il voudra bien venir définir à cette tribune le caractère vrai de la Prorogation et le faire en des termes assez clairs cette fois pour rassurer le pays et y faire naître la confiance. (Oh ! oh ! à droite.)

PLUSIEURS MEMBRES A DROITE ET AU CENTRE. Ah ! voilà !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Au surplus, afin d'éviter toute surprise et pour plus de précision, j'ai rédigé par écrit les deux questions... (Exclamations à droite.)

UN MEMBRE A DROITE. — Un questionnaire !

M. GASLONDE. — On vous répondra par écrit, alors !

M. CHALLEMEL-LACOUR. — ... que nous prenons la liberté d'adresser à M. le vice-président du Conseil... (Exclamations et rires à droite. Applaudissements à gauche.), et dont j'aurai l'honneur de lui laisser le texte, en le déposant sur la tribune. (Nouveaux rires à droite. — Nouveaux applaudissements à gauche.)

M. MONNET. — Il faut les signifier au Gouvernement par ministère d'huissier. (Rires et bruits à droite.)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Nous demandons, en premier lieu, à AI. le ministre de l'Intérieur, si, en déclarant ; dans la circulaire du 22 Janvier, le pouvoir du Président de la République élevé, dès à présent, et pour toute la durée que la loi lui assigne, au-dessus de toute contestation, il n'a pas entendu déclarer que toute tentative de restauration monarchique était, dès à présent interdite.

M. DAHIREL. — Allons donc ! (Applaudissements ironiques à gauche.)

M. CHALLEMEL-LACOUR. — Nous lui demandons, en second lieu, s'il ne se propose pas de veiller désormais à l'exacte application des lois qui punissent, comme délictueux, tous les actes et manœuvres quelconques ayant pour objet. de changer la forme du Gouvernement établi. (Exclamations à droite. Applaudissements répétés et prolongés à gauche.)

 

L'orateur, en retournant à sa place, reçoit les félicitations de ses collègues. Un grand nombre de membres se lèvent et quittent leurs places. M. le duc de Broglie, vice-président du Conseil, qui est monté à la tribune presque immédiatement après que M. Challemel-Lacour s'en est retiré, en descend lui-même et va se mêler aux groupes qui se forment dans la salle. La séance reste suspendue de fait pendant plus de vingt minutes.