HISTOIRE DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL

 

CHAPITRE VII. — LE DEUXIÈME MINISTÈRE DUFAURE. - FIN DE LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL.

Du 13 Décembre 1877 au 4 Février 1879.

 

 

Le Cabinet du 13 Décembre 1877. — Compétence et effacement des ministres. — Le Message du 14 Décembre. — Vote de deux douzièmes. — Les premiers actes mouvement administratif du 19 Décembre. — Session des Conseils généraux. — L'année de l'Exposition. — Les vérifications de pouvoirs. — Les élections après invalidations. — Les élections d'inamovibles, au Sénat. — Les lois réparatrices. — Les instructions du ministre de l'Intérieur aux préfets. — La loi du 14 mars 1872. — Gambetta à Marseille. — Recrues qui viennent à la République. — Les généraux politiciens écartés. — Ouverture de l'Exposition. — Les centenaires de Voltaire et de Rousseau. — Le budget de 1878. — L'œuvre des différents départements ministériels en 1878 : Guerre. Instruction Publique. Travaux Publics. Affaires Etrangères. — Le Congrès de Berlin. — Le discours de Romans. — Gambetta et le Maréchal. — M. Dufaure et le « parti sans nom ». — Election des délégués sénatoriaux (27 octobre 1878). — La Droite et la Gauche devant les électeurs. — Le comte de Chambord et M. de Mun. — Les éjections du 5 Janvier 1879. — La Déclaration du 16 Janvier. — — L'interpellation du 20 Janvier. — Le général Gresley et les grands commandements militaires. — La lettre du 30 Janvier 1879. — Réunion du Congrès. — Appréciation sur M. Dufaure et sur le Maréchal de Mac-Mahon. — Conclusion.

 

Le Cabinet du 13 Décembre 1877 comprenait, outre M. Dufaure à la présidence du Conseil et à la Justice, M. Waddington aux Affaires Étrangères, M. de Marcère à l'Intérieur, M. Léon Say aux Finances, le général Borel à la Guerre, le vice-amiral Pothuau à la Marine et aux Colonies, M. Bardoux à l'Instruction Publique, aux Cultes et aux Beaux-Arts, M. de Freycinet aux Travaux Publics et M. Teisserenc de Bort à l'Agriculture et au Commerce. MM. Savary, Lepère, Cochery, Jean Casimir Périer et Cyprien Girerd étaient nommés sous-secrétaires d'Etat de la Justice, de l'Intérieur, des Finances, de l'Instruction Publique et de l'Agriculture. Ce qui caractérisait la nouvelle administration, c'était moins la présence dans le Cabinet de députés et de sénateurs du Centre Gauche ou de la Gauche que l'absence des trois ministres spéciaux, dont le Maréchal s'était jusqu'alors réservé la nomination, des Affaires Étrangères, de la Guerre et de la Marine. Le départ du général Berthaut, auquel la Gauche n'était pas hostile, était particulièrement significatif. La nomination du général Borel ne l'était pas moins. Nous avons dit que presque seul, des généraux appelés à déposer devant la Commission d'enquête, le général Borel, ancien chef d'état-major de d'Aurelle et de Bourbaki, avait fait une déposition impartiale. C'était encore un hommage rendu à la Défense nationale que la nomination de M. de Freycinet aux Travaux Publics. M. Waddington, le nouveau ministre des Affaires Étrangères n'était pas de la carrière ; mais c'était un esprit droit, un érudit et un libéral aussi ferme que modéré. M. Bardoux n'apportait pas non plus une compétence spéciale à l'Instruction Publique et aux Beaux-Arts mais il y apportait les lumières d'une intelligence très cultivée, un goût littéraire et artistique très sûr, et une grâce enveloppante qui devait singulièrement faciliter sa tâche dans la direction des Cultes. Les autres ministres avaient exercé ces fonctions dans les deux Cabinets qui avaient précédé celui du 16 Mai, sous le Maréchal, ou dans le premier ministère Dufaure, sous M. Thiers. Les cinq sous-secrétaires d'Etat étaient des hommes nouveaux. M. Savary avait rapporté l'enquête sur l'élection de la Nièvre et signalé l'étendue du péril bonapartiste. M. Lepère, toujours sur la brèche, toujours prêt à interpeller ou à questionner, avait porté les coups les plus sensibles aux Cabinets réactionnaires. M. Ad. Cochery s'était sagement renfermé, depuis la guerre que sa malencontreuse interpellation avait peut-être hâtée, dans l'étude des questions de finances. M. Jean Casimir-Périer, qui devait ajouter à l'illustration d'un nom parlementaire déjà illustre, débutait dans les hautes fonctions administratives. M. Cyprien Girerd, comme M. Savary, devait sa notoriété à la Nièvre, son pays d'origine, et à la divulgation des menées bonapartistes dans ce département.

Le troisième ministère Dufaure, le premier et le seul Cabinet vraiment parlementaire qu'ait eu le Maréchal de Mac-Mahon, comptait donc à la fois, parmi ses membres, des spécialistes éminents dans leur partie, des célébrités de la tribune, des hommes fortement trempés par les luttes des sept dernières années et des Républicains incontestés. Le seul ministre qui n'appartînt pas à la Gauche du Sénat ou de, la Chambre, était d'un loyalisme que personne ne pouvait suspecter. Le général Borel avait pour la Constitution républicaine des sentiments que garantissait le choix même dont il avait été l'objet de la part de M. Dufaure.

Comment se fait-il que ce ministère, si remarquablement dirigé et composé, et qui conserva le pouvoir pendant tout près de quatorze mois, ait eu une existence un peu terne ? C'est d'abord que le temps des grandes luttes était passé. Les positions conquises, il y avait lieu de s'y maintenir, de s'y consolider et l'on y réussit sans les grands tournois oratoires de l'âge précédent. C'est ensuite que le Cabinet Dufaure, que soutinrent très loyalement la Gauche républicaine et la Gauche dite radicale, bien que son programme fut absolument le même que celui de la Gauche républicaine, ne comprenait ni les chefs, ni les grands orateurs de ces deux groupes. Ceux qui avaient conduit la Démocratie à la victoire s'étaient effacés très modestement, très politiquement aussi, devant les membres du Centre Gauche. Il en résultait, dans les relations de la majorité avec le Cabinet, une certaine réserve et, en dehors du milieu parlementaire, dans ce que l'on appelle le grand public, moins éclairé que le petit, une certaine surprise que ceux qui avaient été à la peine ne fussent pas à l'honneur.

Le Message du Président de la République fut lu à ta Chambre par M. de Marcère, au Sénat par M. Dufaure, le 14 Décembre. Ce document historique était ainsi conçu :

« Les élections du 14 Octobre ont affirmé une fois de plus la confiance du pays dans les institutions républicaines. Pour obéir aux règles parlementaires, j'ai formé un Cabinet choisi dans les deux Chambres, composé d'hommes résolus à défendre et à maintenir ces institutions, par la pratique sincère des lois constitutionnelles.

« L'intérêt du pays exige que la crise que nous traversons soit apaisée. Il exige, avec non moins de force, qu'elle ne se renouvelle pas.

« L'exercice du droit de dissolution n'est, en effet, qu'un mode de consultation suprême, auprès d'un juge sans appel, et ne saurait être érigé en système de Gouvernement. J'ai cru devoir user de ce droit et je me conforme à la réponse du pays.

« La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire, en établissant mon irresponsabilité, tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs l'indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité.

« Ces principes, tirés de la. Constitution, sont ceux de mon Gouvernement. La fin de cette crise sera le point de départ d'une nouvelle ère de prospérité. Tous les pouvoirs publics concourront à en favoriser le développement. L'accord établi entre le Sénat et la Chambre des députés, assurée désormais d'arriver régulièrement au terme de son mandat, permettra d'achever les grands travaux législatifs que l'intérêt public réclame.

« L'Exposition universelle va s'ouvrir le commerce et l'industrie vont prendre un nouvel essor, et nous offrirons au monde un nouveau témoignage de la vitalité de notre pays, qui s'est toujours relevé par le travail, par l'épargne et par son profond attachement aux idées de conservation, d'ordre et de liberté. »

Il va sans dire que les Gauches reçurent avec des acclamations ce Message qui affirmait leur victoire, mais qui l'affirmait avec convenance et dignité. Certes, le Message contenait des passages très durs pour les anciens ministres. Dire que tes ministres du13 Décembre étaient résolus à défendre et à maintenir les institutions, c'était déclarer que leurs prédécesseurs étaient disposés à faire tout le contraire dire qu'ils pratiqueraient sincèrement les lois constitutionnelles, c'était déclarer que leurs prédécesseurs les pratiquaient tout autrement ; dire que l'intérêt du pays exigeait l'apaisement de la crise, c'était proclamer que les Cabinets de Broglie-.de Fourtou et de Grimaudet de Rochechouet s'étaient peu souciés de l'intérêt du pays affirmer que l'on ne recourrait plus à la dissolution o : qui ne saurait être érigée en système de Gouvernement », c'était condamner nettement les partisans de la dissolution à « jet continu » mais était-il possible de dire moins et de s'exprimer en termes plus mesurés ? Que les Bonapartistes, qui voulaient mettre fin à la crise avec un escadron de chasseurs D, aient trouvé, pour employer leur langage, que le Maréchal les avait « lâchés » et en aient pris prétexte pour l'insulter, on le comprend on comprend moins que les journaux du Centre Droit aient parlé de « la plus grande scène d'humiliation qu'ils eussent vue Il n'y a pas d'humiliation à s'incliner devant le juge sans appel ». Pourquoi d'ailleurs les inspirateurs de la presse qui parlait d'humiliation, avaient-ils tant insisté pour faire rester le Maréchal à son poste ? Pourquoi avaient-ils fait appel à son patriotisme et à son amour de la paix ? Ils devaient bien penser qu'en dehors du coup d'État, dont ils ne voulaient pas, il n'y avait qu'une solution, l'appel à un ministère de Gauche, et ils auraient dû reconnaître que M. Dufaure avait fait parler au Maréchal, sans blesser sa dignité ni son honneur, un langage sincèrement constitutionnel. Le Chef de l'État était enfin rentré dans son rôle. La Chambre, qui avait refusé de voter le budget, tant qu'elle n'aurait pas en face d'elle un Cabinet parlementaire, accorda immédiatement au ministère Dufaure 829.500.000 francs, représentant deux douzièmes provisoires, dont la répartition devait être faite par décrets entre les différents départements ministériels. De son côté le Cabinet déposa un projet d'amnistie pour tous les crimes, délits et contraventions politiques commis du 16 Mai au 14 Décembre 1877. Le projet d'amnistie ne vint que plus tard devant le Sénat. Le crédit de 529 millions fut accordé sans difficulté par la Haute Assemblée et les deux Chambres s'ajournèrent su 8 Janvier 1878, après cette courte et dramatique session. Pour bien affirmer le caractère de sa politique réparatrice, le Garde des Sceaux fit arrêter toutes les poursuites commencées contre la presse avant le 14 Décembre, suspendre l'exécution de toutes les peines et remettre toutes les amendes. Le ministre de l'Instruction Publique rendit leurs fonctions à tous les instituteurs disgraciés par M. Brunet pour motifs électoraux. Le ministre de l'Intérieur rentra dans la légalité en matière de colportage et laissa reparaître sur la voie publique tous les journaux qui en avaient été exclus.

Les retards qui s'étaient produits, après les élections de Février et de Mars 1876, pour le renouvellement du personnel administratif, ne se revirent pas en 1877 ; le 16 Mai avait donné une leçon dont les Républicains profitèrent. Dès le 19 Décembre, M. de Marcère faisait paraître son mouvement préfectoral sauf 4 préfets constitutionnels qui furent conservés, tous les administrateurs qui avaient prêté leur concours au 16 Mai étaient 'remplacés. Il va sans dire que quelques-uns de ces mauvais serviteurs se retirèrent en faisant claquer les portes. Onze jours plus tard, le mouvement sous-préfectoral, portant sur 217 fonctionnaires, complétait le mouvement préfectoral. D'autres nominations, faites dans les différents services, donnèrent aux vainqueurs du 14 Octobre et a la Constitution une légitime satisfaction. M. Cochery, sous-secrétaire d'Etat des Finances, fut placé à la tête du double service des Postes et des Télégraphes. M. Albert Gigot remplaça M. Félix Voisin à la Préfecture de Police. M. de Gontaut-Biron fut rappelé de Berlin, ou M. Waddington envoya M. de Saint-Vallier, son collègue de la représentation sénatoriale de l'Aisne.

L'opinion applaudit à ces choix, qui complétèrent l'effet de soulagement produit par l'avènement du Cabinet Dufaure, et, dans les diverses manifestations politiques du mois de Décembre : à Paris et en Province, elle confirma et ses votes précédents et la condamnation qu'elle avait déjà prononcée. Le 16 Décembre une élection avait lieu à Paris, dans le IXe arrondissement, pour remplacer M. Grévy qui avait opté pour le Jura. Le parti républicain fit preuve d'un grand sens politique, en désignant pour ce siège en vue, M. Emile de Girardin, qui avait contribué, presque autant que M. Gambetta lui-même, par sa brillante polémique du Petit Journal et de la France, à la défaite de la coalition. La candidature d'Émile de Girardin, acceptée par lui « comme une protestation à outrance contre le pouvoir personnel, » triompha à l'écrasante majorité de 11.000 voix contre 1.600. En Province, la courte session des Conseils généraux, ouverte le 21 Décembre et destinée à la répartition des contributions directes, fut l'occasion d'un nouveau succès pour la République constitutionnelle : 50 présidents appartenant à cette opinion furent élus contre 40 Monarchistes.

Cette année si agitée se terminait donc de la façon la plus heureuse la France, tranquille sur ses institutions, allait se préparer à la grande manifestation industrielle et pacifique de 1878. Pendant le cours de l'année suivante, où l'Orient se remettait difficilement de la secousse que lui avaient imprimée les troubles et la guerre de 1877 ; où l'Occident voyait disparaître, l'un après l'autre, les grands acteurs des derniers événements Victor-Emmanuel et Pie IX en Italie, l'ex-reine Isabelle en France, lord John Russel en Angleterre ; où la société, les souverains et les hommes d'Etat étaient menacés par de criminels attentats en Russie, en Allemagne, en Espagne et en Italie, la France, à peine guérie des profondes blessures de 1870 et 1871, des blessures plus superficielles, mais graves aussi de 1877, allait convier l'univers, au milieu d'un calme politique absolu, au spectacle de sa renaissante vitalité. Le pays que M. de Broglie dénonçait à l'Europe, au mois de Mai 1873, comme le foyer de l'agitation révolutionnaire, comme le centre des passions subversives, allait prouver au monde qu'on l'avait calomnié. Nulle part l'ordre ne fut plus facilement maintenu qu'en France en ~878 ; nulle part le Gouvernement ne fut plus obéi que dans cette nation ingouvernable, nulle part la sécurité ne fut mieux assurée que dans le pays et dans la capitale qui avaient traversé, depuis neuf ans, tant de catastrophes, tant de commotions, tant de tragiques événements, dont la nationalité sortait intacte, le libéralisme plus fort, et plus grande la confiance dans les destinées de la patrie.

Commencée dès le 8 Novembre, la vérification des pouvoirs de la Chambre qui avait été élue le 14 Octobre 1877 se poursuivit pendant toute l'année 1878, aux trois sessions d'hiver, d'été et d'automne toute l'année aussi le pays fut appelé à se prononcer, en dernier ressort, sur les sentences rendues par les députés et il les confirma presque toutes, puisque à la suite des 80 invalidations prononcées par eux, la majorité républicaine compta exactement les 400 membres dont Gambetta avait prévu le retour à Versailles. Nous avons dit qu'aux premiers jours de la session les députés qui avaient profité de l'affiche blanche avaient été ajournés ou invalidés. L'usage de l'affiche blanche ne fut pas le seul criterium de la nullité des élections les abus de la candidature officielle, la pression des fonctionnaires, l'ingérence du clergé entrèrent aussi en ligne de compte et motivèrent les décisions prises. On put reprocher a la Chambre les variations de sa jurisprudence et la validation de quelques élections tout aussi scandaleuses que quelques-unes de celles qui étaient invalidées mais on peut affirmer que pas une des élections cassées n'était irréprochable. Aussi, quand le 20 Janvier 4878, le vice-amiral Touchard, au nom de la minorité, prit prétexte des invalidations pour diriger de violentes critiques contre ce qu'il appelait le système de « décimation » de la majorité et pour demander qu'une élection ne pût être cassée qu'aux deux tiers des voix, Gambetta put-il lui rappeler les 2.898 procès politiques qui avaient été intentés aux 363 et faire voter la question préalable à ')26 voix de majorité. La défense principale de la Droite consistait à dire que les 363 et les autres candidats républicains avaient fait de la pression officielle contre les candidats du Maréchal ! Quand un de ses élus du 14 Octobre, renvoyé devant les électeurs, avait été battu dans une élection nouvelle, sincère et loyale, sa tactique consistait à prétendre que son adversaire républicain avait bénéficié de l'appui de M. de Marcère. Or M. de Marcère avait toujours recommandé à ses préfets la stricte neutralité en matière électorale et nulle part ses instructions n'avaient été transgressées. Les invalidations les plus retentissantes furent celles des quatre élus de Vaucluse qui devaient manifestement leur succès au vol et à la fraude, comme l'avait dit M. Gambetta, celles de MM. de Fourtou et Reille, les deux restaurateurs, les deux organisateurs et les deux principaux bénéficiaires de la candidature officielle, celles de MM. de Cassagnac et Baragnon, candidats du Maréchal, l'un comme Bonapartiste, l'autre comme Légitimiste, celle de M. de Mun, candidat du clergé, celle du duc Decazes, candidat de l'équivoque.

Le 21 Janvier d878, neuf élections eurent lieu, dont sept à la suite d'invalidations les Républicains furent élus dans les neuf collèges qui étaient répartis sur tous les points du territoire.

Le 3 Mars, dix-sept nouvelles élections avaient lieu treize Républicains et quatre Monarchistes étaient élus. Le 11 Mars, trois nouveaux Républicains passaient, le 9 Avril quinze, le 5 Mai six et deux Bonapartistes, M. Desloges à Caen et M. Maréchal à Périgueux. Les 7 et 14 Juillet, sur 24 élections nouvelles, 20 étaient républicaines quatre Bonapartistes seulement parvenaient à se faire nommer, MM. d'Espeuilles dans la Nièvre, Trubert dans le Tarn-et-Garonne, Jérôme David dans la Gironde et Delafosse dans le Calvados. M. Amigues, le Bonapartiste socialiste, était battu à Cambrai M. de Saint-Paul, l'un des principaux inspirateurs du 16 Mai, dans l'Ariège et le légendaire M. Baragnon dans le Gard.

Pendant que la. France confirmait avec cette quasi-unanimité les décisions de la majorité de la Chambre, pendant qu'elle saisissait toutes les occasions, comme celle des élections municipales générales, le 6 Janvier 1878, d'affirmer son attachement de plus en plus profond à la République, le Sénat, comme pour faire contrepoids à l'affluence des Républicains que ces élections municipales ou politiques lui présageaient pour 1879, renforçait à chaque scrutin sa majorité de Droite. L'alliance tenait toujours pour l'élection par roulement, comme inamovibles, d'un Bonapartiste, d'un Légitimiste et d'un Orléaniste. Elle ne menaçait de se rompre que lorsque le Centre Droit désignait aux suffrages des coalisés un candidat suspect de tendances libérales. Au scrutin qui eut lieu le 23 Janvier, pour remplacer le général d'Aurelle, décédé, les Orléanistes dont c'était le tour avaient proposé la candidature du duc Decazes. L'ancien ministre des Affaires Étrangères, Républicain dans le quartier des Champs-Elysées et Orléaniste dans le quartier du Luxembourg, n'était persona grata ni pour les Légitimistes ni pour les Bonapartistes la majorité ne put se faire sur son nom, pas plus que sur celui de M. Victor Lefranc, candidat des Républicains. On recommença l'élection le 24 Janvier même insuccès on la renvoya au 7 Février Légitimistes et Bonapartistes se montrèrent irréductibles et le duc Decazes dut retirer sa candidature. Les Légitimistes bénéficièrent de ce manquement à la discipline l'un d'entre eux, M. de Carayon-Latour, fut élu au cinquième tour de scrutin. Au lendemain de cette élection si pénible, le Soleil annonçait, le 5 Mars, la rupture du Centre Droit libéral et des Constitutionnels avec la Droite. Il y eut peut-être rupture sur le terrain politique et M. Dufaure dut à cette dissidence le succès de quelques-uns des projets qu'il avait soumis à la Chambre, mais les 22 Constitutionnels qui s'étaient retirés sous leur tente, après l'échec du duc Decazes, en sortirent pour interdire l'accès du Sénat aux trois Révolutionnaires qui s'appelaient MM. de Montalivet, Alfred André et le général Gresley. L'entente se rétablit sur le terrain de la résistance, de la lutte contre la Constitution et contre la majorité de la Chambre, quand il fallut donner des successeurs à trois nouveaux inamovibles décédés le Sénat, à la session d'automne, profita une dernière fois de sa majorité, qui allait disparaître, pour s'annexer MM. Oscar de Vallée, Baragnon et d'Haussonville. Ce fut le chant du cygne de la coalition réactionnaire.

Discussions parlementaires, mesures gouvernementales eurent un but principal, sinon unique, en 1878 réparer le mal qu'avait fait le 16 Mai, corriger les erreurs qu'il avait sciemment commises, donner à la France ce sentiment que ses maîtres étaient des tuteurs bienveillants et non pas de raides et malfaisants pédagogues. La loi d'amnistie des délits de presse, dont l'on excepta avec raison les délits électoraux la loi sur le colportage qui astreignait les vendeurs de journaux à une simple déclaration la loi sur l'état de siège qui obligeait le Président à convoquer les Chambres dans les deux jours, s'il prenait en leur absence la grave détermination de décréter l'état de siège la loi étendant au cas de prorogation des Chambres les règles d'ouverture des crédits extraordinaires étaient des précautions contre un retour offensif du pouvoir exécutif, mais en même temps des garanties pour le Régime parlementaire ; aussi furent-elles votées sans difficulté par )e Sénat qui se contenta d'étendre, du 14 Décembre 1877 au 1er Janvier 1878, la période à laquelle s'appliquait l'amnistie. Cette extension, sans importance, puisque sept ou huit délits seulement furent amnistiés, en plus des délits qu'avaient poursuivis les deux ministères de combat, était une satisfaction platonique que s'était donnée la majorité réactionnaire de la Haute Assemblée.

Le Gouvernement fit marcher de front l'œuvre de réparation exécutive, si l'on peut dire, avec l'œuvre de réparation législative. Les instructions données au personnel préfectoral par M. de Marcère auraient dû être reproduites par tous ses successeurs. Ceux des préfets qui sont entrés dans l'administration en 1818 et qui y sont restés ont vu passer bien des ministres de l'Intérieur ils n'en ont pas connu beaucoup qui les aient dirigés aussi sûrement que le député d'Avesnes, par entretiens confidentiels ou par circulaires publiques.

« Votre œuvre, leur disait-il, n'est pas une œuvre de combat, mais une œuvre de réparation. Vous devez vous présenter, dans vos départements respectifs, comme les défenseurs de la justice. » La préoccupation de M. de Marcère, de susciter partout les initiatives individuelles, n'était pas moins digne d'attention et d'éloge : « Nous voulons aller non jusqu'au bout de la légalité mais jusqu'au bout de la liberté. Les électeurs ne peuvent pas se désintéresser des affaires communales... Il s'agit, avant tout, de développer en France le sentiment de la responsabilité individuelle. »

Le ministre de l'Intérieur agissait aussi bien qu'il parlait. Non content de compléter le mouvement préfectoral, il rétablissait, avant les élections municipales, tous les maires et adjoints que ses deux prédécesseurs avaient suspendus ; les élections faites, il choisit pour maires et adjoints, partout où la nomination appartenait au Gouvernement, ceux-là même que les Conseils municipaux eussent désignés. Le respect des lois fut imposé aux chefs des municipalités les plus avancées. Quand l'interdiction des processions eut amené des troubles à Marseille, le Gouvernement prêta main forte à l'arrêté municipal, maladroit mais strictement légal, qui supprimait ces cérémonies il protégea avec la même énergie la statue de Belzunce, que menaçaient les passions surexcitées des libres penseurs marseillais, insuffisamment contenues par une municipalité radicale. Au Nord comme au Midi, à Anzin comme à Marseille, une grève de trois semaines fut apaisée par l'influence des agents du Gouvernement qui engagèrent la Compagnie à abolir le chômage du lundi, et les atteintes à la liberté du travail furent prévenues par l'action des troupes opportunément envoyées sur le théâtre de la grève.

Lorsque à l'occasion de l'Exposition les socialistes français et étrangers projetèrent la réunion d'un Congrès international à Paris, le ministre de l'Intérieur interdit cette réunion et, quand elle se fut produite, sous forme mi-partie publique et privée, il poursuivit les adhérents pour violation de la loi du 14 Mars 1872 34 d'entre eux furent condamnés à des peines variant de 6 mois de prison à 15 francs d'amende. Cette condamnation fut une des rares applications de la loi Dufaure. La loi de 1873 sur la presse, dont le Cabinet de Broglie-de Fourtou avait tant abusé, reçut également de rares applications sous le ministère Dufaure-de Marcère. Le Garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur furent d'accord avec leurs collègues et avec l'opinion tout entière, pour faire poursuivre ceux des journaux qui, après avoir poussé le Maréchal à un crime contre la Constitution, le poussaient à une démission dans les termes les plus outrageants.

Cette politique foncièrement libérale, vraie politique d'apaisement, également éloignée des complaisances coupables pour les Républicains intransigeants ou violents et des persécutions contre les adversaires politiques, ne tardait pas à porter ses fruits. Le Comité des Dix-Huit s'était spontanément dissous, dès les premiers jours de l'année cette sorte de Comité de salut public de la Gauche, cette organisation de combat ne pouvait survivre à la cessation du combat ; on y renonça, dès que l'on comprit qu'elle pourrait être une gêne pour le Cabinet. A la même époque Gambetta, dans un discours prononcé à Marseille, recommandait à son parti « de faire une halte de se fortifier, avant d'aller plus loin. Il adressait à la Démocratie exactement les mêmes conseils que Léon Renault, le plus modéré des membres du Centre Gauche, en prenant possession de la présidence du groupe. Ces conseils étaient entendus la Gauche, même la Gauche dite radicale, se défaisait de plus en plus de ses habitudes d'opposition quand même ; elle rompait bruyamment avec deux de ses membres MM. Bonnet-Duverdier et Duportal, députés de Lyon et de Toulouse, convaincus d'avoir dissimulé, sous un manteau écarlate, l'un une conscience un peu large et l'autre une âme de courtisan.

La Gauche, en s'épurant elle-même, favorisait l'adhésion à la République de précieuses recrues. M. J. J. Weiss réparait son malheureux article sur la Chambre de 1876 par un article remarquable, et qui le classait au premier rang des publicistes de notre temps, sur les Illusions monarchiques. Jamais les fautes de tactique des adversaires de la Constitution n'avaient été signalées avec plus de clairvoyance ; jamais langue plus forte et plus savoureuse n'avait été mise au service des idées libérales. Une adhésion plus inattendue et non moins importante fut celle de M. Raoul Duval, qui fut le premier en date de ceux que l'on a appelés les Ralliés, qui venait à la République, de beaucoup plus loin que M. Weiss, et qui devait être ravi par la mort, au moment où son incontestable talent, son activité, ses dons oratoires et la sincérité de sa conversion le désignaient pour marcher à la tête de ceux qu'il avait si longtemps et si ardemment combattus.

On considéra aussi comme un succès pour la République modérée, que personnifiait très exactement le Cabinet Dufaure, l'entrée à l'Académie Française de M. Renan, qui fut élu contre M. Wallon, pour remplacer Claude Bernard, et l'élection de M. Henry Martin contre M. Taine, pour remplacer M. Thiers. L'élection de M. Taine n'était que différée. Si M. Henri Martin lui fut préféré, c'est que l'on redoutait, comme panégyriste de M. Thiers, l'auteur des Origines de la France contemporaine, dont les deux premiers volumes avaient paru ; on se défiait surtout de l'ancien libéral que l'étude de la Révolution et le spectacle de la Commune semblaient avoir rejeté et immobilisé dans les rangs de la Droite.

Une victoire plus sérieuse fut remportée par le Cabinet, victoire de la persuasion et du bon droit, sur les préventions du Maréchal de Mac-Mahon. M. Hector Pessard a raconté dans Mes petits papiers[1], comment ses fonctions de directeur de la presse l'ayant mis en présence du Maréchal de Mac-Mahon, il lui ouvrit les yeux sur le rôle de son « vieux camarade », le général Ducrot, pendant la période la plus critique du ~t6 Mai. Le général Borel obtint que le général Ducrot fût privé de son commandement du 8° corps. Le général Bressolles, qui avait méconnu la nature des instructions qu'il avait reçues pendant cette même période, qui avait, comme on l'a dit, « transformé des mesures de prévoyance en mesures d'exécution, fut mis en disponibilité. La même peine fut appliquée au major Labordère, moins bien placé, on l'avouera, que le général Bressolles pour distinguer entre les mesures d'exécution et les mesures de prévoyance. Trois mois après, le 3 Avril, le général de Geslin, commandant la place de Paris, était relevé de ses fonctions pour avoir, dans un ordre du jour à ses troupes, à propos d'une rixe dans un bal public, fait ironiquement du mot électeur comme un synonyme de perturbateur.

Le Cabinet Dufaure et le général Borel rendaient le meilleur service à l'armée, en s'efforçant de la mettre en dehors de la politique, et le Maréchal les secondait heureusement dans cette tâche patriotique. Sa correction, le soin avec lequel il se renfermait dans son rôle constitutionnel, ne se démentirent pas un instant, malgré les insinuations et les prédictions des journaux comme la Défense « qu'une grande partie allait se jouer. » La Défense ne fut bon prophète qu'une fois le Maréchal ne songeait qu'à représenter dignement la France, aux yeux de nos nationaux et des étrangers que l'Exposition avait attirés à Paris, et il y réussit pleinement.

Dans les belles fêtes qu'il donna à l'Elysée et dont son patrimoine fit en partie les frais, la sévérité un peu froide de son accueil, tempérée par l'expression d'un regard plein de douceur, l'éclat de sa maison militaire, le luxe de bon goût de sa maison civile firent une grande impression sur les privilégiés qui furent admis à la Présidence. Les Monarchistes virent avec plaisir un retour au cérémonial d'antan les Républicains furent flattés dans leur vanité. La foule elle-même sut gré au Maréchal de donner comme une consécration a la République, en présidant dignement à l'ouverture de l'Exposition, le 1er Mai. Rien n'était achevé pour l'inauguration, mais le pavoisement des maisons, le chômage de tous les ateliers et de tous les magasins donnèrent à cette première journée comme un air de fête nationale. Le 30 Juin, quand tout fut prêt, l'empressement des Parisiens ne fut pas-moindre et le ciel, radieux, cette fois, vint en aide aux pompes officielles et à l'enthousiasme populaire.

Entre ces deux grandes fêtes, non légales mais vraiment nationales, deux autres manifestations s'étaient produites le même jour, le 30 Mai, inspirées par l'esprit de parti. Quelques littérateurs et un certain nombre de Républicains avaient formé le projet de célébrer le centenaire de Voltaire qui était mort le 30 Mai 1778. Les uns ne songeaient qu'à rendre hommage à un grand écrivain, à un partisan de la tolérance religieuse, au défenseur de Calas et de Labarre beaucoup d'autres voulaient répondre à la recrudescence du cléricalisme, en évoquant le souvenir du Voltaire anti-chrétien, en rééditant tous les passages de ses œuvres où il avait « écrasé l'infâme ». En somme, cette manifestation ne passionnait que les militants des deux camps opposés. La grande masse catholique restait étrangère à cette agitation et ceux qui se réclament de la science plutôt que de la religion, s'ils songeaient sérieusement à « déchristianiser » la France, emprunteraient à un arsenal plus moderne que celui de Voltaire des armes autrement meurtrières.

Le 21 Mai, au Sénat, Mgr Dupanloup avait interpellé le Garde des Sceaux, au sujet de la célébration projetée. L'évêque d'Orléans voulait savoir si le parquet avait l'intention de poursuivre l'éditeur du volume du centenaire. La réponse du Garde des Sceaux au prélat est un modèle jamais président du Conseil n'a montré plus de mesure, de justesse d'appréciation et en même temps plus de sens critique et de sens gouvernemental, réunis dans une plus parfaite harmonie. « ... Messieurs, veuillez songer à cette idée, exercer des poursuites aujourd'hui, devant le jury, contre Voltaire ! Ce n'est pas, Messieurs, un adorateur de Voltaire qui vous parle, loin de là ! La société au milieu de laquelle il a passé sa vie a été, sous beaucoup de rapports, complice de tout ce que l'on peut trouver à accuser dans ses ouvrages. Il a exercé sur elle, par son incontestable génie, une influence qui a été pernicieuse et elle a exercé sur lui une influence qui l'a souvent dominé et a contribué a. ses égarements. Voilà ce que je pense à son sujet. Mais, en même temps, je dis que si nous trouvons dans nos mœurs, dans nos relations sociales, un adoucissement remarquable, si des idées et des habitudes de tolérance se sont répandues parmi nous, assurément plus fortes qu'elles ne l'étaient de son temps, si nos lois criminelles ont été adoucies, si nous sommes moins exposés à de grandes iniquités judiciaires, je crois fermement que ses écrits y ont contribué... Il y a dans sa vie de grandes choses et des côtés détestables la postérité se charge d'en faire le partage, elle l'a fait déjà et c'est fort dangereusement que nous réveillerions maintenant l'attention du public. »

Le centenaire fut célébré à huis clos et l'éditeur de Voltaire ne fut pas poursuivi. Le parti catholique, comme protestation, avait préparé une manifestation, au pied de la statue de Jeanne Darc, qui ne fut pas plus tolérée que la manifestation au pied de la statue de l'auteur de la Pucelle. Gambetta pensait, sinon sur Voltaire au moins sur Jeanne Darc, exactement comme M. Dufaure. Il a dit, à propos de cet antagonisme factice, que l'on voulait établir entre deux de nos gloires nationales : « Je me sens l'esprit assez libre pour être à la fois le dévot de Jeanne la Lorraine et l'admirateur et le disciple de Voltaire. »

Le récit des événements nous a entraînés au-delà de la séparation des Chambres, qui avait eu lieu le 11 Juin. D'un commun accord entre le président du Conseil et les présidents des deux Assemblées, la session ordinaire de 1878 n'avait pas été close par décret : on s'était seulement ajourné au 28 Octobre. C'était une façon indirecte, a-t-on dit, d'établir la permanence 'des Assemblées, contraire à la Constitution, puisque, pendant l'ajournement, les présidents du Sénat et de la Chambre étaient libres de convoquer leurs collègues. Sans doute, mais outre que l'entente des deux et même des trois présidents était nécessaire pour cette convocation, on ne pouvait reprocher à la majorité de la Chambre, à si courte distance du 16 Mai, de se souvenir de la façon dont on l'avait prorogée, dissoute et combattue.

Il nous faut revenir sur nos pas pour étudier d'abord la discussion du budget de 1878, qui se prolongea dans les deux Chambres jusqu'au 29 Mars, et ensuite les lois d'intérêt général, qui furent votées dans les deux premières sessions de 1878, en dehors de celles qui n'avaient eu pour objet que d'effacer le 16 Mai ou d'en empêcher le retour.

Dans le projet de budget de 1878, que M. Léon Say avait déposé sur le bureau de la Chambre le 11 Janvier 1877 ; l'impôt sur la petite vitesse était réduit de 5 à 4 p. 100, les taxes sur les savons et les droits d'entrée sur les huiles étaient supprimés, les tarifs postaux étaient abaissés de 25 à 20 et de 18 à 10 centimes ; ces dégrèvements étaient partiellement compensés par un relèvement des douanes. Rappelons, en outre, que l'excédent des recettes sur le budget de 1877 devait atteindre tout près de 48 millions. Les prévisions de dépenses de M. Léon Say étaient de 2.788.616.713 francs, en augmentation de 49.368.781 francs sur 1877 ses évaluations de recettes étant de 2.791.427.804 francs, en augmentation de près de 84 millions et demi sur 1877, le budget était bouclé avec un excédent de recettes de près de 6 millions. Quand se produisit l'acte du 16 Mai, acte d'agression injustifiable, a dit M. Amagat, l'historien financier de cette période, le rapport général n'était pas déposé, mais les rapports spéciaux étaient prêts. La Commission réduisait les prévisions de dépenses de 2S millions, en réduisant de près de 15 millions le remboursement à la Banque de France, en retranchant 1 million et demi sur le budget des Cultes, 4 sur celui de la Guerre et 2 sur celui des Travaux Publics. Elle n'eut pas le temps de discuter les évaluations de recettes. M. Caillaux, devenu ministre des Finances, de par le 16 Mai, demanda vainement aux Chambres, au mois de Juin 1877, le droit de percevoir les contributions directes en 1878. Nous avons dit quelle résistance invincible la Chambre lui avait opposée. Le 12 Novembre M. Caillaux présentait le budget rectifié à la Chambre du 14 Octobre : il prévoyait à peu près un million de dépenses de plus que n'avait fait M. Léon Say, et en dépenses et en recettes, son budget se soldait par un excédent de près de 2 millions. C'est le 6 Décembre que le rapporteur général, M. Cochery, fit connaître les résultats du travail de la Commission. Elle fixait les dépenses à deux milliards 778 millions en chiffres ronds et les recettes à deux milliards 793 millions, en proposant la suppression de l'impôt sur les savons et sur la petite vitesse, l'abaissement des taxes postales et des taxes télégraphiques. Le 26 Novembre M. Welche demandait, comme l'avait fait M. Caillaux, l'autorisation de percevoir les contributions directes en 1878 il se heurtait au même refus. Le 15 Décembre seulement, la Chambre accorda à M. Dufaure ce qu'elle avait refusé à MM. de Broglie et de Rochebouet et son vote fut ratifié par le Sénat le 17 Décembre.

La discussion générale du budget de 1878 ne s'ouvrit que le 28 Janvier 1878 devant la Chambre, par un discours radical de M. Tallandier, auquel le Garde des Sceaux répondit avec sa vigueur habituelle. M. Dufaure intervint encore dans la discussion du budget de la Justice, pour rappeler le projet de réforme de la magistrature qu'il avait présenté au Sénat, le 15 Novembre 1876, et il obtint le rétablissement du crédit que la Commission avait supprimé, comme indication, au chapitre Cours et Tribunaux.

La discussion du budget des Cultes mit aux prises, comme de coutume, les partisans de la théocratie, comme M. de la Bassetière, et ceux de la société civile, comme M. Jules Guichard. « La France, dit très justement ce dernier, est religieuse ; elle est religieuse dans la limite de la liberté de conscience ; elle respecte le prêtre dans l'exercice de son ministère mais elle le blâme, quand il sort de son ministère, pour intervenir dans les affaires politiques et civiles. » On n'a pas mieux dit, depuis dix-neuf ans que la question des rapports de l'Eglise et de l'Etat est agitée devant les Chambres et dans la presse tous les ministères républicains ont tenu ce même langage correct et politique. Les amendements, -rétablissant les crédits pour les bourses des séminaires et pour les séminaires de l'Algérie, ne furent pas acceptés en revanche, les chiffres du Gouvernement furent préférés à ceux de la Commission pour les édifices diocésains et pour les cathédrales.

Dans la discussion du budget de l'Intérieur, l'amendement de M. de Gasté tendant à la suppression des sous-préfets, cette autre question toujours pendante, fut rejeté. Dans celle du budget de la Guerre, s'élevant à 538 millions et demi, les chapitres de la Remonte et des Invalides furent relevés, moins cependant que ne le demandait le Gouvernement. Dans celle du ministère de la Marine, la tâche de la Chambre fut singulièrement facilitée par le remarquable travail du rapporteur, M. Lamy, député du Jura. La Marine a été dirigée, depuis 1878, par quelques ministres, civils. Ce n'est faire tort à aucun d'eux que d'affirmer qu'ils ont trouvé, dans le rapport du jeune députe, le germe de toutes les réformes qu'ils ont introduites dans ce grand service public. Suppression de deux arsenaux, constructions rapides, établissement d'une comptabilité sévère, tels sont les points sur lesquels insista M. Lamy. Les crédits votés atteignaient presque 194 millions.

A l'Instruction Publique, la Chambre accorda 83.640,714 fr. Dans la discussion générale, un ancien professeur de rhétorique, M. Chalamet, demanda la suppression d'exercices surannés, tels que le vers latin, et un ancien professeur de troisième, M. Duvaux, exprima le regret que les meilleurs élèves de l'École normale fussent nommés dans les Facultés, sans avoir fait un stage préalable dans les Lycées. L'observation de M. Duvaux était d'autant plus fondée que les membres de l'enseignement supérieur sont en même temps les juges de l'enseignement secondaire par le baccalauréat. Furent rejetés, dans la discussion des articles, les amendements tendant à la création d'inspecteurs spéciaux de l'économat des lycées, à l'isolement de la Bibliothèque nationale, au traitement des maîtres élémentaires de l'enseignement spécial, à la nomination de surveillants spéciaux dans les écoles normales primaires et aux retraites des instituteurs. La Chambre n'accepta qu'un amendement de M. Georges Périn, augmentant de 170,000 francs le crédit des missions et explorations, pour permettre l'étude du projet de mer intérieure en Afrique.

Après le vote du budget des dépenses par la Chambre, l'amendement par le Sénat de plusieurs articles et la suppression par la Chambre des crédits rétablis par le Sénat, la loi de finances fut arrêtée, à la fin de Mars, à 2,781,035,096 en dépenses, à 2,793,177,804 en recettes, avec un excédent de recettes de plus de 12 millions. Mais les dépenses s'élevèrent à 3 milliards 108,758,696 fr. 02. L'accroissement de dépenses provint du rachat de certaines lignes de chemins de fer pour 288 millions, de la Guerre pour 18 millions et des Travaux Publics pour près de 20 millions, et bien qu'il ait été pourvu à ces dépenses supplémentaires par des ressources extraordinaires, le déficit réel sur 1878 fut de plus de 257 millions. M. Amagat, d'accord avec M. Mathieu-Bodet, un autre historien de nos Finances, a raison de dire que l'ère des dépenses exagérées a commencé.

Trois jours après l'adoption définitive de la loi de Finances de 1878, le 2 Avril, M. Léon Say déposait sur le bureau de la Chambre le projet portant fixation des recettes et des dépenses de 1879. Les dépenses, fixées à 3 milliards 137 millions, se rapportaient pour 2 milliards 713 millions au budget ordinaire et pour 460 millions au budget extraordinaire. Les crédits demandés au budget ordinaire de 1879 étaient en diminution, comparés à ceux de 1878, parce que des dépenses qui avaient figuré depuis 1872 au budget ordinaire des Travaux Publics, étaient portées au budget extraordinaire. En réalité, le Gouvernement 'demandait, pour la Guerre, 740 millions au lieu de 838 pour la Marine, 2t7 au. lieu de 194 pour l'Instruction Publique, 57 au lieu de 53 pour les Travaux Publics, 405 au lieu de 234. Les recettes ne devant produire, d'après les évaluations de M. Léon Say, que 2698 millions en chiffres ronds le surplus, soit 475 millions, devait être demandé à l'emprunt.

M. Wilson, rapporteur général, ne déposa son rapport que le 14 Novembre la Commission dont il était l'organe minorait les dépenses de 10 millions, prévoyait 2696 millions de recettes ordinaires et 466 millions de recettes extraordinaires. Les diminutions de dépense opérées par la Commission ne furent qu'apparentes, un simple exercice d'écritures, a-t-on dit sévèrement, parce que les demandes de crédits supplémentaires, atteignirent, et au-delà, les chiffres primitivement indiqués par le Gouvernement ; mais ces diminutions furent le prétexte invoqué par la Commission pour opérer des dégrèvements sur le timbre des effets de commerce, les huiles et la chicorée, qui réduisirent de près de 20 millions les ressources du Trésor.

Dans la discussion des chapitres du budget du 1879, la Chambre repoussa les augmentations de traitement que le Gouvernement proposait pour les desservants, les pasteurs et les rabbins. Un débat intéressant s'éleva entre le commissaire du Gouvernement pour la Guerre, M. Rossignol, et MM. de Roys et Gambetta. M. de Roys se plaignit que l'administration de la Guerre ne recourût pas à l'adjudication publique pour les effets d'habillement. M. Gambetta au contraire, combattit le système d'adjudication des animaux vivants pour la fourniture de la viande et recommanda l'acquisition directe par l'armée à l'étal du boucher. Dans la discussion du budget de la Marine, M. Lamy critiqua de nouveau la lenteur des constructions, l'exagération du nombre des chantiers et des arsenaux, le développement insensé des édifices maritimes, de l'outillage et des bâtiments de servitude, la progression du personnel sédentaire, les abus des approvisionnements généraux, qui atteignaient en France 250 millions contre 85 seulement en Angleterre. L'amiral Pothuau tenta vainement de répondre aux critiques de M. Lamy et de détruire l'effet de son rapport.

Au budget de l'Instruction Publique, la Chambre inscrivit les crédits nécessaires pour la création d'une troisième chaire d'histoire à la Sorbonne et l'élévation de 13.000 à 15.000 francs du traitement des professeurs de la Faculté de médecine de Paris elle repoussa l'accroissement du traitement des maîtres de conférences de l'Ecole normale, l'installation de la chaire de pathologie mentale précédemment créée, la création d'une chaire de pandectes, l'assimilation des professeurs de septième et de huitième, pourvus d'une nomination ministérielle, aux mêmes professeurs pourvus de la licence et enfin la création de classes personnelles pour les collèges communaux. Au budget des Beaux-Arts, M. Bardoux fit voter 51.000 francs pour l'organisation d'une inspection du dessin et réinscrire 40.000 francs que la Commission avait retranchés des crédits de la gravure.

Le Sénat ne put commencer que le 11 Décembre la discussion du budget de1819. MM. Chesnelong et Bocher firent entendre de très justes critiques, le premier avec sa fougue oratoire, le second du ton le plus mesuré. Ils démontrèrent que l'équilibre du budget était détruit par les crédits supplémentaires et que, d'ailleurs, il n'était obtenu qu'en diminuant le remboursement à la Banque de France et les fonds destinés à l'allègement de la dette flottante. Le Sénat rétablit un crédit de 200.000 francs demandé par le Gouvernement pour les desservants et les pasteurs et repoussa l'impôt sur les effets de commerce et les chèques. La Chambre admit ces derniers votes, rejeta le premier, et le Sénat se rendit. La loi de Finances du 22 Décembre 1878 arrêta les dépenses à la somme de 3.166.124.851 francs, les recettes 2.682.080.014 francs ; l'insuffisance des recettes dépassait 484 millions.

Le rôle de MM. Dufaure et de Marcère est suffisamment ressorti du récit des deux premières sessions de 1878 ; celui de M. Léon Say de l'étude des deux budgets de 1878 et de 1879. Le ministre des Finances ne réussit qu'incomplètement à détruire l'effet des très sérieuses critiques présentées par M. Bocher au Sénat. Il nous reste à rappeler brièvement le rôle de leurs collègues du Cabinet.

M. Teisserenc de Bort, ministre de l'Agriculture et du Commerce, fut absorbé, comme ministre du Commerce, par la préparation et la surveillance générale de l'Exposition, qui attesta la persistance de notre vitalité et la promptitude de notre relèvement, après des désastres inouïs.

Le général Borel qui n'assistait pas toujours aux réunions du Conseil, où il se sentait peut-être un peu dépaysé, ni aux séances de la Chambre, à cause de son insuffisance oratoire, apporta du moins tous ses soins à faire voter les lois qui augmentaient les pensions des veuves d'officiers ou qui assuraient des secours aux orphelins et surtout la très importante loi sur le réengagement des sous-officiers. Une prime de 600 francs fut allouée aux sous-officiers qui se réengageaient pour cinq ans et, à l'expiration des cinq ans, une somme de 2.000 francs dont l'intérêt était versé au réengagé. En cas de nouveau réengagement la prime était de 800 francs et la retraite de 365 francs, augmentée de 10 francs par chaque campagne ou par chaque année de service en plus. Cette retraite pouvait se cumuler avec le traitement d'un emploi civil. Pour qui sait l'action qu'exercent les sous-officiers dans toute armée et surtout dans une armée ou le service est à court terme, l'importance de cette loi n'a pas besoin d'être démontrée. Dans la discussion, qui trouva tous les partis d'accord pour le vote de ces améliorations, quelques députés, comme M. de Lur Saluces, insistèrent très judicieusement sur le côté moral de la question ils montrèrent que l'essentiel, pour retenir au service les sous-officiers, était de leur faire aimer l'armée, la discipline et l'uniforme. L'attachement à cette grande famille qu'est le régiment et au drapeau sera toujours un mobile plus puissant que la prime de réengagement.

Le ministère de M. Bardoux fut plutôt un ministère de parole et de préparation que d'exécution. Ministre des Beaux-Arts, M. Bardoux défendit victorieusement le principe de la subvention de l'Etat à l’Opéra, que des Républicains attaquaient dans un louable esprit d'économie, mais avec une inintelligence toute provinciale de la République Athénienne. Ministre de l'Instruction Publique, M. Bardoux contribua à faire voter l'augmentation de 4 millions dont bénéficia son ministère et qui s'appliqua pour 600.000 francs à l'enseignement supérieur, pour un million aux lycées et collèges, pour 2.400.000 francs à l'instruction primaire. Mais les grandes questions de réforme furent seulement posées sous son administration. La solution en était réservée à ses successeurs. M. Bardoux eut au moins le mérite de signaler la voie à suivre. Il déposa un projet de loi sur la gratuité de l'enseignement primaire, au mois de décembre 1877 un projet de loi de nomination des instituteurs par les recteurs, sur la proposition des inspecteurs d'académie, au mois de Janvier 1878 un projet de loi tendant à établir des écoles primaires supérieures, dans chaque chef-lieu de canton, avec le triple concours de l'Etat, du département et du canton, au mois de Mars 1878 ; un projet de loi sur l'organisation de l'enseignement primaire supérieur, au mois de Novembre 1878 un projet de loi tendant à rendre l'enseignement primaire obligatoire, à partir de 1881, le 24 Janvier 1879. C'est un arrêté de M. Bardoux qui institua le 28 Décembre 1878, une Exposition triennale des Beaux-Arts. C'est lui qui fit réparer un long et inexplicable oubli, en faisant décorer l'auteur du Dictionnaire historique de la langue française et l'auteur des Iambes ; lui qui voulait faire conférer la croix de chevalier à Zola, celle de commandeur à Renan, le grand cordon de la Légion d'honneur à Victor Hugo et qui n'en fut empêché que par la résistance du Maréchal.

De tous les membres du Cabinet le plus audacieux, aucuns diraient le plus téméraire, fut certainement M. de Freycinet. Dès le début de l'année 1878, il créait des Commissions techniques, chargées de préparer l'achèvement de notre réseau de chemins de fer d'intérêt général et de délimiter notre réseau d'intérêt local. Quelques jours après, d'autres Commissions techniques étaient chargées de dresser, pour chacun de nos grands bassins, le programme des travaux nécessaires pour améliorer les ports de commerce. On put croire que ces grandes questions, livrées à l'étude des Commissions techniques, seraient longuement discutées et finalement enterrées. Mais, avec M. de Freycinet, il n'y avait jamais beaucoup de distance entre la conception et l'exécution. D'accord avec M. Léon Say, dont le concours était indispensable pour la partie financière du plan, il proposait à la Chambre d'exécuter en dix ans trois milliards de nouvelles voies ferrées, un milliard de nouvelles voies navigables et de se procurer les 400.000 millions annuels, nécessaires à cette gigantesque opération, par un prélèvement annuel de 25 millions sur les 170 millions que le remboursement de la dette de l'Etat envers la Banque de France allait rendre disponibles et par une émission d'obligations 3 p. 100 remboursables, à long terme. M. de Freycinet proposait, en outre, le 7 Mars, le rachat par l'Etat des lignes en souffrance du Sud-Ouest et de l'Ouest de la France. Cette première partie du plan Freycinet fut adoptée, malgré l'opposition de MM. Brice, des Rotours, Cherpin et Rouher à la Chambre et celle de MM. Buffet, Chesnelong, Bocher et Caillaux au Sénat. La compétence incontestable de MM. Buffet et Caillaux, leur éloquence sobre et vigoureuse, leurs critiques partiellement fondées auraient eu plus de succès, si leur rôle politique antérieur n'avait par avance détruit l'autorité de leurs discours. La victoire fut due exclusivement à l'ancien auxiliaire de Gambetta, qui s'était montré, dans la discussion de cette aride question, un admirable debater. Le 27 Mai ; l'Officiel publiait les décrets relatifs à l'organisation des 745 kilomètres de chemins de fer d'intérêt local et des 1.86'i kilomètres d'intérêt général, dont les deux Chambres avaient voté le rachat.

Le ministre, qui montrait dans les grandes entreprises publiques la hardiesse dont il avait fait preuve pendant la Défense nationale, était, dans les questions de politique générale, le plus modéré, le plus conciliant des hommes. « Je suis un partisan déterminé de la conciliation, disait-il à Bordeaux ; où l'avait appelé un voyage d'inspection des côtes de l'Atlantique. Et au Havre, il n'était pas moins heureusement inspiré, quand il s'exprimait ainsi « Nous avons à faire, non de la politique académique, mais de la politique pratique, c'est-à-dire travailler, marcher, produire, laisser derrière nous des résultats, des témoignages irrécusables d'un bon Gouvernement et des aptitudes de la République à servir les intérêts du pays. D Par un autre contraste, ce modéré était l'élu des radicaux parisiens au Sénat et son nom, nous le verrons, se retrouvera dans toutes les combinaisons ministérielles où les radicaux l'emporteront sur les modérés.

L'exécution du « plan Freycinet », pour coûteuse qu'elle fût, n'eût pas détruit l'équilibre budgétaire, si elle n'avait coïncidé avec des entreprises coloniales très onéreuses, avec une augmentation sans cesse croissante des dépenses scolaires, une augmentation excessive du fonctionnarisme et avec un système de dégrèvements également très onéreux pour nos finances. Mais toutes ces coïncidences ne devaient se produire que sous la Présidence de M. Jules Grévy, alors que tout le monde subit l'entrainement d'une politique financière qui aurait mérité, bien plus que certaine politique socialiste, d'être qualifiée de politique « de la main largement ouverte ».

Le successeur du duc Decazes aux Affaires Étrangères, M. Waddington, avait donné à la majorité parlementaire les premières satisfactions qu'elle était en droit d'exiger, en appelant M. Fournier à l'ambassade de Constantinople. La citation que nous avons faite, dans un chapitre précédent, du rapport de M. Spuller, présenté au nom de la Commission du budget de 1878, était une invitation au ministre de faire plus et mieux. Dans la direction de notre politique extérieure M. Waddington avait été forcé de suivre la même ligne que M. Decazes. Mais il avait apporté aux affaires un esprit plus dégagé de préoccupations religieuses et sa seule présence au quai d'Orsay avait rassuré l'Allemagne et l'Italie, qu'inquiétait l'éventualité du triomphe de la Droite ultramontaine. Mais, par un curieux et naturel revirement, le rapprochement politique qui s'était opéré entre la France et l'Italie avait été suivit d'une rupture commerciale, dont la responsabilité remontait encore au 16 Mai. Le traité de commerce franco-italien expirait le 1er Juillet 1878. MM. de Broglie et Decazes, se sentant suspects au Quirinal, l'avaient renouvelé dès le 6 Juillet 1877, en acceptant les conditions les plus onéreuses pour la France. Saisie de ce traité, le 7 Juin 1878, la Chambre lui refusa sa sanction à une grosse majorité et la guerre des tarifs commença entre les deux puissances le 1er Juillet 1878.

Le remplacement du duc Decazes par M. Waddington, dont les sympathies pour l'Angleterre étaient connues, avait eu presque instantanément son influence sur les affaires d'Orient. Le 1er Avril 1878, le comte Beaconsfield faisait déclarer par son nouveau ministre des Affaires Étrangères, lord Salisbury, que le traité de San Stefano, en faisant dominer la Russie sur la mer Noire, en ne laissant à la Turquie qu'une indépendance illusoire, compromettait les intérêts de l'Angleterre. La Russie, après la guerre avec la Turquie, menacé d'une nouvelle guerre avec l'Angleterre, se tournait vers l'Allemagne qui, en souvenir de la blessure d'amour-propre reçue en 187S, lui refusait son concours et le prince Gortchakoff se voyait obligé de demander à l'Angleterre quelles modifications elle jugeait utile d'apporter au traité de San Stefano. Telle fut l'origine du Congrès de Berlin il sortit d'un arrangement du 30 Mai, entre la Russie et l'Angleterre, qui réduisait de plus de moitié les avantages obtenus par la première de ces puissances. La réduction eût été plus forte encore si M. Waddington ne se fût opposé, à l'avance, à ce qu'il fût question au Congrès de l'Egypte et de la Syrie. N'ayant pu s'entendre avec l'Autriche-Hongrie, pour exercer avec elle le protectorat de l'Empire turc, l'Angleterre s'était tournée directement vers l'homme malade et avait conclu avec lui, le 4 Juin, un traité secret, par lequel elle s'assurait l'ile de Chypre qui commande le littoral de la Syrie et de l'Egypte. Nantie de cette forte position, devenue elle aussi, par ce coup habile, une beata possidens, l'Angleterre, à l'insu de l'homme malade, avait assuré à l'Autriche Hongrie, d'accord avec l'Allemagne, la possession de la Bosnie et de l'Herzégovine.

Ces traités secrets et ces intrigues, qui avaient précédé le Congrès, rendaient sa tâche moins malaisée tout était réglé d'avance, et les plénipotentiaires, réunis le 13 Juin à Berlin, n'eurent qu'à confirmer les arrangements arrêtés entre MM. Beaconsfield, Gortchakoff, Bismarck et Andrassy. La France y aurait joué un rôle insignifiant, si M. Waddington qui tenait, sans doute comme helléniste, à la clientèle des Grecs n'avait soutenu, dans la séance du 5 Juillet, les prétentions de MM. Delyannis et Rangabé et obtenu du Congrès beaucoup moins que ne demandaient ces diplomates. Le 13 Juillet, le Congrès de Berlin clôturait ses séances, cinq jours après le coup de théâtre de la divulgation de l'accord anglo-turc. Le prince Gortchakoff, déçu et humilié, avait vainement demandé à l'assemblée de faire connaître comment elle entendait assurer l'exécution de ses hautes décisions. M. de Bismarck s'était vengé de l'échec qu'il avait éprouvé en 1875 mais, en creusant le fossé qui séparait l'Allemagne de la Russie, il avait peut-être facilité le rapprochement ultérieur de la Russie avec la France, alors tout anglaise.

Au bas du traité de Berlin figuraient, pour la France, les signatures de MM. Waddington, de Saint-Vallier et Deprez. Interrogé au Sénat, dans la discussion du budget de 1879, par M. de Gontaut-Biron, sur l'état de nos relations avec les autres -puissances, M. Waddington reconnut qu'il y avait dans le traité de Berlin des dispositions peu agréables pour nous ; mais le rétablissement de la paix et son maintien probable justifiaient, à ses yeux, la France « d'avoir été à Berlin libre d'engagements, d'en être revenue libre d'engagements et d'être restée libre d'engagements. » C'était la politique « des mains nettes », que Gambetta jugeait d'un mot piquant : « Nous nous sommes donné trop de mal pour découper le rôti que mangent les autres. »

L'affirmation si nette, si tranchante de M. Waddington était-elle conforme à la réalité des choses ? Oui, dans la bouche d'un diplomate notre ministre des Affaires Étrangères n'était pas tenu de faire connaître au Parlement les conversations confidentielles, qu'il pouvait avoir eues avec lord Salisbury, sur l'éventualité d'une intervention française en Tunisie, ni les encouragements qu'il pouvait avoir reçus de telle ou telle puissance. Un mot de lord Beaconsfield, à la Chambre des Communes, ne tardait pas du reste à éclairer la situation. Quand le chef du Gouvernement anglais se demandait si l'on avait, au Congrès de Berlin, transporté la France sur quelque haute montagne, d'où on lui avait montré les royaumes de ce monde, personne ne répondait par la négative.

En ce qui concerne les stipulations publiques, le maintien du statu quo dans les Lieux Saints et la réserve expresse des droits acquis à la France étaient, en effet, dans l'article 61, de pure forme. Dans l'article 34 la mention de la France au nombre des puissances qui devaient offrir leur médiation à la Sublime Porte et à la Grèce, au cas où elles ne parviendraient pas à s'entendre sur la rectification de frontière, ne comportait pas pour nous une action isolée, mais une action collective, bien que nos représentants eussent pris l'initiative de cette rédaction.

On était à cinq mois du Congrès de Berlin, quand M. Waddington répondait à M. de Gontant-Biron et, bien que le traité n'eût pas été exécuté dans toutes ses parties, par le mauvais vouloir ou par l'impuissance des Turcs, la guerre ne s'était pas rallumée et les sacrifices que M. Waddington avait cru devoir faire au rétablissement de la paix, en sanctionnant les agrandissements de l'Angleterre et de l'Autriche-Hongrie, n'avaient pas été jugés excessifs par l'opinion. Celle-ci n'était distraite du spectacle quotidien que lui offrait, à Paris, « la Foire du Monde », que par une grandiose cérémonie, comme celle qui fut célébrée à Notre-Dame, pour le bout de l'an de Thiers, le 3 Septembre 1878, ou par l'écho retentissant des discours prononcés par certains parlementaires hors session.

Au banquet anniversaire de Hoche, à Versailles, Gambetta dit très politiquement qu'il convenait de « se montrer clément, au lendemain du succès », et de « frapper peu mais juste ». Célébrant une pure gloire militaire, il fut naturellement amené à parler de l'armée, qu'il voulait maintenir en dehors de la politique et où il voulait que la discipline restât plus que jamais « immuable et inflexible ». On eût désiré l'entendre célébrer une autre gloire nationale, assister à l'inauguration de la statue de Lamartine à Maçon, où ne furent représentés ni le Cabinet ni l'Académie française. Nul, mieux que Gambetta, n'eût parlé de celui que M. de Mazade a appelé l'un des plus grands parmi les poètes, du puissant orateur parlementaire, du chef incontesté du Gouvernement de 1848 dans l'orage et du promoteur inspiré de la République. Les grandes tournées oratoires de Gambetta, si critiquées par les vaincus du 14 Octobre, et médiocrement approuvées par quelques-uns des vainqueurs, entretenaient pourtant en France un sentiment de joie et de confiance de plus, le tribun assagi faisait entendre, même dans les pays rouges, des conseils de modération et d'apaisement Ses paroles tenaient toujours la France attentive ; mais le discours du 18 Septembre, à Romans, empruntait un intérêt tout particulier à la situation du chef reconnu de la majorité, en face du président du Conseil et en face du Président de la République.

Le 16 Mai n'avait réussi qu'en un point les efforts faits habilement par M. de Broglie, brutalement par M. de Fourtou, pour convaincre le pays que la lutte était circonscrite entre le Maréchal et Gambetta, avaient été couronnés de succès. La lutte terminée, le pays s'était demandé avec curiosité ce qu'allaient faire et devenir le vaincu et le vainqueur. On sait ce qu'avait fait le vaincu. Le vainqueur, après s'être modestement effacé devant Thiers, s'était modestement effacé devant Jules Grévy et avait décliné toute candidature, non seulement à la Présidence de la République et à la présidence du Conseil, mais même à la direction officielle de la majorité. Sa popularité était immense dans la nation, dans ces nouvelles couches dont il avait salué l'avènement, aussi bien que dans la bourgeoisie éclairée des villes, grandes ou petites son influence était prépondérante dans son groupe parlementaire, dans toutes les Gauches, celles de la Chambre et celles du Sénat, dans le ministère même, et il n'était rien qu'un député, membre et président de la Commission du budget. Le chef reconnu, incontesté de la Démocratie républicaine resta dans le rang, par sa volonté d'abord, ensuite par les défiances de ses compétiteurs et aussi par les jalousies des Républicains plus avancés, plus chimériques ou plus impatients. Il est vrai que, dans le rang comme dans l'opposition, comme plus tard au pouvoir sa place fut la première. Il la fit telle par son application, par le zèle et l'activité qu'il mettait à s'informer des détails de tous les services, par l'énergique impulsion qu'il sut imprimer aux recherches, aux études, à tout le travail de la Commission du budget, par la hardiesse avec laquelle il aborda les plus difficiles questions, y cherchant toujours la solution la plus démocratique, par la défense constante des droits de l'État laïque et, en même temps, et, surtout, par le déploiement de toutes les qualités (lui font l'homme de Gouvernement. Est-il étonnant que des relations étroites se soient établies entre certains membres du Cabinet et lui, qu'il ait été consulté, par plusieurs ministres, sur toutes les grandes affaires ? Pouvait-on, sans injustice, qualifier de pouvoir occulte cette influence qui s'exerçait au grand jour ? Pouvait-on dire que Gambetta avait la réalité sans la responsabilité du pouvoir ? Quel pouvoir avait-il refusé ? A quelle responsabilité s'était-il soustrait ? Ce Cabinet même, qu'on l'accusait d'affaiblir, ne l'avait-il pas défendu contre les impatiences de quelques-uns de ses amis ? D'ailleurs, les Chambres s'étaient séparées le Il Juin et, pendant les vacances parlementaires, qui furent longues, le chef de la Démocratie républicaine reprit contact avec le suffrage universel et, dans chaque occasion, affirma ses sympathies pour le ministère et son respect pour « l'illustre M. Dufaure ». Des trois discours qu'il prononça à Romans, à Grenoble et à Paris, au banquet des commis voyageurs, nous insisterons sur le premier où se trouve tout un plan de conduite politique, tout un programme de Gouvernement, que nous rapprocherons du programme que le ministère fut amené à exposer, dès la reprise de la session.

L'orateur de Romans examine successivement chacune des questions qui s'imposent à la Démocratie, dans ce qu'il appelle « la seconde phase du parti républicain ». Après avoir été un parti d'attaque et de Révolution, il doit être, dans cette seconde phase, dans cette nouvelle étape, un parti de Gouvernement, d'ordre et de consolidation. Le premier des devoirs, c'est le respect de la Constitution, imparfaite sans doute, comme toute œuvre humaine, mais qui a suffisamment prouvé sa valeur, en protégeant la France « contre les criminels desseins de ceux qui appelaient la force pour renverser l'édifice élevé par la nécessité publique ». Si le magistrat, chargé de garder la Constitution, se dérobait à son mandat, comme les vaincus du 16 Mai en menaçaient constamment la France, surtout à l'approche des élections sénatoriales, il ne s'écoulerait pas un intervalle d'une heure entre la retraite et le remplacement « parce que le successeur serait désigné et qu'il ne rencontrerait nulle part de compétitions personnelles Mais mieux vaut cent fois que le Président exerce son mandat « jusqu'à la dernière limite de son pouvoir » on ne lui demande que de prouver la stabilité républicaine, en restant à son poste jusqu'au terme légal.

De même, on ne demande au Gouvernement que « ce qu'il y a de possible et de réalisable », et M. Gambetta, qui se proclame un ministériel résolu et décidé réclame du ministère l'achèvement de l’œuvre administrative qu'il a si bien commencée. Avec toute la France, il exige que le Régime voulu et acclamé par tout le pays ne soit pas contrarié par ses seuls fonctionnaires. Cette partie de la tâche à remplir est, pour les ministres, de beaucoup la plus facile.

M. Gambetta insiste ensuite sur la nécessité de mettre l'armée, cette fleur et cette force de la France », dont il fait un magnifique éloge, au-dessus de l'arène des partis et à l'écart de la politique. Il déplore que les chefs de cette armée, qui devraient être rentrés dans la retraite et dans l'oubli, se signalent par des démonstrations qui les classent au nombre des ennemis de nos institutions les lois votées par l'Assemblée nationale et qui exigent que les grands commandements soient périodiquement renouvelés, rie peuvent être plus longtemps transgressées.

Partisan de l'inamovibilité de la magistrature, il veut qu'elle soit une protection pour l'État, pour le citoyen et pour le juge et, pour sauver le principe, il désire que le Gouvernement de la République fasse ce qu'ont fait tous les Régimes précédents, qu'il donne une nouvelle investiture à la magistrature qu'un Gouvernement rival lui a léguée.

Il montre ensuite les progrès de l'esprit « clérical, vaticanesque, monastique, congréganiste et syllabiste », les usurpations des 400.000 religieux qui constituent, selon lui, le vrai péril social, la main mise sur l'enseignement en 1849, en 1850, en 1875 par le jésuitisme « qui monte toujours quand la patrie baisse », il proteste de son respect pour le clergé séculier ; « bien plus opprimé qu'oppresseur », et il demande seulement qu'on lui applique les lois, toutes les lois, y compris la loi militaire, et qu'on lui supprime les faveurs.

Il veut que la question de l'éducation soit « la passion de tous les députés républicains et il trace tout un programme généreux, patriotique d'instruction primaire, un programme pratique d'instruction secondaire, un programme d'enseignement supérieur, qui sera, comme l'enseignement secondaire, confié exclusivement à l'Université, « cet asile tutélaire de l'esprit moderne. »

Pour les travailleurs, il réclame l'assistance de l'État, réduite au développement des moyens de communication il se déclare partisan d'une politique commerciale reposant sur la liberté, partisan d'une politique financière reposant sur les dégrèvements et sur la suppression des mauvais impôts et, par un revirement inattendu, adversaire décidé de l'impôt sur la rente.

Comment le Maréchal de Mac-Mahon prit-il les avances significatives qui lui étaient faites par le leader des Gauches, par le chef de la majorité, par le représentant le plus qualifié et le plus populaire de la Démocratie victorieuse ? Du jour où il s'était résigné à conserver le pouvoir, le Maréchal avait implicitement consenti à laisser le Gouvernement aux Républicains, tout en se réservant de se retirer, le jour où il devrait sanctionner des actes que réprouverait sa conscience. Sans cesser de considérer tous les Républicains comme des démagogues, sauf peut-être M. Dufaure, qu'il appréciait pour ses sentiments religieux, pour sa droiture, peut-être aussi pour sa haine de la Démocratie, il avait signé des mesures qu'il désapprouvait, il avait sacrifié des fonctionnaires tout dévoués à sa personne, en se contentant de dire à ses ministres : « Après tout c'est vous qui êtes responsables, ce n'est pas moi. » Quand M. Dufaure, atteint dans la plus chère des affections, parla de se retirer, c'est l'affectueuse insistance du Maréchal qui le fit rester à son poste. Le Maréchal appréciait aussi M. Léon Say et M. Duclerc, pour les services rendus par eux aux Finances publiques ; mais, en dehors de ces trois hommes, tous les membres de la Gauche lui étaient indifférents et quelques-uns d'entre eux, qui n'étaient pas les plus violents, tant s'en faut, lui étaient particulièrement antipathiques. Son abstention au bout de l'an de M. Thiers, bien que conforme au protocole, avait été remarquée et commentée dans le sens le plus défavorable. Ses sentiments de défiance envers M. Jules Simon, qui avaient fait explosion au mois de Mai l8î7, étaient très antérieurs au discours de Novembre 1873. Enfin, son attitude en face de M. Gambetta, même après le 14 Décembre 1877, convainquit tout le monde que MM. de Broglie et de Fourtou avaient répondu à ses secrètes pensées en le mettant personnellement aux prises avec « le dictateur de Bordeaux et l'orateur de Belleville ».

Après la bataille, autant le vainqueur usa modérément de la victoire, autant le vaincu montra qu'il avait conservé le souvenir cuisant de la défaite. Le président de la Commission du budget ne fut pas invité une seule fois aux réceptions et aux dîners de l'Elysée, où sa place était marquée, et cette exclusion en disait long. M. Duclerc avait essayé de ménager une entrevue « fortuite » entre le Président de la République et M. Gambetta le Président de la République s'y refusa obstinément. Sans que les ministres s'en doutassent, la froide réserve du Maréchal agissait sur quelques-uns d'entre eux. M. Dufaure avoua plus tard que du 14 Décembre 1877 au 31 Janvier 1879, il n'avait pas rencontré une seule fois M. Gambetta, en dehors de la Chambre, et n'avait pas eu avec lui la moindre relation. Les sessions parlementaires rapprochaient forcément le président du Conseil et le chef de la majorité ; mais rien ne comblait le fossé chaque jour plus profondément creusé, qui séparait le chef de l'Etat de celui qu'il aurait eu le plus d'intérêt à voir, à connaître et qu'avec sa droiture native il eût certainement apprécié. La passion de Gambetta pour l'armée, son zèle pour sa réorganisation établissaient entre eux un pont sur lequel le Maréchal ne voulut jamais mettre le pied.

La clôture de l'Exposition fut la dernière occasion solennelle qui s'offrit au Maréchal de représenter dignement la France en face des souverains et des peuples que l'Exposition avait attirés à Paris. Le discours qu'il prononça, dans cette mémorable circonstance, était son œuvre personnelle soumis constitutionnellement au Conseil des ministres, il fut unanimement approuvé et méritait cette approbation par une note à la fois fière et modeste, par un ton simple et juste. Après avoir dit que l'idée même d'une Exposition, si peu de temps après nos malheurs, était une sorte de défi à la mauvaise fortune, une sorte de gageure qui avait été gagnée et une preuve éclatante de nos dispositions pacifiques, le Chef de l'Etat faisait valoir, avec un légitime orgueil, « la solidité de notre crédit, l'abondance de nos ressources, la paix de nos cités, le calme de nos populations, l'instruction et la bonne tenue de notre armée, aujourd'hui reconstituée il terminait par un appel chaleureux à l'esprit de concorde, au respect absolu des institutions et des lois, à l'amour ardent et désintéressé de la Patrie ».

Quand la session se rouvrit, quelques jours après la distribution des récompenses aux exposants, M. Dufaure prit la parole dans la vérification des pouvoirs de M. de Fourtou. Celui-ci, au lieu de défendre son élection, avait attaqué les Républicains et le Cabinet avec l'audace froide, tranquille, exaspérante dont il avait le secret. A la place d'une réponse indignée de Gambetta, il eut une réponse du président du Conseil qui prit les proportions d'un événement politique. Avec plus de vigueur qu'il n'en avait jamais montré, le Garde des Sceaux refit le procès du 16 Mai, justifia son administration du reproche visiblement paradoxal, dans la bouche de M. de Fourtou, de pression officielle et à l'interrogation cynique de M. de Fourtou « Quel Gouvernement représentez vous ? » répondit, aux acclamations de toute la majorité, en flétrissant le « parti sans nom ».

« Vous qui me parlez et qui me demandez ce que je représente, voulez-vous bien me dire quel est votre programme ? Il y a dans nos Chambres, comme dans la presse, un parti sans nom, auquel il est absolument impossible de trouver un nom et un programme, qui est puissant par le talent de ceux qui le représentent, qui peut créer des obstacles sérieux à tous les Gouvernements qui prendront le pouvoir qui en créerait, s'ils revenaient, au Gouvernement impérial, au Gouvernement de la Restauration, qui en crée aujourd'hui au Gouvernement de la République. Voilà le parti auquel appartient l'honorable M. de Fourtou.

« Quant à nous, Messieurs, nous disons très sincèrement ce que nous sommes. Notre nom est connu. Nous sommes les représentants de ce groupe libéral qui, depuis 1814, a toujours trouvé des organes dans nos Assemblées, jusqu'en 1851, et même quelquefois après.

« A ces principes libéraux que nos pères nous ont transmis, nous adaptons la forme du Gouvernement républicain, telle qu'elle a été établie par la Constitution de 1875. »

Ce discours, prononcé le 19 Novembre, 22 jours après l'élection des délégués sénatoriaux, qui avait eu lieu le 27 Octobre précédent, était tout un programme d'élections sénatoriales il permettait d'exclure des listes républicaines tous ces Conservateurs indécis, Bonapartistes hier, Orléanistes il y a trente ans, Légitimistes il y a cinquante ans, qui se rallient toujours au parti le plus fort et qui ont pour longtemps compromis l'appellation de Ralliés, également suspecte à la réaction et au libéralisme. Après la séance du 19, qui avait singulièrement affermi le ministère, le confident de M. Gambetta, M. Spuller, disait familièrement : « Il ne faut pas qu'il s'en aille. » Et M. Dufaure, échangeant ses impressions de séance avec M. Ribot, « Maintenant je reste ; j'ai senti la Chambre avec moi. »

Les élections du 5 Janvier se préparaient au milieu de ces incidents politiques et de l'achèvement du vote du budget, dans des conditions bien différentes pour les Conservateurs et pour les Républicains. Les premiers se rattachaient au parti bonapartiste et aux deux partis monarchiques et ne parvenaient pas plus à faire l'union dans la presse réactionnaire que sur les listes présentées aux électeurs : de violentes polémiques accentuaient les divisions et rendaient tout accord impossible. Les seconds, au contraire, avaient un excellent critérium du libéralisme des candidats ils n'acceptaient, parmi les sénateurs sortants, que ceux qui avaient voté contre la dissolution et ils n'admettaient, parmi les candidats nouveaux, qui professaient en grande majorité les opinions de la Gauche républicaine, que ceux qui se prononçaient contre le 16 Mai et se déclaraient les respectueux serviteurs de la volonté nationale. Pour masquer ses divisions, la Droite sénatoriale rédigea un Manifeste collectif, où elle confondait tous les Républicains dans la même accusation dé radicalisme et annonçait que, si le pays portait sur eux ses suffrages, il se réveillerait avec une magistrature sans indépendance, des écoles sans Dieu, des églises sans ministres du culte, une armée sans discipline, une gendarmerie soumise directement à l'autorité civile et un impôt nouveau et vexatoire sur le revenu. Remarquons en passant que, depuis 17 ans que les Républicains ont triomphé dans tous les scrutins, pas une de ces prédictions ne s'est réalisée, pas même celle des Ecoles sans Dieu, puisque l'enseignement religieux, dans les Ecoles publiques, est donné aux enfants par les ministres des différents cultes, en dehors de l'Ecole, dans l'Eglise, dans le Temple ou dans la Synagogue puisque la démonstration de l'existence de Dieu figure au programme officie ! des Ecoles primaires. Les trois Gauches du Sénat répondirent au Manifeste des Droites par une Déclaration beaucoup moins ambitieuse. Elles dirent aux électeurs que de leur vote dépendait l'harmonie des pouvoirs publics ; que la République avait remporté sur ses ennemis cette dernière victoire de les réduire à la calomnie qu'il y avait à choisir entre deux politiques la politique constitutionnelle républicaine et la politique sans nom, sans franchise, qui ne peut avouer son drapeau, parce qu'elle en a trois, ni sa pensée, parce qu'elle ne saurait offrir au pays qu'une Révolution, suivie d'une guerre de prétendants.

Les électeurs étaient suffisamment avertis. Pour achever de les éclairer, le comte de Chambord avait écrit à M. de Mun : « Pour que la France soit sauvée, il faut que Dieu y règne en maitre, pour que j'y puisse régner en Roi. » Offrir à la France de 1878 la perspective d'une royauté théocratique, c'était la plus forte des illusions monarchiques. Cette parole, royalement impolitique, aurait, à elle seule, suffi pour assurer le triomphe de la République, du régime que la Défense trouvait entaché d'une « barbarie plus sauvage que celle des peuples primitifs ».

Les Légitimistes allaient donc au scrutin sous la bannière que le comte de Mun avait déployée au Congrès des cercles ouvriers catholiques de Chartres, sous le drapeau blanc de la contre-Révolution ils partaient en lutte contre la société moderne, contre les lois civiles, contre le Concordat, contre l'organisation économique et contre le libéralisme le plus prudent, contre celui que représentait M. de Falloux. Il semble que ces Légitimistes, qui se plaçaient ainsi en dehors des conditions d'existence des Gouvernements contemporains, auraient dû s'isoler soigneusement des Bonapartistes, des Orléanistes et des Constitutionnels, avec lesquels ils avaient formé la majorité de Droite du premier Sénat républicain. L'intérêt électoral leur conseillait de perpétuer l'équivoque jusqu'au bout. Jusqu'au dernier jour, le Sénat de 1876 fut pour la Chambre des députés un censeur hostile et non point un modérateur amical jusqu'au dernier jour, il fut impuissant puisqu'il ne sut rien empêcher, et dangereux puisqu'il faillit tout compromettre ; jusqu'au dernier jour il a été à la merci des excentriques et des violents ; jusqu'au dernier jour il a flotté entre la Monarchie et la République et, par une juste punition, il a surtout compromis les idées conservatrices qu'il s'est targué de défendre. Si la première expérience de la Constitution de 1875 n'a pu se faire sincèrement et loyalement, la faute en revient au Sénat de 187C et, dans le Sénat de 1876, les plus coupables ne furent pas les ennemis déclarés de la République, mais les membres du parti sans-nom, sur le compte desquels l'histoire ne portera pas un autre jugement que celui de M. Dufaure.

Outre la série B que le sort, en 1876, avait désignée la première pour le renouvellement triennal de 1879, 7 sièges étaient à pourvoir par suite de décès, 4 dans la série C, renouvelable en 1882, et 3 dans la série A renouvelable en 1883. Sur 82 sièges vacants les Monarchistes en conquirent 16 et les Républicains 66 sur 37 départements appelés à voter, 7 seulement donnèrent la majorité à la réaction et, dans les Landes, les Républicains eurent, à quelques unités près, autant de voix que les Monarchistes. Cette victoire, tout à fait décisive, et qui dépassa les espérances les plus optimistes, fut la vraie revanche du 16 Mai et, comme au 14 Octobre, les Bonapartistes furent les plus vaincus deux seulement entraient au Sénat le maréchal Canrobert était battu dans le Lot. Dans le Sénat renouvelé, la Gauche disposait d'une majorité de 40 à 50 voix ; cette majorité s'attesta, dès la rentrée, par le choix du président ; M. Martel remplaça le duc d'Audiffret-Pasquier, que l'on rendit responsable des tergiversations et des défaillances du parti constitutionnel. Le rôle des Constitutionnels était désormais fini les débris du groupe se perdirent, suivant leurs affinités, à Droite ou à Gauche.

L'élection du 5 Janvier créait une situation nouvelle deux des pouvoirs publics appartenaient désormais à la République le Maréchal avait vu condamner une fois de plus sa politique et exclure de la Haute Assemblée les hommes qui avaient toute sa confiance. Après le suffrage universel, le suffrage restreint, sans lui notifier un congé brutal, puisque ses pouvoirs légaux n'expiraient qu'en 1880, lui signifiait d'avoir à tenir plus de compte des volontés de la nation et des vœux de ses représentants. Ces vœux, que Gambetta avait formulés à Romans, se résumaient ainsi modifications à la loi de 1875 sur les Universités libres laïcité, gratuité et obligation de l'enseignement primaire réforme du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique suppression des faveurs aux congrégations religieuses non autorisées translation de la gendarmerie du ministère de la Guerre au ministère de l'Intérieur ; amnistie en faveur des adhérents à la Commune, non condamnés par droit commun mise en accusation des ministres du 16 Mai profonds changements dans le personnel et particulièrement dans le personnel judiciaire.

Ces revendications firent naturellement l'objet des délibérations du Conseil des ministres et l'on se mit d'accord sur les concessions que le Gouvernement devait faire, sur les modifications qu'il devait introduire dans les lois, pour les mettre en harmonie avec la République, définitivement fondée. Le Maréchal ne fit pas d'objections au programme que lui proposèrent ses conseillers responsables et, le 16 Janvier, lecture fut donnée de la Déclaration où ce programme était exposé aux représentants du pays.

La Déclaration, qui fut lue au Sénat par M. Dufaure et à la Chambre des Députés par M. de Marcère, fut accueillie au Sénat avec une faveur marquée, à la Chambre avec une froideur voisine de l'indifférence, peut-être parce qu'elle était d'une longueur démesurée. Ces sortes de documents gagnent toujours à être rédigés avec une imperatoria brevitas. La Gauche modérée trouvait pourtant dans le langage du Gouvernement toutes les garanties qu'elle pouvait désirer, et la Gauche avancée un commencement de satisfaction, qui aurait dû lui faire prendre patience. Le Cabinet affirmait son désir de conserver la paix, pourvu qu'elle ne coûtât rien à la dignité de la France il se félicitait d'avoir pris part aux délibérations de la grande société européenne et annonçait qu'il poursuivrait, de concert avec les autres puissances, l'exécution intégrale du traité de Berlin. Passant à la situation intérieure, il rappelait la Commune, disait les sentiments de commisération qu'il éprouvait pour ceux qui n'avaient été que les aveugles instruments des meneurs et mentionnait les grâces accordées à 1.542 condamnés, les remises de peine faites à 2228. Il s'engageait à déposer une loi permettant d'étendre le droit de grâce à ceux qui, n'ayant pas purgé leur contumace, n'avaient pris qu'une part secondaire à l'insurrection.

Non moins net était l'engagement pris par le ministère d'exiger de tous l'observation des lois qui, depuis le commencement du siècle, règlent en France les rapports entre la société civile et la société religieuse. Sur ce sujet délicat, la Déclaration, en termes un peu atténués, reproduisait presque le discours de Romans. Elle était aussi énergique que Gambetta dans l'appréciation de la conduite des fonctionnaires qui usaient, envers nos institutions, de la liberté de parole et d'écrit que la loi laisse au simple citoyen, mais qu'elle refuse aux agents salariés de l'Etat. Elle qualifiait cette conduite de trahison et promettait de se montrer inexorable contre ceux qui attaqueraient et dénigreraient le Gouvernement, au mépris de ces principes de morale sociale.

Après un long développement sur les traités de commerce, dont le Gouvernement étudierait le renouvellement, sans s'écarter des principes d'une sage liberté commerciale, la. Déclaration annonçait la présentation d'un projet de loi organisant l'enseignement professionnel dans les centres manufacturiers, et l'appropriation d'une partie du Palais du Champ-de-Mars, inoccupé depuis la fin de l'Exposition, à la création d'un Institut populaire technique.

Le ministre des Travaux Publics produirait les conventions passées avec diverses Compagnies pour l'exploitation de lignes nouvelles, et proposerait la constitution d'un réseau d'Etat bien délimité.

Le ministre des Finances se félicitait que les excédents accumulés des exercices 1878, 1876, 1877 et 1878 atteignissent 170 millions de francs, malgré les dégrèvements opérés et promettait de dégrever encore, tout en amortissant.

Le ministre de la Guerre signalait l'intérêt des lois attendues sur l'état-major, l'administration et l'avancement ; il s'engageait à étudier, de concert avec ses collègues de la Justice et de l'Intérieur, les modifications à introduire dans l'organisation et le service de la gendarmerie et promettait d'exécuter scrupuleusement la loi sur le commandement des corps d'armée. « Les exceptions qu'elle permet, ajoutait-il, ne seront appliquées que dans un intérêt réel de service. »

La Marine espérait que les Chambres continueraient à la doter généreusement. Des projets de loi seraient présentés pour fixer le régime de nos possessions d'outre-mer et régler les rapports du gouvernement général de l'Algérie avec les départements ministériels. C'était l'éternelle question des rattachements, qui était ainsi soulevée incidemment.

Au ministre de l'Intérieur incomberait la tâche de présenter des projets de loi sur l'organisation municipale et sur les chambres syndicales, de développer le système pénitentiaire inauguré en 1875, d'appliquer les lois sur les enfants en bas âge et sur l'assistance publique.

Le ministre de l'Instruction Publique revendiquera pour l'Etat la collation des grades il proposera la création de Conseils particuliers pour l'Université, l'établissement de l'enseignement primaire obligatoire, la suppression de la lettre d'obédience.

Le Garde des Sceaux prépare un projet augmentant le nombre des membres du Conseil d'Etat, des projets introduisant des changements dans la législation criminelle.

Cette interminable table des matières n'était pas de nature à passionner une Assemblée jeune, ardente, toute frémissante des anciennes luttes. Il semblait que chaque ministre eût tracé, un peu au hasard ; le sommaire des travaux qui s'imposeraient à son département et que tous ces sommaires, sans lien entre eux, eussent été apportés à la Chambre et au Sénat. Le Sénat discerna les bonnes intentions dans le désordre de ce programme touffu ; la Chambre ne les vit pas du premier coup et ne sembla pas très disposée à répondre a l'appel à sa confiance qui terminait la Déclaration.

Si M. Dufaure s'était trouvé à la Chambre, avec son habitude des brusques décisions et son amour des solutions franches, il est probable qu'il n'aurait pas voulu rester longtemps dans l'incertitude des sentiments de la majorité à l'égard du Cabinet. Il aurait hâté la manifestation de ces sentiments en acceptant, en provoquant même une demande d'interpellation. Cette interpellation ne se produisit que quatre jours plus tard, le 20 Janvier ; elle fut développée par M. Sénard, et, comme elle portait sur le personnel judiciaire, c'est le Garde des Sceaux qui prit la parole pour confirmer et compléter la Déclaration. Son discours, le dernier qu'il prononça comme président du Conseil, fit une profonde impression et rallia toute la Gauche modérée dans une majorité de 223 voix contre 121, dont s'exclut M. Gambetta, mal inspiré ce jour-là.

M. Dufaure commença par déclarer qu'à ses yeux les élections du 5 Janvier, en consolidant le Gouvernement républicain, permettaient de mettre en pratique sérieusement, activement la Constitution du pays. Il reconnut ensuite que, sous le Gouvernement du 16 Mai, beaucoup de magistrats étaient devenus des hommes de parti dans l'exercice de leurs fonctions. Mais ces magistrats étaient inégalement coupables les uns n'avaient été que des instruments dociles de M. de Broglie les autres avaient été animés du même esprit belliqueux que lui. Un certain nombre, au contraire, avaient résisté à ses ordres, au point de compromettre leur situation. M. Dufaure avait établi, comme le voulait la justice, une distinction entre les coupables, déplacé les uns avec disgrâce, révoqué les autres. Parmi les juges de paix, objets de tant de réclamations, 168 avaient été déplacés et 177 révoqués. Pour l'avenir, M. Dufaure se montrerait plus sévère encore, sans cesser d'être juste, sans oublier les ménagements que méritent des fonctionnaires qui ont passé 26 ans, 28 ans dans la magistrature et qui n'ont fait que céder à la pression de leurs supérieurs.

En s'appropriant les sentiments libéraux qu'avait exprimés M. Sénard, M. Dufaure rappelait, non sans fierté, que huit ans auparavant, à Bordeaux, sur sa proposition et sur celle de M. Grévy, le nom de la République avait été, pour la première fois, officiellement proclamé à la tribune de l'Assemblée nationale. Il ajouta que depuis il avait pris une part modeste mais ferme, et sans un instant d'hésitation, à tous les progrès de l'institution républicaine, et il termina par ces nobles paroles :

« J'ai encore pris part à l'événement qui vient de se passer et qui a été un progrès nouveau. Je ne sais quelle part je prendrai à ses conséquences immédiates, ni si je serai témoin de la dernière épreuve que l'institution républicaine doit subir en 1880, par le renouvellement du pouvoir exécutif ; mais je demande au ciel qu'elle se passe avec autant de calme et de fermeté que l'épreuve qu'elle vient de subir le 5 Janvier. Et si je suis encore de ce monde, personne n'y applaudira d'un cœur plus ardent que le mien. » Après M. Dufaure, M. Floquet vint affirmer que « l'union des Gauches devait se symboliser dans un nouveau ministère, représentation véritable de la majorité ». M. Clémenceau demanda l'ordre du jour pur et simple qui fut repoussé et M. Jules Ferry déposa l'ordre du jour de confiance qui fut adopté il était ainsi conçu :

« La Chambre des députés, confiante dans les déclarations du Gouvernement et convaincue que le Cabinet, désormais en possession de sa pleine liberté d'action, n'hésitera pas, après le grand acte national 'du 5 Janvier, à donner à la majorité républicaine les satisfactions légitimes qu'elle réclame depuis longtemps, au nom du pays, notamment en ce qui concerne le personnel administratif et judiciaire, passe à l'ordre du jour. »

Conformément aux promesses de la Déclaration, promesses dont le Maréchal avait eu connaissance, et aux nouveaux engagements qu'ils avaient pris le 30 Janvier, les ministres se disposèrent à donner à la majorité républicaine ces « satisfactions » qu'elle réclamait. Ils s'attendaient d'autant moins à une résistance que le Maréchal venait de consentir au remplacement du général Borel par le général Gresley, le récent candidat des Gauches à un siège d'inamovible, et que la question des grands commandements militaires semblait tranchée par le texte même de la Déclaration. Elle était seulement posée, la phrase sur les exceptions permises par la loi n'étant pas entendue de même par le Maréchal et par ses ministres. Pour le Maréchal les officiers généraux maintenus dans le commandement au-delà du terme légal devaient accomplir une nouvelle période de trois ans pour les ministres l'exception appliquée, dans un intérêt réel de service, » pouvait cesser dès que l'intérêt du service n'était plus en cause. Ce malentendu fut une des causes de l'événement qui se préparait. Il en existait d'autres et en particulier l'annonce de la mise en accusation des Cabinets du 17 Mai et du 23 Novembre 1877. Le Maréchal était décidé à se retirer plutôt que d'assister, sans pouvoir les défendre, au procès des hommes qui s'étaient dévoués à sa cause. Le ministère Dufaure avait compris les scrupules du Président de la République et il était résolu, de son côté, à faire écarter la mise en accusation, dût-il poser la question de Cabinet, éventualité peu vraisemblable, étant donné les dispositions de la Chambre.

Dans ses Souvenirs de la Présidence du Maréchal de Mac-Mahon, M. Ernest Daudet a raconté longuement et presque toujours exactement l'histoire des vingt derniers jours de cette Présidence, du 10 au 30 Janvier 1879. Nous suivrons à peu près son récit, non sans relever un détail dont nous avons pu contrôler personnellement l'inexactitude. M. Daudet rapporte que M. Bardoux qui avait pu défendre pendant un an, avec autant de courage que de bonheur, les fonctionnaires les plus menacés de son administration, s'était vu contraint, vers le milieu de Janvier, « de se résigner à sacrifier M. Mourier, vice-recteur de l'Académie de Paris ». M. Mourier n'était pas sacrifié, mais atteint par la limite d'âge, limite qu'avait fixée un ministre ami de M. Daudet, afin d'atteindre en même temps le recteur de Toulouse et le député républicain de la Haute-Garonne, M., Gatien-Arnoult. Personne n'a jamais accusé M. Bardoux d'avoir subi une pression politique quelconque, quand il remplaça M. Mourier par M. Ch. Zévort, recteur de l'Académie de Bordeaux cette nomination était d'ailleurs antérieure à l'interpellation de M. Sénard. C'est seulement après l'interpellation, que l'on annonça comme imminentes la démission de M. Andral, petit-fils de Royer-Collard, vice-président du Conseil d'Etat et celle de M. Ferdinand Duval, préfet de la Seine, exigée par M. de Marcère. Le 2S Janvier M. Léon Say avait soumis à la signature du Maréchal un décret portant révocation de hauts fonctionnaires du ministère des Finances. Le Maréchal ajourna M. Léon Say au lendemain, retint M. Dufaure après le Conseil et lui dit !

« — Je ne veux pas signer ce décret M ! Léon Say est un ministre qui s'emporte (sic) il ne faut pas s'emporter ni faire de ces exécutions.

— C'est un ministre qui arrive premier, Monsieur le Maréchal, voilà tout, répondit M. Dufaure nous avons tous pris, le 20 Janvier, un engagement formel et nous sommes résolus à le tenir.

— Allez-vous donc m'apporter à signer des masses de décrets de révocation ?

— Chacun de nous a sa liste et puisque nous sommes contraints de faire à l'opinion des concessions légitimes et nécessaires, n'y mettez pas obstacle, Monsieur le Maréchal, ce serait nous contraindre à nous retirer et ceux qui nous remplaceraient vous présenteraient les mêmes propositions.

— Je partirais avec vous.

— Vous compromettriez alors plus sûrement ceux que vous voulez protéger. »

Le Maréchal ne répliqua pas. Le lendemain il rendait sans observation le décret signé à M. Léon Say. Mais il était manifeste que sa résolution était prise, que les excellentes raisons données par M. Dufaure n'avaient produit sur lui aucun effet, et qu'il n'attendait qu'une occasion. Elle lui fut fournie au Conseil du 28 Janvier[2]. MM. Dufaure, Gresley et Bardoux apportaient des projets de décrets qu'ils comptaient faire signer au Président. Le Ministre de l'Instruction Publique et des Cultes prit le premier la parole et proposa la nomination de M. Laferrière, maitre des requêtes au Conseil d'État, comme directeur des Cultes, en remplacement de M. Tardif, qui venait d'avoir une discussion des plus vives avec le sous-secrétaire d'État, M. Jean Casimir-Périer. Le Maréchal exprima les regrets que lui causait le départ de M. Tardif et signa le décret qui le remplaçait et celui qui lui conférait le titre de conseiller d'État honoraire. Le général Gresley prit alors la parole pour proposer de déplacer cinq commandants de corps d'armée et d'en mettre cinq autres en disponibilité MM. Lartigue, Bataille, Bourbaki, de Montaudon et du Barail. « Ces braves gens sont couverts par la loi, dit le Maréchal, et je me refuse à les révoquer. » Le ministre répliqua que, dans la pensée du Conseil, le fait d'avoir été maintenu en fonctions n'impliquait pas le droit de courir une nouvelle carrière d'égale durée. Le Maréchal, très rouge, comme il l'était dans les circonstances graves, prononce alors tout d'une haleine, d'un accent triste mais d'un ton résolu, un discours où il abandonne les généraux Lartigue et de Montaudon, malades et qui veulent se retirer, mais où il défend fermement les autres et déclare que, s'il les sacrifiait, il n'oserait plus embrasser ses enfants. Puis, il se lève, serre la main des ministres les plus rapprochés de lui et se retire, avec une gravité digne et fière.

Le soir même, les ministres se réunissaient à la place Beauvau, pour se trouver plus à proximité de l'Elysée. Ils exprimèrent l'avis qu'il était désirable d'éviter une crise gouvernementale mais, sur l'observation présentée par M. Dufaure que les scrupules du Maréchal auraient dû s'exprimer quinze jours plutôt, lorsqu'il avait eu connaissance de la Déclaration ministérielle, il fut décidé que- les propositions faites par le général Gresley seraient maintenues. Le Cabinet, pour faire preuve de conciliation, consentirait seulement à replacer le général du Barail.

Le lendemain matin M. Dufaure se rendit à l'Elysée, fit connaitre au Maréchal les résolutions de ses collègues et le trouva inébranlable. M. Dufaure lui offrit sa démission et celle de tous les ministres il la refusa, en déclarant qu'il ne trouverait pas à former un nouveau Cabinet dans la majorité et renvoya le Conseil au lendemain, à Versailles. C'est dans ce Conseil, convoqué pour une heure de l'après-midi, qu'il devait faire connaitre sa décision dernière.

Dès l'après-midi du 28, le bruit s'était répandu dans Paris qu'un désaccord s'était produit au Conseil entre le Garde des Sceaux et le Président de la République. L'opinion, toujours un peu nerveuse depuis le 16 Mai d87'7, s'était demandé s'il ne se préparait pas une répétition de ce coup de tête. De prétendus nouvellistes très exactement renseignés avaient affirmé que M. de Broglie avait été appelé a l'Elysée. Ni le duc de Broglie, ni aucun homme politique marquant n'avait été mandé par le Maréchal. Le 28 Janvier, et durant toute la journée du 29, il était resté dans la plus grande réserve, ne s'ouvrant pas même aux siens de sa résolution, très fermement arrêtée pourtant. Les Gauches du Sénat et de la Chambre, mieux renseignées que le public, n'avaient pas eu une minute de crainte et, dès l'ouverture de la crise, s'étaient occupées de pourvoir à la vacance du pouvoir suprême. La candidature de M. Dufaure, posée dans les groupes sénatoriaux, n'avait pas été soutenue, et une note très brève, envoyée par le chef du Cabinet du Garde des Sceaux à l’Agence Havas, avait ramené tous les suffrages sur le nom du candidat désigné à l'avance, qui ne devait pas, Gambetta l'avait annoncé à Romans, rencontrer une seule compétition personnelle. Tous les Républicains étaient d'accord et l'élection du député du Jura était faite, avant que la démission du Maréchal ne fût écrite.

Le 30 Janvier, à une heure, le Maréchal se rend à Versailles dans la salle du Conseil, où tous les ministres sont réunis, apprend d'eux qu'ils persistent dans leurs résolutions et leur donne lecture de cette lettre de démission, adressée aux présidents de la Chambre et du Sénat :

« Monsieur le Président, dès l'ouverture de cette session, le ministère vous a présenté un programme des lois qui lui paraissaient, tout en donnant satisfaction à l'opinion publique, pouvoir être votées sans danger pour la sécurité et la bonne administration du pays. Faisant abstraction de toute idée personnelle, j'y avais donné mon approbation, car je ne sacrifiais aucun des principes auxquels ma conscience me prescrivait de rester fidèle. Aujourd'hui, le ministère, croyant répondre à l'opinion de la majorité dans les deux Chambres, me propose, en ce qui concerne les grands commandements militaires, des mesures générales que je considère comme contraires aux intérêts de l'armée et par suite à ceux du pays. Je ne puis y souscrire. En présence de ce refus, le ministère se retire. Tout autre ministère, pris dans la majorité des Assemblées, m'imposerait les mêmes conditions. Je crois, dès lors, devoir abréger la durée du mandat qui m'avait été confié par l’Assemblée nationale. Je donne ma démission de Président de la République.

« En quittant le pouvoir, j'ai la consolation de penser que, durant les cinquante-trois années que j'ai consacrées au service de mon pays, comme soldat et comme citoyen, je n'ai jamais été guidé par d'autres sentiments que ceux de l'honneur et du devoir et par un dévouement absolu à la patrie.

« Je vous invite, Monsieur le Président, à communiquer au Sénat ma décision. »

La même lettre était adressée au Président de la Chambre des Députés.

Dans sa première rédaction, le maréchal avait parlé de mesures « attentatoires à la dignité et à la sécurité de l'armée » ; il consentit à supprimer cette phrase, sur la prière de MM. Gresley et Pothuau. Ii demanda à M. Dufaure si les ministres contresigneraient sa lettre de démission M. Dufaure répondit que non, cette lettre constituant un acte tout personnel le Garde des Sceaux se chargea seulement de faire parvenir la démission aux deux présidents.

La séance levée, le Maréchal, sans l'ombre d'une récrimination, eut avec ses ministres un entretien de quelques minutes, plein de cordialité, et les quitta en déclarant qu'il attendrait, à Versailles, l'élection de son successeur, auquel il souhaitait faire la première visite. Il se présentait, en effet, chez M. Grévy, le soir même il avait voulu être le premier à venir saluer le Chef de l'Etat, et le lendemain, dans la matinée, il se rendait spontanément chez le représentant d'une des grandes puissances, pour rendre hommage aux intentions et aux mérites de son successeur. De l'aveu de tous' ses ministres, qui étaient sortis très émus de leur dernier entretien avec lui, le Maréchal n'avait cessé de se conduire en homme d'honneur, depuis le commencement de la crise gouvernementale, d'avoir l'attitude la plus correcte et la plus respectable, de tenir le langage le plus simple et le plus honnête. Du moment où le politique avait disparu, le brave homme, le bon citoyen, le glorieux soldat avait reparu et la haute dignité de sa retraite avait fait oublier toutes les erreurs dont il ne fut qu'à moitié responsable.

M. Dufaure avait fait preuve de la même dignité et de la même correction, pendant la dernière année de la Présidence du Maréchal. Immédiatement après la séance du Congrès, il avait porté à M. Grévy le résultat du vote, en lui exprimant la satisfaction que lui causait ce résultat, récompense de toute une vie de droiture. Il avait exprimé la confiance que M. Grévy emploierait, dans la charge suprême, au service de la France et de la République, tes qualités qui l'avaient distingué dans les Assemblées et dans le parti républicain. Puis il avait remis au nouveau Président sa démission, celle de ses collègues et celle des sous-secrétaires d'Etat. Il refusa, aux pressantes sollicitations de M. Grévy, de conserver la présidence du Conseil. « Ce serait la première fois, disait-il, que l'on verrait un ministre survivre au Chef d'Etat avec lequel il a gouverné à une situation nouvelle il faut des hommes nouveaux. » M. Dufaure était d'autant moins disposé à conserver le pouvoir que la Droite, méconnaissant la droiture de son caractère et la loyauté de sa conduite, lui reprochait d'avoir, par ses exigences, favorisé la tactique de M. Gambetta et provoqué la démission du Maréchal. M. Dufaure répondit à ce reproche en rentrant dans la retraite.

Avec M. Dufaure, disparaissait la République des Thiers, des Casimir-Périer et des Rémusat, la République de la vieille 'bourgeoisie et de la partie moyenne de la nation. Ce grand homme de bien, par la solidité de son caractère, par son application et sa conscience, par la constance de ses opinions, par sa fidélité à soi-même, par sa haute indépendance, par son désintéressement absolu fut le plus remarquable représentant de ces classes dites dirigeantes, dépossédées depuis par les « nouvelles couches sociales, » et qui, rejetées du pouvoir, sont retombées dans la réaction, après avoir divorcé avec la liberté que Dufaure n'avait jamais cessé d'aimer. Pour emprunter le mot de Jules Claretie, il l'avait aimée, cette liberté, « honnêtement et virilement il n'en avait pas fait sa déesse, comme les songeurs, mais sa femme, comme les bourgeois ».

Nous avons apprécié, au fur et à mesure qu'ils se présentaient, les moindres incidents de la politique, du 24 Mai 1873 au 30 Janvier 1879. Nous n'y reviendrons pas. Mais il est impossible de terminer ce volume, consacré à la Présidence du Maréchal sans ajouter quelques traits à la physionomie du second Président de la Troisième République. Nous les puiserons non pas dans le livre d'un ami, comme M. Ernest Daudet, mais dans les notes rapides, prises au jour le jour et réunies sous un titre modeste Mes Petits Papiers[3], par un adversaire politique, clairvoyant et juste, M. Hector Pessard. Et d'abord est-il exact, comme se le figurent les trois quarts des Français, que le Maréchal ait été un instrument docile et inconscient entre des mains expérimentées ? L'initiative qu'il prit personnellement, le 16 Mai 1877, en l'absence de MM. de Broglie et de Fourtou, sa résistance invincible à M. Dufaure, pour lequel il avait de l'estime et de l'affection, le 28 Janvier 1879, son refus obstiné de voir le prince Napoléon et le comte de Chambord en1873, M. Gambetta en1878, semblent contredire cette opinion. Placé au pouvoir pour y exécuter les volontés du comte de Chambord ou du comte de Paris, au milieu d'une mêlée confuse d'intrigues inextricables, il a su résister aux entraînements, comme aux passions de ceux qui l'entouraient ; il s'est toujours refusé, en fin de compte, a porter la main sur les institutions dont il avait la garde il sut échapper aux embûches tendues à son honneur, à sa loyauté ; il prit au sérieux le rôle qu'il avait accepté ; il commit des fautes mais des fautes désintéressées, et, quand il quitta l'Elysée pour sa modeste maison de la rue de Bellechasse, dont il était parti furtivement, dans !a nuit du 18 Mars, il y rentra la tête haute, non diminué ni enrichi. La politique ne lui avait pas porté bonheur ses quinze années de retraite absolue le grandiront plus que ses six années de Présidence.

Cette fin si digne rappelle le premier acte politique du général de Mac-Mahon. Le Sénat impérial était saisi de la loi de sûreté générale. Mac-Mahon se lève pour la combattre un de ses compagnons d'armes lui fait remarquer qu'il risque son bâton de Maréchal de France il le repousse doucement et prononce ces nobles paroles. « Je me rappelle l'adage de nos pères fais ce que dois, advienne que pourra. Sur ma conscience, je crois cette loi inconstitutionnelle, susceptible de conséquences fâcheuses. En honnête homme qui a juré obéissance à la Constitution, en homme indépendant, en qualité de législateur, je me crois obligé de voter contre. »

Avec la retraite du Maréchal prend fin la seconde période de l'histoire de la Troisième République. C'est une époque de luttes, de combats incessants les Monarchistes, quand ils ont constaté l'impossibilité d'une restauration, font des efforts désespérés pour empêcher d'abord le vote des lois constitutionnelles, ensuite la pratique sincère de la Constitution républicaine. Deux fois la victoire sembla leur sourire. Ils ont pour eux, avant le 25 Février, la majorité d'une Assemblée unique, omnipotente, et le Chef du pouvoir exécutif ; après le 25 Février, la majorité du Sénat et le Président de la République avant comme après, toutes les forces sociales la grande propriété, une portion de la petite, le clergé, la magistrature, la majeure partie des fonctionnaires. Les Républicains ne peuvent leur opposer que la masse indécise et flottante qui a fait la majorité du plébiscite impérial, la majorité pacifique de 1871, et qui seule peut faire la majorité républicaine. Pour l'attirer à soi, pour la conquérir, cette majorité, il faut suivre le conseil de M. Thiers, il faut commencer par être sage il faut prouver que l'on n'est pas seulement une Opposition, mais un Gouvernement ; il faut adopter un programme qui rassure et d'où soient soigneusement exclues les utopies et les chimères il faut surtout, en face d'un ennemi sérieusement armé, se discipliner en pleine bataille, renoncer à la guerre de tirailleurs qui affaiblit et aux divisions qui paralysent. L'ordre moral rendit aux Républicains l'inappréciable service de les unir, de faire d'eux un tout compact, indissoluble et, par suite, invincible, en face des trois armées monarchistes. Si M. Thiers avait conservé le pouvoir jusqu'à sa mort, il n'est pas certain que la quasi-unanimité des Républicains eût consenti à voter sa Constitution, plus démocratique pourtant que celle du2o Février, et qui faisait recruter le Sénat par le suffrage universel. La Constitution de M. Wallon, très critiquable en plusieurs points et bien moins acceptable pour les théoriciens de la République absolue, de la République antérieure et supérieure au suffrage universel,, fut cependant votée par la presque unanimité d'entre eux, parce qu'il fallait parer au danger le plus pressant, parce qu'il importait, avant tout, de déloger l'ennemi des positions d'où il menaçait toutes les libertés parce que ce qui était en cause c'était l'avenir même du parlementarisme et de la société civile, également menacés par le pouvoir personnel et par les prétentions ultramontaines.

M. Thiers l'a constaté lui-même, avec un grand sens s'il était resté Président de la République, on l'eût certainement rendu responsable de l'échec de la Monarchie. La Monarchie n'ayant pu se faire sous le Maréchal de Mac-Mahon, la preuve était décisive et l'impossibilité du Régime surabondamment démontrée. Un autre enseignement ressortait des six ans de Présidence du Maréchal la possibilité, pour un grand parti, de se métamorphoser par sa seule force interne, malgré tous les obstacles qui lui sont opposés, malgré l'hostilité déclarée des pouvoirs publics. Cet empire sur soi-même, la répudiation des anciens préjugés, l'oubli des querelles stériles, toutes ces vertus, qu'il n'avait eues qu'à un degré médiocre sous M. Thiers, le parti républicain les a eues au suprême degré sous la Présidence du Maréchal elles ont assuré son triomphe, en moins de six ans, et rallié la grande majorité de la nation a la forme de Gouvernement la mieux appropriée aux sociétés modernes.

 

 

 



[1] Mes petits papiers, 2e série, 1871-1873, Paris. Librairie moderne, 1888.

[2] Voir cette séance à l'Appendice XV.

[3] Mes petits papiers, 2e série, Paris, Librairie Moderne, 1888.