HISTOIRE DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL

 

CHAPITRE III. — LE MINISTÈHE DE CISSEY. - LES LOIS CONSTITUTIONNELLES.

Du 16 Mai 1874 au 10 Mars 1875.

 

 

La crise ministérielle du 16 au 24 Mai. — MM. de Goulard et d'Audiffret-Pasquier. — MM. de Cumont et Tailhand. — Le Cabinet du Maréchal. — M. de Cumont à l'Instruction Publique. — MM. Tailhand et Baragnon. — L'élection de la Nièvre. — Réunion du Centre Gauche, le 6 Juin. — L'agitation bonapartiste. — La proposition Casimir-Périer. — Protestation du général Changarnier. — Adoption de l'urgence. — Manifeste du comte de Chambord. — Message du Maréchal. — Première délibération de la loi électorale. — Défense du suffrage universel par Louis Blanc. — Troisième délibération de la loi sur l'électorat municipal. — Suspension de l’Union. — Feinte démission du Cabinet. — Retraite de MM. Magne et de Fourtou. — M. de Chabaud-Latour. — Rejet de la proposition Casimir-Périer, 23 Juillet. — Rejet de la proposition de Malleville. — Longues vacances. — Réformes pédagogiques : le baccalauréat. — Traité avec l'Annam. — Voyages présidentiels. — Elections législatives, départementales et municipales. — Suspension de l’Univers. — Politique extérieure : Espagne : procès d'Arnim ; conférence de Bruxelles. — Message du 3 Décembre. — La liberté de l'enseignement supérieur. — Le rapport Savary. — Les conférences de l'Élysée. — Le Message de Janvier. — Nouvelle démission du Cabinet. — Menaces de guerre. — Discussion des lois constitutionnelles, 21 Janvier. — Loi sur le Sénat, 25 Janvier. — 29 Janvier, article additionnel Laboulaye repoussé. — 30 Janvier, amendement Wallon présenté. 3 Février, adoption en deuxième lecture de la loi des pouvoirs publics. — 11 Février, loi sur le Sénat. — 12 Février, communication du Gouvernement. — Nouvelle demande de dissolution. — Discours de Gambetta. — Négociations renouées. — Projet Wallon-Luro. — Vote définitif de la Constitution, le 25 Février. — Dernière démission des ministres. M. Buffet. — Le Bonapartisme. — L'alerte. — La crise ministérielle.

 

Du 16 Mai, date de la chute du duc de Broglie, au 24 Mai, date de la constitution du nouveau Cabinet, la crise ministérielle dura huit jours. M. Ernest Daudet, très renseigné par sa situation officielle, l'a racontée dans le volume qui porte ce titre : Souvenirs de la Présidence du Maréchal de Mac-Mahon.

Le soir du 16 Mai et les jours suivants, tous les journaux avaient été unanimes à reconnaître que l'axe de la politique avait été dévié qu'il fallait aiguiller, non pas dans une direction opposée, mais dans une direction inclinant un peu vers la Gauche. Le Français proclamait-la nécessité d'un rapprochement des Centres. Le Journal de Paris et son très avisé rédacteur, M. Hervé, reconnaissaient que le centre de gravité du pouvoir s'était déplacé que la majorité du 24 Mai 1873 était morte, tuée par les Bonapartistes et par les Chevau-légers. Cette vérité était si évidente qu'elle avait fait impression dans un milieu, bien formé pourtant aux vues politiques simples et nettes, et que MM. de Goulard et d'Audiffret-Pasquier, appelés à la préfecture de Versailles, avaient été chargés, sur le refus de M. Buffet, de reconstituer le Cabinet. M. Buffet avait refusé la mission que lui offrait le Maréchal, pour ne pas compliquer la crise ministérielle d'une crise présidentielle et parce que l'on craignait que, lui parti, M. Dufaure ne fût élevé à la présidence de l'Assemblée, par la coalition des Gauches et de l'Extrême Droite.

MM. de Goulard et d'Audiffret-Pasquier, ce dernier surtout, avaient entrepris avec courage la tâche qui leur était confiée et décidé en principe l'entrée dans le Cabinet de quelques-uns des membres les plus modérés du Centre Gauche MM. Mathieu-Bodet, Cézanne et Waddington. L'entrée de M. Waddington dans le ministère eût été particulièrement significative, l'honorable député de l'Aisne étant qualifié de &~M, parce qu'il avait voté bleu au 16 Mai et contribué, par ce vote, à la chute du duc de Broglie, Trois autres ministres, MM. Decazes, de Lavergne et de Cissey, devaient être choisis dans la partie du Centre Droit la plus voisine du Centre Gauche, trois aussi, MM. de Cumont, Tailhand et de Montaignac dans la Droite sans épithète. MM. de Goulard et d'Audiffret auraient complété le Cabinet.

Un Cabinet d'Audiffret-de Goulard fût sans doute parvenu a constituer une majorité, formée par la conjonction des deux Centres et à laquelle la plus grande partie de la Gauche se serait rattachée, par crainte du Bonapartisme, dont les progrès inquiétaient tous les amis de la liberté et de ta patrie. Les lois constitutionnelles auraient été votées, six ou huit mois plus tôt, et l'on eût épargné à la France une longue période d'incertitude et d'anxiété. Ni la Présidence, ni la Droite, ni les partisans du duc de Broglie ne pouvaient approuver une politique aussi claire et aussi loyale. MM. de Cumont et Tailhand firent échouer la combinaison d'Audiffret-de Goulard, eh se refusant à siéger, autour de la table du Conseil, avec M. Waddington qui avait voté avec la majorité du t6 Mai. Pour ces singuliers parlementaires, c'était un motif d'exclusion de s'être trouvé un jour du côté de la majorité, comme c'était un titre à l'avènement au ministère que d'avoir été dans la minorité du 16 mai. Ils réprouvaient aussi < l'ardeur démocratique de leur honorable collègue et les concessions qu'il ne pouvait manquer de faire aux radicaux et aux révolutionnaires de la Gauche. Le Maréchal, plus inquiet à la perspective de leur abstention que surpris de leur revirement, refusa de signer la nomination des nouveaux ministres, que l'Agence Havas avait déjà annoncée à la Province, refusa plus nettement encore de remplacer la Droite qui se dérobait par le Centre Gauche qui s'offrait et tout espoir de conjonction des Centres, comme aussi de vote rapide des lois constitutionnelles, fut déçu. La retraite très ferme et très honorable de MM. de Goulard et d'Audiffret-Pasquier rompit les négociations, en rendant au Centre Gauche sa liberté.

M. Courtot de Cissey et M. Bardy de Fourtou n'avaient pas de ces scrupules ils acceptèrent la vice-présidence du Conseil et le ministère de l'Intérieur dans un Cabinet d'attente, d'expectative, que l'on appela le Cabinet du Maréchal, et qui fut le ministère de Broglie sans le duc de Broglie. La liste des nouveaux ministres parut le 24 Mai au Journal Officiel, un an, jour pour jour, après la chute de M. Thiers. La nouvelle combinaison avait pour caractéristique, outre le maintien de MM. Magne et de Fourtou, réputés Bonapartistes, la nomination de M. de Cumont au ministère de l'Instruction Publique, des Cultes et des Beaux-Arts. On l'a dit, avec bien de l'esprit, l'évoque d'Orléans, Mgr Dupanloup, fut, en fait, Grand Maître de l'Université, sous le modeste pseudonyme d'Arthur de Cumont. Placer ce gentilhomme angevin, ce journaliste catholique a la tête de l'Université de France, c'était porter un véritable défi au bon sens. Il n'est peut-être pas vrai que M. de Cumont ait jamais demandé à visiter les dortoirs du Collège de France, ni qu'il ait cru que l'Institut comptait six classes ; il est certain, scripta manent, qu'il n'établissait aucune distinction entre l'Académie et la Faculté de médecine, le Journal officiel du 11 Juin en fait foi, et cette confusion était commise dans un discours prononcé à l'ouverture du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique. Nul n'ignore comment sont préparés ces documents. Le chef du cabinet du ministre ou le chef du bureau compétent trace, pour le ministre, le canevas ou même rédige le texte complet du discours. Le ministre ajoute au document sa marque personnelle, ou bien il le produit tel quel M. de Cumont y avait ajouté la preuve de ses multiples ignorances.

A la Justice le Maréchal avait appelé un ancien magistrat, outrageusement clérical et réactionnaire, M. Tailhand, auquel on avait donné un sous-secrétaire d'Etat d'un comique irrésistible, M. Baragnon. M. Caillaux aux Travaux Publics, M. Grivart au Commerce, l'amiral de Montaignac aux Colonies et à la Marine complétaient cette administration hétérogène, qui réussit à vivre deux mois, non sans accrocs, mais sans modifications. Si le Cabinet de Cissey avait été un Cabinet parlementaire, il aurait dû succomber six jours après sa formation c'est l'incorrection, même de son origine qui lui permit de vivre huit semaines.

Le jour où le Cabinet était formé, une élection législative avait lieu dans la Nièvre. Les Républicains, toujours confiants, comptaient sur un département qui avait donné, quelques mois auparavant, une belle majorité à un radical, M. Turigny. Ils méconnaissaient l'influence qu'avaient eue la politique de M. de Broglie, la substitution des anciens maires bonapartistes aux maires républicains et celle que pouvait avoir la pratique rajeunie et perfectionnée de la candidature officielle. Le candidat bonapartiste, M. Philippe de Bourgoing, fut élu par 37.500 voix, contre ~.000 au Républicain et 4.500 au Légitimiste. Sans attendre la validation de son élection, le nouvel élu partit pour Arenenberg, où se trouvaient l'Impératrice et le Prince Impérial.

Cette élection, la nomination au secrétariat général du ministère de l'Intérieur du préfet de la Haute-Garonne, M. Wetche, qui eut lieu le même jour, l'éloge des administrateurs les plus compromis dans la lutte entamée par M. de Broglie contre la démocratie, éloge que l'on put lire le 26 Mai, dans t'exposé des motifs du projet de loi portant dissolution du Conseil général des Bouches-du-Rhône et surtout les complaisances notoires des ministres de l'Intérieur et des Finances pour les Bonapartistes, inspiraient aux Républicains les craintes les plus fondées. On pouvait tout redouter avec M. de Fourtou, et il devenait urgent d'organiser les pouvoirs du Maréchal, dût-on sacrifier les principes professés dans l'Opposition. Toutes les Gauches comprirent le danger de la situation et elles laissèrent au groupe républicain le moins avancé, au Centre Gauche, comme elles l'avaient fait pendant les vacances de 1873, pour empêcher la restauration, le soin de mettre un terme au provisoire.

Le 6 Juin le Centre Gauche se réunit et l'on peut dire que de cette réunion date véritablement l'organisation des pouvoirs publics et la Constitution actuelle. Cent seize députés affirmaient cette incontestable vérité : « L'incertitude du lendemain et l'absence d'un Gouvernement défini sont la cause principale de l'anxiété et des souffrances du pays. Les cent seize, par une formule qui était une véritable trouvaille, demandaient que le Maréchal fut, non pas le Président d'une République de sept ans, mais pour sept ans Président de la République. Ils déclaraient qu'ils verraient avec regret que la dissolution fût la conséquence de l'impossibilité où se trouverait l'Assemblée de constituer, mais qu'ils ne reculeraient pas devant cette éventualité. En dernier lieu, pour rattacher a eux un certain nombre de Monarchistes, ils admettaient le principe de la révision de la Constitution. Le manifeste du Centre Gauche, qu'avaient signé les membres du groupe Casimir Périer, les moins affirmatifs jusqu'alors en faveur de la République, produisit un grand effet et fit espérer aux moins optimistes une ère nouvelle. L'élection, qui eut lieu le même jour, de MM. de Goulard, de Rességuier et de Ventavon, pour remplacer, dans la Commission des Trente, MM. Tailhand, de Cumont et Grivart fit croire que la Droite elle-même reconnaissait, exception faite des Chevau-légers, la nécessité de constituer. Quant à l'opinion du ministère, on ne s'en inquiétait pas et peut-être lui-même attendait-il, pour en avoir une, que M. de Broglie la lui eût suggérée.

Les huit jours qui séparèrent la publication du Manifeste du Centre Gauche du dépôt de la proposition Casimir-Périer furent singulièrement agités à Paris et à Versailles. La propagande bonapartiste, de plus en plus agressive, continuait avec une recrudescence inquiétante ; les photographies du Prince Impérial étaient expédiées par ballots dans toute la France ; le Comité centrât de l'appel au peuple rayonnait sur tout le territoire et trouvait des agents dociles dans les maires nommés par M. de Broglie. La police était remplie des créatures de l'Empire et, malgré l'énergie de son chef. M. Léon Renault, escomptant la complicité de son autre chef, M. de Fourtou, elle poussait l'audace jusqu'à entretenir des indicateurs au palais même de la Présidence. Ces faits, à moitié connus, amenaient les discussions les plus violentes dans l'Assemblée et des rixes dans la rue.

Le 9 Juin, à Versailles, M. Rouher avait affirmé, sur l’honneur, qu'il ne connaissait pas l'existence du Comité central de l'appel au peuple. Gambetta, indigné de cette impudence, l'avait traité de misérable. Rappelé à l'ordre et sommé de retirer ses paroles, Gambetta avait répondu : L'épithète dont je me suis servi est plus qu'un outrage, c'est une flétrissure et je la maintiens. Le lendemain 10 Juin, à la gare Saint-Lazare, les députés républicains de Mahy et Lefèvre étaient insultés et malmenés, sous l'œil bienveillant des policiers impériaux. Le soir du même jour M. Gambetta, à son retour de Versailles, était frappé par un. Bonapartiste, M. de Sainte-Croix. Le grand citoyen, que les Bonapartistes avaient choisi comme cible, donnait, chaque jour de nouveaux gages ai la politique de modération et de concorde. Sur la tombe de d'Alton-Shée, il avait proclamé la République Athénienne et convié l'aristocratie à s'y rallier pour lui donner ce qu'il appelait, avec cette propriété d'expression qu'il trouvait si naturellement, < une fleur d'élégance et de distinction

Le lendemain, à Versailles, M. Baze, questeur de l'Assemblée, posait une question au ministre de l'Intérieur sur les incidents de la gare Saint-Lazare. M. de Fourtou répondait, avec le même dédain aristocratique que son prédécesseur « Il est deux choses également intolérables quand elles se produisent l'une c'est l'abus de la force publique, et l'autre c'est la rébellion contre de braves gens qui, chargés de maintenir la paix publique, remplissent loyalement leur devoir. » L'interpellation du 12 Juin, développée par M. Bethmont, n'eut pas plus de succès que la question de M. Baze. Le Ministre accepta l'ordre du jour pur et simple qui fut adopté par 370 voix contre 318. Trois journaux furent suspendus pour quinze jours le Pays, le XIXe Siècle et le Rappel ; de plus, le Pays fut traduit en Cour d'assises et acquitté. Moins heureux, M. de Sainte-Croix eut six mois de prison. La proposition Casimir-Périer, qui fut déposée le 15 Juin, était ainsi conçue :

« L'Assemblée nationale, voulant mettre un terme aux inquiétudes du pays, adopte la résolution suivante f La Commission constitutionnelle prendra pour base de ses travaux sur l'organisation et la transmission des pouvoirs publies

« 1° L'article premier du projet de loi déposé le 19 Mai 1873 3 et ainsi conçu le Gouvernement de la République se compose de deux Chambres et d'un Président, Chef du pouvoir exécutif.

« 2° La loi du 20 Novembre Î873, par laquelle la Présidence de la République a été confiée à M. le Maréchal de Mac-Mahon, jusqu'au 20 Novembre 1880.

« 3" La consécration du droit de révision partielle ou totale de la Constitution, dans les formes et à des époques que déterminera la loi constitutionnelle. »

M. Casimir-Périer justifia l'urgence de sa proposition dans un exposé des motifs très sobre et qui fit une profonde impression sur l'Assemblée. C'était un spectacle qui ne manquait pas de grandeur que celui du fils du ministre de Louis-Philippe, de ce Monarchiste d'origine et de traditions venant, avec une conviction que tous sentaient sincère, démontrer à l'Assemblée l'impossibilité de constituer autre chose que la République. M. Lambert-Sainte-Croix, avec une conviction beaucoup plus tiède, oppose au projet Casimir-Périer une proposition tendant à organiser le droit de dissolution et à ajourner à sept ans le vote sur la forme du Gouvernement. Le général Changarnier vient apporter à la tribune une protestation dont l'enfantillage désarme la critique e L'orateur qui a précédé M. Lambert-Sainte-Croix, dit-il, avec une tristesse savamment ménagée, vient, à l'occasion du Septennat, vous proposer une Révolution (sic) désastreuse. Oui, désastreuse, si contraire aux mœurs et aux habitudes dans lesquelles la France a vieilli Je vous prie de repousser énergiquement cette proposition. Messieurs de la majorité, avant d'émettre un vote qui demeurera attaché à votre nom, prenez le temps de réfléchir. Pensez à l'avenir de vos enfants, souvenez-vous des cruelles épreuves imposées par la République à vos pères. Messieurs de la majorité, je vous en conjure, votez contre l'urgence. » Cette adjuration, nous le verrons, ne fut pas entendue. L'Assemblée pensa sans doute qu'elle avait suffisamment réfléchi, depuis le 20 Novembre 1873, depuis que le général Changarnier lui-même avait pris l'initiative de la proposition de prorogation, qui aurait dû être suivie, à bref délai, du vote des lois constitutionnelles.

L'homme le plus compétent de l'Assemblée, en matière de droit constitutionnel, M. Edouard Laboulaye, prit la peine de répondre au générât Changarnier et prononça le plus modéré des discours, en même temps que le plus fin et le plus habile, le mieux fait pour entraîner les hésitants. Il ne s'attaqua pas aux arguments des adversaires les adversaires n'avaient pas produit l'ombre d'un argument ; il s'attaqua aux partisans du Septennat personnel, à ceux qui voulaient une Constitution sans la vouloir, qui voulaient sortir du provisoire tout en le consolidant, qui songeaient moins à organiser les pouvoirs publics qu'à fortifier ceux du Maréchal et à en faire une sorte de Dictature informe, un Régime sans nom, sans précèdent et sans lendemain. « Je ne connais, dit-il, rien de plus impossible que de dire à une Commission Faites-moi une Constitution en l'air qui convienne à tous les Gouvernements... On ne confie pas à trente personnes le soin de décider du Gouvernement de la France. Ceci est votre affaire. Ceci vous regarde... Aujourd'hui il n'y a que trois choses possibles Provisoire, Empire ou République. » Personne ne songea à contester ces vérités, à réfuter des assertions qui n'étaient pas réfutables. Les trois orateurs qui succédèrent à M. Laboulaye se chargèrent de montrer combien il avait vu et dit juste, en plaidant, l'un, M. de Kerdrel, pour le maintien du statu quo, c'est-à-dire pour le Provisoire le second, M. Léon Say, pour l'organisation des pouvoirs, c'est-à-dire pour la République le troisième, M. Raoul Duval, pour l'appel au peuple, c'est-à-dire pour l'Empire. Après une courte réplique de M. Casimir-Périer, l'urgence fut adoptée par 345 voix contre 341. Le groupe Target avait, cette fois, voté pour l'urgence et valu à la République la première victoire qu'elle eût remportée, depuis le 24 Mai 1873.

Immédiatement après ce vote, le duc de la Rochefoucauld-Bisaccia, ambassadeur de la République française à Londres, monte à la tribune et dépose une proposition ainsi conçue :

« Le Gouvernement de la France est la Monarchie. Le trône appartient au Chef de la Maison de France.

« Le Maréchal de Mac-Mahon prend le titre de Lieutenant général du royaume.

« Les institutions de la France seront réglées par l'accord du Roi et des représentants de la nation. »

Qu'un ambassadeur en activité de service ait pu faire cette proposition, donner ce soufflet au Chef du pouvoir qui l'avait accrédité, cela seul peint l'anarchie de cet extraordinaire régime. Le Septennat, qui réservait toutes ses foudres pour ceux qui voulaient sérieusement l'organiser, ne protesta nullement contre ce manque de respect et de loyalisme de l'un de ses fonctionnaires. Plus tard, il ne remplaça M. de ta Rochefoucauld à Londres, que parce que le noble duc refusa d'y retourner. Moins indulgente que les ministres, l'Assemblée monarchiste ne renvoya pas aux Trente la proposition de rétablissement de la Monarchie. Au contraire, elle leur renvoya, le lendemain 16 Juin, un projet plus sérieux, que M. Wallon avait déposé, sur l'organisation des pouvoirs du Président de la République et sur le mode de révision des lois constitutionnelles.

La proposition Casimir-Périer qui avait bénéficié de l'urgence et qui aurait pu, toutes les opinions étant faites, tous les partis étant pris et depuis longtemps, être discutée dans les vingt-quatre heures, ne fut rapportée que le 23 Juillet, en présence d'un autre Cabinet, ou plutôt du même Cabinet, modifié par le remplacement de MM. Magne et de Fourtou. Avant cette date, la question constitutionnelle revint plusieurs fois sur le tapis et fut, à différentes reprises, agitée dans l'Assemblée nationale ou dans le pays. C'était une manifestation en faveur du vote des lois constitutionnelles que la lettre très ferme par laquelle le comte de Montalivet faisait, le 1 Juin, une éclatante adhésion à la République. C'était une démonstration de leur nécessité que le Manifeste du 3 Juillet 1874, dans lequel le comte de Chambord se montrait beaucoup moins intransigeant que dans la célèbre lettre du 27 Octobre 1873. Il n'était pas jusqu'au Président de la République qui ne choisit, assez malencontreusement il est vrai, l'occasion de la revue de Longchamps, pour dire à l'armée : « L'Assemblée, en me confiant pour sept ans le pouvoir exécutif, a placé entre mes mains, pendant cette période, le dépôt de l'ordre et de la paix publique. Cette partie de la mission qui m'a été imposée vous appartient également (sic) : nous la remplirons ensemble jusqu'au bout, maintenant ensemble l'autorité de la loi et le respect qui lui est dû. »

Le 7 Juillet, l'Assemblée, fidèle à l'esprit qui lui avait fait renvoyer la proposition de M. de la Rochefoucauld à la Commission d'initiative, refusait d'entendre la lecture du rapport de cette Commission, présenté par M. Daguenet. Le surlendemain elle recevait un Message du Président, non contresigné par un ministre, où le Maréchal affirmait énergiquement la nécessité de compléter la loi du 20 Novembre, reconnaissait que le pays appelait de ses vœux l'organisation des pouvoirs publics et s'exprimait ainsi, en terminant Je charge mes ministres de faire connaître sans retard à la Commission des lois constitutionnelles les points sur lesquels je crois essentiel d'insister. » La lecture du Message du 9 Juillet fut suivie d'une courte discussion entre M. Casimir-Périer et M. Batbie, président de la Commission des lois constitutionnelles. M. Casimir-Périer, profitant habilement du renfort que lui apportait le Message, voulait que l'Assemblée invitât les Trente à se prononcer d'urgence sur la proposition du 15 Juin. Il retira sa demande, sur la promesse faite par M. Batbie d'une prompte solution et, en effet, le to Juillet, un mois juste après le vote d'urgence, M. de Ventavon apportait le rapport de la Commission sur cette proposition. Il en proposait le rejet et lui substituait un projet qui organisait les pouvoirs du Maréchal, conformément aux idées des partisans du Septennat personnel-et qui a conservé dans l'histoire le nom de Ventavonat. Il n'en mérite pas d'autre. Septennat, Ventavonat, le Gouvernement imaginé par le duc de Broglie ne trouvait pour étiquette qu'un mot barbare.

Cinq jours avant l'adoption du rapport, M. de Fourtou, qui, en matière constitutionnelle, reflétait les idées du duc de Broglie, s'était présenté dans la Commission des Trente et avait insisté, au nom du Gouvernement, sur trois points que le duc de Broglie avait à cœur le scrutin d'arrondissement, la nomination des membres de la Chambre haute par le pouvoir exécutif et le droit de dissolution. Le Ventavonat se composait de cinq articles. Le premier confirmait la loi du 20 Novembre le second établissait la responsabilité des ministres devant les Chambres ; le troisième établissait une Chambre des députés et un Sénat ; le quatrième donnait au Maréchal seul le droit de dissoudre la Chambre des députés le cinquième ajournait au 20 Novembre 1880 la réunion du Congrès, chargé de statuer sur les résolutions à prendre, et réservait au Maréchal l'initiative de la révision.

En dehors des membres du Centre Droit, qui ne l'auraient sans doute approuvé qu'avec de multiples réserves, le Ventavonat avait d'emblée contre lui les trois Gauches, les Bonapartistes et les Chevau-Légers, soit plus de 400 voix. C'est cette conception malheureuse que l'on opposait à la proposition si nette et si claire de lI. Casimir-Périer.

Et le ministère, qui devait prendre parti sur cette grave question, était en flagrant délit de formation, a la veille du jour où elle devait être discutée. M. Magne, mis en minorité par l'Assemblée, sur une question d'impôt, s'était retiré le 16 Juillet et M. de Fourtou l'avait imité le 19, parce que ses collègues n'avaient pas voulu donner un Bonapartiste pour successeur à M. Magne. Jusqu'au bout M. de Fourtou avait semblé prendre à tâche de démontrer combien M. Thiers avait été mal inspiré en l'appelant dans ses Conseils.

Le ministère de Cissey qui se trouvait ainsi décapité, deux mois après sa naissance, par la chute de ses deux membres les plus marquants, avait dû affronter, en dehors de la question constitutionnelle, la discussion de quelques lois fort importantes et d'interpellations très mouvementées. Rappelons les unes et les autres, dans leur ordre chronologique l'attitude des ministres dans l'Assemblée nous éclairera suffisamment sur leur politique intérieure.

Dès le 26 Mai le dépôt du projet de loi portant dissolution du Conseil général des Bouches-du-Rhône révéla les tendances du nouveau Cabinet. Le Conseil général des Bouches-du-Rhône, ni plus ni moins violent que tant d'autres assemblées du Midi, ou les têtes sont chaudes et les paroles promptes, avait le tort, aux yeux de M. de Fourtou et de la Droite, d'être fermement et bruyamment républicain et de prendre une attitude de combat en face d'un préfet de combat. Renouvelé au mois d'Octobre, en même temps que les autres assemblées départementales, il fut un peu plus républicain, s'il est possible, qu'avant sa dissolution, et le Gouvernement avait éprouvé un nouvel échec devant le suffrage universel il n'en était plus à les compter.

Le 30 Mai il avait subi son premier échec devant l'Assemblée nationale, la coalition de la Droite extrême et des Gauches ayant fait encore repousser la priorité de la loi électorale. En conformité de ce vote, la première délibération des propositions de loi concernant l'électorat et l'organisation municipale vint en discussion le 1er Juin. Cette première délibération ne fut qu'une formalité les propositions furent adoptées par 381 voix par 277, et le 3 Juin l'on aborda la première délibération de la loi électorale.

M. Henri Brisson, prétextant l'atteinte portée au suffrage universel, demanda, en quelques paroles vigoureuses, la question préalable, qui fut repoussée par 487 voix contre 183. M. Bertauld ne fut pas plus heureux dans sa demande d'ajournement qui ne réunit que 304 voix contre 387. C'est dans la séance du 2 Juin qu'un Bonapartiste prononça une parole malheureuse. M. Brisson était à la tribune. Il venait de dire que l'on recommençait la faute dc 1851, faute qui avait eu pour conséquence dernière le désastre de Sedan, et il constatait que le parti bonapartiste montrait encore ses criminelles convoitises. Un cri part du groupe de l'appel au peuple Nous vous imposerons silence, un jour. MM. Testelin, Georges Périn, Lockroy, Adam, Baze se précipitent sur M. Levert que les huissiers protègent difficilement. Le lendemain l'Officiel ne reproduit pas les paroles de M. Levert qui déclare ne pas les avoir prononcées. M. Edmond Adam et vingt Républicains lui répètent à plusieurs reprises : « Vous en avez menti ! » et M. Testelin met fin à cette scène, pendant laquelle la Droite est restée impassible, en criant aux Bonapartistes : « Vous avez pu nous transporter, mais nous faire peur, jamais »

Le lendemain, la discussion véritable commençait. Ledru-Rollin vieilli prononça, en faveur du suffrage universel, un discours lamentablement faible, que la Droite hacha de ses commentaires les plus ironiques et qui provoqua dans la Gauche une' déception générale. Dans la séance suivante, après une riposte de M. de Meaux à Ledru-Rollin ; Louis Blanc vengea l'honneur des survivants de 1848, des fondateurs du suffrage universel que l'on voulait mutiler. Jamais la théorie du droit de vote universel n'a été exposée dans un plus beau et plus ferme langage : « Combien de fois encore, dit Louis Blanc, faudra-t-il vous rappeler ce qui advint de la loi du 31 Mai ? Combien de fois faudra-t-il qu'on vous montre cette chaîne fatale qui a lié au démembrement du suffrage universel le démembrement de la France ? ... Dans le suffrage universel, s'il est honnêtement et librement pratiqué, c'est l'intelligence qui gouverne. Et ce gouvernement électoral de l'intelligence est au plus haut point légitime, puisqu'il repose sur la persuasion, puisqu'il n'existe qu'à la condition de prouver son excellence, puisqu'il n'est subi que par ceux qui le recherchent et qui l'aiment. Ainsi le suffrage universel a cela d'admirable, qu'il met le nombre au service du mérite, ce qui revient, Messieurs, à mettre la force au service de la lumière. » Et l'éloquent orateur achevait en démontrant que le suffrage universel est l'instrument d'ordre par excellence. M. Batbie, rapporteur de la Commission des Trente, défendit les propositions de la Commission et s'attira une vive et spirituelle réplique de Gambetta qui prit plaisir a mettre une fois de plus M. Batbie en contradiction avec lui-même, qui joua avec le rapporteur, comme un chat avec une souris, et qui souleva les acclamations de la Gauche, en avouant que le Quatre Septembre avait commis une faute celle de ne pas rétablir sur le Forum délivré la Constitution de "1848, moins l'article relatif à la Présidence de la République. Le passage à la seconde délibération, appuyé par de brèves paroles de M. Dufaure et par le vote des membres les moins avancés du Centre Gauche, fut adopté par 378 voix contre 301. C'était un succès relatif pour le Gouvernement, bien qu'il n'eût pas pris part a la discussion. Le surlendemain, dans la séance du 6 Juin, il fut battu à plates coutures la proposition Chaurand, sur le repos du Dimanche, qu'il avait soutenue, comme il soutenait toute mesure cléricale, fut repoussée par 292 voix contre 251.

Le 10 Juin, dans la deuxième délibération de la loi sur l'électorat municipal, l'amendement Oscar de Lafayette, maintenant à vingt et un ans l'âge de l'électoral, fut adopté par 348 voix contre 337 et, le 17, MM. Jules Ferry et Bardoux tirent repousser, par 361 voix contre 316, le système de M. Raudot, qui voulait attribuer, dans toutes les Communes et d'une façon permanente, la moitié de la représentation municipale aux personnes aisées, à ceux qu'on appelait les plus fort imposés. Ces deux votes enlevaient à la loi sur l'électorat municipal ses plus graves défauts elle fut définitivement adoptée, dans la séance du 7 Juillet, à la grosse majorité de 452 voix contre 228.

C'est le lendemain de ce vote qu'eut lieu la discussion de l'interpellation Lucien Brun, sur la suspension pour quinze jours du journal l'Union. Dans son numéro du 4 Juillet, l'Union avait publié le Manifeste du comte de Chambord, daté du 2 Juillet. « Ce Manifeste fera la République, disait un membre du Centre Droit, comme la Lettre du 27 Octobre 1873 a fait le Septennat. » C'est sans doute cette perspective de l'établissement de la République, ce sont certainement les commentaires dont l'Union avait accompagné le Manifeste, qui déterminèrent la mesure de rigueur prise par le Cabinet. La mesure était d'autant plus inopportune que le Manifeste du 2 Juillet, comme la Lettre du 27 Octobre, était le testament d'une cause et d'une dynastie. Le prétendant avait fait entendre à la France, politiquement parlant, ses novissima verba. Devant le Parlement, la Monarchie de droit divin est désormais une solution négligeable. Dans sa réponse à M. Lucien Brun le Ministre de l'Intérieur cita, en effet, les paroles suivantes comme particulièrement délictueuses : « Si le Septennat penche vers la Monarchie, il doit céder la place s'il incline vers la République, il est condamné à disparaître devant elle. Entre ces deux termes l'équilibre lui est impossible. » C'était l'évidence même pour l'Extrême Droite, pour toutes les Gauches, pour les membres avisés du Centre Droit et il faut plaindre plus que blâmer un Gouvernement que ses origines et ses attaches condamnaient à sévir contre un journal, pour avoir émis ces vérités de sens commun, pour avoir énoncé ces truismes.

En justifiant la mesure prise, M. de Fourtou qui savait, quand il était nécessaire, adoucir sa rudesse naturelle, parla, d'un ton pénétré, de son émotion douloureuse, de sa vénération pour le comte de Chambord et menaça de poursuivre les Manifestes qui viendraient de Chislehurst comme ceux qui venaient de Frohsdorf. Il n'oublia pas de s'engager, pour tenter de réunir encore une fois toute la majorité contre les Gauches, à réprimer énergiquement les entreprises coupables du radicalisme. Cette diversion n'eut pas le succès qu'il en espérait. Après que l'ordre du jour de blâme, déposé par M. Lucien Brun, eût été repoussé ; par 372 voix contre 79, l'ordre du jour de confiance, déposé par M. Paris, et que le Ministère avait accepté, le fut par 368 contre 330 et l'ordre du jour pur et simple proposé par le général Changarnier fut accordé, comme par grâce, au Cabinet, par 339 voix contre 313.

À l'issue de la séance, les ministres remirent, pour la forme, leur démission au Maréchal, qui refusa de les accepter et adressa le lendemain à l'Assemblée, sans le faire contresigner par un ministre, le Message que nous avons cité et qui n'avait qu'un rapport éloigné avec la question discutée la veille. Un vote hostile détermine une crise quand le régime parlementaire est pratiqué sincèrement ; les choses continuent, comme si de rien n'était, lorsque l'on n'a qu'une contrefaçon du régime parlementaire. Quarante-huit heures après avoir mis le Cabinet en minorité sur la suspension d'un journal légitimiste, l'Assemblée nationale lui donnait 90 voix de majorité, 330 voix contre 240, sur la double et très arbitraire suspension du Figaro et du XIXe Siècle. Une doctrine, un esprit de suite, il faut renoncer à en chercher dans les décisions de l'Assemblée et dans la politique du Cabinet.

Quelques lois utiles étaient votées, dans cette période à la fois si remplie et si vide la loi sur le travail des enfants dans les manufactures, la loi sur la marine marchande, la loi sur la situation des sous-officiers et les discussions financières alternaient avec le travail législatif ou constitutionnel, avec les intermèdes des interpellations. C'est une discussion sur tes nouveaux impôts, toujours à l'ordre du jour, qui avait amené la chute de M. Magne, battu par M. Wolowski.

En dehors de l'Assemblée, l'enquête se continue sur le Comité central de l'appel au peuple ; ses résultats, partiellement transmis au public, sont accueillis avec ironie ou avec rage par les journaux bonapartistes, qui couvrent d'injures M. Léon Renault, préfet de police, et de fleurs M. de Fourtou, ministre de l'Intérieur, auquel ils font des avances significatives.

L'homme politique qui avait siégé d'abord dans la Droite légitimiste, puis dans le Centre Droit, qui avait été Républicain avec M. Thiers et Monarchiste avec le Maréchal, avait fini par opter, entre les trois Monarchies, pour celle de Sedan. Cette option ne lui fit perdre, à aucun degré, les sympathies de la Présidence on appréciait son verbe haut, son langage provocant, sa politique de casse-cou, et on saura le retrouver, quand on voudra-gouverner contre une majorité républicaine.

Entouré de ses ministres, le Président de la République reçoit les représentants étrangers accrédités à Paris, et, pour peu que ces représentants nourrissent, a l'égard des institutions libres, des sentiments peu sympathiques, le mot République n'est pas même prononcé durant l'entrevue. Dans la réception du 8 Juin, le nouveau nonce, Mgr Meglia, ne désigne pas même le Président par son titre officiel et le Président imite cette réserve de bon goût.

Les votes contradictoires émis par l'Assemblée, du 24 Mai au 19 Juillet 1874, autorisèrent le Maréchal à penser que rien n'était changé depuis le 24 Mai 1873, et que ce qui avait été possible, un an auparavant, le serait encore en 1874. Il offrit à M. de Broglie, après la retraite de M. de Fourtou, la vice-présidence du Conseil, et l'on put craindre un instant que le règne de l'équivoque ne recommençât avec son représentant le plus autorisé. M. de Broglie fit judicieusement remarquer au Maréchal que les causes qui avaient amené sa chute Je 16 Mai subsistant, que la situation, au lieu de s'éclaircir, s'étant assombrie et le vote des lois constitutionnelles étant devenu plus problématique, il fallait confier le soin de compléter le Cabinet à un membre du Centre Droit, moins engagé que lui-même dans la politique du Septennat personnel. M. de Goulard avait succombé le 4 Juillet, et ses amis avaient attribué cette mort prématurée à l'échec de sa tentative du 16 Mai 1874. Le Maréchal, qui n'aimait pas les figures nouvelles, s'adressa au duc Decazes et le chargea de compléter le ministère.

Le duc Decazes, que la Gauche regardait comme utile au ministère des Affaires Étrangères, où sa politique, nous le verrons, ne fut pourtant pas sans reproches, était moins désigné que M. d'Audiffret-Pasquier pour procéder à la reconstitution du Cabinet. Il eut pourtant le mérite de faire vite et d'écarter résolument l'élément bonapartiste. M. Magne fut remplacé aux Finances par un député laborieux, très versé dans les questions financières et membre du Centre Gauche le plus timide, M. Mathieu Bodet. La succession de M. de Fourtou échut à un très honnête homme, membre du Centre Droit confinant au Centre Gauche, le général baron de Chabaud-Latour, que ses aptitudes, ses travaux et ses goûts désignaient pour un tout autre portefeuille que celui de l'Intérieur. On n'y regardait pas de si près, à cette époque, et l'on considérait le Septennat comme sauvé dès que le Journal officiel avait publié, non pas un Cabinet, mais une liste de ministres. La Présidence ne se souciait ni des opinions ni des projets de ceux qu'elle appelait à la représenter un certain loyalisme et une antipathie marquée pour la démocratie tenaient lieu, à ses yeux, de tous autres mérites. Que représentait, après le Cabinet de Cissey-de Fourtou, le Cabinet de Cissey-de Chabaud-Latour ? On ne l'a jamais su au juste. Un très clairvoyant habitué du Théâtre de Versailles, M. Camille Pelletan, a dit, avec infiniment d'esprit, dans son Assemblée au jour le jour : « La Légitimité ayant échoué en Novembre, l'Orléanisme ayant échoué en Mai et l'Impérialisme échouant à son tour, il ne restait plus que la République. ou rien. C'est ce rien qui remplaça M. de Fourtou dans la personne de M. de Chabaud-Latour, et M. Magne dans la personne de M. Mathieu Bodet. »

Quelle fut, du 20 Juillet ou 6 Août, dans la question constitutionnelle, la politique du Cabinet reconstitué ? Elle fut identiquement la même que celle du Cabinet du 24 Mai1874. Le 20 Juillet, le général de Cissey, vice-président du Conseil, avait annoncé à l'Assemblée les modifications introduites dans le ministère. Elles furent complétées par la nomination au sous-secrétariat de l'Intérieur de M. Cornelis de Witt, un Orléaniste, et par celle de M. Louis Passy, un Conservateur constitutionnel, au sous-secrétariat des Finances, en remplacement de M. Lefébure. Ces personnalités étaient, au point de vue des tendances bonapartistes, moins inquiétantes que celles qu'elles remplaçaient ; elles n'apportaient aucune force, aucun prestige, aucune autorité à la nouvelle administration. On s'en aperçut dès le 23 Juillet, quand fut discuté le projet de résolution de M. Casimir-Périer.

Nous rappelons que la Commission des Trente avait rejeté le projet par 18 voix contre 6 et lui avait substitué le projet de Ventavonat. La discussion s'engagea par un très honnête et très ferme discours de M. Casimir-Périer. La réponse du duc de Broglie, très étudiée comme toujours et très habile cette fois, était une critique acerbe de toutes les Constitutions républicaines que notre pays s'était données, un éloge sans réserve et sans mesure, un dithyrambe en l'honneur du Maréchal de Mac-Mahon, « le soldat légal ». M. Dufaure ramena la question sur son véritable terrain, celui de la Constitution à donner à la France, par une de ces harangues sobres et vigoureuses, comme il savait les faire, et le général de Cissey prit la parole. On attendait les déclarations du Gouvernement sans impatience, mais avec une certaine curiosité ; on se demandait si le langage de M. de Cissey, le 23 Juillet, concorderait avec le langage du Maréchal dans son Message du 9 Juillet il en fut la négation formelle, la contradiction naïve jusqu'au cynisme, ou plutôt jusqu'à l'inconscience. Il avait suffi que la Droite menaçât encore une fois de retirer son appui au Maréchal, pour que le Conseil se ralliât sans hésitation à la politique d'ambiguïté et d'équivoque et se donnât à lui-même, comme au Président de la République, le plus éclatant démenti. Après lecture de cette Déclaration, véritable monument d'inconsistance politique, aveu formel d'impuissance, la proposition Casimir-Périer, abandonnée par M. Target et par son groupe, était repoussée, à la majorité de 374 voix contre 333.

A la suite de ce vote néfaste, qui ajournait de sept mois l'organisation de la République conservatrice, M. de Malleville, au nom de toutes les Gauches, montait à la tribune et demandait l'urgence pour une proposition de convocation des électeurs au 6 Septembre. L'Assemblée ne voulait ni constituer ni s'en aller elle repoussa l'urgence à 29 voix de majorité, par 369 voix contre 340, et, le 29 Juillet, par 375 voix contre 334, elle repoussa définitivement la proposition de Malleville. Entre les deux votes sur l'urgence et sur la proposition, elle avait ajourné à la rentrée, d'accord avec le ministre de l'Intérieur, la discussion sur les lois constitutionnelles, les propositions de Ventavon et Wallon le 30 Juillet, elle avait ajourné au mois d'Octobre la session d'Août des Conseils généraux le 31 Juillet, elle avait encore ajourné à la rentrée la reprise de la discussion sur la loi relative à la liberté de l'enseignement supérieur, malgré les efforts de M~ Dupanloup et, le même jour, elle s'était ajournée elle-même, malgré M. Gambetta qui démontra sans peine que la prorogation était un pur stratagème politique. Cette prorogation fut étendue du 6 Août au 30 Novembre, pour permettre au généra ! Changarnier de goûter un repos dont il sentait vivement le besoin et dont il avait démontré la nécessité avec des accents bucoliques qui firent une profonde impression sur l'Assemblée, aussi désireuse que le vieux guerrier d'aller s'étendre sub legmine fagi. La Commission de permanence fut, cette fois, composée de 10 républicains contre to monarchistes. La crainte du Bonapartisme, ce commencement de la sagesse constitutionnelle, avait décidé l'Assemblée à se départir de son exclusivisme habituel.

Il faut citer à cette date, dans l'ordre de la politique générale, une note officielle du 30 Juillet, déclarant que le Gouvernement avait vu avec regret la publication de la lettre pastorale du cardinal-archevêque de Paris, et dans l'ordre des réformes scolaires, une importante modification au régime du baccalauréat. La lettre pastorale du cardinal achevait de nous brouiller avec l'Italie et nous mettait, en face de l'Allemagne, dans une situation d'où la guerre faillit sortir au printemps de 1875. La division du baccalauréat ès-lettres en deux séries d'épreuves, subies à un an d'intervalle, fit peser sur deux classes, au lieu d'une, l'écrasante préparation d'un examen que les juges les plus éclairés s'accordent à regarder comme funeste, et qui, sans cesse attaqué mais toujours vivace, constamment modifié, mais jamais sérieusement réformé, finira bien par ruiner les études secondaires dont il est censé être la nécessaire et naturelle sanction. Unique, double ou multiple, scientifique ou littéraire, classique, spécial ou moderne, il a tous les inconvénients que lui attribuent ses innombrables adversaires, et presque aucun des avantages que lui reconnaissent ses rares partisans. Ceux-ci en sont venus à désirer que l'on vive avec lui, comme on vit avec un mal incurable, en cessant de lui appliquer des remèdes qui prolongeront, sans le sauver, les souffrances du patient ce patient, c'est la jeunesse française.

Le dernier incident de la longue et stérile session d'été de 1874 avait été le vote, au pas de course, la veille de la prorogation (4 août), du traité que le contre-amiral Dupré avait signé avec l'empereur de l'Annam Tu-Duc. Ce traité accordait à la France des avantages appréciables la libre navigation sur le Song-Koï, le droit de garnison à Cua-Cam, trois ports annamites pour notre commerce, une certaine liberté dans l'Annam pour l'exercice de la religion chrétienne. L'opinion était alors si peu attirée sur les questions coloniales, que la convention avec Tu-Duc n'excita guère plus d'intérêt dans l'Assemblée qu'un projet de loi d'intérêt local. Elle avait pourtant le mérite de ne nous coûter que cinq bateaux à vapeur, une centaine de canons et un millier de fusils. Les traités ultérieurs, traités de protectorat ou d'annexion, ont grevé plus lourdement notre budget.

 

Les grandes et longues vacances parlementaires de 1874 furent partiellement consacrées par le Président de la République à des excursions en Août dans le Maine, l'Anjou et la Bretagne, en Septembre dans la Flandre. Ces voyages, accomplis avec le cérémonial habituel et conformément à toutes les règles du protocole, laissèrent les populations assez froides, sauf dans les pays ultra-catholiques, ou les manifestations de piété du Maréchal, soigneusement soulignées par le clergé et relatées par le Journal officiel, donnèrent au « soldat légal » un air de soldat chrétien qui n'était pas pour déplaire à la Bretagne. Sur les populations moins religieuses, la froide réserve du Maréchal, ses réponses sèches et courtes, ses confusions fréquentes n'étaient pas faites pour provoquer un vif enthousiasme. Une seule fois, il sortit de son mutisme ou de son laconisme pour déclarer, à Lille, le 12 Septembre, en réponse à M. Plichon, président du Conseil général du Nord, qu'il poursuivrait sa mission avec fermeté, avec confiance, appelant à lui les hommes modérés de tous les partis. Les Républicains étaient si affamés d'ordre, de paix et de stabilité gouvernementale que cette bonne parole les ravit d'aise. Les Monarchistes au contraire, et parmi eux les amis les plus dévoués du Septennat., firent entendre des commentaires menaçants, à la perspective d'un partage du pouvoir avec les plus modérés des Républicains. « Si le Maréchal de Mac-Mahon, disait le Journal de Paris du 13 Septembre, opérait la même évolution que M. Thiers, nous lui retirerions notre confiance. »

Les représentants de la Droite dans le Cabinet ne se piquaient pas plus que les journaux monarchiques d'interpréter fidèlement la pensée du chef de l'Etat, au sujet de l'organisation de ses pouvoirs. A Saint-Malo, le Maréchal avait dit brusquement au président du Tribunal de commerce Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'y avait pas de Gouvernement vous vous trompez, il y en a un c'est le mien. » Ce Gouvernement, si énergiquement affirmé, l'Union de l'Ouest l'appelait « une abstraction » et le journal de M. de Cumont, allant plus loin, parlait avec une pitié un peu dédaigneuse « du brave Maréchal » et ajoutait : « Si M. le comte de Chambord fût venu faire ce même voyage, il eût été plus acclamé et plus fêté que le Maréchal, car il eût représenté la gloire et l'avenu' de la France. »

Avec ces voyages, si pauvres en incidents et si stériles, en somme, coïncidaient et contrastaient les déplacements de M. Thiers qui voyageait en simple particulier et que la foule accueillait partout, en Savoie, dans le Dauphiné, dans les Alpes-Maritimes avec une respectueuse mais démonstrative sympathie. Pour tous il restait le représentant nécessaire et le Chef de cette République conservatrice, que le Maréchal allait subir volens nolens, que la France allait lui imposer par sa volonté souveraine.

Elle eut souvent la parole, la France, pendant ces vacances, et qu'il s'agit d'élections politiques, départementales ou municipales, elle condamna chaque fois, avec plus ou moins de rigueur, celui qui la présidait et ceux qui la gouvernaient. Il n'y a pas d'exemple, dans aucun pays, dans aucune histoire, d'un régime plus battu que le Septennat. Neuf élections à l'Assemblée nationale eurent lieu du 16 août au 15 Novembre. Dans le Calvados M. Le Provost de Launay avait assez atténué son Bonapartisme pour permettre au Centre Droit de voter pour lui à peine élu, il prit, comme M. de Bourgoing, le chemin d'Arenenberg. Les ministériels dupés n'avaient pas été les protégés, ils avaient été les protecteurs de l'Empire.

Le 13 Septembre dans le Maine-et-Loire, un candidat Centre Droit, ministériel, septennaliste en un mot, M. Bruas, se réclamant du Maréchal de Mac-Mahon, s'était présenté contre un Républicain, M. Maitté, et contre un Bonapartiste, M. Berger. Au second tour, les voix bonapartistes s'étant reportées en trop petit nombre sur M. Bruas, le Républicain avait été élu et ce résultat, obtenu dans un département réfractaire à l'idée républicaine, avait fait une grande impression dans toute la France et prouvé l'impopularité croissante du Gouvernement. M. Maillé remplaçait M. Beulé, l'un des coryphées et l'une des victimes de l'ordre moral. Dans les élections du 18 Octobre, qui eurent lieu dans trois départements, les ministériels ne remportèrent un dangereux succès qu'en votant pour un Bonapartiste non militant, M. Delisse Engrand, à Arras. En Seine-et-Oise et dans les Alpes-Maritimes trois Républicains furent élus, malgré l'appui que le préfet des Alpes-Maritimes avait donné aux candidats réactionnaires et séparatistes. Trois nouveaux scrutins, le 8 Novembre, aboutirent encore à l'élection d'un Bonapartiste, le duc de Mouchy-Murat, dans l'Oise à celle de deux Républicains, MM. Madier de Montjau dans l'Ardèche et Parsy dans le Nord.

Les élections départementales et municipales ne furent pas moins favorables aux Républicains, ni par conséquent moins contraires aux Monarchistes, surtout aux Monarchistes honteux. Au renouvellement par tiers des Conseils généraux, qui eut lieu, pour la première fois, le 8 Octobre 1874, les Républicains obtinrent 666 nominations sur 1.426, les Monarchistes 604 et les Bonapartistes 156. Les électeurs qui avaient porté leurs suffrages sur les Monarchistes et les Bonapartistes avaient choisi les plus accentués d'entre eux et non pas les faux Conservateurs qui se couvraient le visage du masque du Septennat. Tout le monde eut donc sa part dans ces élections cantonales, moins le Gouvernement. L'incident le plus remarqué de la lutte fut l'élection, en Corse, du prince Charles Bonaparte. Soutenu par le Prince Impérial, le prince Bonaparte passa contre le prince Napoléon, conseiller sortant, lequel, ayant cessé de plaire à son cousin, cessa de plaire aux électeurs. Quand les nouveaux Conseils généraux eurent à renouveler leurs bureaux, 43 mirent à leur tête des présidents républicains, complétant et confirmant ainsi la manifestation significative du 5 Octobre.

Le pays ne se lassait pas plus d'exprimer sa volonté que le Gouvernement de la méconnaître. Le 22 Novembre, quand il dut renouveler les Conseils municipaux, il laissa en dehors des Conseils la plupart des maires et des adjoints que MM. de Broglie et de Fourtou lui avaient imposés. M. Baragnon lui-même devait reconnaître, à l'user, qu'il était moins facile qu'il ne l'avait pensé de faire « marcher la France ». Elle marchait bien, mais à l'opposé de ses conducteurs.

Il faut rendre à l'honnête et insuffisant ministre de l'Intérieur, M. de Chabaud-Latour, cette justice que, s'il n'empêcha pas partout, parce qu'il manquait d'autorité, les scandales de la candidature officielle, il ne la pratiqua sciemment nulle part. Ce brave et savant soldat avait des pudeurs que MM. de Broglie et de Fourtou ignoraient. Le Cabinet était d'ailleurs trop occupé à la polémique avec les journaux et à la répression de ce qu'il considérait comme des délits de presse, pour prêter une grande attention à ce qui n'était pas la critique directe ou détournée du Septennat.

Le Journal officiel du 18 Septembre publia un communiqué sévère à l'adresse du Journal des Débats pour avoir affirmé, après M. Rouher, qu'il n'y avait que deux régimes possibles en France la République ou l'Empire. Evidemment le Journal des Débats ne prenait pas le Septennat au sérieux. Après la lecture du communiqué, ce fut le ministère que le publie dut cesser unanimement de prendre au sérieux. Nous ne raconterons pas les efforts vraiment puérils faits par les ministres en voyage pour donner une définition acceptable du Septennat-trêve, du Septennat-ajournement ; pour faire croire que le régime qu'ils servaient et qu'ils avaient tant de peine à déterminer, offrait toutes les garanties de stabilité et de durée que pouvait désirer la France. Nous ne rappelons ici que leurs actes. C'est à la presse surtout qu'ils en veulent. Au commencement de Septembre l'Univers est de nouveau suspendu, pour outrages au Gouvernement espagnol. Un des considérants de l'arrêté de suspension, pris par le général-gouverneur de Paris, est ainsi conçu : Attendu que l'Univers, dans son numéro du 6 Septembre, dépasse toute mesure, provoque au mépris des Gouvernements établis par d'inqualifiables outrages, qui sont de nature à compromettre nos relations extérieures, trouble la paix publique et porte une grave atteinte à la dignité de la presse française. Le dernier paragraphe de ce considérant doit être relevé. Que le Gouvernement soit juge et bon juge de ce qui trouble la paix publique ou la sécurité nationale, on peut l'admettre qu'il s'érige en censeur et donne des leçons de dignité à la presse, la prétention est abusive, venant de ministres qui n'avaient vraiment de leçons à donner à personne, pas plus à M. Veuillot qu'au colonel Stoffel, dont ils essayaient de réfuter la brochure sur la fameuse « Dépêche du 20 Août 1870 », dans un communiqué très vague du 19 Octobre.

Les mesures prises par le Cabinet contre les Ultramontains et les Intransigeants de Droite allaient directement contre la politique des habiles du Centre Droit qui auraient voulu, comme le fit Mgr Dupanloup, dans une sorte de lettre circulaire, ramener dans le giron conservateur les 52 Légitimistes qui avaient voté contre le duc de Broglie, le 16 Mai 1874.

Tous les actes du duc Decazes, pendant cette période, creusaient plus profondément encore le fossé entre l'Extrême Droite et le Centre Droit et obligeaient, bon gré mal gré, ce dernier groupe parlementaire à faire enfin le pas décisif. Le duc Decazes eut à nommer, du 28 Août au 9 Septembre, les titulaires de trois grandes ambassades : M. de Jarnac fut envoyé à Londres où il remplaça le duc de la Rochefoucauld, M. de Chaudordy, de Berne, où il avait remplacé Lanfrey, à Madrid, et le comte Bernard d'Harcourt à Berne. Le choix de M. de Chaudordy, l'ancien auxiliaire de la Délégation à Tours et à Bordeaux, était significatif. C'était la reconnaissance officielle par la France du Gouvernement du Maréchal Serrano et la condamnation des Carlistes dont les 'atrocités avaient indigné toute l'Europe, moins la Russie, qui, en refusant de prendre part à une démarche commune conseillée par l'Allemagne, voulut surtout mettre en échec la Chancellerie fédérale. Ce fut le premier nuage dans le ciel de la Triple Alliance, depuis l'entrevue des trois souverains de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Russie, en 1872.

Si la reconnaissance de l'Espagne par la France mécontenta le parti légitimiste, le rappel de l'Orénoque, mouillée à Civitta-Vecchia, pour la protection éventuelle du Pape, lui fut encore plus sensible. Le 18 Octobre une note de l'Officiel annonçait que l'Orénoque était rappelée à Toulon et qu'un nouveau bâtiment était mis a la disposition du Saint-Père et maintenu, avec cette destination, dans un des ports français de la Méditerranée. La même note disait que le Kléber se rendait dans les eaux de la Corse.

Ces incidents de la politique extérieure, pour graves qu'ils fussent, disparurent un peu dans le bruit et le scandale des révélations du procès d'Arnim. On sut, par les pièces du procès qui furent livrées à la publicité, quel rôle le Chancelier et l'ambassadeur allemand avaient joué, même dans nos affaires intérieures, quelles menaces avaient constamment pesé sur nous, même quand nous remplissions nos engagements avec une scrupuleuse fidélité et -ces craintes d'un orage toujours imminent, ne furent pas sans influence sur le développement ultérieur de notre politique au dedans et au dehors.

Il faut rappeler, en 1874, le Congrès ou Conférence internationale de Bruxelles, dont le prince Gortchakoff avait pris l'initiative et auquel adhérèrent toutes les puissances, quelques-unes en faisant des réserves significatives. La

 Conférence avait pour but de codifier les règles de l'état de guerre entre peuples civilisés. Elle fut présidée par le baron de Jomini. « Plus l'organisation militaire des peuples, disait Gortchakoff, tend à donner à leurs guerres le caractère de conflits entre nations armées, plus il devient nécessaire de déterminer avec précision les lois et les usages admissibles dans l'état de guerre, afin de limiter les conséquences et de diminuer les calamités qui en résultent. » L'Angleterre n'accepta la discussion d'aucune matière de droit maritime international, mais sanctionna tout le reste, sans résistance comme sans enthousiasme. Toutes les règles que la Prusse avait violées enl870-1871 furent rappelées par la Conférence qui dura trois semaines. Elle prononça l'interdiction platonique des armes empoisonnées ; des projectiles explosibles d'empoisonnement des puits et fontaines ; de meurtre de l'ennemi sans défense ; de bombardement des villes ouvertes et non défendues de tir sur les églises et les monuments artistiques. Ne durent être considérés comme espions que ceux qui recueillent des renseignements clandestinement et sous de faux prétextes. Il convient de traiter les blessés conformément à la convention de Genève, de protéger les fonctionnaires qui continuent à exercer leurs fonctions, et enfin de ne prélever que les impôts habituels. Les volontaires peuvent être reconnus comme belligérants dans quatre cas : 1° s'ils ont à leur tête un chef responsable ; 2° s'ils ont un signe distinctif reconnaissable à distance ; 3° s'ils sont ouvertement armés ; 4° s'ils se conforment aux lois de la guerre. L'exclusion systématique, par l'Angleterre, du droit maritime international, la participation de la Prusse à des prescriptions que le droit de la guerre tel qu'elle le comprenait et le pratiquait devait réduire à néant, furent les principaux caractères de la Conférence de Bruxelles. Si les décisions de ces sortes de Congrès ou de Conférences avaient force de loi, si tous les peuples en suivaient religieusement les prescriptions, la guerre, devenue moins meurtrière, transformée en une sorte de lutte courtoise, deviendrait peut-être plus fréquente. Qui sait si la crainte des horreurs qu'elle entrainera désormais ne retient pas plus efficacement les épées aux fourreaux ?

Dans la quinzaine qui précéda la rentrée des représentants à Versailles, cette capitale du commérage politique, le plus improvisé et le plus brouillon des ministres avait trouvé le moyen de s'aliéner deux de nos premiers établissements d'enseignement supérieur le Muséum et la Faculté de Médecine. Il s'était brouillé avec le premier des étudiants de France, le vénérable et illustre centenaire, M. Chevreul, et il avait imposé pour Inspecteur général aux Facultés de médecine un catholique militant. Les étudiants manifestèrent contre ce choix, à leur manière, en faisant un peu de bruit au cours du professeur-Inspecteur. Le ministre répondit aux étudiants avec une désinvolture de gentilhomme il fit chevalier de la Légion d'honneur son chef de Cabinet, qui était le fils de l'Inspecteur général.

 

Signalées par la mort d'un grand historien, M. Guizot, et par celle d'un savant géologue, Elie de Beaumont, les vacances de 1874 étaient enfin terminées et l'Assemblée de Versailles, que l'on peut appeler « un long Parlement », allait se retrouver en présence des mêmes difficultés que par le passé. Le Gouvernement qui aurait dû la guider, Gouvernement d'intérim, incapable d'imposer le respect à ses ennemis et la fidélité à ses agents, ne savait, pas plus que le Maréchal lui-même, s'il devait poursuivre le vote des lois constitutionnelles ou s'il devait y renoncer ni quel fond il pouvait faire sur une Assemblée souveraine qui avait refusé de constituer et de se dissoudre, qui ne retrouvait un peu de force, qui ne rapprochait les tronçons épars de sa majorité, que lorsqu'il fallait voter une loi agréable au clergé ou s'octroyer de longues vacances. Après comme avant la rentrée, « l'esprit de procrastination, suivant le mot de Benjamin Constant, l'emporte une fois de plus sur l'esprit de Constitution.

Les trois Gauches, profondément unies devant le pays, allaient rester unies dans l'Assemblée et s'entendre pour sortir à tout prix du provisoire. C'est à peine si l'on comptait parmi elles une demi-douzaine de Républicains d'antan, disposés à sacrifier la France à un principe et faire prévaloir leurs, anciennes conceptions jacobines ou utopiques.

Les Bonapartistes, aussi violents que par le passé, émettaient l'intolérable prétention de ressaisir le Gouvernement d'un pays qu'ils avaient conduit aux abîmes et ne se laissaient pas plus démonter par la chute de ceux d'entre, eux qui tombaient du pouvoir ou qui échouaient devant la police correctionnelle, comme M. Clément Duvernois, condamné à deux ans de prison pour sa gestion de la banque territoriale d'Espagne, que par les révélations de MM. de Choiseul et Savary.

Les Légitimistes étaient plus irréconciliables que jamais, depuis que l'un d'entre eux, M. de la Rochette, leur avait communiqué une lettre confidentielle — ces sortes de confidences se crient par-dessus les toits — où le Roy manifestait l'espérance que « ses amis ne voteraient jamais rien qui pût empêcher ou retarder la restauration de la Monarchie ». Les 52 Légitimistes, correspondants de Mgr Dupanloup, devaient donc s'unir aux Républicains et aux Bonapartistes contre le projet de M. de Ventavon, qui semblait incapable de réunir une majorité.

Que pouvaient faire, dans ces conditions, la Droite, le Centre Droit et le ministère ?'Leur inspirateur, le duc de Broglie, crut que la seule politique possible était un retour en arrière, au 24 Mai 1873, à la coalition de tous les Conservateurs contre la République et au Gouvernement de combat contre le pays, « incessamment agité par la propagation des plus pernicieuses doctrines ». Ces mots, que l'on put entendre dans la bouche du général de Cissey, quand il donna lecture du Message, le 3 Décembre, lui avaient été certainement soufflés par son prédécesseur à la vice-présidence du Conseil. La politique d'ajournement, que l'on adopta pendant un mois encore, ne pouvait également avoir été conseillée que par le duc de Broglie. Il y avait pourtant dans le Message quelques réconfortantes paroles et procédant d'une autre inspiration. Le Maréchal faisait appel à tous les hommes de bonne volonté, sans aucun esprit d'exclusion, et les Républicains avaient été si peu gâtés par les avances du pouvoir exécutif, depuis le 24 Mai 1873, qu'ils considérèrent celle-ci comme une tentative de rapprochement et se disposèrent à appuyer « l'indispensable » organisation des pouvoirs publics. Ils avaient compté sans ce que l'on a appelé plaisamment « la trêve des confiseurs » sans cette période d'un mois, qui s'étend du milieu de Décembre au milieu de Janvier, et où l'on s'accorde généralement à éviter les discussions trop vives, pour ne pas gêner le commerce des camelots de Paris et des petits boutiquiers de la Province.

Les deux premières séances de l'Assemblée avaient été consacrées à l'élection du Bureau. M. Buffet avait été réélu président par 348 voix sur 351 votants. M. d'Audiffret-Pasquier avait été é)u quatrième vice-président par 288 voix contre 251 au comte Rampon. Dès la troisième séance, après la lecture du Message, avait commencé la première délibération sur la proposition du comte Jaubert, relative à la liberté de l'enseignement supérieur et la discussion s'était prolongée presque jusqu'à la veille de Noël. La séance capitale avait été celle du 4 Décembre, où l'on avait entendu MM. Dupanloup, Challemel-Lacour, Laboulaye et Bardoux, qui se faisaient de l'enseignement supérieur et de la liberté de l'enseignement des idées bien différentes.

Mgr Dupanloup voulait qu'une loi livrât à l'Eglise l'enseignement supérieur, comme la loi du 1S Mars 1850 lui avait livré l'enseignement secondaire et l'enseignement primaire. Il ne réclamait qu'un privilège, sous couleur de liberté, et cette liberté, il la réclamait avec une chaleur, avec un entrain dont la Droite n'était plus coutumière depuis le 24 Mai. La liberté que voulait Mgr Dupanloup, comme M. de Belcastel, c'était la liberté du bien, c'est-à-dire l'abominable tyrannie de ceux qui se croient seuls en possession de la vérité et qui veulent l'imposer aux autres.

M. Louis Blanc n'admettait la liberté d'enseigner qu'accompagnée de toutes les autres libertés ; M. Paul Bert l'admettait également, mais avec accompagnement d'une pleine indépendance scientifique pour le professeur et après réorganisation totale de l'enseignement supérieur de l'Etat M. Challemel-Lacour la repoussait énergiquement, comme funeste à l'unité morale de la France, à l'indépendance de la société civile et à la sécurité nationale. Son discours, d'une puissance dialectique étonnante et d'une beauté de forme incomparable, fut accueilli par les interruptions les plus passionnées, par les accusations les plus injurieuses, parties des bancs de la Droite. Dans une réponse a M. Challemel-Lacour, qu'il avait eu pourtant vingt-quatre heures pour méditer, l'évêque d'Orléans s'oublia jusqu'à dire < qu'à la sentence, prononcée par l'orateur de l'Extrême Gauche, il ne manquait plus qu'un exécuteur D. M. Challemel-Lacour opposa quelques froides et métalliques paroles à cette monstrueuse accusation. « Le caractère dont Monseigneur est revêtu, dit-il, avec une ironie qui cette fois était vraiment meurtrière, la robe qu'il porte et dont il a parlé, m'interdisent de lui répondre comme je pourrais le faire, sur les commentaires qu'il a ajoutés à mon discours. Je livre ses attaques au jugement de tous les honnêtes gens de cette Assemblée, au jugement de tous les hommes sensés, au jugement de tous ceux qui ont souci de la dignité de l'épiscopat. » Après une adjuration éloquente de M. Laboulaye, qui avait la prétention de défendre les vrais principes du libéralisme, d'établir l'unité dans la lumière et non dans la nuit, le Centre Gauche se détacha des deux Gauches, et 331 voix contre 124 décidèrent que l'Assemblée passerait à une seconde délibération. C'était l'adoption du principe de la liberté de l'enseignement supérieur.

Avant de s'ajourner, du 24 Décembre au 6 Janvier, l'Assemblée eut encore à s'occuper des Bonapartistes. Le 22 Décembre, M. Goblet avait demandé à interpeller le Cabinet, sur la suite donnée aux engagements pris dans la séance du 9 Juin, relativement au Comité central de l'appel au peuple. L'Assemblée décida que la date de l'interpellation serait fixée, après la lecture du rapport sur l'élection de la Nièvre. Ce rapport fut lu le lendemain par M. de Choiseul il concluait à la nécessité d'une enquête sur l'élection de M. de Bourgoing. L'enquête votée, l'interpellation de M. Goblet fut ajournée on ne pourrait, en effet, la discuter utilement, que lorsque l'on connaîtrait les résultats de l'enquête.

Ledru-Rollin mourut le dernier jour de l'année 1874 : ce représentant de la vieille École républicaine succombait à la veille d'une session où les représentants de l'École nouvelle allaient faire à la France, à sa pacification, à son organisation le sacrifice de leurs préjugés, de leurs rancunes et de leur idéal irréalisable. Quelques mois avant Ledru-Rollin, pendant les grandes vacances, avait disparu un illustre historien et un des premiers orateurs de ce siècle, que la Révolution de 1848 avait fait descendre du pouvoir et de la tribune, si longtemps honorée par lui. Entre la politique doctrinaire de M. Guizot et les expédients de ses héritiers, les ministres du Septennat, il y avait la même distance, le même abîme qu'entre la politique révolutionnaire de Ledru-Rollin et la politique toute de tempérament et d'opportunité de Léon Gambetta.

 

Plus les Messages se multipliaient et plus la volonté d'aboutir au vote des lois constitutionnelles s'amollissait, plus aussi la pensée gouvernementale semblait s'obscurcir. C'est que le duc de Broglie, le grand amasseur de ténèbres, était dans la coulisse. Il consentait bien à se retirer devant un vote hostile, il se refusait bien à reprendre la direction des affaires, quand il n'apercevait pas une majorité prête à le soutenir il ne consentait. pas à cesser d'exercer sur le pouvoir une action qui, jusqu'à la dernière heure, fut néfaste. On en eut une nouvelle preuve, quand M. Grivart vint lire à la tribune le Message du 6 Janvier. Des circonstances favorables à la solution tant espérée avaient pourtant précédé cette lecture. Le 3 Janvier un premier tour de scrutin avait eu lieu dans les Hautes-Pyrénées, pour une élection législative et le partage des voix entre 4 candidats représentant toutes les nuances d'opinion le Bonapartisme, la Légitimité, la République et même le Septennat avait montré la nécessité d'une alliance entre les électeurs de M. Alicot, le Septennaliste, et ceux de M. Brauhauban, le Républicain pour faire échec au candidat bonapartiste, M. Cazeaux. Pendant que les Républicains se préparaient à voter pour M. Alicot, le Maréchal, obéissant à une heureuse inspiration, avait convoqué à la Présidence MM. Hamille, de Kerdrel, Chesnelong, Bocher, d'Audiffret-Pasquier, Dufaure, Léon Say et Casimir Périer, pour rechercher avec eux s'il serait possible de constituer une majorité, disposée à voter les lois constitutionnelles. On pouvait s'étonner de voir dans ce cénacle un Bonapartiste, comme M. Hamille, des Légitimistes, comme MM. de Kerdrel et Chesnelong, mais l'intention était bonne et l'appel adressé à trois membres notables du Centre Gauche pouvait passer pour une compensation. Les réunions de la Présidence n'aboutirent pas, parce que les représentants des trois groupes convoqués Droite, Centre Droit et Centre Gauche, voulaient chacun une solution différente. La Droite tenait pour le Septennat personnel, le Centre Droit pour le Septennat impersonnel, le Centre Gauche pour la République. De plus, le Centre Droit voulait que la révision fùt nécessaire, fatale, à l'expiration des pouvoirs du Maréchal ; le Centre Gauche consentait seulement à ce qu'elle fût facultative.

Bien que l'entente ne se fût pas faite à la Présidence, on attendait avec une certaine impatience l'ouverture d'une session que l'on sentait devoir être décisive ; on l'attendait aussi avec une certaine inquiétude, le bruit s'étant répandu que le duc de Broglie voulait faire mettre à l'ordre du jour la loi sur l'organisation de la seconde Chambre et, après le vote de cette loi, ajourner les autres dispositions constitutionnelles et établir la Dictature militaire du Maréchal, en l'étayant sur deux Chambres au lieu d'une seule.

C'est pour répondre aux craintes de la Gauche que la Commission des Trente fit savoir, le 4 Janvier, qu'elle avait adopté un article additionnel, subordonnant la validité du vote sur la seconde Chambre à l'adoption des autres lois sur la transmission du pouvoir exécutif. C'était avouer que le projet machiavélique du duc de Broglie avait été conçu. La Gauche resta méfiante, et cette méfiance augmenta encore après le Message. Le Maréchal y disait que l'opinion publique comprendrait difficilement un nouveau retard il demandait la mise a l'ordre du jour de la loi sur la seconde Chambre ; il proposait l'ajournement à 1880 de la détermination de la forme du Gouvernement et, enfin, il affirmait que l'étude qu'il venait de faire, pendant un an, lui avait révélé les véritables besoins du pays. Les ministres ou les conseillers qui avaient rédigé ce document, auraient voulu découvrir le chef de l'Etat et lui attirer un échec parlementaire qu'ils n'auraient pas procédé autrement. Le Maréchal s'engageait à fond sur tous les points et semblait vouloir aller au-devant, non pas seulement d'une crise ministérielle, mais d'une crise gouvernementale. Fort heureusement cette nouvelle intervention du duc de Broglie ouvrit tous les yeux et condamna sans retour toute nouvelle tentative de reconstitution de l'ancienne majorité. Ce ne fut pas même un scrutin, ce fut un vote dédaigneux, par assis et levé, qui renversa l'échafaudage de l'ancien vice-président du Conseil.

M. Grivart n'avait pas quitté la tribune que M. Batbie, l'homme de toutes les ingrates besognes, l'avocat de toutes les causes difficiles, s'y présentait et demandait la priorité de discussion pour la loi sur la seconde Chambre. M. Laboulaye, toujours bien inspiré quand il parlait de ses sujets favoris, le droit constitutionnel et la fondation du Gouvernement nécessaire, répondit, par un petit chef-d'œuvre de malice et de bon sens, à la subtile argumentation de l'orateur du Centre Droit. « On ne conduit pas un pays avec de l'esprit, dit-il, on conduit un pays avec de la franchise. II faut dire clairement où l'on va, et y aller par la grande route, et non par des chemins de traverse, qui aboutissent on ne sait où. » L'argumentation de M. Laboulaye, vivement appuyée par M. de Castellane, au nom de l'Extrême Droite, fut faiblement combattue par M. Antonin Lefèvre-Pontalis, au nom de tous les Réactionnaires sans épithète et par le ministre de l'Intérieur, au nom du Gouvernement. La priorité fut refusée i la loi sur la seconde Chambre et, par ce vote, implicitement accordée à la loi sur la transmission du pouvoir exécutif.

A l'issue de la séance, le Cabinet portait sa démission à la Présidence. Le Maréchal, conseillé par le duc de Broglie, ne l'accepta. ni ne la refusa il se contenta de faire insérer à l'Officiel une note, par laquelle il priait ses ministres de conserver leurs portefeuilles « en attendant la formation d'un nouveau Cabinet ». C'était encore une solution due à la fertile imagination du conseiller habituel. Le 7 Janvier, M. Dufaure avait été mandé à la Présidence ; d'où grande terreur du Centre Droit et intervention du duc de Broglie. On avait décidé d'attendre le vote des lois constitutionnelles, ou l'aveu d'impuissance que la Chambre, croyait-on, ne pouvait manquer de faire, avant d'aviser. Le Cabinet, renversé mais maintenu, s'empressa de pourvoir toutes ses créatures et continua la politique autoritaire qui avait commencé en 1813. Les Conseils municipaux, élus en Novembre, furent dissous sous les prétextes les plus futiles, pour un dissentiment avec le préfet, comme celui de Marseille, le plus souvent pour cause d'incompatibilité d'humeur avec des maires imposés. Même sous l'honnête général baron de Chabaud-Latour ; le déplorable système politique et administratif de MM. de Broglie et de Fourtou leur survivait ; il devait, jusqu'à la fin, produire ses détestables effets.

L'état de l’opinion eût averti le Gouvernement, si les hommes qui le composaient ou qui l'inspiraient avaient été capables de traiter l'opinion autrement qu'en suspecte. La qualifier d'aveugle ou de subversive ils n'y manquaient pas ; écouter ses indications ils s'en seraient gardés comme d'une faiblesse. En ce mois de Janvier ~875 celui de tous les candidats à l'omnipotence ; comme dit G. Sand, qui professait les idées les plus avancées, le prince Napoléon, voyait le salut relatif dans une République sage et sa correspondante croyait, avec lui, que ce régime très bourgeois, très peu idéal, était l'ancre de miséricorde. Quiconque réfléchissait pensait comme eux. Les ministres ne réfléchissaient pas, mais obéissaient à la consigne. Chargés d'empêcher l'établissement de la République, même conservatrice, même sage, même bourgeoise, ils l'empêchaient, sans plus ample informé.

Des hommes d'Etat un peu avisés auraient dû pourtant avoir d'autres préoccupations que celle de comprimer le libéralisme le plus timide. En dehors de la gravité de la situation intérieure, l'état de l'Europe et les ambitions de la Prusse appelaient la plus sérieuse attention. Après nous avoir poussés à reconnaître le. Gouvernement de Serrano, juste à la veille de la restauration d'Alphonse XII, après nous avoir presque brouillés avec l'Espagne, le Chancelier de fer songeait à se venger sur nous de l'échec que sa politique espagnole avait subie en face de la Russie. Ses notes comminatoires hâtèrent le vote de la loi des cadres, qui fut sérieusement discutée du 11 au 21 Janvier, et complétée plus tard, le 12 Mars. Le général Changarnier, MM. Keller et d'Harcourt avaient tenté de faire confier au ministère de la Guerre tous les détails d'organisation, sous prétexte qu'une Assemblée délibérante s'entendait peu aux questions techniques. Gambetta et le général Chareton firent repousser cette motion préjudicielle et, malgré la résistance routinière du ministre de la Guerre, parvinrent à introduire dans l'armée la très utile réforme du renforcement des compagnies portées à 250 hommes, du renforcement des bataillons portés à quatre compagnies et du renforcement des régiments portés à quatre bataillons. Le générât.de Cissey craignait de ne pas trouver de capitaines capables de commander 250 hommes. La fermeté de la Commission et la compétence du général Chareton, rapporteur, eurent raison de ses résistances.

La discussion sur les projets de luis relatifs à l'organisation des pouvoirs publics s'engagea enfin, le 21 Janvier, sur le texte que M. de Ventavon avait soumis à l'Assemblée, au nom de la Commission des Trente, et que nous avons reproduit. La première délibération, comme toujours, fut de pure forme. MM. de Ventavon et de Lacombe, au nom des Trente, firent ressortir le caractère personnel de leur projet qui réservait l'avenir. Cet appel aux Légitimistes ne fut pas entendu et M. Lucien Brun refusa formellement de contribuer par son vote, comme il l'avait fait le 20 Novembre 1873, à élever une barrière nouvelle entre le Roy et le trône. Le duc de Broglie se contenta d'engager, en quelques mots, l'Assemblée à passer à une seconde délibération. M. Lenoël affirma la nécessité d'un Gouvernement défini et définitif. Après ces discours fort sérieux et qui étaient absolument dans la question, vinrent les récriminations inutiles et la partie stérile du débat. M. de Carayon-Latour et M. Bocher attaquèrent violemment les Républicains qui leur rendirent coup pour coup. Le lion vieilli, Jules Favre, fit entendre d'admirables rugissements. Au point de vue artistique, c'était fort beau au point de vue politique, c'était maladroit mais ce fut sans influence sur le résultat. Le 22 Janvier l'Assemblée décida, par 538 voix contre 145, qu'elle passerait à une seconde délibération. Trois jours après, le 25 Janvier, eut lieu, plus rapide encore, la première délibération sur le projet de loi et les propositions concernant la création et les attributions d'un Sénat. Après les discours de MM. Bardoux, Jules Simon, Raoul Duval et du rapporteur, M. Antonin Lefèvre-Pontalis, le passage à la seconde délibération fut voté par 498 voix contre 173.

La vraie bataille commença le 28 Janvier, date de la seconde délibération sur les projets relatifs à l'organisation des pouvoirs publics. M. Raudot, au nom de la Droite, affirma qu'il ne se rencontrerait pas de majorité pour voter une Constitution et, par une sorte de question préalable, proposa, pour gagner un temps précieux, de retirer les projets de l'ordre du jour. Sa demande fut rejetée sans scrutin et la discussion commença immédiatement, avec une grandeur solennelle. Entre la première et la seconde délibération le texte de la Commission avait été remanié ou plutôt réduit. Les deux premiers articles du Ventavonat, qui ne concernaient que le Maréchal de Mac-Mahon, avaient disparu et l'article 3 était devenu l'article 1er. Cet article, que son importance nous oblige à transcrire de nouveau, et qui devint le pivot de la discussion, disait :

« Le pouvoir législatif s'exerce par deux Assemblées, la Chambre des députés et le Sénat. La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. Le Sénat se compose de membres élus ou nommés, dans les proportions et aux conditions qui seront réglées par une loi. »

Après qu'un amendement de M. Naquet, tendant à l'établissement d'une Chambre unique, eût été développé par son auteur et rejeté, MM. Corne, Bardoux, de Chadois, Chiris, Danelle Bernardin et Laboulaye proposèrent l'amendement suivant :

« Le Gouvernement de la République se compose de deux Chambres et d'un Président. »

Cet amendement serait devenu l'article 1er du projet. Il fut développé par M. Laboulaye, avec une finesse, une habileté, un talent qui produisirent une émotion profonde dans cette Assemblée, où les plus remarquables discours, où les voix les plus persuasives ne déplaçaient pas dix suffrages. Autant M. Challemel-Lacour semble peu désireux d'exercer une sérieuse influence sur l'Assemblée à laquelle il s'adresse et qu'il domine par sa voix tranchante, par son geste impérieux, autant il semble peu soucieux de convaincre un adversaire, autant M. Laboulaye cherche à convaincre et à persuader. Professeur, comme M. Challemel-Lacour, M. Laboulaye procède par la méthode démonstrative et, sans ombre de rhétorique, amène a son opinion les plus récalcitrants, parce que sa thèse est la plus sage et qu'il en fait admirablement ressortir la vérité, doucement, tranquillement, dans une langue nette, juste et précise, sans grande chaleur, mais sans défaillance dans la pensée et sans trou dans le raisonnement. Peu à peu son exposition lucide, sa logique serrée et aimable font plus d'impression que les grands mouvements oratoires, que la parole chaude, colorée, ardente d'un Gambetta. Les Gauches éclatèrent en applaudissements enthousiastes, la Droite fut dominée par cette parole loyale d'un honnête homme, profondément convaincu, et le Centre Droit fut ébranlé[1].

La réponse de M. de la Bassetière, au nom des Légitimistes, lourde et embarrassée, accentua encore le succès de M. Laboulaye et raviva l'effet produit par son discours. Si l'on eût voté, à ce moment, la République était faite. Plusieurs membres du Centre Droit, pour ne pas prendre la responsabilité d'éterniser le provisoire, avaient quitté la salle et le duc d'Audiffret-Pasquier disait, avec sa brusquerie familière, à quelques députés de la Gauche : « Je m'en vais. Puisqu'il n'y a pas moyen d'y échapper, dépêchez-vous de la faire, votre République, pendant que nous ne sommes pas là. » L'intervention de Louis Blanc, qui voulait bien voter la République mais non la seconde Chambre, celle de M. de Castellane, qui avait constaté que « quelques-uns de ses amis étaient déjà partis », firent renvoyer le vote au lendemain et le charme fut rompu. L'intervention de Louis Blanc était d'autant plus inopportune que, le lendemain, il devait, avec MM. E. Quinet, Madier de Montjau, Marcou et Peyrat, céder aux pressantes sollicitations des trois Gauches et donner son vote en faveur de l'amendement Laboulaye. Il y eut même, à cette occasion, entre les Républicains modérés et les Intransigeants une scène émouvante, ceux-ci se refusant à renoncer aux opinions de toute leur vie, ceux-là pressant leurs collègues, leurs amis, leurs maîtres, de faire à la République, à la France. le sacrifice de ces opinions. « Quelle touchante effusion de famille, » disaient, en ricanant, les membres du Centre Droit. Ni les résistances de Louis Blanc, ni l'insistance de Gambetta ne prêtaient à rire. Si le vote des Intransigeants en faveur de la République conservatrice fut chose si plaisante, que dire de celui des membres du Centre Droit qui allaient, à quelques jours de là, approuver les lois constitutionnelles et fonder la République ? Il est vrai que beaucoup de membres du Centre Droit n'entraient dans la République conservatrice que comme des frères ennemis. Mais était-ce une excuse ?

Au début de la séance du 29 Janvier, l'article additionnel de M. Laboulaye fut repoussé, par 359 voix contre 336. L'Assemblée adopta ensuite, sans scrutin, l'ancien article 3, devenu l'article premier de la Commission, en substituant au troisième paragraphe, relatif au Sénat, la rédaction suivante, proposée par M. Marcel Barthe La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale. C'est alors que M. Wallon présenta son article additionnel ainsi conçu :

« Le Président de la République est élu à la pluralité des suffrages, par le Sénat et par la Chambre des députés, réunis en Assemblée nationale. Il est élu pour sept ans. Il est rééligible. »

C'était encore la République, mais M. Wallon y venait par un chemin de traverse, au lieu d'y arriver par la grande route, comme M. Laboulaye. Ce dernier appartenait au Centre Gauche M. Wallon, depuis la chute de M. Thiers, n'avait cessé de voter avec le Centre Droit, et les membres de ce groupe les moins engagés dans le « Gouvernement de combat » devaient accueillir, sans trop de défiance, la proposition émanée d'un des leurs. Quant à l'Assemblée elle-même, son revirement, à vingt-quatre heures d'intervalle, ne devait étonner que ceux qui ignoraient, comme Jules Ferry l'écrira en 1877 ; « qu'elle était une grande École de réticences et que rien ne s'y faisait que par les détours ». Sur la demande de M. Lefèvre-Pontalis, l'article additionnel 'Wallon fut renvoyé à la Commission et la séance au lendemain.

Le 30 Janvier, la Commission proposa naturellement le rejet de l'amendement Wallon, dans lequel elle ne voyait que la reproduction de l'amendement Laboulaye. M. Wallon défendit son œuvre avec une extrême modération et une réelle habileté de langage. « Sept ans de sécurité pour le pays, dit-il aux Trente, c'est beaucoup, sans doute mais, quand vous dites que cela ne durera que sept ans, il semble que ce ne soit plus rien ; quand vous marquez un terme, il semble qu'on y touche... Dire que le provisoire durera sept ans, ce n'est pas faire cesser le malaise, c'est le faire durer. » Le général de Chabaud-Latour, ministre de l'Intérieur, ayant interrompu trois fois M. Wallon, pour lui reprocher de vouloir proclamer la République, M. Wallon lui répondit doucement t Je ne proclame rien, je prends ce qui est, j'appelle les choses par leur nom, je les prends sous le nom que vous avez accepté, que vous acceptez encore. Nous trouvons une forme de Gouvernement, il faut la prendre telle qu'elle est, il faut la faire durer. Je ne vous demande pas de déclarer le Gouvernement définitif, qu'est-ce qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire. »

La proposition de M. Wallon était très loyale, très claire, très nette. L'équivoque, menacée dans ses positions, fit un dernier retour offensif, sous la forme d'un amendement déposé par M. Albert Desjardins, le sous-secrétaire d'Etat de M. de Cumont, que votèrent plusieurs membres du Cabinet démissionnaire. M. Desjardins proposait de faire précéder l'article additionnel Wallon de ces mots : « A l'expiration des pouvoirs conférés au Maréchal de Mac-Mahon par la loi du 20 Novembre 1873 et, s'il n'est procédé à la révision des lois constitutionnelles, conformément aux articles ci-dessous. » Ce texte avait l'inconvénient de se référer à des articles qui n'étaient pas encore votés et qui ne le seraient peut-être pas ; il avait l'inconvénient de manquer de clarté, chose grave pour un texte constitutionnel, et plusieurs représentants pouvaient dire que la phrase était incomplète et n'avait pas de sens. Elle avait bien un sens, avec le complément de l'article additionnel Wallon, mais un sens redoutable elle prolongeait purement et simplement l'équivoque, le provisoire, en un mot, le Septennat personnel, dont personne ne voulait plus. On le vit bien au vote. MM. Raoul Duval et Chesnelong, se plaçant à deux points de vue différents, combattirent à la fois les articles Wallon et Desjardins M. de Ventavon les repoussa également, au nom de la Commission ; M. Clapier les approuva l'un et l'autre M. Bérenger de la Drôme appuya le seul amendement Wallon que son auteur consentit à modifier, en substituant le mot majorité au mot pluralité de sa première rédaction.

M. Buffet, qui présida fort bien et fort impartialement ces difficiles débats, avec le désir manifeste de voir enfin aboutir les lois constitutionnelles, mit d'abord aux voix l'article Desjardins il fut repoussé par 522 voix contre 129 c'était la fin du Septennat. L'article additionnel Wallon fut ensuite adopté, après un minutieux pointage, par 353 voix contre 352 c'était le triomphe de la République. Par une véritable ironie du sort, elle l'emportait à une seule voix, cette voix unique, que les Orléanistes avaient déclarée suffisante pour le rétablissement de la Monarchie. Les membres du Centre Droit, qui avaient voté avec M. Wallon et décidé le succès, doivent être nommés c'étaient MM. Adrien Léon, Beau, de Chabron, Delacour, Drouin, Gouin, d'Haussonville, Houssard, Savary, de Ségur, Target et Voisin. Comme le demandait éloquemment M. Laboulaye, ils avaient « eu pitié de notre malheureux pays Trois autres membres du même groupe, MM. Fourichon, Léonce de Lavergne et Luro avaient, dès la veille, voté avec M. Laboulaye et les Gauches. Le vote des lois constitutionnelles était désormais assuré, grâce à ces sages et courageux citoyens, parmi lesquels il convient de donner une place éminente à M. Wallon, que l'on a appelé, croyant faire une délicieuse plaisanterie, le Père de la Constitution. C’est un titre de gloire et qui perpétuera le nom de cet excellent citoyen.

Trois séances furent nécessaires, pour achever la délibération des projets de lois relatifs à l'organisation des pouvoirs publics. Le 1er Février M. Marcel Barthe développa un amendement relatif aux attributions des pouvoirs publies. Le ministre de l'Intérieur et M. de Ventavon répondirent quelques mots au préopinant, qui retira son amendement sans difficultés. Nous ne rappelons la présentation de cet amendement que pour signaler un incident dont il fut l'objet. M. Marcel Barthe, tout en mettant le Maréchal de Mac-Mahon à la tête de l'armée, lui interdisait de la commander en personne. Si le Maréchal, dit M. de Chabaud-Latour, n'était pas libre de tirer encore son épée au service de la France, il ne resterait pas vingt-quatre heures Président de la République. Cet air de bravoure fut couvert d'applaudissements mérités.

L'article 2 du projet de la Commission, relatif au droit de dissolution, fut amendé en ces termes par M. Wallon. « Il — le Président de la République — peut en outre, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés, avant l'expiration légale de son mandat. En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections, dans le délai de trois mois. » M. Wallon expliqua que son amendement avait pour but de donner à la loi un caractère général, au lieu de caractère personnel que la Commission lui avait laissé a dessein. Le renvoi a la Commission, demandé par M. Paris et appuyé par M. Dufaure, fut prononcé. La séance du 2 Février fut consacrée au vote de l'amendement Wallon, par 425 voix contre 243, après un nouvel essai de résistance fait par la Droite, qui ne réunit que 346 voix contre 354, sur la question de priorité en faveur de l'amendement. Un autre amendement, déposé par M. Bertauld, abandonné par lui et repris par M. Depeyre, se trouvait, en effet, en présence de celui dont nous avons donné le texte. Deux bons discours furent prononcés, dans cette séance, par M. Dufaure et par M. Luro. M. Dufaure avec sa lucidité, sa netteté et sa vigueur habituelles, montra quelles différences séparaient une loi d'expédient, comme celle que la Commission voulait faire, d'une loi vraiment constitutionnelle, comme celle que faisait l'Assemblée. M. Luro, auquel la Droite opposait le vote de la République, à une seule voix de majorité, s'écria prophétiquement : « Avant la fin de cette discussion, vous ferez la République, non pas à une seule voix de majorité, mais à une majorité considérable, qui s'établira malgré vous. »

Le 3 Février, à l'article 4, deuxième paragraphe, la Commission proposait de dire Le Président de la République n'est responsable que dans les cas de haute trahison, en supprimant les mots, « le maréchal de Mac-Mahon », qui, dans son texte primitif, précédaient les mots « le Président de la République ». M. de Gavardie prétendit que la suppression de ces cinq mots était une insulte au Maréchal de Mac-Mahon. M. Laboulaye dut lui expliquer doucement que, s'il y avait insulte, c'était dans la prévision personnelle du premier texte et non pas dans la prévision impersonnelle du second. Cette discussion, d'un intérêt très minime, précéda le vote du reste de la loi, qui fut enlevé dans la même séance. L'ancien article 4 de la Commission, qui était devenu l'article 5, fut présenté et voté sans débats, sous cette forme : « En cas de vacance, par décès ou par toute autre cause, les deux Chambres réunies procèdent immédiatement à l'élection d'un nouveau Président. Dans l'intervalle, le Conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif. »

L'ancien article 5, devenu l'article 6, fut rédigé avec beaucoup plus de développements. « Les Chambres, y était-il dit, auront le droit, par délibérations séparées, prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer s'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. Après que chacune des deux Chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale, pour procéder à la révision. Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale. Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés, par la loi du 20 Novembre 1873, à M. le Maréchal, cette révision ne peut avoir lieu que sur la proposition du Président de la République. »

L'article 6 fut adopté avec des réserves que l'on renvoya à la troisième délibération et qui étaient relatives, soit à la majorité nécessaire pour la révision, dans l'Assemblée nationale, soit au droit de réviser conféré à l'Assemblée nationale et non à une Constituante, élue ad hoc. Ces dernières, qui étaient les plus sérieuses, furent formulées par M. Gambetta. Il est certain qu'une révision peut être votée par un Sénat, quelques mois seulement avant son renouvellement partiel et par une Chambre des députés, arrivée à fin de mandat et qui, par suite, ne représentent peut-être plus exactement l'opinion de la majorité des électeurs. Ces défauts, par suite des circonstances qui hâtèrent le vote en troisième délibération, ne disparurent pas du texte définitivement adopté. L'introduction du droit de révision, dans un Acte constitutionnel, n'en est pas moins une très heureuse innovation c'est, on l'a dit très justement, une soupape de sûreté qui empêche les explosions, c'est-à-dire les Révolutions.

Deux articles additionnels furent adoptés, après l'article 6 celui de M. de Ravinel fixait à Versailles le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres il ne réunit que cinq voix de majorité, 332 contre 327 celui de M. Delsol, qui fut adopté sans scrutin, subordonnait la promulgation de la loi sur les pouvoirs publics au vote définitif de la loi sur le Sénat.

Peu à peu, au fur et à mesure que la discussion avançait, ce n'était pas seulement le Centre Droit, c'était aussi la Droite qui cédait au mouvement et qui apportait son vote aux lois constitutionnelles, c'est-à-dire à l'organisation de la République. Un de ses chefs, vice-président de l'Assemblée, M. de Kerdrel, vint déclarer a la tribune, qu'à son avis, on avait donné au pays un abri bien fragile, exposé à la foudre, et sans le munir d'un paratonnerre. Il concluait, à l'étonnement de son auditoire, qu'il n'en voterait pas moins le passage à une troisième délibération. On ne compta que 174 opposants contre 508 approbateurs[2].

La semaine qui suivit le 3 Février fut consacrée au vote de quelques lois d'affaires et, le 'M Février, vint en discussion la seconde délibération sur les projets de loi et les propositions concernant la création et les attributions d'un Sénat. On croira difficilement qu'aucune réunion préalable du Centre Droit ou des Gauches n'avait préparé cette grave délibération, qu'aucun accord ne s'était établi entre les groupes qui constituaient désormais la majorité constitutionnelle. Aussi, les deux journées du 11 et du 12 Février furent-elles fécondes en surprises et faillirent-elles amener l'écroulement de l'édifice si laborieusement construit. Comme le disait M. de Kerdrel, on avait oublié le paratonnerre.

Après que le comte de Douhet eut retiré un contre-projet peu sérieux, M. Pascal Duprat monte à la tribune. L'article premier du projet de la Commission disait : « Le Sénat est composé 1° de sénateurs de droit ; 2° de sénateurs nommés par décret du Président de la République ; 3° de sénateurs élus par les départements et les colonies. Le Sénat ne peut comprendre plus de 300 membres. » L'amendement de M. Pascal Duprat déclarait le Sénat électif et le faisait nommer par les mêmes électeurs que la Chambre des députés. Après que M. Pascal Duprat, l'un des meilleurs orateurs de la Gauche, eut développé son amendement dans un discours excellent, auquel l'Assemblée ne prêta pourtant qu'une attention distraite, après que le rapporteur, M. Antonin Lefèvre-Pontalis, l'eut repoussé en trois mots, la Chambre, appelée à voter, lui donna 322 suffrages contre 310. La Gauche, par fétichisme du suffrage universel, s'était prononcée pour l'amendement, sans croire à la possibilité de son adoption. Des Bonapartistes s'étaient unis à la Gauche, parce que le suffrage universel était en jeu. Beaucoup de membres s'étaient abstenus et l'union des membres les plus modérés du Centre Gauche au Centre Droit et à la Droite n'avait pu amener le groupement de plus de 310 voix contre l'amendement Pascal Duprat.

Comment le Centre Droit allait-il prendre ce qu'il appelait la défection de ses récents alliés ? Quelle attitude aurait le ministère, en présence du vote du 11 Février, et quelle le Maréchal ? On fut fixé dès le lendemain.

Au début de la séance du 12 Février, le rapporteur, M. Antonin Lefèvre-Pontalis, déclare, au nom de la Commission, qu'elle ne croit plus devoir prendre part à la discussion. Elle se réserve seulement d'intervenir, selon les circonstances. Cette déclaration était passablement comminatoire celle que le générât de Cissey vint faire, non pas au nom du Gouvernement, il n'y avait plus de Gouvernement depuis le 6 Janvier, mais-au nom du Maréchal, le fut encore plus. « Messieurs, dit le général, le Président de la République n'a pas cru devoir nous autoriser à intervenir dans la suite de la discussion. Il lui a paru, en effet, que votre dernier vote dénaturait l'institution sur laquelle vous êtes appelés à statuer et enlevait ainsi, à l'ensemble des lois constitutionnelles, le caractère qu'elles ne sauraient perdre, sans compromettre les intérêts conservateurs. Le Gouvernement, qui ne peut en déserter la défense, ne saurait donc s'associer aux résolutions prises dans votre dernière séance. Il croit donc de son devoir de vous en prévenir, avant qu'elles puissent devenir définitives. »

Il était étrange d'entendre des ministres parler de ne plus intervenir dans la suite d'une discussion à laquelle ils n'avaient pris presque aucune part ; il était choquant d'entendre le Maréchal qualifier, comme il le faisait, un vote de l'Assemblée et prétendre que ce vote dénaturait l'institution du Sénat, comme si un Sénat, élu au suffrage universel direct, devait être forcément moins conservateur qu'un Sénat élu au suffrage universel à deux degrés ; il était plaisant de voir le Gouvernement, qui avait refusé son assentiment à la plupart des résolutions antérieures, venir protester contre la seule résolution prise dans la séance de la veille. Tout cela fut senti confusément par la Gauche et parfaitement compris par la Droite qui était dans les secrets de la Présidence et qui conçut immédiatement un plan de bataille qu'un plein succès devait couronner. L'essentiel était de cacher les noirs projets que l'on méditait et pas un des membres de l'ancienne majorité, celle du 24 Mai et du 20 Novembre, ne se laissa deviner. M. Charreyron, un membre obscur du Centre Droit, déclara bien qu'il ne voterait pas le passage à une troisième délibération. Mais, comme il n'était pas l'un des porte-paroles habituels de son groupe, sa déclaration passa inaperçue. M. Laboulaye essaya honnêtement de calmer les craintes de M. Charreyron, en affirmant qu'un Sénat, quels que fussent son origine et son mode de recrutement, serait une Assemblée conservatrice. « Elevez, dit-il avec justesse, une cloison d'un bout à l'autre de cette salle, qui compte 700 membres les 400 membres qui seront d'un côté de la cloison s'appelleront la Chambre basse, les 300 de l'autre côté la Chambre haute et la Chambre haute sera forcément conservatrice. Après M. Laboulaye, M. Bérenger de la Drôme demanda qu'un tiers des membres du Sénat fût élu par l'Assemblée. Son amendement fut repoussé sans scrutin. M. Bardoux fut plus heureux, avec un amendement portant que chaque département élirait au scrutin de liste 3 sénateurs ; et 366 suffrages contre 238 furent accordés à l'article qui était la combinaison de l'amendement Pascal Duprat et de l'amendement Bardoux. Après ce vote, rendu à la majorité de 131 voix, le sort de la loi paraissait assuré ; tous les autres articles furent adoptés sans discussion et l'on alla aux voix sur l'ensemble par 368 contre 3-45 l'Assemblée refusait de passer à une troisième délibération. Le tour était joué et bien joué la loi sénatoriale tombait et, du même coup, la loi sur l'organisation des pouvoirs publics, subordonnée à l'adoption de la loi sénatoriale. L'Extrême Droite et les Bonapartistes avaient pris leur revanche la Droite et le Centre Droit s'étaient faits leurs complices et, dans le secret de leur cœur, les Monarchistes et les Septennalistes durent se dire que, cette fois, « la gueuse » était bien morte. La proclamation du vote amena sur les bancs de l'Assemblée un mouvement prolongé et une suspension de séance de quelques minutes.

A la reprise, M. Henri Brisson déclare, avec une réelle tristesse, que ce vote va produire dans tout le pays une immense déception, et il sollicite l'urgence pour une proposition de dissolution ainsi formulée : « Les électeurs des départements sont convoqués pour le dimanche 1er Avril prochain, afin d'élire une nouvelle Assemblée, conformément aux lois existantes. » Est-ce le remords qui agit, est-ce le glas de la dissolution qui produit son effet habituel ? Toujours est-il que le Centre Droit et même la Droite laissent des députés de la Gauche produire de nouveaux projets d'organisation sénatoriale et que M. Buffet met a leur service toutes les ressources du règlement. L'appel que font à la conciliation MM. Waddington et Vautrain est entendu ; leur projet de Sénat est accueilli, malgré M. Raoul Duval qui appuie la dissolution, malgré M. de Castellane qui la combat, parce qu'elle serait, dit-il, le signal d'une effroyable mêlée politique et qui tient tout prêt un projet de Dictature pour le Maréchal, avec droit de véto, droit de dissolution et renouvellement partiel de l'Assemblée, jusqu'à la fin du Septennat.

La dangereuse confidence de M. de Castellane désille les yeux des membres du Centre Droit libéral ils entrevoient ou leur vote peut les conduire. Seule, la proposition Brisson, qui les inquiète, les empêche de revenir immédiatement à leurs alliés de la veille, qui seront leurs alliés du lendemain. Un vieux et ferme Républicain, Victor Lefranc, leur rend courage, en combattant la dissolution. Bethmont la demande, au contraire, parce que l'Assemblée n'a pas en face d'elle un Cabinet responsable, et cette demande, imprudente peut-être en ce moment, a le mérite d'amener successivement à la tribune le duc Decazes et Gambetta dont l'intervention, à la fois fougueuse dans la forme, parfaitement modérée et politique dans le fond, déchire tous les voiles.

Le duc Decazes, avec un embarras qu'il ne parvient pas à dissimuler, revendique pour les ministres la responsabilité directe et personnelle de la déclaration que vient de lire le vice-président du Conseil. Six fois battu et toujours présent, lui crie Gambetta, impitoyable. Le ministre des Affaires Etrangères ajoute, en balbutiant, que la dissolution serait « une terrible mesure » et que l'on ne peut la prononcer « par surprise », comme si la surprise n'était pas le fait de ceux qui, après avoir voté tous les articles de la loi sénatoriale, avaient rejeté l'ensemble. Henri Brisson riposte au ministre qu'il n'y a ni majorité constitutionnelle, ni majorité gouvernementale dans l'Assemblée. Le duc Decazes répond qu'il existe une majorité depuis quelques instants, celte qui vient de -se former contre le Sénat élu par le suffrage universel. C'est alors que Gambetta prend la parole et prononce une des plus belles harangues, une des plus décisives et aussi une des plus politiques qu'une Assemblée ait entendues. Ceux qui ont eu la bonne fortune d'assister à la séance du 12 Février, n'oublieront jamais l'effet produit par les formidables coups de hache qu'assénait Gambetta ils revoient tous les ministres d'alors, blêmes d'émotion, immobiles sur leurs bancs, comme hypnotisés par cette parole vengeresse, pendant que la Gauche saluait chaque phrase, chaque mot de son admirable tribun d'acclamations redoublées et que la Droite assistait, sans déplaisir, à l'écrasement des tristes défenseurs du Septennat.

« On vient de vous apprendre comment, à l'aide de certaines habiletés de procédure parlementaire, on pouvait défaire les majorités vraies et constituer des majorités factices.

« Qui est-ce qui a exercé une pression, dans la journée d'aujourd'hui, pour que cet engagement — l'engagement de voter les lois constitutionnelles — soit ouvertement violé ?

« Qu'est-ce qui a dit, pendant deux ans, et surtout depuis le 24 Mai, qu'est-ce qui a répété ; sur tous les tons, faisant intervenir à chaque instant la personne et la parole du chef de l'Etat, qu'est-ce qui a dit et répété que l'on traînait en longueur, que l'on mettait trop de temps pour préparer et formuler la Constitution à donner à la France. Qui est-ce qui l'a dit ? Vous ! Qui est-ce qui a réussi à l'empêcher aujourd'hui ? Vous ! Et si vous étiez, Messieurs, comme vous vous en targuez malheureusement trop souvent, de véritables conservateurs, savez-vous ce que vous feriez ? Vous demanderiez à ce Cabinet, six fois battu et toujours persistant... Est-ce que vous niez que vous avez été battu ? ... Vous lui demanderiez compte de cette politique qui consiste a. arracher des votes, à l'aide du Maréchal et, quand les votes sont obtenus, à venir en recueillir le bénéfice, après l'avoir compromis et amoindri, aux yeux de l'Assemblée et aux yeux du pays. »

Gambetta énumère ensuite tous les sacrifices qu'a faits la Gauche, renonçant à ses idées les plus chères, aux principes constants de la démocratie républicaine, pour se prêter à l'organisation des pouvoirs publics, accordant la dissolution, la révision, la dualité du pouvoir législatif, donnant au chef élu d'une République plus de puissance que n'en ont certains Monarques. Comment son abnégation a-t-elle été récompensée ?

« Nous avions la confiance que vous étiez sincères et que vous ne cherchiez pas dans des remises, dans des stratagèmes de procédure constitutionnelle, je ne sais quel guet-apens qui aurait renouvelé celui de Décembre. »

« Hier vous aviez fait une majorité. Vous avez fait aujourd'hui deux majorités.

« Le Cabinet, dont l'existence était mise en question, s'est précipité chez le Maréchal et il en est revenu avec une Déclaration. Il vous l'a lue l'a-t-il commentée ? expliquée ? a-t-il apporté un argument, une raison politique ? Non, il s'est caché derrière cette épée et il vous a fait voter. »

Après avoir reproché au duc Decazes de calomnier la France, après lui avoir dit, non sans raison, que sa politique extérieure ne valait pas mieux que sa politique intérieure, l'orateur termine noblement, par ces paroles :

« Vous avez manqué la seule occasion, peut-être, de faire une République ferme, légale et modérée. »

Cet acte d'accusation, si vigoureux, avait ceci de remarquable qu'il n'empêchait pas la reprise des négociations, qu'il laissait la voie libre aux hommes de bonne volonté pour l'établissement de la « République ferme, légale et modérée Le ministre de l'Intérieur eut le mérite de le comprendre. Dans un bref discours, où les mots malheureux abondent, où se trouve cette phrase, digne de Beulé : « Nous avons vu se dresser devant nous le suffrage universel, » l'honnête général prononça cette bonne parole : « Nous ne pouvons que voir avec sympathie surgir, de ce côté de l'Assemblée (le Centre Gauche), de nouveaux projets qui permettront peut-être de résoudre le redoutable problème qui se pose devant nous. » Le soldat avait été plus habile que le diplomate. L'urgence, demandée par M. Brisson pour la dissolution, fut repoussée par 390 voix contre 207 et les « nouveaux projets » de MM. Waddington et Vautrain furent renvoyés à la Commission des lois constitutionnelles.

Dès le 13 Février au soir le Maréchal, qui avait un goût très vif pour le duc de Broglie, le mandait à l'Elysée et lui confiait, une fois de plus, la mission de former un Cabinet où n'auraient figuré que des membres de la Droite et du Centre Droit. Ce Cabinet, conformément au plan d'un obscur député bonapartiste ; M. Méplain, aurait retiré les lois constitutionnelles, organisé le Septennat personnel ; sous forme de Dictature militaire, et gouverné dans un sens exclusivement monarchique, c'est-à-dire contre les Républicains de toutes nuances. Le Maréchal ne désapprouvait, dans ce plan, que le retrait des lois constitutionnelles, qu'il ne croyait pas réalisable, mais il poussait l'illusion jusqu'à croire que le maintien du statu quo était possible et que le duc de Broglie parviendrait à reformer une majorité, avec l'ancien programme du Gouvernement de combat. L'Extrême Droite l'encourageait dans cette croyance et s'attribuait déjà un certain nombre de portefeuilles. Le duc de Broglie, qui savait ce que valaient les engagements de l'Extrême Droite, soucieuse seulement de rouvrir la porte à la Monarchie, n'eut pas de peine à démontrer au Maréchal la témérité d'une pareille politique. Quant à lui, après avoir consulté le duc Decazes, il refusait absolument d'entrer dans cette aventure. M. Buffet, également sollicité par le Maréchal, ne se prêta pas plus que le duc de Broglie à cette politique de casse-cou. Tous deux exprimèrent l'avis que le vote des lois constitutionnelles n'était pas' désespéré et conseillèrent de renouer les négociations entre les deux Centres, sous les auspices de M. d'Audiffret-Pasquier et du Centre Droit libéral. Il faut savoir gré à MM. de Broglie et Buffet d'avoir, ce jour-là, rompu avec leurs préjugés et fait entendre au Maréchal, qu'ils ont si mal conseillé, dans tant d'autres circonstances, le langage de la sagesse et de la raison. Il ne fallait pas moins que leur intervention pour ramener le duc de Magenta à une saine appréciation de la situation politique, pour lui inspirer une patriotique résolution.

Du 12 au 22 Février, les précautions furent soigneusement prises, pour éviter le retour des incidents qui avaient failli faire échouer les lois constitutionnelles. Il s'agissait, avant tout, d'opérer la conjonction entre les deux Centres et MM. Wallon et Léonce de Lavergne étaient les intermédiaires tout désignés entre les deux groupes. Aidés de ceux de leurs collègues qui avaient voté l'amendement Wallon, le 30 Janvier, ils multiplièrent les démarches et rendirent à la France l'inappréciable service de rétablir l'accord, si malheureusement rompu le 12 Février. Conservateur intelligent et avisé M. Léonce de Lavergne était particulièrement indiqué pour ce rôle d'arbitre. Il avait voté contre M. Thiers, le 24 Mai 1873 ; mais, ayant constaté que la chute de M. Thiers et la politique du Gouvernement de combat n'avaient profité qu'au Bonapartisme et à la République radicale, il était revenu peu à peu à la République conservatrice et, dès le mois de Juillet 1874, il écrivait Comme M. de Montalivet, j'aurais préféré la Monarchie constitutionnelle et parlementaire qui est, à mon sens, le meilleur des Gouvernements comme lui aussi, voyant cette Monarchie impossible, j'accepte la République. Et un peu plus tard, dans une lettre adressée au Journal des Économistes et qui fit le tour de la presse, M. de Lavergne parlait du suffrage universel comme il parlait de la République. « Je n'ai pas désiré son avènement, je l'ai vu au contraire arriver avec inquiétude mais ; depuis vingt-cinq ans qu'il fonctionne, j'ai appris à le moins redouter. J'ai été surtout frappé de cette coïncidence que, du moment où il a été institué, le socialisme a commencé à décliner. » Des faits récents semblent contredire cette dernière affirmation ils ne la contredisent qu'en apparence. Des déplacements de population, l'accumulation de masses industrielles nombreuses dans quelques centres populeux, ont pu procurer au socialisme des victoires retentissantes la grande masse électorale reste réfractaire au socialisme révolutionnaire et au collectivisme.

L'entente se fit entre les deux Centres sur un projet transactionnel de Sénat, préparé par MM. Wallon et de Lavergne. Le Maréchal, tenu au courant des négociations, renonça au droit de nommer les sénateurs ; le Contre Droit renonça à l'adjonction des plus imposés au Conseil municipal, pour le choix du délégué sénatorial, et le Centre Gauche consentit à l'inamovibilité des 75 sénateurs que devait élire l'Assemblée nationale. C'est le 18 Février que les délégués des deux Centres se firent ces mutuelles concessions, en présence de MM. Wallon, de Lavergne, Target, Beau, Drouin, Luro, Denormandie, Gouin, A. André, Voisin, Houssard, Clapier et Aclocque.

La Gauche, qui avait donné de pleins pouvoirs aux délégués du Centre Gauche, tint elle-même une réunion plénière, le 21 Février, pour ratifier les résolutions qu'ils avaient prises. Cette réunion fut un tournoi oratoire, un duel courtois, singulièrement émouvant, entre deux hommes ou plutôt entre deux Écoles politiques celle des principes intransigeants, représentée par Jules Grévy, si modéré dans la pratique, si absolu dans ses conceptions politiques, et celle des concessions opportunes, représentée par Léon Gambetta. L'intérêt bien entendu de la République, l'état de la France, l'état de l'Europe commandaient évidemment l'adoption des lois constitutionnelles toutes les Gauches se rallièrent à cette solution, moins 4 ou 5 membres, et s'engagèrent à repousser, de parti pris, tous les amendements qui seraient proposés au texte Wallon-Lavergne.

C'est dans ces conditions que la discussion recommençait à Versailles, le 22 Février. Le rapporteur de la loi sénatoriale M. A. Lefevre-Pontalis, chargé du rôle ingrat de venir avouer à la tribune les changements de vues et d'opinions, les tergiversations de la Commission des Trente, s'en acquitta avec beaucoup de bonne grâce. Il lut un rapport relatif à la création et a. l'organisation du Sénat ; tel que le comprenait la Commission des Trente. Ce Sénat devait se composer de 300 membres, 200 élus par les départements et les colonies, 100 nommés par le Président de la République. Nous n'en rappelons que l'article premier, pour montrer la différence du projet des Trente avec le projet Wallon, auquel M. Lefevre-Pontalis faisait allusion, en laissant entendre qu'il ne lui refuserait pas son vote.

M. Wallon, après la lecture du rapport de la Commission, demanda, en effet, la déclaration d'urgence ; qui fut combattue par MM. du Bodan, Ganivet, de Belcastel, et votée, grâce au concours du président, M. Buffet. Après la déclaration d'urgence, vint, conformément a la procédure parlementaire, la question de discussion immédiate. Combattue par MM. de Lorgeril, Depeyre et Raoul Duval, la discussion immédiate fut ordonnée, grâce encore à M. Buffet. Un seul membre prit la parole dans la discussion générale, M. de Castellane, de la Droite, qui combattit le projet de loi au nom des principes républicains et chercha surtout à empêcher la conjonction des Centres. Personne ne lui répondit et l'Assemblée entama la discussion des articles.

Un contre-projet de M. Raoul Duval reproduisait l'amendement Pascal Duprat et faisait élire le Sénat par le suffrage universel. M. Lepère, au nom des Gauches, répondit une fois pour toutes à M. Raoul Duval : « Nous avons tous, d'accord avec nos principes, voté l'amendement Pascal Duprat M. Raoul Duval l'a voté avec nous mais, le lendemain, sur l'ensemble, nous avons vu M. Raoul Duval voter avec les Bonapartistes, qui n'avaient arboré le drapeau du suffrage universel que pour trahir le suffrage universel et grâce à qui l'élection du Sénat par le suffrage direct est désormais impossible. Ce qu'on vous demande ne peut avoir d'autre résultat que de nous maintenir dans un néant constitutionnel. Parmi les vrais amis, les vrais défenseurs du suffrage universel, il n'y en a pas un seul qui s'y laissera prendre et qui se lèvera pour voter la prise en considération. » L'amendement fut, en effet, repoussé le renvoi de la suite de la discussion au lendemain fut rejeté par 345 voix contre 336 ; et 422 voix contre 261 adoptèrent l'article premier du contreprojet Wallon, qui composait le Sénat de 300 membres, dont 225 élus par les départements et les colonies et 75 par l'Assemblée.

Dans la séance du 23 Février une disposition additionnelle de M. Raoul Duval à l'article 1°' est rejetée un amendement de M. Jean Brunet à l'article 2 a le même sort ; l'article 3, comme l'article 2, est voté sans scrutin l'article 4 est voté par 431 voix contre 236, après rejet de tous les amendements, puis les articles 6 (l'article 5 étant réservé), 7, 8, 9 et 10. Fiévreux, enroué, totalement aphone à la longue, M. Raoul Duval, avec un courage surhumain, multipliait les articles additionnels et les amendements, remontait toutes les cinq minutes à la tribune et se brisait contre le mur d'airain que lui opposait la majorité, compacte comme ce mur de glace qu'offraient les soldats de Charles Marte ! aux cavaliers arabes. L'article 5, réservé la veille, fut adopté au début de la séance du 24 Février et l'ensemble de la loi sénatoriale réunit 435 voix contre 234[3]. L'urgence ayant été déclarée, ce vote était définitif.

Sans désemparer, l'Assemblée aborde la troisième délibération de la loi sur les pouvoirs publics elle l'eût menée à terme, si elle avait été présidée, ce jour-là, par l'énergique M. Buffet. Elle était dirigée par un de ses vice-présidents, M. de Kerdrel, et elle ne put voter que quelques articles, après avoir consacré deux heures à la discussion d'un article additionnel présenté par l'infatigable M. Raoul Duval. La souveraineté, disait cet article, réside dans l'universalité des citoyens français. Combattu par M. Lepère, qui n'eut qu'à répéter ce qu'il avait dit le 22 Février, ce truisme ne réunit que 30 voix bonapartistes contre 476.

Le 25 Février, M. de Belcastel apporte à la tribune une protestation attristée. Il reproche à l'Assemblée son < infidélité à la sainte mission qu'elle a reçue, dans un jour d'inoubliable épreuve, de la Providence et de la Patrie On fait circuler les urnes et, par 425 voix contre 254, la Constitution est votée et la République est faite. Treize Républicains seulement s'étaient abstenus.

Après cette séance mémorable les ministres, définitivement condamnés, remirent, une fois de plus, leur démission aux mains du Président de la République. Elle fut acceptée. Mais l'inspirateur de la politique présidentielle comprenait si peu l'importance du changement accompli que, le 26 Février, on put lire cette note dans l'Officiel :

« A l'issue de la séance d'hier, M. le Président de la République a pris le parti de charger M. Buffet de former un ministère.

« Après comme avant le vote des lois constitutionnelles, M. le Président de la République est fermement résolu à maintenir les principes conservateurs qui ont fait la base de sa politique, depuis qu'il a reçu le pouvoir des mains de l'Assemblée. Le nouveau Cabinet devra s'inspirer de ces principes, auxquels M. Buffet n'est pas moins dévoué que M. le Maréchal de Mac-Mahon. Il sera appuyé, dans sa tâche, par les hommes modérés de tous les partis. »

Certes le choix de M. Buffet était, ou plutôt semblait bon malgré sa partialité cynique en faveur de la Droite qu'il qualifiait d'impartialité vraie, et sa haine des Républicains le président de l'Assemblée avait montré une telle décision, pour assurer le vote des lois constitutionnelles, qu'il était l'homme de la situation. Restait à savoir s'il oublierait au pouvoir ses rancunes et ses haines. Les Républicains constatèrent aussi avec plaisir — on en était encore là ! — que le rédacteur de la note avait employé deux fois les mots Président de la République et une seule fois les mots Maréchal de Mac-Mahon. L'appel aux hommes modérés de tous les partis n'était pas non plus pour leur déplaire. Mais ces satisfactions qu'on leur accordait, comme malgré soi et de mauvaise humeur, étaient compensées par le ton comminatoire de la note. Le nouveau Cabinet devra. Était-ce là le langage d'un Chef d'Etat parlementaire ou d'un Chef de corps d'armée ? Aurait-on tenu un autre langage si le Septennat personnel, si la Dictature Castellane ou le projet Méplain avait été voté ? Rebuter ceux qui viennent à vous avec confiance, essayer de retenir ceux qui vous ont échappé sans esprit de retour, telle semble être, telle est bien la politique de la Présidence, qui n'a rien oublié. On ne tarda pas à s'en apercevoir.

Les craintes que les progrès du Bonapartisme inspiraient à tous les Républicains, celles que les menaces de la Prusse inspiraient à tous les patriotes, n'avaient pas été sans influence sur le vote des lois organiques. La séance désormais historique du 25 Février, à l'Assemblée nationale, avait été remplie par la lecture du rapport de M. Savary, au nom de la Commission d'enquête sur l'élection de la Nièvre. Les travaux de la Commission avaient été longtemps entravés par le refus que le Garde des Sceaux, M. Tailhand, avait fait au président, M. Albert Grévy, de lui communiquer les dossiers de l'information judiciaire ouverte contre les membres des Comités bonapartistes et close par une ordonnance de non-lieu. Ce refus était d'autant plus singulier que les Gardes des Sceaux précédents avaient ouvert libéralement les archives les plus secrètes et communiqué les documents les plus confidentiels aux innombrables Commissions que l'Assemblée avait nommées en 1871. Dans la seconde partie de son rapport, où il discutait en droit le refus du Garde des Sceaux, M. Savary avait été interrompu à chaque phrase par M. Tailhand. Dans la première partie, ou il révélait les agissements des Bonapartistes, il l'avait été à chaque mot par les intéressés et couvert d'injures par MM. Galloni d'Istria, Abbatucci, Haentjens et leurs collègues. La question juridique n'offrait plus d'intérêt le 23 Février, M. Tailhand pouvant être considéré comme démissionnaire ; la question politique en offrait un considérable et l'Assemblée avait entendu, avec une sorte de stupeur, les révélations de la Commission. Bien que tes moyens d'information lui eussent manqué, celle-ci avait surpris et elle dénonçait à la Franco, après le préfet de police, une véritable association, ayant ses ramifications en Province, sa presse, ses ressources particulières, sa police, trouvant des complaisants et des complices parmi tous les fonctionnaires de MM. de Broglie et de Fourtou et menaçant, dans leur existence même, le Septennat et la République. La lecture de M. Savary convainquit d'imposture M. Rouher, qui avait nié cyniquement l'existence du Comité central de l'appel au peuple, et montra en flagrant délit de conspiration1ous les Bonapartistes, y compris ceux de l'Assemblée, ceux qui traitaient le rapporteur de calomniateur et de faussaire.

Le péril extérieur n'était pas moindre. Bien que l'alerte ne se soit produite qu'un mois après la formation du ministère Buffet, le 7 Avril 1875, par le fameux article de la Post (Krieg in Sicht), ceux qui étudiaient la situation de l'Europe, et Gambetta était du nombre, éprouvaient les plus vives et les plus légitimes inquiétudes. M. Ernest Daudet, dans ses Souvenirs de la Présidence du Maréchal de Mac-Mahon, prétend que Gambetta, durant les négociations qui précédèrent la formation du cabinet de Cissey, avait qualifié le duc Decazes d'homme indispensable. Si Gambetta avait cette opinion au mois de mai 1874, il ne l'avait certainement plus le 12 Février 1875, puisqu'il adressait, à cette date, au ministre des Affaires Etrangères, la vive apostrophe que nous avons rappelée. L'année 1874 fut celte des fautes les plus désastreuses commises par notre politique extérieure et les apologies du duc Decazes, écrites au lendemain des événements, ont été radicalement détruites par les relations ultérieures des mêmes événements. On peut dire, à la décharge du duc Decazes, qu'il ne partageait pas les passions ultramontaines de la majorité, qui créaient à la France une situation si délicate, après l'attentat de Kissingen, après les poursuites contre l'abbé Majunke, directeur de la Germania, après le procès d'Arnim, après l'affaire Duchesne et la note comminatoire adressée par le Cabinet de Berlin au Cabinet de Bruxelles, le 3 Février 187S ; on peut lui accorder les circonstances, atténuantes pour sa politique avec l'Espagne mais il est seul responsable des avances maladroites et inutiles faites à Alexandre II, lors de son voyage à Londres, en mai 1874 et de sa visite, à Claridge Hôtel, au Comte de Paris ; il est responsable de l'irritation que ces coquetteries avec la Russie provoquèrent chez le Chancelier de fer ; il est responsable de l'état de crise aiguë où la France se trouva tout à coup, et ce n'est pas sa diplomatie étourdie ou effarée, c'est l'intervention officieuse de M. Thiers auprès du prince Gortschakoff et de lord Derby, qui écarta de nous, au printemps de 1875, tout danger de guerre et d'écrasement.

On voit dans quelles graves conjonctures s'ouvrait la crise ministérielle du 26 Février, qui devait être rendue laborieuse par l'inexpérience politique et parlementaire du Maréchal et qui dura dix grandes journées. Le Maréchal, qui avait reçu, le soir du 2S Février, les assurances d'absolu dévouement de 60 membres de la Droite ou du Centre Droit, conduits par le comte Daru, et qui avaient tous voté contre les lois constitutionnelles, ne comprit pas la gravité du changement qui venait de s'accomplir, ni la nécessité d'une orientation nouvelle. Le vote des lois constitutionnelles lui apparut comme une grosse difficulté de moins, comme une ennuyeuse affaire dont il ne serait plus question et la démarche des non votants le remplit d'émotion et de joie, parce qu'il crut qu'il pourrait se rattacher, politiquement, à de vieux, à de fidèles amis, qu'un malentendu passager avait éloignés de lui et qui lui revenaient, en acceptant comme lui le fait accompli, parce que ni eux ni lui n'auraient pu faire autrement. II était difficile, on le voit, de se tromper plus complètement sur le sens des derniers événements, et la formation du ministère Buffet allait se ressentir de ces erreurs et de ces méprises. Du reste, la désignation même de M. Buffet, faite en son absence, pendant qu'il était retenu dans les Vosges, auprès de sa mère mourante, sans qu'il eût été consulté, sans qu'on fut certain de son acceptation, était une première incorrection, que le parlementaire rigide qu'était M. Buffet dut vivement ressentir. D'autres incorrections non moins graves allaient marquer chaque jour de la nouvelle crise ministérielle, provenant toutes de la même cause l'inaptitude politique du Président de la République, qui n'avait d'égales que ses bonnes intentions et ses défiances personnelles de certains hommes, de certaines choses, de certains mots.

C'est sous les ministères de Cissey-de Fourtou et de Cissey-de Chabaud-Latour, si impuissants, si contestés, sans cesse mis en minorité par l'Assemblée nationale, qu'avaient été votées les lois constitutionnelles. Les lois organiques complémentaires dateront du ministère Buffet-Dufaure. En réalité, la Constitution de 1875 date d'un Cabinet qui a tout fait, sauf à la veille du 28 Février, pour en retarder ou en empêcher le vote. Nous verrons cette Constitution à t'œuvre rappelons seulement ici ce qu'avaient voulu faire les hommes pratiques et sincères, qui ont sacrifié d'anciennes convictions aux nécessités de la stabilité gouvernementale et qui, par ce sacrifice, ont rendu possible la réorganisation militaire, financière et industrielle de la France, en même temps que sa régénération morale. I)s ont divisé la souveraineté en trois pouvoirs, ils ont établi deux Chambres d'attributions à peu près égales, en exagérant, pour contenir la démocratie, celles de la Chambre haute. Le Chef du pouvoir exécutif, pour la même raison, a été mis en possession d'attributions plus étendues que celles de certains Monarques héréditaires il a le droit de réviser la Constitution et de dissoudre la Chambre des députés, avec le consentement du Sénat. Ce Sénat a, par son élection, une origine conforme à son rôle de pouvoir modérateur, de pouvoir conservateur, on pourrait presque dire de Chambre de résistance. Les trois pouvoirs et le Gouvernement ont leur siège à Versailles, assez près de Paris pour que l'administration ne soit pas rendue impossible, assez loin de la ville considérée comme un foyer révolutionnaire.

La caractéristique de la Constitution du 25 Février, c'est le droit de dissolution, plus nécessaire peut-être sous une République que sous une Monarchie, qui n'implique qu'un recours plus prompt au souverain juge, qui peut dénouer une situation inextricable, et qui, si l'on n'en abuse pas, s'il est un remède extrême à un mal profond, qui soit reconnu par le pays, s'il est appliqué par un médecin prudent, peut sauver le malade. L'usage prématuré et abusif de ce droit de dissolution, quatorze mois après la mise en vigueur de la Constitution du 2g Février, va tout compromettre, en permettant au Maréchal un essai de rétablissement du Septennat personnel, au Sénat une tentative de reconstitution de la majorité réactionnaire, à tous les adversaires de la République, une revanche du vote de résignation que la force des choses leur a arraché le 23 Février. La dissolution, cet instrument de concorde et de pacification, va être transformée en une arme de guerre, tant il est vrai que les Constitutions ne valent que par les bonnes intentions et par l'adresse de ceux qui sont chargés de les mettre en pratique. Les meilleures peuvent être funestes entre des mains inexpérimentées ou coupables les plus mauvaises, si elles sont appliquées par des hommes intelligents et par de bons citoyens, peuvent assurer à un Peuple un sage Gouvernement et des destinées prospères.

 

 

 



[1] Voir Appendice VII.

[2] Voir Appendice VIII.

[3] Voir à l'appendice IX.