I. — Séance du 1er Juillet 1871. Déposition du général Trochu.
« La
Révolution (du 4 Septembre) est évidemment la conséquence de l'invasion. On a cherché, dans
un intérêt politique très apparent, à donner à cette effroyable crise
l'apparence d'une combinaison préparée, d'une conspiration. Oui, il y avait
une conspiration, celle des événements produisant un effet absolument
semblable a celui des eaux qui, en temps d'inondation, s'élèvent subitement
et envahissent la plaine, défiant toute puissance humaine de s'y opposer. La
Révolution du4Septembre fut de même un fait absolument invincible et imprévu
dont, la veille, on n'avait aucune idée. J'avais dit au Conseil des ministres
« L'Empire est à la merci d'un désastre militaire » mais on pouvait
prévoir une nouvelle défaite, non pas une catastrophe immense et sans précédent,
comme celle de Sedan. C'est la première Révolution qui se soit produite sans
qu'on ait vu une arme dans les rues. Sur le quai, dans cette immense réunion
de peuple que j'évalue à un demi-million d'hommes (très-approximativement,
bien entendu), il n'y avait pas une arme. Cette Révolution ne ressemble à
aucune autre ; ce n'est pas une Révolution, c'est un effondrement, sous le
poids de l'angoisse et de la colère publiques. La lutte du Gouvernement
provisoire a commencé le soir même avec la démagogie. Ma conviction profonde
est que l'événement du 4 Septembre est dû à un de ces mouvements d'opinion
qui sont absolument inévitables et absolument irrésistibles il auto l'effet
d'un très naturel et très explicable entraînement des esprits, motivé par la
succession des désastres de Wissembourg, Reischoffen, Forbach et finalement
Sedan. Ce Gouvernement provisoire, aujourd'hui chargé de toutes les
iniquités. à été pour le pays, le 4 Septembre, ce qu'a été le Gouvernement de
Lamartine, le 23 février 1848. Il a sauvé la situation qui était perdue. Il a
empêché la démagogie de prendre la défense de Paris et de produire, dans la
France entière, un immense bouleversement social. Si le 4 Septembre le
drapeau rouge n'a pas été arboré dans tout Paris, alors qu'il n'y avait nulle
part un moyen de résistance, c'est que le Gouvernement provisoire s'est
trouvé là et que, par fortune, il n'a pas été enlevé dans les 24 heures. S'il
n'a pas été enlevé, c'est uniquement parce qu'il n'y avait aucune sorte de
préparation, car si 20 Rellevillois armés de fusils s'étaient présentés, le
soir du 4 Septembre, à l'Hôtel de Ville, nous étions sans aucune défense il
n'y avait ni garde nationale, ni troupe pour nous protéger. » Dans
d'autres parties de cette déposition, le général Trochu atteste que pendant
les « journées tumultueuse »s MM. Jules Ferry, Gambetta et
Rochefort eurent une attitude remarquablement ferme et courageuse. [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête. Paris
Librairie Germer-Baillière et Cie.] II Lettre de M. Jules Fabre à M. Gambetta.
« 21 janvier 1871. « Mon cher ami, « e
vous écrivais avant-hier 19, ne connaissant point encore les derniers
résultats de la journée. Je les croyais fort bons, car, sauf le retard dans
le mouvement de Ducrot, tout s'était passé avec plus de bonheur qu'on
n'aurait osé l'espérer. Nous étions maitres des hauteurs de Buzenval, d'une
partie de celles de Garches et tout semblait faire présager que le lendemain
on continuerait l'offensive. Il n'en a rien été, loin de là. Nous étions réunis
chez le Gouverneur, à dix heures du soir, lorsque nous arrive un télégramme
par lequel il nous annonce, du Mont Valérien où il a passé la journée, qu'à
quatre heures sa gauche avait été attaquée, écrasée d'obus, forcée de se
replier. Le centre, prive de droite, ne tenait plus contre la vive attaque
dont il était lui-même l'objet et s'était également retiré. J'ai
couru au milieu de la nuit au Mont Valérien. J'ai vu par moi-même que le mal
était sans remède il aurait pu être plus grand encore, si l'ennemi avait
poursuivi son mouvement. Nous avions beaucoup d'artillerie embourbée qui
aurait pu tomber entre ses mains il n'en a rien été ; la retraite s'est
effectuée, mais cet effort a tout épuisé il est le dernier possible. La garde
nationale a beaucoup souffert ; je ne connais pas le nombre de ses pertes. La
population est très irritée contre M. Trochu. Celui-ci ne veut se retirer que
devant un général qui croira possible une dernière action, à laquelle il se
refuse. Voici un mois que Picard et moi avons constamment demandé qu'il fût
remplacé. Nous avons trouvé une opposition persistante et absolue de la part
de nos collègues et les choses continuent ainsi, avec un danger réel pour la
paix publique, car les esprits sont naturellement fort agités. Nous avons
hier réuni les vingt maires de Paris. Nous les avons mis au courant de la
situation tout entière. Nous leur avons montré que nous avions passé la
limite extrême a laquelle nous avions résolu de nous arrêter. Ils n'en
restent pas moins acquis à la cause de la prolongation de la résistance.
Cette opinion généreuse, mais aveugle, est celle de Paris. Tout plutôt que de
se rendre. Mon avis est qu'il n'y faut pas céder. Ceux qui tiennent ce
langage mangent encore leur vie est misérable, mais elle se soutient le jour,
et il est proche, où ils n'auront que de la viande de cheval sans pain, la
mortalité, qui est déjà terrible, deviendra affreuse. « Je
ne veux pas prendre une pareille responsabilité. Nous n'aurions d'excuses que
si nous attendions un secours du dehors. Depuis l'arrivée de votre pigeon
portant, les dépêches du 16 et qui nous est parvenu le 19, l'illusion n'est
plus possible. M. Chanzy n'a pu lutter contre Frédéric-Charles il s'est
héroïquement battu et la France lui sera toujours reconnaissante ; mais il
s'est replié derrière la Mayenne et ne peut rien pour nous. Il voulait, le Il
Janvier, marcher sur Paris, c'est vous qui l'en avez détourné, comme le
prouve votre lettre du i3. Je suis bien sûr que les motifs qui vous ont
déterminé à cette grave résolution étaient excellents ils ne nous en ont pas
moins privés de notre seule espérance, livrés a nos seules forces, et vous
savez qu'elles ne nous ont jamais permis de nous dégager. Vous nous reprochez
notre inaction, en termes que je ne veux pas relever. Vous parlez de Metz et
de Sedan. Mon cher ami, je ne puis attribuer une si criante injustice qu'a
votre douleur bien naturelle de nous voir succomber. Vous dites que nous nous
contentons de gémir ; nous n'avons cessé de provoquer des actions, et la
direction militaire, si elle n'a pas fait tout ce qu'elle aurait pu, a été
unanime à reconnaître que notre armée ne pouvait rien faire d'efficace nous
avons sans cesse combattu aux avant-postes ; nos forts sont démantelés, nos
maisons bombardées, nos greniers vides. Sentant comme vous qu'un dernier
effort était indispensable, nous t'avons ordonné, il a été fait. La majorité
du Conseil n'a pas trouvé un général qui, dans sa pensée, valût M. Trochu.
J'ai constamment été d'un avis contraire, mais devais-je, sur une question de
cette nature, donner ma démission ? « Je
n'aurais pas hésité, si un général s'était présente à moi et m'eût, fuit
entendre une seule parole, capable de m'inspirer une confiance quelconque.
N'ayant autour de moi que des hommes décourages, ayant néanmoins sans cesse
opiné pour le remplace- ment de M. Trochu, je ne pouvais faire un éclat,
provoquer peut-être une sédition, pour donner le commandement à un officier
qui n'aurait amené aucun changement réel dans l'état des choses. C'est ainsi
que nous nous sommes avances jusqu'au bord de l'abîme, où nous penchons, et
vous nous dites que nous avons perdu la République ; vous ajoutez que si, le
25, vous n'avez pas reçu la nouvelle d'une action, vous publierez ma
correspondance confidentielle Mon ami, vous n'y avez pas pensé, et c'est à
vous-même que vous faites tort par de pareils procèdes. Ma correspondance
confidentielle ne contient pas une ligne que je désavoue. Je l'ai écrite avec
cet abandon qui naît de la confiance du secret. S'il vous plait de le violer,
j'aurai le regret d'avoir mal placé cette confiance et de blesser ainsi
quelques personnes dont je vous ai parlé librement. Quant au fond des choses,
je n'ai nulle appréhension, et l'on verra, si ces documents parviennent a
distraire l'attention, suffisamment absorbée par la fraudeur de nos
désastres, que j'ai voulu énergiquement, comme vous, moins bien sans doute,
mais avec un cœur aussi résolu, la défense sans trêve contre l'étranger. « Aujourd'hui
la fortune trahit nos efforts communs et, soyez-en sûr, il n'y a de la faute à
personne. J'ai souvent accusé la direction militaire du général Trochu. Je
l'ai crue, je la crois encore insuffisante. Il a hésité, tâtonné ; il a
manqué de suite et de méthode mais l'infériorité des moyens dont il disposait
était telle, qu'il y avait, à chaque instant, d'énormes difficultés à
surmonter. Peut-être, en faisant autrement, aurait-on fait mieux ; peut-être
aurait-on fait plus mal. Il n'a pu débloquer Paris, mais il l’a savamment
défendu. Du reste, à quoi sert la récrimination ? Il faut tâcher de profiter
du tronçon d'épée qui est dans nos mains. Paris se rendant, la France n'est
pas perdue. Grâce a vous, elle est animée d'un esprit patriotique qui la
sauvera. « Quant
à nous, nous sommes dans une situation terrible. Apres l'échec d'avant-hier,
la population voudrait une revanche, elle demande à grands cris à se battre.
Mais cette animation apparaît plus dans la ville que devant l'ennemi. Ceux
qui l'ont abordé reconnaissent l'impossibilité absolue d'une nouvelle grande
action. D'un autre côté, nous n'avons plus que dix jours de pain, et. Dieu
veuille encore qu'il n'y ait pus quelque mécompte La population l'ignore, les
maires sont charges de l’y préparer, mais ils ont grand'peine a dominer son
effervescence. Nous avons aujourd'hui réuni des généraux pour leur poser la
question de savoir si la résistance est encore possible. Ils ont tous été
d'avis qu'elle ne l'est pas. Il faut donc traiter. « Je
ne sais quelles conditions on nous fera. J'ai peur qu'elles ne soient, fort
cruelles. Dans tous les cas, ce que.je n'ai pas besoin de vous dire, nous ne
signerons aucun préliminaire de paix. Si la Prusse veut consentir à ne pas
entrer dans Paris, je céderai un fort et je demanderai que Paris, se
soumettant, soit simplement soumis à une contribution de guerre. Si ces
propositions sont rejetées, nous serons forces de nous rendre à merci et la
Prusse règlera notre sort par un ordre du jour. Il est probable alors, si
nous ne sommes pas tués dans les séditions qui se préparent, que nous irons
dans une forteresse de Pomeranie, encourager par notre captivité la
résistance du pays. J'accepte sans murmurer le sort que Dieu me réserve, pourvu
qu'il profite à mon pays. « Ce
soir il y à eu des mouvements dans Paris. On demande notre déchéance et ta
Commune. J'accepte, de grand cœur, l'arrêt populaire qui me mettra à l'écart.
Aucun ne saurait m'être plus agréable. « Adieu,
cher ami, cette dépêche est peut-être la dernière ; en écrivant à M. Chanzy,
dites-lui combien j'admire son courage, son patriotisme, son talent militaire
et sa constance. J'ai souvent rêve qu'il me serait donné de t'embrasser, sur
ia route de Versailles à Rambouillet. Si cette glorieuse étape ne lui a point
encore été accordée, à fait des prodiges pour la mériter et il en sera
récompense son nom restera justement populaire, sa campagne du Loiret et du
Perche restera un modèle. Envoyez aussi mes félicitations à M. Bourbaki il
marche comme un héros et son mouvement peut sauver la France. Je suis tellement
surchargé de travail que je ne puis écrire à M. de Chaudordy. Adieu, encore,
mon cher ami ; je ne sais si je vous reverrai. Jusqu'à la fin je demeurerai
votre fidèle et reconnaissant de tout ce que vous faites pour la France. « JULES FAVRE. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] III Documents relatifs à la bataille de Châtillon.
La
lettre suivante, écrite par le général Trochu au gênerai Ducrot, la veille de
la bataille de Châtillon, montre combien le Gouverneur de Paris avait un
exact sentiment de la situation. « Paris, le 18 Septembre 1870. « Mon cher général, « Vous
savez qu'il ne m'a été possible de réaliser qu'en partie les différentes
demandes que vous m'avez adressées hier au soir. Cependant vous avez dû voir
arriver ce matin, entre Bicêtre et Ivry, la division de Maudhuy, que je
mettais avec son canon à votre disposition et à laquelle vous avez dû donner
direction. Je vous ai également expédie — route de Chevreuse, entre Montrouge
et. Vanves — un renfort important de munitions d'artillerie. Mais à votre droite,
j’ai dû remplacer les six bataillons de mobiles que vous demandiez par un régiment
de marche de 2.000 zouaves qui était à Montretout, où il ne reste plus conséquemment
que 600 à 800 hommes. Enfin je n'ai pas pu vous envoyer non plus les deux
bataillons de mobiles que vous souhaitiez, pour occuper le bois de Plessis-Piquet.
Votre droite est faible, mais j'estime que pour aujourd'hui vous avez peu à
craindre de ce côté. Tout le mouvement de l'ennemi, qui a passé la Seine à Villeneuve-Saint-Georges
et à Choisy-le-Roi, le porte vers les hauteurs que vous occupez ou parallèlement
à ces hauteurs, vers Versailles, qui sera un de ses principaux points de
concentration. « D'autres
troupes prussiennes viennent à Versailles par le Nord-Ouest, mais cites ne
peuvent passer la. Seine qu'à Mantes, et elles n'arriveront que plus tard au
point de concentration. « J'aurais
donc souhaité que l'ennemi vous attaque aujourd'hui même. D'une part, je ne
le crois pas en force supérieure, et dans la position ou vous êtes (bien que
nous ne puissions pas tirer parti du fort des Hautes-Bruyères et du
Moutin-Saquet) avec 40.000 hommes d'infanterie environ, plus de 100 pièces et
l'appui des forts, vous êtes en mesure. « Si
l'ennemi s'allongeait devant vos positions, cheminant vers Versailles, vous
pourriez tâter son flanc, mais avec la plus grande circonspection, car en
sortant de la position défensive ou vous êtes et perdant l'appui des forts,
vous perdriez du même coup une part notable de vos avantages. Vous jugerez,
d'après cette donnée qui m'est fournie ; que l'ennemi avait cette nuit le
plus gros de sa masse porte à ou 3 kilomètres en avant de Villejuif. Si vous
n'êtes pas attaque aujourd'hui et si vous ne pouvez pas attaquer, il faut
penser à la journée de demain et aux jours suivants, car vous avez
aujourd'hui un maximum de facilites et d'équilibre que le temps réduira infailliblement. « Deux
cas se présenteront alors ou nous nous entêterons à garder la position que
vous tenez, mais alors je devrai penser à assurer votre droite et j'aurai
l'obligation de faire passer le reste du 13e corps à Meudon et Montretout,
abandonnant a sa destinée Vincennes que je regarde comme très hasarde, nous
aurions alors près de 60.000 hommes en ligne, de Bagneux à Monteront, et tous
nos œufs, comme on dit, seraient dans le même panier. En outre, notre
position de Clamart a Montretout serait infailliblement percée, a un jour
donne, par des colonnes cheminant dans les bois et par les routes de Chaville
à Saint-Cloud. Il ne me paraît donc pas que nous puissions prétendre à tenir
indéfiniment dans une position contre laquelle l'ennemi, quand il lui
conviendrait, pourrait conduire, après sa concentration à Versailles, des
masses considérables. Ou nous nous déciderons à céder les hauteurs, et alors
nous devrons convenir des termes dans lesquelles il faudra effectuer sur Paris
cette retraite qui devra être étudiée à t'avance avec précision, en raison
des difficultés que présente t'étroitesse des issues. J'ai voulu mettre ces
réflexions sous vos yeux, pour appeler les vôtres sur la situation d'avenir
que nous ferait l'ennemi, s'il ne veut pas vous attaquer ou se laisser
attaquer aujourd'hui. Je vous prie d'en dire votre sentiment à l'officier
très sûr qui vous portera cette lettre. « Votre bien affectionné. « Général TROCHU. « P.-S.
Je dois ajouter à cet exposé que la route de Choisy-le-Roi à Versailles, n° 185,
et les routes qui y aboutissent, ainsi que toutes les voies de quelque
importance qui traversent le bois de Meudon, ont été dépavées et obstruées. «
Aujourd'hui et demain, on va procéder de la même manière pour les routes qui
vont de Versailles à Sèvres, à Saint-Cloud, Montretout, etc. Cela ne pourra
empêcher l'ennemi de menacer d'atteindre notre droite, mais son entreprise
sera retardée. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] IV Lettre du général Ducrot au général Trochu.
« 7 décembre 1866. « Puisque
tu es en train de faire entendre de bonnes vérités aux illustres personnages
qui t'entourent, ajoute donc ceci pendant que nous délibérons pompeusement et
longuement sur ce qu'il conviendrait de faire pour avoir une armée, la Prusse
se propose tout simplement et très activement d'envahir notre territoire.
Elle sera en mesure de mettre en ligne 600.000 hommes et 1.200 bouches à feu,
avant que nous ayons songé à organiser les cadres indispensables pour mettre
au feu 300.000 hommes et 600 bouches à feu. « De
l'autre côté du Rhin, il n'est pas un Allemand qui ne croie à la guerre dans
un avenir prochain. Les plus pacifiques, qui, par leurs relations de famille
ou par leurs intérêts, sont plus Français, considèrent la lutte comme
inévitable et ne comprennent rien à notre inaction. Comme il faut chercher
une cause à toutes choses, ils prétendent, que notre Empereur est tombé en
enfance. « A
moins d'être aveugle, il n'est pas permis de douter que la guerre éclatera au
premier jour. Avec notre stupide vanité, notre folle présomption, nous
pouvons croire qu'il nous sera permis de choisir notre jour et notre heure,
c'est-à-dire la fin de l'Exposition universelle, pour l'achèvement de notre
organisation et de notre armement. « En
vérité, je suis de ton avis et je commence à croire que notre Gouvernement
est frappé de démence. Mais si Jupiter a décidé de le perdre, n'oublions pas
que les destinées de notre patrie et que. notre propre sort à tous est lié à
ses destinées, et, puisque nous ne sommes pas encore atteints par cette
funeste démence, faisons tous nos efforts pour arrêter cette pente fatale qui
conduit tout droit à des précipices. « Voici
un nouveau détail sur lequel j'appelle ton attention, parce qu'il est de
nature à faire ouvrir les yeux les moins clairvoyants. « Depuis
quelque temps, de nombreux agents prussiens parcourent nos départements de la
frontière, particulièrement la partie comprise entre la Moselle et les Vosges
; ils sondent l'esprit des populations, agissent sur les protestants, qui
sont nombreux dans ces contrées et sont beaucoup moins Français qu'on ne le
croit généralement. Ce sont bien les fils et les petits-fils dé ces mêmes
hommes qui, en 181 Il, envoyaient de nombreuses députations au quartier
général ennemi pour demander que l'Alsace fit retour à la patrie allemande.
C'est un fait bon à noter, car il peut être, avec raison, considère comme
ayant, pour but d'éclairer les plans et la campagne de l'ennemi. « Les
Prussiens ont procédé de la même façon en Bohême et en Silésie, trois mois
avant l'ouverture des hostilités contre l'Autriche... » [Papiers
et Correspondance de la famille impériale. Paris, Imprimerie Nationale, 1870.] V Le
général Trochu considérait le retour de l'armée sous les murs de Paris comme
si nécessaire au salut de la France que, dès nos premières défaites, maigre
la réserve que lui commandait sa disgrâce et le faible crédit qu'elle
laissait à ses conseils, il voulut faire parvenir son avis à Napoléon III,
alors chef des armées. Il écrivit à un ami, le général de Waubert, aide de
camp de l'Empereur, la lettre suivante, pour être mise sous les yeux du
souverain : « Paris, le 10 août 1870. « Si
haute que soit l'importance des événements qui paraissent devoir se passer
entre Metz et Nancy, celle des événements complémentaires qui pourront se
passer à Paris, au double point de vue politique et militaire, n'est pas
moindre. Il y à là, vous le croirez sans peine, des périls spéciaux qui
peuvent faire explosion d'un jour à l'autre, par suite de la tension infinie
de la situation, quand l'ennemi viendra déployer ses masses autour de la
Capitale. Il faut la défendre à tout prix, avec le concours de l'esprit
public, qu'il s'agira d'entraîner dans le sens du patriotisme et des grands
efforts. « Si
cette défense est active et vigilante, si l'esprit public tient ferme,
l'ennemi se repentira de s'être engagé si loin dans le cœur du pays. « Dans
cette idée, j'exprime l'opinion dont le développement suit le siège de Paris
peut-être longuement disputé, à la condition, nécessaire pour tous les
sièges, impérieusement nécessaire pour celui-là, que la. lutte soit appuyée
par une armée de secours. Son objet serait d'appeler a elle tous les groupes
qui seraient ultérieurement organisés dans le pays, d'agir par des attaques
répétées contre l'armée prussienne qui serait, par suite, incapable d'un
investissement complet et de protéger les chemins de fer et les grandes voies
du sud, par lesquels se ferait l'approvisionnement de la ville. « Cette
armée de secours existe, dit-on au ministère ; mais ce sont là de futurs
contingents, tout aussi incertains que ce qu'on a espéré des régiments de
marche, que ce qu'on a espère des régiments de mobiles, qui peuvent être et
seront d'un grand secours plus tard, mais non pas dans le moment présent et
immédiat. « Je
crois qu'il faut que l'armée de secours de Paris soit l'armée qui est réunie
devant Metz et voici comme je l'entends le répit que vous donne l'ennemi veut
dire qu'il évacue ses blessés, fait reprendre leur équilibre a ses têtes de
colonnes et qu'il opère sa concentration définitive. Elle comprendra, trois
armées dont l'une, au moins, aura la mission de vous tourner. L'effort lui
coûtera cher, mais il sera soutenu par des forces considérables et
incessamment renouvelées. Si vous tenez trop longtemps ferme devant Metz, il
en sera de cette armée, qui est le dernier espoir de la France, comme il en a
été du premier corps, qui a péri après de si magnifiques preuves. Je crois
qu'il faut que cette armée de Metz étudie soigneusement et prépare la ligne
d'une retraite échelonnée sur Paris, les têtes de colonnes livrant bataille
sans s'engager à fond et arrivant a Paris avec des effectifs qui devront
suffire, pour remplir l'objet de premier ordre que j'ai indiqué nous ferons
ici le reste. « Adieu,
bon courage et bon espoir. « A
l'heure qu'il est, vous avez encore trois routes pour effectuer cette
retraite. Dans quatre jours vous n'en aurez plus que deux. Dans huit jours,
vous n'en aurez plus qu'une celle de Verdun. Ce jour-là, l'armée sera perdue. » Singulière
puissance, qui élevait l'étude et l'intelligence de la guerre jusqu'à la
prophétie, et, d'avance, fixait non seulement l'étendue des désastres, mais
leur marche, mais l'heure où ils devaient s'accomplir [Extrait
de l'ouvrage d'E. Lamy : Études sur le second Empire. Paris,
Calmann-Lévy, 1895.] VI Ordre du jour du général Ducrot, avant les batailles de la Marne.
« Paris, le 28 novembre 1870. « Soldats de la 2e armée de Paris. « Le
moment est venu de rompre le cercle de fer qui nous enserre depuis trop
longtemps et menace de nous étouffer dans une lente et douloureuse agonie ! A
vous est dévolu l'honneur de tenter cette grande entreprise vous vous en
montrerez dignes, j'en ai la certitude. Sans doute, nos débuts seront difficiles :
nous aurons a surmonter de sérieux obstacles ; il faut les envisager avec
calme et résolution, sans exagération comme sans faiblesse. La vérité, la
voici dès nos premiers pas, touchant nos avant-postes, nous trouverons
d'implacables ennemis, rendus audacieux et confiants par de trop nombreux
succès. « Il
y aura donc là à faire un vigoureux effort, mais il n'est pas au-dessus de
vos forces. Pour préparer votre action, la prévoyance de celui qui nous
commande en chef a accumulé plus de 400 bouches à feu, dont deux tiers au
moins du plus gros calibre ; aucun obstacle matériel ne saurait y résister,
et, pour vous élancer dans cette trouée, vous serez plus de 150.000, tous
bien armés, bien équipés, abondamment pourvus de munitions, et, j'en ai
l'espoir, tous animés d'une ardeur irrésistible. Vainqueurs dans cette
première période de la lutte, votre succès est assuré, car l'ennemi a envoyé
sur les bords de la Loire ses plus nombreux et ses meilleurs soldats ; les
efforts héroïques et heureux de nos frères les y retiennent. « Courage
donc et confiance Songez que, dans cette lutte suprême, nous combattrons pour
notre liberté, pour le salut de notre chère et malheureuse patrie, et, si ce
mobile n'est pas suffisant pour enflammer vos cœurs, pensez à vos champs
dévastés, à vos familles ruinées, à vos sœurs, à vos femmes, à vos mères
désolées « Puisse
cette pensée vous faire partager la soif de vengeance, la sourde rage qui m'animent,
et vous inspirer le mépris du danger. « Pour
moi, j'y suis bien résolu, j'en fais le serment devant vous, devant la nation
tout entière :je ne rentrerai dans Paris que mort ou victorieux ; vous
pourrez me voir tomber, mais vous ne me verrez pas reculer. « Alors,
ne vous arrêtez pas, mais vengez-moi « En
avant donc en avant, et que Dieu nous protège « Le
général en chef de la 2e armée de Paris, Signé : « A. DUCROT. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] VII Général Trochu a Gambetta.
« 10 janvier 1871. « Mon cher collègue, « Je
suis aux prises avec de grandes difficultés ; je fais de grands efforts pour
lutter contre la crise suprême où nous sommes. Le temps me manque pour
répondre, avec toute la suite que je voudrais, à vos lettres si
intéressantes, et particulièrement a celle qui m'était commune avec Jules
Favre. C'est lui qui est chargé de ce soin. « Le
sombre tableau de la (in de nos approvisionnements domine naturellement la
situation. Nos troupes, après trois batailles énergiquement disputées, ont
éprouvé d'énormes fatigues. Elles ont encore plus souffert, par un froid
terrible et par la neige, sans abris. De nombreux cas de congélation, des
anémies, des affections de poitrine, la variole, enfin l'insuffisance de la
nourriture ont considérablement réduit nos effectifs, et abaissé tout à la
fois leur ressort physique et moral. « Vos
bonnes nouvelles, la victoire de Faidherbe à Bapaume, l'ensemble des efforts
que fait le pays sous votre énergique impulsion, vont remonter, je l'espère,
notre machine. La population de Paris n'en a pas besoin. Elle est restée
pleine d'une animation qui se reflète dans l'esprit de la garde nationale, et
tous voudraient marcher, sans tenir compte de l'état des troupes et des
triples fortifications dont la ville est enveloppée, au risque de mettre fin
tout à. coup à la résistance de Paris, dont les proportions, sur les masses
confuses que je mène, auraient d'incalculables suites. « Résister
aux passions violentes de l'opinion qui pousse à une action généralisée,
laquelle sera l'acte de désespoir du siège, n'est ni facile ni populaire. Cet
acte deviendra nécessaire a une heure prochaine, car le temps nous presse.
Mais l'accomplir sans aucune entente avec nos armées du dehors, et courir la
chance probable de tout perdre en un jour, alors qu'en tenant encore nous
pouvons donner à Faidherbe, à Chanzy, surtout à Bourbaki le temps de frapper
quelques grands coups, serait une folie gratuite. Ma situation est donc
pleine de difficultés et de périls, surtout quand le bombardement sévit avec
une fureur sauvage qui, jusqu'ici, surexcite la population au lieu de
rabattre. Je n'en demeure pas moins ferme dans mes résolutions de résistance
a outrance, réservant l'acte de désespoir pour l'heure utile. Nos précédentes
batailles ont assez montre que l'audace avait eu sa part dans nos efforts
peut-être même avons-nous abusé des troupes, ce qu'on ne fait jamais
impunément. Dans tous les cas, les vues qu'on critique aujourd'hui ont
conduit Paris a son cent seizième jour de siège, résultat imprévu, peut-être
étonnant, qui a donné à la France et a vous le temps de créer la résistance
et de la féconder. « Cela
rassure ma conscience ; mais comptez que ce grand effort ira tout au plus
jusqu'aux environs de la fin du mois. Je pense d'ailleurs, avec vous, que,
Paris succombant sous l'étreinte de la faim, la France et la République n'en
doivent continuer que plus énergiquement la lutte à mort, où elles sont
glorieusement engagées, avec les Césars de l'Allemagne. J'ai fait et j'ai dit
tout ce que je devais, pour obliger le Gouvernement à sortir de toutes les
voies économiques et financières connues, afin de pouvoir vous mettre à même
de pourvoir à vos immenses et si légitimes besoins. « Je
considère que les milliards que nous dépenserons pour tâcher de sauver la
patrie sont le plus magnifique placement que nous puissions faire. Les Césars
nous en demanderont bien plus, s'ils triomphent, pour nous laisser dans
l'asservissement et dans la ruine. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] VIII Réunion du 22 Janvier 1871 au ministère de l’Instruction Publique.
(Note de M. Tirard,
député.) « Après
un exposé de M. Jules Simon, chacun de MM. les officiers est appelé à faire
connaître son sentiment sur les opérations militaires qui pourraient être
entreprises. « M.
le général Lecomte demande que les avis soient exprimés, ainsi qu'il
est d'usage dans les Conseils de guerre, en commençant par les grades les
moins élevés. « M.
Bourgeois, chef d'escadron, est absolument contraire à une grande
action elle serait désastreuse et, dans tous les cas, stérile, non seulement
au point de vue du débloquement, mais même au point de vue de l'honneur
militaire, auquel elle n'ajouterait rien. Il pense, au contraire, que l'on
devrait harceler l'ennemi par des opérations simultanées et assez fréquemment
répétées pour l'inquiéter sérieusement. Que l'on devrait chercher à profiter
de ces attaques répétées, pour se maintenir dans les positions conquises, au
lieu de battre chaque fois en retraite s'y retrancher et enfin tenter un
dernier effort, au cas où une armée de secours nous arriverait de province.
M. Bourgeois fait le plus grand éloge de la tenue de la garde nationale à Buzenval. « M.
le colonel Warnet s'associe à l'opinion du préopinant. Il repousse
l'idée de livrer une grande bataille. Les officiers généraux n'inspirent pas
une suffisante confiance a l'armée. Les chefs sont jeunes, nouveaux pour
leurs soldats. L'armée manque de cohésion. Sans doute la garde nationale est
pleine d'élan, mais elle manque d'expérience et on ne peut pas compter sur sa
solidité. « M.
le colonel Boulanger n'est pas non plus d'avis de tenter une grande
action. Les petites attaques dont il vient d'être parlé, et qui eussent été
excellentes dès le début, lui paraissent tardives. Son régiment est
excellent. « Je le tiens dans ma main, dit le colonel, et il est prêt a se
faire tuer avec moi. Mais, comme le reste de l’armée, il est fatigué,
découragé, et je doute que la garde nationale soit capable de supporter seule
un grand choc. » « M.
le colonel Calonnieu : Les petites sorties ne feront que
satisfaire les ambitions et les vanités personnelles. Elles seront sans
résultat. Une opération gigantesque, bien conduite et sans rien livrer au
hasard, aurait eu quelque chance de réussite. Mais il ne faut plus y songer
aujourd'hui. Les Prussiens sont formidablement retranchés dans leurs
positions. Ils occupent une double ligne qu'il faudrait franchir, et, en
supposant que l'on pût faire une trouée, il faudrait soutenir le choc de leur
cavalerie, qui ne manquerait pas de se jeter sur notre armée, exténuée par
l'effort qu'elle aurait fait. « Je suis prêt, s'écrie le colonel, à me jeter
avec mes hommes au-devant de l'armée ennemie, si l'on veut tenter de nouveaux
efforts, mais je crains que ce ne soit un inutile sacrifice de 1 armée et de
la garde nationale, au profit des gredins qui n'attendent que notre
écrasement pour se livrer au pillage et à la dévastation. » « M.
le colonel de Brancion fait l'historique de la journée de
Buzenval-Montretout et se livre à d'amères critiques contre la direction des
opérations de cette journée. Le général en chef n'avait pris aucune mesure
sérieuse ; l'artillerie est restée hors de la portée de l'ennemi, sans que
rien ait été tenté pour la mettre en position. L'on a inutilement sacrifié un
grand nombre de gardes nationaux et de soldats, sans que jamais on ait eu la
pensée de tirer un parti quelconque de cette attaque. « Aujourd'hui il n'y a
plus qu'à se faire tuer pour l'honneur, » dit le colonel en terminant. « M.
le colonel Germa se livre, comme le précédent orateur, à de violentes
récriminations contre la direction des opérations militaires de la journée de
Buzenval. Jamais plus d'insouciance n'a été jointe à plus d'incapacité.
Contrairement aux avis précédemment exprimés, M. Germa pense qu'il est
impossible de songer a la capitulation, sans une nouvelle tentative
de-débloquement, mais il faudrait retirer le commandement aux chefs
incapables qui nous ont perdus bien conduite, bien organisée, une dernière et
héroïque tentative pourrait nous sauver. « Le
général Lecomte examine la situation de l'armée française, au-delà de
Paris, et constate que nous n'avons à espérer aucun secours en temps utile. «
Je suis Lorrain, dit le général, mon pays est occupé par l'ennemi, et pour de
longues années, peut-Être ; nul plus que moi n'a donc intérêt à chasser cet
ennemi de notre territoire ; mais que pouvons-nous en l'état actuel des
choses ? Le manque de vivres nous impose une prompte capitulation. Les
petites sorties seront sans utilité ; elles ne feront que nous affaiblir, et
elles entretiendraient la population dans la pensée d'une prolongation de
résistance possible, tandis qu'il faut l'habituer peu à peu a la résignation
que commande notre douloureuse situation. » « (L'émotion du
général gagne l'auditoire.) « Pas
d'efforts inutiles, dit-il en terminant, et traitons avec l'ennemi, tandis
que nous avons encore la main sur le pommeau de l'épée. » (Textuel.) « Le
colonel Colonnieu et divers autres officiers reprennent encore la
parole et confirment leurs précédentes déclarations. « Ce court procès-verbal
ne donne qu'une imparfaite idée de la physionomie de cette réunion. La vie de
ceux qui parlent ne compte pour rien, dans les opinions qu'ils expriment. Ils
sont prêts a tous les sacrifices. Un souffle patriotique règne dans l’atmosphère
mais ce n'est plus ce patriotisme irréfléchi des premiers jours du siège.
C'est la réalité qui se dresse devant les yeux de chacun et qui impose aux
plus résolus le rude devoir de la résignation et du sacrifice « Cette
séance a été l'une des plus émouvantes auquel ]e soussigne ait assisté
pendant le siège. » Signé : « P. TIRARD. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] IX Conersation de M. Jules Fabre et de M de Bismatck, le 23 Janvier à 8
heures du soir.
(Récit dicté
par M. Jules Favre à son secrétaire, le 24.) « J'ai
été tout de suite introduit dans un petit salon, au premier étage de l'hôte).
Le comte est venu m'y trouver, au bout de quelques minutes et l'entretien a
de suite commencé. « J'ai
dit que je venais le reprendre où je J'avais laissé à Ferrières que si, en
fait, la situation avait changé, en droit elle restait la même et nous
imposait a l'un et à l'autre l'obligation de faire tout ce qui était en notre
pouvoir pour arrêter la guerre ; que je venais l'éclairer sur la véritable
situation de Paris, n'ayant de mandat que pour Paris et ne pouvant en rien
engager la France ; qu'après plus de quatre mois de siège, de souffrances et
de privations, Paris, loin d'être abattu, était plus que jamais exalté et
décidé a une résistance à outrance. Je lui en donnais pour preuve la retraite
du général Trochu, forcé par l'opinion d'abandonner son commandement, parce
qu'il avait pensé qu'il était maintenant difficile de livrer des actions
offensives ; que cette opinion était si violente, si unanime que, pour avoir
été soupçonné de ne la point partager, le Gouvernement avait été exposé à une
sédition facilement' réprimée, mais dont il fallait tenir grand compte comme
symptôme moral ; que, dans une telle situation, il était a craindre qu'une
population, exaspérée par le bombardement et par le sentiment patriotique, ne
continuât longtemps encore une lutte dans laquelle, des deux parts, étaient
sacrifiées de précieuses existences. Que je venais savoir de lui quelles
seraient ses conditions, dans le cas où Paris mettrait bas les armes, car la
connaissance de ces conditions, si elles étaient acceptables, pourrait amener
une solution moins sanglante. « —
Vous arrivez trop tard, m'a répondu vivement le comte, nous avons traité avec
votre Empereur ; comme vous ne pouvez ni ne voulez-vous engager pour la
France, vous comprendrez sans peine que nous cherchions le moyen le plus
efficace de terminer la guerre. » Il ajouta : « Vous
avez amené, par votre fait, un état de choses facile à prévoir et qu'il eût
été aussi simple que sage d'éviter. Votre erreur a été de croire, après la
capitulation de Sedan, qu'il vous était possible de refaire des armées ; les
vôtres étaient complètement détruites, et quel que soit le patriotisme d'une
nation, elle ne peut improviser des armées. Au commencement de la campagne,
nous avons trouvé le troupier français avec toute sa valeur ; seulement il
était commandé par des chefs incapables, et c'est pourquoi nous vous avons
battus. Aujourd'hui, ceux que vous nous opposez ne manquent ni de courage ni
d'abnégation, mais ce sont des paysans, et non pas des soldats ; ils ne
peuvent tenir contre nos troupes, dès longtemps aguerries et façonnées au
métier des armes. S'il suffisait de donner un fusil à un citoyen, pour en
faire un soldat, ce serait une grande duperie que de dépenser le plus clair
de la richesse publique a former et a entretenir des armées permanentes. Or,
c'est encore la qu'est la vraie supériorité, et c'est pour l'avoir méconnu
que vous en êtes a la situation actuelle. Vous vous êtes honorés grandement
par une résistance qu'à l'avance je savais parfaitement inutile, et qui n'a
été qu'un acte d'amour-propre national. Maintenant, nous sommes bien décidés
à finir la guerre, et nous voulons, pour cela, chercher le moyen le plus
direct et le plus sûr. Ne trouvant point en vous un Gouvernement régulier,
nous le cherchons ailleurs et nous sommes en négociations assez avancées avec
celui qui, a nos yeux, représente la tradition et l'autorité. Nous n'avons, a
cet égard, aucun parti pris, et nous sommes en face de trois combinaisons
l'Empereur, le Prince impérial avec une Régence, ou le Prince Napoléon qui se
présente aussi. Nous avons également la pensée de ramener le Corps
législatif, qui représente le Gouvernement parlementaire. Après sa
dispersion, une Commission a été formée à la tête de laquelle se trouve M. de
X. qui, je crois, est un honnête homme et un personnage considérable. Nous
pourrions nous entendre avec lui le Corps législatif traiterait directement
la question, on ferait nommer une Assemblée qui la traiterait elle-même. Elle
choisirait ainsi son Gouvernement, et nous aurions un pouvoir avec lequel
nous pourrions conclure. « Je
lui ai exprimé toute ma surprise qu'il pût songer encore à renouer avec la
famille impériale l'impopularité qui la repousse est telle que je considère
l'hypothèse de son retour comme une chimère. Ce retour amènerait
infailliblement des déchirements intérieurs et le prompt renversement de la
dynastie. « Ceci
vous regarderait, m'a répondu le comte un Gouvernement, qui provoquerait chez
vous la guerre civile, nous serait plus avantageux que préjudiciable. « Je
l'ai arrêté en lui faisant observer que, même en écartant tout sentiment
d'humanité, une telle doctrine était inadmissible que la solidarité unissait
les nations européennes ; qu'elles avaient toutes intérêt a ce que l'ordre,
le travail et la richesse fussent maintenus parmi elles, et qu'on ne saurait
accepter un système ayant pour conséquence d'entretenir un foyer d'agitation
au centre de l'Europe. Au surplus, ai-je dit, puisque nous parlons de la
possibilité de constituer un Gouvernement, je ne saurais comprendre pourquoi
vous n'accepteriez pas les principes qui nous régissent, en laissant à la
France le soin de prononcer sur elle-même, par une Assemblée librement élue.
C'est là précisément la solution que j'ai toujours poursuivie, que je
regrette amèrement de n'avoir pu faire prévaloir. Je viens aujourd'hui vous
demander les moyens de l'appliquer. « —
Je n'y répugnerais pas autrement, a réplique le comte, mais je la crois
maintenant tout à fait impossible. Gambetta a partout fait dominer la
terreur. A vrai dire, il n'est maître que du Midi dans le Nord, les
populations sont plus près de nous que de lui. Mais, là où il commande, il
n'est obéi que par la violence. Chaque commune est sous le joug d'un comité
imposé par lui. Dans de telles conditions, les élections ne seraient pas
sérieuses. D'ailleurs, plusieurs de vos départements sont devenus des solitudes.
Un grand nombre de villages ont entièrement disparu ; dans cet état de ruine
et de décomposition, il serait impossible de consulter des citoyens par les
voies ordinaires. Ne pouvant faire une Assemblée, nous devons, si nous en
voulons une, la prendre toute faite. « Je
me suis récrié, en lui disant qu'il traçait un tableau de fantaisie, que
malheureusement je reconnaissais toute l'étendue des dévastations de la
guerre, mais que je n'admettais à aucun point de vue le régime de terreur
établi par Gambetta. Il a, au contraire, partout maintenu l'exécution des lois.
Il a certainement excité le sentiment patriotique ; mais, en cela, il n'a
fait que son devoir, et ce devoir serait celui de l'Assemblée chargée de
vider toutes ces questions. « Pressé
par M. de Bismarck sur la combinaison de la réunion du Corps législatif, j'ai
dit que je ne pouvais, ni de près ni de loin, m'y associer. Je la trouvais
moins mauvaise que le retour d'un Bonaparte au milieu de bataillons
allemands, mais je croyais que les membres de l'ancien Corps législatif, pour
toutes sortes de raisons évidentes, seraient absolument dépourvus d'autorité,
à ce point que je doutais qu'ils osassent siéger que le Gouvernement actuel,
disparaissant forcément, laisserait à la Prusse toute la responsabilité de
pareils expédients que je ne pouvais donc m'attacher à une idée autre que
celle de la réunion d'une Assemblée, élue dans les conditions ordinaires. Ce
point posé, je revenais a la situation de Paris, et je désirais connaître, si
on voulait me les dire, les conditions qui lui seraient faites, s'il avait le
malheur de se rendre. « —
Il m'est difficile de les préciser toutes, m'a dit le comte, parce qu'ici la
question militaire domine la question politique. « Je
lui ai demandé de s'expliquer, s'il le voulait, sur le sort de la garnison,
de la garde nationale, et sur l'entrée de l'armée prussienne à Paris. « —
Ce sont précisément des points sur lesquels nous ne sommes pas encore fixés,
le roi, M. de Moltke et moi, m'a-t-il répondu. La garnison de Paris doit être
prisonnière, d'après les lois de la guerre, mais la transporter en Allemagne
serait, dans l'état des choses, un gros embarras. Nous consentirions à ce
qu'elle restât prisonnière a Paris. Quant à la garde nationale, elle doit
Être désarmée, et ce ne sera qu'après son désarmement complet que nous
accorderons a Paris la faculté de se ravitailler. Quant a l'entrée des
troupes allemandes dans Paris, je reconnais qu'elle n'est pas sans
inconvénient, et si j'étais seul à décider, je me contenterais de la
possession des forts. Pour ces forts, nous prendrons des otages les maires,
les rédacteurs de journaux, les membres du Gouvernement ils nous précéderont
dans les forts, pour être sûrs qu'ils ne sont pas minés. « J'ai
interrompu le comte en lui disant que nous ne méritions pas une telle
humiliation, et que si nous lui donnions notre parole, il pouvait entrer
partout sans crainte. Au surplus, ai-je ajouté, je suis prêt, de ma personne,
à vous précéder partout. Je m'offre, et je suis sûr que mes collègues
penseront comme moi, pour otage de toutes les résolutions qui seront arrêtées
en commun. « Le
comte a repris Je vous concéderais la non-entrée dans Paris mais le roi et le
parti militaire y tiennent. C'est la récompense de notre armée. Quand, rentré
chez moi, je rencontrerai un pauvre diable marchant sur une seule jambe, il
me dira : « La jambe que j'ai laissée sous les murs de Paris nie donnait
le droit de compléter ma conquête c'est ce diplomate, qui a tous ses membres,
qui m'en a empêché. » Nous ne pouvons nous exposer à froisser à ce point
le sentiment public. Nous entrerons à Paris, mais nous ne dépasserons pas les
Champs-Elysées, et nous y attendrons les événements ; nous laisserons armés
les soixante bataillons de ta garde qui ont été primitivement constitués et
qui sont animés de sentiments d'ordre. « J'ai
combattu chacune de ces idées, et notamment celle qui concerne l'occupation
de Paris j'ai dit au comte que c'était une question qui n'admettait aucun
tempérament. Paris devait être non occupé, ou occupé entièrement. La Prusse
ne trouverait pas un pouvoir civil qui consentit à gouverner avec les canons
et les corps ennemis aux Champs-Elysées. Si j'insistais pour que l'armée
n'entrât pas dans Paris, c'était pour deux raisons d'abord je voulais éviter
a Paris la douleur de voir l'armée allemande dans ses murs, et je croyais que
la concession qui l'en éloignerait aurait dans l'avenir les conséquences les
plus heureuses puis j'étais épouvanté du contact des soldats allemands et de
la population parisienne. Celle-ci était dans une telle irritation que ce
contact pouvait donner lieu aux incidents les plus terribles, dont, pour ma
part, je ne prendrais jamais la responsabilité. « Je
ne voyais donc aucune alternative entre l'un ou l'autre de ces partis occuper
Paris en entier et le gouverner, l'administrer comme une ville conquise, ou
n'y pas entrer. Dans le premier cas, le Gouvernement s'effaçait complètement,
le vainqueur opérait le désarmement, prenait possession de la cité et se
chargeait de sa police ainsi que des grands services publics. Dans le second
cas, les forts seuls étaient occupés, un Gouvernement nommé par Paris se
chargeait de le gouverner, on lui donnait toutes facilites pour le
ravitaillement et la garde nationale conservait ses armes. Quant a la ville,
elle payait une contribution de guerre, un armistice était conclu, des
élections appelaient une Assemblée qui se réunirait a Bordeaux et qui
trancherait la question de la paix ou de la guerre, ainsi que celle du
Gouvernement. En dehors de ces conditions, je ne voyais aucune-conclusion
possible. Paris continuerait à se battre, et, s’il n'était ni secouru ni
assez fort pour repousser l'ennemi, il se rendrait à discrétion la Prusse
s'arrangerait comme bon lui semblerait. « Le
comte m'a prié de lui mettre ces idées par écrit. Je lui ai répondu que cela
me paraissait tout à fait inutile. « C'est
pour moi, a-t-il réplique, pour me permettre d'en causer avec le roi et me
fournir des arguments. « Je
vous adonne ce que vous me demandez, lui ai-je répondu. Je le livre il votre
honneur personnel, non que j'aie aucune répugnance a écrire ce que je dis, je
voudrais que Paris tout entier assistât à notre entretien, il serait juge des
sentiments que j'y apporte, mais comme nous sommes en conversation, et non
encore en négociation, je ne puis en ma qualité officielle paraître livrer
des bases qui plus tard peuvent ne pas être acceptées. Le comte l'a compris :
« — Ce sera pour moi seul, m'a-t-il dit, c'est ma parole de gentilhomme qui
le garantit. » J'ai pris un crayon, j'ai résumé en quelques lignes ce que je
viens d'exposer et nous nous sommes quittés à onze heures. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] X Annexe à la déposition du général de Valdan
(Note pour le
ministre des Affaires Etrangères par intérim.) « 13 Février 1871. « LL.
EE. le général comte de Moltke et le comte de Bismarck savent dans quelles
conditions de bonne foi M. Jutes Favre, assisté du gênerai de Valdan, a
traité devant eux de l'armistice. Il ignorait, par suite des rigueurs de
l'investissement de Paris, ce que faisaient les troupes françaises du dehors,
et où elles étaient. Le temps et les moyens manquaient absolument, pour
prendre des informations à cet égard. Il en résulte que le tracé de
délimitation des zones à occuper ou à neutraliser à été fait selon des vues
dont l'armée allemande devait avoir le principal bénéfice. L'occupation
d'Abbeville, de Dieppe, de Fécamp, etc., que le négociateur français aurait
pu contester, a été la conséquence de cette situation. « Les
mêmes raisons d'ignorance et d'impossibilité ont déterminé l'ajournement
admis au sujet de l'armistice pour les départements de l'Est, comme pour les
troupes qui s'y trouvent. Et ce fait singulier s'est produit, qu'un armistice
qui devait être nécessairement généralisé, est devenu partie], au grand
préjudice des intérêts français qui étaient en cause. « Les
troupes allemandes en ont profité pour s'étendre, à leur gré, dans tous les
sens, occuper les positions où il leur a convenu de s'établir, interrompre
par une sorte d'investissement les communications de la place de Besançon
avec les dehors, menacer directement Auxonne, interdire, après l'occupation
de Dijon, l'usage de la portion du chemin de fer de Chagny à Etang — conduisant
à Nevers — sur une longueur de 3 kilomètres environ qui appartiennent au
département de la Côte-d'Or. JI en résulte, qu'outre le préjudice évident que
souffrent les intérêts militaires français, les populations des départements
du Doubs, du Jura et de la Côte-d'Or sont soumises, au régime le plus
difficile et le plus gênant. Il y a là une question de justice que, sans nul
doute, S. E. le comte de Moltke ne se refusera pas à prendre en considération
mais, en admettant qu'il l'envisage avec toute la rigueur que permet la
lettre de la convention du 28 janvier, il reconnaîtra que la reddition de
Belfort, autorisée par le Gouvernement, doit être le point de départ de la
solution de ces difficultés que l'armistice doit être immédiatement étendu
aux trois départements précités ; qu'enfin la délimitation des zones et
points à occuper ou a neutraliser doit être faite équitablement pour les
intérêts en cause, par voie de concert entre les chefs des troupes allemandes
et françaises, présents sur les lieux. « Une
question encore plus considérable que celle qui précède, impose au
Gouvernement le devoir étroit de demander justice pour les populations à M.
le comte de Bismarck. Depuis que l'armistice a été promulgué, non seulement
les réquisitions de l'armée prussienne ont eu leur cours, mais des
contributions extraordinaires de guerre, dépassant pour les départements et
les communes leurs revenus de plusieurs années, leur ont été imposées, avec
menaces d'exécutions militaires, s'il n'était déféré aux ordres y relatifs
dans un délai défini. Outre que ces exigences violentes jetteront
infailliblement les populations dans le désespoir et la guerre à outrance,
elles sont absolument contraires au droit des gens, et, puisqu'elles ont pour
sanction l'exécution militaire, elles maintiennent, en réalité, l'état de
guerre en plein armistice. « Le Président, Signé : « Généra TROCHU. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] XI Lettre du général Chanzy au commandant prussien, à Vendôme.
« Le Mans, 26 Décembre 1870. «
J'apprends que des violences inqualifiables ont été exercées, par des troupes
sous vos ordres, sur la population inoffensive de Saint-Calais, maigre ses
bons traitements pour vos malades et vos blessés. Vos officiers ont exigé de
l'argent et autorisé le pillage c'est un abus de la force qui pèsera sur vos
consciences et que le patriotisme de nos populations saura supporter mais, ce
que je ne puis admettre, c'est que vous ajoutiez à cela l'injure, alors que
vous savez qu'elle est gratuite. « Vous
avez prétendu que nous étions les vaincus cela est faux. Nous vous avons
battus et tenus en échec, depuis le 4 de ce mois. Vous avez osé traiter de
tâches des gens qui ne pouvaient vous répondre, prétendant qu'ils subissaient
ta volonté du Gouvernement de ta Défense nationale, les obligeant à résister
alors qu'ils voulaient la paix, et que vous la leur offriez. Je proteste,
avec le droit que me donnent de vous parler ainsi la résistance de la France
entière et celle que l'armée vous oppose et que vous n'avez pu vaincre
jusqu'ici. « Cette
communication a pour but d'affirmer de nouveau ce que cette résistance vous a
déjà appris. Nous lutterons, avec la conscience du droit et la volonté de
triompher, quels que soient les sacrifices qu'il nous reste a faire. Nous
lutterons a outrance, sans trêve ni merci il s'agit aujourd'hui de combattre
non plus des ennemis loyaux, mais des hordes de dévastateurs qui ne veulent
que la ruine et la honte d'une nation qui prétend conserver son honneur, son
indépendance et son rang. « A
la générosité avec laquelle nous traitons vos prisonniers et vos blessés,
vous répondez par l'insolence, l'incendie et le pillage. « Je
proteste avec indignation, au nom de l'humanité et du droit des gens que vous
foulez aux pieds. » Voici
la réponse prussienne à cette communication si ferme et si digne : « Reçu
une lettre du général Chanzy. Un général prussien, ne sachant pas écrire une
lettre d'un tel genre, ne saurait y faire une réponse par écrit. » [Cette
lettre et la réponse du commandant prussien ont été publiées par tous les
journaux du temps.] XII La guerre de terreur.
On lit
dans la Gazette de France, de M. de Mazade, tome II, page 14 : « Les
Allemands ont eu le mérite d'inventer ou de perfectionner ce qu'un écrivain
étranger, qui ne leur est pas défavorable, le colonel Rustow, appelle la guerre
de terreur. Ils ont notamment employé deux procédés au moins étranges
l'un de ces procédés est les systèmes des otages, qui a été pratiqué dans la
plus large mesure, et dont le dernier mot a été l'envoi d'un membre de
l'Institut de France, M. le baron Thénard, en Allemagne, sans doute par suite
du respect connu des Allemands pour la science Cet abus de la force
généralise, appliqué à propos de tout, par prévention ou comme garantie,
est-ce un droit légitime de la guerre ? C'est une question d'équité et
d'honneur entre les peuples civilisés. Un autre procédé consistait a rendre
les villes entières, les villages responsables de la moindre mésaventure d'un
soldat allemand, a considérer comme des bandits de simples gardes nationaux,
à traiter la moindre résistance par le fer et le feu, par la fusillade et le
pétrole, à promener partout enfin une loi du talion aveugle. C'était l'esprit
de la guerre de Trente ans, se réveillant en plein XIXe siècle, et, mieux
encore, c'était, selon le mot du colonel Rüstow, la destruction ordonnée de
sang-froid, dans le plus grand calme. « Au
même instant, dès le mois d'Octobre, ce système éclatait dans toute sa
violence, partout où passait l'invasion. Je ne parle pas des villes ouvertes,
bombardées et brûlées après le combat, comme Châteaudun. Dans le pays
chartrain, le petit village d'Albis était livré aux flammes avec des
raffinements cruels, en expiation du désastre d'un escadron de hussards
surpris par une bande française. Dans les Ardennes, s'accomplissait un drame
qui s'est dévoilé depuis devant les tribunaux. Un sous-officier allemand
avait été tué, dans un engagement avec des francs-tireurs, non loin du
village de Vaux. Le lendemain, une colonne ennemie arrivait ; on s'empara de
tous les hommes qu'on put saisir, ils étaient quarante, et on les enferma dans
l'église, en tes prévenant qu'ils allaient être décimes. Le chef du
détachement allemand, c'était un colonel de landwehr prussienne, tint une
façon de Conseil de guerre au presbytère ; il pressait le curé, pour en
finir, de designer les trois plus mauvais sujets de l'endroit qui seraient
punis pour les autres. Le curé se refusait énergiquement à cette complicité ;
il répondait que dans son village, comme partout, il y avait du bon, du
médiocre et du mauvais, mais qu'il n'y avait aucun coupable, que personne
n'avait fait le coup de feu, et le brave prêtre s'offrait lui-même en
sacrifice pour ses paroissiens. Touché de l'émotion et du dévouement de
l'honnête ecclésiastique, le colonel s'écriait : « Pensez-vous, monsieur
le curé, que c'est avec plaisir que j'exécute cet ordre venu de haut ? »
Dans l'embarras, les Allemands prirent un casque où ils mirent des billets,
et ils le firent passer aux prisonniers en leur disant de tirer au sort. Que
se passa-t-il entre ces malheureux, enfermés dans l'église pendant
soixante-seize heures ? Toujours est-il que trois victimes furent désignées,
non par le sort, mais à la majorité des voix, et un peu sans doute par un ahus
d'influence de quelques-uns des prisonniers. Les trois sacrifiés, malgré
leurs supplications et leurs protestations, furent conduits auprès du
cimetière, ou ils furent fusillés, en présence du curé, qui les accompagnait
au supplice, et du colonel prussien, qui était auprès du curé, le soutenant
au moment de ta détonation. « Ce
qui se passait à Vaux était à peu près justement ce qui arrivait à Bazincourt,
après le combat de l'Epte. On avait réussi à préserver le village de
l'incendie, mais huit habitants furent saisis comme bandits. On parvint
encore, à force de démarches, a sauver trois des prisonniers, qui reçurent la
bastonnade. Les cinq autres furent ; impitoyablement fusillés. Il y avait
parmi eux un vieillard septuagénaire qui n'avait fait que défendre sa maison.
Peu après, les Prussiens, définitivement établis à Gisors, rayonnaient tout
autour, allant à Vernon, aux Andelys, a Hébécourt, à Ecouis, et déployant
partout sur leur passage les mêmes procédés de violence. Ainsi se manifestait
cette invasion de la Normandie, conduite par un prince de taille effilée, de
santé assez frêle, qui suivait en ce moment-là une cure de lait, en ordonnant
des exécutions, des bombardements et des réquisitions » [De Mazade,
La Guerre de France, 1870-1871, Paris, Plon, 1875.] XIII Capitulation de Metz.
CONSEIL D'ENQUÊTE Le
Conseil d'enquête, réuni sous la présidence du maréchal Baraguey-d'Hilliers,
pour prononcer sur la capitulation de Metz comme sur toutes les autres
capitulations, a émis son avis longuement motivé, qui est un exposé détaillé
de toutes les opérations de l'armée du Rhin. En voici la conclusion : « Considérant,
que le maréchal par ses dépêches des 19 et 20 Août, à fait décider la marche
de l'armée du maréchal de Mac-Mahon de Reims sur la Meuse qu'il a été informé
de l'opération tentée par le maréchal de Mac-Mahon pour se porter au secours
de l'armée de Metz que les tentatives de sortie les 26 et 31 Août ne sauraient
être considérées comme assez sérieuses pour opérer une diversion utile a
l'armée de Chatons par ces motifs, le Conseil d'enquête pense que le maréchal
Bazaine est en grande partie responsable des revers de cette armée. « Le
Conseil est d'avis que le maréchal Bazaine a causé la perte d'une armée de
150.000 hommes et de la place de Metz que la responsabilité lui en incombe
tout entière et que, comme commandant en chef, il n'a pas fait ce que lui
prescrivait le devoir militaire. « Le
Conseil blâme le maréchal d'avoir entretenu avec l'ennemi des relations qui
n'ont abouti qu'à une capitulation sans exemple dans l'histoire. « Si,
dans les précédents avis sur les autres capitulations, le Conseil a toujours
blâme les commandants de place qui, forces de se rendre, n'ont pas détruit
leur matériel de guerre avant de signer la capitulation et ont ainsi livré à
l'ennemi les ressources dont il a largement usé dans la suite de la guerre, a
plus juste titre encore le maréchal Bazaine mérite-t-il le même blâme. « Le
Conseil le blâme d'avoir accepté la clause de la capitulation, qui permet aux
officiers de rentrer dans leurs foyers, en donnant par écrit leur parole
d'honneur de ne pas servir contre l'Allemagne pendant la guerre. « Le
Conseil le blâme de n'avoir pas, conformément à l'article 2S6 du décret du 13
Octobre 1863, veillé dans la capitulation à améliorer le sort de ses soldats
et stipulé pour les blessés et les malades toutes les clauses d'exception et
de faveur qu'il aurait pu obtenir. « Le
Conseil le blâme enfin d'avoir livré à l'ennemi les drapeaux qu'il pouvait et
devait détruire, d'avoir mis ainsi le comble à l'humiliation de braves
soldats dont son devoir était de sauvegarder l'honneur. » C'est
sur cet avis du Conseil d'enquête qu'a été réuni le Conseil de guerre de
Trianon, par lequel le maréchal Bazaine a été définitivement condamné. [Journal
officiel, Janvier 1873.] XIV Rapports du général Clément Thomas.
ORDRE DU JOUR 6 Décembre 1870. « Désirant
satisfaire aux demandes réitérées du bataillon dit des Tirailleurs de
Belleville d'être employé aux opérations extérieures et de se mesurer avec
l'ennemi, le commandant supérieur avait donné l'ordre de faire équiper ce
bataillon un des premiers, et l'a envoyé, le 25 Novembre, occuper a côté
d'autres troupes, un poste d'honneur en avant de Créteil, à cent et quelques
mètres des lignes prussiennes. Ce poste avait été occupé jusque-là avec le
calme le plus parfait par une compagnie de ligne. « Des
rumeurs fâcheuses sur la conduite des Tirailleurs de Belleville étant
parvenues, dans l'intervalle, au commandant supérieur, il a demandé, sur les
faits, des rapports authentiques. Dans un premier rapport, en date du 28 Novembre,
le chef de bataillon Lapeyrière déclare qu'étant sorti le soir, a huit heures
et demie, accompagné de l'adjudant-major Lallemant, il a fait une ronde dans
la tranchée et recommandé a ses hommes de ne pas tirer inutilement. La ronde
terminée, il se retirait dans la 'direction de la ferme des Mèches, lorsqu'il
entendit une vive fusillade et aperçut bientôt, fuyant à la débandade, une
grande partie des 1e et 2e compagnies de son bataillon, de service à la
tranchée. Ce ne fut qu'à grand'peine et à force d'énergie qu'il arrêta ses
hommes et parvint à les ramener en partie à leur poste. « Cette
honteuse échauffourée provoquée, d'après certains rapports, par la fusillade
intempestive des Tirailleurs, coûta la vie à trois d'entre eux, plus trois
blessés. Les hommes rejetèrent la cause de leur panique sur le capitaine
Ballandier, qui aurait fui le premier, en criant qu'ils étaient tournés. « Le
lendemain, les Tirailleurs de Belleville on), été ramenés en arrière des
avant-postes et cantonnés sous le fort de Charenton. Ordre leur ayant été
donne plus tard de reprendre leur poste à la tranchée, ils s'y sont refuses
et ne se sont décidés à s'y rendre postérieurement que sur de nouvelles
injonctions. « Le
5, le lieutenant-colonel d'infanterie Le Mains, commandant la brigade, a
adressé au commandant supérieur le rapport suivant : « Paris, le 6 Décembre 1870, 8 heures du soir. « Mon général, « J'ai
l'honneur de vous demander, d'urgence, le rappel à Paris des Tirailleurs de
Belleville. « Non
seulement leur présence ici n'est d'aucune utilité, mais elle pourrait
occasionner un grave conflit avec les gardes nationaux du 147e — bataillon de
la Villette —, placés à côté d'eux. La haine entre ces deux bataillons est
telle, qu'ils ont établi dans la tranchée une espèce de barricade, qu'Us
s'interdisent mutuellement de franchir. La présence de M. Flourens, dans ce
bataillon, a amené de nouvelles difficultés, les officiers «ne voulant pas le
reconnaître pour chef. « Ce
matin, le rapport du commandant de l'aile droite m'informe qu'il a du faire
occuper et surveiller particulièrement la tranchée de droite, les Tirailleurs
de Belleville ayant abandonné leur poste. « Dans
les circonstances où nous nous trouvons, un conflit entre nos troupes sciait
désastreux. « D'un
autre côté, le mauvais exemple que donnent, à tous « moments les Tirailleurs
de Belleville est des plus fâcheux. Tels sont les motifs, mon gêneral, qui me
font vous demander leur rappel immédiat à Paris. » Dans un
rapport du 4 Décembre, le commandant Lapeyrière déclare que, parti avec un
effectif de 457 hommes, son bataillon est réduit aujourd'hui de 61 gardes,
rentrés à Paris avec armes et bagages, sans permission. « Ce
bataillon, ajoute le commandant, par son indiscipline et les éléments qui le
composent est devenu complètement impossible. Indiscipline et incapacité dans
une partie des officiers et des sous-officiers : voilà, mon général, les
principales causes de notre désorganisation. Formé en dehors de toutes les
lois qui régissent, la garde nationale, ce bataillon s'est montré indigne des
privilèges qu'il a obtenus, et n'est qu'un mauvais exemple pour les troupes
qui l'environnent. Ces hommes, pour la plupart, se sont refusés à prendre le
service de ta défense. Je demande donc que ce bataillon soit rappelé à Paris
et dissous. « De
plus, j'ai l'honneur de vous adresser ma démission de chef de ce bataillon,
ne pouvant, honnête homme, ancien sous-officier de l'armée, rester plus
longtemps à la tête d'une troupe pareille. Je reprendrai mon fusil et
rentrerai dans les rangs de la garde nationale, pour me purifier du trop long
séjour que j'ai fait dans le bataillon des Tirailleurs de Belleville. « Une
prompte résolution de votre part est nécessaire, mon général, car la moitié
des hommes refusent de faire tout service. » « D'autres
rapports, qu'il serait trop long de reproduire ici, établissent que le
citoyen Flourens, révoqué du grade de commandant qu'il occupait dans le
bataillon des Tirailleurs de Belleville, est allé rejoindre ce bataillon dans
ses cantonnements, a repris les insignes du grade qui lui a été retiré et
tenté de reprendre ainsi le commandement. « Il
résulte des documents qui précèdent que deux compagnies du bataillon des
Tirailleurs de Belleville, de service dans les tranchées, ont pris lâchement
la fuite devant le feu de l'ennemi, que le bataillon a refusé de se rendre a
son poste, sur l'ordre qui lui a été donné, et que, s'y étant rendu plus
tard, il l'a abandonné au milieu de la nuit. Il
résulte, de plus, que le citoyen Flourens s'est rendu coupable d'une
usurpation d'insignes et de commandement militaires : « En
présence de pareils faits que la garde nationale tout entière répudie, le
commandant supérieur propose : « 1°
La dissolution des Tirailleurs de Belleville ; « 2°
Les 6t gardes de ce corps qui ont disparu seront traduits devant les Conseils
de guerre pour désertion en présence de l'ennemi, ainsi que l'aide-major
Lemray (Alexis), parti le 28 pour conduire des
blessés à l'ambulance et qui n'a plus reparu ; « 3°
Une enquête sera faite sur la conduite du capitaine Ballandier pour apprécier
si la même mesure ne lui sera pas appliquée ; « 4°
Le citoyen Flourens sera immédiatement arrêté et traduit en Conseil de guerre
pour les faits imputés à sa charge. Un certain nombre d'hommes du bataillon
ayant mérité par leur conduite de ne pas être confondus avec ceux que frappe
cet ordre du jour, ils formeront le noyau d'organisation d'un nouveau
bataillon. Le général commandant supérieur des gardes nationales
de la Seine. « CLÉMENT THOMAS. » « P.-S.
— Le commandement supérieur reçoit ai instant même du commandant Lapeyrière un
rapport lui déclarant que, le S au soir, il n'a pu réunir ses hommes pour le
service de l'avancée, ta plupart étant absents et le reste ayant refusé
d'obéir. Parmi ceux-ci, quelques-uns donnent pour motif, «t et ceux-là n'ont,
pas tort D, dit le commandant, qu'ils ne peuvent aller à ta tranchée avec des
hommes dont les mœurs et l'honnêteté leur sont suspectes, et qu'ils demandent
l'épuration du bataillon. Le commandant ajoute que lui et le lieutenant
Launay ont été menacés de coups de fusil que les actes d'insubordination
envers les officiers et les sous-officiers se renouvellent constamment, et
que, malgré la plus grande surveillance, les vois de vivres se commettent d'homme
à homme. « Ce
rapport est visé et transmis par le lieutenant-colonel Le Mains, commandant
supérieur de Créteil. » [Actes
du Gouvernement de la Défense nationale. Commission d'enquête.] XV Déposition du colonel Lambert.
(2 Juillet 1871.) « Quand
la troupe de Duval a été prise, le général Vinoy a demandé : « Y a-t-il
un chef ? » Il est sorti des rangs un homme qui a dit : « C'est
moi, je suis Duval. » Le général a dit : « Faites-le fusiller. »
Il est mort bravement. Il a dit : « Fusillez-moi. » Un autre homme
est venu disant : « Je suis le chef d'état-major de Duval. »
Il a été fusillé. Trois en tout à cette place. Ordre du jour de Galliffet aux habitants de Chatou.
3 Avril 1871. « La
guerre a été déclarée par les bandes de Paris. Hier, avant-hier, aujourd'hui,
elles ont assassiné mes soldats. « C'est
une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à ces assassins. J'ai dû faire
un exemple ce matin qu'il soit salutaire. Je désire ne pas en être réduit de
nouveau a une pareille extrémité. N'oubliez pas que le pays, que la loi, que
le droit, par conséquent, sont à Versailles avec l'Assemblée nationale et non
pas a Paris avec la grotesque assemblée qui s'intitule la Commune. « Après la
lecture de cet ordre du jour dans les rues de Chatou le crieur public
ajoutait « : Le président de la Commission municipale de Chatou prévient les
habitants, dans l'intérêt de leur sécurité, que ceux qui donneraient asile
aux ennemis de l'Assemblée se rendraient passibles des lois de la guerre. » [Le
récit de la mort de Duval est extrait de la déposition du colonel Lambert,
dans l'Enquête sur l’insurrection du 18 mars. — L'ordre du jour de Galliffet
a paru dans tous les journaux du temps.] XVI Conclusion du rapport du maréchal de Mac-Mahon, en date du 30 Juin 1871.
« Il
était 3 heures de l'après-midi, toute résistance avait cessé, l'insurrection
était vaincue. « Le
fort de Vincennes restait seul au pouvoir des insurgés qui, sommés de se
rendre, dans la matinée du 29, se constituent prisonniers à 10 heures du
matin. « En
résumé, l'armée réunie a Versailles avait, en un mois et demi, vaincu la plus
formidable insurrection que la France ait jamais vue. Nous avions accompli
des travaux considérables, exécute près de 40 kilomètres de tranchée, élevé
80 batteries armées de 350 pièces de canon. Nous nous étions emparés de 5
forts armés d'une manière formidable et défendus avec opiniâtreté, ainsi que
de nombreux ouvrages de campagne. « L'enceinte
de la place avait été forcée et l'armée avait constamment avancé dans Paris,
enlevant tous les obstacles, et, après huit jours de combats incessants, les
grandes forteresses de la Commune, tous ses réduits, toutes ses barricades
étaient tombés en notre pouvoir. « L'incendie
des monuments avait été conjuré ou éteint et d'épouvantables explosions
avaient été prévenues. L'insurrection avait subi des pertes énormes ; nous
avions fait 25.000 prisonniers, pris 1.600 pièces de canon et plus de 400.000
fusils. « Les
guerres des rues sont généralement désastreuses et excessivement meurtrières
pour l'assaillant, mais nous avions tourné toutes les positions, pris les
barricades à revers et nos pertes, quoique sensibles, ont été relativement
minimes, grâce à la sagesse et à la prudence de nos généraux, à l'élan, a
l'intrépidité des soldats et de leurs officiers. « Les
pertes, pour toute la durée des opérations, s'élèvent officiers tués 83,
blessés 430 ; soldats tués 790, blessés S.994, disparus 183. « Dans
ces diverses opérations, les troupes de toutes armes ont rivalisé de bravoure
et de dévouement. Le génie, dans l'attaque des forts, a fait ce qui ne
s'était pas vu jusqu'ici. Afin de bloquer les assiégés, il a dirigé ses
tranchées de manière à envelopper complètement les ouvrages. « L'artillerie,
bien que le feu de la place ne fût point éteint, est vsnue établir ses
batteries à quelques centaines de mètres des remparts. « L'infanterie
a partout attaqué les positions avec intelligence et sans hésitation. « Les
marins de la flotte ont montré une vigueur et un entrain remarquables. « La
cavalerie, par sa vigilance, a rejeté constamment les insurgés dans la place ;
en plusieurs circonstances, elle a mis pied il terre pour enlever des
positions. « L'intendance
est parvenue à ravitailler largement les divisions, même dans Paris les
troupes a sa disposition se sont fait remarquer dans le transport des blessés
et par les soins donnés dans les ambulances. « La
télégraphie civile a été à la hauteur de ses fonctions et a a constamment
relié le grand quartier général avec les quartiers généraux des corps
d'armées et des divisions. « J'ai
eu également à me louer du service du trésor et des postes, qui s'est fait
régulièrement, » [Extrait
du Journal officiel.] XVII Manifeste du 5 Juillet 1871.
« Chambord, 5 Juillet 1871. « Français ! « Je
suis au milieu de vous. « Vous
m'avez ouvert les portes de la France, et je n'ai pu me refuser le bonheur de
revoir ma patrie. « Mais
je ne veux pas donner, par ma présence prolongée, de nouveaux prétextes à
l'agitation des esprits, si troublés en ce moment. « Je
quitte donc ce Chambord que vous m'avez donné et dont j'ai porté le nom avec
fierté, depuis quarante ans, sur les chemins de l'exil. « En
m'éloignant, je tiens à vous le dire, je ne me sépare pas de vous la France
sait que je lui appartiens. Je ne puis oublier que le droit monarchique est
le patrimoine de la nation, la décliner les devoirs qu'il m'impose envers
elle. « Ces
devoirs, je les remplirai, croyez-en ma parole d'honnête homme et de roi. « Dieu
aidant, nous fonderons ensemble, et quand vous le voudrez, sur les larges
assises de la décentralisation administrative et des franchises locales, un
Gouvernement conforme aux besoins du pays. Nous donnerons pour garanties à
ces libertés publiques auxquelles tout peuple chrétien a droit, le suffrage
universel honnêtement pratiqué et le contrôle des deux Chambres et nous
reprendrons, en lui restituant son caractère véritable, le mouvement national
de la fin du dernier siècle. « Une
minorité, révoltée contre les vœux du pays, en a fait le point de départ
d'une période de démoralisation par le mensonge et de désorganisation par la
violence. Ses criminels attentats ont imposé la Révolution à une nation qui
ne demandait que des réformes, et l'ont dès lors poussée vers t'abîme où elle
eût péri, sans l'héroïque effort de notre armée. « Ce
sont les classes laborieuses, ces ouvriers des champs et des villes, dont le
sort a fait l'objet de mes plus vives préoccupations et de mes plus chères
études, qui ont le plus souffert de ce désordre social. « Mais
la France, cruellement désabusée par des désastres sans exemple, comprendra
qu'on ne revient pas à la vérité en changeant d'erreur qu'on n'échappe pas,
par des expédients, à des nécessites éternelles. « Elle
m'appel!era, et.je viendrai à elle tout entier, avec mon dévouement, mon
principe et mon drapeau. A l'occasion de ce drapeau, on a parlé de conditions
que je ne dois pas subir. « Français
! « Je
suis prêt à tout, pour aider mon pays à se relever de ses ruines et à
reprendre son rang dans le monde le seul sacrifice que je ne puisse lui
faire, c'est celui de mon honneur. « Je
suis et je veux être de mon temps je rends un sincère hommage à toutes ses
grandeurs, et, quelle que fût la couleur du drapeau sous lequel marchaient
nos soldats, j'ai admiré leur héroïsme et rendu grâce à Dieu de tout ce que
leur bravoure ajoutait au trésor des gloires de la France. « Entre
vous et moi, il ne doit substituer ni malentendu ni arrière-pensée. « Non,
je ne laisserai pas, parce que l'ignorance ou la crédulité auront parlé de
privilèges, d'absolutisme et d'intolérance, que sais-je encore ? de dîme, de
droits féodaux, fantômes que la plus odieuse mauvaise foi essaye de
ressusciter à vos yeux, je ne laisserai pas arracher de mes mains l'étendard
d'Henri IV, de François Ier et de Jeanne d'Arc. C'est avec lui que s'est
faite l'unité nationale, c'est avec lui que vos pères, conduits par les
miens, ont conquis cette Alsace et cette Lorraine dont la fidélité sera la
consolation de nos malheurs. Il a vaincu la barbarie, sur cette terre
d'Afrique, témoin des premiers faits d'armes des princes de ma famille c'est
lui qui vaincra la barbarie nouvelle dont le monde est menacé. « Je
le confierai sans crainte il la vaillance de notre armée il n'a jamais suivi,
elle le sait, que le chemin de l'honneur. Je l'ai reçu comme un dépôt sacré
du vieux roi, mon aïeul, mourant en exil il a toujours été pour moi
inséparable du souvenir de la patrie absente il a flotté sur mon berceau, je
veux qu'i) ombrage ma tombe. Dans les plis glorieux de cet étendard sans
tache, je vous apporterai l'ordre et la liberté. « Français ! « Henri
V ne peut abandonner le drapeau blanc d'Henri IV. « HENRI. » [Extrait
de Le Comte de Chambord (1820-1883), par G. de Nouvion et E.
Landrodie. Paris, Jouvet et Cie, 1884.] XVIII Manifeste du 25 Janvier 1872.
« 25 Janvier 1872. « La
persistance des efforts qui s'attachent a dénaturer mes paroles, mes
sentiments et mes actes, m'oblige à une protestation que la loyauté commande
et que l'honneur m'impose. « On
s'étonne de m'avoir vu m'éloigner de Chambord, alors qu'il m'eût été si doux
d'y prolonger mon séjour, et l'on attribue ma résolution a une secrète pensée
d'abdication. « Je
n'ai pas a justifier la voie que je me suis tracée. « Je
plains ceux qui ne m'ont pas compris mais toutes les espérances, basées sur
l'oubli de mes devoirs, sont vaines. Je n'abdiquerai jamais. « Je
ne laisserai pas porter atteinte, après l'avoir conservé intact pendant
quarante années, au principe monarchique, patrimoine de la France, dernier
espoir de sa grandeur et de ses libertés. « Le
césarisme et l'anarchie nous menacent encore, parce que l'on cherche dans des
questions de personnes le salut du pays, au lieu de le chercher dans les
principes. « L'erreur
de notre époque est de compter sur les expédients de la politique, pour
échapper au péril d'une crise sociale. Et cependant, la France, au lendemain
de nos désastres, en affirmant, dans un véritable élan, sa foi monarchique, a
prouvé qu'elle ne voulait pas mourir. « Je
ne devais 'pas, dit-on, demander à nos valeureux soldats de marcher sous un
nouvel étendard. « Je
n'arbore pas un nouveau drapeau, je maintiens celui de la France, et j'ai la
fierté de croire qu'il rendrait a nos armées leur antique prestige. « Si
le drapeau blanc a éprouvé des revers, il y a des humiliations qu'il n'a pas
connues. « J'ai
dit que j'étais la réforme on a feint, de comprendre que j'étais la réaction. « Je
n'ai pu assister aux épreuves de l'Eglise, sans me souvenir des traditions de
ma patrie. Ce langage a soulevé les plus aveugles passions. « Par
mon inébranlable fidélité à ma foi et à mon drapeau, c'est l'honneur même de
la France et son glorieux passé que je défends, c'est son avenir que je
prépare. « Chaque
heure, perdue a la recherche de combinaisons stériles, profite à tous ceux
qui triomphent de nos abaissements. « En
dehors dit principe national de l'hérédité monarchique, sans lequel je ne
suis rien, avec lequel je puis font, où seront nos alliances ? qui
donnera une forte organisation a notre armée ? qui rendra à notre diplomatie
son autorité, a la France sou crédit et son rang ? « Qui
assurera aux classes laborieuses le bienfait de la paix, à l'ouvrier la
dignité de sa vie, les fruits de son travail, la sécurité de sa vieillesse ? « Je
l’ai répété souvent, je suis prêt a tous les sacrifices compatibles avec
l'honneur, a toutes les concessions qui ne seraient pas des actes de
faiblesse. « Dieu
m'en est témoin, je n'ai qu'une passion au cœur, le bonheur de la France ; je
n'ai qu'une ambition, avoir ma part dans l'œuvre de reconstitution qui ne
peut être l'œuvre exclusive d'un parti, mais qui réclame le loyal concours de
tous les dévouements. « Rien
n'ébranlera mes résolutions, rien ne lassera ma patience, et personne, sous
aucun prétexte, n'obtiendra de moi que je consente à devenir le roi légitime
de la Révolution. « HENRI. » [Extrait
de Le Comte de Chambord (1820-1883), par G. de Nouvion et E.
Landrodie. Paris, Jouvet et Cie, 1884.] XXIX Conclusion du Rapport fait au nom de la Commission du budget de 1875, sur
le paiement de l’indemnité de guerre et sur les opérations de change qui en
ont été la conséquence, par M. Léon Say, membre de l'Assemblée nationale
(séance du 5 Août 1874).
« Après
avoir terminé l'exposition des faits, il est facile d'en tirer une conclusion
générale. « La
France est un pays où il se fait des épargnes annuelles dans, des proportions
considérables elle n'a cessé d'en faire, au milieu de ses malheurs, que
pendant un temps très court, et encore, pendant cet espace de temps, l'arrêt
des épargnes n'a-t-il pas été général. « Dès
la fin de 187t, pendant toute l'année 1873, le cours antérieur des choses
s'est reformé le (lot des épargnes a recommencé à monter. Un emploi tout
naturel de ces ressources nationales s'est offert dans les grands emprunts
français qui ont joué le rôle que les émissions de valeurs étrangères avaient
joué les années précédentes. « C'est
une grande consolation que d'assister à un pareil spectacle car on y trouve
le secret de notre force vive. Il n'est pas douteux que, par la continuation
de ce mouvement, les épargnes françaises ne rétablissent, s'il ne l'est déjà,
notre stock métallique et qu'après l'avoir reconstitué, elles ne sollicitent
un emploi dans des entreprises industrielles, à l'intérieur ou à l'étranger. « L'opération
des 5 milliards n'a réussi que parce qu'elle a pu être, pour ainsi dire,
montée sur les facultés du pays, au fur et à mesure que ces facultés se sont
relevées. « Le
succès de cette opération sans précédent tient à la prudence, mêlée à une
sorte de témérité, avec laquelle elle a été conduite. Il fallait agir vite,
pour arriver promptement à la libération du territoire, assez vite pour
employer toutes les épargnes réelles et tout le change possible, assez
prudemment pour ne pas dépasser une limite au-delà de laquelle on aurait eu à
se débattre contre une crise financière des plus graves et une crise
monétaire qui aurait pu renouveler les désastres du papier monnaie,
heureusement inconnus en France, depuis soixante-quinze ans. « Tout
a été combiné avec une grande sagesse et un rare bonheur. C'est un titre
d'honneur de plus pour le grand citoyen qui avait reçu cette tâche de
l'Assemblée nationale, tache qu'il a accomplie, le 15 Mars 1873, lorsque son
Gouvernement a cru pouvoir proposer à l'Assemblée de fixer au 5 Septembre
suivant le terme du dernier payement de l'indemnité de guerre, et le 20 Mai
1873, lorsque les dernières mesures ont été arrêtées par lui avec la Banque
de France. « Il
appartenait au Gouvernement nouveau, institue par l'Assemblée nationale, le
24 Mai 1873, d'achever la libération du territoire et de rendre
définitivement la France à elle-même. « Mais
on ne saurait finir l'histoire de l'opération financière, dont nous achevons
le compte rendu, sans rendre aux agents du Trésor et à l'administrateur
éminent qui a dirigé le mouvement des fonds, la justice qui leur est due.
Dans une situation unique, où tout était a créer, où il fallait improviser
tous les jours, où les agents du Trésor devaient se transformer en banquiers,
en cambistes, en acheteurs et vendeurs de métaux précieux et souvent ne pas
reculer devant les plus grosses responsabilités, personne n'a été au-dessous
de sa tâche. L'administration française en a reçu un nouvel éclat. » [Extrait
du Journal officiel.] XX Exposé des motifs de la Loi constitutive des pouvoirs publics présentée par
MM. Thiers et Dufaure.
« Par
la loi du 13 Mars dernier, le Gouvernement a été chargé de préparer des
projets de loi sur l'organisation et le mode de transmission des pouvoirs
législatif et exécutif, sur la création et les attributions d'une seconde
Chambre, enfin sur les changements à apporter à la législation électorale. « Depuis
que l'Assemblée s'est séparée, nous nous sommes livrés avec assiduité au
travail qui nous était prescrit, et nous venons soumettre à votre examen le
résultat d'une sérieuse étude, en vous présentant l'ensemble d'une
législation bien importante, puisqu'elle doit tenir lieu d'une Constitution
pour le Gouvernement de la France. « Messieurs,
lorsque vous vous êtes réunis pour la première fois à Bordeaux, tout était
ruine autour de vous. Les agitations inséparables d'une Révolution récente,
surtout les efforts désespérés d'une affreuse guerre, avaient porté une
perturbation profonde dans l'organisation de l'Etat tout entier. Aucun
pouvoir n'était resté intact ; le vôtre seul s'éleva, au milieu de nos
institutions écroulées, et l'on peut dire qu'en France, de toutes les
autorités, il ne restait plus que la souveraineté nationale. « Cette
souveraineté, c'était la vôtre mais une Assemblée souveraine, de qui tout
relève dans l'Etat, qui institue le pouvoir exécutif et le délègue à l'homme
de son choix, c'était, au moins en fait, un Gouvernement de forme
républicaine, et vous lui avez donné son véritable nom, quand vous avez nommé
votre élu : Chef du pouvoir exécutif de la République Française,
avec une seule réserve, qui d'ailleurs était de droit celle des prérogatives
de la souveraineté nationale, toujours libre, quand il lui conviendrait., de
changer la forme du Gouvernement. Avec la même réserve, mais en stipulant
quelques conditions de durée, vous avez, par la loi du 31 Août 1871, confirme
l'ordre établi et décerne au Chef du pouvoir exécutif le titre de Président
de la République Française. « La
République est donc, en ce moment, la forme légale de notre Gouvernement ;
mais te caractère provisoire qui, par maintes déclarations, lui a été assigné
jusqu'ici, plus encore l'état incomplet des institutions dont elle se
compose, les lacunes que présente son organisation, lui refusent les
conditions de force et de solidité qui lui seraient nécessaires pour
triompher des épreuves qu'elle est destinée à traverser. Tôt ou tard les
pouvoirs actuels auront à subir un renouvellement. Dès à présent, l'incertitude
qui plane encore sur le régime que la France doit adopter, affaiblit et
compromet le régime existant, et entretient, dans les esprits, un doute et
une inquiétude, aussi nuisibles aux intérêts du pays qu'à l'action de
l'autorité publique. Il semble, en effet, que toute Révolution soit permise
contre un ordre de choses déclaré officiellement provisoire et ce n'est pas,
avec ce qu'on pourrait appeler l'ébauche d'un Gouvernement, que nous
pourrions affronter, dans un pays profondément divisé, les nécessités de
notre situation et les éventualités de l'avenir. « Sans
doute, tout incomplet qu'il est encore, tout dépourvu qu'il est des
institutions préservatrices que réclame l'expérience de tous les pays libres,
ce Gouvernement a pu suffire aux premiers besoins de la France en détresse.
Il a réussi a réparer nos maux les plus pressants. Sous vos auspices et avec
votre concours, la paix a été faite, l'ordre rétabli, l'administration
réorganisée, la tranquillité maintenue, le crédit public relevé et la
libération du territoire assurée. Voilà ce qu'une République provisoire a
fait pour la France. Mais ce qu'elle ne saurait faire, tant qu'elle reste à
l'état d'essai, d'expédient momentané, c'est calmer l'inquiétude croissante
des esprits, c'est décourager les partis et maîtriser l'audace de leurs
prétentions, c'est procurer à chaque jour la sécurité du lendemain. Il nous
reste à prouver au pays, comme à l'Europe, que confiance est due à notre
avenir. Or, comment un Gouvernement, qui semble souvent protester contre sa
propre durée, à qui l'on interdit comme une usurpation de se croire
définitif, serait-il capable de rassurer la France et le monde sur nos
futures destinées et de donner à notre puissance renaissante les garanties de
la stabilité ? « Telles
sont les considérations décisives qui vous ont déterminés, Messieurs, à
ordonner une réorganisation des pouvoirs publics et à nous charger ainsi
devons présenter tout un plan de Gouvernement. « Aux
termes mêmes de la loi qui nous donnait cette mission, ce Gouvernement
pouvait-i] être autre chose qu'un Gouvernement républicain ? « Le
travail législatif que nous venons vous présenter en a donc, pour premier
objet, l'établissement Les circonstances l'exigent ; la politique le commande
également. Les avis peuvent être divisés, en principe, sur la forme de
Gouvernement la meilleure. Cette question qui a longtemps préoccupe et qui
occupera longtemps encore les publicistes, peut-être, dans la pratique,
différemment résolue, selon les lieux et les temps. Des esprits étroits ou
passionnés pourraient seuls méconnaître les sérieuses raisons qui ont
déterminé des nations éclairées a placer la Monarchie constitutionnelle au
rang des conceptions les plus parfaites de la science politique mais ce n'est
pas la science pure qui décide du choix d'un Gouvernement ; c'est la
possibilité, c'est la nécessité, c'est la situation du pays obligé de se
constituer. « En
comprenant les convictions et les regrets qui s'attachent à une forme
politique qui n'est plus, nous tenons pour évident que l'état de la France ne
comporte pas aujourd'hui d'autre régime que la République. Elle est,
actuellement, le Gouvernement naturel et nécessaire. « Chaque
jour nous manifeste un mouvement général de l'opinion qui, pressée de sortir
de l'indécision, lasse des efforts et des promesses contradictoires des
partis, veut mettre un terme a cette libre concurrence qui nourrit leurs
illusions, et réclame l'adoption positive du seul Gouvernement qu'elle
regarde comme possible. « N'en
doutez pas, Messieurs, le jour ou, à cet égard, toute incertitude sera levée,
l'autorité achèvera de reprendre son empire. Une subordination nécessaire
s'établira dans tous les degrés de l'administration, les liens de la
discipline sociale se resserreront., et les factions perdront leur arme la
plus redoutable, quand elles ne pourront plus propager la défiance entre les
pouvoirs comme entre les citoyens, ni supposer des réticences dans les
déclarations les plus francités, des arrière-pensées dans les plus fermes
résolutions « Quand
on insiste, pour obliger le Gouvernement a se déclarer provisoire, on ne
s'aperçoit pas que l'on affaiblit l'autorité à laquelle on prescrit en même
temps d'être forte. On obscurcit le langage même des lois, impuissantes a
protéger un pouvoir qu'elles n'osent plus nommer. On rend indécise et
flottante la notion du devoir chez les fonctionnaires de tout ordre. Une
sorte d'équivoque générale enveloppe toutes les situations, comme cite
atteint le Gouvernement lui-même, et l'équivoque dans le Gouvernement est un
encouragement a toutes les espérances révolutionnaires. C'est ainsi que
l'ordre, bien qu'énergiquement maintenu, a pu paraître menace au milieu de la
tranquillité générale. Loin d'en être surpris, il faut s'étonner an contraire
qu'une nation si vive, si prompte, ait pu supporter avec calme une expérience
sans exemple dans l'histoire, celle d'une société qui se relevé et se
fortifie, en n'osant s'avouer à elle-même le Gouvernement qu'elle s'est
donné. « Ce
sera donc, Messieurs, rendre au pouvoir et à l'ordre une garantie qui leur
est nécessaire, que d'ôter au Gouvernement l'apparence d'un problème sans
solution, en organisant résolument la République. Si des partis osent ensuite
menacer la société, l'énergie que nous opposerons à leurs attaques ne sera
plus soupçonnée de servir les vues suspectes d'une réaction, quand nous
marcherons, enseignes déployées, pour la défense de la République
conservatrice. « La
pensée générale de la législation que nous venons vous -soumettre, c'est
donc, en évitant toute proclamation, fastueuse, l'organisation positive et
pratique du Gouvernement républicain, comme découlant naturellement et
nécessairement de l'état présent des choses. « Les
institutions fondamentales sur lesquelles doit reposer ce Gouvernement n'ont
pu être, pour nous, l'objet d'une longue recherche. La loi du 13 Mars avait
décrété d'avance qu'il y aurait Chambres, et une opinion presque unanime
avait décidé que le pouvoir exécutif serait remis dans une seule main.
C'était donc un article, écrit pour ainsi dire d'avance, que celui qui porte
que notre Gouvernement se compose d'un Sénat, d'une Chambre des représentants
et d'un Président de la République. « Si
l'existence de la première de ces deux Assemblées pouvait être encore remise
en question, il serait facile de rappeler quels graves motifs en démontrent
la nécessité. Dans tout Etat libre, surtout dans toute République, dans toute
démocratie, le grand danger est l'entraînement, la précipitation. On s'y
décide souvent, par passion plus que par conseil. Aussi l'art de tons les fondateurs
d'un régime populaire a-t-il été d'y introduire la maturité dans les
délibérations, d'opposer au mouvement de l'opinion publique le contrôle
permanent de l'expérience, et l'on trouverait difficilement dans l'histoire,
même en remontant jusqu'à l'antiquité, une Constitution qui n'ait point
placé, à côté ou au-dessus de l'opinion populaire, quelque corps destiné à la
diriger ou du moins à la tempérer et à ralentir son action. Partout on a
senti le danger d'un pouvoir unique et sans contrepoids. Quelle que soit sa
forme et son origine, il dégénère en despotisme. Tous les pays libres de
l'Europe ont deux Chambres. La Convention nationale, éclairée par une
terrible expérience, introduisit la première en France cette dualité
nécessaire, et tandis que la sagesse britannique couvre le monde de colonies
admirablement libres, où cette double garantie est soigneusement consacrée,
chacune des trente-six républiques de l'Amérique du Nord présente cette même
division de la législature qui, au sommet de l'édifice fédéral, se reproduit
par cette institution admirée de tous les publicistes « Le
Sénat des États-Unis. « Une
Assemblée, dont le nom de Sénat paraît déjà définir la nature, doit, au
caractère représentatif sans lequel elle n'aurait nulle autorité, joindre
celui d'un Conseil de Gouvernement. C'est-à-dire qu'elle doit être élective,
comme l'autre Chambre, mais moins nombreuse qu'elle. Si donc celle-ci se
compose d'environ cinq cents membres, celle-là n'en comptera guère plus de
deux cent cinquante. De même, tandis que l'une s'ouvrira à la jeunesse,
l'autre n'admettra que des hommes d'un âge plus voisin de la maturité. Nous
vous proposons de fixer à trente-cinq ans l'âge où l'on commencera d'être
éligible au Sénat. « Nous
venons de dire que le Sénat devait être élu. En France, la base de l'élection
est aujourd'hui le suffrage universel. C'est donc du suffrage universel que
le Sénat devra émaner. Mais il y deux manières de mettre en action le suffrage
universel l'élection directe ou réfection à deux degrés. Il se présentait de
fortes raisons pour essayer en faveur du Sénat ce dernier système. Il se
recommande par la préférence qui lui a été donnée, la première fois que
rétablissement régulier de la République a été tenté parmi nous, et ce sont
également des Assemblées élues qui désignent, aux États-Unis, les membres du
Sénat. « Cette
manière d'organiser le suffrage universel offrait t'avantage d'introduire
entre les deux Chambres une différence qu'il parait a la fois désirable et
difficile de réaliser car une des objections les plus usitées contre le
dédoublement de la représentation nationale, c'est qu'étant nommées l'une et
l'autre par te Peuple, les deux Assemblées sont exposées a se ressentir de
leur communauté d'origine, tout en étant destinées à être l'une la
contrepartie de l'autre. On peut donc avancer que la théorie pure
conseillait, pour le Sénat, l'élection à deux degrés, c'est-a-dire t'élection
par un collège élu lui-même par le suffrage universel. « Mais on a pensé que
ce procédé, passagèrement essayé, et qui n'a. pas pénètre dans nos mœurs,
paraîtrait une nouveauté compliquée à laquelle le pays ne s'attacherait pas
et refuserait même de s'associer, en donnant l'exemple si factieux
d'abstentions nombreuses. A une nation que peut tasser te retour fréquent des
opérations électorales, il serait imprudent d'en imposer une nouvelle qui,
n'ayant pas de résultat immédiat, risquerait de t'intéresser faiblement, de
ne point l'attirer vers les urnes électorales, de façon que t'Assemblée,
issue d'une élection sans vie, douterait elle-même de sa force, et ne
paraîtrait peut-être qu'un vain simulacre, aux yeux de la nation qui aurait
tant de négligence a la former. « Il
est hors de doute que le suffrage direct prête à ses élus une tout autre
autorité, une tout autre force d'impulsion qu'un procède savant, mais
artificiel, comme les deux degrés. Nous voulons assurer au Sénat un rang et
une puissance qui ne permettent pas de voir en lui l'inférieur de l'autre
Chambre. Aussi, nous nous sommes décidés a lui assigner la même origine le
Sénat sera élu directement par le suffrage universel. « C'est
ailleurs que dans la base électorale, que nous avons cherché les différences
qui marqueront te rôle spécial' auquel il est appelé. Déjà nous avons
indiqué, pour l'éligibilité, un minimum d'âge supérieur de dix ans à celui
qui serait exigé des représentants. Puis, tandis que l'élection de ces
derniers paraît avoir pour principal objet la représentation du nombre, nous
avons pensé que, pour l'élection sénatoriale, on devait beaucoup moins tenir compte
du chiffre des populations. Nous voyons, dans le sénateur, le représentant de
cette unité morale dont le temps a fait une unité historique le département,
sans tenir aucun compte de l'inégalité numérique des populations. C'est ainsi
qu'aux Etats-Unis, tandis que le nombre des représentants est proportionné à
la population, chaque Etat est représenté au Sénat par deux sénateurs. Nous
vous proposons d'attribuer à chaque département le droit d'élire, par scrutin
de liste, trois sénateurs. Ce qui porterait le nombre des membres de cette
Assemblée à 258, élevé à 265 par l'adjonction du territoire de Belfort, de
l'Algérie et des colonies. « Mais,
comme il importe de conserver à l'Assemblée dont il s'agit ce caractère
vraiment sénatorial qui consiste dans l'autorité de l'expérience, il est
indispensable qu'elle soit exclusivement choisie parmi ceux qui en offrent
les signes au moins apparents, et que la durée des fonctions de ses membres
assure au corps entier une sorte, de permanence. « Les
sénateurs ne devront être choisis que dans certaines catégories de citoyens,
dont la plus importante sera celle des anciens représentants et l'Assemblée
devra durer dix ans, en se renouvelant par cinquième tous les deux ans. « Elle
aura d'ailleurs les mêmes attributions législatives que la Chambre des
représentants, mais sans doute vous trouverez utile d'y ajouter quelques
attributions judiciaires. Il semble que nul tribunal ne serait plus propre
que le Sénat à juger les procès intentés contrôles principaux dépositaires de
la puissance publique, tels que le Président d'abord, puis les ministres et
les généraux en chef des armées de terre et de mer. « La
constitution de la Chambre des représentants offre un problème beaucoup plus
simple. Un nombre d'environ 500 membres sera élu directement par le suffrage
universel. Le fonctionnement de ce système électoral, les conditions de la
capacité d'élire et d'être élu donnent naissance à de nombreuses questions
qui doivent être résolues par la loi des élections et ne sauraient trouver
place ici. Une seule question nous a paru devoir être immédiatement tranchée
par la loi qui pose les bases principales de nos prochaines institutions. En
ouvrant l'entrée de la seconde Chambre à tout citoyen âgé de vingt-cinq ans,
pourvu qu'il soit électeur, nous devons dire, dès à présent, la raison qui
nous a déterminés en fixant le nombre des représentants. Cette raison la
voici il y aura autant de députés que d'arrondissements électoraux. Ces
arrondissements seront d'abord tous les arrondissements administratifs qui
éliront chacun un représentant, ce qui donnerait déjà un total de 362. Puis,
tous ceux de ces arrondissements dont la population excède cent mille âmes,
seraient divises par la loi en circonscriptions électorales, à chacune
desquelles une élection serait attribuée, de manière que chaque
arrondissement administratif aurait au moins un député, et que les plus
peuplés en auraient un ou plusieurs, selon l'importance de leur population.
Ce procédé, avec l'adjonction des députations françaises étrangères à
l'Europe, porterait la Chambre des représentants au chiffre de 537. « Ce
système, qui paraîtra nouveau, a cependant en d'autres temps été recommandé,
après de mémorables discussions, par les plus grandes autorités et une assez
longue expérience en a montré tous les avantages. Ces avantages sont tels que
nous n'avons pas hésité à le préférer au système plus récemment admis du
scrutin de liste. « Nous
devons d'abord remarquer que, dans tous les pays célèbres par leur liberté,
on se garde de donner à élire une députation nombreuse a chaque corps
électoral. « La loi américaine, dit un écrivain qui fait autorité, veut qu'on
ne nomme jamais qu'un député à la fois il n'y a pas de scrutin de liste. Il
faut que les électeurs ne choisissent qu'une personne et connaissent bien la
personne qu'ils choisissent. » « S'il
est, en effet, en matière d'élection, une idée simple et incontestable, c'est
qu'il importerait, que l'électeur agît avec discernement. Si cette condition
ne peut être complètement remplie, elle sera plus près de l'être, quand on
peut s'assurer qu'il connaîtra, au moins de réputation, celui auquel il donne
ou devrait donner sa confiance avec sa voix. Or l'électeur et l'élu se
connaîtront d'autant mieux l'un l'autre qu'ils seront plus rapprochés, et ce
rapprochement est d'autant plus nécessaire que le corps électoral est plus
nombreux. Plus l'élection est populaire, plus il est à craindre que ces
conditions ne soient pas remplies, et c'est à la loi d'y pourvoir. Elle n'y
pourvoit nullement, en autorisant le scrutin de liste, lorsque les députés à
élire sont nombreux. Il soumet ou plutôt il impose à des masses qui les
ignorent une suite infinie de noms, désignes arbitrairement, tantôt par les
partis, tantôt par l'autorité, et les masses sont obligées de les accepter
sur parole, de les adopter avec une aveugle indifférence, à moins qu'à la
voix d'un parti elles ne cèdent à ces passions politiques qui sont une autre
espèce d'aveuglement. Dans un pareil système, la plupart des électeurs votent
l'inconnu. Les candidats dont les noms parviennent, souvent pour la première
fois aux oreilles de la population, ne se recommandent plus par la réputation
acquise, par la notoriété locale, par des antécédents qui aient eu le public
pour témoin. Leur seul titre est l'adoption de leur nom par un comité
central, qui ne tient nul compte des diversités d'opinions et d'intérêts que
présente un département dans toute son étendue. Le vœu des minorités n'a
aucune chance de se faire jour et l'esprit de parti domine sans résistances.
Dans notre opinion, une grande partie des critiques dirigées contre notre
système électoral doivent être adressées au scrutin de liste. « Il
n'en est pas de même de l'élection par arrondissement. Elle est favorable aux
influences permanentes de la société. Elle leur fait une juste part dans la
représentation, qu'elle rend plus complète et plus vraie. Elle sert le
suffrage universel, en l'éclairant t davantage sur ses choix. La volonté des
électeurs est plus libre, leur choix est plus spontané et il se forme entre
eux et leurs élus un lien plus étroit, plus intime. Le plus souvent ils se
sont connus dès longtemps et ils ne deviendront pas étrangers les uns aux
autres après l'expiration du mandat. Aussi les devoirs du mandataire envers
ses commettants s'imposent-ils à lui d'une manière plus distincte. Il a
besoin de conserver toujours ses droits à leur estime et l'honneur de son
avenir dépend de la conduite qu'il aura tenue pendant la durée de sa mission.
Lui aussi il ménage la popularité, mais la bonne, la vraie, la popularité
durable. « Le
Gouvernement recommande donc avec instance à l'attention de l'Assemblée
l'élection par arrondissement. Il y voit le moyen le plus efficace d'écarter
les inconvénients que l'on a pu reprocher à la pratique ordinaire du suffrage
universel et la meilleure digue à opposer à ces entraînements de l'opinion
qui inspirent de si vive ? alarmes. Il ne fait aucune difficulté de déclarer
que, si le système qu'il propose n'était pas adopté, il regarderait comme
sérieusement compromis le succès de l'œuvre de réorganisation politique que
vous allez entreprendre. Telle est donc la constitution de la Chambre des
représentants. Ses membres seront élus directement par le suffrage universel,
chacun dans une circonscription spéciale. La Chambre sera renouvelée
intégralement tous les cinq ans. « Il
nous reste à vous entretenir, Messieurs, du pouvoir exécutif. C'est la
question qu'on a regardée longtemps comme la plus grave difficulté de
l'institution d'une République dans les grands Etats. Heureusement de
nombreux exemples, notre propre expérience, et surtout les nécessités qui
pèsent sur un vieux et important pays, comme le nôtre, celles enfin qui
dérivent de sa position géographique lèvent les principaux doutes qui ont
rendu longtemps la science incertaine. Ainsi l'on ne conteste plus que le pouvoir
exécutif tout entier, ce grand ressort du Gouvernement, doive être commis a
un magistrat unique dont l'origine soit élective, la responsabilité réelle,
la mission temporaire. Nous vous proposons de fixer à cinq ans la durée du
pouvoir du Président de la République. Il devra avoir au moins quarante ans ;
il sera rééligible. Il nous semble que tous ces points sont hors de la
discussion. Ses attributions ne donneront pas lieu à de beaucoup plus longs
débats. Elles avaient été fixées d'une manière satisfaisante par la
Constitution de 1848. Plus encore qu'aucun texte de loi, les habitudes et les
besoins de la France obligent a concentrer, dans les mains du premier
magistrat, des pouvoirs très étendus et très divers, qui sont localisés sans
inconvénient en d'autres pays. Mais parmi nous l'unité d'action du
Gouvernement est la condition absolue du salut public. C'est là encore un
point sur lequel nous ne prévoyons pas de grandes contradictions. « Cependant
il est une attribution nouvelle, qu'il nous paraît indispensable de mettre au
rang des droits du pouvoir exécutif, et qui a besoin d'être justifiée. On a
pu voir que les conditions du régime parlementaire étaient entrées dans nos
mœurs, à ce point que nous étions obligés de les transporter dans la
République, plus complètement peut-être que ne la comporterait la théorie,
bien plus assurément que ne l'admet l'Amérique. « Ici
nous sommes contraints de nous écarter de ce modèle des institutions
républicaines dans les temps modernes. C'est que la France a besoin d'être
gouvernée bien davantage. Le citoyen français ne se croirait pas en sûreté,
si la puissance publique pratiquait sans restriction la maxime célèbre «
Laissez faire, laissez passer. Il faut qu'elle porte partout la main et sa
responsabilité s'accroît, dans la même proportion que son intervention
nécessaire. Si la tranquillité est troublée dans un village, il en est
demande compte au pouvoir centra). Aussi la présence des ministres, et
quelquefois cette du Président de la République, sont-elles nécessaires dans
les Chambres qui peuvent forcément devenir une arène où l'on se dispute le
pouvoir. Si la liberté gagne quelque chose à cette perpétuelle mise en
question de l'existence des Cabinets, la stabilité, la constance de
direction, la suite des affaires peuvent y perdre et les ambitions
incessamment excitées par la chance du succès peuvent entraîner à leur suite
des Assemblées dont elles exploitent les passions. La proie offerte à
l'esprit de parti en redouble d'ardeur et il est impossible de s'assurer que
jamais la Chambre des représentants, soit par des résolutions téméraires,
soit par une résistance systématique, soit par des agressions acharnées ne
finira pas par égarer la politique, paralyser l'action du pouvoir, et mettre
en question l'existence même du Gouvernement il faut un remède a ce mal, il
faut une précaution contre ce danger possible. La Monarchie constitutionnelle
l'a trouvé dans le droit de dissolution. Cette faculté suprême, exercée à
propos, peut redresser les écarts de l'opinion, ralentir ses mouvements
précipités, forcer enfin le pays a réfléchir, tout en lui laissant le dernier
mot. Pourquoi n'emprunterions-nous pas a la Monarchie son remède, quand nous
pouvons avoir à craindre les mêmes maux qu'elle ? Une dissolution n'est,
après tout, qu'un appel au pays, une occasion nouvelle qui lui est donnée de
manifester sa volonté. Rien donc n'empêche d'introduire ce droit,
conservateur de tous les autres, dans un ordre de choses de fraîche date où
ils courent le risque d'être parfois méconnus. Mais nous en convenons, le
pouvoir exécutif qui sera le premier à souffrir de l'atteinte portée à la
bonne direction des affaires, qui le premier s'apercevra de la nécessite de
la rétablir, ne saurait être investi de la prérogative supérieure et vraiment
royale de dissoudre à volonté la Chambre des représentants. C'est sans doute
a lui de reconnaître la nécessité d'une telle mesure, à lui que doit en
appartenir l'initiative. Mais, après qu'il l'a proposée, il ne reste que le
Sénat qui puisse être revêtu du droit de la sanctionner. Il en usera avec
autorité parce qu'il n'en usera qu'avec réserve. C'est un corps en quelque
sorte permanent, du moins incessamment renouvelable, supérieur aux émotions
du moment, et qui saura bien apprécier ce que les circonstances exigent ou
comportent, et distinguer le cas où le pouvoir exécutif, en entrant en lutte
avec la Chambre des représentants, obéit a un véritable intérêt public, des
cas où il cède à l'impatience du frein. Le droit de dissolution confié an
Sénat, sur l'initiative du Président, nous paraît, dans un pays tel que le nôtre,
une des conditions indispensables du salut de l'ordre constitutionnel, dans
ces jours d'orage qu'il faut prévoir, si l'on veut les éviter. Ne négligeons
pas de munir le vaisseau d'ancres de miséricorde, pour le soutenir contre la
tempête. « On
demandera si les précautions que nous proposons contre les écarts de la
Chambre des représentants ne pourraient pas être prises également contre les
erreurs du Sénat. Il faut considérer que cette Assemblée par sa composition,
par l'esprit de suite que son organisation lui assure, ne sera pas sujette
aux accès d'une fièvre populaire. D'ailleurs, et c'est la raison décisive,
une Assemblée, soumise tous les deux ans à un renouvellement partiel, est
destinée a se modifier graduellement et doit échapper à ces changements
brusques qui troublent inopinément le cours tranquille de la vie des peuples. « Mais,
pour que le Président de la République pût être mis en possession d'une aussi
grande prérogative que le partage et l'initiative du droit de dissolution, il
fallait que, par son origine, son pouvoir eût une véritable indépendance. Il
ne peut être le délégué d'une seule Assemblée, ni même de deux Assemblées
réunies. )1 descendrait ainsi au rang d'une autorité subordonnée. « Trois
modes d'élection à la Présidence de la République peuvent être proposés. « Le
premier est l'élection directe par le suffrage universel. Ce mode, déjà
éprouvé, n'a pas laissé un souvenir qui le recommande. Il est évident qu'il
confère à un pouvoir, responsable devant les Chambres, une supériorité morale
sur ces Chambres mêmes. Le suffrage universel, concentré sur un seul homme,
fait de lui comme une personnification de la souveraineté nationale. Une
telle inégalité ne saurait être sans danger introduite dans les pouvoirs
publics. « C'est
ici qu'il faudrait au moins recourir aux deux degrés d'élection. Tel est le
mode employé aux Etats-Unis, du des électeurs nommés dans chaque Etat, en
nombre égal à celui de ses représentants et de ses sénateurs au Congrès,
votent pour l'élection du Président. Si aucun des candidats n'a la majorité
voulue, la Chambre des représentants, votant par Etats, choisit entre les trois
noms qui ont eu le plus de voix. Nous avions d'abord penché pour une
imitation de ce système et sans doute elle pouvait être justifiée par plus
d'un spécieux argument. Mais nous avons considéré que, sous des apparences
différentes, ce procédé n'était, à beaucoup d'égards, qu'une reproduction
déguisée du suffrage direct. En choisissant l'électeur du Président futur, on
ne peut s'empêcher de se poser une question unique Quel Président élira-t-il
? Le mandat impératif devient donc la conséquence forcée de ce mode
d'élection, et alors, le suffrage universel désignerait indirectement, mais
aussi impérativement que s'il était direct, celui qu'il appellerait à la
suprême magistrature. En Amérique, on sait quel sera l'élu, avant que le
collège pour l'élection présidentielle ne soit assemblé. « Nous
nous sommes donc décidés pour un troisième mode d'élection, qui admet deux
degrés, mais qui, en assurant au Président une incontestable indépendance, ne
le place à aucun égard au-dessus des deux Chambres et ne peut ni lui inspirer
la tentation, ni lui donner les moyens de les dominer. Suivant nous, le
Président sera élu par les deux Chambres réunies, auxquelles le choix de
chacun des Conseils généraux ajoutera trois membres élus. Cette réunion devra
s'appeler le Congrès présidentiel. On remarquera que c'est encore une
élection à deux et même à trois degrés et qu'ainsi le suffrage de la nation
entière reste la source commune de tous les pouvoirs électifs. « Le
Président, qui devra être âgé d'au moins quarante ans, sera élu pour cinq
années, comme la Chambre des représentants. Ses pouvoirs expireront au début
périodique de toute législature nouvelle, mais ils seront continués de droit
pendant la période électorale, et jusqu'à ce que le Congrès présidentiel ait
terminé ses opérations, qui devront commencer aussitôt que les deux Chambres
seront constituées. « Tel
est en substance le projet de loi que nous soumettons, Messieurs, à vos
délibérations. Nous nous sommes gardés de demander à la spéculation de
hasardeuses nouveautés. Nous nous sommes arrêtes à des dispositions simples,
qui rentrent dans les habitudes constitutionnelles de notre pays, et dont il
nous semblait t facile de prévoir les effets pratiques. « Bien
convaincus que l'état des partis, que l'éternel conflit des souvenirs, des
prétentions, des espérances ne permettent pas de fonder dans notre France
autre chose que la République, nous ne nous sommes pas cru cependant obligés
de suivre l'esprit t républicain dans ses dernières conséquences. C'eût été
donner trop à l'inconnu et trop exiger de votre confiance. « Nous
avons cru mieux entrer dans votre pensée, en nous attachant à concentrer
fortement le pouvoir et en constituant un Gouvernement qui pût résister à
tous les chocs et triompher de tous les obstacles. A ces conditions seulement
la République peut être conservatrice et tant qu'elle sera conservatrice,
mais pas au-delà, elle sera durable. [Extrait
du Journal Officiel, Mai 1873.] FIN DU PREMIER VOLUME
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