La Gauche républicaine
en 1857, 1863, 1869. — L'exposé de MM. E. Ollivier et de Gramont. — Discours
de M. Thiers. — Demande de communication de la dépêche de M. de Bismarck. —
Nouveau discours de M. Thiers. — Séance du soir. M. de Bismarck au Reichstag.
— Séance du 9 Août 1870. — Le ministère Palikao. — Clément Duvernois, Jules
Favre et Thiers. — Les nouvelles de Sedan et de Metz. — La séance du 3
Septembre. — La première séance du 4 Septembre. — La seconde séance du 4
Septembre. — La dernière réunion au Corps Législatif.
Sans
qu'il convienne de revenir sur les événements d'où la guerre est sortie,
l'étude rapide du rôle joué par la Gauche républicaine, du 15 Juillet au 4
Septembre 1870, et surtout dans les mémorables séances du 15 Juillet, du 9
Août et du 4 Septembre, est l'introduction naturelle à l'histoire de la
Troisième République. L'Opposition républicaine se composait de 5 membres,
les Cinq, au Corps Législatif de 1857 MM. Jules Favre, Picard, Emile
Ollivier, Hénon et Darimon. Elle avait été renforcée, aux élections générales
de 1863 ou à des élections complémentaires, de MM. Dorian, Glais-Bizoin,
Havin, Javal, de Marmier, Jules Simon, Guéroult, Marie, Malezieux,
Pierron-Leroy, Planat, Pelletan, Magnin, Carnot et Garnier-Pagès. Sans
appartenir à la Gauche républicaine, MM. Thiers, Berryer, Lanjuinais
faisaient partie de l'Opposition antidynastique et augmentaient sa force
agressive. Les élections générales de 1869 avaient doublé l'effectif de la
Gauche ; le Corps Législatif avait vu ses rangs forcés par deux députés intransigeants
MM. Raspail et Rochefort, et par vingt et un nouveaux républicains MM.
Barthélemy Saint-Hilaire, Bethmont, Crémieux, Desseaux, Esquiros, Jules
Ferry, Gagneur, Gambetta, Girault, Girot-Pouzol, Grévy, Guyot-Montpayroux, de
Jouvencel, de Kératry, Larrieu, Lecesne, Rampont, Riondel, Wilson, Arago et
Bancel. La division de la Gauche en deux groupes, qui s'était faite en dehors
de la Chambre, la Gauche fermée avec M. Jules Favre et son journal, la Tribune,
la Gauche ouverte avec M. E. Picard et l'Électeur libre, n'avait pas
affaibli la minorité, elle comptait désormais une cinquantaine de membres et
pouvait devenir majorité en faisant cause commune avec une centaine de
membres du Centre-Gauche MM. Ëstancelin, Latour du Moulin, de Chambrun, de
Guiraud, Keller, Ant. Lefèvre-Pontalis, de la Monneraye, etc. C'était donc
une Opposition très forte par le talent, très unie, très décidée à empêcher
les aventures que le Cabinet Ollivier trouva devant lui, le 15 Juillet, quand
il donna lecture de l'exposé qui mit le feu aux poudres. MM.
Ollivier et de Gramont avaient laissé ignorer à la Chambre les conditions de
la négociation pendante entre la Prusse et la France. On ne savait pas que,
quelques jours après la renonciation du prince de Hohenzollern, le Cabinet
français avait cherché à peser sur le roi de Prusse, pour qu'il s'engageât à
interdire, à l'avenir, à un prince de sa maison, toute nouvelle candidature
au trône d'Espagne. La déclaration ministérielle, lue au Sénat et à la
Chambre, le 15 Juillet, laissait prudemment ce point dans l'ombre, ou, pour
mieux dire, elle laissait entendre, grâce à de savantes réticences, que la
garantie exigée l'avait été dès le principe. Elle se terminait par ces mots :
« Nous n'avons rien négligé pour éviter une guerre nous allons nous
préparer à soutenir celle qu'on nous offre, en laissant à chacun la part de
responsabilité qui lui revient. » Après ces graves paroles, qui lui
interdisaient tout retour en arrière, le Garde des Sceaux concluait en
demandant un crédit de 50 millions pour le ministère de la Guerre et il
réclamait ta déclaration d'urgence. Le Président met l'urgence aux voix ;
toute la Droite se lève la Gauche refuse d'en faire autant, malgré les
adjurations de la majorité et M. Girault, le député du Cher, s'écrie : « Nous
serons les premiers à nous lever pour une guerre nationale défendant la
patrie ; nous ne voulons pas nous lever pour une guerre dynastique et
agressive. » C'est
après la contre-épreuve que M. Thiers prit la parole et prononça le célèbre
discours qui restera peut-être son meilleur titre de gloire. Jamais homme
d'Etat n'a mieux pressenti les événements. Jamais orateur n'a dépensé plus de
force persuasive, pour faire passer sa conviction dans toutes les âmes. Ni
les interruptions, ni les insultes, ni les huées d'une majorité prise de
vertige ne l'empêchèrent d'aller jusqu'au bout et de démontrer que nous
avions la guerre par la faute du Cabinet, c'est-à-dire par la faute de
l'Empereur ; que la Prusse nous avait donné satisfaction sur la première
demande qui lui avait été faite et que l'on rompait par pure susceptibilité
que le principal, le fond était accordé et que l'on se préparait à verser des
torrents de sang pour une question de forme. « Soucieux de ma mémoire,
ajoutait-il, je ne voudrais pas qu'on puisse dire que j'ai pris la
responsabilité d'une guerre fondée sur de tels motifs. » Il demandait au
moins, à la face du pays, que l'on communiquât les dépêches qui
avaient décidé le Cabinet à prendre cette grave résolution, à engager cette
guerre, souverainement imprudente, dans une occasion aussi mal choisie. A la
demande de communication de la dépêche qui constituait un prétendu affront
pour la France, le Garde des Sceaux répondit que cette dépêche était dans
l'exposé qu'il venait de lire à la Chambre et que les autres dépêches, ayant
un caractère confidentiel, les usages diplomatiques en interdisaient la
publication. « Nous ne communiquerons rien de plus, dit-il ». « Cette
grave, cette effrayante question, s'écria M. Gambetta, vous la faites reposer
sur une dépêche notifiée à votre insu à tous les Cabinets de l'Europe, par
laquelle on aurait mis votre ambassadeur hors des portes de la Prusse. Eh
bien, je dis que ce n'est pas par extraits, par allusion, mais par une
communication directe, authentique, que vous devez en saisir la Chambre. »
M. Ollivier répondit à M. Gambetta que deux des agents français à l'étranger
avaient eu connaissance d'un télégramme du comte de Bismarck, annonçant le
double refus du roi Guillaume de s'engager pour l'avenir et de recevoir de
nouveau l'ambassadeur de France. Nous
avons su, le monde entier a su, le 23 Novembre1892, par un discours du
Chancelier de Caprivi au Reichstag, que M. de Bismarck, alors à Berlin, avait
appris, en effet, par une dépêche du roi ce qui s'était passé à Ems avec M.
Benedetti. Pour surexciter le patriotisme allemand, M. de Bismarck avait
tronqué la dépêche royale et donné à l'entrevue du roi et de l'ambassadeur un
caractère, non pas de discourtoisie, mais de brusquerie de la part du roi
qu'elle n'avait eu à aucun degré et que M. Benedetti n'y avait pas trouvé,
tout au contraire. M. E. Ollivier le reconnaissait lui-même et, après qu'il
avait donné connaissance au Corps Législatif des deux dépêches de M.
Benedetti, en date du d3 Juillet, M. Thiers pouvait dire : « Que tout le
monde juge ! » et M. Emmanuel Arago : « Ceci connu, le
monde vous donnera tort ; ceci connu, si vous faites la guerre, c'est que
vous la voulez à tout prix. » Hélas ! M. Ollivier et M. de Gramont
étaient les instruments inconscients de ceux qui la voulaient à tout prix. Une
nouvelle intervention de M. Thiers n'eut pas plus de succès que la première ;
il eut beau démontrer, ce qui était l'évidence même, que la Prusse avait subi
un échec, constaté par toute l'Europe, qu'elle ne songerait certainement pas
à remettre en avant la candidature Hohenzollern, la majorité ne voulut rien
entendre et son représentant le plus autorisé, le chef du parti de la Cour,
M. Jérôme David, alla jusqu'à dire au patriote qui s'épuisait pour empêcher
des catastrophes trop prévues : « Il faudrait beaucoup de
bataillons prussiens pour faire à votre pays le mal que vous lui faites
involontairement. » M.
Jules Favre déposa, après le discours de M. Thiers, une proposition demandant
communication du texte de la dépêche télégraphique envoyée par M. de
Bismarck. Sa proposition fut rejetée par 159 voix contre 84. La majorité en
faveur de la guerre était faite. Immédiatement après ce vote néfaste
l'Assemblée se retira dans ses bureaux, pour examiner les projets de loi
déposés par le Gouvernement. Le
soir, à 9 heures et demie, à la reprise de la séance, le rapporteur, M. de
Talhouet, mentionna que les déclarations du Garde des Sceaux, du ministre des
Affaires Etrangères, du ministre de la Guerre avaient donné toute
satisfaction à.la Commission et il conclut à l'approbation des projets de
loi. M.
Gambetta demanda, comme l'avait fait M. Jules Favre à la séance du jour, que
la dépêche officielle de M. de Bismarck fut communiquée à la Chambre. Il
voulait savoir si cette dépêche avait été envoyée à tous les Cabinets
européens ou simplement aux agents de la Prusse dans l'Allemagne du Sud.' M.
de Gramont jura que la France avait été insultée, que la guerre était la
seule réparation de l'affront subi et qu'il ne resterait pas cinq minutes
ministre des Affaires Etrangères, s'il se trouvait dans son pays une Chambre
pour supporter cet affront. La
majorité vota les crédits demandés, par 24S voix contre 10 et 5 abstentions,
avec la conviction que les membres de la Commission avaient lu la dépêche
incriminée et que cette dépêche constituait un affront à l'Empereur et à la
France. Or, la Commission n'avait pas lu la dépêche et elle trompait
l'Assemblée, comme le Gouvernement l'avait trompée elle-même, en affirmant
que dès le premier jour il avait exigé la garantie du roi de Prusse contre
une nouvelle candidature. La guerre était déclarée, les destinées de la
patrie allaient se jouer sur un double mensonge. La
session fut close le 23 Juillet, malgré les protestations de la Gauche, après
que le Corps Législatif eut voté un crédit de 4 millions pour les familles
des hommes appelés sous les drapeaux et repoussé, à la demande du général
Dejean, ministre intérimaire de la Guerre, la formation des corps francs
proposée par M. de Jouvencel. Les
députés de la majorité se séparèrent pleins de confiance, après une bruyante
explosion d'enthousiasme. S'ils avaient prêté quelque attention à ce qui se
passait à Bertin, ils auraient pu tire, dans le compte rendu des séances du
Reichstag, ces paroles de M. de Bismarck, prononcées le 20 Juillet : « Ces
ministres — MM. Ollivier et de Gramont — se sont bien gardés de céder aux
instances des rares membres de l'Opposition qui ont conservé leur lucidité
d'esprit et de produire le document en question. L'édifice tout entier et
surtout la base de la déclaration de guerre se seraient écroulés, si la
représentation nationale avait eu connaissance de ce prétendu document et
surtout de sa forme. » Sa
forme était celle d'un télégramme. II avait paru dans un supplément de
l'officieuse Gazette de l'Allemagne du Nord et il était ainsi conçu :
« Après que la nouvelle de la renonciation du prince de Hohenzollern a
été officiellement communiquée au Gouvernement impérial français par le
Gouvernement royal espagnol, l'ambassadeur de France, à Ems, a encore demandé
à Sa Majesté le Roi de l'autoriser à télégraphier à Paris que Sa Majesté le
Roi s'engageait, pour tout l'avenir, à ne jamais plus donner son approbation,
si les Hohenzollern devaient de nouveau revenir sur leur candidature. Sa
Majesté le Roi a, sur cela, refusé de recevoir encore une fois l'ambassadeur
et lui a fait dire par l'adjudant de service qu'il n'avait plus rien à lui
communiquer. » On voit
si les doutes de MM. Thiers, Jules Favre, Gambetta, Arago étaient fondés, si
l'Opposition républicaine avait raison de demander au Cabinet Ollivier la
production du texte authentique. Quand
la Gauche, dix-sept jours après la séparation des Chambres, se retrouva en
présence des ministres coupables, elle n'hésita pas à se rallier à l'ordre du
jour présenté par un des membres de la Droite, plus coupable encore, car
c'est du parti de la Cour et de la Droite qu'étaient parties les excitations
qui avaient triomphé des incertitudes de l'Empereur et entrainé le Garde des
Sceaux lui-même. Le 9 Août, lorsque M. Emile Ollivier déclare, au milieu des
applaudissements unanimes du Corps Législatif, que l'armée a été héroïque,
Jules Favre crie que cette armée a été compromise par l'impéritie de son chef
et aucune voix ne proteste. L'ordre du jour de M. Clément Duvernois était
ainsi libellé : « La Chambre, décidée à soutenir un cabinet capable
d'organiser la défense du pays, passe à l'ordre du jour. » E. Ollivier
repousse cet ordre du jour, la Chambre l'adopte sans scrutin et le ministère
de la défaite, le ministère de l'invasion est renversé. En
soutenant d'abord le cabinet Palikao, qui fut constitué le lendemain, et où
se trouvaient réunis tous les hommes du parti de la Cour, MM. Jérôme David et
Clément Duvernois, Magne et Grandperret, La Tour d'Auvergne et Chevreau, la
Gauche républicaine donna une preuve incontestable d'abnégation et de
patriotisme. Elle y avait d'autant plus de mérite qu'à une proposition
déposée par elle et tendant à constituer un Comité de 1S membres, investis
des pleins pouvoirs du Gouvernement, pour repousser l'invasion étrangère, M.
de Cassagnac avait répondu par cette menace « Si j'avais l'honneur de siéger
au banc du Gouvernement, vous seriez ce soir devant un Conseil de guerre.
Quelques jours après, le ministre de la Guerre répondait à une demande de
renseignements, qui lui était adressée en séance par un député de la Gauche,
en affirmant que si un de ses officiers commettait l'indiscrétion qu'on
voulait lui faire commettre, il le ferait fusiller. Les Parisiens ne
pouvaient pas savoir, avec le mutisme systématique du ministre de la Guerre,
à combien de journées de Paris se trouvaient les Prussiens Ils apprenaient
par les journaux que Nancy avait ouvert ses portes à quatre uhlans et
Châlons-sur-Marne à cinq cavaliers prussiens. Quand le Président du Conseil
consentait à donner une nouvelle militaire, elle était toujours tardive,
régulièrement inexacte, ridicule d'exagération et parfois même d'une
invraisemblance puérile. Toutes les tentatives faites par la Gauche pour
obtenir l'armement de la garde nationale, la participation de la Chambre aux
efforts tentés pour arrêter l'ennemi, l'adjonction de députés au Comité de
défense se heurtaient à un mauvais vouloir obstiné, à une sorte d'optimisme,
inconscient de la gravité de la situation. Le
général Trochu, qui avait refusé le ministère de la Guerre le 7 Août,
possédait la confiance de la Gauche le Président du Conseil lui fit l'accueil
le plus froid, quand il arriva de Châlons à Paris, dont l'Empereur l'avait
nommé Gouverneur. L'Impératrice le reçut comme un suspect, en lui disant :
« Ne croyez-vous pas qu'il faille rappeler les princes d'Orléans ? »
L'Impératrice, le ministre de la Guerre, n'étaient d'accord que sur le
malheureux Empereur, qui n'avait plus de pouvoir militaire, puisque Bazaine
était commandant en chef de l'armée du Rhin, qui n'avait plus de pouvoir
civil, puisque la Régente le remplaçait et dont le nom disparaissait de la
proclamation adressée par le générât Trochu aux Parisiens. « On ne
devait, dans les circonstances, affirmait l'Impératrice, faire aucune mention
de l'Empereur. » Son nom n'était plus prononcé, mais sa personne et son
Gouvernement étaient visés chaque jour au Corps Législatif. Jules Favre
disait, le 24 Août : « Nos malheurs sont dus à une direction fatale, dont
personne n'oserait prendre la défense, et qui peut sans exagération, se
traduire par l'un ou l'autre de ces deux mots ineptie ou trahison. M. Thiers
répondait à Clément Duvernois, l'ancien adversaire irréconciliable de
l'Empire, devenu journaliste subventionné et député des Basses-Alpes, par la
vertu de la candidature officielle, qui avait eu le cynisme d'invoquer la
Constitution : « De grâce, ne nous parlez pas des institutions vous ne
nous refroidirez pas, vous ne diminuerez pas notre zèle pour la défense du
pays, mais, sans nous refroidir, vous nous frapperez au cœur, en nous
rappelant ces institutions qui, dans ma conviction à moi, sont la cause
principale, plus que les hommes eux-mêmes, des malheurs de la France. » Le mois
d'Août s'achevait ainsi, dans une attente énervante. Les grandes batailles
sous Metz avaient eu lieu le 14, le 16, le 18 Août et leur résultat était
imparfaitement connu. « Nous ne savions pas, dit M. Jules Simon, si nous
étions morts ou vivants. » Et M. Keller : « On ne peut plus
vivre ainsi, on ne peut plus délibérer. Déclarons-nous en permanence et attendons
ce que les événements feront de nous. » Le ministre répondait, quand il
répondait, qu'il ne savait rien, qu'il ne recevait que des rapports de
gendarmerie. La France avait 200.000 hommes sur la Moselle, 100.000 hommes
sur la Meuse et, du 10 Août au 4 Septembre, elle ignora tout de ces deux
armées, son suprême espoir et sa suprême pensée. On comprend que cette
incertitude, ces angoisses devaient laisser l'Opposition assez indifférente
aux bruits de coup d'État bonapartiste qui couraient avec persistance et que
le ministre de la Guerre se gardait bien de démentir. Cinglée
chaque jour de sanglantes apostrophes par Jules Favre et par Gambetta,
sollicitée de prendre les plus élémentaires mesures de défense par Jules
Simon et par Jules Ferry, la majorité se ressentait de son origine, la
candidature officielle et, comme le Ministère, elle se préoccupait du salut
de la dynastie beaucoup plus que du salut de la France. A chaque résolution
virile et franche qu'elle repoussait : « Vous y viendrez »,
disait Gambetta : « Il sera trop tard », reprenait Jules
Favre. Dès le 1er
Septembre de vagues rumeurs, venues de Sedan et de Metz, s'étaient répandues
à Paris, on ne sait par quels canaux ; le 2, ces rumeurs s'étaient précisées
le 3 au matin les dépêches de Bruxelles avaient fait connaître la
catastrophe, et, le même jour, dans l'après-midi, l'Impératrice recevait une
dépêche de Napoléon III annonçant qu'il était prisonnier. Le ministre de la
Guerre, parfaitement renseigné dès ce moment, annonce à la Chambre, informée
également depuis quarante-huit heures, que Bazaine a essayé de sortir de
Metz, mais a été forcé d'y revenir il parle de « succès et de revers sous
Sedan qui retarderont la jonction des deux armées et, fidèle à son système de
réticence, il ajoute textuellement ceci : « Il y a peut-être des
nouvelles un peu plus graves, telles qu'une blessure de Mac-Mahon et d'autres
encore, mais aucune n'a encore un caractère officiel. Je vais faire appel aux
forces vives du pays. » « La Chambre a perdu le pays »,
s'écrie M. Girault. « Plus de complaisance ! dit Jules Favre -envisageons
froidement la situation. Où est l'Empereur ? Donne-t-il des ordres à ses
ministres ? » « Non, » répond Palikao. « Cette réponse me suffit,
continue Jules Favre le Gouvernement ayant cessé d'exister... » A ces
mots le Président Schneider, la Droite et le Centre protestent. « Protestez
tant que vous voudrez. Ce qu'il faut, en ce moment, c'est que tous les partis
s'effacent devant un nom militaire qui représente la Chambre et Paris. Ce nom
est connu devant lui doivent s'effacer tous les fantômes de Gouvernement. » Jules
Favre et tous ses collègues de la Gauche, bien loin de songer en ce moment à
une proclamation de la République, voulaient seulement constituer un Comité
de Gouvernement, pris dans le Corps Législatif, avec M. Thiers comme
Président, et qui aurait confié au général Trochu, avec tout le pouvoir
militaire, le soin d'arrêter l'invasion. La Chambre de la candidature
officielle, la Chambre du 18 Juillet et du 9 Août, par ses retards, bien plus
que par ses répugnances, fit encore échouer ce projet et causa un nouveau mal
au pays. Elle s'ajourna, le 3 Septembre au soir, sans avoir pris de
résolutions. Le Conseil des ministres qui s'était tenu aux Tuileries,
immédiatement après la séance, n'en avait pas pris plus qu'elle et le champ
était reste libre aux manifestations de la rue. Les
députés de la Gauche, étrangers à ces manifestations, que seul le parti
révolutionnaire avait provoquées et redoutant, plus qu'ils ne l'espéraient,
une Révolution qui allait faire peser sur eux le lourd héritage de l'Empire,
essayèrent de donner au mouvement une forme légale et prièrent le Président
de convoquer la Chambre dans la soirée. La foule entourait déjà le Corps
Législatif, aux cris de « Vive la République ». « C'est le
Gouvernement que j'appelle de tous mes vœux, lui dit Gambetta, mais il ne faut
pas qu'il soit responsable, ni qu'il hérite des malheurs qui viennent de
fondre sur notre patrie. Il faut s'unir et ne pas faire de Révolution. » La
séance s'ouvrit à une heure du matin, le 4 Septembre. Le comte de Palikao
avait hésité à s'y rendre. II annonça que l'armée avait capitulé à Sedan et
que l'Empereur était prisonnier. C'était la première communication sincère
qu'il faisait, depuis le 10 Août. Puis il demanda l'ajournement à une heure
de l'après-midi. « Usera trop tard ! » lui répliqua-t-on. Jules
Favre, avant la levée de la séance, déposa la proposition suivante : « 1°
Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie sont déclarés déchus des pouvoirs que
leur a conférés la Constitution ; « 2°
Il sera nommé par le Corps Législatif une Commission qui sera investie de
tous les pouvoirs du Gouvernement et qui aura pour mission de résister à
outrance à l'invasion et de chasser l'ennemi du territoire. « 3°
Le général Trochu est maintenu dans les fonctions de Gouverneur de Paris. » Avec la
déchéance en plus, c'était exactement la proposition de M. Thiers et du
Centre Gauche. Celle-ci stipulait, en outre, la convocation d'une
Constituante, aussitôt que les circonstances le permettraient. Aux
deux propositions de la Gauche et du Centre Gauche, de M. Jules Favre et de
M. Thiers, l'Impératrice et le Conseil des ministres, dans leur réunion du 4
Septembre au matin, opposèrent la rédaction suivante « 1°
Un Conseil de régence et de défense nationale est institué. Ce Conseil est
composé de cinq membres. Chaque membre de ce Conseil est nommé, à la majorité
absolue, par le Corps Législatif ; « 2°
Les ministres sont nommés sous le contreseing des membres du Conseil ; « 3°
Le général comte de Palikao est nommé lieutenant général de ce Conseil. » Cet
étrange projet avait si peu de chances d'être adopté, même par la triste
Assemblée à laquelle il était soumis, que le comte de Palikao, après avoir
pris l'avis de ses collègues, substitue le mot Gouvernement au mot Régence
et envoie M. Clément Duvernois proposer cette modification à l'Impératrice.
Le ministre du Commerce rapporte des Tuileries au Palais-Bourbon le
consentement de l'Impératrice au changement proposé, c'est-à-dire, en somme,
à l'abdication ; mais le temps s'était écoulé, la foule menaçait le
Palais-Bourbon et le ministre de la Guerre avait lu à la tribune le projet
non modifié. Qu'importaient
d'ailleurs ces changements in extremis ? Le 4 Septembre, à 2 heures,
pouvait-il être encore question d'un simple expédient ? L'Empire n'existait
plus. On venait d'apprendre que la République avait été proclamée à Lyon ; on
savait, on voyait que les troupes ne défendraient pas l'Assemblée contre le
Peuple. Le plus populaire des députés de la Gauche, après de vaines
tentatives pour assurer le respect du Corps Législatif, dont il espère encore
un vote de déchéance et un mouvement de patriotisme, remonte à la tribune
déjà occupée par les manifestants, déclare que Louis-Napoléon et sa dynastie
ont à jamais cessé de régner sur la France et ajoute, sur les injonctions
impérieuses de la foule, au milieu de ses cris assourdissants : « Oui,
vive la République, allons la proclamer à l'Hôtel de Ville. » Pendant
ces scènes de tumulte, la Commission chargée d'étudier les trois propositions
de MM. Jules Favre, Palikao et Thiers avait adopté la dernière. « Vu les circonstances, la Chambre nomme une Commission de gouvernement et de défense nationale. Une Constituante sera constituée dès que les circonstances le permettront. D Cette résolution ne put être présentée à la Chambre, dissoute de fait. Adoptée par 200 députés, avec les mots « Vu la vacance du trône elle fut portée à t'Hôtel de Ville par M. Grévy. MM. Jules Favre et Jules Simon, délégués par leurs collègues du Gouvernement, vinrent à 8 heures du soir au Palais-Bourbon ils firent connaître aux députés les événements de l'Hôtel de Ville, déclarèrent que le nouveau Gouvernement serait heureux d'obtenir la ratification du Corps Législatif, mais ne pouvait rien changer à ce qui avait été fait. « L'histoire seule, répondit M. Thiers, qui présidait la réunion, peut juger les événements actuels ; mes collègues ne m'ont pas donné mission de vous dire s'ils les ratifient nous faisons des vœux pour votre succès, parce qu'il serait celui de notre patrie. » Tels furent les derniers mots prononcés, dans la grande salle à manger du Palais-Bourbon, au nom de l'Assemblée élue en 1869. Aucune n'a fait autant de mal à la France, depuis que le régime parlementaire existe. Quant aux tentatives qui furent faites après coup par la Commission d'enquête pour démontrer la complicité de la Gauche avec l'émeute, avant le 4 Septembre et le 4 Septembre même, elles ont misérablement avorté. Les véritables auteurs de cette Révolution sans larmes, sans coup de fusil, sans désordre furent les Allemands et leurs seuls complices furent le Gouvernement impérial, M. Emile Ollivier, le comte de Palikao et la majorité du Corps Législatif. |