Une restauration païenne.
Dernier neveu du grand Constantin, échappé comme par
miracle à cette impitoyable loi du salut de l'Empire à laquelle Constance avait
sacrifié le reste de sa famille, Julien souffrit, dans sa jeunesse ; ce qu'il
y a peut-être de plus dur après la mort
: la captivité du corps et celle de l'âme. Relégué, sous une
surveillance matérielle et morale très-étroite, d'abord au fond du palais
épiscopal de l'évêque arien de Nicomédie, Eusèbe ; puis, au fond du château
isolé de Macellum, en Cappadoce, il fut la première victime du secret
découvert par Constance, et appliqué depuis par tant de puissants à leurs
jeunes rivaux, et qui consiste à offrir le royaume du ciel pour consolation à
ceux qu'ils privent du royaume de la terre. Des prêtres, mis auprès de lui à
cet effet, l'initièrent aux mystères de la foi nouvelle, aux dogmes de la
chute, de Ce n'était pas un excellent moyen de faire goûter les
douceurs de l'Évangile que de les présenter à un jeune enfant comme une pièce
du régime de prison auquel il était condamné, et de les gâter encore par
toutes les arguties des discussions à la mode. Julien en contracta de bonne
heure une aversion secrète, mais invincible, contre le christianisme ; il
l'associa aux infortunes, aux douleurs de sa jeunesse, et il le rendit
responsable des superfétations qui le défiguraient. Le jeune homme, parmi les
maîtres et les enseignements dont on l'avait entouré, ne goûta d'abord de
consolation qu'auprès d'un certain Mardonius. Cet honnête et excellent
vieillard avait conservé, dans sa foi nouvelle, une admiration toujours
également vive pour la poésie d'Homère et d'Hésiode, dont on faisait alors, à
la mode des platoniciens, comme le reflet d'une sagesse supérieure et presque
divine. Avec la pétulance d'un esprit éveillé et avide, le jeune Julien
préféra cet enseignement à l'autre, mit Homère au-dessus de Favorisé, un peu plus tard, et sous la direction du
grammairien Hiéroclès et du rhéteur Ecebole, d'une liberté un peu plus grande
ou plutôt d'une chaîne un peu plus longue, Julien, dans Les deux directeurs qui accompagnaient Julien, Hiéroclès, grand amateur de la littérature grecque, et Ecebole, qui changea plusieurs fois de religion au gré de ses souverains, n'étaient point faits précisément pour contenir ce jeune homme, dont l'ardente imagination échappait aisément à leur tutelle. Esprit pratique aussi bien que littéraire, âme positive et contemplative, éprouvant le besoin de savoir autant que de rêver, et d'agir autant que de croire, le jeune Julien épuisa promptement, dans ses excursions à Constantinople et à Nicomédie, les leçons de la grammaire et de la rhétorique. Il désirait ardemment entendre le célèbre Libanius, rhéteur païen redouté des chrétiens ; il se procura au moins en secret ses leçons, s'efforça d'imiter son style et sa manière, au point de surpasser ses meilleurs disciples. L'ardente soif de son cœur n'était point encore apaisée. Éloigné des plaisirs de son âge, tout aux travaux de l'esprit, il voulut enfin remonter des mots aux choses, des formes à l'être, de la rhétorique à la philosophie, comme on disait alors, de la science de la parole à celle de la sagesse, pour mettre d'accord avec ses actions ses idées, et appliquer dans sa vie les principes et les vertus qu'il aurait puisées à cette haute école. Malheureusement, en se détournant du christianisme, pour lequel il n'avait contracté que du dégoût, Julien n'avait d'autre choix que l'hellénisme. On appelait ainsi alors cette école du néoplatonisme qui, après avoir associé la littérature grecque à la religion païenne, la philosophie à la foi polythéiste, le culte des lettres à celui des dieux et la vertu au paganisme, avait recours, depuis Jamblique, à des cérémonies empruntées aux plus secrets mystères des anciens temps, pour remonter aux sources de l'être premier, et qui essayait ainsi de rendre au paganisme épuisé une vie qui lui échappait[2] Ce fut pour satisfaire cette soif de savoir que Julien, au
risque de mécontenter Constance, alla consulter d'abord, à Pergame, le vieil
Édésius, qui tenait de la bouche même du maître Jamblique cet enseignement
qui s'ingéniait à incarner dans les vieilles divinités de L'empereur Constance eut vent des écarts de Julien ; il le
renvoya sévèrement à ses fonctions de lecteur des saintes Écritures, et,
après la mort de Gallus, l'appela même à Milan, pour le surveiller et le
contenir de plus près. Le jeune théosophe fut sauvé peut-être de la mort par
l'impératrice Eusébie, qui le fit passer pour un amateur enthousiaste des
vieilles rêveries de Quel était ce jeune césar, gauche encore sous les habits impériaux qui venaient de remplacer ceux du philosophe ? Il présentait bien des qualités et des défauts contraires. Petit et trapu, avec une physionomie intelligente et originale plutôt que belle sous ses longs cheveux lisses, un regard mobile et jetant parfois des éclairs, un nez long, droit, provoquant, de fortes lèvres ironiques, une barbe inculte et une marche saccadée, Julien joignait une âme élevée et saine à des passions singulièrement maladroites, quelques idées belles et justes à des imaginations folles et à de longs raisonnements faux, un caractère noble et généreux à de grands travers d'esprit. Entêté et opiniâtre, dans des idées qui lui étaient chères, il avait appris des malheurs de sa jeunesse même à les cacher ; il avait cependant plus de prudence que de dissimulation. Simple dans ses mœurs, pur dans sa conduite, sans grands besoins pour lui-même ; bien disposé pour les autres, il n'avait que des passions d'esprit et ne nourrissait d'ambition que pour ses idées[5]. Julien donna la meilleure preuve de son génie en sachant se tirer avec honneur de la position difficile où Gallus avait laissé son honneur et sa vie. Le nouveau césar, parmi les familiers dont on l'avait
entouré, sut s'attacher le stoïcien Salluste, qui devint pour lui comme un
second père, et le platonicien Oribase, son tendre médecin. Il avait pour se
faire des amis un art qui venait du cœur. A force de prudence et de sagesse,
il échappa à la gênante tutelle de ceux qu'on avait mis autour de lui pour
l'empêcher de marcher et de grandir ; il éloigna ou annihila, en les prenant
dans leurs propres pièges, Florentins, le préfet du prétoire, Ursicinus, le
maître de la cavalerie, Barbation, le maitre de l'infanterie, et se saisit
vigoureusement du pouvoir, au lieu de rester seulement entre leurs mains un
mannequin inutile. Appliqué au gouvernement, il arrêta les exactions de
Florentins et diminua les taxes de Tout en déployant, surtout au dehors, les qualités d'un élève du Portique et celles d'un Romain des anciens jours, Julien avait une conduite inattaquable. Vivant simplement, couchant sur la dure, chaste dans un mariage qu'il avait fait avec quelque répugnance, se soumettant à des jeûnes, à des abstinences recommandées par ses dévotions particulières, il assistait aux cérémonies du culte chrétien, qui était alors la religion officielle. Il réservait seulement pour le soir le commerce chéri qu'il entretenait, dans de solitaires incantations, avec Mithra et Isis, ses dieux favoris. Deux fois il écrivit le panégyrique de Constance, son souverain, et d'Eusébie, sa protectrice, gardant aussi pour le secret de ses pensées ou pour ses songes l'avenir et l'espérance. Le lion, dit Libanius, se cachait sous la peau de l'âne. Peut-être n'eût-il jamais réagi aussi vivement contre le christianisme, et ne se fut-il point révolté contre son oncle Constance, si la mort de celui-ci l'avait amené naturellement au trône où sa naissance et son titre de césar l'appelaient. Les principes de l'école stoïcienne l'éloignaient de l'ingratitude et de la révolte en politique, comme de la violence en religion. La jalouse maladresse de Constance dégagea brusquement le sectaire du philosophe, et l'auguste du césar[6]. Julien était assez philosophe pour souffrir que son oncle
s'attribuât toutes ses victoires, dans des bulletins où il ne nommait pas
même le césar qui les remportait en personne à la tête de ses légions ; il
savait que de vils et bas courtisans lui appliquaient le sobriquet de Victorinus ; mais le stoïcisme lui avait appris
le mépris de la gloire et des injures. Il ne fut pas assez chrétien pour
faire le sacrifice de son ambition et de sa vie, lorsque Constance lui
demanda, comme autrefois à Gallus, ses meilleurs et ses plus dévoués soldats.
Ces soldats étaient fort mécontents ; ils avaient mis pour condition à leurs
services qu'ils ne quitteraient point Le paganisme se jeta dans les bras de Julien avec plus d'empressement que Julien ne l'embrassa lui-même. Dès qu'il avait mis, comme césar, le pied en Gaule, une vieille femme avait dit, en le voyant passer : i Voici celui qui relèvera les temples. Depuis longtemps, tous les païens sincères, tous ceux même qu'indisposait le gouvernement tracassier de Constance, ou qui voyaient dans le vieux culte national la condition du salut de l'Empire, espéraient en lui. Dès qu'ils le virent lever l'étendard contre Constance, tous se déclarèrent en sa faveur. Julien, plus hésitant, offrit d'abord de traiter avec son oncle et de partager l'Empire avec lui ; puis, il lui écrivit une lettre railleuse, et adressa au sénat des invectives contre celui qui était l'auteur de sa fortune et qu'il avait loué autrefois. Enfin, on le vit, à peu de temps de distance, assister le jour de l'Épiphanie à la messe des chrétiens et sacrifier à Bellone. Il fit cependant avec vigueur ses préparatifs de guerre, et partit lui-même avec rapidité, à la tête de cinq mille hommes, pour descendre le Danube, consultant les augures païens avec une ardeur plus fiévreuse à mesure qu'il approchait de son adversaire. La mort de Constance épargna à l'Empire une guerre civile. Malgré cette facile victoire, quand la population de Constantinople se précipita de plusieurs milles au-devant du nouvel auguste, ayant en tête son préfet, le célèbre sophiste Themistius, tous ceux qui l'acclamèrent avaient le pressentiment qu'ils allaient assister au retour, à la tentative de rétablissement d'un ordre de choses qu'on avait cru terminé. Julien, seul maitre de l'Empire, apportait au pouvoir, en politique et en religion, des idées bien différentes : les unes claires, sages, vraies pour son temps, les autres obscures, imprudentes, fausses. Il avait à leur service une science vaste mais un peu pédante, un caractère enthousiaste et une volonté opiniâtre, mais susceptibles de céder à de fortes préventions ou à d'entraînantes passions. Pour bien juger son court règne, qui ne dura que deux ans et demi, et qui ne tint ni tout ce qu'il pouvait faire espérer, ni tout ce qu'il pouvait faire craindre, il faut faire deux parts de son gouvernement : l'une politique, et presque toujours raisonnable et sage ; l'autre religieuse, qui fut maladroite, insensée, trop souvent condamnable. En morale et en politique, Julien était l'élève du stoïcisme et de la vieille discipline romaine que, dans l'éloignement des temps, on confondait alors volontiers. Il proclamait lui-même qu'il avait pris pour modèle Marc-Aurèle, l'empereur philosophe, pour la vertu, et Caton pour la sévérité des mœurs. On trouve dans son épître à Thémistius, et dans quelques passages de ses discours et panégyriques[8], l'idée qu'il se faisait de la souveraine puissance. Avec Platon et Aristote, il pensait que, de même que les dieux ont donné les troupeaux d'animaux à conduire à des êtres d'une nature supérieure aux hommes, ainsi, pour gouverner les hommes, il faudrait au-dessus d'eux des êtres surhumains, des dieux. » Puisque cette mission n'appartenait point aux dieux, il répétait que l'homme devait, en prenant le gouvernement de ses semblables, étouffer, selon l'énergique expression d'Aristote, la bête féroce qui monte sur le trône avec un despote ; il condamnait donc l'autocratie, l'omnipotence souveraine, il voulait que le souverain ne régnât pas lui-même, mais qu'il assurât seulement le règne de la loi, cet esprit que ne trouble pas la tempête des passions. Incapable de s'élever à la conception d'une constitution politique, il exigeait du souverain qu'il fit le plus de bien possible aux hommes. Le salut de l'Empire était pour lui dans la discipline morale de l'empereur, qui devait rester maître de lui, pour imiter les dieux. Les hommes devinent, disait-il, et les dieux savent. Je suis maitre de moi, comme de l'univers, tel était son idéal, si souvent démenti par l'expérience. Après avoir posé quelques excellentes règles pour le souverain, applicables à tous les temps et à tous les princes, il formule celle-ci, particulièrement applicable à l'Empire romain : Il faut qu'un prince, aimant également et les citoyens et les soldats, soigne les premiers avec la tendre sollicitude d'un berger qui conduit ses troupeaux dans de gras pâturages, où ils paissent à l'abri de tout danger ; et qu'il inspecte fréquemment les seconds, pour les habituer à la force, au courage et à la douceur envers les citoyens, qualités qui leur sont aussi nécessaires qu'à ces animaux fidèles et de bonne race auxquels on confie la garde des brebis. Cette formule était encore celle du peuple-roi, celle d'un gouvernement militaire, produit de la conquête. Elle pouvait être bonne, relativement à ces temps si durs ; combien elle est encore humiliante pour l'espèce humaine ! Julien fut bien encore, en effet, un empereur romain, quoique dei meilleurs temps. Il ramena l'Empire à une simplicité, à une modestie toutes citoyennes. Il rejeta le nom de Dominas ou de maitre, et toutes les formes de l'adoration orientale. e J'ai demandé un barbier et non un intendant de finances, » dit-il au premier valet de Constance qu'il manda auprès de lui ; et ce mot devint le signal de la réforme de la cour. Il renonça à l'étiquette orientale, au risque de faire dire qu'il exposait le pouvoir au mépris ; la nuée d'eunuques, d'officiers de corps et de bouche, de serviteurs inutiles et avides, qui n'avaient point augmenté, comme on l'espérait, le respect de la monarchie, fut dispersée. Comme lorsqu'il était césar, Julien continua à dormir sur une peau d'ours, à faire des repas si légers, qu'il avait toujours le corps et l'esprit libres. Le palais devint accessible à tout le monde, particulièrement aux philosophes, ou rhéteurs, anciens amis que Julien appela à venir partager sa fortune et à l'aider de leurs conseils. Il n'espérait pas faire beaucoup, dit-il ; mais ils ne devaient pas lui envier leur concours ; c'est à leur tête qu'il voulait combattre contre la corruption et la décadence des temps. Son ancien conseiller et ami Salluste, païen, mais le plus honorable caractère de ce temps, devint préfet du prétoire, à défaut de Chrysanthe, qui ne voulut accepter qu'un gouvernement de province. Julien quitta le sénat de Constantinople pour recevoir Maxime, son premier initiateur aux secrets mystères, et lui confia une des premières charges de l'État, dont le philosophe thaumaturge, il est vrai, abusa pour s'enrichir. Pour lui, tout à ses devoirs, il y consacra même une partie de la nuit, dont il ait voulu cependant donner au moins aux lettres tout ce qu'il dérobait au sommeil[9]. Après un commencement de guerre civile, le nouveau règne
ne fut point inauguré, comme tant d'autres, par une violente réaction contre
les créatures du régime précédent. Une commission constituée à Chalcédoine
rechercha les hommes qui avaient abusé, pour s'enrichir ou pour tyranniser,
de leur puissance auprès de Constance. L'État seul parut au 'moins dans cette
justice et non le souverain. Les empereurs ordinairement n'y mettaient pas
tant de façons et prononçaient en personne. Si la commission, un peu trop zélée,
enveloppa dans la perte de Paulus Les derniers empereurs avaient cru au-dessous de leur majesté d'intervenir personnellement dans la justice, assidûment exercée par les premiers empereurs. Julien reprit cette vieille coutume, qui avait ses inconvénients, cependant. L'été en campagne, l'hiver au tribunal, dit-on de lui. Il allait souvent s'asseoir auprès du préfet du prétoire et au milieu des assesseurs ; il prenait part au drame judiciaire, mais avec une certaine indiscrétion, interpellant quelquefois les avocats lorsqu'ils cherchaient à embrouiller l'affaire, reprenant le juge ou l'accusé, parfois réformant, la loi avec plus ou moins de bonheur par des décisions nouvelles. Il ne savait point contenir sa langue, et quelquefois sa colère. Comme il se connaissait, cependant, il avait autorisé ses préfets du prétoire à le reprendre, à l'arrêter ; et, quand ils le faisaient, il se soumettait toujours. Son intempérance ne nuisit quelquefois qu'à sa dignité, peu à la justice. Il se garda d'ailleurs par principe d'assister aux causes où il s'agissait de la vie de l'accusé. Dans un des panégyriques de Constance, il avait exprimé l'intention d'adoucir la sévérité ou la cruauté des peines portées contre certains délits : t Quant au prince en personne, dit-il, il ne prononcera aucune sentence de mort, il ne frappera de son glaive de justice aucun citoyen, quelque énorme que soit son crime ; son âme ne doit être armée d'aucun aiguillon ; il doit ressembler au roi des abeilles, à qui la nature semble l'avoir refusé. Du droit de vie et de mort trop souvent exercé par ses prédécesseurs, il ne voulut conserver que celui de faire grâce[11]. Il crut pouvoir dire que, sous son règne, la justice exilée était redescendue sur terre. Empereur des anciens jours, Julien (fut-il toujours de bonne foi ?) crut pouvoir faire revivre même les vieilles institutions. On le vit marcher à pied entre les litières des deux consuls, pour leur faire honneur aux grandes occasions ; il se condamna à l'amende pour avoir, contre le droit, affranchi un esclave en leur présence. Le nombre des sénateurs de Constantinople fut augmenté ; ils furent revêtus des mêmes privilèges que ceux de Rome, ce qui n'était maintenant pas beaucoup accorder ; et l'empereur se plut, dans des discours étudiés, à rendre compte de sa gestion des affaires devant eux. Il y eut, il est vrai, un peu de pédanterie, d'étalage d'érudition et d'amour de l'archaïsme dans ces réminiscences. Julien paraissait un peu jouer un rôle et rechercher une popularité facile ; il appelait Salluste son Lælius ; il adressait aux Athéniens l'apologie de sa révolte contre Constance. Ammien Marcellin avoue. lui-même que Julien recherchait dans les petites choses la faveur de la foule, et qu'il était friand de gloriole[12] ; il paraissait relever toujours de la république des lettres et non de la république politique. C'était cependant quelque chose que de rendre hommage à une liberté qui n'existait plus, et de se sentir responsable, ne fût-ce que devant le public d'Athènes. Ce sentiment de la responsabilité améliora les actes du pouvoir absolu. En général, les choix que Julien fit dans l'armée et dans le civil furent bons, sauf quelques-uns où il écouta trop ses prédilections et ses amitiés philosophiques. Il avait juré devant ses soldats, à Lutèce, de n'avoir jamais égard, dans sa distribution des grades et des emplois, qu'au mérite. Une loi flétrit la vénalité des offices encouragée par la faiblesse de Constance, et exploitée par l'odieuse avidité de ses eunuques et favoris ; et, pour sa part, il se montra toujours fidèle à ses maximes, prêt à punir les malversations, à récompenser la bonne conduite, à tous les degrés de la hiérarchie des fonctions. Dans son gouvernement de Gaule, il s'était distingué autant par l'économie de son administration que par ses exploits militaires. A son départ il y avait laissé la capitation diminuée par tête de plusieurs pièces d'or. Le soulagement de l'Empire et la juste répartition des charges furent sa principale préoccupation. L'abolition de privilèges et d'exemptions d'impôts trop facilement accordés à la noblesse de création nouvelle, la fixation du tribut de l'or coronaire qui ne put plus être exagéré, l'autorisation plus discrètement accordée de voyager aux frais de l'État, et des remises nombreuses d'impôts arriérés, en sont une preuve suffisante. Julien, comme il l'avait promis, essaya d'assurer à l'Empire de gras pâturages ; il tint également l'armée dans une stricte discipline, en l'employant, pendant la paix, à construire des forts et à creuser des fossés sur les frontières de l'Empire ; toujours obéi et aimé des soldats, parce qu'il donnait l'exemple de la frugalité et du courage. Le grand pontife, dans Julien, fut loin de valoir
l'empereur. C'est dans ses discours en l'honneur du soleil-roi et de la mère
des dieux, Disciple du panthéisme d'alors, il concevait l'être un,
intelligible, comme le principe, le type de toute perfection et de toute
vertu, soleil de vérité et de beauté, soleil-roi, dont l'astre du jour était
l'expression matérielle, l'image visible et comme l'agent intermédiaire, le
médiateur entre l'être invisible et la création visible. Cette substance une,
immatérielle et matérielle, arrivait par l'émanation à la pluralité des
dieux, intelligibles pour la conscience des hommes et visibles pour leurs
yeux. Les divins artistes de On comprend qu'un empereur qui avait ainsi conçu, médité, écrit son système religieux, ne pouvait être un grand pontife ordinaire. Parent, assesseur du soleil, &men Ose , ayant des intelligences particulières avec la divinité, il devait faire servir le pouvoir, qu'il croyait avoir conquis avec l'aide des dieux, à la restauration de leur culte. Dès les premiers mois qui suivirent son entrée à Constantinople, Julien promulgua un édit pour la réouverture des temples et la célébration officielle du culte des dieux ; et il donna l'exemple lui-même, non pas seulement comme le protecteur de la religion païenne, mais comme le premier et le plus fervent de ses pontifes. Un temple s'éleva dans son palais ; et ses jardins furent consacrés. A son exemple, les gouverneurs des provinces on les pontifes, choisis presque tous parmi les rhéteurs ou les théosophes accrédités du polythéisme, commencèrent à réparer ou à rebâtir les temples, à célébrer les anciens sacrifices, les processions, fêtes et mystères, qui avaient été récemment proscrits. Julien ne fut pas seulement, comme Constantin, le pontife du dehors, mais encore le pontife du dedans. Il enseigna, commenta en paroles et en écrits les dogmes de son culte. Il discuta avec ses adversaires, quelquefois longuement, comme dans sa Défense du paganisme, conservée par Cyrille, parfois un peu sommairement, comme lorsque après avoir lu l'ouvrage de Diodore de Tarse, en faveur du christianisme, il dit, en imitant le laconisme césarien : J'ai lu, j'ai compris, j'ai condamné. On le vit descendre même jusqu'aux fonctions les plus basses des desservants de son culte. Revêtu de brillants habits pontificaux, il apporta souvent le bois pour les sacrifices, souffla le feu, plongea ses mains dans le sang des victimes, sous les railleries mêmes des païens, qui trouvaient ce zèle peu impérial. Il se mêla, dans certaines cérémonies bien dangereuses, aux danses échevelées des jeunes gens et des jeunes filles, au risque de s'exposer aux traits d'une malignité qui ne fit cependant soupçonner jamais sérieusement la chasteté de son veuvage comme celle de sa jeunesse : La chasteté, disait-il, est pour l'homme en vue le vernis avec lequel le peintre fait ressortir les traits du visage sur la toile ; et ce fut un vernis qu'il conserva toujours[14]. Le nouveau grand pontife prétendit en effet garder dans le paganisme la pureté morale qu'il avait puisée dans le stoïcisme, et animer ce culte éteint de l'inspira-ration supérieure, qui était un besoin du temps. Ce n'est point la pierre, le bois, le bronze que nous adorons, dit-il, dans le fragment d'un de ses écrits, mais la représentation des vertus divines. En vertu des mêmes idées, dont il n'est pas difficile de démêler l'origine, le sacerdoce païen lui paraissait devoir inspirer et mériter le même respect, en dépit des imperfections personnelles de ses prêtres. Le prêtre, pour lui, représentait la religion. Il prétendit donc soumettre le sacerdoce païen à des devoirs, à une hiérarchie, à une discipline qui rappellent singulièrement l'organisation ecclésiastique du christianisme. Il voulait que le prêtre enseignât le sens des mythes dans le temple. Il soumit les hiérarques des villes à ceux des provinces ; il apporta un grand soin dans le choix des prêtres, qu'il voulait rendre instruits et vertueux. Pour les moraliser, l'imitation des prêtres galiléens, l'éloignement des cirques, des tavernes, des mauvaises compagnies, la simplicité des vêtements privés, le luxe dans les ornements du culte, la lecture, pour leur édification personnelle, de Platon, de Zénon, le rejet des livres d'Épicure ou de Pyrrhon, surtout des poésies futiles ou licencieuses, leur furent vivement recommandés. Julien voulut leur imposer même des prières à heures fixes, enfin, la pitié, l'hospitalité, la bienfaisance, la charité : C'est une honte, dit-il, que les Galiléens, ces impies, non contents de nourrir leurs pauvres, nourrissent encore les nôtres pour les gagner à leur foi[15]. En tentant cette restauration impossible, Julien eut la volonté d'être tolérant pour les autres cultes, et particulièrement pour le christianisme et le judaïsme. Dans l'édit qui ordonnait le rétablissement solennel du
paganisme, il proclama la liberté des chrétiens et des Juifs. Le grand
pontife ne fut cependant point impartial
: il prodigua les trésors de l'Empire pour la réédification des
temples ; il poussa en général aux emplois, aux charges, les païens ou les
chrétiens qui apostasiaient. Les adorateurs des
dieux, dit Libanius, lui étaient plus chers
que des parents ; l'ami de Jupiter était son ami. S'il ne faisait pas
acception de culte dans la justice, il s'informait cependant d'une façon
inquisitoriale de la religion des parties. La ville de Pessinunte s'étant
adressée à lui dans le besoin, il l'exhorta à revenir au culte de la mère des
dieux. Deux villes étaient-elles en contestation, si les raisons qu'elles
faisaient valoir étaient équivalentes, il penchait pour la ville de son
culte, exemple que, du reste, Constantin lui avait donné : Par Sérapis,
disait-il, je ne veux ni qu'on maltraite les
Galiléens, ni qu'on les force, par de mauvais traitements, à faire quelque
chose qui soit contraire à leur façon de penser ; mais je veux absolument
qu'on leur préfère les adorateurs des dieux. Peu s'en faut que la folie des
Galiléens n'ait tout perdu ; la bonté des dieux nous a sauvés. Il est donc
juste d'honorer les immortels et de distinguer les personnes et les villes
qui les honorent[16]. En vertu de ce principe, Julien ordonna la restitution, au culte païen et à ses pontifes, des domaines et des revenus qui leur avaient été enlevés, et exigea que ceux qui s'étaient signalés dans la destruction des temples contribuassent à leur reconstruction. Il retira même è l'Église chrétienne, comme autant de moyens d'influence, les fonctions judiciaires que Constance lui avait reconnues, et la faculté de recevoir des legs au lit des mourants. Il fallait bien que les tombeaux, ainsi qu'il s'exprimait en parlant des églises, cédassent la place aux temples. Sans se faire scrupule d'user contre les chrétiens de ces moyens extérieurs, Julien affectait de ne vouloir employer dans cette lutte que la force de la discussion. Combien cependant des paroles, tombées de la bouche de l'empereur, pouvaient avoir de puissance, dans un temps et sur des sujets accoutumés à la servilité ! Julien était bien redoutable lorsque, ne pouvant s'élever jusqu'au Dieu qui embrasse l'humanité tout entière dans son amour, il demandait au christianisme ses origines nationales, et désirait savoir des Alexandrins quelle protection, quel bienfait ils avaient reçu de Jésus. L'ironie qui était dans ses habitudes, et qu'il employait contre ses adversaires, rendait d'ailleurs la lutte bien inégale. On le voyait rappeler les évêques orthodoxes qui avaient été exilés sous le gouvernement arien de Constance, et donner toute facilité aux prélats de se réunir en synode ; mais c'était pour mettre en présence les ariens et les trinitaires. Il présidait à leurs discussions ; mais c'était pour prendre acte de leurs contradictions et pour les railler : Écoutez-moi, leur disait-il quelquefois, en les interrompant, les Francs et les Alamans m'ont bien écouté. Ce qu'il ne pouvait souffrir surtout, c'était que Jésus, un Juif, comme il disait, infidèle à la loi de son pays, prétendit bannir de l'Olympe tous les dieux. Il avait moins d'aigreur contre les Juifs qui avaient, du moins à ses yeux, le mérite d'avoir un dieu national susceptible d'entrer avec les autres dans le Panthéon. Encore se lassait-il parfois de leur entêtement : J'ai trouvé, disait-il, en eux des hommes plus brutes que les Quades et les Sarmates[17]. Le pontife sectaire acheva enfin de rendre la lutte inégale entre les deux religions, en signant, de la même main qui écrivait ses ironiques invectives contre les chrétiens et les Juifs, la défense aux chrétiens d'expliquer et de commenter publiquement les chefs-d'œuvre de la poésie et de la prose profanes : Accordez vos pensées avec vos paroles, leur dit-il, dans son édit déclamatoire ; ou, pensez comme les païens que vous admirez ; ou, retournez, si vous les croyez dans l'erreur, à Luc et à Mathieu. Un païen sincère et honnête, Ammien Marcellin, voudrait ensevelir cette action dans un éternel oubli. Elle fut bien sensible aux chrétiens : Nous vous avions laissé, s'écria Grégoire de Nazianze en s'adressant aux païens, les richesses, la naissance, la gloire, l'autorité, tous les biens d'ici-bas, dont le charme s'évanouit comme un songe, et vous voulez nous ravir encore l'éloquence ; c'est pour la conquérir que nous avions traversé les monts et les mers. L'empereur, honteux, voulut faire une exception en faveur du grand Proheresius, qui avait été son maitre. Celui-ci refusa le privilège, et, en descendant noblement de sa chaire, donna cette dernière leçon à son disciple couronné[18]. Il était difficile, à l'époque où vivait Julien, d'allier l'impartialité avec la tolérance, en matière religieuse. L'empereur avait commis une grande imprudence politique en ordonnant au clergé chrétien la restitution des domaines et des revenus enlevés autrefois au sacerdoce païen. N'était-ce point là fournir un prétexte au zèle des gouverneurs, toujours prêts à dépasser les intentions du maître, et provoquer les résistances des chrétiens ? Le retour de la faveur impériale aux païens, après deux règnes chrétiens, et la réouverture de temples abandonnés n'étaient-ils pas déjà de nature à ranimer toute l'ardeur des passions religieuses ? Les païens, qui avaient connu aussi la persécution, étaient prêts à abuser de leur victoire et à essayer à leur tour de la tyrannie. Les chrétiens ne pouvaient contribuer de sang-froid à relever les autels qu'ils avaient cru renversés pour toujours, et voir encenser ces dieux qui leur rappelaient les temps de la persécution. La situation était grosse de troubles. Un gouverneur appliqua à la torture Marc d'Aréthuse, en Syrie, qui se refusa à restituer des domaines déjà aliénés, et ne voulait point payer de dédommagements. Dans une ville de Phrygie, les chrétiens se glissèrent dans le temple nouvellement rouvert, et renversèrent les statues des dieux[19]. Julien, déjà effrayé, ne crut pouvoir réussir qu'en
obtenant des dieux protecteurs de l'Empire romain, des conquêtes, une gloire
qui établissent leur toute-puissance et convainquissent d'imposture tous les
autres dieux. La défense des frontières du Rhin ou du Danube pouvait encore
illustrer son courage. Mais la guerre de Perse avait de bien autres attraits
et promettait de plus belles récompenses. C'était de l'Orient que les dieux
étaient venus à Dans le dernier voyage qu'il fit à travers l'Empire, en
achevant ses préparatifs pour se mettre à la tête des légions, Julien put
être témoin de la fermentation produite par sa malencontreuse entreprise. En
voyant Maris, l'évêque aveugle de Chalcédoine
: Vieillard, lui dit-il, le Galiléen ne te rendra pas la vue. — Je le remercie, répondit l'évêque, de m'épargner la douleur de voir un apostat. A
Césarée, le temple de On surprend aisément, dans les derniers actes, écrits,
édits ou lettres de Julien, la lutte qu'il soutient contre lui-même. Le dépit
éclate en actions contradictoires, en traits de satire et en reproches. Après
avoir rappelé les exilés orthodoxes, Julien prétend qu'il n'a pas entendu par
là les rétablir sur leurs sièges. Athanase avait profité de l'édit pour
reprendre la direction d'Alexandrie ; il s'était permis de convertir de
nobles et riches dames. Julien le renvoie comme un artisan de troubles qui
croit se donner beaucoup d'importance en risquant sa tête. Les païens
d'Alexandrie, dans une émeute, massacrent l'évêque intrus, George de
Cappadoce, qui avait, il est vrai, par ses excès, accumulé sur lui bien des
haines. Une lettre de l'empereur les blâme, mais ne les punit point. Les
chrétiens sont éloignés de l'armée ou des tribunaux, sous prétexte que leur
loi leur interdit de verser le sang. L'Église d'Édesse, persécutrice des
ariens, est privée de ses biens, parce que le royaume des cieux est assuré
aux pauvres. Pour démentir les prédictions du Christ, Julien veut rebâtir le
temple de Jérusalem ; un feu souterrain effraye les ouvriers ; l'empereur
menace de venir bientôt avec Maxime, son hiérophante, chasser les dieux inférieurs.
Ses écrits contre le christianisme deviennent plus aigres ; parfois,
cependant, l'accent en est douloureux
: Galiléens ingrats ! dit-il, n'avez-vous pas quelques grâces à me rendre, à moi qui ai
brisé les fers de ceux qu'avait emprisonnés Constance ; à moi qui ai fait
cesser la persécution ? Sans doute, vous avez
quelques sentiments de piété ; car vous adorez le Dieu tout-puissant et
souverainement bon qui gouverne le monde sensible, ce Dieu suprême que les
païens invoquent sous d'autres noms ; mais croyez-vous donc aussi que nous
adorons ces idoles de bois et de pierre, et que, sous leur enveloppe, nous ne
remontions pas à la cause suprême et unique de toute création. Ah ! c'est la
tiédeur du sacerdoce païen qui perd tout ; pourquoi ses prêtres n'imitent-ils
pas la ferveur des prêtres chrétiens, qui sont tout de feu pour leur
doctrine, et qui, pour elle, n'hésitent pas à affronter la mort ?[21] Ce fut dans ces dispositions que Julien se mit à la tête
de l'expédition destinée à agir contre Il y avait, à ce sujet, une contradiction entre l'inspiration religieuse toute grecque de Julien et la tradition romaine. Les oracles romains, les livres sibyllins, condamnaient ces expéditions au delà du Tigre, qui avaient toujours été si funestes à l'Empire et aux empereurs. Julien, au contraire, tout plein des traditions et des superstitions de l'Orient, à force de sacrifices, croyait, selon les opinions magiques du temps, pouvoir violenter les dieux. Les païens eux-mêmes disaient que s'il revenait jamais de Perse la race bovine disparaîtrait. En partant, il chargea le sophiste Libanius d'écrire ses exploits, et il lui écrivit presque à chaque étape. Tout aux soins militaires, aux sacrifices divins et à la curiosité des lieux célèbres qu'il visitait, Julien arriva sous les murs de Ctésiphon et se dirigea sur Suze. L'ennemi fuyait. A la suite d'une marche pénible, les vivres commençant à manquer, il crut voir le génie de l'Empire s'échapper, la figure et la corne d'abondance voilées, hors de sa tente. Le lendemain, les Perses parurent. Sans se donner le temps de s'armer, l'empereur se précipite en avant ; il donne l'exemple ; les Perses s'enfuient ; mais un javelot lancé par un cavalier l'atteint en plein dans le flanc. On le ramène dans sa tente. Là, il s'entretint longtemps avec Maxime et Priscus des idées qui lui étaient chères, sur la transmigration des âmes et le retour de l'individu dans l'éternel Tout. Quand il s'affaiblit : La nature, dit-il, demande son tribut ; solvable débiteur, je l'acquitte avec joie. Les philosophes m'ont appris combien l'âme est d'une substance supérieure à celle du corps. Je sais que les immortels rappellent souvent de bonne heure auprès d'eux ceux pour qui ils ont une particulière tendresse. J'espère avoir conservé sans tache la puissance que j'ai reçue du ciel et qui en émane. Je remercie l'éternel Dieu de m'envoyer la mort, non par la main d'un traître, d'un bourreau ou d'une maladie, mais sous la forme d'un glorieux congé, après une carrière courte mais bien remplie. C'est être lâche que d'aller au-devant de la mort avant le temps, ou de la redouter quand l'heure est venue. Sur les lieux mêmes où Trajan était mort, c'était finir du moins avec des paroles dignes de Marc-Aurèle[22]. Dans la charmante satire où il apprécie les Césars avec finesse, mais non sans malice, Julien nous a donné la mesure de la justice et de la sévérité qu'il faut lui appliquer. Les dieux sont constitués en tribunal, dans cet écrit, pour accorder la palme divine au plus digne des souverains. Mercure introduit les prétendants ; et Silène, bouffon accusateur de la céleste compagnie, les repousse l'un après l'autre avec ses railleries. Le grand César parait le premier. Prends garde à ta couronne, Jupiter, dit Silène ; il serait capable de s'en emparer. Viennent après lui Auguste le Caméléon ; Tibère, beau, sévère par devant, la lèpre sur le dos ; Caligula le maniaque ; Claude aux abois, sans Pallas ; Néron, le singe d'Apollon. Trajan, trop ami du falerne ; Antonin, trop ami de Vénus, et Marc-Aurèle, trop facile époux, ne sont pas épargnés. Silène laisse à la porte Constantin comme un impie, un ennemi des dieux, qui a cru faire disparaître avec quelques ablutions les crimes de sa vie et les taches de son, corps. Enfin, pour prononcer en connaissance de cause, Jupiter demande aux trois plus redoutables concurrents, César, Alexandre, Marc-Aurèle, le but qu'ils se sont proposé pendant leur vie. Vaincre tout le monde, répond Alexandre. — Être le premier, repart César. —Imiter les dieux, dit Marc-Aurèle. — Et qu'est-ce qu'imiter les dieux ? demande Silène. — S'abstenir soi-même, travailler pour les autres, avoir le moins de besoins pour soi, faire le plus grand bien possible aux hommes. La palme lui est accordée, jugement digne des dieux comme de l'élève de l'empereur philosophe. S'il était permis d'ajouter quelques lignes à la satire des Césars, en introduisant Julien à son tour dans l'Olympe, que trouverait peut-être Silène à lui dire ? Julien, réparateur Maladroit de l'Olympe, césar fanatique du passé, ta as voulu rebâtir le vieil édifice divin, il a craqué ; ta as prétendu convertir les dieux ; ils ont fui, s'en sont allés. Marc-Aurèle ne te remercie point d'avoir voulu l'introduire dans cette compagnie ; tu t'es cru son élève, à tort ; de ton temps, il et été chrétien meilleur que Constantin ; de son temps, tu aurais été persécuteur pire que Galérius. Constantin te sait gré de l'avoir laissé à cette porte ; tu l'as blâmé ; il avait l'esprit moins élevé, l'âme moins douce que toi ; il a mieux jugé, mieux vu. Passable philosophe si tti n'ais été superstitieux, excellent empereur. Si tu n'eus été sectaire, intrépide guerrier, citoyen recommandable, spirituel écrivain, mais qui ne sut jamais retenir sa langue, viens donc, puisque tu l'as voulu, dernier venu de l'apothéose, viens, dans cet Olympe désert, partager avec moi les reliefs de l'encens qui monte et de l'ambroisie qui reste. Je t'en préviens, plus maigre tous les jours est la pitance. Que si tu te prends à regretter, par delà ce visible soleil que tu as adoré, cet invisible Dieu que tu as pressenti, hé bien I essaye de quelqu'une de ces incantations que t'a apprises Maxime, ton maitre ; et si, par hasard, tu arrives à la porte de cet Olympe nouveau où règne le Galiléen miséricordieux que tu as bafoué, frappe, tente l'aventure. Je ne te réponds point cependant que Constantin, pour te faire franchir le seuil, avec le sourire du pardon, t'attire par ta barbe ; ni que le grand Marc-Aurèle, ton maitre, te dérobe et te couvre sous son manteau. |
[1] Liban., t. I, p. 405, 408, 459 ;
III, 437. — Greg. Naz., Orat., III, f. 58.
[2] Nous avons consulté, outre les sources, les derniers travaux faits sur Julien : la thèse de M. A. Desjardins ; Strauss, der Romantiker auf dem Throne der Cæsaren., 1847 ; Schulze, de Philosophia et moribus Juliani Apostat., 1839 ; C. Sœmisch, Julian der abtrunnige, ein charakterbild, 1862. Nous avons relu les quelques pages si pleines de M. Villemain, Eloq. chrét. au IVe siècle.
[3] Liban., l. c., p. 876. — Eunap., Vie de Max., éd. Boissonade, t. I, p. 49 sqq.
[4] Jul., Or., 5, 7, et fragm. — Lib., Or.,
10, 12. — Greg. Naz., Or., 8, 5. — Basil., Ep., 207, 208.
[5] Ammien Marc., XXV. — Lib., 22. — Jul., Misop., p. 338. — Greg. Naz., Or., 5, 53.
[6] Ammien M., XVI, XVII. — Lib., Or.,
3, 10, 12. Socr., 3. — Jul., ad Athen.
[7] Ammien M., XIX, XX. — Jul., Or., 8,
ep. ad Ath., ep. ad Her. — Lib., Or., 10, 12. — Eunape, V.
[8] Jul., Orat. 2, p. 86 sqq.— Ad
Them., p. 200, 253.
[9] Liban., Epitaph. Jul., I, p. 565. — Amm. Marc., 88, 4. — Eus., Hist. eccl., 3, 1.
[10] Lib., Pan. in Jul. Cons., p.
376. — Epit., p. 546, 586. — Misop., p. 339.
[11] Ammien Marc., XXII, 7, 8, 10 ; XXV, 4, 18.
[12] Amm. Marc., XXII, 12, 12 ; XXV, 4,
18. — Jul. Or., p. 244. — Ad Thém., p. 253.
[13] Julien, 4 in sol, p. 181, 188, 148, 159. — Cyrill., C. Jul., 4, p. 115, 131, 141. — Amm. Marc., 21, 1, 6 ; 21, 1. — Lib., Pan., 379 ; πρεσβ. πρός Ίουλ, I, p. 460.
[14] Amm. Marc., XXII, 15 ; XXV, 4, 17. — Lib., Pan. in Jul. Const., I, p. 394.
[15] Jul., Ep. 49, p. 481, 63, p.
458. Fragm., p. 800, 802.
[16] Lib., Epit., t. I, p. 884. —
Jul., Epit., 49, p. 431. — Sozom., Hist. eccl., V, 3, 4.
[17] Lib., Epit., t. I, p. 565. — Sozom., Hist. eccl., V, 10. — Cyr., ch. Jul., VII. — Jul., Epit., 31, 52.
[18] Jul., Epit., 42, p. 422. — Socr., Hist. eccl., III, 12, 16. — Sozom., Hist. eccl., V, 18. — Amm. Marc., XXII, 10, 7 ; XXVI, 4, 21. — Grég. Naz., Or., 4, 5.
[19] Ammien Marc., XXII, 11. — Sozomène, V, 4.
[20] Amm. Marc., XXII, 10, 13 ; XXIII,
3. — Jul., Misop. — Sozom., V, 20.
[21] Socr., Hist. eccl.,
III, 13-15. — Julien, Misop. — Am. Marc., XXIII, 1.
[22] Ammien Marc., XXV, 4. — Julien, Dern. lettres à Libanius.