MARIE STUART ET LE COMTE DE BOTHWELL

 

CONCLUSION.

 

 

Maintenant, pour nous résumer, remettons sous les yeux du lecteur l'ensemble et l'économie de ce travail.

Le comte de Bothwell, au commencement de sa carrière, valut mieux que le reste de l'aristocratie écossaise. Il avait du patriotisme ; la plupart des lords étaient vendus à l'Angleterre. Il fut, quoique protestant, un soutien fidèle de Marie de Lorraine et de Marie Stuart contre l'ennemi extérieur ; à l'intérieur, il tenta de les défendre contre les trahisons de ces nobles, ennemis nés de toute loi, qu'animait encore la Réforme religieuse, comme si elle eût porté avec elle la sanction de tous les attentats contre une reine catholique,

Marie Stuart revenant de France en 1561, admit Bothwell dans son Conseil privé. Mais les intrigues du traître Murray, qui voulait systématiquement éloigner ou perdre les hommes dont il redoutait l'énergie et l'opposition, causèrent et prolongèrent la disgrâce du comte, qui dut quitter l'Écosse. Son exil ne prit fin qu'à la révolte ouverte du Bâtard, lors du mariage de la reine avec Darnley. C'était la seconde fois (1561, 1565) que le rebelle, soutenu de Cecil et d'Élisabeth, tramait la déchéance de sa sœur, pour s'emparer du pouvoir. Un troisième complot (1566) devait mener par le meurtre de Riccio à celui de Marie ou au moins à sa déposition. Une fois encore, l'événement trompa l'attente des conspirateurs.

Parmi les obstacles qui leur barrèrent le chemin, ils trouvèrent Darnley, la veille leur insensé complice dans le crime d'Holyrood, le comte de Bothwell et l'attachement du peuple à la souveraine.

Dès lors, ils prirent le parti de se défaire de Darnley, de Bothwell, et de flétrir dans son germe la popularité qui pouvait être encore le refuge de Marie.

Le seul moyen de détacher d'elle ou au moins de déconcerter le sentiment public, était de la perdre de réputation. Or, chez Murray, cette tactique n'était pas nouvelle. Ses premiers essais dataient du moment où Marie échappée à la tyrannique influence de la faction anglaise, avait choisi Darnley. Aussitôt les correspondances de ce parti, qui auparavant. ne tarissaient pas sur les grâces et les vertus de la jeune princesse, s'étaient remplies de venin et de calomnies. Nous en avons fourni la preuve.

Reprenant à l'automne de 1566, leurs plans antérieurs, qu'ils fixèrent irrévocablement en y adjoignant la mort du roi, ils travaillèrent avec plus d'adresse et de succès à leur quatrième complot.

D'abord, ce Bothwell qu'ils avaient dû renoncer à surmonter par la force ouverte, ils l'attaquèrent par la ruse. Une secrète et feinte réconciliation l'attira dans leurs intérêts. Ils enivrèrent sa grossière convoitise, en lui montrant la main tant briguée de la belle reine et le partage du trône, comme le prix qu'ils lui destinaient, s'il les aidait à se débarrasser de leur ennemi, soit qu'avec eux, il déterminât Marie à un divorce ; soit qu'ayant échoué dans ce commun effort, il ne reculât pas devant l'assassinat. Le comble de l'art, l'art infernal, fut de détruire Darnley par Bothwell, de détruire ensuite Bothwell pour avoir détruit Darnley, et d'englober Marie Stuart dans le châtiment de leur propre complice, sous pré= texte de passion criminelle et de complicité avec lui.

Dans cette vue, ils appliquèrent en grand le système de calomnies, seulement ébauché en 1565. Leurs menées souterraines, conduites avec une science consommée, minèrent d'abord le sol ; un dernier coup de violence l'effondra sous les pieds de leur victime. Ce n'était pas tout que de l'avoir abattue ; il fallait encore empêcher un retour de fortune qui la relevât. Alors, une fois vainqueurs, ils portèrent leur stratégie calomnieuse à sa perfection. Rétrospectivement, ils dénaturèrent et empoisonnèrent toutes les actions de l'infortunée, même les plus simples ; ils créèrent de toutes pièces la fable de ses amours avec Bothwell, base du drame dont Buchanan se chargea de supposer l'histoire précise et détaillée ; il écrivit la Detectio, un des plus tristes témoignages de ce que peut recéler de bassesse et d'effronterie, le fond de l'âme humaine. Abandon des affaires publiques à Bothwell ; étalage scandaleux de son adultère, outrages quotidiens, perfidie, haine sanguinaire contre un mari qui s'obstinait à l'aimer : il imputa à une femme irréprochable, toutes les fureurs, toutes les hypocrisies, et cela d'un ton si assuré, qu'au premier abord, la réplique de la défense à l'accusation parerait impossible.

Elle le serait peut-être, si eux-mêmes, avant l'entier accomplissement de leurs desseins, ne nous avaient pas laissé, et par leurs propres écrits, de quoi les confondre. En effet, comme il ne dépendait pas d'eux, quelque décidés que fussent en principe, et de longue date, leurs projets. de trahison, de savoir au juste en 1566, ni à la première moitié de 1567, ce qu'ils feraient à la seconde moitié de cette année, et les années suivantes, ils relatèrent dans leurs correspondances particulières les faits du jour, tels qu'ils se passaient sous les yeux de tous, les racontant fidèlement et sans songer à mal, si l'on peut employer de tels mots en parlant de telles gens.

Outre leurs correspondances il y avait celles de témoins impartiaux, les actes authentiques du gouvernement, ses registres de diverses sortes, les comptes des finances, les pièces certaines, en un mot, qui subsistaient dans les archives. Elles pouvaient servir un jour à faire revivre la vérité, à constater les actions réelles de la prisonnière, et par conséquent à la justifier des accusations entassées contre elle. Mais que leur importait, eux vivants et seuls maîtres du pouvoir et de ses secrets, en Angleterre comme en Écosse ? Ils calomnièrent donc à leur gré, sans scrupule et sans péril.

Enfin, pourtant, après plusieurs générations, la lumière Se leva. Peu à peu ces pièces, témoins longtemps enchaînés, recouvrèrent leur liberté. Dès lors l'histoire put s'éclairer et s'instruire. Nous les avons étudiées ; et avec elles, nous avons démontré contre les allégations de la Detectio que Marie n'eut pas d'intrigue avec Bothwell durant l'été de 1566 ; qu'on l'a calomniée sur ses prétendues prodigalités, sur le voyage d'Alloa en juillet, le voyage d'Édimbourg en septembre, le voyage et la maladie de Jedburgh en octobre ; sur la question de divorce avec Darnley ; sur la conduite insultante qu'on lui attribue envers celui-ci dans ces diverses circonstances, notamment au baptême de leur fils en décembre de la même année. Nous avons établi que les dissentiments trop fréquents par malheur entre les deux époux, étaient purement politiques et provenaient de la prétention inadmissible du prince d'être le maître dans le gouvernement ; que Marie, profondément affligée des emportements de Darnley, s'efforçait de le ramener, prête à lui rendre son amour ; qu'elle pourvoyait largement à ses besoins, bien loin de le condamner aux humiliations de la pauvreté ; que, dès qu'elle le sut malade de la petite vérole à Glasgow, au mois de janvier 1567, elle lui envoya son propre médecin, quoique malade elle-même et inquiète pour son enfant, et qu'elle promit d'aller le voir, quelque redouté que le fléau fût encore à cette époque. Armé des lettres des agents anglais, nous avons fait justice de l'accusation d'empoisonnement sur son mari. Muni des registres du sceau privé, nous avons rétabli la date exacte du voyage de Glasgow, avancée malicieusement par le journal de Murray, autre document fabriqué en même temps que la Detectio, et qui, comme ce pamphlet, ne parle que pour mentir.

Ainsi, et nous appelons de nouveau l'attention sur ce point fondamental, on possède aujourd'hui, d'après les originaux, grâce aux recherches des historiens écossais et anglais, l'histoire sincère et spontanée que les bourreaux de Marie Stuart essayèrent d'étouffer sous l'histoire fausse et parasite qu'ils forgèrent après coup. On peut donc restituer à cette tragédie son vrai caractère, celui d'un complot de l'aristocratie contre la royauté, sans aucun mélange de vengeance domestique.

La rectification de la date du voyage de Marie Stuart à Glasgow, et l'étude approfondie des quatre premières lettres qu'elle aurait écrites à Bothwell, nous ont permis de mettre en évidence les impossibilités et les contradictions morales et matérielles dont elles fourmillent, et de les rejeter hors des pièces de Conviction, en sûreté de conscience, comme issues des impurs auteurs de la Detectio et du journal de Murray. Des raisons non moins concluantes s'élèvent contre l'intégrité des trop fameuses confessions de Paris.

Quant au choix de la maison de Kirk-of-Field et aux préparatifs du crime, il est résulté des pièces produites par les accusateurs eux-mêmes, que ce ne fut pas l'œuvre de Marie Stuart, ni même de Bothwell, mais de ceux qui bientôt les en accusèrent. De deux circonstances dont on a tiré les inductions les plus graves contre la reine, la substitution par son ordre d'un vieux lit à un beau lit, et l'enlèvement d'une couverture précieuse dans la maison de Kirk-of-Field ; la première est une fable, et la seconde s'explique naturellement. Si l'on en vient aux circonstances du meurtre, on reconnaît qu'il n'en est point où Marie Stuart soit impliquée directement ni indirectement ; et que certaines, au contraire, établissent qu'elle n'était pas du complot. Cette démonstration acquiert d'autant plus de force qu'on la puise dans les dépositions que les ennemis victorieux de Marie Stuart arrachèrent à plusieurs des coupables, dépositions qu'ils falsifièrent ensuite et produisirent sous la forme qu'il leur plut. Qu'il y ait eu falsification, c'est ce qui est manifeste, entre autres indices, en ce que ces témoignages tels que la faction aristocratique nous les a transmis, affirment la mort de Darnley par la poudre, tandis qu'il est avéré qu'il avait été étranglé ou étouffé hors de la maison, avant l'explosion.

Marie Stuart, dit-on, était coupable, car elle demeura inactive après le crime. Nous avons montré qu'elle agit tout de suite, et qu'elle fit ce que pouvait une malheureuse jeune femme, sous la puissance des assassins, qui devaient évidemment tout mettre en œuvre pour empêcher la découverte de la vérité, et pour épaissir les ténèbres autour de celle qu'ils voulaient perdre. On l'accuse d'être allée se réjouir à des parties de campagne avec Bothwell. Or, une des lettres véridiques que ses ennemis s'écrivaient, quand ils n'étaient pas sur leurs gardes, ruine ce mensonge. On attribue au comte de Lennox le rôle du père indigné, s'efforçant de ramener une insensible belle-fille aux devoirs sacrés qu'elle brave ouvertement. Il n'en est rien. C'est lui qui n'agit pas ; et on ne peut lui attribuer un beau personnage qu'en tronquant, c'est-à-dire en dénaturant sa correspondance. Ce Lennox, avec son ambition, son esprit d'intrigue, ses mauvais conseils à son fils, sa haine de tout temps contre Marie Stuart, ne mérite que blâme et répulsion, comme l'un des principaux auteurs de tant de catastrophes.

Tandis que les seigneurs, les vrais coupables, égaraient les recherches après l'assassinat, ils s'efforçaient d'égarer aussi l'imagination populaire et de lier peu à peu Marie Stuart à Bothwell dans l'esprit et l'indignation publics. Bientôt Murray quitta l'Écosse, abandonnant sa sœur aux menées impitoyables de Morton et de Lethington. Ceux-ci, tout en prenant leurs mesures secrètes en Écosse et en Angleterre pour diffamer la souveraine, et faire crouler son trône, affectèrent de tenir leurs promesses à Bothwell. Ils lui procurèrent une absolution éclatante devant la, justice légale du pays, et la sanction du parlement qui s'ouvrit immédiatement après. Eux-mêmes enchérirent dans l'acte fameux par lequel ils se déclarèrent prêts à combattre, jusqu'à extinction, quiconque essayerait de jeter le doute le plus léger sur son innocence ; et ils le recommandèrent avec instances à la reine, comme l'époux le plus digne qu'elle pût et dût choisir.

Marie, quoiqu'ils eussent empêché la vérité de pénétrer jusqu'à elle, refusa d'épouser Bothwell. Alors, cet audacieux bandit, muni du bond d'assassinat contre Darnley, qu'ils avaient signé six mois auparavant, et du nouveau bond d'Anslie, certain de leur concours ou au moins de leur inaction, employa la violence contre la personne de la reine. Il l'enleva aux portes mêmes d'Édimbourg, comme elle revenait de Stirling où elle avait visité son fils, et l'entraîna jusqu'à Dunbar. C'est à faux qu'elle est accusée de collusion. Vainement les lords produisirent, en 1568, trois lettres qu'elle aurait écrites à Bothwell pour combiner ensemble cet enlèvement ; et, en 1569, la déposition de Paris qui lui aurait servi de messager. Nous avons fait voir que pas plus que les lettres de Glasgow, celles de Stirling, étudiées en elles-mêmes et dans leurs rapports avec les documents sur lesquels on les appuya, ne soutiennent la discussion.

Qu'une entente coupable existât entre une partie des acteurs, cela est incontestable, mais entre Bothwell et les lords. Il suffit pour s'en convaincre, de se reporter à leur conduite ultérieure, aux documents supposés qu'ils forgèrent ensuite, afin de rejeter sur Marie l'odieux de leur propre conduite ; aux mensonges qu'ils débitèrent sur ces événements ; à l'immobilité qu'ils gardèrent pendant que la captive subissait les derniers outrages à Dunbar ; au courroux soudain qui les transporta contre Bothwell, au bout de vingt jours, après que tout fut consommé ; et que, le mariage célébré, il n'y avait plus à en revenir. Marie Stuart tomba, non par des crimes à elle personnels, mais par la trahison qui, opiniâtrement implacable, s'acharna contre elle dès sa naissance. Pas une des circonstances vraies de cette période si cruelle de son existence, ne décèle de sa part ni amour, ni seulement complaisance pour le ravisseur. Au contraire, on y voit clairement la résistance et le désespoir, dénoncés par la rapide altération de son visage.

Cette vie de douleur n'avait pas duré un mois depuis la funeste union, que les lords se soulevaient sous prétexte de délivrer la reine de son esclavage. Quoi qu'on dise de l'ardeur guerrière déployée par Marie dans la campagne de Dunbar à Carberry-Hill, il est certain qu'au fond elle détestait le sang et souhaitait la conciliation et la paix. Cela est si sûr, que dès que les rebelles lui eurent fait offre d'obéissance comme à leur reine légitime, pourvu qu'elle consentit à se séparer de Bothwell, elle congédia celui-ci, en stipulant toutefois qu'il pourrait se retirer librement — car pouvait-elle livrer l'homme qui était son mari ? —, et descendit tout droit au camp des seigneurs.

Ici, nouveaux mensonges pour colorer une nouvelle trahison : c'est-à-dire l'on suppose que, maîtresse d'elle-même jusque-là, elle s'enflamme à l'improviste d'une fureur inexplicable, vomit l'injure et la menace contre ceux qui l'entouraient, et les réduit, bien malgré eux, à la dure nécessité de la désarmer en lui ôtant sa couronne. Sans cela, on n'aurait jamais vu plus fidèles sujets. Ces fidèles sujets ont jugé à propos de taire dans leurs narrations, les cris de mort qu'ils proférèrent, dès qu'elle fut en leur pouvoir ; et, preuve manifeste de trahison préméditée, l'horrible enseigne qu'ils déployèrent, eux les assassins de Darnley, cette bannière où l'enfant à genoux près du cadavre de son père, appelait le courroux céleste sur une mère qu'il calomniait de sa bouche innocente. Qui ne comprendra qu'alors le cœur de la prisonnière se déchira, et, que plus désespérée peut-être des circonstances de la trahison que de la trahison elle-même, elle eut une heure d'égarement. Ainsi, bien loin de provoquer le manquement à la parole donnée, l'égarement le suivit, comme l'effet suit la cause ; et, sur cette révolution en elle-même comme sur tous les événements qui l'amenèrent, la vérité est précisément le contraire de ce que les ennemis de Marie Stuart ont avancé et accrédité.

Contentons-nous ensuite d'un mot sur le traitement barbare qu'ils infligèrent à la malheureuse reine dans la maison de Preston ; sur leur perfidie pour l'abuser encore et empêcher par elle les bourgeois d'Édimbourg de la délivrer ; sur la brutalité de sa translation à Lochleven ; les impostures et les contradictions du bond et du warrant, qu'ils destinèrent à légitimer la détention de leur souveraine, pendant qu'ils fermaient l'oreille à sa demande d'un débat public devant les trois États du royaume, comme juges ; leur invention d'une prétendue lettre de Marie à Bothwell, afin de se dégager vis-à-vis Kirkcaldy, et de le dégager vis-à-vis la prisonnière, des promesses solennelles de fidélité, qu'il lui avait portées eu leur nom à Carberry-Hill ; l'adresse de Lethington à noircir Marie près de l'ambassadeur français.qui, dupe de cette stratégie, trompa aussi la cour de France, et fournit, pour déserter la cause de l'opprimée, des prétextes à la haine de Catherine de Médicis.

Mais Élisabeth se lève, irritée de la rébellion des sujets contre le prince, pleine de menace. Elle charge Throckmorton d'aller signifier aux Écossais de remettre Marie à la fois en liberté et sur son trône. Parade dérisoire : personne n'ignore qu'elle triomphe en son cœur de la chute de sa cousine ; qu'elle n'aura garde de lancer la foudre, que le voulût-elle, son ministre Cecil lui retiendrait le bras, Cecil occupé depuis bientôt dix ans à renverser la reine d'Écosse. Les lords écossais ont d'ailleurs un sûr moyen de paralyser cette colère retentissante, c'est de se targuer de l'amitié, des offres prétendues de la France. Quant à la France, si elle était tentée d'intervenir, ils lui opposeraient l'épouvantail de l'Angleterre.

Couverte ainsi des deux côtés, d'accord au fond avec le ministre, ils réduisent l'ambassadeur officiel d'Elisabeth à l'inaction, l'enferment dans un rôle stérile et ridicule. Énergiques, rusés, maîtres de la force militaire, plus habiles que les Hamiltons déconcertés, ils refoulent l'opinion publique que leurs propres récits nous montrent contraire à leur entreprise, et courent au but. C'est le moment de redoubler le mensonge et la calomnie ; leurs mains en sont remplies, leur route en est jalonnée. Mais, aujourd'hui, cette arme de victoire se retourne contre eux. Nous avons étudié le mémoire qu'ils rédigèrent pour Élisabeth, acte d'accusation contre Marie Stuart, panégyrique de leur vertueuse insurrection ; et nous y avons saisi l'imposture à toutes les lignes. Leur procédé est simple : -ils imputent-à Marie tous les événements qui sont de leur propre fait. Afin que rien ne manque au tableau, les hypocrites se frappent la poitrine au souvenir de leur timide longanimité en présence du scandale et du crime — dont ils ont été les auteurs — ; ils n'ont pas d'autre intention que de guérir la reine de sa passion pour Bothwell, et de mettre ses jours en sûreté contre les futurs attentats de celui-ci. En finissant, les mêmes, ces bons serviteurs, qui ont déjà pris la vie de Darnley, indiquent par une transparente insinuation, qu'ils prendraient-celle de sa veuve, pour peu sans doute qu'Élisabeth voulût s'y prêter.

D'autre part, ils cherchent à épouvanter Marie à Lochleven. C'est sans détour qu'ils lui montrent la perspective de l'assassinat, si elle refuse l'abdication qu'ils exigent. Quand ils lui ont ainsi extorqué sa signature, ils proclament et jurent qu'elle a, de son plein gré et de son propre mouvement, déposé la couronne en faveur de son fils. Ils supposent effrontément que dans cet acte, la reine les a chargés d'assembler les trois États pour recevoir son abdication ; que les trois États assemblés, à la fin de juillet 1567, l'ont reçue en effet — quoique les États n'aient pas été assemblés avant le mois de décembre suivant —, etc. C'est-à-dire que d'un bout à l'autre de ces révolutions, les ennemis de Marie Stuart n'ont trouvé que des faussetés pour légitimer sa déchéance.

Cependant, Bothwell unique objet de leur colère et de leur soulèvement, à ce qu'ils prétendaient, les lords l'ont laissé regagner Dunbar ; et ils l'y négligent de longs jours, comme s'il n'était plus de ce monde. Ils ne le poursuivent qu'après l'avoir averti de fuir, de peur de le prendre si près d'Édimbourg, parce qu'il faudrait le juger et s'exposer aux révélations d'un homme furieux et désespéré. S'ils le saisissent aux Orcades, on s'en défera sur-le-champ et l'on publiera ensuite, comme de lui, telle confession qu'il conviendra. Mais il échappe et gagne la Norvège ; toutefois, juste rémunération, il y trouve la captivité. Le roi de Danemark refuse néanmoins aux régents d'Écosse et à la reine d'Angleterre de le livrer, parce qu'il soupçonne de leur part quelque grande iniquité, où il a résolu de ne pas tremper. Il tire enfin de Bothwell, terrifié par la maladie, la confession de son crime, les noms de ses complices, la déclaration de l'innocence de Marie Stuart. Alors, d'une main, il ensevelit le coupable au fond d'un donjon, tombeau anticipé ; de l'autre, il envoie en Angleterre et en Écosse des copies authentiques de ces redoutables aveux. Élisabeth et Morton se hâtent de les supprimer. Mais le contenu de ces papiers a transpiré, et ils ont laissé des traces assez marquées, pour qu'on ne puisse pas élever de doutes raisonnables sur leur existence, ni sur l'impossibilité où se sentirent les ennemis de Marie Stuart, d'en méconnaître la portée et l'origine.

La même année, le même mois où Bothwell justifiait la captive d'Élisabeth, la mère de Darnley rendait témoignage en faveur de sa belle-fille. Longtemps son ennemie, elle avait enfin pénétré le mystère atroce, où son fils avait trouvé la mort ; sa bru, la ruine. Quelles mains s'étaient acharnées contre son propre sang, quelles bouches avaient calomnié l'épouse, elle le savait depuis quelques années. Dès lors, comment une vive et certaine lumière s'était faite en elle, comment une sincère révolution avait ramené son âme tout entière à celle que naguère elle maudissait, Marie Stuart l'avait dit en plus d'un endroit de sa correspondance. Mais ses adversaires en riaient dédaigneusement, comme du mensonge systématique, penchant et besoin des coupables. La lettre retrouvée, du 6 novembre 1575, a vengé la véracité de Marie. Oui, sa belle-mère et la famille de sa belle-mère lui avaient rendu sa place au foyer désolé par le crime d'autrui. Oui, elles faisaient cause commune avec elle, contre les assassins les traîtres, démasqués. Oui, elles lui souhaitaient cordialement la fin de ses épreuves, bonheur et longue vie ; elles aspiraient au moment où réunies autour d'elle, elles l'aimeraient, la serviraient, l'honoreraient comme leur reine, leur fille et leur sœur.

Vœux impuissants alors contre l'inextricable infortune de celle qui en était l'objet, autant que secourables et d'un poids décisif devant une époque impartiale. Leur véridique spontanéité n'achève-t-elle pas d'arracher les voiles et d'imprimer la flétrissure à ce chef-d'œuvre d'iniquité ?

L'histoire n'est que trop riche en scènes de trahison ; mais nous ne croyons pas qu'il se trouve sur un autre théâtre, rien de plus complet ni de plus révoltant. Tout ce qui peut rendre de tels attentats particulièrement odieux, se rencontre ici : caractère pur et généreux de la victime ; absence de tout grief personnel chez les conspirateurs qui, dès le premier jour s'étaient attaqués à un berceau ; audace et persistance inouïe des trames ; atrocité froide du but et des moyens ; noire ingratitude des coupables qui, comblés de bienfaits, graciés par une clémence inépuisable autant que peu sage, reprennent leurs desseins après chaque tentative manquée et pardonnée, et y ajoutent de sang-froid quelque nouvelle combinaison plus horrible ; hypocrisie enfin, lorsque parvenus au terme de leurs vœux, ayant emprisonné et détrôné la reine, cherchant l'occasion de la tuer, ils veulent aussi lui prendre l'honneur et forgent contre elle, au nom de la morale et de la religion, tout un monde de calomnies.

Rien d'humain, et c'est là le trait le plus repoussant de cette lamentable tragédie, rien d'humain, ce semble, ne vibrait chez les ennemis de Marie Stuart. Comme la bête, avec la calme férocité de ses instincts, s'évertue et rampe, tantôt s'approchant de la proie, tantôt reculant jusqu'à l'instant de bondir ; ainsi, ces nobles dans leur chasse, tour à tour sournoise et furieuse contre une femme sans reproche et sans défense, ne connaissent pas un instant le remords ou même l'hésitation. A leurs côtés, Élisabeth, la colonne de leur faction, toute de bronze dans sa haine inextinguible, se repaît vingt années de la convoitise du sang, jusqu'à ce qu'elle arme le bourreau ; et pour achever, les générations abusées par ces fraudes gigantesques, comme si la barbare exécution après tout n'était qu'un châtiment, la ratifient de siècle en siècle ; ceux-ci en juges impitoyables, le plus grand nombre pourtant, le cœur serré. Car à voir la pauvre reine invincible à l'adversité, gravir héroïque et douce les degrés de l'échafaud, ceux qui la croient coupable, s'émeuvent d'une expiation qui a épuisé si longuement toutes les angoisses. Un tel spectacle de grandeur simple et vraie, déconcerte leurs préventions.

Mais innocente, quel martyre ! quelle agonie sur la voie douloureuse ! Quelle destinée plus digne de larmes ! Et quelle victime eut jamais plus de droits à la vérité, à la justice- de l'histoire ? Nous avons cru qu'une si noble cause, examinée récemment à nouveau en Angleterre avec autorité, talent et lumières, méritait d'être portée aussi devant le public français ; qu'elle pourrait y être défendue, gagnée : — heureux, si le lecteur ne nous a pas jugé trop inférieur à notre ambition.

 

FIN DE L'OUVRAGE