MARIE STUART ET LE COMTE DE BOTHWELL

 

VI. — L'ASSASSINAT DE DARNLEY.

 

 

Marie Stuart et Darnley, retournant à Édimbourg, quittèrent Glasgow le lundi 27 janvier 1567. Tout le monde est d'accord sur cette date. Voyageant à petites journées, ils couchèrent le premier jour à Callendar, les deux nuits suivantes à Linlithgow. En ce dernier endroit, ils prirent un arrêté nommant Andrew Ferrier gardien de leur palais dans cette ville. Cet arrêté, inscrit au registre du sceau privé, sous la date du 28 janvier 1567, et coïncidant si bien avec le séjour de la reine en ce lieu, nous fournit une raison de plus de croire à l'exact enregistrement des actes, dont nous avons conclu que Marie était encore à Édimbourg les 22 et 24 du même mois. Le cortège royal cheminait lentement, sans doute afin de ménager le prince convalescent et de laisser à ceux d'Édimbourg le temps de préparer un autre endroit où il purgeât sa quarantaine, puisqu'il n'avait pas voulu de Craigmillar. Tous les témoins affirment qu'une réconciliation sincère avait rapproché les deux époux. Nous nous abstiendrons toutefois de les citer, parce que les juges contraires à Marie Stuart ne contestent pas qu'elle ait donné des marques de tendresse à son mari ; ils soutiennent seulement qu'elles servaient d'appât pour attirer le malheureux vers la mort qu'on lui préparait. Nous disons que c'est du côté d'Édimbourg, vers Murray, Maitland de Lethington, Bothwell et Morton, qu'il faut regarder pour découvrir le complot régicide. De degré en degré, ils approchent du but.

En effet, c'était au commencement d'octobre 1566, que Murray avait signé avec Bothwell un bond de réconciliation ; au commencement de décembre qu'ils avaient offert à Marie les moyens de divorcer ; que, sur le refus de la reine, sir James Balfour avait dressé le bond par lequel les seigneurs présents à la cour s'étaient engagés à se débarrasser du roi, qualifié de tyran et d'insensé. Le même mois, aidés de l'Angleterre, ils avaient arraché à une reine trop clémente le rappel de Morton, non sans avoir exigé préalablement de celui-ci son adhésion à leurs desseins. Leur faction ainsi réorganisée, le moment était venu de serrer les rangs et de marcher à l'un de ces assauts contre la royauté, si fréquents dans l'histoire d'Écosse. Morton, avant de quitter l'Angleterre, écrivit à lord Cecil (Berwick 10 janvier 1567) une lettre de reconnaissance pour les services qu'il avait reçus de lui durant son exil, et pour son rappel que le comte de Bedford venait de procurer ; il joignit l'offre de ses services ultérieurs en Écosse[1]. Quelques jours après, il était au château de Wittingham, qu'il tenait des bienfaits de Marie Stuart, et dont Archibald Douglas, son cousin, avait la garde. Ce manoir, non loin de la capitale, caché dans les épaisses forêts du : comté d'Hadington, était propice aux conciliabules mystérieux. Bothwell et Lethington y vinrent trouver Morton et Archibald[2]. Il s'agissait de le gagner non plus au principe du complot, ce qui était fait depuis un mois, mais de le déterminer à l'exécution. Outre ses griefs comme noble, il avait des griefs personnels contre Darnley qui lui disputait le droit de succession au comté d'Angus[3], et qui s'était opposé violemment à sa réintégration dans sa patrie et dans ses biens. Chez une telle aristocratie et à une telle époque, il n'en fallait pas tant pour faire sortir le poignard de la gaine. Mais Morton rentrait de l'exil que lui avait mérité l'assassinat de Riccio ; quoique la peine ne fût guère en proportion du crime, il l'avait ressentie profondément ; et, avec une prudence qu'on n'attendait pas de lui, il répondit aux instances de Bothwell, le plus pressant de ses interlocuteurs, que pour avoir trempé dans la mort de David, il avait éprouvé de grandes peines dont il n'était pas encore tiré entièrement, qu'il ne voulait pas s'exposer à y retomber. Bothwell ne se décourageant pas et lui affirmant que la reine désirait qu'on la débarrassât de son mari, Morton demanda comme sûreté un écrit de la main de la reine : Car, dit-il, les femmes savent fort bien dire et se dédire. Dans ce cas seulement, je vous donnerai une réponse ; sinon je ne me mêlerai pas de l'affaire. Et cette garantie, ajoutait-il, on ne me l'apporta jamais[4]. C'est ainsi qu'il s'exprima en 1581, au moment où sa tête allait tomber sous la hache en punition de sa complicité dans l'assassinat de Darnley ; complicité beaucoup plus grande qu'il ne voulut l'avouer, même à l'heure dernière. Archibald Douglas accompagna en son nom Lethington et Bothwell à Édimbourg avec mission de recevoir l'écrit de la reine. Mais il rapporta ce simple message du secrétaire : Dites au comte de Morton que la reine ne veut pas entendre parler de l'affaire dont il a été question avec lui. Là-dessus, Morton quitta Wittingham et alla visiter son neveu le comte d'Angus, à Saint-André. Archibald le poursuivit dans cette ville avec une nouvelle lettre de Bothwell qui lui annonçait l'imminence de l'exécution et le pressait de leur donner son aide effective. Morton affirme qu'il répondit encore par un refus péremptoire, tant qu'il n'aurait pas l'écrit de la reine, qu'on lui avait promis ; et, dit-il pour la seconde fois, cet écrit ne lui fut jamais apporté. Cette affirmation réitérée est du plus grand prix[5]. M. Mignet, néanmoins, ne se prononce pas (t. I, p. 257). Bothwell s'était-il trop avancé en se prévalant à tort du nom de Marie, ou bien Marie se refusait-elle seulement par prudence à laisser voir sa complicité ? Nous croyons pouvoir être plus hardi. Quand Bothwell, sans se lasser, pressait de nouveau Morton par lettres à Saint-André, ne devait-il pas avoir alors en sa possession les quatre lettres que sa maîtresse lui avait écrites de Glasgow ? ne suffisait-il pas de les communiquer au conspirateur récalcitrant pour faire tomber aussitôt ses hésitations ? Quelques mois plus tard, Morton jugera les mêmes lettres très-convaincantes contre Marie Stuart ; assurément elles l'eussent contenté en février. Il faut donc croire que Bothwell avait usurpé le nom de la reine, qu'il n'avait aucun écrit de cette princesse à produire, et conclure par un argument de plus contre l'authenticité des lettres.

On doit, sans aucun doute, rattacher à la conjuration les bruits répandus pendant la première moitié de janvier contre les plans insurrectionnels de la cour de Glasgow, et les efforts des ministres de Marie pour obtenir d'elle un ordre d'arrestation contre le roi. Précédemment, n'ayant pas pu la décider au divorce, ils avaient rédigé le bond pour se délivrer de lui par quelque moyen ; maintenant, ne pouvant pas empêcher la réconciliation, ils en vinrent aux dernières extrémités.

Ici posons bien les faits. Nous avons établi, d'après la déposition de Nelson, un des serviteurs du roi[6], celle de Thomas Crawford, et en conformité avec les lettres mêmes de Glasgow[7], que la reine était partie d'Édimbourg avec l'intention de ramener Darnley à Craigmillar où elle avait fait faire des apprêts ; mais que la répugnance du roi pour ce lieu l'avait décidée à y renoncer. Elle fut donc obligée de s'en remettre à d'autres du soin de découvrir et d'accommoder une maison qui, sans être dans la ville, fût aussi proche que possible d'Holyrood, et en même temps bien située pour un homme relevant de maladie. Qui chargea-t-elle de cette recherche ? Bothwell, disent ses ennemis. — Mais, et nous allons nous servir de leurs propres assertions et de leur chronologie pour les convaincre de mensonge, quand le journal de Murray porte que Bothwell, après avoir accompagné la reine jusqu'aux environs de Glasgow le 23 janvier, revint la même nuit à Édimbourg, qu'il employa la journée du 24 de très-bonne heure à visiter le logement que l'on disposait pour le roi, et partit le même soir pour le Liddisdale[8], il énonce une impossibilité flagrante. En effet, ayant quitté la reine tard dans la journée du 23 pour regagner d'une traite Édimbourg, à soixante milles de Glasgow, il n'était pas possible matériellement que Marie Stuart eût dès le soir de son arrivée, le 23 janvier, réglé avec Darnley qu'ils n'iraient point à Craigmillar et dépêché un exprès à Bothwell, de telle sorte que celui-ci fût déjà occupé le 24, de très-bonne heure, à examiner la maison que l'on préparait pour le roi à Édimbourg. D'ailleurs la première des lettres prétendues de Marie Stuart, datée du 24, parle deux fois du seul Craigmillar auquel Darnley acquiesce pleinement[9]. De même dans la seconde lettre, le 25, c'est encore à Craigmillar que la reine annonce à son complice qu'elle amènera l'homme le lundi, c'est-à-dire le 27 janvier. Ainsi, sans sortir du système des adversaires de Marie Stuart, il est absurde de représenter Bothwell, comme occupé le 24 d'approprier la maison d'Édimbourg ou de Kirk-of-Field. Ces fabricateurs de faux témoignages le sentirent ; car dans la deuxième déposition de Paris, qui est du 10 août 1569, tandis que les lettres et le journal de Murray sont de 1567-1568, ils insérèrent que la reine, en envoyant son valet à Bothwell deux jours après être arrivée à Glasgow, le chargea de demander lequel était le meilleur pour le roi de Craigmillar ou de Kirk-of-Field, afin d'avoir bon air[10]. Dans ce nouveau document, le parti à prendre, tranché si lestement par le journal de Murray, est seulement mis en délibération. Mais d'après ce même journal, Bothwell est alors dans le Liddisdale dont il ne revient que le 28 à Édimbourg. Quant à la déposition de Paris, nous avons montré ce qu'elle vaut en général, et sur le point particulier du voyage de Paris à Édimbourg. N'est-il pas très-curieux qu'on nous dépeigne Bothwell donnant tous ses soins à Kirk-of-Field, quand Marie, dans ses quatre lettres, ne l'entretient que de Craigmillar, et n'indique pas même une éventualité quelconque d'un changement de lieu ? Est-ce de la sorte qu'entre complices, on correspond et l'on s'entend ? Ainsi les documents tendant à accréditer l'opinion que Bothwell choisit et prépara la maison d'Édimbourg, ne sont qu'impossibilités et contradictions.

Ce furent évidemment les autres ministres de la reine, c'est-à-dire les conjurés qui cherchèrent et choisirent ce lieu où ils devaient mettre à exécution leurs plans de trahison. En dehors de la partie méridionale de la ville, et adossée à ses murailles, il y avait, près de l'église de Sainte-Marie, appelée plus ordinairement l'église du Champ — Kirk-of-Field —, une maison modeste, servant de demeure au prévôt de l'église ; on la nommait la maison du prébendaire. Murray en vanta l'heureuse situation sur une éminence, le calme et l'air salubre au milieu de nombreux jardins[11]. Mais son principal mérite au fond, c'est qu'elle était isolée, et qu'elle appartenait à sir Robert Balfour, frère de sir James Balfour, le rédacteur du bond contre la vie du roi. Elle se composait d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, contenant deux pièces principales, l'une au-dessous de l'autre. Buchanan, avec son habituelle emphase de mauvaise foi, trace le tableau d'une maison inhabitée depuis longtemps, délabrée et en ruines, dans un quartier solitaire, ayant pour voisinage deux églises renversées, et quelques masures où s'abri : laient des pauvres[12]. Cependant, tout près, s'élevait, plus vaste et plus digne d'un roi, la résidence du duc de Châtelleraut. Le frère de ce personnage, John Hamilton, archevêque de Saint-André, l'occupait en ce moment. Mais nous savons pourquoi l'autre fut préférée. On la meubla somptueusement[13]. Les deux Balfour, le secrétaire Lethington, et Archibald Douglas, cousin de Morton, prirent sur-le-champ leurs mesures. Sir James Balfour apporta une grosse provision de poudre. John Binning, domestique d'Archibald, avoua quatorze ans plus tard, devant la justice, qu'il transporta un baril de poudre, par ordre de son maître, dans la maison du prévôt de Kirk-of-Field. Morton lui-même, au moment de subir la mort, raconta que l'on avait creusé des mines sous les pierres angulaires de la maison[14]. Ceci se passa en dehors de Bothwell qui ne fut mis au courant d'une partie seulement des vraies combinaisons, que l'avant-veille de l'assassinat[15].

Pendant ces préparatifs, le roi et la reine achevaient paisiblement leur voyage. Ils rencontrèrent, aux limites du Lothian, Bothwell, shériff du comté. Celui-ci ne faisait que s'acquitter de ses devoirs d'officier royal. Mais le journal de Murray ne manque pas de le dénoncer ; 30 janvier, — la reine amena le roi à Édimbourg et le plaça dans la maison où il finit sa vie. Bothwell, d'après leurs conventions, alla au-devant d'elle sur le chemin. Suivant la coutume, la noblesse du comté rallia le cortège, beau texte oratoire pour l'auteur de l'Actio : la reine étalant sa gloire en grande pompe, célébrait son triomphe sur ce jeune prince, accablé de toutes sortes d'injures, torturé par le poison, enlacé dans les trahisons, traîné à l'exécution[16].

Le retour eut lieu le 30 ou le 31 janvier. On prit directement le chemin de Kirk-of-Field ; et d'abord, si nous en croyons Thomas Nelson, le chemin de la maison du duc de Châtelleraut. Mais la reine, dit-il, indiqua du geste l'autre maison. Celle-ci, continue Nelson, était garnie de tentures, et l'on y avait dressé un lit neuf de velours noir brodé. La reine ordonna de l'enlever, disant que les bains le tacheraient, et le remplaça par un vieux lit pourpre qu'on avait coutume d'emporter en voyage. Déjà, nous avons eu lieu de nommer ce témoin qui excite l'intérêt, parce qu'il survécut seul à la catastrophe de Kirk-of-Field. C'est le moment d'y insister. Murray le présenta devant les commissaires anglais à Westminster, le 9 décembre 1568. Nelson leur remit une déposition écrite, qu'on lut en sa présence, et qu'il affirma sous la foi du serment renfermer l'exacte vérité[17]. On ne l'interrogea pas ; on ne lui posa aucune de ces questions si utiles à la manifestation de la vérité, et qui auraient pu dévoiler l'influence de Murray dans la rédaction de l'acte.

Les deux incidents que nous venons d'extraire de cette déposition, sont regardés comme des présomptions graves contre Marie Stuart. Il est possible toutefois de les affaiblir singulièrement.

Sur le premier, Blackwood, plus honorable et plus croyable que Murray parlant par la bouche de Nelson, renverse les rôles ; il affirme que la reine se dirigeait vers la maison des Hamiltons, lorsque le comte de Murray la détourna vers celle du prévôt. Il se pouvait fort bien que Marie, partie pour Glasgow avec la pensée de Craigmillar, et obligée ensuite de s'en rapporter à d'autres pour les recherches à Édimbourg, ne sût pas lequel des deux gîtes avait été choisi. Quant au second point, le remplacement accusateur d'un beau lit par un vieux, sans doute afin de perdre moins à la destruction de la maison[18], un document original et inattendu le dément. C'est l'inventaire de la garde-robe de Marie Stuart, embrassant six années depuis le retour en Écosse en 1561, jusqu'au mois d'avril 1567. Cet inventaire, revu et contrôlé minutieusement lorsque Murray s'empara du pouvoir, décrit chaque objet du mobilier et en suit l'histoire. Sous le n° 3 figure un lit de velours noir brodé, celui dont parle Nelson ; mais il n'était pas neuf ; car il provenait du pillage du château de Strathbogie, lorsque l'ambitieux frère de la reine avait ruiné injustement les Gordons en 1562. Il est même dit que remise en avait été faite au mettre de la garde-robe, Servais de Condé, par un gentilhomme du comte de Murray. La reine eût fait enlever ce lit de la maison de Kirk-of-Field, qu'il n'y aurait rien d'étonnant, à cause de son aspect lugubre. Mais elle n'eut pas à donner d'ordre de cette nature, parce que le lit n'y était pas. Une note marginale de l'inventaire nous apprend qu'il avait été rendu à ses anciens propriétaires pendant un séjour ultérieur de la reine à Hamilton, août 1565. Quant au lit de Kirk-of-Field il n'était fi vieux, ni dégradé : n° 7 : Item, un lit de velours violet brun — grenat —, orné de passementeries d'or et d'argent, avec ciel, oreiller, rideaux et trois sous-rideaux... à la marge : La reine fit présent de ce lit tout garni au roi en août 1566 ; et ledit lit fut perdu en février 1567, dans le logement du roi. C'était donc un meuble tout neuf et très-riche. Un autre papier non moins intéressant, c'est la décharge que Servais de Condé reçut de Marie pour l'ameublement qu'il avait disposé dans la maison, et qui avait été détruit avec celle-ci. 1° Un lit de velours violet, à doubles franges, passementé d'or et d'argent, avec paillasse de soie, matelas, traversin, couverture de taffetas bleu piqué, et deux autres couvertures, un oreiller et sa taie. Une petite table avec un tapis de velours vert ; une chaise haute de velours violet avec coussin ; seize pièces de tapisserie tant grandes que petites pour la chambre, salle et garde-robe ; un dais pour la salle, en velours noir avec draperies doubles. Il y avait aussi : canapé recouvert de taffetas jaune et rouge — aux couleurs d'Écosse —, etc., en un mot, pour ne pas abuser, un mobilier somptueux et complet[19]. L'inventaire de la garde-robe mentionne encore six coussins et une couverture de taffetas rouge piqué, présents de la reine, sans doute son ouvrage, qui e furent perdus aussi dans la maison du roi'[20]. Voilà comment l'exactitude d'un scribe obscur de la maison royale-en 1567, fournit à l'improviste un puissant secours à l'accusée innocente, et démasque le calomniateur Murray, embusqué derrière Thomas Nelson. Murray est convaincu de mensonge ici, comme dans le journal qu'il présenta aux commissaires d'Élisabeth, en même temps que la déposition de l'ancien serviteur de Darnley.

Marie passait la plus grande partie du jour avec Darnley. Comme il manifestait de vifs regrets, chaque fois qu'elle le quittait le soir pour retourner à Holyrood, elle fit disposer dans la chambre du rez-de-chaussée, au-dessous de celle du roi, un lit pour elle, et ordonna de dégager une porte qui établissait une communication particulière entre les deux étages. Elle passa les deux nuits du mercredi 5 et du vendredi 7 février, sous le même toit que Darnley, soignant son second mari avec la même tendresse attentive qu'elle avait témoignée au premier, François II. Cependant un symptôme avant-coureur aurait pu mettre en éveil un esprit moins confiant. Trois jours avant la catastrophe, un frère naturel de Marie, lord Robert, commendataire des Orcades, avertit Darnley qu'on en voulait à sa vie, et que s'il ne trouvait pas quelque moyen de se tirer de cette maison, il n'en sortirait pas vivant. La reine fit venir son frère pour qu'il s'expliquât. Mais à la grande stupéfaction et colère de Darnley, il nia tout net avoir parlé. Le roi le traita de menteur, et tous deux portaient la main au poignard, quand Marie éperdue appela Murray pour les séparer. On ne sera pas surpris que Buchanan ait travesti cette scène en un guet-apens tendu par une femme abominable à son frère et à son mari, afin que le premier la débarrassât du second[21]. Pourtant, que n'aurait-on pas dit contre elle, si elle n'avait pas essayé d'approfondir la révélation de l'un, ni appelé Murray pour arrêter leur transport ? On pourra dire qu'elle manqua de sagacité, surtout en mettant Murray dans la confidence. Cela prouve seulement combien elle était aveugle à se reposer sur le plus treize des hommes. Quant à la dénégation de lord Robert, elle étonnera moins, si l'on songe à la présence de Murray dans la maison ; il savait ce qu'il en coûtait de se mettre sur le chemin d'un tel homme.

Cet événement, qui n'avait rien découvert, mais qui pouvait mettre sur la trace du complot, eut pour effet de hâter l'exécution. C'est ici que reparaît Bothwell. Sans rien soupçonner des vues profondes de ceux qui le poussaient en avant, tout entier à l'espérance de posséder la reine et le trône, il ramassait les complices de la dernière heure parmi ses domestiques et ses vassaux, William Powrie son portier, George Dalgleish son valet de chambre, Patrick Wilson son tailleur ; John Hepburn de Bowton, John Hay de Tallo, John laird d'Ormiston, ceux-ci ses vassaux du Border et brigands de naissance. De griefs contre le roi ils n'en avaient point. Mais quand leur seigneur immédiat réclama leur dévouement, ils ne balancèrent pas à lui promettre un coup de main. Telle était la puissance des mœurs féodales dans le Border. Il avait simplement dit à John Hepburn : Plusieurs de la noblesse ont décidé de tuer le roi ; et chacun de nous doit envoyer deux de ses hommes pour l'exécution dans la campagne, ou autrement, comme on pourra[22] ; à John Hay de Tallo, qu'on avait décidé de se défaire du roi, que d'ailleurs, lui Bothwell ne pourrait plus vivre en Écosse, s'il ne mettait à bas un prince qui avait juré de le détruire[23] ; à Ormiston, que la résolution avait été prise par tous les lords à Craigmillar, que cela se faisait de concert avec la reine et que personne n'aurait rien à craindre des suites. Après l'assassinat, il montra au laird le bond signé d'Huntly, Argyle, Lethington et de sir James Balfour, en ajoutant que beaucoup d'autres lui avaient garanti leur assistance[24]. Jusqu'au vendredi 7 février, jour où il s'ouvrit à Ormiston, son plan avait été d'assaillir Darnley à travers champs. Mais il recula devant cet excès d'audace et préféra l'emploi de la poudre. C'est ce qu'avaient pensé et préparé avant lui les agents des autres conspirateurs, Archibald Douglas et air James Balfour, sans lui révéler leur secret.

Dans ce complot, l'histoire impartiale saisit-elle la main de Marie Stuart unie à celle de Bothwell ? Nous voyons bien le comte se parer du nom de la reine vis-à-vis John Ormiston, comme il s'en est paré vis-à-vis Morton à Wittingham. Mais il n'y a pas plus de preuves pour l'affirmative dans un cas que dans l'autre ; et il y en a pour la négative. Qu'on lise les interrogatoires de William Powrie devant le conseil privé à Édimbourg les 23 juin et 3 juillet 1567, de George Dalgleish devant Morton, Athol, le prévôt de Dundee et Kirkcaldy de Grange le 26 juin 1567, de John Hay de Tallo et de John Hepburn de Bowton, devant le régent Murray et le conseil privé, l'un le 13 septembre, l'autre le 8 décembre 1567 ; on n'y rencontrera pas une déclaration, pas un mot qui mette Marie Stuart en cause et tende à l'inculper[25]. Quels furent les personnages compromis ? Ceux-là mêmes qui interrogeaient les accusés de bas étage, Morton, Argyle, Lethington, Balfour. Bedford écrit à Cecil, le 16 septembre 1567, que trois jours auparavant, John Hay traduit devant le conseil privé, a dévoilé tout le plan de l'assassinat, nommé ceux qui l'ont exécuté, et que même il a touché à bon nombre de gens qui n'étaient pas des plus petits. — Aussi pour le moment supprima-t-on ces compromettants aveux. Il en fut de même de ceux de John Hepburn[26]. Un certain capitaine Cullen ne fut pas moins explicite ; et jamais son interrogatoire ne vit la lumière[27]. Lorsqu'enfin pour répondre à l'impatience universelle qui exigeait le châtiment du crime, et pour détourner l'indignation qui grondait de toutes parts contre ses lenteurs, Murray crut ne pouvoir plus se dispenser de frapper, il fit en un seul jour, le 3 janvier 1568, citer, condamner, exécuter, Hepburn, Hay, Dalgleish et Powrie.

H n'eut garde de publier leurs déclarations ; et si à la fin de l'année, il les produisit devant les seuls commissaires anglais, ce fut après les avoir purgées de manière à n'y laisser que les charges qu'elles renfermaient contre Bothwell et ses gens[28]. Mais s'il sut étouffer la voix de ces malheureux dans la prison et devant les juges, il oublia de les bâillonner sur l'échafaud. Là, John Hepburn apostropha Morton, Lethington et les autres de la même faction ; il s'écria qu'ils avaient été les instigateurs du meurtre ; que son maitre le lui avait affirmé et lui avait montré le bond. Ses trois compagnons répétèrent la même accusation et protestèrent qu'ils n'avaient jamais entendu dire que la reine fût du complot, ou qu'elle en eût connaissance. Cette déclaration suprême est attestée par des témoignages graves et nombreux. Sans nous arrêter à l'affirmation de Marie Stuart dans un mémoire qu'elle adressa de Carlisle en Angleterre à tous les princes chrétiens, mémoire écrit en juin 1568, à une époque où rien n'était plus facile que de s'assurer en Écosse de la vérité de son assertion[29], nous dirons que trente-cinq nobles du parti de la reine, assemblés à Dunbarton, déclarèrent le 12 septembre 1568 que ceux des meurtriers qui souffrirent la mort, chargèrent les grands et déchargèrent leur souveraine[30]. L'année suivante, Leslie évêque de Ross, dans sa Défense de l'honneur de la reine Marie, prenait à partie en ces mots les ennemis de Marie Stuart : Nous pouvons vous dire, et avec nous cinq mille témoins et plus qui l'entendirent, que John Hepburn, serviteur du comte de Bothwell, au moment d'être exécuté pour son crime et le vôtre, attesta à haute voix, qu'aussi vrai qu'il aurait à répondre d'un mensonge devant Dieu, vous étiez avec son maitre les auteurs principaux, les conseillers, les auxiliaires de ce meurtre exécrable, et que son maître le lui avait dit, et lui-même avait vu les actes écrits. Nous pouvons vous dire que John Hay de Galloway, que Powrie, que Dalgleish, et qu'après eux tous, Paris, quand ils allaient mourir pour leur crime, à leurs derniers instants, prirent Dieu à témoin que cet assassinat était votre œuvre par conseil, invention, impulsion, comme aussi ils déclarèrent qu'ils n'avaient jamais eu connaissance que la reine y eût trempé[31].

Mêmes attestations, même appel à la mémoire de tous, dans un poème virulent qui parut au commencement de 1569. L'auteur dit qu'il était parmi la foule devant laquelle les condamnés dénoncèrent Morton et Murray[32]. Qu'importe l'autorité d'un poème satirique, pourra-t-on nous objecter ? Mais à en juger par l'ensemble et les détails, c'est l'œuvre d'un homme évidemment au courant des faits, qui ne tomberait pas dans la méprise grossière d'évoquer à faux les souvenirs du peuple d'Édimbourg. Ces vers, dont l'auteur est resté inconnu, jetèrent dans un cruel émoi Cecil et Murray ; il y eut des arrestations et des enquêtes rigoureuses, tant le coup avait porté juste[33]. Un Français contemporain répéta encore les mêmes faits en 1572[34].

Ce n'est pas pourtant que nous prétendions que le lecteur doive se contenter absolument des garants que nous venons d'amener devant lui. Il voudra savoir ce que pensèrent, ce que firent pour se justifier, ceux que les défenseurs de Marie Stuart attaquaient avec tant de force. Ils subirent le choc, sans le repousser et sans le rendre. Que les quatre eussent ainsi parlé au pied de la potence, cela fut si public et si peu sujet à contestation, que l'auteur de la Detectio n'osa ni aborder la discussion sur ce terrain brûlant, ni se renfermer dans le silence. Avec une modestie qui dut coûter à son orgueil, il se tint sur l'équivoque et ne montra qu'une demi-assurance à mentir. Il grossit son libelle d'une analyse de l'interrogatoire des patients, analyse qu'il tronqua et interpola comme il lui plut, puisque ses patrons dérobaient soigneusement les originaux au public — c'était un de leurs faibles que de voiler les originaux. — Il entremêla artificieusement parmi les réponses des accusés en prison leurs paroles de l'heure dernière, esquivant par cette manœuvre le reproche de les avoir omises, et le danger pour sa cause d'en rapporter la teneur exacte, aussi bien que le moment et le lieu. C'est ainsi qu'il fit dire à Hepburn qu'il croyait que personne ne trouverait jamais à redire au meurtre, lui qui avait vu les écritshandwrittis —, et connaissait les intentions de la reine là-dessus ; — à Dalgleish : Quand je meurs pour cela, que Dieu me juge, si je sais ce qu'on doit faire à ceux qui furent les inventeurs, les conseillers, les signataires et les soutiens de la chose[35]. — Buchanan est un faussaire systématique. Qu'on recoure à l'interrogatoire d'Hepburn, tel même que Murray le produisit déjà falsifié aux conférences d'Angleterre, on n'y découvrira pas la moindre atteinte à Marie Stuart. Hepburn déclara bien que Bothwell lui avait montré le bond ; mais c'est Buchanan qui tire de son propre fond la dénonciation de la complicité de la reine. Sera-ce le calomnier que de lui supposer une intention perfide, lorsqu'il emploie ce terme général, les écrits, et de croire qu'il serait aise de détourner l'esprit du lecteur du bond des nobles, vers les prétendues lettres de Marie à Bothwell ? De même en laissant dans le vague, sans prononcer aucun nom, l'imprécation que Dalgleish jette à la face des auteurs véritables du forfait qu'il paye de sa vie, Buchanan dirigera les soupçons sur la reine, et il se fera contre elle une arme d'une des preuves de son innocence. Le voilà donc, cet audacieux calomniateur réduit à ruser à la fois avec la vérité et avec le mensonge, et à glisser subrepticement quelques insinuations contre sa victime. Qu'un seul de ces malheureux eût proféré des paroles compromettantes pour elle, à quelles fureurs de plume ne se serait-il pas livré[36] ?

Là ne se termine pas cette question des déclarations suprêmes. Un autre complice de Bothwell, John Ormiston, que Morton fit pendre à Édimbourg le 13 décembre 1573, avoua son crime au ministre John Brand qui l'assistait. Sa confession fut rédigée et lue par ce dernier en sa présence et devant une foule considérable. Après les curieuses révélations sur le bond de Craigmillar, révélations dont nous nous sommes déjà servis, Brand lui demanda si la reine lui avait parlé du complot et s'il savait dans quelles dispositions elle était à ce sujet : Aussi vrai que je dois répondre devant Dieu, dit Ormiston, jamais elle ne m'en parla, ni moi à elle ; et je ne sais rien d'elle là-dessus, sinon ce que milord Bothwell me dit. Carte, historien anglais des plus sûrs, rapporte de plus une dépêche du 5 janvier 1574, de Fénelon-Salignac ambassadeur de France en Angleterre, dont la substance est qu'Ormiston nomma les vrais coupables, Argyle, Huntly, Lethington, sir James Balfour et Morton, et qu'on se donna beaucoup de peine pour étoffer sa confession[37]. Il est donc certain qu'aucun des coupables secondaires, offerts en holocauste par les principaux à la vindicte des lois et de la conscience publique, ne chargea Marie Stuart ; que bien loin de là, ils l'innocentèrent autant qu'il fut en eux.

Pour finir, encore un témoin qui a son prix. Archibald Douglas, le même qui avait apporté à Lethington et à Murray l'adhésion de Morton au complot de Craigmillar, dit que le meurtre du roi fut exécuté par l'ordre de ceux des membres de la noblesse qui avaient signé le bond pour cet effet[38]. Cet Archibald n'avait pas été autre chose que le bras de Morton, qui affectait de se tenir en dehors.

Ainsi les faits nous ramènent toujours invinciblement à la même conclusion. C'est un crime aristocratique. II n'a rien de commun avec un assassinat de ménage.

Bothwell ayant abandonné l'idée d'une attaque de vive force en rase campagne, fit venir un baril de poudre de son arsenal de Dunbar et le déposa d'abord dans son appartement d'Holyrood. Comme il avait besoin d'un affidé près du roi et de la reine, il dévoila son projet le mercredi ou jeudi (5-6 février) à Nicolas Hubert ou Paris, son ancien serviteur[39] ; il voulait que celui-ci lui procurât les deux clefs de la chambre de la reine, afin de les comparer aux fausses clefs qu'il avait fait fabriquer ; car il comptait étaler la poudre dans cette chambre au-dessous du roi. La complicité de Paris avec Bothwell remplit la déposition ou première des deux confessions de Paris, à Saint-André, les 9 et 10 août 1569. On a dit qu'elles sont remarquables par un ton de naïveté qu'il serait bien difficile de contrefaire, et qu'elles abondent en détails minutieux de la plus parfaite exactitude, que le plus habile des faussaires n'aurait jamais pu ni réunir ni coordonner[40]. Oui, jusqu'à un certain point, si l'on parle de la déposition du 9 août ; pas du tout, si c'est de l'interrogatoire du 10. On sait que pour ce dernier document nous avons pris Murray, Buchanan, etc. en flagrant délit de falsification. Quant au premier, nous ne faisons pas difficulté de reconnaître qu'il roule sur un fond probable de vérité en nous montrant les préparatifs, l'ardeur intempérante de Bothwell, sa brutalité impérieuse à l'égard de ses complices de bas étage, la terreur, les représentations et l'humble soumission de Paris. On peut bien diriger quelques critiques contre cette pièce. Par exemple, l'objet important, ce sont les clefs de la chambre de la reine que Bothwell veut avoir. Il les demande à Paris le mercredi ou le jeudi — Paris ne se souvient pas bien — ; celui-ci résiste, cède et ne trouve l'occasion de les dérober que le samedi soir, 8 février. Alors Bothwell lui commande de les garder et désormais ne s'en occupe plus. Impatienté de la poltronnerie de son ancien valet, il lui dit que les autres — Hepburn, Hay, Ormiston — n'ont que faire de lui car ilz entreront bien sans toy, car ilz ont des clefz assez ; il n'y a porte de céans dont ilz n'en aient les clefz[41]. Du reste si le comte tenait tant à les avoir en sa possession, ne pouvait-il pas, sans autre détour, les demander à sa maîtresse et complice ? Puisqu'il ne s'agissait que d'une comparaison rapide avec les fausses clefs, Marie pouvait les lui remettre pour quelques instants, sans provoquer les soupçons.

Autre objection :

Dans sa déposition du 9 août, Paris sort le dernier de la chambre de la reine, le samedi soir, au moment où Marie vient de quitter le roi pour retourner à Holyrood, et il garde la clef. Son interrogatoire du 10 août porte tout autre chose. Ne sachant comment avoir les clefs que Bothwell exige, il a pris le parti de les demander à la reine (dès le mercredi) : Madame, monsieur de Boduel m'a commandé de lui porter les clefs de vostre chambre, et qu'il a envie d'y faire quelque chose, c'est de faire sauter le Roy en l'air par pouldre qu'il y fera mettre. — Ne me parle point de cela à ceste heure-cy, ce dict-elle. Fais-en ce que tu vouldras. Il ne prend néanmoins les deux clefs de la chambre que le lendemain matin (jeudi), et les remet à Bothwell. Le comte les lui rend après une vérification sommaire des fausses clefs. (Teulet, p. 98-99). Laquelle des deux versions est la vraie ? Ni l'une ni l'autre peut-être[42]. Une singularité de la première confession, c'est un brillant éloge du comte de Murray tout étonné de sortir de la bouche de Paris. Le malheureux se met à vanter la prospérité dont on avait joui pendant les deux ou trois années que le comte avait gouverné auparavant : tout le monde se portoit bien, l'argent corroit. Cela finit par un mot précieux. Paris demande à Bothwell si le comte a pris parti dans le complot ; Bothwell répond : Ce dit-il : il ne se veult point mesler. — Monsieur, ce dis-je, il est sage. — Adonc monsieur de Boduel retorne la teste vers moy et me deist : Monsieur de Morra, monsieur de Morra, il ne veult n'ayder ne nuire, mais c'est tout ung. — Bien, bien, Monsieur, ce di-je, il ne le faict sans cause, et vous le voyrez. (Teulet, p. 83-4). Il est très-extraordinaire que le comte de Murray ait laissé consigner dans cet acte la preuve de sa complicité et le secret de sa politique : connaître d'avance, laisser faire et profiter. C'est exactement l'homme qu'ont dépeint les paroles ironiques de Lethington, lors de la proposition du divorce à Marie dans le château de Craigmillar. Bothwell agit donc sous l'approbation formelle de Lethington, des comtes d'Argyle, de Huntly, de Morton, des lords Ruthven et Lindsay — c'est lui qui les nomme dans la déposition de Paris — ; et avec l'approbation tacite de Murray. Tous ces personnages, nous les avons déjà dénoncés plus d'une fois. Nous y revenons néanmoins, à cause d'un phénomène historique qui mérite quelques mots. Dans la narration de M. Manet si bien conduite, si précise, et dont la teneur retentit aux oreilles comme la sentence du juge souverain, on trouve au point de départ le bond contre Darnley, par conséquent la responsabilité des grands seigneurs de la cour. Mais à mesure que les faits se déroulent et marchent vers le dénouement, Murray, Morton, Lethington, etc., s'effacent dans la demi-teinte ; ils disparaissent et l'on ne voit plus sur cet odieux théâtre que Bothwell et Marie Stuart. Le meurtre consommé, ils rentrent en scène, mais dans un rôle tout nouveau, celui de vengeurs de l'innocent ; ils poursuivent contre Bothwell, surtout contre Marie Stuart, le châtiment du forfait qu'eux-mêmes ont commis ; et le spectateur, comme l'historien, oublieux de ce qui a précédé, prendrait de bonne foi ces perfides et ces assassins pour d'honnêtes redresseurs de torts.

La première déposition de Paris ne mentionne la reine qu'incidemment, pour un détail, celui de la couverture, que l'on a grossi démesurément, comme nous le montrerons tout à l'heure. Bothwell avait l'intention de faire le coup le samedi soir, 8 février[43]. Mais il ne fut pas prêt et il remit au lendemain. Le lendemain il savait que Marie Stuart serait à Holyrood, parce qu'elle avait promis de donner un bal masqué en l'honneur du mariage de ses fidèles serviteurs, Sebastien Paiges et Marguerite Carwood.

L'un et l'autre lui avaient témoigné le dévouement le plus courageux lors de son évasion d'Holyrood, après l'assassinat de Riccio. Marie Stuart reconnaissante constitua en dot à Marguerite une pension viagère de trois cents marcs, et fit don aux mariés de leurs habits de noces. Elle leur promit de plus de danser à leur bal, et de mettre l'épousée au lit, coutume du seizième siècle[44]. Tous deux étaient dignes de ces marques libérales d'amitié. Attachés inviolablement à leur maîtresse, ils partagèrent ses malheurs et son long martyre en Angleterre. Incorruptibles jusqu'au bout, ils eurent l'honneur d'allumer la colère des suppôts d'Élisabeth, comme gens de mauvais exemple pour les jeunes serviteurs[45]. C'est cependant cette noble et généreuse Marguerite que les patrons de Buchanan ont voulu flétrir, en lui appliquant la quatrième lettre de Glasgow. Mon cœur, hélas ! dit Marie Stuart à Bothwell, faut-il que la folie d'une femme, dont vous cognoissez assez l'ingratitude vers moy, soit cause de vous donner déplaisir, veu que je n'y pouvoye mettre remède, sans les donner à cognoistre[46] ? Et depuis que je m'en suis apperçue, je ne vous pouvoye dire, pour ce que je ne sçavoye pas comme m'y gouverner.... Et quand elle sera mariée, je vous prie de m'en donner une autre, ou bien j'en prendray quelqu'une ; dont j'estime que la façon vous contentera.... (Teulet p. 46-7.) Que l'on rapproche cette lettre de la manière affectueuse dont, presque au même instant, Marie traita Sébastien et Marguerite à leur mariage, on puisera dans la comparaison encore un motif après tant d'autres de rejeter l'authenticité des lettres. Cela répandra aussi un jour instructif sur la tactique de calomnie quand même qui s'est acharnée à la reine et à tous ceux de quelque rang qu'ils fussent, qui ne la trahirent point. Paris déposa — première confession — que le samedi soir, Marie Stuart étant retournée de Kirk-of-Field à Holyrood, Marguerite Carwood le renvoya chercher une couverture de lit dans la chambre que la reine avait occupée au-dessous de celle du roi (Teulet, p. 87) : nouveau chef d'accusation. C'était, dit M. Mignet, une riche couverture en peaux de martre, qu'elle ne voulait sans doute pas y laisser à la veille de l'explosion. Telle est aussi l'opinion de M. Teulet. Mais n'est-ce pas forcer beaucoup les choses, que de tirer une conséquence si énorme d'un petit fait, susceptible peut-être de quelque autre interprétation moins atroce et plus naturelle ? Par exemple, la reine devant assister en compagnie de ses dames au coucher de la mariée[47], put vouloir décorer le lit nuptial avec sa couverture de martre ; peut-être même en faire présent à la servante qu'elle aimait, et si justement. Cette conjecture vaut bien l'autre, et prouve en tout cas que le fait en question est susceptible de s'expliquer de deux façons. Et puis, est-on bien sûr que ce fût une couverture de martre ? Malcolm Laing en publiant la confession de Paris, d'après une copie conservée au musée Britannique, a lu et mis maytres. M. Teulet regarde cette leçon comme un non-sens, la corrige et substitue martres (p. 87 not. 2). Cependant ne dit-on pas en bon français, chambre de maitre, literie de maitre ? Pourquoi serait-ce un non-sens d'avoir dit, couverture de maitre, c'est-à-dire, couverture plus élégante ? Ce trait anecdotique, assez frappant en apparence, ne perd-il pas toute signification ?

La réconciliation des deux époux s'affermissait de plus en plus, quoi qu'on en dise. Un jour, à Kirk-of-Field, Marie surprit Darnley comme il fermait une lettre destinée à son père. Il la lui tendit ; elle lut les éloges les plus chaleureux de sa tendresse, l'espoir d'un meilleur avenir. Alors, embrassant son mari à plusieurs reprises, elle lui dit combien elle était heureuse qu'il fût content d'elle, et qu'il n'eût plus dans l'esprit aucun nuage de jalousie ni de soupçon. Libre à Buchanan, le narrateur, d'empoisonner cette scène d'intérieur[48]. Mais n'y a-t-il pas là un mouvement naïf et spontané qui plaide éloquemment en faveur de la sincérité de Marie Stuart ? La maladie, la mort entrevue un moment, 'paraissaient avoir mûri le jeune roi. En même temps qu'il achevait de purger sa quarantaine sanitaire, il était revenu à des pensées plus sérieuses et plus religieuses. Le dimanche 9 février, il entendit dévotement la messe selon son usage[49]. Sans doute quelque chose de cette ferveur catholique avait transpiré au dehors, parmi la tourbe des abbés et des prêtres sécularisés, comme les deux Balfour ; et ils n'en devaient être que plus furieux à exterminer l'objet de leur crainte et de leur haine. Ce même jour, le matin, le comte de Murray annonça qu'il avait reçu des nouvelles alarmantes de la santé de sa femme, alors dans le Fife. La reine qui devait, le lendemain, recevoir en audience de congé le comte de Moretta, ambassadeur du duc de Savoie, pria Murray de retarder son départ d'un jour. Mais il répondit que la comtesse était menacée d'une fausse couche, qu'il pourrait la trouver morte s'il ne se Utah. Marie n'insista plus. On a remarqué qu'aux grandes crises le comte de Murray sut être absent ou malade. Afin cependant d'être prêt à tout événement, il avait fait de sourds préparatifs militaires dans le Fife. Il s'était même adressé à Cecil pour avoir des arcs, des flèches et des carquois. On les lui expédia d'après un ordre d'Élisabeth, daté du 13 février 1567 et motivé sur sa demande[50].

A Holyrood, le dernier dimanche se passa joyeusement : célébration du mariage de Sébastien Paiges et de Marguerite Carwood dans la chapelle du palais ; repas de noce 'aux frais de la reine et honoré de sa présence ; visite à Darnley pendant la journée ; banquet solennel donné à quatre heures par l'évêque d'Argyle à l'ambassade de Savoie[51] ; enfin, seconde visite à Darnley le soir, après laquelle il était entendu que la reine reviendrait pour le bal masqué d'Holyrood et le coucher de l'épousée. La visite du soir à Kirk-of-Field fut brillante, tous les seigneurs ayant accompagné leur souveraine, sauf Bothwell. Celui-ci, au sortir de table chez l'évêque, s'était échappé, et vers quatre heures, selon Powrie et Dalgleish, il avait réuni ses complices et délibéré avec eux, deux heures durant, dans la salle basse de son appartement d'Holyrood[52]. C'est là qu'Hepburn de Bowton avait introduit le baril de poudre, la veille au soir[53]. On le vida dans un coffre et une malle de cuir, que William Powrie le portier, et Patrick Wilson le tailleur, transportèrent à Kirk-of-Field. Ce n'est pas que dans ces renseignements la certitude soit égale à la précision ; car si Powrie jura, le 23 juin, que le coffre et la malle furent transportés en un voyage sur deux chevaux de Bothwell, le 3 juillet il jura qu'on s'y reprit à deux fois, en se servant d'un cheval gris, propriété d'Herman, page de Bothwell. Hay de Tallo et John Hepburn dirent de même[54].

L'emploi de ces derniers instants prend dans le récit de Paris un caractère très-différent. Au lieu de s'enfermer deux heures à ce long conciliabule d'Holyrood, Bothwell se multiplie : il va voir sa mère, il entre chez le laird d'Ormiston qui demeurait du côté des Frères Noirs — les Dominicains dans le voisinage de Kirk-of-Field —, s'entretient avec le laird et son frère Hob Ormiston, les emmène à la recherche d'Hepburn et de Hay, qu'il rencontre à Cougate, les charge de recevoir la poudre que leur apporteront Powrie et Wilson : tout cela se règle dans la rue, conduite plus ordinaire au théâtre que sur la scène de l'histoire[55]. Ayant gardé avec lui le seul Paris, il se dirige vers le logis du roi, et enfin détache Paris avec ordre d'introduire Hay, Hepburn et Ormiston dans la chambre de la reine. Quand, dit-il, ilz auront fait ce qu'ilz ont envie de faire, tu sortyras et t'en viendras à la chambre du Roy, ou tu t'en yras là où tu voudras. — Hélas, monsieur, ce di je, vous me commandez ma mort[56]. Bothwell rejoignit la cour chez le roi. Ses affidés pénétrèrent par le jardin ; et Paris les introduisit dans la chambre de la reine où ils répandirent sur le plancher la poudre qu'ils apportèrent successivement dans des sacs, parce que le coffre s'était trouvé trop volumineux. Ils prenaient si peu la peine de se dissimuler, que Bothwell descendit précipitamment de la chambre supérieure et leur dit : Mon Dieu ! que vous faictes de bruyt on oyt d'en hault tout ce que vous faictes[57]. Avisant Paris, probablement fort troublé, il lui demande ce qu'il fait là, et lui ordonne de le suivre dans la chambre du roi, tandis que Hepburn, Hay demeurent tapis en silence près de leur amas de poudre. Paris remonte donc à la suite de Bothwell ; il se glisse parmi les seigneurs et se place près du comte d'Allyle qui lui frappe légèrement sur le dos, sans rien dire. La soirée s'avançait ; cependant Darnley, flatté sans doute de revoir le cercle brillant des seigneurs autour de lui, reconnaissant envers celle qui le remontait à la splendeur de son rang, ne voulait pas qu'elle le quittât ; il s'attachait à elle avec une obstination quelque peu enfantine. A onze heures enfin, elle se lève ; il est plus tard, dit-elle, qu'elle ne croyait ; elle ne doit pas manquer de parole à Bastien et à sa femme. Darnley persistait à la retenir ; elle tire de son doigt et passe au sien une riche bague ; et avec de douces paroles d'adieu, elle lui promet qu'ils se reverront bientôt. Son départ eut lieu fort peu de temps après que Paris eut suivi Bothwell dans la chambre royale. Et n'estant, dit Paris, à la chambre du roy la longueur d'une Pater poster, que la Royne s'en va vers l'Abbaye — Holyrood —, et monte là où estoit les nopces (Teulet, p. 90). Tel est, analyse ou reproduction fidèle, le récit de Paris. Parce que le départ de la reine suivit presque immédiatement l'apparition du valet, on a regardé celle-ci comme un signal. C'est une supposition gratuite ; les faits peuvent être successifs sans se produire nécessairement les uns les autres. Lorsque Bothwell dit au valet : Quand Jehan Hepburn, Jehan Hay... auront faict ce qu'ilz ont envie de faire, tu sortyras et t'en viendras à la chambre du Roy, ou tu t'en yras là où tu voudras, est-ce convenir d'un signal ? Quand le comte descend, inquiet du bruit qui se fait au rez-de-chaussée, quand il se fiche de l'air épouvanté de Paris, et l'emmène après luy dans la chambre du roi, y a-t-il en cela le moindre indice de collusion avec la reine ! On lit, il est vrai, dans la déposition de Hay de Tallo : A ce que croit le déposant, Paris — en remontant — fit connaître au comte de Bothwell que tout était prêt, et bientôt après la reine et les lords retournèrent à l'Abbaye, milord Bothwell avec eux[58]. Nous ne nous chargeons pas d'accorder les deux témoignages. D'abord Hay de Tallo étant resté caché dans la chambre de la reine, n'a pas vu le fait tan il dépose, et qu'au reste il n'affame pas. Ensuite Bothwell, descendu lui-même au rez-de-chaussée, a constaté de ses propres yeux que tout était prêt ; qu'a-t-il besoin que Paris le suive pour l'en informer ? Enfin Paris ne présente nullement le départ de la reine comme la conséquence de sa propre apparition chez le roi. Pour prouver la collusion, on s'appuie encore sur une phrase de Nelson : La reine avait promis de coucher dans la maison la nuit du dimanche. Mais, après être restée longtemps et avoir entretenu le roi très-familièrement, elle se décida comme par une inspiration soudaine, et s'en alla, dit-elle, pour le bal masqué de Bastien qui se mariait cette nuit[59]. L'incident du vieux lit pourpre doit nous mettre en garde contre la véracité, sinon de Nelson, au moins de ceux qui ont tenu la plume pour lui. La reine ne pouvait pas songer à passer la nuit du dimanche à Kirk-of-Field. Il aurait fallu pour cela, qu'étant restée près du roi jusqu'à onze heures du soir, puis retournée à Holyrood pour le bal du mariage, elle revint à Kirk-of-Field très-tard dans la nuit pendant la saison rigoureuse, lorsqu'elle-même continuait à se ressentir de sa maladie de Jedburgh. S'il eût été réglé qu'elle coucherait le dimanche soir à Kirk-of-Field, verrait-on Darnley tant insister pour qu'elle ne le quittât pas encore ?[60] Eût-elle fait prendre la veille la couverture de son lit ? Cette allégation prépare la parenthèse perfide qu'elle s'en alla comme par une inspiration soudaineas it bath been on the sudden. Car alors on peut croire qu'elle vient de recevoir le signal, et qu'elle invente un prétexte de s'éloigner. Mais ce mariage se préparait depuis plusieurs jours ; mais la reine avait annoncé qu'elle assisterait au bal et au coucher de la mariée. Il est donc naturel qu'après s'être attardée beaucoup avec le roi, elle fasse un effort sur elle-même pour le quitter, comme quelqu'un qui s'est oublié dans un endroit lorsqu'il est attendu dans un autre. La substance de ces dépositions contradictoires et mensongères devient dans le journal de Murray l'article suivant : 9 février. Elle et Bothwell soupèrent au banquet de l'évêque des Iles. Ensuite elle se rendit en compagnie d'Argyle, Huntly et Bothwell chez le roi ; elle y resta, le comblant de caresses, jusqu'à ce que Bothwell et ses complices eurent tout disposé, que Paris, son valet de chambre, eut reçu la poudre dans la chambre de la reine et qu'il revint donner le signal. Et ils partirent pour le banquet et le bal de Bastien vers onze heures ; ensuite ils retournèrent tous deux à l'Abbaye — Holyrood — et causèrent ensemble jusqu'à minuit passé[61]. Voilà encore l'habitude obstinée de mettre Marie Stuart et Bothwell toujours tête-à-tête, séparément de tout : calomnie ici, comme auparavant. Bothwell, au lieu de la suivre au sortir du banquet qui, dans ce journal, semblerait donné à leur intention, quoique ce fût une fête en l'honneur de l'ambassadeur de Savoie, Bothwell, disons-nous, alla préparer la poudre avec ses complices dans sa chambre basse d'Holyrood. —Paris revint donner le signal : aucun témoignage ne le porte, et le Journal de Murray suppose ce qui fait question. Le reste de cet extrait se compose d'affirmations gratuites, coups de pinceau ajoutés au tableau par l'artiste. Remarquons cependant qu'il est parlé du bal de Bastien, comme d'une chose qui allait de soi. Tous ces dires si peu autorisés ont pourtant reçu la plus facile hospitalité dans l'ouvrage du sévère historien : Tout étant prêt, dit M. Mignet, Paris remonta dans la chambre du roi, et la reine se rappela alors qu'elle avait promis d'assister à une fête, avec travestissement, donnée au palais d'Holyrood à l'occasion des noces de son serviteur Bastien qui s'était marié ce jour-là avec Marguerite Carwood, une des femmes attachées à sa personne et fort aimée d'elle. Elle prit donc congé du roi[62]. Ainsi M. Mignet accepte sans examen la version de Hay de Tallo, laquelle d'ailleurs ne trouve aucune confirmation dans celles de Paris et de Nelson. De même, par ces mots la reine se rappelle alors que les mariés d'Holyrood l'attendaient ; il admet, également sans discussion, le dire insoutenable de Nelson, sur l'inspiration soudaine qu'elle simule pour obéir au signal de Paris. Cette manière de parler, se rappelle alors, en dit trop pour une allusion, et n'accuse pas assez franchement pour une incrimination.

Marie Stuart et sa suite revinrent à la clarté des torches vers Holyrood. Elle acquitta sa promesse aux deux époux, Sébastien et Marguerite. Paris avait encore suivi Bothwell au bal, la consternation sur le visage. Et moy, dit-il, je m'en voys en ung coing, là où monsieur de Boduel me vint trouver, me demandant ce que j'avoys d'ainsy faire la mine, et que, si je la faisoys ainsy devant la Royne, qu'il m'acconstreroit de telle façon que je ne fus jamais. (Teulet, p. 90.) Si Marie Stuart avait été de la conjuration, et avait tenu au valet les propos cyniques qu'on lui attribue à propos de l'emplacement de son lit et des clefs, le comte aurait-il craint qu'elle soupçonnât quelque chose ? Son inquiétude aurait dû être que la mine effarée de Paris ne les trahit aux yeux exercés de quelque personnage.de la cour. A minuit, la reine emmena ses dames et la mariée, et chacun se retira[63].

Bothwell déposa chez lui son riche costume qu'il échangea contre des vêtements grossiers. Il emmena Paris, Dalgleish, Wilson et Powrie, répondit au qui vive ? d'une des sentinelles des jardins d'Holyrood, se fit ouvrir bruyamment la porte de la Canongate par le gardien, passa par la maison d'Ormiston qui, épouvanté de ce qu'il avait déjà fait, ne se montra pas, et de là se dirigea vers Kirk-of-Field. Darnley s'était endormi ; dans sa chambre couchait William Taylor, non pas jeune page comme on l'a dit par erreur, mais vieux serviteur de la famille[64]. On ajoute aussi que Darnley, qui n'avait pas vu partir sa femme sans tristesse et sans une crainte secrète, pressentant en quelque sorte le péril mortel qui le menaçait, chercha des consolations dans la Bible et lut le psaume LXV, où se trouvaient des paroles conformes à sa situation[65]. Comment le sait-on ? Tous ses serviteurs périrent avec lui, excepté Nelson qui n'en parle pas et se contente de dire qu'à partir du coucher du roi, il n'eut plus connaissance de rien jusqu'au moment de l'explosion. Lire la Bible et les psaumes était une pratique protestante, et le roi était revenu avec plus de ferveur que jamais au catholicisme. On a inventé ce détail pour mieux mettre en relief les soupçons supposés, dont on veut à toute force que le malheureux ne pût pas se défendre contre sa femme. Le moment fixé était arrivé.

Comment eut lieu l'assassinat ? Il est surprenant que les dépositions de Paris, Dalgleish, etc. si prolixes sur les préparatifs, soient ou mensongères ou muettes sur les circonstances mêmes de la mort. Ce silence ne se comprend pas, si Bothwell et sa bande sont les seuls auteurs du crime ; il est naturel au contraire s'il y avait d'autres complices, qui furent assez forts et assez adroits pour tout rejeter sur les premiers et pour tenir le voile sur leur participation au forfait commun. Les ennemis de Bothwell et les calomniateurs de Marie Stuart accréditèrent de leur mieux le bruit que Darnley avait péri par la poudre. Ainsi, dans la première confession de Paris : ledit seigneur de Boduel s'en va à la porte du jardin — du logis du roi —, et puis revint vers nous, là où Jehan Hepburn et Jehan Hay s'en viendrent, et incontynent comme ilz avoyent parlé à luy, voylà comme une tempête ou un tonnoyre qui se — va — eslever. De la peur que j'eus je cheus en terre.... (Teulet, p. 91). — Dans sa deuxième confession, lorsqu'il est censé demander à la reine les clefs.de sa chambre, c'est parce que Bothwell a envie de faire saulter le Roy en l'air par pouldre, qu'il y fera mettre. (Teulet, p. 98.) Telle est aussi la thèse de Powrie, de Dalgleish, de John Hay, de John Hepburn[66].

Tallo dépose encore qu'à Seton, après le meurtre, Bothwell l'appela et lui dit : Qu'as-tu pensé en le voyant sauter en l'air ?[67] Et le journal de Murray : 10 février, entre deux et trois heures (du matin), le roi sauta en l'air par la poudre. Telle est aussi la teneur de l'arrêt qui envoya les quatre complices au gibet, le 3 janvier 1568, comme atteints et convaincus d'avoir participé au meurtre.... abominable, consommé sur la personne de sa Grâce le Roi, père de notre souverain, dans la maison qu'il occupait alors à Édimbourg, près Kirk-of-Field, pendant qu'il était couché dans son lit et qu'il goûtait le repos de la nuit ; d'avoir traîtreusement mis le feu audit logis au moyen d'une grande quantité de poudre, par la force de laquelle la dite maison fut enlevée toute entière et lancée en l'air, et sa Grâce assassinée traîtreusement et très-cruellement tuée et détruite[68].... Eh bien ! il est certain que Darnley ne périt point par la poudre :

La maison sauta en l'air entre deux et trois heures du matin, dans la nuit du dimanche 9 au lundi 10 février 1567. A cinq heures, on retrouva le corps de Darnley dans un verger, sous un arbre, dont il avait dû traverser les branchages en retombant, à quatre-vingts yards des ruines de la maison. Il n'avait d'autre vêtement que sa chemise de nuit ; à ses côtés, sa pelisse de fourrure et ses pantoufles. Tout près, le cadavre de William Taylor. Ils ne portaient ni meurtrissure, ni fracture ; aucune trace de chute, ni de combustion par la poudre. Ceux en grand nombre, qui virent les corps, en furent frappés. Ils n'avaient donc pas été lancés dans les airs, et on leur avait ôté la vie avant de détruire la maison. Nul n'a émis de doute à cet égard.

Selon James Melvil, un page raconta que le roi, surpris dans sa chambre, fut &strié dehors jusqu'à une écurie basse, où on l'étouffa en lui enfonçant une serviette dans la bouche. L'ambassadeur piémontais, comte de Morelia, qui n'avait pas encore quitté l'Écosse, pensa qu'éveillé par le bruit des conjurés autour de la maison, et leurs efforts pour ouvrir les portes à l'aide des fausses clefs, il voulut fuir en chemise et sa pelisse à la main par une porte donnant sur le jardin, mais qu'il fut arrêté, étouffé et transporté dans un verger du voisinage ; qu'ensuite on fit sauter la maison pour se défaire de ceux qui étaient dedans[69]. Nous croyons qu'au moment où les assassins pénétrèrent près de lui, Darnley, par un mouvement instinctif, saisit sa pelisse et ses pantoufles, et se mit à fuir avec Taylor. Grâce à leur élan et à l'obscurité, ils s'échappèrent de la maison et du jardin par la porte qui avait servi à leurs ennemis pour entrer, et franchirent le mur du verger. Là on les atteignit et on les tua par suffocation sous l'arbre, à l'endroit même où ils furent retrouvés. Sans cela, on ne s'expliquerait pas pourquoi les meurtriers, après les avoir assassinés dans ou près la maison, auraient pris la peine de les transporter assez loin, pardessus un mur. Ils devaient tenir au contraire à confondre les restes de leurs victimes avec les débris de la maison ; sinon, à quoi bon l'emploi de la poudre ? L'évasion de Darnley dérangea leurs combinaisons ; ils le tuèrent là où ils s'emparèrent de sa personne. Puis, saisis du trouble qui suit de pareils attentats, ils le laissèrent sur la place, et revinrent faire sauter sa demeure. Il y avait là sans doute quelque abominable besogne pressante. Personne ne s'est occupé de nous donner des détails sur le sort des domestiques du roi. Cinq pourtant furent englobés dans l'explosion et mis en pièces, excepté le seul Nelson qu'on retira vivant des ruines. Il est impossible qu'ils n'eussent rien entendu de l'atroce tragédie qui se passait si près d'eux, dans cette petite maison, et qu'ils dormissent tous du sommeil imperturbable de Nelson, réveillé seulement, a-t-il dit, à l'explosion[70]. Il se peut donc que les assassins aient été rappelés tout de suite, pour les contenir et les empêcher de s'échapper du tombeau qu'ils leur destinaient.

Il nous parait impossible aussi d'adopter l'opinion de M. Mignet, lorsqu'il attribue à deux hommes seulement, Hepburn et Hay de Tallo, l'exécution d'un meurtre si compliqué (t. I, p. 277). Sur ce point on n'en est pas réduit à de simples conjectures. Des femmes qui habitaient tout près de là, déclarèrent avoir entendu le roi s'écrier : Ah ! mes parents ! ayez merci de moi, pour l'amour de celui qui a merci de nous tous' I[71]. Ces parents, c'étaient les Douglas, qui le poursuivaient, implacables ; c'était Archibald Douglas, par qui agissait Morton. Archibald après avoir soupé, avait mis sous ses habits une cotte d'armes, coiffé un bonnet d'acier et chaussé des mules de velours, pour n'être pas entendu. Il était allé avec ses deux serviteurs, John Binning et Thomas Gairner. Ces deux derniers, convaincus quatorze ans plus tard, avouèrent entre autres détails que leur maitre perdit l'une de ses mules dans cette occasion ; et en effet, on l'avait retrouvée dans les décombres et reconnue pour appartenir à ce Douglas. Binning ajouta qu'après le crime il rencontra dans une rue des hommes masqués parmi lesquels il crut reconnaître à la voix le frère de sir James Balfour, le prévôt de Kirk-of-Field, celui qui avait fourni les fausses clefs. John Maitland, frère de Lethington et abbé de Coldingham, lui mit les deux mains sur la bouche, en lui faisant signe de se tenir tranquille[72]. — Buchanan parle aussi de trois bandes d'assassins. Citons enfin un document légal, retrouvé dans ces dernières années : c'est la déposition que deux des femmes dont nous venons de parler, firent dès le 11 février, par-devant le Conseil privé. L'une avait vu passer d'abord huit hommes ; ensuite après l'explosion, onze hommes s'éloigner vers la ville. Elle cria contre eux et les appela traîtres, en disant qu'ils revenaient de quelque mauvais coup. L'autre, réveillée par le fracas, courut pour s'enfuir de sa maison ; elle vit passer onze hommes. Elle leur demanda ce qui venait d'arriver, et en saisit un par son vêtement, qui était de soie. Mais ils ne lui firent pas de réponse et s'éloignèrent rapidement.

Un fait caractéristique, c'est que les Anglais connurent sur les derniers moments de l'infortuné des détails qu'ils ne purent savoir que des assassins. Drury écrivit le 24 avril à Cecil 1567 : Ce fut le capitaine Cullen qui conseilla pour plus de sûreté d'étrangler le roi et de ne pas s'en rapporter seulement à la poudre, affirmant qu'il en avait vu beaucoup en réchapper. Sir Andrew Carr, avec d'autres, était à cheval près de l'endroit, pour aider à la cruelle expédition, en cas de besoin.... Le roi fut long à mourir et défendit sa vie de toutes ses forces[73]. Quand Drury mandait ces détails à Cecil, il y avait peu de temps qu'il avait reçu à Berwick le comte de Murray en route pour le continent. N'était-ce pas Murray qui savait tant de choses sur cette mort ? Cet Andrew Karr qui figure à la tête de la réserve, pendant que les deux autres troupes exécutent le crime, c'est le bandit qui lors de l'assassinat de Riccio avait appuyé le pistolet sur le sein de la reine. Elle l'avait exclu de l'amnistie accordée au reste des coupables et lui avait interdit rigoureusement le sol de l'Écosse. Apparemment ce sont d'autres que Marie qui l'ont rappelé pour la nuit de février.

La poudre produisit des effets de destruction bien extraordinaires dans le système des dépositions minutées par Morton et les siens. Répandue sur le parquet, elle aurait de simplement enlever l'étage supérieur et non pas bouleverser la maison, au-dessous comme au-dessus. Or le conseil privé d'Écosse, rendant compte de l'événement à Catherine de Médicis, rapporte que la maison fut arrachée du sol jusque dans ses fondements, sans qu'il restât pierre sur pierre. Cela suppose nécessairement que les fondations avaient été minées : circonstance constatée en effet par les procès d'Archibald Douglas, de ses deux domestiques et de Morton[74]. Ces mines furent l'œuvre des deux Balfour, d'Archibald, qui les creusèrent avant que le roi et la reine fussent revenus de Glasgow ; et c'est à les charger qu'on employa la poudre fournie par eux, alors que Bothwell en était encore à méditer une attaque et un meurtre en rase campagne.

A peine avons-nous parlé de Bothwell et de son rôle au dernier moment. Bien plus, si nous voulions croire Buchanan une fois, il n'y aurait pas à en parler du tout. L'assassin ne serait pas Bothwell ; ce serait John Hamilton, archevêque de Saint-André. En 1567-8, Buchanan acculait le seul Bothwell avec ses domestiques, parce que l'objectif, pour nous exprimer ainsi, était de servir Murray en perdant Marie Stuart. En 1570-1, comme il fallait servir contre les Hamiltons la haine et l'ambition du nouveau régent le comte de Lennox, la culpabilité se déplaça ; et un pamphlet sorti de la même plume que la Detectio mit l'archevêque de Saint-André de moitié avec Bothwell dans l'assassinat[75]. Il fut représenté s'établissant dans son palais de Kirk-of-Field où il n'avait presque jamais résidé, pour savourer par tous ses sens la mort de Darnley, à laquelle auraient concouru quatre de ses hommes de confiance. Ses vues étaient de rapprocher sa maison de la couronne, d'un degré. Le zélé calomniateur oublie que les lois avaient institué les Hamiltons héritiers présomptifs à l'extinction de la descendance de Marie Stuart ; et que c'étaient eux qui, sur le chemin du trône, faisaient obstacle aux Lennox, et non pas les Lennox aux 'laminons. Du reste, pas une des nombreuses dépositions que Morton et Murray arrangèrent avec tant de savoir-faire, n'articule la complicité de l'archevêque de Saint-André[76]. Du pamphlet, le crime du prélat passa dans l'histoire d'Écosse du même Buchanan[77], et s'y élargit au point d'absorber le crime de Bothwell. C'est en avril 1571 ; Lennox a surpris à Dunbarton l'archevêque de Saint-André, chef du parti de Marie Stuart, et s'est empressé de le mettre à mort sans jugement. Mais l'historien juge convenable de dire faussement que le prisonnier, ayant sur la conscience le double meurtre de Darnley et du comte de Murray — qui avait été assassiné en janvier 1570 —, s'est pendu lui-même. Cet événement, continue-t-il, mit en lumière des choses généralement nouvelles ; car on les avait ignorées pour la plupart jusqu'à ce jour. L'archevêque de Saint-André qui logeait tout près — de la petite maison de Kirk-of-Field —, ayant reçu la proposition de tuer le roi, l'entreprit volontiers, et parce qu'il nourrissait de vieilles haines contre lui, et parce qu'il se flattait de transférer la dignité royale dans sa famille. En conséquence, après avoir choisi six ou huit des plus pervers parmi ses domestiques, il leur donna les clefs du logement du roi et les chargea de l'affaire. Ces hommes entrèrent très-doucement, étouffèrent le roi pendant son sommeil et transportèrent son corps dans un jardin par la petite porte, dont j'ai parlé antérieurement. Alors à un signal donné, on mit le feu sous la maison. Respirons, après cette révélation étonnante. Qui donc avait lancé tant de foudres, entassé les montagnes contre Marie Stuart, contre Bothwell ? N'était-ce pas ce même Buchanan ? Quoi ! le meurtre de Darnley n'est plus qu'un complot des Hamiltons pour usurper le trône ? Et d'où sort ce témoignage inopiné ? Ce n'est pas d'un simple pamphlet, hasardant la calomnie au gré de la passion du moment ; c'est de l'histoire d'Écosse, de l'écrit le dernier en date, sans doute le plus sérieux et le plus médité de l'auteur, à moins qu'après avoir menti successivement à l'avantage de Murray et de Lennox, Buchanan n'ait menti encore pour le comte de Morton, régent à son tour, et comme ses prédécesseurs, ennemi des Hamiltons. Ne revendiquons pas en faveur de Bothwell le verdict qui lui tombe des nues, qu'on nous passe le mot. Nous le tenons, malgré l'historien, pour coupable au premier chef de l'assassinat de Darnley. Mais n'est-il pas piquant d'apprendre ainsi par leur propre bouche ce que valent ces hommes sur la foi desquels on condamne Marie Stuart depuis trois siècles ?

Que fit cependant Bothwell à l'instant suprême du crime ? Il n'est nullement certain qu'il Mt de sa personne sur le lieu. Il est vrai que d'après les dépositions de Powrie, de Dalgleish, de Hay de Tallo et d'Hepburn, il aurait quitté Holyrood à minuit, et, demeuré avec eux, les aurait dirigés jusqu'à la fin[78]. Hay de Tallo et John Hepburn disent qu'à deux heures du matin ils allumèrent la mèche ; qu'après avoir fermé les portes derrière eux, ils rejoignirent Bothwell à quelque distance ; que celui-ci, dévoré d'impatience, leur demanda s'il n'y avait pas quelque endroit d'où il pourrait voir la mèche et qu'ils lui indiquèrent une fenêtre[79]. De plus en plus animé, il allait s'introduire dans la maison, si Hepburn ne l'eût retenu. Peu après, l'édifice volait dans les airs. Tout cela repose sur la donnée fausse de l'assassinat de Darnley par la poudre. Aussitôt après l'explosion, les assassins coururent vivement vers Édimbourg, dans la direction de Leith-Wynd ; ils voulaient escalader la muraille, mais Bothwell n'ayant pas pu y parvenir à cause de sa main blessée[80], envoya Hepburn parlementer avec le portier de Nether-Bow, qui leur avait ouvert précédemment. Déjà, dit Paris, le monde commençait à venir. Le comte regagna Holyrood par la Canongate, rentra chez lui, demanda à boire et se mit au lit ; il y resta jusqu'au moment où le fracas de la poudre, ayant réveillé le palais, le remplit d'alarme. Mais si Bothwell était présent en effet à la destruction de Kirk-of-Field, comment eut-il le temps de parcourir les trois quarts de mille, distance entre le lieu du crime et Holyrood, de faire tant d'allées et de venues, de remonter enfin à son gîte et à son lit dans la partie supérieure du château, entre le moment où la poudre tonna comme une formidable batterie d'artillerie, et celui où le château commença de s'é mouvoir ? Probablement après avoir arrêté à Kirk-of-Field les dispositions finales, il se retira chez lui pour se préparer un alibi[81]. Il fit comme les principaux du complot qui, avait-il dit à Hepburn, devaient envoyer chacun un ou deux de leurs hommes à l'exécution. Il était couché depuis une demi-heure, lorsqu'un officier de la Cour, Georges Racket, entra consterné et livide comme du goudron, sans pouvoir dire un mot. De quoi s'agit-il, demanda Bothwell ? — La maison du roi a sauté en l'air, et sans doute le roi est tué. — Fi ! trahison ! s'écrie le coupable. Il se lève. Bientôt arrivent le comte d'Huntly et beaucoup d'autres ; tous ensemble vont chez la reine[82].

Ainsi périt le malheureux prince, au moment où paraissant comprendre ses fautes de deux années, il revenait à la femme qu'il avait méconnue. En lui rapportant son amour et son appui, il allait être une force pour la royauté. Mais si Marie Stuart savait pardonner, il n'en était pas de même des nobles d'Écosse ; pour eux, indépendamment de leurs motifs personnels de haine, le crime irrémissible de Darnley, comme de Marie Stuart, était de porter la couronne.

 

 

 



[1] Chalmers, t. III, p. 41, note h. — Miss Strickland, t. V, p. 96-7.

[2] Drury, prévôt de Berwick, écrit de cette ville à Cecil, le 23 janvier 1567 : Le comte de Morton est chez le laird de Wittingham, où lord Bothwell et Lethington vinrent le visiter récemment. (Chalmers, t. III, p. 41, not. h, et p. 112, not. n.)

[3] Miss Strickland, t. V, p. 97.

[4] Confession de Morton sur l'échafaud en 1581, dans Chalmers, t. III, p. 433-4. — Lettre d'Archibald Douglas à Marie Stuart en 1584, dans Robertson, Append., n° 47. Miss Strickland, t. V, p. 97 et suivantes.

[5] Morton déclara aux ministres qui l'assistaient près du billot, qu'il n'avait pas déconseillé le complot. A qui, poursuit-il, l'aurais-je révélé ? A la reine ? Elle était de l'affaire. J'eus la pensée de le révéler au roi ; mais je ne l'osai pas, parce que je mettais ma vie en danger. C'était un enfant à qui l'on ne pouvait rien dire qu'il ne le redit aussitôt à la reine. Je connaissais d'avance le complot, et je le cachai, parce qu'il y allait de ma vie à le révéler à qui que ce fût.

Un homme cependant aurait pu recevoir ses confidences : c'était le mari de sa cousine Marguerite Douglas, le père même de Darnley, le comte de Lennox, alors brouillé avec Marie Stuart. Celui-ci était capable de garder un secret, c'est-à-dire de taire le nom du révélateur. Il n'y avait pas de querelle entre Lennox et Morton. Ils étaient tous deux du même parti hostile à la reine. C'est bien volontairement que le dernier livra son jeune parent à sa destinée. Il est difficile de concilier la déclaration que la reine était dans l'affaire avec l'impossibilité où fut Bothwell de montrer d'elle aucun écrit, et avec le message de Lethington qu'elle n'avait voulu entendre parler de rien. Miss Strickland établit que la confession de Morton est loin d'être loyale (t. V, p. 97-103).

[6] Goodall, Append., p. 244.

[7] Nous nous autorisons des lettres de Glasgow, dont les deux premières, les seules qui mentionnent un endroit choisi, ne parlent que de Craigmillar, pour faire voir que les grossières calomnies employées contre Marie Stuart n'empêchent pas de discerner la vérité.

[8] Anderson, t. II, p. 272. Bothwell this 24th day wes found verray tymus weseing the kingis ludging that wes in preparing for him, and the same nycht tuik journay towards Lyddisdail.

[9] Teulet, Lettre de Marie Stuart, p. 12, 28. Ces deux indications sont déjà dans le chapitre précédent.

[10] Teulet. Lettre de Marie Stuart, p. 94.

[11] Miss Strickland, t. V, p. 132, d'après Adam Blackwood. — C'est là qu'on établit plus tard l'hôpital royal, que remplaça le collège.

[12] Detectio, p. 5.

[13] Nous en verrons la preuve plus loin.

[14] Miss Strickland, t. V, p. 134, d'après une Lettre de Drury à Cecil, Berwick, 28 février 1567. — Voy. Tytler, t. V, p. 516, édit. 1845. — Goodall, t. I, p. 146-7.

[15] Nous l'établirons en son temps.

[16] Anderson, t. II, p. 65. Le lecteur se souviendra que l'Action est la seconde partie de la Delectio.

[17] Goodall, t. II, Append., p. 231, 241 p. 243-5. La Déposition de Nelson, id., p. 243-5.

[18] M. Mignet compte, en effet, parmi les retirer à la veille de l'explosion les objets (T. I, p. 440.) preuves contre Marie, ce soin de qu'elle ne voulait pas sacrifier.

[19] Rapprochons ceci d'une expression de M. Mignet (t. I, p. 261) sur la maison de Kirk-of-Field, au moment de l'arrivée du roi : Petite, étroite, mal tenue....

[20] Inventaire de la garde-robe royale, publié par Thomas Thomson, Esq. — La décharge donnée par Marie Stuart à Servais de Condé a été retrouvée récemment, et communiquée par Joseph Robertson, Esq., à miss Strickland, t. V, p. 135-9.

[21] En écrivant ce récit calomnieux, Buchanan ne fit que répéter la fable que lui-même, Lethington et Makgill avaient déjà débitée aux commissaires anglais à York. — Goodall, Append., p. 142.

[22] Déposition d'Hepburn dans Anderson, t. II, p. 183-4.

[23] Déposition de John Hay dans Anderson, t. II, p. 178.

[24] Chalmers, t. II, p. 451, d'après la Confession d'Ormiston, le 13 décembre 1573 ; — et Anderson, t. II, p. 178, 183, 184.

[25] Anderson, t. II, p. 165-188.

[26] Tytler, t. VI, p. 22-23, édit. 1845.

[27] Tytler, t. VI, p. 31, édit. 1845, d'après les correspondances de Bedford, Drury et Scrope avec Cecil.

[28] Tytler, t. VI, p. 32, édit. 1845.

[29] Labanoff, t. VII, p. 322.

[30] Goodall, Append., p. 359. Parmi ces trente-cinq nobles. Il y avait sept comtes — Huntly, Argyle, Cassilis, Rothes.... —, douze lords — Ogilvie, Fleming, Boyd, Livingston, Barries, Oliphant.... —, huit évêques — Saint-André, Dunkeld, Rom, Argyle.... —, huit abbés : c'est-à-dire un grand nombre de personnages éminents, de l'une et de l'autre religion.

[31] Dans Anderson, t. I, p. 76-77.

[32] Chalmers a reproduit ce poème, t. III, p. 396-401.

[33] Chalmers, t. III, p. 401-3.

[34] L'innocence de la très-illustre, très-chaste et débonnaire princesse madame Marie, royne d'Écosse, 1572, par Belleforest, dans la collection de Jebb, t. I, p. 474-6.

[35] Dans Anderson, t. II, p. 160, 162.

[36] Sur ces scènes émouvantes et si intéressantes de l'échafaud du 3 janvier, M. Mignet ne cite (t. I, p. 315-6) et ne connaît que les paroles prêtées à Hepburn par Buchanan. Les témoignages que nous avons rapportés sur les déclarations des condamnés sont pour lui non avenus, comme s'ils n'existaient pas.

[37] Chalmers, t. II, p. 451-3. — Goodall, t. I, p. 391-2, d'après Carte, t. III, p. 531.

[38] Lettre d'Archibald Douglas à Marie Stuart, avril 1584, dans Robertson, pièce n° 47.

[39] Paris hésite sur le jour précis, dans ses interrogatoires. Il avance d'ailleurs l'époque où Bothwell résolut d'employer la poudre.

[40] Teulet, p. 79-80, note. — La première confession de Paris, p. 79-93.

[41] Teulet, p. 90.

[42] Dans la Deuxième confession (Teulet, p. 97-8), Paris dit que la première fois que la reine dut coucher à Kirk-of-Field, il reçut de Bothwell la défense de dresser le lit de la reine au-dessous de celui du roi, parce que le comte voulait placer la poudre en cet endroit. Paris n'ayant pas tenu compte de cette injonction, la reine lui dit le soir : Sot que tu es, je ne venir pas que mon lict soyt en test endroit-là. Et de faict le feist oster. C'est alors que Paris demanda à Marie les clefs de sa chambre. Outre les preuves générales de falsification énoncées antérieurement contre cette pièce, il y a des difficultés particulières. Ainsi, l'ordre de Bothwell à Paris pour la disposition du lit est rappelé dans la Deuxième confession (du 10 août 1569) ; et l'on renvoie à la Première confession (du 9 août 1569) ; mais celle-ci est muette sur cet article. — Dans la première, Paris dit que ce fut le mercredi ou le jeudi avant le crime (6 ou 6 février), après dîner, que Bothwell lui découvrit son plan de faire sauter le roi ; dans la deuxième, il n'hésite plus sur le jour. C'est le mercredi, jour où la reine coucha pour la première fois sous le même toit que le roi. On voit que du 9 au 10 août les bourreaux de Paris perfectionnèrent les dépositions qu'ils lui arrachaient par la torture. — La réponse de la reine encourage Paris à lui demander les fameuses clefs, ce qui est une contradiction flagrante avec le récit de la Première confession. — Il résulterait encore de cet incident du lit que dès le mercredi 5 février Bothwell aurait combiné tout son plan. Cependant Hepburn a déclaré que le comte ne se décida pour l'emploi de la poudre que deux jours avant le meurtre, soit le vendredi 7 février (Anderson, t. II, p. 184), et Powrie que la poudre fut apportée le samedi 8 seulement chez Bothwell à Holyrood. Alors comment admettre que dès le mercredi la reine et Bothwell aient réservé dans la chambre du rez-de-chaussée la place où l'on devait placer la poudre ? On trouva sans doute que les dépositions d'Hepburn et de Powrie faites en 1567 avaient le défaut de ne pas charger la reine ; et on y suppléa par celles de Paris en 1569.

[43] Déposition de Hay de Tallo, Anderson, t. II, p. 179.

[44] Miss Strickland, t. V, p. 148 et suivantes.

[45] Labanoff, t. VII, p. 253. On dressa, par ordre d'Élisabeth, le 29 août 1586, l'état de la maison de Marie Stuart à Chartley, en vue d'y opérer des réductions. Parmi les serviteurs figuraient Bastien Paiges et Marguerite Carwood, ainsi recommandés à la reine d'Angleterre par ses agents : Si la femme de Bastien était congédiée, il est probable que Bastien voudrait s'en aller avec elle ; en quoi il n'y aurait pas grande perte, parce que c'est une espèce de rusé, rempli de tours pour corrompre les jeunes gens.

[46] Encore un non-sens dont sont illustrées les prétendues lettres de Marie Stuart. Cependant, cette traduction ridicule, Murray apparemment la trouvait excellente, puisqu'il ne jugea pas à propos d'imprimer les mystérieux originaux français. — Il fallait dire vu que je n'y pouvais porter remède, puisque je l'ignorais. — La seconde phrase et depuis que je m'en suis apperçue serait d'une femme plus forte en niaiserie qu'en conspiration.

[47] Selon l'usage, elle devait rompre le gâteau de noces au-dessus de la tête de l'épousée, lui présenter la coupe d'argent remplie de lait mêlé de vin, et lui retirer un bas (Miss Strickland, t. V, p. 152-3).

[48] Les mots de jalousie et de soupçon viennent du texte de Buchanan, conséquent avec lui-même.

[49] Labanoff, Lettre de l'évêque de Mondovi au duc de Toscane, t. VII, p. 109.

[50] Chalmers, t. III, p. 238 et note s.

[51] Miss Strickland, t. V, p. 159.

[52] Anderson, t. II, p. 165-173.

[53] Anderson, t. II, p. 172.

[54] Anderson, t. II, p. 166, 171, 180, 185.

[55] Cette conspiration, décousue par voies et par chemins, change d'aspect sous la plume de M. Mignet. L'historien, avec cette méthode puissante et rigoureuse qui ne souffre pas le désordre chez les faits, les discipline, les noue, et leur imprime la disposition régulière que n'offre pas le récit de Paris : Le dimanche, avant la fin du jour, Bothwell avait réuni la plupart de ses complices dans la même salle — la salle basse de son logement —, s'était concerté avec eux, et leur avait distribué les rôles qu'ils devaient jouer dans la nocturne tragédie. (T. I, p. 273.) C'est l'abrégé des dépositions, moins expresses toutefois, de Dalgleish et de Powrie ; mais nous ne voyons pas pourquoi nous ferions à celle de Paris l'affront de ne pas la croire aussi digne de foi, d'autant plus qu'Hepburn parle aussi des mouvements de Bothwell et le fait aller chez le laird d'Ormiston, en sortant du banquet de l'évêque d'Argyle (Anderson, t. II, p. 184-6). C'est alors seulement, toujours d'après Hepburn, que Bothwell révéla pour la première fois le complot au frère du laird d'Ormiston, Hob Ormiston, et l'enrôla parmi les conjurés ; tandis que Powrie et Dalgleish font assister Hob au conseil tenu par le comte à Holyrood aussitôt après le banquet.

[56] Teulet, Première confession de Paris, p. 89-90.

[57] Toujours d'après la Première déposition de Paris. Teulet, p. 90.

[58] Déposition de Hay de Tallo dans Anderson, t. II, p. 181.

[59] Goodall, Append., p. 245.

[60] Lorsque, après la mort de Darnley, la reine et le conseil annoncèrent cette catastrophe en France, leurs lettres, bien loin de donner lieu à penser qu'elle dût coucher cette nuit-là dans la funeste maison, insistèrent comme sur un bienfait de la Providence qu'elle n'y eût pu couché à cause du bal. — Labanoff, t. II, p. 4, et Keith, préf. VIII-IX. — Voyez au chap. suivant. — M. Mignet (t. I, p. 281) relève contre la reine le transport de la poudre et l'introduction des deux principaux auteurs du crime dans sa propre chambre, où l'on n'aurait pas répandu la poudre ni caché les assassins si elle n'en avait rien su, parce qu'elle aurait pu y descendre et tout découvrir ; enfin, son départ de la maison de Balfour, où elle devait passer la nuit, quelques heures avant que Darnley fût tué.... Nous trouvons ces deux chefs d'accusation contradictoires. Comment admettre, quelque complice qu'elle soit, qu'elle laissera ou fera répandre la poudre dans la chambre où elle doit coucher ? Est-ce pour sauter avec son mari ? Quelle terrible femme de ne pas reculer devant l'idée de dresser son lit dans le cratère même du volcan ! Qui peut douter que si l'on répand la poudre dans la chambre, c'est qu'on est certain qu'elle n'y doit pas passer la nuit ? Et pour que les assassins le sachent, faut-il absolument qu'elle soit des leurs ? D'autre part, devant aller au bal et coucher à Holyrood, se trouvant en retard, elle n'a aucune raison d'entrer dans sa chambre de Kirk-of-Field. Tout s'explique simplement.

[61] And thaireftir thai Baith returnit to the Abbay.

Remarquons la superbe négligence de l'accusation. La reine et le comte allèrent au mariage de Bastien, puis retournèrent à Holyrood. — Mais c'est à Holyrood même que la fête avait lieu ! Murray n'a pu résister au plaisir de faire vaguer le couple une fois de plus. Qu'a-t-il à craindre, puisque son journal est seulement pour Cecil son bon ami ?

[62] T. I, p. 274 ; d'après Tytler, t. V, p. 383, édit. 1845.

[63] Miss Strickland (t. V, p. 165) fait observer que parmi les dames figuraient les comtesses de Mar, d'Athol et de Bothwell ; que ces dames, spectatrices de sa vie, auraient été des témoins bien dangereux, si elle avait mérité des reproches. Jamais la comtesse de Bothwell n'éleva de plainte contre la reine pour sou mariage avec le comte ; et lady Athol, après la mort de son mari, sollicita la faveur de partager, ainsi que sa fille, la prison de Marie Stuart en Angleterre.

[64] Strickland, t. V, p. 181, et t. II, p. 328-9.

[65] Mignet, t. I, p. 275, d'après Tytler, t. V, p. 382, édit. 1846 et une Lettre de Drury à Cecil.

[66] Dans Anderson, t. II, p. 169, 175, 182, 186.

[67] Anderson, t. II, p. 160. — Ceci est tiré de l'analyse de Buchanan dans la Detectio.

[68] Anderson, t. II, p. 190-1.

[69] Lettre du nonce du pape à Cosme Ier, grand-duc de Toscane. Paris, 16 mars 1567 ; collection Labanoff, t. VII, p. 108.

[70] Pour le dire en passant, le sommeil si profond du seul survivant noua étonne. Cela ne servît-il pas à dispenser les inspirateurs de sa déposition d'être précis sur la mort du roi !

[71] Labanoff, t. VII, p. 108-9 (Lettre du nonce, citée plus haut).

[72] Miss Strickland, t. V, p. 175, d'après Arnott's criminal Trials. Goodall, t. I, p. 328 et suivantes.

[73] Miss Strickland, t. V, p. 179. — Tytler, t. V, p. 520, édit. 1845.

[74] Goodall, t. I, p. 328.

[75] Ane admonition direct to die trew lordis maintenaris of the Kingis Graces authoritie (Avertissement donné aux lords fidèles soutiens de l'autorité de Sa Grâce le Roi), écrit en 1570, imprimé à Stirling en 1571. Préface, p. XIX ; Vie de Buchanan, p. 10, édit. Feebairn, t. I, 1715. — Goodall, t. I, p. 342-3. — L'Astio (dans la Detectio), Anderson, t. II, p. 65.

[76] M. Mignet inscrit ce personnage parmi les conjurés, mais sur la foi de Buchanan, et sans indiquer de preuve. On n'en fit un des assassins que du temps de Lennox. Nous venons d'expliquer pourquoi.

[77] Lib. XX, p. 397, édit. Freebairn.

[78] Anderson, t. II, p. 169, 176, 182, 186.

[79] Miss Strickland (t. V, p. 169) fait observer qu'il était beaucoup plus naturel que Bothwell, homme de la cour, connût la disposition de la maison, plutôt que deux lairds du Liddisdale, dont tout l'office s'était borné à s'introduire de nuit et à se tenir blottis dans la chambre du rez-de-chaussée.

[80] Depuis le combat avec John Elliot en octobre 1568.

[81] Miss Strickland, t. V, p. 168-171.

[82] Déposition de Powrie et de Dalgleigh, Anderson, t. II, p. 170, 176.