C'est à Saint-Cloud, le 15 juillet au matin, que fut lue et adoptée la déclaration de guerre rédigée par le duc de Gramont et par M. Émile Ollivier. Cette déclaration disait que le Cabinet français avait refusé de mêler au litige Hohenzollern aucune récrimination sur le passé et de sortir de l'objet même dans lequel il l'avait renfermé dès le début, c'est-à-dire le retrait de la candidature du -prince de Hohenzollern au trône espagnol. Les points relevés pour justifier notre attitude étaient les suivants : Admission par la plupart des puissances de la justesse de notre réclamation ; fin de non-recevoir opposée par le ministère prussien, sous prétexte qu'il ignorait l'affaire ; affirmation faite par le roi d'être resté étranger aux négociations entre le prince Léopold et l'Espagne ; distinction subtile entre le souverain et le chef de famille ; demande faite par la France de l'adhésion du roi à la renonciation du prince Léopold avec promesse de ne plus autoriser la reprise de la candidature ; adhésion du roi à la renonciation, mais refus formel d'interdire le renouvellement de la candidature pour l'avenir, puis notification à l'ambassadeur français d'un brutal refus d'audience ; communication subite de ce prétendu refus aux Cabinets de l'Europe, armements opérés en Prusse et nécessité de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts, la sécurité et l'honneur de la France. Celui qui étudie avec calme la déclaration y trouve matière à des observations importantes. S'il est vrai qu'elle ne parle ni de la violation du traité de Prague, ni des questions encore en litige du Luxembourg, ni de la provocation incessante et de la mauvaise foi du Cabinet prussien, elle dit que l'objet de la discussion n'est pas sorti du cadre où il avait été placé dès le début. Or, du 7 au 11 juillet, le Cabinet Ollivier demandait la renonciation du prince Léopold et l'adhésion du roi, mais à partir du 12 le Cabinet y ajoutait l'exigence de garanties nouvelles[1]. Il affirmait que la plupart des Cabinets étrangers admettaient la justice de notre réclamation. Or, l'Angleterre nous conseillait formellement de nous contenter de la renonciation. La Russie s'étonnait de nos exigences nouvelles. L'Autriche s'en inquiétait et l'Italie dissimulait vainement sa désapprobation. Ce qui formait un grief incontestable, c'est que le Cabinet prussien prétendait ignorer l'affaire, alors qu'il avait fait naître le conflit et préparé tout ce qui devait en sortir. Ce qui était vrai encore, c'est que le roi avait inventé une distinction inadmissible entre le souverain et le chef de la famille royale. Enfin, ce qui paraissait un véritable affront, c'est la publication en France et dans toute l'Europe d'une dépêche offensante où il était dit que l'ambassadeur prussien avait reçu ordre de prendre son congé. Mais était-il exact qu'on n'eût rien négligé pour éviter cette guerre ? Ce qui a été dit et démontré dans les précédents chapitres suffit à promu le contraire, et je ne veux pas renouveler une démonstration que je crois péremptoire. Encore une fois, avec de la prudence et du sang-froid, la Prusse et son chancelier auraient été mis dans leur tort, au su et au vu de toute l'Europe. Parmi les ministres qui n'avaient pas assisté au Conseil du 14 au soir, se trouvait Segris qui demanda anxieusement à Le Bœuf si nous avions des chances de vaincre. Le ministre de la Guerre lui répondit que nous étions prêts et que jamais nous ne serions en meilleure situation pour vider notre différend avec la Prusse. Le même ministre avait remis à l'empereur une note où il disait : Nous sommes plus forts que les Prussiens sur le pied de paix comme sur le pied de guerre. Il aurait même engagé l'empereur à rendre cette note publique, tellement sa certitude et sa confiance étaient grandes[2]. Cependant, Napoléon III n'était pas aussi confiant que Le Bœuf, puisque au sortir du Conseil où la guerre avait été votée par lui comme par tous les ministres, il priait en secret le comte de Witzthum d'aller demander à François-Joseph de prendre l'initiative du Congrès, dont il avait accepté la proposition avec tant de joie[3]. Une fois la déclaration acceptée par le Conseil, M. Ollivier se rendit à Paris et passa au ministère des Affaires étrangères. J'y trouvai, dit-il, Benedetti arrivé le matin. L'ambassadeur avait en effet télégraphié le 14 qu'il arriverait le 15 à dix heures et quart du matin à Paris et se rendrait immédiatement au quai d'Orsay. M. Ollivier affirme qu'il y vint et que Gramont et lui l'interrogèrent minutieusement. Il ne nous apprit rien de nouveau, dit-il, sur ce qui s'était passé à Ems et confirma, sans y rien ajouter, les détails circonstanciés de ses dépêches et de ses rapports. Sur ce qui s'était passé à Berlin et sur la machination de Bismarck, il ne savait absolument rien. L'entendre en Conseil n'eût donc été d'aucune utilité. Si Benedetti a confirmé aux deux ministres les détails circonstanciés de ses dépêches et de ses rapports, il leur a certainement prouvé de la façon la plus péremptoire qu'il n'y avait eu ni insulteur ni insulté à Ems ; qu'il avait lu le supplément de la Gazette de Cologne, identique à celui de la Gazette de l'Allemagne du Nord, et qu'il n'avait pas été brutalement congédié par le roi. Cela ressortait sûrement des faits eux-mêmes et l'ambassadeur n'eût-il fait que les énoncer de nouveau devant le Conseil, il eût démontré par là même toute la perfidie et toute la fausseté de la dépêche d'Ems. S'il a confirmé ses dépêches et ses rapports, comme le remarque M. Ollivier, il a dû dire certainement qu'il avait été reçu par le roi, alors que la dépêche d'Ems avait déclaré qu'il était congédié et que les journaux allemands avaient perfidement annoncé qu'il avait été mis à la porte. Il a prouvé enfin que la vraie raison pour laquelle le roi n'avait pu accéder à l'exigence du duc de Gramont et de M. Ollivier, c'était la crainte de se compromettre devant l'opinion allemande déjà surexcitée et de porter une atteinte grave à la dignité de la Couronne et de la nation. N'eût-il répété que cela, et il eût nécessairement été amené à le faire, sa déposition eût été d'une singulière utilité devant le Conseil. Mais la déclaration de guerre ayant été votée, on jugea sa présence gênante et on le lui fit comprendre. A ce moment si grave où quelques mots de l'ambassadeur eussent pu faire toute la lumière, M. Ollivier l'accuse d'avoir pensé beaucoup plus à sa personne qu'à la guerre elle-même. Benedetti se plaignait, parait-il, d'un article du Constitutionnel, journal du ministère, qui l'accusait de n'avoir pas prévenu le gouvernement de la candidature Hohenzollern. Cette accusation était injuste, car il avait dit tout ce qu'il salait et fait comprendre que la demande de garanties allait aggraver la situation. Si les ministres eussent été plus au courant de la politique de nos voisins, ils eussent compris ce mot de Bismarck dit en 1866 : Il ne serait guère possible d'arriver à. conclure la paix dans un conflit extérieur, si l'on demandait que l'une des parties fit cet aveu : Je reconnais que j'ai eu tort. Le garde des Sceaux prétend que Benedetti l'obsédait de ses plaintes à l'égard de l'article du Constitutionnel et qu'il dut lui faire comprendre que, ne s'occupant pas des attaques dirigées contre lui-même, il ne pouvait réfuter celles dont un autre était l'objet. Il eût mieux valu, au lieu de cette remontrance ironique, que M. Ollivier priât l'ambassadeur, qui allait assister à la séance, de se tenir à la disposition du ministère, au cas où les députés auraient à demander quelques détails précis sur les négociations et sur les origines de la dépêche d'Ems. Cette dépêche, venue d'Ems à Berlin dans la journée du 13 juillet à six heures trente minutes du soir et remaniée par Bismarck, était une fourberie ; mais non, comme M. Émile Ollivier le dit et le répète à satiété, un soufflet. Laissons à l'historien allemand Erich Marcks la gloire de cette fausse et injurieuse comparaison. Non, la face auguste de la France n'a pas reçu de soufflet le 13 juillet, et le comte de Bismarck, si audacieux qu'il fût, n'a pas osé lui-même aller jusque-là. Il n'a point fait ouvertement acte de violence. Il ne s'est pas rué sur nous comme on se rue dans un moment de colère folle sur un adversaire que l'on voudrait écraser, il a fait un geste moins noble encore que le coup de Jarnac ; il nous a donné un vulgaire croc-en-jambe. On savait donc à Paris le 14 an soir par un supplément de la Gazette de l'Allemagne du Nord, — reproduit par un certain nombre de journaux à la suite d'une communication de l'agence Havas qui publiait le testé même de la dépêche, — que l'ambassadeur français ayant, après la renonciation officielle du prince Léopold, demandé au roi de l'autoriser à télégraphier à Paris que Sa Majesté s'engageait pour l'avenir à ne plus donner son consentement si les Hohenzollern revenaient à leur candidature, le roi avait refusé de recevoir Benedetti et lui avait fait dire par l'aide de camp de service qu'il n'avait rien de plus à lui communiquer. Cette nouvelle ainsi présentée était, je le répète, une injure notoire ; mais n'avait-on aucun indice qui pût faire soupçonner qu'on se trouvait en face d'un stratagème provocateur dont il était facile de deviner l'auteur réel, étant données les attaches étroites de la Gazette de l'Allemagne du Nord avec la chancellerie prussienne ? Le 13 juillet, à trois heures quarante-cinq de l'après-midi, ce même Benedetti, dont on ose affirmer que l'audition par le Conseil des ministres n'eût été d'aucune utilité, avait télégraphié au duc de Gramont au sujet de la malheureuse demande de garanties : J'ai de fortes raisons de croire que je n'obtiendrai aucune concession à cet égard. Puis, le même jour, à sept heures, il avait informé Gramont que le roi lui avait fait dire très courtoisement, par son aide de camp, qu'il ne saurait reprendre avec lui l'entretien relatif aux garanties d'avenir. Le roi s'en référait aux considérations exposées par lui dans la matinée, considérations que Benedetti développait dans un rapport que le ministre des Affaires étrangères reçut le 14 au matin. Ce point important est à noter. Le rapport disait textuellement que le roi de Prusse, malgré l'accueil gracieux qu'il n'avait cessé de faire aux instances de l'ambassadeur français, se refusait à dénouer les difficultés qu'il avait fait naître. Guillaume ne se dissimulait pas non plus la graffité de l'échec auquel il s'était exposé et craignait d'aggraver le mécontentement provoqué en Allemagne par la renonciation du prince Léopold. Il lui déplaisait de reprendre avec l'ambassadeur un entretien qui coûtait énormément à son amour-propre offensé. Or, si les ministres avaient eu plus de sang-froid et pris le temps de réfléchir, ils auraient compris cette attitude. Avec les indications si nettes fournies par Benedetti, ils auraient saisi que le roi ne voulait pas, dans une seconde discussion au sujet de garanties inacceptables, compromettre sa dignité et se créer une situation intenable en Allemagne, mais qu'il n'avait pas l'intention de blesser la 'France en la personne de l'ambassadeur. Et voici ce qui le prouve nettement. Le 14 juillet, à minuit trente, Benedetti avait télégraphié d'Ems au duc de Gramont cette information importante : Le télégramme daté d'ici, publié par la Gazette de Cologne, raconte que le roi a chargé hier un de ses aides de camp de me déclarer qu'il ne prendrait aucun engagement pour l'avenir et qu'il avait refusé de me recevoir pour continuer la discussion avec moi à ce sujet. Comme je n'en avais fait la confidence à personne, je suis autorisé à croire que ce télégramme est parti du cabinet du roi. Il me revient que depuis hier on tient dans son entourage un langage regrettable. Il ressort donc de ce télégramme que notre ministre des Affaires étrangères était averti que la dépêche d'Ems qui lui causait une si légitime émotion était partie du cabinet du roi, où les ministres Eulenbourg et Camphausen et le conseiller Abeken, fidèles exécuteurs des desseins de Bismarck, avec lequel ils étaient en rapports journaliers, étaient visiblement animés contre nous. Donc, dès les premières heures de la journée du 15 juillet, le Cabinet Ollivier était mis en garde contre les menées secrètes du chancelier et de ses partisans. Il avait été en outre averti par une autre dépêche du 14, partie d'Ems à trois heures quarante-cinq minutes de l'après-midi, que notre ambassadeur avait vu le roi de Prusse et que celui-ci l'avait informé que les négociations qui pourraient encore être poursuivies seraient continuées par son gouvernement. Est-ce que cette dépêche n'était pas déjà un premier démenti donné à la dépêche publiée par la Gazette de l'Allemagne du Nord ? Si, devant M. Émile Ollivier et le duc de Gramont, le 15 juillet avant la séance du Corps législatif, Benedetti a insisté sur ce fait qu'il avait prévenu à temps le gouvernement de la candidature Hohenzollern, il n'a pu, encore une fois, se taire sur le fait capital qu'il n'avait reçu aucune insulte de la part du roi. De ce fait certain à la supposition qu'on était en face d'un stratagème ourdi par le chancelier lui-même, il n'y avait qu'un pas à faire. En tout cas, l'ambassadeur aurait dû être entendu, avant la séance de la Chambre, par le Conseil tout entier. Certains ministres comme MM. Louvet, Segris et Plichon — que M. de la Gorce l'a établi par des papiers inédits — ne voulaient pas la guerre et l'audition de Benedetti eût provoqué des questions utiles, suscité des réponses probantes, dissipé des obscurités et amené peut-être une autre détermination. Continuons à suivre toutes les péripéties de cette lamentable journée. Entrons au Corps législatif et écoutons ce qui va s'y dire. M. Émile Ollivier lit le mémorandum du Cabinet qui relate les divers pourparlers d'Ems et le procédé violent du roi de-Prusse qui avait fait informer l'ambassadeur français qu'il ne le recevrait plus et notifié ce refus aux Cabinets européens et à la Presse. En conséquence, le Cabinet avait jugé à propos de rappeler les réserves et de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts et la sécurité de la France. Alors Thiers, dans un discours haché d'interruptions violentes et d'injures odieuses, soutint que le Cabinet avait obtenu satisfaction sur le fond de ses prétentions et rompait sur une question de susceptibilité. S'il y a eu, dit-il, un jour, une heure où l'on puisse dire sans exagération que l'Histoire nous regarde, c'est cette lamentable journée ; il nie semble que tout le monde devrait y penser sérieusement. Quand la guerre sera déclarée, il n'y aura personne de plus zélé, de plus empressé que 'moi à donner au gouvernement le moyen dont il aura besoin pour la rendre victorieuse... J'ajoute que la France et le monde aussi nous regardent. On ne peut pas exagérer la gravité des circonstances. Sachez que de la décision que vous allez émettre peut résulter la mort de milliers d'hommes. Qu'eût dit, qu'eût fait le Corps législatif si l'avenir s'était tout à coup entr'ouvert à ses yeux ; s'il avait pu voir le tableau effrayant des maux et des douleurs du pays six mois après : deux cent mille Français tués ou blessés, deux provinces arrachées par l'ennemi, cinq milliards d'indemnité, neuf milliards de dépenses militaires et la guerre civile en perspective ! Obéissant à un devoir patriotique, Thiers demanda, pour être certain de l'offense qui nous était faite, la communication des dépêches d'après lesquelles on avait pris la résolution de faire la guerre, M. Ollivier les refusa et répondit que point résolution n'avait été plus nécessaire, car toute satisfaction nous avait été refusée. Selon lui, le roi de Prusse n'avait jamais voulu intervenir pour amener ou faciliter la renonciation du prince Léopold et, une fois la renonciation obtenue, avait affecté de s'y montrer étranger. Il avait également refusé de donner des assurances pour l'avenir, réclamées pourtant par le Cabinet dans les formes les plus respectueuses. Enfin, la notification communiquée à l'Europe du refus de recevoir l'ambassadeur ne pouvait être tolérée. Dès ce jour, dit-il, commence pour les ministres, mes collègues, et pour moi une grande responsabilité, nous l'acceptons le cœur léger. Que cette expression, échappée à l'orateur dans un mouvement d'émotion naturelle, ait été une expression malheureuse, cela est indiscutable. Ni littérairement, ni politiquement, elle ne peut être approuvée. Chercher un équivalent ou une excuse dans le cri de la Marmora en 1866, ou dans des citations de Pascal, de Lamartine, d'Hugo, d'Henri IV, de Dickens et d'Ouida, est chose inutile. Le mot est déplorable et restera tel. Sans doute, M. Ollivier n'a jamais voulu dire par là qu'il acceptait la guerre avec joie, mais il a affirmé qu'en employant cette expression, il avait le cœur confiant et exempt de tout remords. Il a tenu à attester la droiture de sa conscience et aussi de celle de ses collègues, puisqu'il a dit : Nous acceptons la responsabilité. Ses intentions pouvaient être bonnes, mais ses actes, hélas ! les ont mal servies, puisque, ne voulant pas la guerre, il a été amené à la déclarer et dans quelles conditions ! Après le dépôt des crédits et des projets de lois militaires, la séance est suspendue à trois heures moins cinq minutes. Des groupes animés se forment dans les couloirs. Chacun s'accorde à reconnaître qu'il faut que le Cabinet donne des explications plus complètes au Corps législatif, avant de l'engager à fond dans la guerre projetée. A trois heures et demie, la séance reprend et M. Ollivier remonte à la tribune. Il dit que le gouvernement n'a rien à dissimuler. S'il n'a rien à communiquer à la Chambre, c'est qu'il n'a eu que des communications verbales recueillies dans des rapports de représentants français à l'étranger que, d'après les usages diplomatiques, on ne peut communiquer. C'était le texte plus ou moins complet de la dépêche d'Ems qui courait tous les journaux, et le gouvernement, ne l'ayant pas reçue officiellement, persistait à ne pas vouloir la faire connaître. M. Ollivier ne dit malheureusement rien de la dépêche de Benedetti, du 14 à trois heures quarante-cinq, ni celle de minuit trente qui auraient pu éclairer les députés et leur faire comprendre que le refus du roi de recevoir l'ambassadeur, divulgué dans des suppléments de journaux prussiens, était une manœuvre de nos ennemis et du comte de Bismarck. Il y avait pourtant là un indice certain de l'action perfide du chancelier. Or, M. Ollivier ne dit rien non plus de la dépêche Lesourd, déjà connue par lord Lyons et envoyée à Londres, et qui reproduisait presque intégralement la dépêche d'Ems. Il ne dit rien du supplément de la Gazette de l'Allemagne du Nord, que le Conseil avait eu sous les yeux le 14 au soir. Il déclarera ensuite que l'aide de camp qui a annoncé à Benedetti le refus d'audience, n'a manqué à aucune des formes de la courtoisie et que l'ambassadeur n'a pas d'abord soupçonné la signification précise qu'on attacherait à un refus. Cette observation prouve que Benedetti, dans la matinée du 15, a dit tout de même, au quai d'Orsay, autre chose que des éloges sur sa propre conduite. M. Ollivier, qui ne le ménage guère au cours de son dernier livre, ne fait pas connaître aux députés que l'ambassadeur, dont on a notifié à l'Europe le congé insultant, a été reçu à la gare d'Ems par le roi, après que la dépêche de Bismarck avait été lancée dans la presse allemande et à l'étranger. Il ne dit pas non plus que notre ambassadeur a su par le roi lui-même que les négociations pourraient continuer à Berlin avec son gouvernement. En effet, le roi écrivait à la même heure à la reine Augusta : La surexcitation ici et dans l'Allemagne du Sud augmente tellement que nous devons poser une question à Paris et renvoyer les négociations à Berlin. Il y aura peut-être encore possibilité de trouver un arrangement, mais un seul qui n'atteigne pas mon honneur personnel, ni celui de la nation. M. Ollivier affirme au Corps législatif que ce n'est qu'après avoir connu la publication intentionnelle faite à l'Europe, que notre ambassadeur a été touché, comme le gouvernement lui-même, d'un acte qu'au premier moment il lui avait signalé purement et simplement, sans le caractériser. Or, Benedetti avait fait remarquer, en y insistant, que cette dépêche émanait du cabinet royal hostile à la France, depuis que le rapport Werther avait énoncé, dans la forme que l'on sait, les garanties exigées par le ministre des Affaires étrangères et par le garde des Sceaux. Reprenant en cette même séance les dépêches de Benedetti,
M. Ollivier cite celle du 13 juillet (3 heures
45) où l'ambassadeur notifie l'approbation par le roi du désistement,
mais il ne lit pas devant les députés cette déclaration relative à la demande
de garanties : J'ai de fortes raisons de croire que
je n'obtiendrai aucune concession à cet égard. Puis, il cite la
seconde dépêche (7 heures du soir) où
l'ambassadeur annonce que Sa Majesté se borne à se référer aux considérations
énoncées par lin dans la matinée et que j'ai,
dit Benedetti, développées aujourd'hui dans un
rapport que vous recevrez demain matin. Cette dernière phrase qui
faisait allusion à un rapport des plus importants qui aurait pu éclairer
singulièrement le débat, est également omise. Mais la seconde dépêche du 13
juillet ne s'arrêtait pas là. Benedetti disait dans un dernier paragraphe : Le roi a consenti, m'a dit encore son envoyé au nom de Sa
Majesté, à donner son approbation entière et sans réserve au désistement du
prince de Hohenzollern. Il ne peut faire davantage. J'attendrai vos ordres
avant de quitter Ems. Or, M. Ollivier n'a pas donné lecture de ce paragraphe au Corps législatif, et cette omission est infiniment regrettable. En effet, quand M. Thiers affirmait que la demande principale du Cabinet avait reçu du roi une réponse favorable, la majorité s'écriait : Non ! Non ! et voici que la dépêche de Benedetti l'attestait péremptoirement. Qu'eût dit M. Thiers, s'il eût connu ce passage si malencontreusement omis ? Quel député eût pu alors crier : Non ! Non ! L'homme d'État si perspicace eût prouvé que le refus d'une nouvelle audience n'était pas un outrage personnel pour l'ambassadeur et pour la France, mais l'impossibilité pour le roi de recommencer un entretien qui ne pouvait aboutir à rien. Enfin, si le Corps législatif avait connu le rapport de Benedetti, il aurait su formellement que le roi avait déclaré qu'il n'avait aucun dessein caché et que cette affaire lui avait donné de trop graves préoccupations pour ne pas désirer qu'elle fût définitivement écartée. Benedetti ajoutait qu'il avait appris quelques heures plus tard, par l'aide de camp du roi, que le prince Léopold avait retiré sa candidature et que Sa Majesté le priait de télégraphier au gouvernement qu'il considérait cette affaire comme définitivement terminée. Donc, si le Corps législatif, si la commission des Crédits avaient su cela, s'ils avaient eu sous les yeux toutes les dépêches et tous les rapports de l'ambassadeur, la face des choses eût certainement changé. Je ne crois pas que la guerre eût pu alors être évitée, car la même agitation, la même fièvre avaient gagné l'Allemagne et la France. Le feu était aux poudres. Mais, de l'examen attentif de toutes les pièces diplomatiques, il fût ressorti devant l'Europe cette vérité que la dépêche d'Ems était une dépêche arrangée par les agents de. Bismarck ou par le chancelier lui-même et que nous étions les offensés et non les offenseurs. Ce qui le prouve, c'est qu'une fois la guerre déclarée, Bismarck lui-même, pour échapper momentanément à de justes reproches, osa nier que cette dépêche fût une dépêche officielle et que le roi, trompé par le chancelier, écrivit, comme on le sait, à la reine Augusta que la circulaire prussienne qui aurait provoqué la déclaration de guerre n'avait jamais existé[4]. On aurait connu tous ces points importants si le Corps législatif avait eu communication de toutes les dépêches qu'avait réclamées M. Jules Favre, puis M. Buffet en ces ternies : Je crois qu'il n'y a aucun motif pour refuser à la Chambre la communication de toutes les pièces... J'ajouterai qu'avant d'entendre les explications de l'honorable garde des Sceaux, je 'croyais la communication éminemment utile. Après les avoir entendues, je la considère comme indispensable. J'insiste donc pour que cette communication ait lieu et que nous sachions exactement quel a été le caractère de cette dépêche notifiant le refus de recevoir notre ambassadeur. Le garde des Sceaux se leva pour dire à M. Buffet : Réduisez votre proposition à la demande des documents expédiés par le gouvernement français, et nous l'acceptons ; mais la majorité qui avait son opinion faite et qui courait servilement à l'abîme lui cria : Ne répondez pas ! Et M. Émile Ollivier se tut. Puis le Corps législatif, par 159 voix contre 84, refusa la communication. Pourquoi cc refus ? Il paraît, à cette heure qui est celle de l'histoire, aussi absurde qu'odieux. N'était-ce pas avouer qu'on cachait quelque chose, qu'on avait peur de la lumière. Quoi ! cette dépêche publiée par l'agence Wolf et par l'agence Havas, reproduite par tous les journaux français et étrangers, cette dépêche considérée comme un acte offensant et anti-diplomatique, les députés ne devaient la connaître que vaguement ! Les dépêches ou rapports qui l'avaient précédée et qui pouvaient éclairer la situation, montrer que ce n'était qu'une manœuvre et qu'un prétexte, on ne pouvait les communiquer, parce que, dit-on, ce n'était pas l'usage ; parce que les formes protocolaires s'y opposaient, parce que le gouvernement était maître de ses actes et de ses documents. Comment ! à la veille de jeter deux nations dans une guerre effroyable, on voulait forcer la France à se contenter d'affirmations sans preuves, parce que la communication de telle ou telle dépêche eût pu nuire à la situation de tel ou tel de nos agents ! Et cependant 84 députés, et non des moindres, comme de Barante, Brame, Buffet, Daru, Chesnelong, Durfort de Civrac, Josseau, Keller, Lefébure, Marinier, Soubeyran, Thiers, Talhouët, J. Grévy, Johnston, Gambetta et toute l'opposition, avaient demandé que toutes les pièces fussent montrées au Corps législatif et on avait rejeté une demande aussi légitime. Entraînés par l'orgueilleuse sortie de Gramont qui, rappelant le refus d'audience de Benedetti, avait dit : Si, par impossible, il se trouvait dans mon pays une Chambre pour le supporter ou pour le souffrir, je ne resterais pas cinq minutes ministre des Affaires étrangères. 159 députés s'étaient déclarés satisfaits. La séance fut de nouveau suspendue pour donner à la commission des Crédits le temps de préparer son rapport. Le marquis de Talhouët qui, à son corps défendant, avait accepté d'être rapporteur de la commission des Crédits[5], avait, à la reprise de la séance, déclaré au Corps législatif que la majorité de la commission avait invité le gouvernement à lui donner communication des pièces diplomatiques et avait entendu le garde des Sceaux, le ministre de la Guerre et le ministre des Affaires étrangères. Nous avons, affirma-t-il, la satisfaction de vous dire que le gouvernement, dès le début de l'incident et depuis la première phase des
négociations jusqu'à la dernière heure, a poursuivi loyalement le même but.
Ainsi, la première dépêche adressée à
notre ambassadeur arrivé à Ems pour entretenir le roi de Prusse, se termine
par cette phrase qui indique que le gouvernement a nettement formulé sa
légitime prétention : Pour que cette renonciation
produise son effet, il est nécessaire que le roi de Prusse s'y associe et
vous donne l'assurance qu'il n'autorisera pas de nouveau cette candidature.
Veuillez vous rendre auprès du roi pour lui demander cette déclaration.
Et M. de Talhouët ajoutait : Ainsi, ce qui est resté
le point litigieux de ce grand débat a été posé dès la première heure,
et vous ne méconnaîtrez pas l'importance capitale de ce fait, resté ignoré de
l'opinion publique. Hélas ! M. de Talhouët, comme la commission tout entière, avait été trompé. Ce n'était pas la première dépêche, comme l'avait laissé croire le duc de Gramont, qui demandait des garanties pour l'avenir, c'était la dépêche du 12 juillet. La première dépêche, celle du 7, les autres du 9, 10 et 11 ne portaient pas l'exigence des garanties. Elles se bornaient simplement à réclamer le retrait de la candidature, puis l'acquiescement du roi à cc retrait, et c'est pour arriver à ce but seul que le gouvernement avait sollicité les bons offices de l'Angleterre. Ce qui peut excuser M. de Talhouët, c'est qu'il accepta comme indiscutable la réponse affirmative du duc de Gramont à la question du duc d'Albufera ainsi formulée : Les prétentions du gouvernement français ont-elles été les mêmes depuis le premier jour jusqu'au dernier ? Gramont osa dire oui, puis il lut les dépêches, mais en ne donnant pas les dates et en ne commençant qu'à la onzième dépêche qui celle-là parlait de garanties. Il fit sa lecture sans donner de dates, mais en disant seulement dépêches n° 1, n° 2, n° 3, etc.., de façon à faire croire à la commission que les exigences du Cabinet impérial avaient toujours été les mêmes, ce qui n'était pas. La commission accepta ses affirmations et, comme l'a si bien relevé Albert Sorel, le rapporteur cita loyalement un texte incomplet[6] ! Quand Gramont eut fini la lecture des dépêches, le duc d'Albufera conclut ainsi : Il me semble qu'il résulte de ces dépêches que vous avez demandé toujours la même chose. Nous considérons ce point comme très important. Et M. de Talhouët, interrogé par le comte Daru à la séance de la commission d'enquête du 9 janvier 1872, a répondu : M. de Gramont ne nous a rien dit qui pût démentir en quoi que ce soit les paroles prononcées par le duc d'Albufera. Aussi, axons-nous éprouvé une grande satisfaction à constater ce fait et nous avons déclaré à M. le duc de Gramont que nous le consignerions dans le rapport. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères a affirmé que
le Cabinet avait émis les mêmes prétentions depuis le premier jour jusqu'au
dernier ; il laisse consigner cela dans le rapport et lors de la déclaration
devant le Corps législatif, il le confirme de nouveau par un silence
approbatif. M. de Talhouët dit qu'après la lecture des dépêches par le
ministre des Affaires étrangères, la Commission lui a demandé de lui laisser
les renseignements nécessaires pour qu'elle pût inscrire un paragraphe
relatif à la dépêche première ou considérée comme telle. Je ne puis reproduire la dépêche qui nous avait été
fournie, ajoute M. de Talhouët, mais nous
avons très loyalement copié la phrase insérée au rapport. Je ne puis pas dire
que nous ne nous sommes pas trompés, mais je déclare que notre rapport a dû
être exactement conforme aux dépêches. Il est resté des pièces sur la table,
ainsi je ne pourrais pas dire combien... Nous
avons toujours compris que la demande de garanties avait été formulée depuis
le premier jour... Quand j'eus lu le
rapport, je remis à M. de Gramont ce que j'avais de pièces et j'en avais fort
peu ; il m'a plutôt remercié qu'il ne m'a fait la moindre observation. Il appert de ces déclarations précises que le duc de Gramont n'a communiqué à la Commission que ce qu'il a bien voulu et qu'elle s'est fiée à sa parole. Le devoir du ministre eût été d'ouvrir ses dossiers et de remettre toutes les pièces depuis la date du 9 juillet à la Commission. Celle-ci aurait pu constater alors que les demandes du gouvernement, contrairement à ses affirmations, n'avaient pas toujours été les mêmes. On comprend maintenant pourquoi la majorité du Corps législatif, suivant en aveugle le Cabinet, avait refusé, par 159 voix contre 84 la communication intégrale des dépêches. Elle s'associait servilement à un acte à jamais déplorable. Or, il n'était pas vrai que le point litigieux des garanties eût été posé dès la première heure. Et que dire du Cabinet tout entier, quand, lecture ayant été faite du rapport, il laissa le Corps législatif manifester son approbation par des bravos et des applaudissements prolongés ? Au sujet de la dépêche d'Ems, M. de Talhouët déclara que la, commission avait voulu prendre communication de dépêches émanant de plusieurs agents diplomatiques français, dont les termes confirmaient le fait que Bismarck avait appris officiellement aux Cabinets de l'Europe que le roi de Prusse avait refusé de recevoir l'ambassadeur de France et fait dire par son aide de camp qu'il n'avait aucune communication ultérieure à lui adresser. Ce passage du rapport souleva de longs -murmures et amena un député à crier : C'est une suprême insulte ! M. de Talhouët affirma plus tard à la Commission d'enquête que des agents diplomatiques Français avaient eu connaissance de la dépêche par suite de leurs bons rapports avec des représentants étrangers. M. de Gramont n'en donna pas copie à la commission des Crédits ; il se contenta de citer des dépêches qui disaient : Voilà ce qu'on nous assure avoir été écrit par M. de Bismarck. Ainsi, le texte d'une dépêche qui allait amener la guerre n'était connu que par des transmissions plus ou moins complètes d'agents diplomatiques, alors qu'il eût été facile de se procurer les suppléments des journaux allemands comme la Gazette de Cologne et la Gazette de l'Allemagne du Nord. Mais ce que l'on ne saurait trop regretter, c'est que la Commission n'ait point pensé à faire venir M. Benedetti devant elle et ne l'ait pas interrogé elle-même. Il n'était pas loin cependant. Je l'ai vu assistant, pale et attristé, à cette lamentable séance dans la tribune du corps diplomatique au premier rang, ne pouvant intervenir, parce qu'il se sentait lié par le secret professionnel. Mais ceux qui avaient reçu ses communications auraient dû parler ou provoquer d'eux-mêmes sa comparution devant la commission des Crédits. Cette comparution si utile, si nécessaire, n'eut pas lieu. Et le duc de Gramont, qui savait par Benedetti à la date du 14 son entrevue dans le salon réservé de la gare d'Ems avec le roi, et la continuation possible des négociations avec le ministère prussien, n'en a pas dit un mot à la Commission. Donc, sur deux questions graves entre toutes : Les prétentions du Cabinet ont-elles toujours été les mêmes ? — L'insulte est-elle réelle ? Le Cabinet et la Commission avaient répondu oui. Sur la question des alliances, à laquelle je consacrerai un chapitre spécial, parce que c'est là aussi une question d'une importance extrême, le duc de Gramont avait laissé entendre que nous avions pour nous l'Autriche et l'Italie et toute la Commission le comprit ainsi. Là encore, le duc de Gramont n'a pas rempli son devoir et il a jeté dans une illusion déplorable les Chambres et le pays tout entier. M. Émile Ollivier a dit que le rapport du marquis de Talhouët était le rapport de Dréolle, membre de la commission des Crédits, parce que celui-ci était venu s'en vanter auprès de lui. C'est une erreur. Le rapport n'a été en réalité qu'un procès-verbal. Il a été fait en commun sur la table de la commission par le marquis de Talhouët, Dréolle et de Kératry. On y a enregistré toutes les observations des commissaires et c'est réellement l'œuvre même de la Commission qui a été lue au Corps législatif, ainsi que l'a attesté formellement devant la Commission d'enquête le marquis de Talhouët lui-même. Je n'ai, a-t-il dit, accepté de devenir rapporteur, qu'à une condition, c'est que le rapport serait fait en commun. M. Ollivier y relève une erreur qu'il attribue à Dréolle, ce journaliste habitué aux à peu près et ne se souciant pas de préciser les faits. C'est à propos de la première dépêche adressée à Benedetti où le rédacteur du rapport avait oublié ces mots : Nous avons reçu des mains de l'ambassadeur d'Espagne la renonciation du prince Antoine, ce qui aurait bien prouvé que cette dépêche n'était pas la première en date adressée à Benedetti. Alors, comment se fait-il que le duc de Gramont, interrogé devant la commission des Crédits, ait répondu affirmativement à cette question du duc d'Albufera ainsi formulée : Il me semble qu'il résulte de ces dépêches que vous avez demandé toujours la même chose ? Comment se fait-il que le duc d'Albufera ayant insisté sur ce point si important, le ministre des Affaires étrangères n'ait rien dit qui pût démentir en quoi que ce soit la croyance du duc d'Albufera et des autres commissaires ? Comment se fait-il qu'au Corps législatif, à la lecture du rapport, il n'ait pas relevé cette soi-disant confusion ? Il était là pondant, comme l'a affirmé le marquis de Talhouët. Je suis arrivé, a dit celui-ci, au Corps législatif et j'ai lu le rapport à la tribune. M. le duc de Gramont était en face de moi. Il a parfaitement entendu les termes du rapport qui était l'énonciation des déclarations faites dans le sein de la commission. Si nous avions mal compris, c'était à M. le duc de Gramont à rectifier notre interprétation, nous nous serions empressés de le rectifier. Quant aux pièces, il les lut lui-même, et la commission en lira la conclusion que, depuis le premier jour jusqu'au dernier, les prétentions de la France n'avaient pas différé. Lorsque M. de Talhouët disait qu'il avait vu le texte de la dépêche d'Ems, c'était dans les communications de MM. de Cadore et de Comminge-Guitaut qu'il l'avait vue, et sa bonne foi, un peu trop candide, était incontestable. Plus tard, il a déploré sa confiance et quand il manifesta ses regrets, il était, encore très maître de lui-même, quoique fort souffrant déjà et accablé par sa responsabilité. Il n'a pas dit qu'on avait altéré la dépêche d'Ems ; il a dit, il a répété qu'on n'avait pas communiqué à la Commission des Crédits toutes les pièces nécessaires et qu'on lui avait fait penser que le gouvernement avait, dès l'origine, demandé la renonciation du prince Léopold, l'acquiescement du roi et des garanties pour l'avenir. Nous avons, a-t-il déclaré, toujours compris que la demande de garanties avait été formulée dès le premier jour. Or, le duc de Gramont avait dit à la Commission d'enquête que la forme d'intervention demandée au roi de Prusse avait été différente au début et à la fin et que la commission des Crédits avait pu s'en convaincre que la demande de garanties était datée du 13[7]. Au reproche fait par la Commission de lui avoir laissé croire que cette dépêche était la reproduction constante de la pensée du gouvernement déjà exprimée à la date du 7, le duc de Gramont répondit y avait là une erreur involontaire, du rapporteur. A cette affirmation, M. de Talhouët a répliqué nettement : Si nous nous étions trompés, le ministre devait nous le faire observer. Il vient, dix-huit mois après, déclarer que nous avons commis une erreur. Évidemment, il pense que nous nous sommes trompés et il le dit de bonne foi, mais c'est à un autre moment qu'il aurait dû le dire. Et rappelant la question posée d'une façon précise au duc de Gramont par le duc d'Albufera, M. de Talhouët ajoutait : Ce que nous avons compris c'est qu'on avait demandé des garanties dès le premier jour. Telle est cette lamentable affaire du rapport Talhouët, lequel eut une si grande importance pour le vote décisif des crédits, c'est-à-dire pour la guerre elle-même. Après la lecture du rapport que la majorité trop confiante avait acclamé, Gambetta prit la parole et voulut établir judicieusement que les crédits demandés n'étaient que des mesures préparatoires de légitime défense et qu'avant d'émettre le vote définitif de guerre, les députés ne pouvaient se contenter des raisons invoquées. Il dit que le premier ministre, c'est-à-dire. M. Ollivier, faisant l'énumération des griefs contre la Prusse, avait eu besoin de la sortie véhémente du duc de Gramont pour ne pas sombrer devant les répugnances patriotiques du Corps législatif. L'orateur revint sur la communication directe, pleine et intégrale de la dépêche d'Ems qui aurait dû être faite à la commission, afin de savoir nettement de quel côté était l'outrage injuste et de quel côté la résistance légitime. Il reprocha au Cabinet de vouloir transmettre à la Chambre la responsabilité de la guerre. Nous l'avons prise, riposta M. Émile Ollivier, nous la prenons ! Cela n'empêcha pas Gambetta de répondre que le Cabinet n'avait pas encore fait toutes les justifications nécessaires. Il fallait qu'il démontrât que la France avait été réellement outragée. A cet égard, les ministres n'avaient produit que deux allégations contradictoires : la première, une réponse du roi de Prusse disant qu'il ne voulait prendre aucun engagement au sujet de la candidature Hohenzollern ; la seconde, qu'il s'en référait aux termes de son entretien du matin avec Benedetti. Est-ce que cette déclaration avait amené l'ambassadeur à réclamer ses passeports, à faire un éclat diplomatique ? Gambetta faisait alors une constatation qui aurait dit frapper le Corps législatif tout entier, c'est que la dépêche d'Ems, qui avait si fort mis en émoi le Cabinet, avait été connue par Benedetti, sans lui causer de trouble. Ce qu'il fallait donc à la Chambre, c'était le texte même de la dépêche injurieuse de Bismarck envoyée aux Cabinets de l'Europe. Gambetta savait, par un des membres de la commission, que le ministre des Affaires étrangères avait lu les dépêches de ses agents de Munich et de Berne disant : Voilà ce qu'on nous assure avoir été écrit par M. de Bismarck. Cela n'était pas suffisant. Alors le duc de Gramont se leva et dit : Je déclare que j'ai communiqué la pièce à la commission et
qu'elle l'a lue, ce que ratifia le duc
d'Albufera. Cependant, le rapport de M. de Talhouët s'était borné à dire que
la commission avait eu connaissance des dépêches émanant de nos agents
diplomatiques. En ce qui concernait la dépêche d'Ems, le rapport n'avait donc
pas les précisions que voulaient lui donner le président de la commission et
le ministre des Affaires étrangères. Gambetta insista et il avait bien raison
d'insister. Était-il vrai que la dépêche eût été expédiée à tous les Cabinets
de l'Europe ou simplement de l'Allemagne du Sud ? C'était là une distinction
essentielle. En second lieu, si cette dépêche était assez grave pour amener
la guerre, n'y pas obligation de la communiquer textuellement à la France et
à l'Europe ? M. Émile Ollivier remonta à la tribune pour déclarer que c'était la première fois qu'on rencontrait d'un certain côté, dans une Assemblée française, tant de difficultés à expliquer une question d'honneur. La gauche protesta avec violence. Horace de Choiseul et Magnin demandèrent au président de défendre ses collègues contre de telles imputations. M. Ollivier expliqua sa vivacité par une interruption qu'il aurait entendue : Ce télégramme n'existe pas. Il est inventé. Il dit qu'il aurait eu le droit d'être blessé par les paroles qu'on lui adressait depuis quelques heures. Il ne comprenait pas que Gambetta en fût encore à répéter : La dépêche prussienne ? Donnez-nous la dépêche prussienne pour prouver que vous avez été insultés ! Et emporté par la fougue de sa réplique, il s'écria : Qui donc vous a parlé d'une dépêche prussienne ? Quand donc, pour établir qu'un affront a été fait à la France, avons-nous invoqué des protocoles de chancelleries, des dépêches plus ou moins mystérieuses ? Notre langage a été bien autre. Nous vous avons dit : A l'heure où nous discutons, il y a un fait public en Europe que pas un ambassadeur, que pas un journaliste, que pas un homme politique, que pas une personne au courant des choses de la diplomatie ne peut ignorer : c'est que, d'après les récits de la Prusse, notre ambassadeur n'a pas été reçu par le roi de Prusse, et qu'on lui a refusé, par un aide de camp, d'entendre une dernière fois l'exposé courtois, modéré, conciliant d'une demande courtoise, modérée, conciliante, dont la justesse est incontestable. L'orateur oubliait que, si une heure auparavant, dans la même séance, il avait lu la dépêche télégraphiée par Bismarck et communiquée officiellement aux Cabinets de l'Europe, il avait, dans un second discours, cité la dépêche de Benedetti informant le gouvernement français que le roi avait reçu le désistement du prince Léopold et qu'il l'approuvait, sans toutefois pouvoir reprendre la discussion relativement aux assurances pour l'avenir. Or, il n'y avait dans cette communication aucun outrage pour le pays et elle aurait dû faire comprendre au Corps législatif qu'il fallait des explications plus complètes. Une enquête rapide s'imposait. Encore une fois, si l'on eût interrogé Benedetti qui était présent, tout aurait été connu et expliqué en moins d'une heure ; mais on eût su aussi que le ministre des Affaires étrangères et le garde des Sceaux avaient eu l'imprudence de demander à la dernière heure des garanties sous une forme qui avait permis au chancelier de lancer la perfide et insolente dépêche d'Ems. Cela n'eût probablement .pas empêché la guerre, mais du moins l'Europe n'aurait pas .injustement accusé la France de l'avoir cherchée et déclarée. C'est ce que M. Ollivier est obligé d'avouer lui-même : Lorsqu'on est au moment de prendre une de ces décisions qui font trembler la conscience, on a besoin de lumière, de beaucoup de lumière. L'évidence n'est jamais assez évidente. C'est la vérité. Et quelle que fût la bonne foi de l'orateur, il était certain que le Corps législatif n'était point suffisamment éclairé. Mais l'agitation, l'affolement furent tels qu'on ne demande plus rien. Il faut avoir assisté à cette terrible séance du 15 juillet pour se rendre compte de l'emportement, de la frénésie avec lesquels les hostilités furent dénoncées. De très bonne foi, le duc d'Albufera, le comte de Kératry, le marquis de Talhouët lui-même affirmèrent avoir eu sous les yeux les pièces authentiques, alors qu'on s'était borné à leur donnez lecture d'un choix de dépêches qui ne commençaient qu'au 12 juillet. Je nie souviens que le plus fiévreux, le plus colère de tous était le baron Zorit de Bulach qui allait, venait et, se tournant vers la gauche, s'écriait : On ne tiendrait pas un pareil langage, on ne se livrerait pas à un pareil langage dans une Chambre prussienne ! Et cet ardent patriote devait un jour abandonner la France pour servir la Prusse ! Comment se fait-il que le duc de Gramont, qui savait toute la vérité, ait laissé s'engager la guerre sur un fait qui était faux ? Il n'ignorait pas l'entrevue d'Ems à la gare entre le roi et l'ambassadeur, ni la dernière parole prononcée par le roi et la possibilité de continuer les négociations. Il s'est tu. Il savait que Benedetti pouvait renseigner la commission et dissiper toute équivoque, révéler l'odieuse tromperie du chancelier. Il s'est tu. Pourquoi ? Parce que dans la situation embarrassée et difficile où il s'était placé, devant les menaces des ultras, devant les colères de l'opposition, il n'y avait d'autre issue à chercher que la guerre. Pour éviter cette guerre, il eût fallu encore une fois avouer les exigences nouvelles et intempestives du 12 juillet au soir et du 13. Il eût fallu reconnaître qu'on avait mal commencé et mal fini, il eût fallu avouer qu'on avait permis à Bismarck de sortir lui-male de ses propres difficultés et d'ourdir tin nouveau piège. Il eût fallu enfin reconnaître qu'on y était maladroitement tombé de par les exigences d'un parti affolé et par la volonté d'une souveraine qui avait une confiance aveugle dans nos forces et dans nos ressources. Le Cabinet Ollivier laissa donc à la dépêche d'Ems tout le sens provocant que lui avait donné la cynique audace du chancelier, et sans qu'on cherchât à l'atténuer par le récit exact des faits, la même fable trompa les deux pays. Thiers a donc eu raison de dire que si nous avons eu la guerre, c'est par la faute du Cabinet. Ses paroles vibrantes résonnent encore à mon oreille : Vous avez mal commencé et vous avez mal fini ! Cela était vrai. Qu'eût-il fallu aux Affaires étrangères, à cette heure si grave, à. ce moment décisif ? Un ministre plein de prudence et de sang-froid, lisant dans le jeu de son adversaire, apte à déjouer ses ruses et ses intrigues, sachant opposer habileté à habileté, ayant un plan et un but nettement fixés et nettement circonscrits, tout à fait maitre de soi, et non pas un diplomate solennel, déguisant son impuissance sous un air important et orgueilleux, confondant la superbe avec l'autorité, passant d'une idée à l'autre sans y avoir mûrement réfléchi, inventant des conceptions naïves ou chimériques, opposant des hypothèses à des réalités. Il eût fallu un homme qui eût eu le courage de reconnaître ses erreurs même au dernier moment, le courage d'en avertir ses collègues, au lieu d'abuser de leur confiance et de leur crédulité. Il eût fallu un homme qui résistât aux illusions d'un parti exalté et à la fièvre qui agitait alors la presse et l'opinion. Le duc de Gramont n'était pas cet homme-là. Il se disait seulement : La situation est on ne peut plus tendue ; l'affaire est périlleuse au premier chef, mais, qui sait ? La chance nous sera peut-être favorable... Et sans doute, il faisait en lui-même appel à cette puissance capricieuse à laquelle le grand Frédéric mail porté un jouir ce toast ironique : Seiner Majesta dem Zufalle ! Oui, c'est à Sa Majesté le Hasard que se confiait en dernier lieu le ministre des Affaires étrangères et parmi les Français combien avaient la même confiance[8] ? Le duc de Gramont avait-il jamais lu ou médité cette définition du ministre des Affaires étrangères par l'un des plus habiles diplomates du dix-neuvième siècle, par le prince de Talleyrand : Il faut qu'un ministre des Affaires étrangères soit doué d'une sorte d'instinct qui, l'avertissant promptement, l'empêche, avant toute discussion, de jamais se compromettre. Il lui faut la faculté de se montrer ouvert en restant impénétrable, d'être réservé avec les formes de l'abandon, d'être habile jusque dans le choix de ses distractions ; il faut que sa conversation soit simple, variée, inattendue, toujours naturelle et parfois naïve ; en un mot, il ne doit pas cesser un moment, dans les vingt-quatre heures, d'être ministre des Affaires étrangères. Si le duc de Gramont ignorait ou dédaignait cette définition, le comte de Bismarck la connaissait bien et l'avait mise en pratique pour lui-même. Il se gardait bien, lui, esprit pratique et averti, de s'abandonner aux caprices et aux fantaisies du sort. Il avait tout préparé, tout médité, tout ordonné et mis sa pleine confiance dans une armée prête à marcher, dans une organisation impeccable, dans une administration disciplinée, dans tout ce qui fait la force, la puissance, la sécurité d'un État. Au moment où sa plume va transformer une dépêche pacifique en une dépêche outrageante, entendez-le poser à Moltke des questions précises au sujet de son degré de confiance dans l'état des armements, de la mobilisation, de la rapidité à entrer en campagne et du succès probable. Quand il est assuré que tout répond à ses desseins, il ose falsifier les textes et déchaîner la guerre. Il commet délibérément un acte abominable, mais il sait ce qu'il veut et où il va. Quant à nous, hélas ! comme si nous étions livrés au souffle brutal de ces vents tempétueux qui font trembler, puis osciller et chanceler dans une ruine lamentable les édifices mal construits, nous allions voir notre puissance si enviée, si redoutée encore, s'effondrer d'un seul coup. Au-dessus du ministre des Affaires étrangères, le premier ministre eût pu se montrer un homme de sang-froid et de résolution éclairée. Du jour où il vit l'affaire mal engagée, du jour où il comprit que l'Empereur n'était plus qu'un souverain malade, affaibli, irrésolu, ballotté en tous sens par des influences contraires, M. Émile Ollivier eût dû opposer énergiquement son veto à une politique néfaste et faire comprendre qu'il fallait se contenter de la concession arrachée à la Prusse. Sa joie, lorsque le télégramme du retrait de la candidature Hohenzollern lui fut communiquée par l'Espagne, paraissait sincère. Elle alla jusqu'à l'enthousiasme, un enthousiasme généreux et imprudent comme je l'ai dit, mais qui ne fut point partagé par des mécontents, des sceptiques, des brouillons ou des incrédules. M. Ollivier voulait la paix et sa nature ardente et passionnée l'a conduit à la guerre. Sans se donner le temps de vérifier la portée et l'injustice de l'attaque, sans attendre qu'on eût pu prouver que l'affront, si dur qu'il fût, n'était qu'une invention perfide du chancelier prussien et sans presser de questions précises le ministre des Affaires étrangères, il faiblit devant les menaces des uns et les railleries des autres, les vociférations de la rue et les objurgations de la presse, les traits sarcastiques et violents de l'opposition. Croyant son œuvre, la réforme libérale, à jamais menacée s'il abandonnait le pouvoir, s'imaginant qu'il pouvait peut-être éviter une révolution à son pays en face de l'étranger, il resta à son poste et ne retarda la catastrophe que de quelques semaines seulement. Il resta et il eut le malheur de prononcer au milieu de la tourmente la parole qui s'attacha à lui comme un trait empoisonné : hœret lateri lethalis arundo et que rien, pas même ses dernières et éloquentes explications, ne pourra arracher de sa plaie. Ce n'était certes pas d'un cœur frivole que le premier ministre affirmait que lui et ses collègues supporteraient la lourde responsabilité qui allait s'abattre sur eux. Mais n'était-ce pas légèrement, et comme à l'étourdie, qu'ils allaient s'engager dans une aventure effroyable ? Les moindres détails de ces lamentables journées au point de vue politique, diplomatique ou militaire, le prouvent surabondamment. Veut-on savoir, entre autres, comment le Conseil des ministres était informé des faits au moment ou l'on allait déchaîner la guerre ? Darimon demandait au ministre Mège pourquoi M. Ollivier s'était opposé avec Gramont à la communication des dépêches demandées par Buffet. Et le ministre de l'Instruction publique lui répondit : Toute cette négociation a passé par-dessus la tète des membres du Cabinet et, à part M. de Gramont, personne n'a été mis au courant de tous les incidents qui se sont produits. M. Émile Ollivier lui-même n'a pas tout su. Je l'ai entendu se plaindre de ce qu'on se fût livré à certaines démarches sans les lui faire connaître et par conséquent sans lui demander sou avis. Aussi, quand je l'ai vu cet après-midi défendre avec un courage de lion la politique que M. de Gramont a fait prévaloir, j'ai admiré son abnégation. Il s'est véritablement sacrifié. Quant à nous, ses collègues, nous n'avons connu les dépêches que par fragments et pour ainsi dire par hasard. Dans le Conseil qui a eu lieu pour savoir si on demanderait raison à la Prusse de ses nouveaux procédés, il a bien Mu les communiquer aux ministres. Mais on s'est contenté de nous les lire. Comme la plupart des députés, j'aurais désiré les avoir sous les yeux, ne fût-ce que pour savoir si véritablement j'avais eu raison d'opiner dans le sens de la guerre ! Un tel aveu, qui en dit long, n'est-il pas inouï ? Mais, demanda Darimon, pourquoi n'avez-vous pas insisté pour la publication des dépêches ? — On a fait valoir une considération qui nous a touchés. Il paraît qu'une des dépêches, la principale (celle du 14), celle qui a fait connaître le texte même de la note envoyée par M. de Bismarck aux gouvernements étrangers, n'a été connue que par une indiscrétion de nos agents. On a craint que cet agent — c'était M. de Comminges-Guitaut à Berne — ne fût blâmé par le gouvernement auprès duquel il était accrédité et ne fût forcé de réclamer ses passeports. Ainsi, c'était pour la piètre crainte d'un incident avec la Suisse que l'on ne publiait pas une dépêche qui avait déjà paru dans la Norddeutsche Zeitung, dans la Kölnische Zeitung, dans l'agence Wolf et dans l'agence Havas ? Darimon sourit et tendit à Mège un numéro de la France qui reproduisait la même dépêche. Ce qu'il y a de plus grave ici, ainsi que je l'ai déjà relevé, c'est qu'on avait agi avec la commission des Crédits, comme on avait agi avec le Conseil des ministres. Tout s'était donc fait, avec autant de légèreté que de témérité, et l'on ne peut comprendre que le directeur d'une telle politique ait pu alors se vanter de sa confiance et de son absence de tout remords. Après la catastrophe, certains ministres ont dit leurs regrets, ils ont fait entendre leurs plaintes. L'un d'eux a affreusement souffert. C'est l'infortuné marquis de Talhouët qui, au lendemain de nos revers, a succombé, après de cruels jours d'agonie, au chagrin d'avoir approuvé la guerre, d'avoir cru que, dès la première heure, la demande de garanties avait été le point litigieux de nos pourparlers et que le gouvernement, depuis la première phase des négociations, avait toujours poursuivi le même but. Il ne pouvait se pardonner de n'avoir pas cherché à savoir par de plus amples explications et par l'ambassadeur lui-même que le Cabinet avait obtenu le point initial et majeur de ses réclamations et, par là même, une victoire morale qui aurait permis d'attendre les fautes politiques de l'ennemi pour prendre en temps favorable la revanche légitime de Sadowa. Il est littéralement mort de désespoir. M. Émile Ollivier, lui, compare ses propres angoisses et ses tourments au supplice de Prométhée enchaîné[9]. Il gémit dans sa longue apologie sur sa propre infortune, mais il ne dit rien des douleurs de la France déchirée et meurtrie. C'est à elle pourtant que l'aigle noir, au lendemain d'une guerre atroce, déchaînée avec tant de légèreté et d'imprévoyance, a arraché deux lambeaux de sa chair sacrée ! Voyons maintenant où en étaient nos alliances ou plutôt nos projets d'alliances. |
[1] Le roi ayant voulu y rester étranger (au désistement), nous lui demandâmes de s'y associer et de déclarer que si la couronne était de nouveau offerte au prince Léopold, il ne l'autoriserait plus à l'accepter. Et la déclaration fixe comme date de cette demande la date du 12 juillet. Donc, elle n'a pas été faite au début de l'incident.
[2] L'Empire libéral, t. XIX, p. 393 et 579.
[3] L'Empire libéral, t. XIX, p. 393.
[4] Donc, ainsi qu'on a pu le voir dans le chapitre II, l'autorisation du roi donnée à Bismarck de publier à sa façon la dépêche, autorisation que Caprivi a lue à la suite de la dépêche du 13 venue d'Ems, était une addition faite après coup.
[5] Cette commission était composée de MM. le duc d'Albufera, président, de Kératry, Dréolle, de Lagrange, Pinard, Sénéca, Chadenet et Millon.
[6] Voir Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande, t. Ier, p. 186.
[7] En réalité elle était du 12 juillet à sept heures du soir.
[8] Comme le disait Fichte lui-même des Prussiens de 1806 : Ils ont écarté la préoccupation de l'avenir. Ils out vaguement espéré que quelque coup de fortune trancherait le long enchaînement des effets et des causes.
[9] Mais le chien ailé de Zeus, l'aigle sanglant arrachera avec voracité un grand lambeau de ton corps et, convive inattendu, reviendra chaque jour se repaître de ton foie noir !