LA GUERRE DE 1870

CAUSES ET RESPONSABILITÉS — TOME PREMIER

 

CHAPITRE III. — LA DÉPÊCHE D'EMS.

 

 

J'ai rappelé dans le chapitre précédent, que le rapport officiel sur ce qui s'était passé à Ems le 13 juillet, rédigé sous la surveillance du roi Guillaume, se terminait ainsi : Le roi a satisfait au désir du comte Benedetti de pouvoir prendre congé de lui à son départ, en saluant le ministre le 14 à son passage par la gare, lorsqu'il allait se rendre à Coblentz. Cette courtoisie du roi, qui ne s'était pas une seule fois départi de ses manières obligeantes envers l'ambassadeur français depuis sa venue à Ems, irritait fort Bismarck qui, dès la première audience, aurait voulu que son maître traitât de haut Benedetti et le renvoyât brusquement négocier avec la chancellerie prussienne. Chose délicate, puisque dès les premiers pourparlers, le ministre de Thile avait déclaré que le gouvernement prussien ignorait complètement cette affaire qui, d'ailleurs, ne le concernait pas. Dans ses Pensées et Souvenirs, le chancelier s'est plaint ainsi de la politique personnelle de son maître : Sous la pression des menaces, le roi, pendant sa cure d'eaux, a, quatre jours de suite, reçu en audience l'ambassadeur français. Il a, sans l'assistance d'un ministre, exposé sa personne de souverain aux manœuvres insolentes de cet agent étranger. Par cette tendance à se charger personnellement et seul des affaires de l'État, le roi a été poussé dans une situation dont je ne puis pas prendre la responsabilité. A mon avis, Sa Majesté à Ems aurait dû repousser toute discussion avec un négociateur français n'ayant pas le même rang, que lui, et l'adresser à son ministre des Affaires étrangères à Berlin. Le ministre aurait eu alors à s'enquérir de la décision du roi à Ems après un rapport oral ; ou, si un traitement dilatoire de l'affaire avait paru utile, à lui exposer la situation par écrit. Mais il y avait chez le souverain, avec quelque correction qu'il respectât d'ordinaire les questions de compétence, un trop fort penchant à traiter personnellement les affaires importantes, sinon à en décider seul... Le roi, qui possédait à un degré si élevé le sentiment de sa haute dignité, ne s'était pas soustrait dès l'abord aux insistances de Benedetti. S'il ne l'avait pas fait, c'est qu'il subissait surtout l'influence que la reine exerçait sur lui de Coblentz, où elle se trouvait, dans le voisinage d'Ems. Il avait soixante-treize ans, était pacifique et peu disposé à mettre en jeu, dans une nouvelle lutte, les lauriers de 1866. Mais affranchi de l'influence féminine, le point d'honneur de l'héritier de Frédéric le Grand et de l'officier prussien restait toujours en lui la règle de conduite. C'est contre ce sentiment que luttait l'épouse avec ses craintes naturelles chez une femme, et son manque de sentiment national. La résistance que lui opposait le roi était affaiblie par ses sentiments de galanterie chevaleresque pour la femme, et par l'idée qu'il se faisait, comme souverain, d'une reine, et en particulier de celle qui était assise à ses côtés sur le trône. On m'a raconté que la reine Augusta, tout éplorée, avait supplié le roi, avant son départ d'Ems pour Berlin de conjurer la guerre en souvenir d'Iéna et de Tilsit. Je tiens le récit peu croyable aux larmes près[1].

Or, dans le cours de son voyage de Varzin à Berlin, le comte de Bismarck avait reçu la nouvelle du retrait de la candidature Hohenzollern. Cet arrangement inattendu l'avait consterné. Par dépêche, il avait envoyé aussitôt sa démission. Le roi lui avait fait télégraphier de venir le rejoindre à Ems. Bismarck avait refusé, prétextant que sa présence était indispensable à Berlin. En réalité, il lui restait un espoir, c'est que le duc de Gramont, me comprenant pas toute l'importance du retrait de la candidature, exigerait davantage. Caché comme une araignée .au fond de sa toile, il attendait que son maladroit adversaire lui fournît la proie tant désirée, et il en fut ainsi. On sait aujourd'hui comment Bismarck trouva le moyen de précipiter les hostilités en modifiant une nouvelle dépêche partie d'Ems dans l'après-midi du 13 juillet et comment il ne craignit pas d'en faire la cause inévitable de la guerre. Vingt-deux ans après, il s'en est vanté dans une interview ou plutôt dans une communication faite à la Neue Freie Presse le 20 novembre 1892. Je suis obligé de revenir sur cc fait si grave, car il importe d'établir une fois pour toutes sur quel texte le chancelier prussien a opéré. On a trop longtemps cru à l'intégralité de la dépêche transmise par Abeken au nom du roi le 13 juillet à 3 heures 50 et on n'a pas fait assez nettement la distinction qu'elle comporte. Elle comprend en effet deux parties : une dictée par le roi à Abeken et l'autre qui est un récit ou un commentaire d'Abeken lui-même, revu plus tard par le chancelier de Caprivi. Comme je l'ai montré ailleurs[2], d'une dépêche de deux cent trente-deux mots, Bismarck a fait une dépêche de cent mots, en coupant la tête et la queue du texte primitif et en renversant le sens des phrases de façon à faire croire aux Allemands à une insolence de l'ambassadeur de France envers leur souverain, et aux Français à un congé brutal de cet ambassadeur infligé par le roi. Cette dépêche fut produite au Reichstag le 23 novembre 1892 par le général comte de Caprivi, successeur de Bismarck à la chancellerie fédérale.

Dépêche transmise par Abe/ en au comte de Bismarck, d'Ems, le 13 juillet à 3 h. 50 du soir.

Sa Majesté le roi m'écrit : Le comte Benedetti me saisit au passage à la promenade et finalement, d'une manière très. importune, exigea de moi que je l'autorisasse immédiatement à télégraphier que je m'engagerais pour l'avenir à ne plus jamais donner mon consentement, si les Hohenzollern revenaient de nouveau sur leur candidature. Je lui objectai pour la dernière fois, sur un ton assez sérieux, que je ne pouvais ni ne dei ais prendre un tel engagement à tout jamais. Naturellement, je lui ai dit que je n'avais encore rien reçu et que lui, étant informé plus tôt que moi par Paris et Madrid, il voyait bien que mon gouvernement était de nouveau hors de cause.

Sa Majesté a depuis ce temps reçu une lettre du prince. Alors Sa Majesté qui avait dit au comte Benedetti qu'Elle attendrait des nouvelles, a daigné décider, vu l'exigence ci-dessus mentionnée, sur un rapport du comte d'Eulembourg et de moi, de ne plus recevoir le comte Benedetti, mais seule ment de lui faire dire par un aide de camp que Sa Majesté, ayant reçu du prince la confirmation de la nouvelle que Benedetti avait déjà reçue de Paris, Elle n'avait rien de plus à dire à l'ambassadeur.

Sa Majesté s'en remet à Votre Excellence pour décider si la nouvelle exigence de Benedetti et si le propre refus de Sa Majesté ne doivent pas être immédiatement communiqués à nos ambassadeurs comme à la presse.

Il faut relire avec attention le dernier paragraphe : Sa Majesté s'en remet à Votre Excellence pour décider si la nouvelle exigence de Benedetti et si le propre refus de Sa Majesté ne doivent pas être immédiatement communiqués à nos ambassadeurs et à la presse. Cette décision qui paraissait laissée à son libre arbitre, Bismarck l'interpréta ainsi dans ses révélations à la Neue Freie Presse : J'étais autorisé à faire les ratures qui me paraissaient nécessaires. On m'avait laissé libre de publier la dépêche in extenso ou par extraits. Je n'ai pas regretté d'avoir fait des extraits. Or, le paragraphe transcrit par Abeken ne donnait nullement cette autorisation. Il laissait seulement Bismarck libre de communiquer aux ambassades allemandes et aux journaux la nouvelle exigence de Benedetti et le refus du roi, mais sans parler d'extraits et surtout sans permettre de ratures. Il ne visait pas le refus de recevoir l'ambassadeur, mais seulement le refus d'accéder à la démarche de garanties. Il aurait donc fallu publier la dépêche d'Ems telle quelle, et alors on aurait appris que Benedetti avait abordé le roi à la promenade pour lui demander de l'autoriser à télégraphier qu'il s'engageait à ne plus donner son approbation si les Hohenzollern posaient de nouveau leur candidature. On aurait appris, en même temps que le refus du roi, la déclaration par laquelle il considérait, par suite du désistement du prince, son gouvernement comme hors de cause. Ce passage de la dépêche, on le voit, n'avait rien de brutal ni de bien offensant. Abeken expliquait ensuite à Bismarck que le roi avait dit à Benedetti qu'il attendait une lettre du prince Léopold ; que cette lettre était arrivée dans l'intervalle et qu'après les avoir entendus, lui Abeken et le comte Eulenbourg, le roi avait résolu de ne plus recevoir Benedetti à cause de ses exigences. Il faisait cependant informer l'ambassadeur par son aide de camp qu'il avait eu par le prince de Hohenzollern confirmation de la nouvelle reçue de Paris par Benedetti et que Sa Majesté n'avait rien de plus à lui dire.

Il est permis de croire et il est même certain que c'est Abeken et Eulenbourg qui ont ajouté un commentaire à la dépêche du roi[3], laquelle commence par ces mots : Benedetti m'a saisi au passage à la promenade et finit ainsi que mon gouvernement était de nouveau hors de cause. Seulement, leur commentaire était inexact. En effet, la dépêche ayant été envoyée à 3 heures 30, deux faits se produisirent depuis l'entretien du matin entre Benedetti et le roi jusqu'à cette heure, faits qui motivèrent non pas une, mais deux visites de l'aide de camp, le prince Radziwill, à Benedetti. Dans la première visite, l'aide de camp a informé Benedetti du retrait officiel de la candidature du prince Léopold et lui a dit que Sa Majesté considérait cette affaire comme terminée. Benedetti a sollicité alors une nouvelle audience pour prier le roi d'approuver le désistement du prince et de donner l'assurance qu'il ne l'autoriserait plus, à l'avenir, à reprendre cette candidature. Dans une seconde visite, l'aide de camp est revenu informer Benedetti que le roi approuvait le désistement, mais que pour le reste, il s'en référait à ce qu'il avait dit dans la matinée.

Or, Abeken et Eulenbourg n'ont pas mentionné ces deux faits si importants, c'est-à-dire que le roi approuvait le désistement du prince Léopold et qu'il considérait l'affaire comme terminée. Ils le savaient déjà à 3 heures 30 et ils ont laissé le chancelier libre de décider si la nouvelle réclamation de Benedetti et le refus qui lui avait été opposé devaient être communiqués aux représentants de la Prusse et aux journaux. Il est plus que douteux que le roi ait accordé cette autorisation, car il allait ainsi provoquer infailliblement une rupture et se mettre en désaccord avec lui-même. Comment, en effet, le 14 juillet, aurait-il écrit à la reine qu'il devait renvoyer la négociation à Berlin et comment aurait-il dit à Benedetti en le recevant, le même jour, dans le salon réservé de la gare à Ems que les négociations qui pourraient encore être poursuivies seraient continuées par son gouvernement ?

Ce qui prouve encore que le roi n'a point autorisé le chancelier à faire tout ce qu'il voudrait de sa dépêche, c'est l'aveu même de Bismarck à la Neue Freie Presse au sujet de l'étonnement du roi devant la fièvre patriotique universelle qu'il constata à son retour à Berlin. Il ne comprenait pas tout d'abord, a-t-il dit, ce qui s'était passé dans l'intervalle, et enfin cette lettre du roi à la reine le 17 juillet : L'anecdote que l'on répand d'une circulaire prussienne qui aurait provoqué la déclaration de guerre est impayable, attendu qu'une circulaire de ce genre n'a jamais existé... Il est misérable de mentir ainsi[4]. Il est donc évident que la sophistication, faite par le chancelier à la dernière heure, a été cachée au roi.

Mais pourquoi Bismarck a-t-il agi ainsi ? Parce que les termes de la dépêche que le roi lui faisait envoyer, quoique dissimulant l'approbation du désistement du prince et l'assurance que l'affaire était terminée, lui semblaient fades et incolores. Dans la phrase il devait bien savoir que mon gouvernement était de nouveau hors de cause n le chancelier voyait une sorte d'excuse. On comprend qu'étant donnée la surexcitation où la nouvelle du retrait de la candidature l'avait mis ainsi que de Moltke et de Roon, il ait été, comme ses hôtes, profondément abattu. La dépêche d'Ems se bornait, en fin de compte, à dire que le roi ne voulait plus recevoir l'ambassadeur, parce que Guillaume n'avait rien à ajouter à ce qu'il avait répondu le matin à Benedetti. Or, pour le chancelier, ce n'était ni assez bref ni assez cassant. Aussi, saisissant la' liberté que lui donne Abeken de décider s'il doit communiquer aux ambassadeurs et aux journaux allemands la demande de garanties et le refus qui lui a été opposé, il le fait en ces quelques lignes incisives : S. M. le Roi a refusé de recevoir de nouveau l'ambassadeur français et lui a fait dire par l'aide de camp de service qu'elle n'avait plus rien à lui communiquer. La réponse était devenue ainsi un congé brutal.

Voici, d'ailleurs, le texte entier arrangé par Bismarck :

Ems, 13 juillet 1870.

Après que les nouvelles de la renonciation du prince héritier de Hohenzollern eurent été communiquées au gouvernement impérial français par le gouvernement royal espagnol, l'ambassadeur français à Ems a exigé de nouveau de Sa Majesté l'autorisation de télégraphier à Paris que Sa Majesté le Roi pour tout l'avenir s'engageait à ne plus jamais donner son autorisation, si les Hohenzollern revenaient de nouveau sur leur candidature. Là-dessus, Sa Majesté le Roi a refusé de recevoir encore une fois l'ambassadeur et à fait dire au même par l'adjudant de service que Sa Majesté n'avait rien de plus à communiquer à l'ambassadeur[5].

Et quand cette dépêche, ainsi sophistiquée, aura produit son pernicieux effet, le chancelier aura le cynisme de dire, le 18 juillet, dans une circulaire à ses agents diplomatiques, qu'il n'existe point de note ou de dépêche par laquelle le gouvernement prussien aurait annoncé aux Cabinets d'Europe le refus de recevoir le ministre français. Il n'y a rien en dehors du télégramme des journaux que tout le monde connaît et qui a été communiqué aux gouvernements allemands, et à quelques-uns de ses représentants par des gouvernements non allemands, pour les informer de la nature des prétentions françaises et de l'impossibilité de les admettre. Ce télégramme, en outre, ne renferme rien de blessant pour la France. C'est le cas de répéter ici l'un des mots favoris de Bismarck : Il ment comme une dépêche !

Il importe de rappeler comment le correspondant de la Neue Freie Presse a raconté l'affaire dans le numéro du 20 novembre 1892, d'après les déclarations de Bismarck. L'auteur des lignes qui suivent rédigea, dès le soir même, ce qu'il avait entendu de la bouche du chancelier au sujet des heures décisives qui avaient précédé la déclaration de la guerre.

La légende, avait dit le chancelier, vient toujours orner, comme d'une couronne, les grands événements, et cela est souvent très bon. Il y a des légendes qu'on ne devrait pas détruire. Le roi était à Ems, j'étais à Varzin, lorsqu'à Paris éclata le bruit relatif à la candidature du prince Léopold de Hohenzollern au trône d'Espagne. Les Français agirent complètement comme des hommes affolés : je parle avant tout du gouvernement, avec Émile Ollivier en tête. Ollivier n'était, en aucune façon, à la hauteur de la situation, et il ne se doutait pas du mal qu'il faisait au Corps législatif avec ses bravades imprudentes. La situation était alors extrêmement favorable pour nous. Nous étions réellement provoqués, et, comme, depuis longtemps, nous étions convaincus qu'il fallait vider notre querelle avec la France, le moment actuel nous paraissait tout désigné pour faire blanc de notre épée. Je quittai donc Varzin pour m'entretenir, à Berlin, avec Moltke et Roon de toutes les questions importantes. En route, je reçus la communication télégraphique suivante : Le prince Charles-Antoine de Hohenzollern a retiré, pour l'amour de la paix, la candidature de son fils Léopold. Tout est en ordre.

J'étais tout surpris de cette solution inattendue, car je me posais cette question : Se présentera-t-il jamais une occasion aussi favorable ?

Arrivé à Berlin, j'appelai Rolandt, un des huissiers de la chancellerie, et je lui dis : Envoyez chez moi un télégramme disant que je reviendrai dans trois jours. En même temps, dans une dépêche adressée à Sa Majesté à Ems, je donnais ma décision de président du ministère et de chancelier de la Confédération. En réponse, je reçus un télégramme par lequel le roi m'appelait à Ems. Je m'étais fait depuis longtemps des idées claires sur la situation et je me disais : Si je vais à Ems, tout s'en ira à vau-l'eau. Dans le cas le plus favorable, nous arriverons à faire un compromis pourri, et alors la seule solution possible, la seule solution honorable, la seule grande solution nous échappera. Il faut que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour faire arriver Sa Majesté à Berlin. Là, le roi sentira mieux qu'il ne pourrait le faire à Ems le pouls de la nation. J'exposai donc de la façon la plus respectueuse les motifs pour lesquels je ne pouvais me rendre à Ems. Ma présence à Berlin était en ce moment absolument indispensable. Heureusement, les Français, myopes et arrogants, firent à ce moment-là tout ce qu'ils purent pour embourber à nouveau le char. Ils firent inviter le roi à signer une lettre qui équivalait à une profonde humiliation. Le roi me demanda mon avis par voie télégraphique. Je lui répondis en bonne conscience : Il est impossible de signer.

Par ces premières lignes, on voit déjà que l'intention du chancelier était de ramener le roi à Berlin, afin de le tenir plus sûrement en son pouvoir. On voit aussi que le roi avait demandé à son premier ministre son opinion sur la proposition du duc de Gramont et de M. Émile Ollivier relative aux garanties pour l'avenir et que toute concession à cet égard avait été déconseillée. Sur ce point Guillaume et Bismarck étaient d'accord. J'avais, continue le chancelier, invité Moltke et Roon à diner chez moi le soir du 13 juillet et nous parlâmes de toutes les éventualités. Nous partagions tous l'espoir que le procédé insensé, que l'invitation inouïe qui était adressée à notre roi écarterait le danger d'une issue faiblotte et sans gloire. Nous étions encore à table lorsqu'arriva une dépêche d'Ems. Elle commençait ainsi :

La nouvelle de la renonciation du prince héritier de Hohenzollern ayant été communiquée officiellement par le gouvernement espagnol au gouvernement français, l'ambassadeur français à Ems a encore adressé à Sa Majesté une demande tendant à être autorisé à télégraphier à Paris que Sa Majesté le Roi prenait à tout jamais l'engagement de refuser son assentiment clans le cas où les Hohenzollern reprendraient leur candidature. Suivait un long exposé. Le sens de cet exposé était que le roi s'en était rapporté à ce qu'il avait dit au comte Benedetti, que celui-ci avait reçu avec gratitude cette réponse et qu'il la communiquerait à son gouvernement[6]. Là-dessus Benedetti demanda à être reçu encore une fois par le roi, ne fût-ce que pour recevoir encore une fois de la bouche de Sa Majesté la confirmation de ce qui avait été dit à la promenade.

Puis la dépêche ajoutait : Sa Majesté refusa de recevoir encore une fois l'ambassadeur français et lui fit dire, par l'adjudant de service, que Sa Majesté n'avait plus rien à communiquer à l'ambassadeur. Pour peu que l'on confronte les textes de cette singulière affaire, il est facile de voir que la mémoire de Bismarck l'a mal servi en cet endroit. Il confond la dépêche envoyée au nom du roi par Abeken, rédigée sous la surveillance du roi le 13 juillet, avec le rapport Radziwill et avec le texte de la dépêche d'Ems arrangée par lui. Heureusement son successeur, le général comte de Caprivi veillait. Dans la séance du 23 novembre 1892 du Reichstag, il a donné la version définitive de la dépêche d'Ems telle que Bismarck l'aurait reçue et qui provoqua son émotion ainsi que celle de Roon et de Moltke. Suivent les détails connus, puis celui-ci qu'il faut citer encore : Je m'assis à une petite table ronde en marbre qui était placée à côté de la table où l'on mangeait. Je relus attentivement la dépêche. Je pris mon crayon et je rayai délibérément tout le passage où Benedetti avait demandé une nouvelle audience, etc. Si ce récit était vrai, comme la demande d'audience n'est point mentionnée dans le texte de la dépêche que M. de Caprivi a lue au Reichstag, il faudrait croire que c'est encore sur le rapport Radziwill que Bismarck a cru, de souvenir, avoir opéré. Je ne laissai subsister que la tête et la queue, dit-il encore.

Pour bien comprendre cette sophistication, il faut savoir qu'à ces mots placés en tête de la dépêche : ... à ne plus jamais donner mon approbation si les Hohenzollern posaient de nouveau leur candidature, le chancelier a simplement ajouté la fin du commentaire d'Abeken, en le résumant et en le martelant dans ces deux ligues outrageantes : Sa Majesté le roi a refusé de recevoir encore l'ambassadeur et lui a fait dire par l'aide de camp qu'il n'avait plus rien à lui communiquer.

On est donc en droit d'affirmer que si le roi avait été consulté par le chancelier sur cette nouvelle rédaction, il ne l'eût pas autorisée, tant elle dénaturait sa dépêche. Dans ses Pensées et Souvenirs, Bismarck a renforcé le texte que M. de Caprivi a lu au Reichstag et il a imprimé à certains mots une allure violente qu'ils n'avaient pas. Il ose dire, dans la nouvelle forme qu'il lui a donnée pour être envoyée aux ambassades et aux journaux, qu'il s'est borné à faire quelques suppressions sans ajouter ni changer un mot : La différence dans l'effet que devait produire le texte abrégé de la dépêche d'Ems, comparé à celui qu'eût produit l'original, ne provenait pas d'expressions plus fortes. Elle tenait seulement à la forme qui donnait à cette déclaration le caractère d'un règlement définitif de la question, tandis que la rédaction de Abeken n'aurait paru que comme un fragment d'une négociation encore en suspens et qui devait être continuée à Berlin[7].

Ainsi, d'une affaire qui aurait pu être encore l'objet de négociations, comme l'avait dit le roi lui-même, le chancelier se permettait de faire une affaire réglée et dans quelles conditions ! Écoutez-le et jugez-le : Le succès, dit-il, dépend avant tout des impressions que l'origine de la guerre provoquera chez nous et chez les autres. Il est essentiel que nous soyons les attaqués. La présomption et la susceptibilité gauloises nous donneront ce rôle, si nous annonçons publiquement à l'Europe, — autant que possible sans l'intermédiaire du Reichstag, — que nous acceptons sans crainte les menaces publiques de la France. Ces belles paroles réjouissent ses hôtes. Roon et Moltke qui, à la lecture de la dépêche d'Abeken, avaient été atterrés, passent à une gaieté qui surprend le chancelier lui-même. Ils avaient, note-t-il, retrouvé tout à coup l'enlie de boire et de manger et causaient d'un ton joyeux. Ils attendent patiemment l'effet de la dépêche arrangée avec tant d'habileté. Elle éclata comme une bombe, dit Bismarck à la Neue Freie Presse. Alors qu'on avait adressé à notre roi une dépêche humiliante, la dépêche d'Ems fit croire aux Français que leur représentant avait été brusqué par notre roi. Tous les badauds du boulevard étaient d'avis qu'on ne pouvait supporter cela. Le cri de A Berlin ! à Berlin ! fut poussé par les braillards de la foule. Il était là, l'effet cherché ! Et l'effet était le même ici que là-bas... La suite des choses, vous la connaissez. C'est le point au sujet duquel Gramont exprime son étonnement. Il ne comprenait pas, alors que les choses avaient pris une tournure tout à fait pacifique, pourquoi le courant belliqueux avait subitement repris le dessus. Une apparition sinistre survint, dit-il. Tout d'un coup, tout était changé. Qu'était-il arrivé ?... M. de Bismarck à Berlin. Voilà ou à peu près, ce qu'on lit dans les Mémoires de Gramont. Je cite de souvenir. En tout cas, c'est moi, avoue Bismarck, qui étais la sinistre apparition !

Oui, il était là, comme la personnification d'un mauvais génie, qui, pour arriver à son but, n'hésitait ni devant la duplicité, ni devant le mensonge.

Comment le général de Caprivi a-t-il pu dire, après cela, que la dépêche de Bismarck mise en regard de celle du roi ne constitue que l'exécution pure et simple de l'ordre royal et qu'il n'y a point eu de falsification ? Comment a-t-il pu affirmer que l'ancien chancelier avait rempli d'une manière correcte la mission que lui donnait le souverain ? Bismarck a aussi bien falsifié les textes que trompé et égaré l'opinion publique dans les deux pays. La remarque que faisait complaisamment le roi et qui terminait la dépêche d'Ems : Il voyait bien que mon gouvernement était de nouveau hors de cause n'a pas seulement offensé Bismarck, niais encore le général de Caprivi qui, le 23 novembre 1892, ne l'a pas lue au Reichstag sous prétexte qu'elle était inintelligible. Ainsi, même vingt-deux ans après, le gouvernement allemand ne voulait pas reconnaître que son roi avait fait une sorte de concession à la France dans l'intérêt de la paix.

Après tous ces textes arrangés par Bismarck en 1870, le général de Caprivi a dit aux applaudissements du Reichstag : C'est la France qui s'est jetée sur nous ! La vérité, c'est que dirigée par un Cabinet incapable, la France a prêté le flanc aux attaques et a laissé croire qu'elle voulait la guerre par une dernière demande inacceptable. Mais si le Corps législatif avait été mis au courant des faits, les témoins des événements de 1870 eussent reconnu immédiatement que la seule provocatrice de la guerre, c'était la Prusse, puisque son chancelier avait commis un faux pour précipiter cette guerre et que le chef de l'état-major prussien avait été d'avis d'ouvrir promptement les hostilités plutôt que de les traîner en longueur.

Dans une dépêche adressée le 19 juillet à M. de Bernstorff, ambassadeur de Prusse à Londres, Bismarck osait affirmer que le roi n'avait jamais eu la pensée d'élever le prince Léopold au trône d'Espagne, tandis que le Conseil du 15 mars 1870, présidé. par le roi, avait conclu à l'acceptation. Nous attribuer des desseins ultérieurs ou une intention hostile à l'égard de la France, disait-il encore, ce n'est qu'une invention gratuite. La prétendue notification aux Cabinets n'a jamais été faite, pas plus que le refus de traiter avec l'ambassadeur de l'empereur. Bien au contraire, l'ambassadeur n'a jamais cherché à entrer dans des négociations officielles avec le gouvernement royal, mais seulement à discuter la question personnellement et secrètement avec Sa Majesté à Ems[8].

A cette dernière assertion, il est permis de répondre que le roi eût pu, dès la première ouverture de Benedetti, lui déclarer qu'il devait s'adresser à ses ministres. Mais le roi ne le fit pas, car, de son propre aveu, il considérait cette affaire comme une question de famille et nullement de politique. L'observation du chancelier tombait donc à faux. On sait d'ailleurs que M. de Thile avait répondu que cette affaire ne concernait pas le gouvernement prussien. Ce que le même ministre a dit le 20 juillet, au Reichstag, n'est pas plus exact. Il a rappelé en effet qu'à la question de Benedetti faite au commencement de juillet sur la candidature du prince Léopold, Bismarck avait répondu qu'il n'en savait rien. Cela n'était pas vrai, puisqu'il avait lui-même suscité la candidature. En même temps qu'il donnait à la dépêche d'Ems un tour agressif et insultant pour la France, Bismarck dictait à son familier Busch une note pour la presse allemande dans laquelle il déclarait que si Napoléon s'était adressé confidentiellement à Berlin, la Prusse l'aurait aidé à pacifier l'opinion publique à Paris. Mais la situation s'était transformée par le ton agressif de Gramont et par les demandes directes adressées au roi. Cet incident avait soulevé une telle indignation en Allemagne que beaucoup de gens regrettaient la renonciation du prince Léopold. Le chancelier ajoutait que toutes les conversations de Benedetti avec le roi étaient de nulle valeur pour les relations de gouvernement à gouvernement. Toutes les déclarations personnelles qu'on a essayé d'arracher à Sa Majesté dans des causeries sans doute bienveillantes,déclarations qui peut-être auraient pu être obtenues, si Sa Majesté ne gardait pas clans sa vie privée sa fermeté habituelle de caractère,n'auraient jamais été des actes politiques, mais seulement l'expression d'idées personnelles, tant que le monarque ne les aurait pas confirmées en sa qualité de souverain et n'eût pas manifesté par là son désir de leur donner la valeur d'actes politiques.

Bismarck cherchait donc à établir, avec un sentiment exagéré de ses droits, que les paroles du roi à l'ambassadeur n'étaient pas des engagements définitifs et qu'il aurait fallu l'assentiment de son goui cillement pour les rendre tels. Mais, puisqu'il s'agissait d'une approbation donnée comme chef de famille, en quoi le gouvernement prussien avait-il à intervenir ? Et en supposant d'autre part que le roi eût donné sa parole comme roi, comment son ministère aurait-il pu démentir sa parole ? Ce sont là des subterfuges qui montrent à quel adversaire retors ré gouvernement français avait affaire et combien il aurait dû s'en défier.

Revenant ensuite à la dépêche du 13 juillet, le chancelier dit au Reichstag que le fameux télégramme des journaux avait été pour le ministère français l'unique déclaration de la guerre. Il l'accusait de n'avoir pu faire servir ce télégramme au but voulu qu'en le désignant comme une noie du gouvernement royal adressée aux autres gouvernements. Je ne veux pas, continuait Bismarck, m'engager dans la définition du mot note ; mais ce qui est vrai, c'est que c'était la communication d'un télégramme de journal destiné à orienter nos représentants auprès des gouvernements allemands et de tous les Cabinets que nous croyons amis, à informer les uns et les autres de l'état actuel des choses et à les convaincre que nos dispositions, au moment où nous pensions être arrivés aux limites tracées par l'honneur national, étaient plus fermes qu'on ne le supposait.

Cette communication de journal a été publiquement qualifiée de note par les ministres français. Les ministres se sont bien gardés de céder aux instances des rares membres de l'opposition de Paris qui ont gardé leur lucidité d'esprit et de produire le document en question. L'édifice tout entier et surtout la base de la déclaration de guerre se seraient écroulés si la représentation nationale avait eu connaissance de ce prétendu document et de sa forme. Ce n'était pas un document, c'était un télégramme servant d'information. Or, le 23 novembre 1892, le général de Caprivi a dit au Reichstag que la dépêche d'Ems, envoyée par Abeken, était bien devenue la dépêche de Bismarck, adressée le 13 juillet à 11 heures 15 minutes du soir aux représentants de l'Allemagne à Dresde, à Stuttgard, à Hambourg, à Munich et à 2 heures 30 minutes du matin, le 14 juillet, it toute l'Europe. Ce n'est plus cette fois le télégramme des journaux dont parlait Bismarck au Reichstag le 18 juillet 1870, c'était la dépêche officielle. Il ressort de ce qui précède que si Bismarck avait eu l'autorisation de publier tout ou partie de la dépêche du 14 juillet et de l'arranger à sa guise, il n'aurait pas attendu sa sortie des affaires pour s'en vanter. Si on persistait à soutenir le contraire, il faudrait admettre que le roi de Prusse était le complice du chancelier dans son acte perfide, acte qui a été presque unanimement blâmé en Europe. En effet, pour faire croire à deux grands peuples qu'ils avaient été insultés le même jour dans la personne de leur roi ou de leur ambassadeur, le chancelier prussien n'a pas reculé devant l'acte le plus vil ; lequel, malgré les dénégations du général de Caprivi, demeurera pour tous, comme l'a reconnu Liebknecht, eine gefälchte depesche, un faux.

Résumons donc cette lamentable affaire. En juillet 1870, Bismarck tenait absolument à ce que l'Europe crût à. une agression formelle de la France. Pour assurer le succès de ses plans, pour avoir la neutralité ou l'appui bienveillant de certaines puissances, ainsi que l'adhésion des États du Sud à la guerre, il fallait que la Prusse fat considérée comme étant l'objet d'une agression injustifiable. Et cependant, Bismarck se défendait absolument de toute provocation personnelle. C'était au moment même où il s'occupait de réaliser pacifiquement l'unité allemande qu'il avait été surpris, disait-il, par des exigences et des menaces insensées. Quoique tous les documents démontrent qu'il avait voulu cette guerre, qu'il la préparait adroitement depuis 1866, il disait dans ses dépêches, et devant le Reichstag, il disait partout que la France, que l'Empire étaient seuls la cause d'une guerre regrettable. C'est ce qu'il est bon de redire, de répéter. Mais quand cette guerre eut amené les résultats désirés, quand il eut repris lui-même par sa disgrâce toute sa liberté de parole et d'action, il osa se vanter d'avoir arrangé la dépêche d'Ems et d'avoir hâté l'heure décisive. Le inonde officiel allemand rougit tout d'abord de cet aveu. Des hommes d'État, des penseurs, des historiens ne voulurent pas croire à tant de cynisme, à tant d'audace. Puis on réfléchit en Allemagne et certains finirent par féliciter celui qui, par un beau mensonge patriotique, avait déchaîné la guerre sans laquelle l'unité ne se fût pas faite. Bénie soit, dit Hans Delbrück, la main qui a falsifié la dépêche d'Ems ! On relut cette dépêche. On la commenta. On lui fit dire tout ce qu'elle ne disait pas. On hi publia sous des textes différents. On finit par trouver, vingt-deux ans après, un texte officiel qui avait autorisé l'ancien chancelier à l'arranger et à la communiquer en tout ou en partie aux ambassadeurs et aux journaux.

Pour un grand nombre d'Allemands, Bismarck se serait calomnié lui-même. Il aurait voulu en audace et en forfanterie se faire la part trop grande. En réalité, il aurait simplement usé de l'autorisation accordée par le roi lui-même et il avait seulement choisi le moment le plus favorable pour tirer parti de la dépêche officielle. Il n'a pas dit une parole mensongère, remarque M. Charles Andler qui se range à l'avis de la majorité allemande[9]. Seulement il n'a pas dit tout ce qu'il savait. Il a mis une barre sur le passage qui attestait envers Benedetti la courtoisie de Guillaume. C'était son droit. Non, ce n'était pas son droit, parce qu'en effaçant ce passage, il faisait croire à un congé brutal de l'ambassadeur français et à la rupture des négociations, et cela n'était pas vrai. Non, ce n'était pas son droit, et ce qui le prouve, c'est que dans sa dépêche aux représentants de l'Allemagne du Nord à l'étranger, le 18 juillet 1870, il a ergoté sur le télégramme d'Ems. Il en a fait, comme je l'ai rappelé, un télégramme de journal et non pas une note officielle. Et pour pallier ce que la seconde et dernière partie de ce télégramme mutilé avait d'offensant pour l'ambassadeur français, il a publié après coup un rapport officiel du 13 juillet rédigé sous les yeux du roi, et un rapport de son aide de camp Radziwill qui montraient toute la courtoisie du roi à l'égard de Benedetti et démentaient le refus d'audience constaté par le télégramme. Il a eu l'audace de dire la même chose au comte de Bernstorft à Londres, et en niant ce qu'il avait fait, c'est-à-dire la rature des lignes qui constataient que les négociations n'étaient pas encore rompues, il a annulé la prétendue autorisation par laquelle le roi lui aurait donné le pouvoir d'arranger le télégramme à sa guise et d'en envoyer tout ou partie aux ambassadeurs et aux journaux. Remarquons d'ailleurs que si le télégramme lui avait donné cette autorisation, ce n'était plus alors le télégramme des journaux, mais le télégramme officiel. Bismarck se prend lui-même entre deux assertions contraires. D'ailleurs, il détruira plus tard, en 1892, tout cet artifice de perfidies par l'aveu brutal de l'arrangement de la dépêche d'Ems. Donc barrer, couper, réduire, ce n'était pas son droit, et M. Andler, qui a approuvé cette opération, a eu tort de comparer la dépêche d'Ems à ces communications banales que font nos ministres aux journalistes pour leurs dernières nouvelles et où ils abrègent et arrangent à leur façon lé compte rendu des actes gouvernementaux. C'est donc en vain que Bismarck s'est défendu d'avoir envoyé une note diplomatique provocatrice à ses agents et à l'Europe, il a fait, par le moyen des journaux, de la dépêche d'Ems une note officielle vraiment offensante, et l'on sait quelles terribles, conséquences elle a eues[10].

Si audacieuses et si nombreuses que soient les excuses et les approbations des nombreux courtisans de Bismarck, il convient de remarquer que beaucoup d'Allemands n'ont point jugé ainsi :

Tout Allemand, disait la Germania, sentira une rougeur de honte, quand il constatera, à la suite du témoignage de l'ancien chancelier lui-même, que l'Allemagne a été indignement trompée au sujet de la guerre de 1870, guerre que M. de Bismarck a non seulement désirée, mais qu'il a amenée par tous les moyens. Les bons Allemands sont allés se battre, animés de la conviction qu'il s'agissait d'une guerre sainte de défense patriotique contre une attaque frivole et injustifiée des Français et qu'ils défendaient l'honneur du roi Guillaume, grossièrement insulté par la France. Et tous ces bons Allemands n'étaient que des marionnettes dans la main de l'homme de fer et de sang, dont les calculs pouvaient être parfaitement démentis par les événements et dont la manière d'agir était absolument contraire aux principes qu'il a plus tard posés lui-même, relativement aux guerres d'attaque en général.

Il importe à cet égard de rappeler que, lors de l'alerte de 1875, où la Prusse cherchait réellement noise à la France, Bismarck, dit à l'un de ses biographes, Hans Blum, ce qu'il a écrit sous une forme plus accentuée encore dans ses Pensées et Souvenirs :

J'ai toujours considéré comme un crime une guerre que nous aurions entreprise sans qu'elle nous fût imposée[11]. Or, il appert des intrigues de 1868, de 1869 et 1870 que le chancelier a préparé et voulu à tout prix la guerre contre la France. Ses adversaires, encore une fois, n'ont pas eu l'adresse suffisante pour se tirer du piège où il les avait amenés, soit. Mais quelles que soient l'imprudence et l'ignorance d'hommes tels que Gramont et Ollivier, rien ne peut excuser le faux commis par Bismarck. La Gazette de Voss n'avait pu cacher son indignation en apprenant le cynisme avec lequel le chancelier avait osé glorifier sa conduite. Elle disait que, même en admettant que l'Allemagne n'aurait pu être unifiée sans la guerre, cela ne justifierait pas une rédaction de la dépêche royale qui ressemble terriblement à une falsification. Bismarck, ajoutait-elle, n'aurait pu se suicider et immoler sa gloire avec plus de résolution qu'en faisant connaître le mot par lequel le maréchal de Moltke jugeait sa conduite, en disant qu'il avait substitué une fanfare à une chamade. Le même journal avouait que la presse française était fondée à s'applaudir des révélations faites ainsi par le prince de Bismarck. La morale la plus large ne permettait pas, même en vue d'une guerre soi-disant inévitable, de présenter les choses comme elles l'avaient été dans la dépêche d'Ems. La Gazette de l'Allemagne du Nord, organe officiel de la Chancellerie fédérale, se bornait à enregistrer les affirmations contradictoires sur cette affaire. Elle reproduisait, sans commentaires, la déclaration de la Gazette nationale, d'après laquelle le texte publié ne serait pas celui de la véritable dépêche. Elle ajoutait, en style diplomatique, que cette discussion paraissait prématurée et que les événements étaient trop récents pour que la génération présente pût prononcer à ce sujet un jugement impartial. Les Nouvelles de Hambourg, journal du prince, reconnaissaient hautement que Bismarck, en modifiant la dépêche, avait contraint la France à prendre l'initiative et la responsabilité de la guerre et qu'il avait ainsi bien mérité de la patrie. S'il eût agi autrement, la guerre n'eût pas eu lieu. Cette guerre était indispensable pour fonder l'unité allemande. Si on avait laissé échapper cette occasion, on aurait été obligé de trouver un autre prétexte, moins adroit peut-être, qui aurait aliéné à l'Allemagne les sympathies de l'Europe.

C'était le mot de Bismarck à un journaliste qui s'étonnait de son expédient : Ah ! si celui-là avait raté, on en eût trouvé un autre !

La presse étrangère n'admettait pas ces procédés. Des journaux, comme le Daily News disaient : Rien n'a plus contribué à isoler la France que la croyance générale qu'elle avait contribué à déclarer la guerre pour des raisons futiles. Cette déclaration de guerre a fait l'effet d'un coup de foudre dans un ciel serein, car il n'y avait aucun nuage à l'horizon. On a cru que les Français, dans leur incorrigible vanité, roulaient se battre à tout hasard et que, bien que par le retrait de la candidature Hohenzollern, on leur eût présenté une joue, ils exigeaient qu'on leur présentât l'autre. Il est lamentable d'apprendre que la responsabilité morale du plus grand crime de l'histoire ait été si longtemps déplacée. L'Osservatore Romano appelait mystère d'iniquité le fait d'avoir jeté l'une contre l'autre deux grandes nations sans juste motif et d'avoir causé à l'Europe un état de malaise dont elle souffrait encore. Et le journal 'limait le cynisme révoltant de l'auteur de l'attentat.

Dans sa critique des Pensées et Souvenirs[12], l'historien Horst-Kohl considère comme un fait extraordinaire, que le roi Guillaume ait autorisé son ministre à communiquer la dépêche d'Ems aux ambassadeurs et aux journaux. La forme, dit-il, fut l'affaire du ministre et notre démocratie sociale, qui n'a pas le culte de la patrie, est d'une insolence inqualifiable, quand elle parle de la falsification de la dépêche d'Ems, alors que Bismarck agissait seulement pour accomplir un ordre royal avec l'assentiment de Moltke et de Roon, sous la pression violente du sentiment de l'honneur surexcité au plus haut degré. Bismarck prévit le préjudice apporté à notre évolution vers trop de condescendance. Persuadé que pour passer par-dessus le gouffre qui avait été creusé entre le Sud et le Nord par la différence des dynasties, des mœurs et des coutumes de races différentes, il n'y avait qu'à jeter un pont par une guerre nationale faite en commun contre un ennemi toujours prêt à la guerre depuis des siècles, il donna à la communication officielle un tour particulier qui amena les Français dans la situation pénible de déclarer eux-mêmes la guerre, ou de garder le soufflet que Bismarck avait su leur donner. Cette comparaison humiliante, Bismarck va la prendre lui-même à son compte : Nous avions reçu, dit-il, un soufflet de la France, et en cédant, nous nous étions mis dans la situation d'avoir l'air de chercheurs de noises, lorsque nous en viendrions à la guerre qui seule pouvait laver la tache.

Continuant à excuser Bismarck, Horst-Kohl dit encore : La différence dans l'effet que provoqua le texte tronqué de la dépêche d'Ems, comparé à celui qu'aurait fait l'original, ne provenait pas de la violence des mots employés, mais de la forme qui fit apparaître la rupture comme définitive, tandis que la rédaction d'Abeken avait laissé les choses flottantes et empêché que les pourparlers ne s'arrêtassent à Berlin. C'est une ratiocination sophistique, une ergoterie tout allemande que de vouloir toujours discuter sans trêve sur la façon dont la guerre a éclaté. Au lieu de remercier le gardien de notre honneur national qui endossa courageusement la responsabilité que ses fonctions réclamaient de lui, nous le laissons diffamer par les polissons et par les bavards. Nous aidons nous-même à scier la branche sur laquelle nous nous appuyons. Retenons enfin cet aveu de cet historien très écouté en Allemagne : Si la guerre est venue à éclater par la faute des Allemands, alors les Français sont absolument autorisés à se plaindre d'une entreprise aussi brutale et à réclamer l'Alsace-Lorraine qui, comme prix de la victoire, reste entre nos mains !

C'est ce qu'avait reconnu, entre autres, Liebneckt dans sa célèbre brochure Die Emser depesche : La dépêche d'Ems[13]. Il avait commencé, dès l'apparition de l'article de la Neue Freie Presse, à s'élever contre le crime commis et avoué par Bismarck et il n'avait pas craint d'affronter des pénalités judiciaires en criant toute son indignation. Il ne pouvait comprendre comment le faussaire avait osé faire de tels aveux pour se justifier. Il étudiait minutieusement la falsification et il concluait ainsi : La vraie dépêche annonçait le cours pacifique des derniers pourparlers à Ems. C'était la paix. La dépêche falsifiée faisait un tableau des événements tel que l'issue inévitable, c'était la guerre[14]. — Cette falsification, cette fausse nouvelle, cette transformation de la paix en guerre est, dit Liebknecht, appelée par les panégyristes de Bismarck un trait génial. Figaro peut se pendre et l'Italien Lumpaccius Rimait aussi. Liebneckt ajoute : La dépêche d'Ems falsifiée était positivement une dépêche privée de l'Agence Wolf et non pas un acte officiel du gouvernement prussien, et si le gouvernement français l'eût su, il aurait attaché à cette pièce aussi peu d'importance qu'à je ne sais quelle désagréable injure de journal. Mais le faussaire avait pris soin de faire parvenir la dépêche Wolf à tous les gouvernements sous une forme qui lui donnât l'empreinte officielle. A ceux qui affirment que la guerre aurait éclaté de toute façon, et que Bismarck avait agi politiquement en forçant la France à commencer l'attaque dans des conditions favorables à l'Allemagne, Liebneckt répond qu'il ne s'attardera pas à la logique hypocrite ou plutôt criminelle de cette argumentation, et qu'il vent seulement s'élever contre l'hypothèse qu'une guerre ait été inévitable entre les deux pays. La dernière ligne de son livre est un arrêt sans réplique : La morale humaine ordinaire condamne le crime et flétrit le criminel. Liebneckt n'épargne pas plus les courtisans de Bismarck que Bismarck lui-même et il n'a pas assez de mépris pour Hans Blum qui a écrit : Les Français furent pris de court, ce qui fait le mérite indiscutable et inoubliable de l'auteur de la dépêche. Il constate que l'unité de l'Allemagne et que l'Empire allemand reposent sur un faux.

Si d'autres historiens allemands comme H. de Sybel, au contraire de Liebneckt, admirent l'audace du chancelier qui, par la concision de sa rédaction et la publication officielle de la dépêche, a décuplé le poids d'un refus devenu outrageant e raillent les Français qui avaient à se demander s'ils voulaient avaler cette pilule amère ou mettre leurs menaces à exécution ; d'autres encore, comme Bleibtreu, blâment un outrage prémédité, ou, comme Rathlef, regrettent le silence de la dépêche sur l'attitude courtoise du roi, sur l'envoi réitéré de l'aide de camp à Benedetti, sur la faculté laissée à Bismarck de publier la demande nouvelle de l'ambassadeur et du refus opposé par le roi. Cela leur paraît opposé aux usages diplomatiques qui veulent que le secret d'une négociation soit maintenu rigoureusement, tant qu'elle n'est pas officiellement rompue. Enfin, Émile Marcks, l'apologiste enthousiaste de Guillaume Ier et de Bismarck, reconnaît lui-même que le chancelier a outrepassé les véritables intentions du roi, et, sans transition, est allé de la défense à l'attaque en souffletant la France. L'impression qui domine, même parmi les partisans de Bismarck, c'est que l'outrage a été prémédité.

Le motif principal pour lequel Bismarck, par son aveu rétrospectif, s'était aussi hardiment exposé à la critique de ses concitoyens est facile à comprendre. Ne pouvant se consoler de la disgrâce qui l'avait frappé en 1890, l'ancien chancelier tenait à montrer urbi et orbi que l'unité allemande était son œuvre personnelle, qu'il l'avait faite par le fer et par le feu, malgré l'opposition de la Cour et du Parlement ; que le dernier moyen pour rendre cette unité complète et inébranlable était une guerre avec la France, guerre que le roi de Prusse redoutait plus que toute autre. Bismarck voulait qu'on sût partout qu'il lui avait forcé la main comme il la lui avait forcée en 1866 ; enfin que c'était à lui seul que l'Allemagne était redevable de cette unité tant désirée, et non à son roi ou à son empereur. Mais que serait-il arrivé, s'il eût échoué ?... Bismarck se serait peut-être brûlé la cervelle comme il voulait le faire avant la victoire de Königgraetz. On se rappelle en effet — c'est lui qui l'a raconté — que le 3 juillet 1866, au moment où les événements semblaient contrarier ses desseins, il s'était donné un temps limité pour armer ses pistolets d'arçon et se tuer en pleine bataille, si les troupes prussiennes qui commençaient à faiblir n'avaient pas été victorieusement secourues.

C'est pour se venger de l'ingratitude de Guillaume II qui avait injustement disgracié en sa personne le fondateur de l'Empire allemand qu'il avait tout à coup révélé comment il n'avait pas craint de donner à une dépêche officielle une forme outrageante afin de rendre ainsi la guerre inévitable. Il croyait avoir mérité, par tant d'audace et de génie, de perpétuelles actions de grâces ! Tel fut le motif certain de la conduite du chancelier. Le gouvernement français avait donc été mis en demeure de rendre ouvertement justice à la prétendue modération du gouvernement prussien.

Or, qui avait facilité au chancelier l'audace d'opposer à nos demandes une contre-partie aussi redoutable ? Benedetti va nous le dire.

Ce sont nos propositions de la dernière heure qui ont permis à M. de Bismarck de mettre le gouvernement français dans l'alternative de souffrir la plus cruelle injure ou de tirer l'épée, Le chancelier croyait la guerre avec la France inévitable ; il coulait cette guerre ; il tenait en réserve depuis plus d'un an cette affaire de la candidature d'un prince de Hohenzollern à la couronne d'Espagne, avec l'intention d'en tirer parti contre nous. A cause de cela, il est et demeure l'auteur principal et responsable de la guerre. Mais il n'aurait pu se procurer la guerre sans les propositions malheureuses du 13 juillet. Supposons un moment qu'a Paris, le 12 juillet, on se soit maintenu étroitement sur le terrain des instructions qui m'avaient été adressées à midi quarante-cinq ; que, comme l'avait voulu l'empereur, on n'ait tenu aucun compte de la dépêche du prince Antoine ; qu'on n'ait pris l'initiative d'aucune proposition nouvelle ; qu'on ait, au contraire, comme on s'y était engagé, attendu patiemment l'expiration du délai sollicité par le roi et accordé par nous ;dans cette hypothèse, je le demande, que serait-il arrivé ? Le lendemain 13, au jour convenu, le roi me faisait sa déclaration et je la transmettais à Paris. Quel en eût été l'effet et sur la Chambre et sur l'opinion publique ? C'était bien à la France, cette fois, que le désistement était notifié, et par qui ? Par le roi de Prusse que nous avions interpellé directement, et qui, en y ajoutant son approbation, reconnaissait la légitimité de nos réclamations, par conséquent celle de notre intervention. Le prince Antoine, l'ambassadeur d'Espagne, la communication qu'ils avaient échangée, tout disparaissait devant la démarche du souverain que nous avions mis en cause. Quelle plus complète satisfaction pouvions-nous exiger et comment n'aurait-elle pas rencontré l'assentiment général du pays et de ses représentants ?[15]

Le même Benedetti, interrogé en novembre 1892 par un rédacteur du Gaulois, lors des aveux de Bismarck, avait répondu en ces termes :

Nous avions demandé le désistement du prince Léopold au trône d'Espagne, et le roi de Prusse paraissait tout disposé à nous l'accorder. Ce ne sont pas mes instances qui le déterminèrent à prendre cette résolution ; mais il y était, en quelque sorte, poussé par l'attitude de l'Europe, qui trouvait mauvais qu'on cherchât querelle à la France sans aucun prétexte, sans raison. Le roi voulait que ce désistement fût fait sans se compromettre personnellement ; c'était un acte très grave, surtout après la situation conquise après Sadowa qui le rendait très fier. Il désirait que le prince de Hohenzollern se désistât lui-même. Néanmoins, la France avait obtenu un succès diplomatique considérable. Au fond, la Prusse avait le plus vif désir de nous faire la guerre. Le comte de Bismarck aurait voulu ne faire aucune concession et engager la lutte immédiatement. Le roi, cependant, persista dans sa résolution de nous concéder le désistement du prince Léopold. Quand cette résolution nous fut annoncée, elle déplut à Paris autant qu'à Berlin. Le gouvernement français fut interpellé et on lui demanda quelles garanties il exigerait pour l'avenir. C'est alors qu'il fit faire à Ems une démarche qui remit tout en question. Le ministre des Affaires étrangères jugea opportun et convenable d'inviter le roi à adresser à l'empereur une lettre destinée à la publicité, dans laquelle il répudierait toute pensée malveillante. Il en exprima le vœu à l'ambassadeur de Prusse à Paris, qui se trouva dans l'obligation de la transmettre à Ems. La retraite du prince Léopold était cependant accueillie par les Cabinets et la presse étrangère comme la garantie du maintien de la paix : on la croyait désormais assurée. Sans s'arrêter aux questions de forme, on tenait compte au vainqueur de Sadowa du gage qu'il en donnait, dans des circonstances difficiles pour sa considération personnelle. Le nouveau débat soulevé par le Cabinet de Paris fut, au contraire, envisagé comme un obstacle nouveau et regrettable au rétablissement des bonnes relations de la France avec la Prusse. Aussi, Bismarck en profita-t-il pour renverser audacieusement la situation et rendre la rupture immédiate.

 

 

 



[1] Pensées et Souvenirs, t. II, p. 102, 103.

[2] BISMARCK, Collection des Hommes d'État, p. 92. — Alcan, 1900.

[3] Bismarck l'a appelée lui-même la rédaction d'Abeken.

[4] Unser Helden Kaiser — Dr W. ONCKEN.

[5] C'est cette dépêche que Liebknecht appelle justement la dépêche falsifiée, Die gefälchte Depesche.

[6] Ces deux paragraphes se réfèrent plutôt au rapport de Radziwill qu'à la dépêche d'Ems. C'est ce qu'avait remarqué M. Saint-Marie. — Cf. La lumière sur 1870, Mulhouse, 1908.

[7] Pensées et Souvenirs, t. II, p. 108.

[8] Le 11 juillet, à une communication conciliante du comte de Granville transmise par M. de Bernstorff, Bismarck avait répondu que toute concession ultérieure de la Prusse équivaudrait à une soumission à la volonté arbitraire de la France, ce que toute l'Allemagne considérerait comme une nouvelle insulte. L'Allemagne est arrivée à la conclusion que la guerre, même dans les circonstances les plus difficiles, serait préférable à la soumission du roi à l'injustifiable demande de la France.

[9] Bismarck, p. 136.

[10] Le 11 juillet 1879, Bismarck rappelait au prince de Hohenlohe qu'à cette date il avait expédié la dépêche qui décida la guerre. Mais, dit-il alors, si elle avait manqué son but, c'est nous qui aurions dû accepter l'humiliation et demeurer dans l'incertitude. A ce propos, Bismarck racontait, au prince de Hohenlohe, que Werther avait alors envoyé un projet de lettre au roi Guillaume, que celui-ci devait signer et qui contenait des excuses avec promesse de ne plus recommencer. Le roi avait envoyé la lettre à lui, Bismarck, pour avoir son avis et il avait immédiatement suspendu Werther de ses fonctions. C'était, disait-il, la plus grande lâcheté dont ce diplomate pût se rendre coupable !

[11] Et cependant après l'alerte de 1875, vint celle de 1877, et depuis, les successeurs de Bismarck ont de 1905 à 1908 répété les mêmes manœuvres.

[12] Wegweiser durch Bismarck's Gedanken und Erinnenerungen.

[13] Fränkische Verlagsanstalt und Buchdruckerei Sydow et C°. — Nürnberg, 1899, in-18.

[14] P. 58.

[15] Essais diplomatiques, 1895, in-8°.