HISTOIRE DE LA PROCÉDURE CIVILE CHEZ LES ROMAINS

 

CHAPITRE XI. — Des Mesures prises pour diminuer les Procès.

 

 

Il y avait plusieurs institutions dont le but était de diminuer les procès, soit directement, soit indirectement. Telle était, par exemple, la prescription de l’action. L’ancien droit ne connaissait point cette prescription, ce fut l’édit qui borna au délai d’un an le droit d’intenter la plupart des actions qu’il accordait[1]. Plus tard, il y eut une prescription contre les actions par lesquelles on réclamait la propriété. Cette mesure était nécessaire pour protéger la longue possession des fonds provinciaux qui n’étaient point susceptibles d’usucapion[2]. Enfin Théodose II établit la prescription de trente ans contre toute espèce d’actions[3]. Une action intentée, mais demeurée en suspens ; se prescrivit également par trente ans[4], et depuis l’ordonnance de Justinien par quarante ans comptés du jour de la dernière cognitio[5]. Dans l’ancien droit, nous avons vu que le droit d’action était anéanti[6], même quand la procédure avait eu son cours régulier, si le litige n’avait pas été décidé dans un temps voulu ; cette disposition ne se maintint dans le nouveau droit qu’en certains cas donnés[7].

La défense d’acheter des droits litigieux avait également pour, but d’empêcher l’augmentation des procès. Un édit d’Auguste déclara cette venté invalide et la punit d’une amende[8] ; Justinien augmenta la peine[9]. On défendait même une aliénation faite avant la fin du procès, quand cette aliénation devait aggraver la position du défendeur, et en ce cas, on donnait à ce dernier une action en dommages-intérêts[10].

Une demande exagérée, quand l’action était certi, entraînait la perte du procès, et sous le régime des legis actiones[11] et dans le système formulaire[12]. Zénon et Justinien remplacèrent cette perte du litige par des peines pécuniaires[13]. Il est fort remarquable que dans l’ancien droit on perdait à demander moins qu’on n’avait droit, ou à agir par une seule action quand on en avait plusieurs à sa disposition ; car si plus tard on demandait le surplus de la dette, ou si au moyen d’une autre action on agissait pendant la même préture, la demande se trouvait paralysée par les exceptions spéciales : litis dividuæ et litis residuæ[14]. Ces exceptions ne se sont point maintenues dans le nouveau droit[15].

Enfin il y avait plusieurs dispositions légales, évidemment dirigées contre les procès mal fondés[16]. Il y avait déjà une peine pour le défendeur téméraire dans la perte du sacramentum, et plus tard dans la sponsio pénale qui avait lieu en certains cas, par exemple, dans les interdits[17], ou dans les actions certi et constitutæ pecuniæ[18]. En d’autres actions, le déni entraînait après soi peine du double (inficiando lis crescit)[19]. Cette peine, pour quelques-unes au moins de ces actions, s’est maintenue dans le nouveau droit[20]. Quand il, n’y avait lieu ni à la sponsio ni a la peiné du double (quum statim ab initio non pluris quam simpli sit actio), le demandeur avait droit d’exiger du défendeur le juramentum calumniæ[21]. Justinien fit de ce serment le préliminaire indispensable de tout procès[22]. Enfin, et moins pour couper court aux procès que pour punir la mauvaise foi[23], il y avait certaines condamnations qui emportaient tache d’infamie[24].

A son tour, la défense était protégée contre d’injustes demandes[25]. Le défendeur pouvait exiger de son adversaire le juramentum calumniœ, et si la vexation se pouvait prouver, il avait droit de demander par le judicium calumniœ des dommages-intérêts du dixième du litige dans les actions ordinaires, etdu quart dans les interdits[26]. Ce judicium tomba en désuétude, mais le juramentum, devenu d’usage général en certaines demandes[27], finit par être, sous Justinien, une obligation légale en toute espèce d’actions[28]. Au lieu de ce judicium, il y avait dans l’ancien droit pour quelques actions, même sains preuve de l’intention de vexation, un judicium contrarium afin d’obtenir le dixième ou le quart comme dommages-intérêts ; mais ce judicium n’était plus admissible dès qu’on avait exigé du demandeur et que ce dernier avait prêté le serment de calomnie[29]. Enfin, dans tous les cas où il y avait sponsio pénale on pouvait agir contre le demandeur en vertu de la restipulatio[30].

Une des peines du plaideur téméraire était encore l’obligation de payer à l’adversaire les frais du procès[31]. Ces frais étaient toujours à la charge de la partie qui perdait son procès, à moins de preuve évidente de sa bonne foi[32], et le juge pouvait en outre, suivant les circonstances, imposer une amende fiscale d’un dixième en sus[33]. Il n’était point d’abord nécessaire que la condamnation aux frais fût exprimée[34]. Plus tard on imposa aux juges cette obligation à peine de payer les frais du litige[35]. Pour éviter des demandes exorbitantes, le juge déférait le serment sur le chiffre des frais qu’il déterminait à l’avance[36]. Les sportules en faisaient naturellement partie ; mais comme les sportules, et notamment ces sportules proportionnelles au chiffre du litige qu’avait à payer le défendeur lors de la citation, pouvaient, entre les mains d’un demandeur qui exagérait l’objet de sa demande, devenir un odieux moyen de chicane, Justinien condamna le demandeur à rembourser au triple ces frais exagérés[37], et en outre l’empereur voulut que le demandeur donnât caution d’effectuer la 1itiscontestation dans les deux mois, sous peine de payer au double les frais déjà faits[38]. Suivant une autre constitution du même prince, pour garantir la poursuite de l’instance et le paiement des frais, il fallut fournir caution pour une somme égale au dixième du litige[39].

 

 

 



[1] GAIUS, IV, 110. § 3.

[2] L. 9, D., de div. temp. præsc., XLIV, 3.

[3] L. un, C. Th., de Act. cert. temp. fin., IV, 14. — pr., Inst., de perp. et temp. Act., IV, 12.

[4] L. un, C. Th., de Act. cert. temp. fin., IV, 14, § 1.

[5] L. 9, C., de prœsc. trig. ann., VII, 39.

[6] Chap. 5, n. 24, 25.

[7] Par ex., I, 8, C., de dolo, II, 21.

[8] Fragm. de jure fisci, § 8. GAIUS, IV, 117. — L. 1, pr., D., de jure fisci, XLIX, 14. — L. 1, 2, de litig., XLIV, 6.

[9] L. 4, C., de Litig., VIII, 37. Nov. 112, c. 1.

[10] L. 1, D., de alien. jud. mut. caus., IV, 7. § 1. — L. 3, § 4.

[11] CICÉRON, de Orat., I, 36. PLAUT., Mostell., III, 1, v. 123.

[12] CICÉRON, pro Rosc. comœd., c. 4. GAIUS, IV, 53-65,57-60, 68, § 33. Inst., de Act., IV, 6. SUÉT., Claude, c. 14. — Frag. Vat., § 53. Consult. vet. jurisc., c. 5.

[13] L. 1, 2, C., de plus petit., III, 10, § 33. Inst., de Act., IV, 6.

[14] GAIUS, IV, 56, 122.

[15] § 34, Inst., de Act., IV, 6.

[16] Pr., Inst., de pœna temere litig., IV, 16.

[17] GAIUS, IV, 141, 162-167.    

[18] GAIUS, IV, 13, 171. CICÉRON, pro Rosc. comœd., 4, 5.

[19] GAIUS, IV, 9, 171. PAUL, I, 19, § 1, § 2. CICÉRON, pro Flacco, c. 1.

[20] § 1. Inst., de pœna temere litig., IV, 16, § 26. Inst., de Act., IV, 6, § 7. Inst., de obl. quasi ex contr., III, 27.

[21] GAIUS, IV, 172. — L. 44, § 4, D., Famil. hercise., X, 2. — CIC., pro Rosc. comœd., I, fait allusion à ce serment.

[22] L. 2, pr., C., de Jurej. propter calumn., n. 59.

[23] CIC., pro Rosc. Amerin., 38. — Pro Rosc. comœd., c, 6. — Pro Cæcina, 2, 3.

[24] GAIUS, IV, 182. § 2. Inst., de pœna temere litig., IV, 10. — L. 1, pr., D., de his qui not., III, 2.

[25] GAIUS, IV, 174.

[26] GAIUS, IV, 175-179. — Cons. vet. jur., c. 6.

[27] Par ex., l. 6, § 2 ; l. 9, § 3, de edendo. D., II, 13 ; l. 5, § 14, D., de op. nov. nunc., XXXIX, 1, l. 13, § 3. D, de damn. inf., XXXIX, 2.

[28] L. 2, Inst., de pœna tem. litig., IV, 10. — L. 2, pr., C., de Jurej. propt. calum., II, 59.

[29] GAIUS, IV, 177-179.

[30] GAIUS, IV, 13, 180, 181.

[31] L. 79, pr., D., de Judic., V, 1. — § 1. Inst., de pœna temer. litig., IV, 16.

[32] L. 1, C. Th., de fruct. et lit. exp., IV, 18. — L. 5, C., de fruci. et lit. exp., VII, 51. — L. 13, § 6, C., de Judic., III, 1.

[33] L. 5, C., de fruct. et lit. exp, VII, 51.

[34] L. 1, C. Th., de fruct. et lit. exp., IV, 18.

[35] L. 3, 5, C., de fruct. et lit. exp., IV, 18. — L. 13, § 6, C., de Judic., III, 1.

[36] L. 13, § 6, C., de Judic., III, 1. Nov. 82, c. 10.

[37] § 24. Inst., de Act., IV, 6. — THÉOPHILE, IV, 6, § 24.

[38] Nov. 36, præf., c. 1.

[39] Nov. 112, c. 2.