HISTOIRE DE LA PROCÉDURE CIVILE CHEZ LES ROMAINS

 

CHAPITRE IX. — Des voies d’appel.

 

 

Sous la république, contre tout acte judiciaire du préteur, depuis la formula concepta[1] jusqu’à l’exécution[2], on pouvait invoquer l’intervention de l’autre préteur[3], des consuls[4] ou des tribuns[5] ; cette intervention de droit commun pour tous les actes des magistrats, arrêtait court le jugement de l’affaire. Sous l’empire, la toute-puissance de l’empereur, et le caractère nouveau des magistrats, rirent prendre à cette intervention une forme nouvelle qui s’accorda mieux avec les principes de la nouvelle constitution. L’appel fut introduit. A Rome, on appela des préteurs au préfet de la ville[6] ; en Italie, des magistrats municipaux, aux correcteurs[7] ; dans les provinces, aux légats et aux gouverneurs[8], dans une foule de cas, au sénat[9] ; et enfin, à l’empereur[10]. Du judex donné on appelait à celui qui l’avait établi[11]. Depuis Constantin la nouvelle constitution modifia sensiblement toutes ces juridictions[12].

Pour que l’appel fût régulièrement porté, il fallait l’interjeter soit immédiatement, et de vive voix, apud acta[13], soit dans un délai donné[14] et au moyen d’un libellus[15]. Le juge remettait à l’appelant, pour qu’il pût suivre sur la nouvelle instance, un acte constatant qu’il avait interjeté appel ; cet acte se nommait literœ dimissoriœ, ou, par un nom grec, apostoli[16]. A ces literæ on joignait une copie des disputes de la procédure (acta)[17]. L’appelant devait remettre ces pièces au tribunal supérieur dans un délai légal[18]. Quand ce fut à l’empereur que se porta l’appel, il fut en usage depuis le IVe siècle, que le juge dressât une relatio ou consultatio détaillée de l’affaire ; cette consultatio était communiquée aux parties, qui y mettaient leurs dires, et des messagers transmettaient le tout de l’officium à la chancellerie impériale. Symmaque nous a conservé dans ses lettres plusieurs de ces relationes, et quelques-unes des plus intéressantes pour l’histoire, du droit[19]. De la chancellerie, l’affaire était portée au consistorium pour y être examinée et décidée[20]. Tel était l’usage pour les appels des proconsuls, du comte d’Orient, du préfet d’Égypte, des vicaires des diocèses, appels qui, sauf quelques exceptions[21], se portaient directement à l’empereur[22]. Plus tard, Théodose II ordonna de juger ces appels dans la forme ordinaire, et institua dans ce but une commission permanente ; composée du préfet du prétoire et du questeur. Ne, dit l’empereur, ne nostris occupationibus quibus pro utilitate mundi a singulorum nonnunquam negotiis avocamur, aliena defraudari commoda videantur[23]. La forme de la consultatio n’eut donc plus lieu que lorsqu’on appelait des jugements rendus par les plus hauts fonctionnaires de l’empire[24].

Du reste, les appels n’étaient reçus que des jugements définitifs, et ce n’est que par exception qu’on admettait l’appel de certains interlocutoires[25]. Encore Justinien le défendit-il absolument ne lites in infinitum extendantur[26]. Combien de fois pouvait-on appeler dans une même affaire, cela dépendait du degré hiérarchique occupé par le magistrat qui avait rendu la sentence ; dans le dernier état de droit on pouvait appeler deux fois au plus[27]. Il va de soi qu’on ne pouvait appeler de l’empereur, qui n’avait point de supérieur[28] ; ne pouvait non plus appeler du préfet du prétoire[29]. Pour les seuls appels portés devant l’empereur on exigeait que le litige fût de certaine valeur[30] ; encore cette condition fut-elle abolie[31]. Les appels inadmissibles étaient punis d’une amende[32]. Ceux qui se trouvaient mal fondés entraînaient la perte d’une certaine somme consignée par avance et le paiement au quadruple dès frais du procès[33] ; plus tard, on introduisit des pénalités nouvelles, marquées de ce cachet de rapacité et de mépris pour les hommes qui reparaît dans toutes les institutions du Bas-Empire[34].

Au IVe siècle s’introduisit l’usage des supplicationes ou retractationes contre les sentences du préfet du prétoire, dont on ne pouvait appeler. Ce fût en réalité une voie indirecte d’appel[35].

Indépendamment de l’appel il y avait d’autres causes qui pouvaient paralyser une sentence rendue. Ainsi, un jugement qui violait évidemment les règles et les formes établies, et qui manquait de certaines conditions essentielles à sa validité, pouvait sans appel être considéré comme nul et rescindé[36]. Peut-être est-ce cette rescision qui dans l’ancienne législation s’exerçait par une sponsio au double, revocatio in duplum[37]. Enfin, et dans certains cas définis, on pouvait demander extraordinairement urge restitution contre des jugements comme on l’eût fait contre tout autre préjudice légal[38], et cette restitution pouvait atteindre les sentences du préfet du prétoire et de l’empereur, car en ce cas, c’était le préfet ou l’empereur qui restituaient eux-mêmes contre le jugement qu’ils avaient rendu[39].

 

 

 



[1] CICÉRON, pro Tullio, c. 38.

[2] LIVIUS, VI, 27 ; XXXVIII, 60. GELLIUS, VII, 19. CICÉRON, pro Quint., 7, 20, 21.

[3] CÉSAR, de Bello civ., III, 20. CICÉRON, in Verr., II, 1, 46.

[4] VAL. MAX., VII, 7, § 6.

[5] GELLIUS, XIII, 12.

[6] VOPISC., Florian., 5, 6. L. 38, D., de Min., IV, 4.

[7] L. 1, l. 4, § 3, 4, D., de Damn. inf., XXXIX, 2. — Fragm. Vat., § 232.

[8] L. 2, D., quis a quo appell., XLIX, 2.

[9] SUÉT., Nero, 17. TACITE, Ann., XIV, 28. CAPITOL., M. Anton., 10. VOPISC., Probus, 13.

[10] DIO CASS., LI, 19 ; LII, 33 ; LIX, 8. — L. 40, de Reb. cred., D., XII, 1.

[11] L. 1, D., quis a quo appell., XLIX, 3. Ibid., l. 3. — L. 1, § 3, l. 21, § 1, D., de Appell., XLIX, 1.

[12] WALTER, Histoire de la Constitution Romaine, ch. XLII, et inf., n. 22.

[13] L. 2, D., de Appell., XLIX, 1. — L. 14, C., de Appell., VII, 62.

[14] L. 5, § 4, D., de Appell., XLIX, 1. — L. 1, § 5-15, D., quando app., XLIX, 4. Nov. 23, pr., c. 1.

[15] L. 1, § 4, D., de App., XLIX, 1. — Ibid., l. 3.

[16] L. un, D., de libella dimiss., XLIX, 6. — PAUL, Sent., V, 34. — I. 6, § 6, C., de Appell., VII, 62.

[17] L. 24, C., de Appell., VII, 62. — Nov. 126, c. 3.

[18] L. 5, C., 9, de Appell., VII, 62. — L.. 63, C. Th., de Appell., XI, 30. — L. 3, C. Th., de reparat. Appell., XI, 31. — L. 2, 5, C., 9, de temp. et rep. appell., VII, 63.

[19] L. 5, C. Th., de Relat., XI, 29. — L. 8, C. Th., de Appell., XI, 30. — Ibid. I, 16, 29, 32, 34, 47. — SYMM., Ep., X, 48, 52, 53.

[20] L. 2, C., de Leg., I, 14. Voyez sup., ch. 7, n. 67.

[21] L. 57, 61. C. Th., de Appell., XI, 30. — L. 2, 3, C. Th., de Off. præf. urb., I, 6.

[22] L. 16, C. Th., de App., XI, 30. Ibid., l. 29. — L. 32, C., de App., VII, 62.

[23] L. 32, pr., § 2, 3, 4, C., de App., VII, 62. — Nov. 126. — LYDUS, de Magist., II, 15, 16.

[24] L. 32, § 5, 1. 37, 39, § 1, 2, C., de App., VII, 62. — L. 5, § 2, C., de temp. app., VII, 63. — Nov. 23, c. 2 ; Nov. 62.

[25] L. 2, 25, 37, 40, 44, 65, C. Th., de App., XI, 30. — L. 1, 2, 3, 11, 18, 23, C. Th., quor. appell., XI, 3G. SYMM., Ep., X, 36, 58.

[26] L. 36, C., de App., VII, 62. La constitution est grecque ; je suis la traduction de Lecomte. — L. 16, C., de Judic., III. — Malgré cette prohibition générale, une exception est restée ; I, 2. D., de App. recip., XLIX, 5.

[27] L. un, C., ne liceat in ead. caus., VII, 70.

[28] L.1, § 1, D., a quib. app., XLIX, 2. — L. 34, C., de Appell., VII, 62.

[29] L. un, § 1, D., de Off. præf. præt., I, 11. — L. 17, D., de Minor., IV, 4. — L. 16, C. Th., de Appell., XI, 30.

[30] L. 10, § 1, de Appell., XLIX, 1. — Nov. Valent., III, tit. XII, § 17, éd. Ritter.

[31] L. 20. L. 37, C., de App., VII, 62. La Nov. 23, c. 3, introduisit une exception à ce sujet.

[32] Sup., n. 25.

[33] TACITE, Ann., XIV, 28. — PAUL, Sent., V, 33, 37.

[34] L. 3, C., Th. de Off. prœf. præt. I, 5. — L. 6, § 4, C., de Appell., VII, 62.

[35] L. 5, C., de Precib. imp. off., I, 19. — Nov. Theod., tit. VI, ed. Ritter. L. un., C., de Sent. præf. præt., VII, 42. — L.35, C., de Appell., Vif, 62. — Nov. 119, c. 3.

[36] L. 1, 2, 3, D., quæ Sent. sine app., XLIX, 8. — L. 1, 2, 4, 7, C., quando provocare non est necesse, VII, 64.

[37] PAUL, Sent., V, 5a, § 5, 7, 8. L. 1, C. Greg., X, 1.

[38] L. 16, § 5, D., de Minor., IV, 4. — Ibid., l. 18, pr. l. 42. — L. 2, 4, 5, C., si adv. rem judic. rest., II, 27.

[39] L. un., § 2, D., de Off. præf. præt., I, 11 ; 1. 17, de Minor., D., IV, 4. Ibid., l. 18, § 1, 4.