Dans la procédure des legis actiones, après que l’objet du litige avait été déterminé devant le magistrat par le dire des parties, le judicium ainsi constitué, les deux adversaires s’obligeaient, en présence de témoins par eux appelés, à suivre sur la demande et à rester dans l’instance jusqu’au jugement. Cet engagement constituait la litis contestatio[1]. Cette formalité se maintint dans le système formulaire ; ce fut en quelque sorte la conclusion des procédures faites devant le préteur et l’ouverture du judicium[2]. Cette litiscontestation mérite une grande attention par l’influence singulière qu’elle exerçait sur les procédures et sur le droit même des parties. Cette règle invariable des procédures qui allaient s’engager, règle établie du consentement des deux parties, à l’analyser scientifiquement ce n’était rien moins qu’une obligation, obligation nouvelle qui remplaçait et détruisait à tout jamais l’action originaire, soit directement en prenant par une novation toute la substance de l’action[3], soit indirectement en paralysant la demande par une exception. La litiscontestation opérait par novation quand on agissait legitimo judicio pour un droit personnel et avec une formule in jus concepta ; elle opérait par exception toutes les fois qu’on agissait imperio continenti judicio et encore lorsqu’on agissait legitimo judicio, soit pour un droit réel, soit par une formule in factum concepta[4]. Ce caractère de la litiscontestation nous explique pourquoi cette formalité interrompait la prescription et perpétuait pour et contre les héritiers des droits qui autrement se seraient éteints par la mort d’une des parties[5]. Du reste on pouvait encore, après la litiscontestation, transférer le judicium à une autre personne quand les circonstances le rendaient nécessaire[6]. En quelle forme avait lieu ce transfert d’instance, c’est ce qui n’est point clairement connu. Quand le défendeur, tout en reconnaissant le bien fondé de l’action, mettait cependant en avant quelque fait particulier de nature à paralyser indirectement la demande, il était de toute équité de prendre en considération cette exception[7]. Quelle forme employait-on dans la, procédure des legis actiones pour faire valoir ces exceptions, on ne le sait pas certainement[8]. Dans la procédure formulaire, quand l’exception était prouvée, à l’instant même et sans aller plus loin, le préteur refusait de donner l’action[9]. Au cas contraire, le préteur, par une clause d’exception jointe à l’intentio, chargeait le judex d’examiner, en jugeant l’affaire, les faits allégués par le défendeur et de décider en conséquence. Cette clause insérée dans la formule rendait ainsi la condamnation conditionnelle et subordonnée à la non existence de l’exception alléguée[10]. Quand l’action était bonæ fidei, le judex, en vertu de son titre, avait qualité, tout comme s’il eût été autorisé par instruction spéciale, pour connaître et prendre en considération les faits destructifs de la bonne foi, tels que le dol et la fraude : Quia, dit énergiquement le jurisconsulte Paul, quia tantumdem in bonæ fidei judiciis officium judicis valet, quantum in stipulatione nominatim ejus rei facta interrogatio[11]. Les exceptions se divisaient en péremptoires ou dilatoires[12], suivant que le fait allégué par le défendeur avait pour but d’anéantir ou seulement de différer l’action. Néanmoins il y avait cela de singulier pour ces dernières exceptions que si le demandeur ne se retirait pas à temps, mais laissait venir le litige jusqu’à la litiscontestation et au judicium, il avait perdu à tout jamais son droit d’action : la litiscontestation l’avait consommé[13]. Si le demandeur avait quelques moyens pour paralyser l’exception du défendeur et réciproquement, on ajoutait à la formule une replicatio, une duplicatio et même une triplicatio de la même manière qu’on y avait inséré une exceptio[14]. Enfin il était possible que le défendeur, tout en s’engageant dans l’instance, redoutât un préjugé défavorable et capable de compromettre quelque intérêt plus grave qui se rattachait à la question du procès. Le défendeur parait à cet inconvénient par un præscripto qu’on mettait en tête de la formule[15]. Plus tard on remplaça la præscriptio par une exception qui donna le même résultat[16]. De là et par une confusion naturelle dans le langage des orateurs, les exceptions prennent souvent le nom de præscriptiones[17]. |
[1] FESTUS, Contestari, Testes estote, Testes estote, Judicium acceptum, contestatum sont des expressions synonymes. Que la litis contestation se fit in jure, c’est ce que prouve GELLIUS, V. 10. La l. un... C. de Lite contesta, III, 9. Lis... tunc contestata videtur, cum judex per narrationem negotii causam audire ceperit, ne se rapporte qu’à la jurisprudence des derniers temps de l’empire.
[2] CICÉRON, pro Rosc. comœd., c. 11. — l. 16. l. 17. D., de Procur., III, 3. — l. 25, § 8, de Ædilit. edict., XXI, 1.
[3] L. 29. D. de Novat., XLVI, 2. — Fragm. Vat., § 263.
[4] GAIUS, III, 180. IV. 106, 107, 108.
[5] L. 8, § 1. D. de Fidei. et nomin., XXVII, 7. — l. 24, pr. D. de Liber. caus., XL, 12. — l. 29, de Novat., XLVI, 2 (sup., n. 3) ; l. 87, 139, de R. J.
[6] L. 17, de Proc. (sup., n. 2). L. 7, § 9. D., de Dolo malo, IV, 3. — l. 57. D. de Judic., V. — l. 115. D. de Noxal. act., IX, 4. — l. 24, § 4. de Liber. caus., XL. 12. — PAUL., V. § 5.
[7] GAIUS, IV, 116, 117, 118. Pr. § 1, 8. Inst. de Except., IV, 13.
[8] GAIUS, IV, 108 (sup., n. 5).
[9] L. 9, pr. et § 5, de Jure jur., XII, 2.
[10] GAIUS, IV, 119. — CICÉRON, de Invent., II, 19. — Fragm. Vatic., § 310.
[11] L. 7. D., de Negot. gest., III, 5. — l. 3. D., de Rescind. vend., XVIII, 5. — l. 21. D., Solut. matr. XXIV, 3. 1. 84, § 5. D., de Legat. 1 (XXX). GAIUS, IV, 61, 62 (sup., c. 3, n. 54), § 30. Inst., de Act., IV, 6.
[12] Ces dernières, ainsi que les autres délais qui retardaient l’action, portaient aussi le nom général de translationes. CICÉRON, de Invent., I, 8 ; II, 19, 20. Auctor ad Herenn., I, 12. FORTUNATIAN., Art. rhet., lib. 1, p. 68, éd. Capperon.
[13] § 8, 11. Inst., de Except., IV, 13. GAIUS, 120-25.
[14] GAIUS, 126-129. — tit. Inst. de Replic., IV, 14.
[15] Sup., ch. 2, n. 23.
[16] GAIUS, IV, 133. Voyez pour d’autres exemples l. 16, l. 18, D, de Except., XLIV, 1.
[17] De là l’inscription d’un titre du Digeste : De exceptionibus, præscriptionibus et præjudiciis, D. XLIV, 1.