VII. — LADMIRAL, CÉCILE RENAULT, LES CHEMISES-ROUGES. Tel était le régime de la Terreur. Après les nobles, après les prêtres, la bourgeoisie, les gens de métier, les paysans, allaient pêle-mêle, par cinquante et soixante à la fois, chaque jour à la guillotine. Il semblait que tout le monde y dût passer. Une caricature du temps — on rit de tout en France, mais le rire est quelquefois vengeur représentait la guillotine, et à l'entour une masse de têtes rangées par catégories, avec ces écriteaux : Clergé, Parlement, Noblesse, Assemblée constituante, Assemblée législative, Peuple — c'est le tas le plus haut —. Sur la planche fatale on voyait un homme étendu, mais ses bras étaient libres ; sa main avait tiré le cordon de la machine, et le couperet tombait sur sa tête : c'était le bourreau. Au bas de l'image on lisait : Admirez de Sanson l'intelligence extrême ! Par le couteau fatal il a fait tout périr. Dans cet affreux état, que va-t-il devenir ? Il se guillotine lui-même[1]. Mais il y eut des âmes qui se révoltèrent contre ce despotisme sanglant, et, comme Charlotte Corday, voulurent le frapper dans le cœur de ceux qu'ils en jugeaient les auteurs principaux. Avant même qu'eût paru la loi atroce dont j'ai dit les effets, un homme, appelé Henri Ladmiral, résolut de tuer Robespierre au sein de la Convention. Il ne le trouva pas ; mais il demeurait dans la même maison que Collot-d'Herbois, et la nuit suivante (4 prairial an II), il attendit Collot dans l'escalier et tira sur lui deux pistolets qui firent long feu. On l'arrêta. Fouquier-Tinville voulait qu'on le jugeât sur l'heure. Mais un tel crime n'avait-il qu'un auteur ? Une seule victime suffisait-elle pour expier l'attentat projeté contre Robespierre, et le coup manqué sur Collot-d'Herbois[2] ? Le soir même de cette tentative, un autre incident sembla donner raison aux soupçons du Comité de salut public. Le 4 prairial, vers neuf heures du soir, une jeune fille se présenta dans la maison Duplay, où demeurait Robespierre, et demanda à l'entretenir. Sa mise paraissait convenable ; mais sa contenance était embarrassée et son regard étrange. On la questionna, elle se troubla. On la mena devant le Comité de sûreté générale. Arrêtée, elle avait dit qu'elle verserait tout son sang pour avoir un roi ! Là elle déclara qu'elle avait voulu voir Robespierre ; qu'elle ne le connaissait pas, et que si elle était venue chez lui, c'était pour le connaître. Elle avoua son propos, et, interrogée pourquoi elle désirait un tyran : Je désire un roi, dit-elle, parce que j'en aime mieux un que cinquante mille tyrans, et je n'ai été chez Robespierre que pour voir comment est un tyran. On lui supposait d'autres intentions. On la fouilla et on trouva sur elle deux petits couteaux fermant, l'un à manche d'ivoire, l'autre à manche d'écaille. Avec de pareilles armes, si elle eût frappé, elle ne pouvait que se blesser elle-même, et elle nia toute intention de s'en servir. Mais elle ne s'était pas fait illusion sur le sort qui l'attendait : avant d'entrer dans la maison Duplay, elle avait déposé chez un limonadier voisin un petit paquet que l'on ouvrit ; il renfermait un habillement complet de femme. Quel était, lui dit-on, votre dessein en vous munissant de ces hardes ? — M'attendant bien à aller dans le lieu où je vais être conduite, j'étais bien aise d'avoir du linge pour mon usage. — De quel lieu entendez-vous parler ? — De la prison, pour aller de là à la guillotine. Ses paroles seules suffisaient bien pour l'y conduire. Mais on ne se contenta pas de ses paroles ; on voulait, on avait un complice de Ladmiral. C'était trop peu encore. On prétendit rattacher le complot à une conspiration, réelle cette fois, qu'un hardi royaliste, le baron de Batz, ourdissait dans Paris avec une audace inouïe, allant et venant au milieu des agents de police, qui le cherchaient partout et ne le trouvaient nulle part. Quatre personnes purent être, selon la jurisprudence du tribunal, considérées comme complices du baron de Batz, pour l'avoir reçu et avoir refusé de révéler son asile[3]. Cinquante-quatre — Que d'hommes immolés à la conservation d'une bête féroce ! s'écrie Courtois[4] —, cinquante-quatre, y compris Ladmiral et Cécile Renault, et presque toute la famille de Cécile Renault, son père, son frère, sa tante, tous les trois coupables par le seul fait de sa parenté, furent livrés au supplice.. Notons que si l'on excepte les membres de cette famille, tous les autres étaient désignés comme complices d'une jeune fille qu'ils n'avaient jamais vue, complices d'un attentat qui datait de huit jours, eux qui depuis plusieurs mois étaient dans les prisons ! L'un d'eux même, le comte de Fleury, leur fut adjoint, sans être compris dans l'acte d'accusation dressé contre les autres : j'ai dit plus haut à quelle occasion son nom fut ajouté à la liste des accusés ; on inscrivit au-dessous les questions sur lesquelles le jury avait à répondre pour les autres, et c'est ainsi qu'il fut jugé complice de la fille Renault et périt avec elle. Ils allèrent à l'échafaud couverts de la chemise rouge des assassins, chose que le jugement ne portait pas, et qu'on avait négligée dans les préparatifs de l'exécution. Mais Fouquier-Tinville suspendit le départ et fit confectionner à la hâte des sacs de toile rouge, afin que cette satisfaction fût donnée à l'inviolabilité menacée de Robespierre et de Collot-d'Herbois ![5] Parmi ceux qui périrent ce jour-là était un amateur de musique dont on cite le trait suivant. Il avait reçu son acte d'accusation et n'attendait plus que les gendarmes, quand il se souvint qu'il avait promis une ariette à un de ses amis. Il rentre dans sa chambre, copie l'ariette, et, revenant : Mon cher, dit-il à son ami, voilà ton affaire. La musique est bien, je viens de l'essayer sur ma flûte. Je suis fâché de ne pouvoir te procurer encore quelque autre morceau : demain je ne serai plus[6]. Le lendemain il était exécuté. Dans cette fournée des chemises rouges étaient compris aussi les deux anciens administrateurs de police que nous avons si souvent rencontrés dans les prisons, Soulès et Marino. Une conspiration avec l'étranger était un prétexte commode pour en finir avec cette queue d'Hébert et de Chaumette dont on était embarrassé. Marino, déjà mis en jugement et acquitté (27 germinal)[7], fut condamné cette fois, non pour ses crimes, mais pour une ombre de crime. Il était dit que ce tribunal violerait la justice même en frappant des scélérats. |
[1] Campardon, t. I, p. 310. On la trouve au Cabinet des Estampes, Ob 102. Elle est aussi reproduite en tête de l'Almanach des prisons pour l'an III.
[2] Voyez le rapport de Barère sur l'assassinat de Collot d'Herbois (séance du 4 prairial an II).
[3] Jean-Louis-Michel Devaux, commis à la trésorerie nationale ; Joseph-Victor Cortey ; Balthasar Roussel et Mlle Grandmaison, ancienne actrice aux Italiens (t. I, p. 363). — Voyez le rapport fait au nom des comités réunis sur la conspiration de Batz et de l'étranger, par Élie Lacoste (séance du 26 prairial, Moniteur du 27).
[4] Courtois, Rapport sur tes papiers trouvés chez Robespierre, p. 50.
[5] Cette jeune fille, dit Riouffe, en parlant de Cécile Renault, qui semblait avoir quelque exaltation dans les idées, et même quelque désordre par le mouvement égaré de ses yeux, n'avait point eu le dessein de tuer Robespierre ; elle n'avait pas la moindre arme offensive sur elle. Pour ses opinions, elles étaient mauvaises ; mais quel rapport entre des opinions mauvaises et l'échafaud ? Cependant on l'arrête ; on la plonge dans les cachots. Il semble que l'on va inventer de nouveaux supplices, pour prouver au tyran combien ses jours sont sacrés. Tout ce qui connaît cette malheureuse jeune fille doit périr : son père, ses parents, ses amis, ses connaissances ; ses frères, qui répandaient leur sang aux frontières, sont amenés chargés de fers pour le répandre sur l'échafaud, et s'ils échappent, c'est parce que, trop avides d'assassiner leur famille, on n'a pas eu la patience de les attendre. Soixante personnes que la petite Renault n'a jamais vues, aussi innocentes qu'elle, et dont la plupart étaient en détention depuis six mois, l'accompagnent à la mort comme complices, et couvertes d'une chemise rouge. Sa maison, la rue entière qu'elle habitait, ne vont-elles pas être rasées ? (Mémoires sur les prisons, t. I, p. 74.) Quant à Ladmiral ou Admiral, il a toutes les sympathies de notre auteur : Lorsqu'il arriva, dit-il, dans la Conciergerie, précédé par le bruit du coup qu'il avait tenté sur Collot-d'Herbois, les guichetiers se précipitèrent vers lui, sommeils l'auraient fait, sans doute, sur Damiens ou Ravaillac. En effet, n'était-ce pas un des rois du Comité de salut public, aux jours duquel on avait voulu attenter ? Ils l'accablèrent de reproches et de questions. Ferme et inébranlable au milieu de leurs questions, il leur répondit : Quand je vous dirais les motifs qui m'ont porté à exécuter un pareil dessein, vous ne m'entendriez pas. Riouffe autorise tout contre Robespierre ; et Ladmiral est pour lui un Scévola, un Brutus : C'était un homme, ajoute-t-il, petit, mais musculeusement et fortement constitué ; son maintien et sa figure étaient d'une austérité extrêmement sévère et triste. A la vue d'une trentaine de personnes avec lesquelles on le confrontait, il s'écria : Que de braves citoyens compromis pour moi ! C'était le seul chagrin qui pût m'atteindre, mais il est bien vif. Il assura qu'il avait conçu seul son projet. Qu'y a-t-il donc là de si difficile à comprendre ? leur disait-il, ne sont-ce pas des tyrans ? Puis, s'en allant gravement après la confrontation, il entonna d'une voix forte :
Plutôt la mort que
l'esclavage,
C'est la devise des Français.
(Ibid., t. I, p. 72.)
[6] Histoire des prisons, t. I, p. 173.
[7] Il s'était permis d'arrêter un membre de la Convention (Pons de Verdun) sans égard à sa carte de représentant. Dans son interrogatoire, cet inspecteur des maisons garnies, dit qu'il ne savait pas qu'il y eût un comité de sûreté générale ! Voyez le rapport de Vouland qui le fit renvoyer devant le tribunal révolutionnaire d'où il se tira pour cette fois. (Bibl. nationale, Le, 38, n° 759.)