LA TERREUR

TOME SECOND

 

LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE DE PARIS.

 

 

III. — PROCÉDÉS DU TRIBUNAL.

 

La clémence n'était pourtant pas dans les habitudes ni de Dumas ni de son tribunal, et tout, dans la façon de procéder, décelait un parti pris de tuer, qui faisait de cet appareil judiciaire comme un premier rouage de la fatale machine. Le, jugement était presque de forme pour la plupart des accusés ; aussi Fouquier-Tinville ménageait-il les pas de ses agents, qui avaient, il faut le reconnaître, fort à faire. M. Campardon cite un mandat d'extraction ainsi conçu : Le gardien de la maison d'arrêt de Picpus et de tout autre où les ci-après nommés peuvent être détenus, remettra à la gendarmerie et à l'huissier du tribunal les nommés Douet et Mercier, ex-fermiers généraux, pour être traduits au tribunal révolutionnaire. En marge est écrit de la main de Fouquier : Faire apporter leurs effets, attendu qu'ils ne retourneront plus. La déposition faite sur l'affaire de Douet au procès de Fouquier-Tinville constate une autre chose : Pendant le cours du débat, dit le témoin, on interrogea M. Douet sur un fait qu'il ignorait ; il répondit que sa femme, détenue à la Force, pourrait peut-être donner des instructions sur ce point. On l'envoya chercher ; elle fut entendue, rangée au nombre des accusés et guillotinée avec eux, sous prétexte de relations avec des individus frappés du glaive de la loi. Mme Douet avait tout bonnement laissé dans un testament, dont on trouva copie sur elle, quelques legs à Dietrich, maire de Strasbourg, condamné par le tribunal révolutionnaire le 8 nivôse an II, et au duc du Châtelet, également condamné le 23 frimaire an II. (p. 313.) Passons condamnation sur ce crime, mais que dire de la mise en jugement ?

 

Les victimes, du reste, étaient souvent prises comme au hasard dans le réservoir des prisons. Il semblait que le tribunal eût sa ration nécessaire ; n'importe qui la compose, pourvu que la mesure soit pleine. Fouquier-Tinville veut que les jurés gagnent bien leurs dix-huit livres par jour, et il avait des agents dignes de lui. Un nom était-il mal écrit, avait-on un doute sur l'identité de l'appelé ? C'est égal, disait le gendarme, il m'en faut encore un, n'importe lequel ; il s'expliquera au tribunal. C'est ainsi qu'on emmena un jour de Saint-Lazare, le prenant pour un autre, un artiste renommé, le citoyen Gouttière, et cette fois l'explication fut entendue. Il est, dit le narrateur, revenu parmi nous, fort étonné de son propre bonheur[1]. Les geôliers n'y regardaient pas davantage, et ils agissaient en toute sûreté de conscience. Qu'importe, disait Guyard, du Luxembourg, à un huissier qui avait plus de scrupule, qu'importe ? si celui-ci ne passe pas aujourd'hui il passera demain[2].

Et ce ne sont pas seulement des rumeurs de prisonniers, des propos de geôliers ou de gendarmes, ce sont des faits. Il arriva que l'on prit ainsi, entre deux hommes de même nom, l'un pour l'autre, et que nonobstant toute réclamation, l'accusé pris fut condamné. Il faut citer un exemple d'une chose qu'on peut regarder comme inouïe partout ailleurs que dans ce tribunal. Au mois de germinal dernier, dit l'ancien conseiller Guy Marie Sallier dans le procès de Fouquier-Tinville, un arrêté du Comité de sûreté générale ordonna que Lepelletier-Rosambo, Sallier et plusieurs autres, ex-présidents ou conseillers du parlement de Paris, seraient traduits au tribunal révolutionnaire comme ayant signé ou adhéré aux protestations de la chambre des vacations du parlement de Paris. Les pièces relatives à cette affaire furent en même temps adressées à l'accusateur public. Elles consistèrent, par rapport à Sallier, dans une lettre trouvée chez le ci-devant président Lepelletier-Rosambo. Fouquier, accusateur public, décerna en conséquence un mandat d'arrêt, le 29 germinal, contre Sallier, et en vertu de ce mandat, l'huissier qui en était porteur le fit remettre par le gendarme de Lazare à Henri Sallier qui y était détenu. Celui-ci fut interrogé le jour même en présence de Fouquier et déclara se nommer Henri Guy Sallier, ci-devant président de la cour des aides. Il était évident déjà qu'il n'était pas celui qu'indiquait l'arrêté du Comité de sûreté générale. Cependant, on procéda à l'interrogatoire ; on lui demanda s'il n'avait pas signé des protestations ou s'il n'y avait pas adhéré ; il répondit que non. On lui représenta la lettre trouvée chez Rosambo ; il répondit qu'il ne la reconnaissait pas pour être de lui, mais bien de Guy Marie Sallier, son fils, ci-devant conseiller au parlement. On ne lui en dit pas davantage, et on le fit descendre à la Conciergerie. Le lendemain il reçut son acte d'accusation comme auteur de la lettre et fut traduit en jugement le 1er floréal. Là il réitéra la déclaration de sa qualité de ci-devant président à la cour des aides, qui établissait si évidemment sa non-identité. Coffinhal, qui présidait, ne lui permit pas d'en dire davantage, et l'accusateur public, qui, ce jour-là, n'était pas Fouquier, mais Gilbert Liendon, persista à requérir sa condamnation, qui fut prononcée, quoique la lettre trouvée chez Rosambo fût le seul fait allégué contre lui et que chacune des lignes de cette lettre attestât de la manière la plus frappante qu'elle ne pouvait avoir été écrite par personne autre que par un conseiller de la ci-devant chambre des vacations de Paris. — Ce qu'on vient de lire est la déclaration même du fils pour qui le père est mort, et il ajoute : Ces faits sont prouvés notamment par l'arrêté du Comité de sûreté générale en date du 9 germinal, par l'interrogatoire subi le 29 du même mois par Henri Sallier, par la lettre trouvée chez Rosambo et transcrite en entier dans l'inventaire des dites pièces, et enfin par l'acte d'accusation et le jugement ; toutes lesquelles pièces existent au greffe du tribunal révolutionnaire. (t. I, p. 305, note.)

 

 

 



[1] Histoire des prisons, t. III, p. 13.

[2] Rapport de Réal dans les Mémoires sur les prisons, t. II, p. 487.