Le tribunal révolutionnaire de Paris, ouvrage composé d'après les documents originaux conservés aux Archives, par Émile Campardon, 2 vol. in 8° (1866). — On me permettra de renvoyer aussi à l'ouvrage où j'ai repris la question pour la traiter avec plus d'étendue : Histoire du tribunal révolutionnaire de Paris, 5 vol. in-8° (1880-1881).I. — ÉPOQUES DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE DE PARIS. — MARIE-ANTOINETTE, MADAME ÉLISABETH ; LES GIRONDINS ; DANTON. Le règne de la Terreur ne doit pas être confondu avec les temps d'anarchie. C'est au contraire le despotisme le plus rigoureux qui ait jamais pesé sur un peuple, une centralisation implacable, un système qui s'affirme par la loi et qui affecte de n'employer que les armes de la justice. La Convention, le 14 frimaire, avait décrété le gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix. Robespierre, dans son Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l'administration de la République (18 pluviôse), lui donne hardiment son vrai nom : Si, dit-il, le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire, en révolution est à la fois la vertu et la terreur. La vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible : elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier qu'une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressants besoins de la patrie. On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il au despotisme ? — Question qu'on appellerait naïve, si elle n'était faite par Robespierre ; mais il parlait à une assemblée devenue muette depuis la mort des Girondins, et la réponse ne l'inquiétait pas. Que dis-je ? Il la faisait lui-même : Oui, disait-il, oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis, il a raison comme despote. Domptez par la terreur les ennemis de la liberté, et vous aurez raison comme fondateurs de la république. Le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. C'est bien le Jacobin, tel qu'il n'a pas cessé d'être, revendiquant le droit d'écraser tout le monde au nom de la liberté, qui est lui. Saint-Just n'était pas plus embarrassé à expliquer les arrestations, qui menaçaient également tout le monde depuis l'adoption de la devise Liberté, égalité : Les détentions, disait-il dans son rapport du 8 ventôse, les détentions embrassent plusieurs questions politiques ; elles tiennent à la complexion et à la solidité du souverain ; elles tiennent aux mœurs républicaines. Et, faisant de l'histoire contemporaine à la façon de son école : En 1787, continuait-il, Louis XVI fit immoler huit mille personnes de tout âge, de tout sexe, dans Paris, dans la rue Meslay et sur le Pont-Neuf. La cour renouvela ces scènes au Champ de Mars. La cour pendait dans les prisons ; les noyés que l'on ramassait dans la Seine étaient ses victimes. Il y avait quatre cent mille prisonniers... Parcourez l'Europe : il y a dans l'Europe quatre millions de prisonniers dont vous n'entendez pas les cris, tandis que votre modération parricide laisse triompher tous les ennemis du gouvernement. On voit à quel degré on eût été coupable de parler d'indulgence et de modération. L'indulgence, disait-il, a coûté la vie à deux cent mille hommes dans la Vendée ; d'où le décret qu'il présentait sur les personnes incarcérées. Et comme si c'était trop peu encore, le 23 du même mois, dans un nouveau rapport sur les factions de l'étranger et sur la conjuration ourdie par elles dans la république française pour détruire le gouvernement républicain par la corruption et affamer Paris par la famine, il faisait entendre la voix d'un paysan du Danube : — Il est temps, disait-il, que tout le monde retourne à la morale, et l'aristocratie à la terreur. Mais non pas seulement l'aristocratie : son décret préparait les procès d'Hébert et de Danton. La Terreur n'était donc pas l'excès mal avoué d'un gouvernement qui s'oublie ; c'était un régime légal, froidement voulu et raisonné. Établie au sein du Comité de salut public comme dans son fort, la Terreur a la Convention pour lancer ses décrets, et des tribunaux pour les exécuter : tribunaux révolutionnaires, tribunaux criminels jugeant révolutionnairement, commissions populaires, commissions militaires, etc. Ajoutez ces comités de surveillance et ces sociétés populaires, substituées aux autorités librement élues sur tous les points du territoire, qui reçoivent directement l'impulsion du grand comité et se chargent d'envoyer aux tribunaux leur pâture ; car le but avoué, proclamé, de ce gouvernement, c'est l'extermination de tout ce qui ne marche pas avec lui. C'est donc dans les tribunaux que l'on trouvera le dernier mot de la Terreur ; et entre tous ces tribunaux, le premier rang, comme on peut s'y attendre, appartient au tribunal révolutionnaire de Paris. A ce titre, l'ouvrage de M. Campardon est comme l'appendice de toutes les histoires de la révolution française. Il nous transporte, dirai-je, dans le sanctuaire ou dans l'antre de la Terreur. Le tribunal révolutionnaire de Paris est le grand instrument de son règne. C'est de lui que relèvent toutes les conditions, soumises au même niveau, non pas seulement les nobles, les prêtres, mais tout le nouveau régime aussi, la rue, les clubs, la Convention elle-même. C'est là que les plus grandes crises de cette époque vont se résoudre ; là que les personnages qui dominaient la veille viennent pour la plupart finir. Le tribunal révolutionnaire avait eu pour précurseur le tribunal du 17 août, établi pour juger les crimes commis dans la journée du 10 août M. Berriat St.-Prix avait commencé par l'histoire abrégée de ce tribunal son Histoire de la justice révolutionnaire en France, si malheureusement interrompue par sa mort. M. Campardon s'en tient au tribunal extraordinaire, plus tard révolutionnaire, créé le 10 mars à la suite de la motion de Carrier[1], nom bien digne de figurer aux origines d'un tel établissement. M. Campardon partage toute son histoire (du 10 mars 1793 au 31 mai 1795, ou 12 prairial an III) en deux parties : avant et après le 9 thermidor ; ou encore en cinq livres, trois pour la première période, deux pour la seconde, sous les noms suivants : Tribunal criminel extraordinaire, Tribunal révolutionnaire, Tribunal de sang, Tribunal réactionnaire, Tribunal réparateur ; titres qui ont pour objet de caractériser les phases successives de la même institution, mais où je vois l'inconvénient de mêler à des noms officiels des noms de fantaisie. Les divisions des livres étaient d'ailleurs naturellement indiquées par les actes qui changent le nom ou les attributions du tribunal : d'abord le décret, rendu pendant le procès des Girondins, qui confère officiellement au tribunal du 10 mars le nom de tribunal révolutionnaire[2] ; et ici je crois pouvoir rectifier la division de M. Campardon, en faisant du dernier chapitre de son premier livre le premier du second ; puis la loi fameuse du 22 prairial an II, qui inaugura ce qu'il appelle le tribunal de sang ; ensuite le décret du 23 thermidor, qui abroge la loi du 22 prairial et renouvelle presque entièrement le personnel du tribunal, juges, accusateurs publics et jurés ; enfin la loi du 8 nivôse an III, présentée par Merlin de Douai, qui réorganise l'institution elle-même, en lui donnant toutes les garanties des tribunaux ordinaires[3]. Dans cette période de vingt et un à vingt-deux mois, ce lieu est le théâtre des scènes les plus émouvantes. On y voit passer les uns après les autres les personnages les plus divers. D'abord Marat ; mais celui-là se sent là chez lui, il y est reçu comme le maître de la maison, et il en sort en triomphateur (t. I, p. 33) : puis celle qui mit un terme à ce triomphe, Charlotte Corday, âme antique, qui se croyait le droit de sauver sa patrie des mains d'un scélérat en donnant vie pour vie : car elle avait horreur du crime. Quand le président lui demanda : Ne vous êtes-vous pas essayée d'avance avant de porter le coup à Marat ? elle s'écria : Oh ! le monstre ! il me prend pour un assassin ! Et le procès-verbal ajoute : Ici l'accusée paraît violemment émue. Elle devait servir à montrer que le meurtre même le mieux justifié sert mal la cause qui le fait commettre. Charlotte Corday ne mit pas fin au despotisme sanglant dont elle voulait délivrer la patrie ; elle dérobait Marat à l'échafaud et y entraînait les Girondins[4]. Un peu plus tard, c'est Marie-Antoinette, poursuivie de
toutes les haines de la Révolution (16 octobre
1793) ; après elle, les partisans mêmes de la révolution du 10 aoùt,
ceux qui avaient voté la mort de Louis XVI, les Girondins, Philippe-Égalité ;
puis Mme Roland, Bailly, le maire du 14 juillet 1789, et Manuel, le procureur
de la Commune du 10 août, un des complices secrets du 2 septembre : — le
tribunal révolutionnaire ose le lui reprocher 1 Puis deux grands noms de
l'Assemblée constituante, Barnave et Duport-Dutertre ; et un nom trop fameux
de l'ancien régime, Mme Dubarry ; à leur tour, les âmes damnées de la
Terreur, Hébert ou le Père-Duchesne, avec Ronsin, général de l'armée
révolutionnaire ; Momoro, dont la femme avait été déesse de la Raison ;
Anacharsis Clootz, l'apôtre du genre humain, etc., tous suspects de vouloir
aller trop loin dans la Révolution ; et bientôt Danton et Camille Desmoulins,
suspects de ne plus vouloir suivre ; Chaumette, l'agent national de la
Commune, avec Gobel, l'évêque constitutionnel apostat de Paris ; le vénérable
Malesherbes, mis en jugement pour avoir défendu Louis XVI, et M. de Nicolaï,
pour s'être offert à défendre Marie-Antoinette ; les vierges de Verdun, Mme
Élisabeth, et cette longue chaîne dont les anneaux vont se multipliant et se
resserrant jusqu'à la chute de Robespierre[5]. Il y a là vingt
épisodes qui feraient le sujet d'autant de livres : — et ces livres ont été
faits. Qui ne connaît les ouvrages publiés sur Charlotte Corday, sur
Marie-Antoinette, sur les Girondins, sur Danton et son ami Camille, sur les
vierges de Verdun, sur Mme Élisabeth, etc. ? M. Campardon ne prend les
personnages qu'au moment où ils franchissent le seuil du redoutable tribunal,
et par là il prive son récit du surcroît d'intérêt qu'il pourrait tirer d'un
tableau plus détaillé de leur vie antérieure et de leurs épreuves. Mais là du
moins il peut être complet, et pour plusieurs, il donne par extrait les actes
officiels : interrogatoires, actes d'accusation, réquisitoires de
l'accusateur public, discours du président, seconde forme de réquisitoire,
quelquefois plus violente que la première. Or il y a dans ces pièces mille
traits curieux à recueillir. Quelle pitoyable chose, par exemple, que l'interrogatoire de Marie-Antoinette, et quelle dérision que les conclusions qu'on en tire 1 Dans l'instruction, à la demande de son nom, elle avait répondu qu'elle s'appelait Marie-Antoinette de Lorraine d'Autriche. Devinerait-on ce que le juge voudra tirer de cette réponse ? C'est qu'elle avait voulu réunir la Lorraine à l'Autriche ! Au tribunal, le président l'en accuse : Lors de votre mariage avec Louis Capet, n'avez-vous pas conçu le projet de réunir la Lorraine à l'Autriche ? — Non. Vous en portez le nom. — Parce qu'il faut porter le nom de son pays. Dans cette même instruction, voulant disculper l'architecte Renard à propos du départ pour Varennes, elle avait dit qu'elle pouvait assurer qu'il ne dirigeait pas la marche ; c'est elle seule qui a ouvert la porte et fait sortir tout le monde. Le procès-verbal continue : D. A elle observé que, de cet aveu qu'elle a ouvert les portes et fait sortir tout le monde, il ne reste aucun doute que c'est elle qui dirigeait Louis Capet dans ses actions, et qu'elle l'a déterminé à fuir. R. Qu'elle ne croyait pas qu'une porte ouverte prouvât qu'on dirige les actions en général de quelqu'un ; que son mari désirait et croyait devoir sortir d'ici avec ses enfants ; qu'elle devait le suivre, que c'était son devoir, son sentiment ; elle devait tout employer pour rendre sa sortie sûre. (p. 116). La réponse n'était-elle pas assez péremptoire ? La parole
citée n'en devait pas moins être recueillie et présentée comme un aveu dans
le discours prononcé par le président après la clôture des débats : Lors du voyage connu sous le nom de Varennes, c'est
l'accusée qui, de son aveu, a ouvert les portes pour la sortie du château ;
c'est elle qui a fait sortir la famille. (p.
145.) Je ne parle pas de l'acte d'accusation de Fouquier-Tinville et
de la manière dont il y fait l'histoire : C'était
elle qui avait médité la conspiration du 10 août, déjoué tous les efforts
courageux et incroyables des patriotes. Depuis le 9 jusqu'au 10, elle
entretenait les Suisses dans un état complet d'ivresse ; elle s'entourait de
chevaliers du poignard. Il lui fait mâcher les balles !... Je n'ai pas
besoin de rappeler l'accusation infâme qu'Hébert avait eu l'infamie plus
grande encore de faire signer au pauvre petit Louis XVII, le silence de la
reine devant cette révoltante imputation, et comme elle rougit quand, pressée
de s'expliquer : Si je n'ai pas répondu,
dit-elle, c'est que la nature se refuse à répondre à
une inculpation pareille faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui
sont ici ! Parole simple et foudroyante dont Robespierre lui-même
sentit le coup. Un des jurés, Vilate — c'est lui qui le raconte[6] —, la lui ayant
répétée dans un dîner où il le rencontra, Robespierre,
frappé de cette réponse comme d'un coup d'électricité, casse son assiette de
sa fourchette : Cet imbécile
d'Hébert ! ce n'est pas assez qu'elle
soit réellement une Messaline, il faut qu'il a en fasse encore une Agrippine,
et qu'il lui fournisse à son dernier moment ce triomphe d'intérêt public !
— Un triomphe qui durera tant qu'il y aura au monde une mère pour répondre à
l'appel de cette mère outragée ! De même, dans le procès de Mme Élisabeth — pour rapprocher ici ces deux nobles âmes —, n'est-ce pas pitié de voir l'accusateur public n'avoir d'autre ressource que de répéter tout ce qui a été dit contre Louis XVI et Marie-Antoinette, en se contentant d'ajouter : Élisabeth a partagé tous ces crimes ; elle a coopéré à toutes ces trames... Élisabeth avait médité avec Capet et Antoinette le massacre des citoyens de Paris dans l'immortelle journée du 10 août ; elle veillait dans l'espoir d'être témoin de ce massacre ; elle aidait la barbare Antoinette à mordre les balles, et encourageait par ses discours des jeunes personnes que des prêtres fanatiques avaient conduites au château pour cette horrible occupation ! (p. 319.) Et le président ose revenir sur cela dans l'interrogatoire ! il prétend que c'est prouvé, d'une part, par la notoriété publique, et de l'autre par la vraisemblance ; qui persuade à tout homme sensé qu'une femme aussi intimement liée avec Marie-Antoinette, et par les liens du sang et par ceux de l'amitié la plus étroite, n'a pu se dispenser de partager ses machinations. Et ensuite — mais c'est le comble de l'impudence ! : Voudriez-vous nous dire ce qui vous a empêchée de vous coucher la nuit du 9 au 10 août ? R. Je ne me suis pas couchée, parce que les corps constitués étaient venus faire part à mon frère de l'agitation, de la fermentation des habitants de Paris, et des dangers qui pouvaient en résulter. D. Vous dissimulez en vain. Mais ce que vous nierez infructueusement, c'est la part active que vous avez prise à l'action engagée entre les patriotes et les satellites de la tyrannie, etc. Suivent encore les balles mâchées. Mais il était juste qu'à elle, comme à Marie-Antoinette, la stupidité de l'accusateur lui offrit l'occasion de le confondre par une parole triomphante : D. N'avez-vous pas donné des soins, en pansant vous-même les blessures des assassins envoyés aux Champs-Élysées par votre frère contre les braves Marseillais ? R. Je n'ai jamais su que mon frère eût envoyé des assassins contre qui que ce soit. S'il m'est arrivé de donner des secours à quelques blessés, l'humanité seule a pu me conduire dans le pansement de leurs blessures ; je n'ai point eu besoin de m'informer de la cause de leurs maux, pour m'occuper de leur soulagement. Je ne m'en fais pas un mérite, et je n'imagine pas que l'on puisse m'en faire un crime. (p. 324.) Simplicité sublime ! On l'envoya à l'échafaud. On ne l'y envoya point avec appareil, comme Louis XVI, ni seule, comme Marie-Antoinette. On l'avait comprise, pour la juger, dans une fournée de vingt-quatre, et parmi eux, plusieurs qu'elle avait pu rencontrer à la cour : les marquises de l'Aigle, de Senozan, de Crussol d'Amboise ; le comte de Sourdeval, Loménie de Brienne, ancien ministre de la guerre, et trois autres Loménie ; Mme de Canisy, née de Loménie ; Mme de Montmorin, veuve de l'ancien ministre des affaires étrangères, et Antoine de Montmorin, son fils ; Megret de Serilly, ancien trésorier général de la guerre, etc. Après la condamnation, Fouquier ayant dit au président : Il faut avouer cependant qu'elle n'a pas poussé une plainte. — De quoi se plaindrait-elle donc, Élisabeth de France, dit Dumas en pesant ironiquement sur ce titre, ne lui avons-nous pas formé aujourd'hui une cour d'aristocrates digne d'elle ? Et rien ne l'empêchera de se croire encore dans les salons de Versailles, quand elle va se voir au pied de la sainte guillotine entourée de toute cette fidèle noblesse. Et ce fut véritablement une cour, en effet, et cette fidèle noblesse sut reconnaître la supériorité du rang et de la vertu jusque dans cette égalité de la mort. Quand les condamnés, déposés au pied de l'échafaud, eurent été rangés sur une banquette en attendant leur tour, Mme de Crussol, appelée la première, alla s'incliner devant Mme Élisabeth et lui demanda la permission de l'embrasser. Bien volontiers, et de tout mon cœur, dit la douce et héroïque sœur de Louis XVI, et elle lui donna le baiser d'adieu. Toutes les femmes qui suivirent sollicitèrent et obtinrent d'elle la même faveur ; tous les hommes, en passant, s'inclinèrent devant elle ; et ce fut précédée de ce cortège de nobles victimes qu'elle parut devant Dieu (21 floréal an II, 10 mai 1794)[7]. Parmi les objets qu'elle laissait en mourant, et que le concierge et l'aide du bourreau remirent au greffe, le procès-verbal mentionne Er une médaille d'argent représentant une immaculée conception de la ci-devant Vierge. (p. 327.) M. Campardon a reproduit les scènes qui sont spécialement de son sujet dans les grands procès qui, par leur importance et leur signification, se rattachent à l'histoire générale : procès des Girondins, d'Hébert et de ses complices, de Danton et de Camille Desmoulins. Chacune de ces affaires est marquée par un progrès de plus dans les procédés violents du tribunal révolutionnaire. Pour les Girondins, voyez le rapport de Saint-Just sur les trente-deux membres de la Convention détenus en vertu du décret du 2 juin. Ce sont les préliminaires de l'acte d'accusation. C'est à propos des Girondins que Fouquier-Tinville, ne se sentant pas de force à lutter contre leur éloquence, obtint de la Convention un décret portant que, trois jours après l'ouverture des débats, le président serait autorisé à demander aux jurés si leur conscience était assez éclairée. Décret suivi de cet autre : que le tribunal extraordinaire porterait désormais le nom de tribunal révolutionnaire. (p. 156.) Le soir même, le jury se déclara suffisamment éclairé. C'est à propos de Danton[8], que le même Fouquier et le président Herman, hors d'état de lutter à eux deux avec un tel colosse — les rugissements de Danton, tout autre chose que l'éloquence de Vergniaud, éclataient à travers les fenêtres et auraient pu finir par remuer le peuple de la rue —, c'est à propos de Danton, que le juge et l'accusateur public, ne se croyant plus assez protégés par la faculté de clore les débats, puisqu'il faudrait encore lui signifier en face l'arrêt de mort, obtinrent, par le moyen de Saint-Just[9], un décret portant que tout prévenu de conspiration qui résistera ou insultera à la justice nationale sera mis hors des débats sur-le-champ. — Nous les tenons, dirent Vouland et Amar, en apportant eux-mêmes le décret à Fouquier, nous les tenons, les scélérats ! — Ma foi, dit Fouquier soulagé, nous en avions besoin[10]. Mais ce ne fut pas sans peine qu'on les fit sortir de la salle. Le jugement rendu, on ne lut même pas aux condamnés leur arrêt ; on les fit mander l'un après l'autre au greffe, comme pour leur faire une communication, et ils furent remis aux bourreaux (16 germinal an II, 5 avril 1794)[11]. (T. I, p. 282.) |
[1] Dans la séance du 9 mars 1793. Voyez le Moniteur du 11.
[2] Il faut noter pourtant que le tribunal criminel extraordinaire avait pris ce titre dès son installation, comme on le voit par le discours du président Montané, lorsqu'il vint, à la tête du corps entier, annoncer à la Convention qu'il entrait en exercice. (Registres du tribunal révolutionnaire. Archives nationales, W¹ 531, reg. 1. Dès le commencement, les imprimés qui servent aux actes du tribunal portent en tête TRIBUNAL EXTRAORDINAIRE ET REVOLUTIONNAIRE, ou encore tribunal criminel révolutionnaire. L'ordre de Fouquier-Tinville au commandant de la force armée au sujet des mesures à prendre pour l'exécution du général Miaczinski, en date du 22 mai 1793, est écrit sur une feuille portant ce titre imprimé : Tribunal criminel révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793 l'an 2, de la République. Greffier du tribunal. Voyez au Musée des Archives, vitrine 212, n° 1358.
[3] Les décrets du 10 mars et du 22 prairial sur le tribunal révolutionnaire sont exposés au Musée des Archives, vitrine 210, n° 1351 ; et vitrine 219, n° 1406.
[4] Elle nous tue, mais elle nous apprend à mourir, s'écria Vergniaud en apprenant l'assassinat de Marat (Campardon, t. I, p. 82). Les citations par tome et par page, sans indication d'ouvrage, renverront au livre de M. Campardon. — M. C. Vatel, qui avait publié en 1861 les Dossiers du procès de Charlotte de Corday, a fait paraître depuis un nouvel ouvrage intitulé : Charlotte de Corday et les Girondins (3 vol. in-8° avec album. Paris, H. Plon, 1872), ouvrage où il a recueilli les résultats de ses longues et patientes recherches. J'ai déjà renvoyé à cette importante publication, qui fournit à cette page de notre histoire des documents nouveaux, et dont plusieurs, depuis -l'incendie de la préfecture de police et de l'Hôtel de ville par la Commune, n'existent plus que là.
[5] Dans le nombre, citons l'invalide Saint-Prix qui avait dressé son chien à aboyer d'une certaine manière lorsque des inconnus se présentaient : — suspect ! L'animal avait même mordu un porteur de billets de garde ! Il fut condamné comme le maître : on a, sinon le texte du jugement, au moins un procès-verbal constatant l'ordre du tribunal et l'exécution qui en eut lieu à la barrière du Combat (t. I, p. 187).
[6] Dans les Causes secrètes de la révolution du 9 au 10 thermidor, p. 13.
[7] Voyez A. de Beauchesne, la Vie de madame Élisabeth, t. II, p. 226.
[8] Le mandat d'arrêt contre Danton, Delacroix, Camille Desmoulins et Philippeaux est sans date et sans cause (voyez Saladin, Rapport fait au nom de la commission des 21, Pièces, n° 70). La loi du 20 brumaire an II (ibid., n° 64) avait d'ailleurs été complètement violée dans leur arrestation. La loi portait : Art. 1er. — La Convention nationale décrète qu'aucun de ses membres ne sera mis en état d'arrestation qu'après avoir été entendu dans son sein. — Art. 2. — Néanmoins, ses membres pourront être mis en état d'arrestation sur le rapport d'un de ses comités. L'article 2 impliquait donc que les membres pourraient ne pas être entendus : mais c'est toujours la Convention qui devait prononcer. Danton était arrêté, quand Legendre fit en sa faveur la motion que Robespierre fit repousser par la Convention asservie (11 germinal).
[9] Voyez son rapport (Saladin, Rapport fait au nom de la commission des 21, Pièces, n° 72) et la lettre du président du tribunal et de l'accusateur public qui l'avait provoqué (ibid., n° 71). Cette lettre est exposée au Musée des Archives, vitrine 219, n° 1404.
[10] Cf. t. I, p. 281. — Dès le lendemain de leur arrestation, un billet de la main de Robespierre mandait un des présidents du tribunal de venir se concerter avec le Comité de salut public : Le Comité de salut public invite le citoyen Dumas, vice-président du tribunal criminel, à se rendre au lieu de ses séances demain à midi. Paris, 12 germinal, l'an II de la République. (Bibl. nationale, L° 38, ri° 743.)
[11] Philippeaux, compris avec Danton dans ce jugement, avait, lors de la création du tribunal révolutionnaire, combattu l'institution des jurés, comme trop favorable aux accusés ! Opinion de Philippeaux, député de la Sarthe, sur la formation du tribunal révolutionnaire. (Bibl. nat., 38, n° 206.)