LA TERREUR

TOME SECOND

 

LES PRISONS DE PARIS.

 

 

XI. — LES PERQUISITIONS. - LA GAMELLE.

 

Un redoublement de rigueur est partout signalé : au Luxembourg, à La Force, etc. C'est dans ce temps même qu'est découvert ou inventé au Luxembourg le complot du général Dillon et de quelques autres (15 germinal), complot qui, vrai ou faux, devait avoir pour tous les habitants des prisons de si fatales conséquences. Un jour, dans cette espérance que les Comités allaient revenir à un régime moins violent, des femmes, des enfants avaient envahi la salle de la Convention, réclamant leurs époux, leurs pères[1] ; et il avait été décrété que six commissions populaires seraient chargées d'examiner les causes de la détention de chacun, pour en faire un rapport au Comité de sûreté générale : le Comité devait, sur ce rapport, mettre en liberté les détenus patriotes (décret du 23 ventôse an II, 13 mars 1794). On espérait tout de ces commissions dans les maisons d'arrêt. Mais Robespierre avait signalé déjà cette démarche des femmes comme un symptôme d'une conspiration secrète, et la commission unique qui fut établie (commission du Muséum), au lieu des six décrétées (24 floréal, 13 mai 1794), travailla moins à justifier les espérances de ces malheureuses qu'à donner satisfaction aux appréhensions du tyran. C'est à la veille de ce jour qu'on voit les Comités lui préparer de la besogne par cette mesure de perquisition générale, qui est appliquée dans presque toutes les prisons en même temps[2]. Le résultat immédiat de ces opérations préliminaires fut d'ôter aux prisonniers les adoucissements qu'ils avaient su apporter jusque-là au commun régime, et de multiplier les rigueurs dont l'objet, selon les conjectures de plusieurs de nos récits, était de donner apparence à, ces bruits de conspiration, en poussant les détenus à la révolte ou aux murmures.

Au Luxembourg, lorsque l'administrateur de police, le polonais Wiltcheritz, vint signifier aux prisonniers la défense de communiquer entre eux, ils purent se croire à la veille d'un nouveau 2 septembre. De leurs fenêtres ils voyaient des détachements de cavalerie traverser le jardin, en chasser tous les promeneurs, s'emparer des portes ; et, en même temps une multitude d'hommes armés entrait dans la cour ; des canons étaient braqués à toutes les issues, et le commandant de la troupe, l'ayant rangée en pelotons, fit occuper les galeries et placer des sentinelles au seuil de chaque chambre. Déjà les prisonniers, se faisant leurs adieux, se préparaient à la mort. On n'en voulait cette fois qu'à leur argent[3] : argent, bagues, assignats, argenterie, bijoux, boucles, nécessaires, c'était ce que l'on demandait d'abord ; ensuite les rasoirs, couteaux, canifs, ciseaux, fourchettes, clous, épingles, etc. Pendant trois jours ils fouillèrent, prirent et firent des paquets, sans reçu ni inventaire ; mais on avait leur parole que tout cela serait rendu à la paix. Quelques détenus savaient encore rire au milieu de ces spoliations : Citoyens, je suis désolé, vous arrivez trop tard, dit l'auteur dramatique Parisau à ses inquisiteurs. J'avais bien ici 300 livres, mais un citoyen vous a devancés. Cependant, comme on m'a dit que vous laissiez 50 livres et que je n'en ai que 25, s'il vous plaisait de parfaire cette somme ?[4]

Un marquis, détenu au Luxembourg, donna, dans cette visite spoliatrice, une preuve vraiment bien rare de son respect pour la vérité. Il avait caché la meilleure partie de ses assignats et de son argent, gardant, dans son portefeuille, au delà de la somme de 50 livres, quelques billets dont il voulait faire la part du feu. On les lui prit et on lui dit : N'as-tu pas d'autres assignats, nous nous en rapportons à toi. Bien des personnes, ajoute le narrateur, auraient dit : Cherchez, et vous ne trouverez rien. Le marquis fit cette réponse : Puisque vous vous en rapportez à moi, je vais vous donner tous ceux que j'ai cachés et que vous n'auriez certainement pas trouvés. Il les tira de l'endroit où il les avait mis et les leur donna tous. Ils ne me parlèrent ni d'or ni d'argent, ajoutait-il en racontant son histoire, s'ils m'en avaient parlé, je leur aurais donné les écus et les louis que j'avais mis en sûreté, comme je leur donnais mes assignats[5].

A Port-Libre, la visite commença le 17 floréal et se continua jusqu'au 22. Il est curieux de la suivre heure par heure dans le journal de Coittant :

Du 17. — Une force armée considérable rôde actuellement (8 heures du matin) dans le jardin. Des hommes bardés de rubans tricolores distribuent de tous côtés des sentinelles qui sont doublées. Nous ignorons le sujet de cet appareil.

On nous apprend que trois prisonniers ont été visités et qu'on leur ôte couteaux, rasoirs, ciseaux.

Il est trois heures et on sonne la cloche de l'appel, c'est pour nous consigner chacun dans nos chambres ; l'alarme est générale. Je viens de faire le sacrifice de mes poésies toutes très-fugitives. Je ne ferai celui de mon journal qu'à la dernière extrémité, et je le sauverai si je le puis...

Du 18. — Nous sommes toujours consignés, j'ai caché ce journal sous les cendres, derrière la grosse bûche du fond, au risque d'être (qu'il soit) brûlé. S'il en revient je le continuerai. J'ai caché mes ciseaux, ma montre et un rasoir dans les trous de la ventouse de ma cheminée... Il est resté cette nuit cent hommes de garde. On dit qu'il y a des canons à la porte et des charrettes pour le transfèrement...

Du 19. — Les commissaires travaillent toujours. Ils ne laissent pas les couteaux à tout le monde, ils brisent la pointe de ceux qu'ils n'emportent pas. On répand même qu'ils font mettre absolument nus certains individus.

Du 20. — Des signes convenus avec les prisonniers déjà visités ont rassuré un peu. On souhaite la visite pour échapper aux angoisses de l'attente.

Du 21. — On nous fait espérer que nous serons visités aujourd'hui. Le citoyen Poissonnier nous a dit ces deux mots : Sicut infans, qui signifient sans doute qu'on vous met nus comme quand vous naissez.

Même jour. — Omelette faite à la dérobée avec des œufs déposés chez l'auteur et qui vont ainsi échapper à toute perquisition. Les commissaires approchent ; pour échapper à l'humiliation d'être déshabillés, ils se mettent au lit en vrais sans-culottes. On demande à Coittant s'il avait un rasoir ? — Oui. — Des ciseaux ?Oui. — Un couteau ?Non. — Des assignats ? Il tira son portefeuille qui contenait cinq livres dix sous. — Oh ! oh ! dit affectueusement le commissaire, je connais celui-ci ; c'est un bon enfant... Ce commissaire et ses compagnons n'étaient pas eux-mêmes bien féroces. Aussitôt après leur départ, dit Coittant, j'allai retirer de ma cachette ma montre, mes ciseaux neufs, un rasoir et mon pauvre journal que le feu avait un peu endommagé. Ainsi se passèrent cent onze heures de véritable agonie. Je regrette beaucoup quelques petites fables que je jetai dans le feu[6], ajoute-t-il. Nous nous en consolons par la conservation du journal[7].

Ces mesures, prétendues de sûreté et qui n'avaient pour but que la spoliation, nous sont signalées de la même sorte à La Force, à Saint-Lazare.

A La Force, on fouilla dans les malles, les paillasses, les réduits et jusqu'aux habillements : c'est à peu près ainsi, dit Blanqui le conventionnel, qu'un voyageur est fouillé sur une grande route par une bande d'assassins qu'il a le malheur de rencontrer[8] ; puis ce fut le tour des rasoirs, des couteaux, des canifs. On poussa cette vexation à l'égard des femmes, dit le même député, au point de leur enlever jusqu'aux aiguilles, et on les priva ainsi du seul passe-temps utile qui leur restait dans la captivité. A La Force, ajoute-t-il, nous n'avions pas de femmes(elles étaient à la Petite-Force, hôtel de Brienne), mais on nous enleva jusqu'aux compas à rouler les cheveux, sous prétexte que c'étaient des armes tranchantes[9].

A Saint-Lazare, aux rigueurs de la visite s'ajoutait l'amertume de la déception. Depuis plus de deux mois on parlait d'une mesure générale qui devait être prise pour la mise en liberté des détenus. Au lieu de la commission populaire, de laquelle les détenus attendaient leur délivrance, on vit arriver des administrateurs de police. Comme à Port-Libre et à la même date (17 floréal), les prisonniers avaient été consignés dans leurs chambres ; une force armée occupa les corridors, et les administrateurs, se partageant en deux bandes, firent la visite de toutes les chambres, fouillèrent jusque dans les paillasses, prirent aux détenus leurs couteaux, rasoirs, canifs, ciseaux, compas et généralement tout ce qu'ils avaient d'instruments tranchants, ensemble leur argent au-dessus de 50 livres, leurs montres et bijoux[10].

Roucher dans ses lettres, comme Coittant dans son journal à Port-Libre, a dépeint avec beaucoup de vérité les péripéties de ces journées : c'est l'impression du moment qui n'a pas eu le temps de s'amoindrir ni de s'exagérer dans le souvenir :

Maman (sa femme) et toi (sa fille), vous avez dû être bien étonnés, bien tristes, de voir revenir la porteuse sans panier de retour et sans un seul mot de ma main. Tel est aujourd'hui l'ordre de la maison. Nulle communication avec l'extérieur que pour en recevoir les seuls comestibles. Dans l'intérieur toute communication défendue de corridor à corridor. Une grande et vague inquiétude agitant toutes les âmes et troublant tous les visages, je ne sais quelle sombre terreur sans objet déterminé, depuis huit heures du matin jusqu'à huit heures du soir, a poursuivi le plus fort comme le plus faible. Chacun réalisait, pour ainsi dire, les chimères de son imagination, à la suite des perquisitions faites dans les cellules du premier par les magistrats du peuple, de tout ce qui peut compromettre la tranquillité de la République.

Tu sais, ma chère fille, que, dans toutes les circonstances, je conserve assez mon âme en paix. Après tout ce que tu sais de mon inaltérabilité la nuit de mon arrestation, et le jour de ma translation en charrette ou en tombereau de Sainte-Pélagie à Saint-Lazare, j'étais autorisé à croire que j'étais dorénavant à l'épreuve des événements. Il a fallu décompter aujourd'hui. Il a fallu quitter mes travaux ordinaires ; impossible de conserver cette impassibilité que l'étude demande. Vingt fois je me suis assis à mon bureau, vingt fois je l'ai abandonné. Mon esprit était loin de moi... Il courait dans le corridor du premier après le perquisiteurs. J'avais beau me dire que je n'avais rien à redouter de l'œil même le plus sévère, l'inquiétude environnante m'a enveloppé aussi. On ne trouve pas à s'arrêter dans le vague. Demain la recherche arrivera sans doute à notre corridor et quel que soit le dénouement je m'en trouverai cent fois mieux, par la raison seule que ce sera un dénouement. (17 floréal, Correspondance de Roucher, t. II, p. 161.)

Mais voici venir les perquisiteurs :

La recherche commence. Les administrateurs sont dans la première chambre de Germinal (nom du corridor). Mon wise-man (Chabroud, son compagnon de chambre) est à son anglais. Émile (le petit suspect) sur sa chaise rembourrée joue et barbouille d'encre des cartes sur la planche de la fenêtre et moi je noircis pour ma Minette du papier à mon ordinaire.

La journée s'est passée dans l'attente de ce moment ; mais les inquiétudes se sont calmées, sans doute par la nouvelle que les montres d'or et d'argent, qu'on avait enlevées hier matin, ont été rendues le soir ; peut-être aussi parce que l'on a su que les administrateurs mettaient dans l'exercice de leurs fonctions la plus grande honnêteté, ce qui ne contribue pas peu en adoucir la rigueur....

La recherche approche de ma cellule, je vais m'interrompre, mais avant, que je te dise un trait d'Émile. Roulant dans le corridor au milieu des détenus, allant, venant, parlant, il a sans doute ramassé des idées que ma cellule ne lui a point fournies. Sans que ni mon sage ni moi nous l'ayons vu, il a fait une pacotille de tous ses joujoux, petits pots de faïence, belles cartes et corbeilles de carton, et furtivement il a placé le tout bien avant sous son lit. Il est près de huit heures, le voilà à la fenêtre sur sa chaise qui, avant de souper, me demande la permission de jouer à l'eau avec ses trois pots de faïence ; j'y consens et je le vois un moment après se glissant et s'enfonçant à plat ventre sous le lit. J'en demande la cause et il vient à moi me dire tout bas à l'oreille : Et l'officier municipal, il emporterait mes joujoux, je les ai cachés. J'ai eu beau le rassurer, il a persisté à croire qu'il serait dépouillé, car il a été tout remettre dans sa cachette. (18 floréal, t. II, p. 168, 169.)

Qui croirait que dans l'appareil de ces recherches il y ait eu moins d'intimidation que de peur ?

Vers minuit nous avons été quittes dans notre chambre de la recherche tant attendue ; je dis vers minuit, car depuis le moment où cette mesure, qu'on appelle de sûreté, a commencé, l'horloge de la maison a cessé de sonner, et comme mon wise-man n'a plus sa montre, ni moi depuis longtemps la mienne, ce n'est que par aperçu que l'heure du jour nous est connue. Quelques personnes sont persuadées que la crainte fait suspendre le cours de l'horloge. Il est possible en effet, qu'on ait assez mal jugé des détenus pour les croire capables d'un effort simultané dans tous les corridors à une heure convenue, et qu'on ait voulu leur ôter le moyen de partir d'ensemble. (p. 169, 170.)

— Un petit bout d'oreille de lièvre perçant à travers la peau du tigre.

Du reste, continue Roucher, la recherche dans notre chambre a été assez courte, et dans des formes assez honnêtes. Un officier municipal, un greffier et un guichetier sont entrés, ont pris notre nom, nous ont demandé nos rasoirs, nos couteaux. Nous les avons donnés. On nous a fait exhiber nos portefeuilles. Il n'y avait pas au delà de 50 livres dans chacun et on nous les a rendus intacts. S'il yen avait eu davantage on nous en eût dépouillés. — Avez-vous des armes ? ont-ils ajouté. — Non, ai-je répondu, mais cet enfant de cinq ans dont je suis le père et qui dort là sur un tapis et un matelas mis en double entre six feuilles de paravent, il a auprès de lui, deux joujoux en forme de fusil et de sabre, faut-il les donner ? — Oui, nous allons les emporter ; mais le concierge les rendra au bambin, quand il retournera auprès de sa mère.

Le procès-verbal portera sans doute qu'on d saisi chez Boucher un sabre et un fusil, et qui sait si ce n'est pas ce qui le fera envoyer bientôt à la guillotine, comme chef de la conspiration de Saint-Lazare ?

La visite n'avait pas été partout ce qu'elle fut dans la cellule de Boucher, et lui-même confirme, par les témoignages qu'il a recueillis, ce que d'au - tres récits nous en ont rapporté :

Notre cher Esculape, le bon Tap, sort de ma cellule. Il nous a raconté l'appareil effrayant avec lequel on a commencé hier la recherche dans leur corridor. Vers les neuf heures, soixante hommes, la baïonnette au bout du fusil, s'y placent en deux groupes ; quatre d'entre eux se placent à la porte de chaque cellule visitée. Sac de nuit, matelas, les souliers même qu'on a aux pieds, tout jusqu'aux bas et chaussons qu'on porte est fouillé et examiné. Rasoirs, couteaux, ciseaux, canifs, compas, on s'en empare. Les montres, ainsi que les bagues et anneaux, l'argent et l'or monnayés sont pris. On prend ce qui, dans les portefeuilles, se trouve au delà de cinquante livres ; et ce qui ajoute à l'effet de ce dépouillement, c'est la figure, le ton, les manières, tout l'ensemble des dépouillants et des dépouillés. Il est très-vrai que plusieurs ont cru voir leur dernière heure arrivée. Ils ne vivaient plus dans le mois de mai ; c'était en septembre. Ce que l'exécrable père Duchesne, d'anthropophage mémoire, appelait la buche nationale, se levait déjà et tombait sur leur tête... Vers le soir, on ne sait trop ni pourquoi ni comment, tout cet appareil de terreur s'est adouci, la recherche a perdu quelque chose de son premier caractère de Santa Hermandad (l'inquisition espagnole). Les montres ont été rendues et laissées, et la visite a pris un cours moins lent, ou du moins plus uni. Elle a commencé à glisser. Ce récit de notre ami m'a été confirmé par d'autres personnes du premier, et je vois clairement, que le comble de la terreur était là véritablement à l'ordre du jour...

Roucher, rassuré pour lui-même, veut l'être aussi pour ses compagnons d'infortune :

Il faut que je les voie, dit-il, que je m'éclaircisse sur leur situation actuelle... Nous ressemblons à de malheureux naufragés qui, après la tempête, jetés çà et là par les flots sur une plage, se cherchent, s'embrassent et se racontent les divers accidents dont ils ont été le jouet... (p. 171-172.)

Les hommes chargés de prêter main- forte à la perquisition n'étaient pas bien sûrs eux-mêmes. qu'il ne s'agît pas d'un égorgement. Il y en eut un qui, envoyé pour garder les corridors, refusa obstinément d'y entrer. Un autre, si ce n'était une atroce plaisanterie, se montrait plus disposé à tout faire : Une femme représentait que, si on la privait de son couteau, elle ne saurait plus comment couper son pain, n'étant pas assez forte pour le rompre. — Eh bien, lui répondit tranquillement un des visiteurs, on te le rendra si tu dînes encore. (p. 173, 174.)

Cette fouille, ou pour mieux dire ce dépouillement, dura trois jours, dit un de nos récits. Les montres et les bijoux furent pourtant remis tout de suite aux prisonniers (du moins à Saint-Lazare), et l'argent devait l'être dans deux ou trois jours, au dire de l'administrateur de la maison ; mais on avait de trop bons prétextes pour le garder : il fallait éviter la corruption des juges par l'argent ; il fallait, en gardant les couteaux, prévenir les suicides[11].

Parmi les membres de la Commune ou administrateurs qui se signalèrent dans ces spoliations, on nomme encore un certain Dumoutier. Celui-ci fit la guerre aux vieilles lames de couteaux rouillés, aux petits instruments d'acier pour les dents. II retira jusqu'aux grandes épingles des femmes en jurant qu'il enverrait au tribunal révolutionnaire celles à qui il en trouverait par la suite. — A l'échafaud pour une épingle ![12] s'écrie l'auteur.

Le 1er prairial, le commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, avait demandé au Comité de salut public si dans les maisons de détention l'on peut réunir les maris, les femmes et les enfants d'une maison à l'autre, et Robespierre avait écrit en marge du registre : Non[13]. Mais ce fut surtout après l'attentat de Ladmiral contre Collot d'Herbois et la tentative quelle qu'elle soit de la jeune Renault contre Robespierre (4 prairial), que la rigueur fut partout aggravée. Une affiche placardée dans l'intérieur des prisons — on le sait par le journal de Port-Libre — annonça que tous les détenus jugés ennemis de la nation, ennemis de Robespierre, du tribunal révolutionnaire, etc., seraient guillotinés ou déportés ad libitum[14]. Défense aux prisonniers d'avoir aucune communication avec le dehors, et la garde y veillait. On lit sur le registre où se consignaient les dénonciations journalières faites au Comité de salut public (11 prairial) :

Le citoyen Sarret, commandant le poste de la maison d'arrêt de Port-Libre, département de Paris,

Instruit le comité que les citoyens de garde s'accordent à dire que les détenus ont des intelligences avec les personnes des maisons voisines par des signaux.

II a vu par lui-même que cela était très-possible.

Plus de journal, plus de livres, plus de lettres, plus de consolations, plus de lumière après dix heures (27 prairial), et bientôt, comme on pouvait s'y attendre, plus de concerts : Il nous a fallu renvoyer nos basses, quintes, violons, parce qu'on nous a signifié qu'on ne voulait pas ici de musique (16 messidor)[15].

Mêmes prohibitions, vers ce temps-là, à l'hôtel Talaru ; et si l'on y avait encore quelques nouvelles du dehors, c'était grâce à l'un des hôtes de la maison, le citoyen Dutilleul, ancien chef employé à la liquidation, emprisonné comme suspect, sans doute, mais tiré presque chaque jour de prison pour aider au travail dont il avait la clé mieux que ses emprisonneurs. On venait le matin à sept heures prendre Dutilleul à la maison d'arrêt ; on le conduisait à son bureau ; il y passait la journée à travailler, et la République reconnaissante le remettait sous la puissance des verrous le soir. Jugez combien il était questionné en rentrant ! et il se trouvait assez souvent que, par distraction, il avait laissé le Journal des Débats et des Décrets au fond de sa poche ![16]

A la maison des Oiseaux, rue de Sèvres, les sentinelles reçurent l'ordre de traverser diagonalement la cour et de rompre tous les groupes de trois ou quatre personnes qui pourraient se former dans les rencontres de la promenade[17]. A Saint-Lazare, ce fut vers cette époque (en prairial) que Bergot, mis à la place de Gagnant, substitua Semé, son digne compagnon, au bon Naudet, et que dès lors on vit directeur et geôlier se concerter tous les jours, entre les verres et les bouteilles, pour appesantir le joug des détenus[18]. Comme à Port-Libre, on suspecta les moindres communications avec le dehors. On lit dans le même registre cité plus haut, à la date du 28 prairial :

Le citoyen Chandelier, secrétaire agent du Comité général,

Prévient le Comité que chez un marchand de vin, rue Paradis, il loge, au troisième, des particuliers qui font des signaux auxquels las prisonniers de la maison Lazare répondent avec de la lumière.

Les prisonniers sont fournis de chandelle et la laissent brûler jusqu'à deux heures du matin.

Et Robespierre écrit en marge :

Renvoyer au maire de Paris pour qu'il prenne ou provoque les mesures convenables.

Quand les visites des parents furent interdites, on avait encore la ressource de les voir par une grande fenêtre, située an bout d'un corridor, fenêtre qui avait jour sur la rue du Paradis ; mais bientôt cette consolation même fut, pour les détenus, mêlée d'angoisses : les parents n'y pouvaient plus paraître sans s'exposer à être enlevés par des rondes que faisaient faire les administrateurs de police[19]. Roucher aimait mieux prier sa femme et sa fille de ne plus venir[20] (6 prairial) ; et au milieu de ces vexations il regrettait les barreaux, les verrous, les guichets et même les cachots de Sainte-Pélagie. Oh ! c'était le bon temps, s'écrie-t-il, j'ai passé là quatre mois de repos que Saint-Lazare ne m'a point donné. Quand le malheur est uniforme, on n'a qu'à monter son âme, et on parvient à la résoudre à la soumission.... Nous n'avons pas joui ici de quinze jours de suite d'égalité de captivité. C'est toujours à refaire les ressorts du courage, parce que c'est toujours nouvelle privation à endurer[21]. La plus dure pour lui eût été d'être privé de son fils[22]. On l'en menaça : Plains-moi, ma chère Minette, écrit-il à sa fille le 16 prairial, plains-moi. On me sépare de ton frère. L'administrateur ne veut plus souffrir d'enfants ici. Je suis dans un trouble inexprimable. Mais le lendemain sa lettre commence par ces cris : Enfants du ciel, substances immortelles, hosanna, alléluia ! En lisant ces lignes, sa fille croyait qu'il lui annonçait sa mise en liberté ; quand elle les vit suivies de ces mots : Émile reste auprès de ton père, elle avoue qu'elle fut tentée de s'écrier : Ce n'est que cela ![23] Mais pour le père c'était plus que la liberté, c'était la vie : la vie, hélas ! pour bien peu de jours. Il se résigne plus facilement à la privation des nouvelles du dehors. Hier, dit-il, à la date du 29 prairial, on a affiché la défense de recevoir aucun des journaux. Il n'arrivait ici, depuis longtemps, que celui du soir : c'était peu de chose en soi, mais c'était encore beaucoup. Nous savions au moins la marche de la Convention et les jugements du tribunal révolutionnaire ; aujourd'hui nous ne saurons rien. Il veut se féliciter de cette prohibition. Elle nous épargne tous les calculs, toutes les combinaisons de la peur, car les prisonniers ont le malheureux talent de conjecturer en noir, comme s'ils prenaient plaisir à ajouter eux-mêmes aux malheurs de la réalité par les chimères de l'imagination[24].

Même aggravation aux Carmes, à Sainte-Pélagie, à la Force ; quant au Plessis, la description que nous en avons reproduite se rapporte surtout à ces derniers temps, et il ne se pouvait trouver rien de pire.

La nourriture était partout, en général, détestable, malsaine, insuffisante : une livre et demie de mauvais pain et un plat de haricots très-durs, ordinairement accommodés avec de mauvaise graisse ou du suif, dit le détenu de Sainte-Pélagie ; des harengs salés, de la merluche et du fromage rempli de vers pendant les chaleurs de l'été, est-il dit de Saint-Lazare, et le vin un composé très-préjudiciable à la santé[25]. Les traiteurs imposaient leur drogue empoisonnée, et les concierges y donnaient la main en empêchant toute introduction étrangère : ce fut à grand'peine si, à Saint-Lazare, on obtint de faire entrer de la tisane et du tabac en poudre. Il est vrai qu'on abusa parfois, pour tout autre chose, de la permission[26].

Une réforme fut pourtant prescrite, en messidor, à cet égard. Après avoir, en floréal, par l'enlèvement de l'argent, des assignats et des bijoux, établi l'égalité dans la fortune entre les prisonniers, on voulut l'établir pour la nourriture. On décréta l'institution de tables communes. A Sainte-Pélagie, ce fut une amélioration réelle[27]. A Port-Libre, Coittant paraît en prendre assez gaiement son parti : Le réfectoire est enfin organisé, dit-il à la date du 24 ; il nous paraît fort sage : il y aura deux tables de 240 couverts chacune, et l'on sera divisé de dix en dix. La première sera servie à une heure, la seconde à deux heures ; les détenus auront de la viande deux fois par décade ; ils se pourvoiront de ce qui leur est nécessaire, attendu que le traiteur ne fournira que soupières et plats. Chaque détenu se fournira de vin jusqu'à nouvel ordre, et on allouera pour cet objet deux sous par jour ; il aura un pain d'une livre et demie journellement. Nous nous proposons de nous amuser à ces grandes tables.... — Nous sommes tous descendus, dit-il le lendemain, pour voir la première table ; elle était nombreuse en femmes, c'était réellement un beau coup d'œil. Les commensaux de cette première table se rassemblèrent sous le cloître, et il était piquant de voir, par exemple, la ci-devant princesse de Saint-Maurice et autres de sa trempe attendre, avec les sans-culottes qui mangent à cette table, le moment d'entrer pour prendre leur réfection[28].

Le député Blanqui, à la Force, n'apprécie pas aussi favorablement le régime de la gamelle : Qu'on se figure, dit-il, tout ce qui doit être jeté au rebut en fait de subsistance. Morue pourrie, harengs infects, viande en putréfaction, légumes absolument gâtés, le tout accompagné d'une demi-chopine d'eau de la Seine, teinte en rouge au moyen de quelques drogues, et l'on aura une idée de nos tristes repas. Nous n'en prenions qu'un par jour, car l'introduction particulière de toute espèce d'aliment ou boisson était sévèrement interdite. Voulait-on se plaindre, le tribunal révolutionnaire, c'est-à-dire l'échafaud, attendait impitoyablement le plaignant[29].

Beaulieu, au Luxembourg, ne fut pas beaucoup plus satisfait de cette table commune, où l'on allait dîner en trois fois par trois cents : Une soupe détestable, une demi-bouteille de vin qui ne valait pas mieux, deux plats, dont un de légumes nageant dans l'eau, et l'autre toujours de viande de porc mêlée avec des choux, leur étaient servis au prix de 50 sous, avec un pain de munition d'une livre et demie fourni par la République ; et il fallait en réserver quelque chose, si l'on voulait manger une autre fois dans la journée. Mais cela même eût été supportable, si la brutalité des gens de service n'y avait joint mille avanies :

Parmi les prisonnières, dit Beaulieu, se trouvaient les duchesses de Noailles et d'Ayen. La première était âgée d'environ quatre-vingt-trois ans (lire soixante-dix), et presque entièrement sourde. A peine pouvait-elle marcher. Elle était obligée d'aller comme les autres à la gamelle, et de porter avec elle une bouteille, une assiette et un couvert de bois : il n'était pas permis d'en avoir d'autre. Comme on mourait de faim lorsqu'on allait à ce pitoyable dîner, chacun se pressait pour arriver le plus tôt possible, sans faire attention à. ceux qui étaient à côté de soi. La vieille maréchale était poussée comme les autres, et, trop faible pour résister à ce choc, elle se traînait le long du mur, pour ne pas être à chaque instant renversée ; elle n'osait avancer ni reculer, et n'arrivait à la table que lorsque tout le monde était placé. Le geôlier la prenait rudement par le bras, la faisait pirouetter et la faisait asseoir sur un banc. Un jour, croyant que cet homme lui adressait la parole, elle se retourne : Qu'est-ce que vous dites ?Je dis, vieille b....., que tu n'as personne ici pour porter ta cotte. F....-toi là ! Et il la plaça sur le banc comme s'il y eût mis un paquet[30].

On a, du reste, sur le régime du Luxembourg et sur la manière dont les détenus y étaient exploités, un document officiel que plus d'un lecteur pourra être curieux de consulter. C'est le résultat d'une enquête commencée contre le traiteur de la maison dans les derniers jours de la Terreur :

Cejourd'huy huit thermidor l'an 2e de la République une et indivisible est comparu devant nous, administrateurs de police soussignés, un citoyen qui s'étoit rendu volontairement à notre bureau, lequel par nous enquis de ses noms, surnoms, âge, qualités et demeure, a répondu : Simon Jules le Redde, traiteur de la maison d'arrêt du Luxembourg, y demeurant, âgé de 40 ans.

A luy demandé, combien il avoit fourny de livres de bœuf cejourd'huy pour les détenus.

A répdu sept livres pour les malades.

A luy demandé ce qu'il a fourny encor en viande pour le service des détenus de cejourd'huy, qu'il ait à nous déclarer les quantités pour la totalité du service.

A Ru qu'il déclare avoir fourny quarante-neuf foies de veaux dans lesquels il y en avait deux de bœuf, que lesdits quarante-neuf foies luy ont coûté 400 livres, de plus une gibelotte de lapreaux formant en total onze lapins servis sur onze plats, qu'il estime que ces lapins lui reviennent à 4 livres pièce.

A luy demandé combien il a fourni de pommes de terre. A répondu dix ou douze boisseaux qu'il estime à 3l 10s le boisseau.

A luy observé qu'il répond avec peu de bonne foy, qu'il nous a d'abord dit huit boisseaux et que nous luy avons répondu : Mettons en dix, et qu'en ce moment il nous en a compté douze.

A Ru qu'il a dit de dix à douze.

A luy Dé pour combien il avait fourny de chicorée

A répondu qu'il peut en avoir fourny aujourd'huy pour 60 livres.

A luy Dé pour combien il peut avoir servi de salé.

A Ru pour 20 livres.

A luy Dé combien il a servy de pâtés.

A Ru pour 20l, qu'il a fourny aussi 150 artichots à raison de 30l le cent ce qui fait 45l.

A luy Dé combien il peut avoir fourny de beurre.

A répondu environ une 30e de livres à 32s ce qui fait la somme de 48 livres.

A luy demandé pour combien il croit avoir employé d'oignon et d'autres menus légumes.

A rép. pour environ 18 à 20 livres.

A luy observé qu'il ne nous dit pas la vérité en ce qu'il nous avoit paru de bonne foy au Luxembourg, en disant que les oignons et autres menus légumes pouvoient se monter à 12 livres.

A Ru qu'on ne luy avoit pas donné le temps de la réflexion pour savoir ce qu'il a employé.

A luy demandé combien il a fourny de vin et à quel prix.

A Ru une demie bouteille chaque détenu, ce qui forme 407 bouteilles qui lui reviennent à 1l 5s la bouteille, ce qui fait 508 liv. 15s.

A luy Dé combien il croit avoir consommé de bois aujourd'huy.

A Ru une demie voie aux environs, peut-être plus peutêlre moins, qu'il évalue à 15l.

A luy Dé combien il croit avoir consommé de charbon.

A Ru une voie, une voie et demie aux environs qu'il estime, de la manière dont on est servi actuellement, à la somme de 12l 10s.

A luy Dé pour combien il croit avoir fourni de pain.

A Ru 407 pains de 3l à raison de 9s et demi le pain, ce qui tait 193l 6s 6d.

A luy demandé combien il employa d'hommes, combien ils lui coûtent l'un portant l'autre.

A répondu qu'il employe quatorze personnes dont une femme, qui lui coûtent de gages par jour la somme de 19l 10s.

A luy demandé combien ces quatorze personnes lui coûtent de nourriture.

A Ru qu'il n'en sait rien.

A luy observé que cette réponse n'est point franche ; que nous pensons bien que toutes les denrées étant déjà comptées la nourriture des employés ne peut s'élever à un haut prix, mais qu'au moins il doit nous en donner un aperçu.

A Ru qu'ils lui coûtent par jour, tous frais défalqués, 15 livres de vin, que quant à la Lorme chair il ne peut l'évaluer.

Observé au répondant qu'il devrait mettre de la bonne foy dans ses réponses et nous dire franchement si ses gens se trouvent nourris sur l'ordinaire commun, ou s'il leur fournit un dîner particulier, qu'il veuille bien nous donner une explication.

A Rép. définitivement qu'il évaluoit leur nourriture à 40s par jour compris le vin : ce qui forme avec leurs gages la somme de 47l par jour.

A luy demandé s'il trouve encore quelques frais faits cejourd'huy ou à quel prix ils se sont élevés le jour où il a éprouvé le plus de faux frais.

A Ru à 12 ou 15l.

A luy Dé s'il a encore eu quelques frais à faire aujourd'huy pour la nourriture des détenus et si tout ce qu'il a fourny est compris.

A Ru qu'il croit qu'on n'a rien oublié.

A luy Dé quels sont les ustensiles qu'il fournit aux détenus pour occasionner 15l par jour de faux fais en luy observant que nous avons vu qu'il servait les détenus dans des plats de fer blanc, et à luy demandé s'il fournit des assiettes, des verres, des cuillers, des fourchettes, des caraffes ?

A Ru que non, qu'il ne fournissoit ni verres, ni assiettes, ni couverts, ni caraffes ; qu'il n'y avoit que les bouteilles.

A luy observé qu'il nous paroît surprenant qu'on luy cassât par an pour 5400 livres de bouteilles.

A Ru qu'il avoit compensé cette dépense avec celle des plats de fer blanc qui peuvent se dissoudre au bout d'un mois ou de trois.

A luy Dé combien luy est payée par jour la nourriture des détenus et combien il en a nourry aujourd'huy.

A Ru 50s par personne, et qu'aujourd'huy il en a nourry 814 ce qui forme le total de 2.035l.

A luy Dé combien il croit avoir gagné cejourd'huy sur la nourriture des détenus.

A Ru qu'il n'en sait rien, que cependant d'après son calcul, il croit avoir eu aujourd'huy 363l de bénéfice, tous frais défalqués.

A luy représenté que sa réponse est de la plus mauvaise foy, que sur 2.035l qui lui sont payés aujourd'huy il n'a d'après ses propres aveux que déboursé 1.488l 3s 6d ce qui fait 546l 16s 6d de gain, ce qui le rend évidemment fournisseur infidèle envers la République ; que ce bénéfice est d'autant plus révoltant qu'il s'élèveroit, d'après le calcul de ce jour, à 16.380l par mois, ce qui fait un bénéfice énorme de 196.560l par an.

A Ru que depuis 15 jours il n'avoit pas encore compté son bénéfice, ayant employé tout son temps à courir, dès le matin, pour se procurer des denrées et qu'il ne croyoit pas faire un tel bénéfice.

A luy observé que cependant il se trouve régulièrement au service et qu'il ne peut avoir été sourd aux réclamations des détenus qui se plaignoient de mourir de faim.

A Ru qu'il n'a entendu aucunes plaintes des détenus si ce n'est le jour où il s'est trouvé du cochon échauffé et un autre jour de la raye un peu piquante, qu'une seule fois le concierge lui dit que c'étoit un peu faible, ce jour-là.

A luy observé qu'il gagna donc plus ce jour-là où c'étoit faible qu'aujourd'huy.

A Ru qu'il n'avoit pas fait la récapitulation de ce jour.

Lecture faite aud. citoyen de nos interrogats et de ses réponses en a reconnu la vérité, y a persisté et a signé avec nous.

Approuvant treize mots rayés comme nuls.

Signé : LEREDDE.

 

Il est probable qu'à mesure que Leredde faisait ses réponses, les chiffres étaient notés à part pour aboutir à cette addition qui le confondit.

Les témoignages du chef et du sous-chef de sa cuisine furent recueillis à la suite de sa déclaration pour la contrôler :

Et de suite avons fait comparoître devant nous administrateurs susd. le citoyen sous-chef de cuisine chez le nommé Leredde.

L'avons interpellé de ses noms, âge, profession et demeure,

A Ru Nicolas Delon, âgé de 34 ans, sous-chef de cuisine chez le citoyen Le Redde, traiteur de la maison d'arrêt du Luxembourg, y demeurant.

L'avons interpellé de nous déclarer quelle a été la nourriture donnée aujourd'huy aux détenus de ladite maison d'arrêt.

A Ru quarante-sept foies de veaux et trois de bœuf, environ une 12e de lapins, environ une 30) de livres de petit salé, de la chicorée de quoy faire un plat à chaque détenu, des pommes de terre dans la même proportion et environ 160 artichaux.

A luy demandé s'il sait à quel prix peut être évalué le foye de veau.

A Ru qu'il croit que ça peut valoir quatre livres dix à cent sols.

A luy Dé s'il sait à peu près quelle quantité de beurre a été employée aujourd'huy.

A Ru qu'il ne pourroit pas nous le dire précisément mais il pense qu'il se consomme de 20 à 301. de beurre par jour.

A luy demandé comment les Ceu employés à ce service sont payés par le traiteur.

A Ru qu'il luy a été promis par an 600l et qu'il est nourry.

A luy demandé s'il est à sa connaissance que les détenus se soient plaints de la qualité et de la quantité de nourriture qui leur est donnée par le traiteur en raison de la somme de 2l 10s qu'il reçoit par jour pour chaque détenu.

A Ru que quelquefois ils se plaignent, qu'aujourd'huy même ils se sont plaints des pâtés parce qu'ils étoient moisis et qu'on leur a donné en place d'autres plats.

Lecture faite au Ceu Delon de notre interrogatoire et de ses réponses, en a reconnu la vérité, y a persisté et a signé avec nous approuvant deux mots rayés comme nuls.

Signé NICOLAS DELEAU (sic).

 

De suite avons fait comparoître devant nous administrateurs susdits le citoyen chef de cuisine chez le Ceu Leredde.

Lequel a été par nous enquis de ses noms, âge, profession et demeure,

A Ru Jean-Baptiste Liard, dit Beaulieu, âgé de 48 ans, chef de cuisine chez le Leredde, traiteur de la maison d'arrêt du Luxembourg, y demeurant.

A luy Dé s'il sait combien de foies de veau ont été fournis cejourd'huy par le nommé Leredde pour la nourriture des détenus au Luxembourg, et à combien il les évalue.

A rép. qu'il y en a eu 49 et que l'un portant l'autre il les évalue à 6 livres.

A luy demandé combien il évalue le vin que ledit Leredde donne aux détenus.

A Ru qu'il pense que ce vin peut luy revenir à 20s la bouteille.

A luy Dé combien il a été servi de plats de salé, et combien chaque plat en contient de livres.

A Ru trois plats, et qu'il pense que chaque plat contient six livres au plus.

A luy demandé combien il se consomme de bois et de charbon par jour.

A Ru trois quarts de voie de charbon, et tout au plus une demie voye de bois.

Lecture faite audit citoyen Liard de sa déclaration y a persisté et a signé approuvant 15 mots rayés nuls.

Signé : LIARD

L'enquête finit ici avec le registre ; probablement elle devait se poursuivre, puisque les signatures des administrateurs, indiquées comme devant se joindre à celle des déclarants, ne s'y trouvent pas[31]. Mais le lendemain était le 9 thermidor.

 

 

 



[1] Voyez Beaulieu, Essais, t. V, p. 327-329.

[2] Voyez Saladin, Rapport au nom de la commission des Vingt-et-un, créée pour l'examen de la conduite des représentants du peuple : Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, etc. (12 ventôse an III), p. 45, et Pièces justificatives, n° 36.

[3] Beaulieu, Essais, t. V, p. 348, et Mémoires sur les prisons, t. II, p. 158.

[4] Beaulieu, Essais ; et Mémoires sur les prisons, t. II, p. 158-161.

[5] Histoire des prisons, t. IV, p. 384.

[6] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 93-102.

[7] Même en cette circonstance il y eut des pontes pour chanter l'amour, l'amour mythologique, à Port-Libre :

Pourquoi troubler du beau sexe l'asile,

Troubler tous les cœurs à la fois,

Pour un désarmement qui devient inutile,

Si l'on ne peut lui ravir son carquois ?

Vous avez pris à maintes belles

Couteaux, canifs et fins ciseaux,

Vous leur laissez des armes plus cruelles, etc.

Voyez la pièce intitulée le Désarmement inutile à Port-Libre, à la suite du journal de Contant dans Les prisons de Paris sous la Révolution, par M. Dauban, p. 370.

[8] Histoire des prisons, t. I, p. 166.

[9] Histoire des prisons, t. I, p. 167. Un autre prisonnier, détenu en même temps que les députés dignitaires à La Force, et depuis un des éditeurs des Mémoires sur la Révolution française, a raconté de la même manière ces perquisitions dans le récit de sa captivité. Voyez le Supplément aux Mémoires de madame Roland, t. II, p. 317.

[10] Mémoires sur les prisons, t. I, p. 236.

[11] Mémoires sur les prisons, t. I, p.236, 237. Voyez un récit conforme, mais plus détaillé sur la visite faite à Saint-Lazare, dans les Éclaircissements des Mémoires sur les prisons, t. I, p. 287, 288. Même opération à la maison des Oiseaux, rue de Sèvres : non-seulement l'argent et l'argenterie, mais les compas et les petits outils à faire des fleurs furent enlevés, et quelques jours avant le 9 thermidor, jusqu'aux mouchettes, quoique la chandelle fût permise, dit le narrateur. (Mémoires sur les prisons, t. II, p. 200.)

[12] Histoire des prisons, t. III, p. 18 ; cf. p. 20.

[13] La réponse se fit comme l'indique le registre, dès le lendemain 2 prairial. (Archives nationales, F⁷, 4437.)

[14] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 108.

[15] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 116, 120.

[16] Histoire des prisons, t. III, p. 97, 98.

[17] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 198.

[18] Mémoires sur les prisons, t. I, p. 212.

[19] Histoire des prisons, t. III, p. 5.

[20] Correspondance, t. II, p. 199.

[21] Correspondance, t. II, p. 210.

[22] Quant à mon Emile, je ne crois pas qu'il me soit permis de !e garder. Déjà depuis plus de quinze jours il n'entre plus ici d'enfants, même à la mamelle. Ceux qui y étaient sont retournés auprès de leur mère (notons que cet adoucissement avait été accordé à plusieurs). Émile est le seul qui soit resté. Ce bambin est choyé par tout le monde, c'est véritablement l'ami de la maison. (7 prairial, t. II, p. 212.) Une inquiétude poignante se mêle pourtant à la joie de le garder, quand on le lui laisse encore : On ne parle plus de faire sortir les enfants, mais peut-être n'aurai-je pas la liberté de le renvoyer si j'avais besoin de me séparer de lui. Je crois avoir entendu dire qu'il faudrait une permission du Comité de sûreté générale. (15 prairial, ibid., p. 225.)

[23] Correspondance, t. II, p. 233-239.

[24] Correspondance, t. II, p. 258.

[25] Histoire des prisons, t. III, p. 20 ; cf., t. II, p. 131.

[26] Nous réussîmes à tromper la surveillance de nos Argus ; on étoit parvenu à faire remplir de grosses bouteilles de vin de Malaga vieux, sur lesquelles on attachoit une étiquette où on écrivoit ptisanne. On remplissoit de même un bocal de café en poudre, sur lequel on faisoit écrire, tabac en poudre. (Histoire des prisons, t. III, p. 6.)

[27] Histoire des prisons, t. II, p. 125.

[28] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 124.

[29] Histoire des prisons, t. I, p. 167. Détails confirmés par le compagnon de Blanqui, cité plus haut. Suppl. aux Mémoires de madame Roland, t. II, p. 318.

[30] Beaulieu, Essais, t. V, p. 354.

[31] Archives de la Préfecture de police, Registres des interrogatoires, série 9, D, f° 116-118 (les précédents interrogatoires sont généralement signés de Faro).