LA TERREUR

TOME SECOND

 

LES PRISONS DE PARIS.

 

 

IV. — GEÔLIERS ET ADMINISTRATEURS DE POLICE.

 

Qui croirait que c'est là le portrait d'une famille de geôliers, et de geôliers de la Terreur ? Mais les geôliers que la Terreur trouva dans les prisons furent assez généralement ainsi. Ils avaient été comme subjugués par des prisonniers qui ressemblaient si peu aux autres ; qui, du fond de leurs cachots, formaient un tel contraste avec ces administrateurs de police dont le caprice brutal faisait la loi dans les prisons. On peut joindre à Vaubertrand fils, des Madelonnettes, Lavacquerie, de l'Abbaye, dont Mme Roland dit que c'est un homme honnête, actif, obligeant, qui met dans ses fonctions tout ce que la justice et l'humanité peuvent faire désirer[1]. Bochaut, de Sainte-Pélagie, qu'elle eut, immédiatement après, l'occasion de connaître, et dont elle dit qu'il fait ce qu'il peut[2] : Un homme né doux et humain, dit Roucher : il fait son devoir, mais il en tempère la rigueur par la manière honnête dont il parle et agit[3] ; aussi, en quittant Sainte-Pélagie pour Saint-Lazare, le poète proscrit lui donna-t-il un témoignage public de son estime et de sa gratitude[4]. Richard, de la Conciergerie, et Bault, de la Force, qui le remplaça pendant quelque temps à la Conciergerie où Riouffe le connut aussi : homme sensible, nous dit-il[5] ; Ferney, guichetier-chef de la Force, dont nous aurons à reparler ; sans oublier ceux que nous avons vus déjà dans les maisons converties en prisons de suspects : le sensible Benoît, au Luxembourg, l'excellent Naudet, à Saint-Lazare, et sa femme, et ses porte-clefs mêmes[6].

Les femmes surtout s'étaient montrées touchées de tant de malheurs immérités. A presque tous les geôliers que nous avons nommés, il faut associer les noms de leurs femmes. Toutes n'avaient pas la grâce de la jeune Vaubertrand ; presque toutes avaient sa bonté, ses prévenances envers les détenus : Vous pourrez, Madame, demeurer ici tout le jour, dit la concierge de l'Abbaye, grosse personne d'une bonne figure, en recevant Mme Roland chez elle, et si je ne pouvais vous faire préparer un local ce soir, parce que j'ai beaucoup de monde, on dresserait un lit dans le salon. — A quoi elle ajouta, dit Mme Roland, quelques réflexions obligeantes sur les regrets qu'elle éprouvait toutes les fois qu'elle voyait arriver des personnes de son sexe[7]. Et les paroles n'étaient pas démenties par les actes : elle faisait mettre le couvert de Mme Roland chez elle pour qu'elle dînât en meilleur air[8]. A Sainte-Pélagie, où l'illustre prisonnière fut d'abord mise en cellule, parmi des femmes qui pour la plupart, à cette époque (avant la loi des suspects), étaient dignes du lieu, Mme Bochaut l'invita à passer les journées dans son appartement ; puis, voyant qu'elle n'en usait qu'avec discrétion, elle trouva moyen de la faire sortir de sa cellule et de la loger dans une jolie chambre à cheminée, située au rez-de-chaussée, au-dessous de sa propre chambre[9]. — Me voilà donc délivrée, s'écrie Mme Roland, de l'affreux entourage qui faisait mon tourment, je n'aurai plus à passer deux fois le jour au milieu des femmes de mon voisinage pour m'éloigner d'elles pendant quelque temps. Je ne verrai plus le porte-clefs à sinistre figure ouvrir ma porte chaque matin et tirer le gros verrou sur moi comme sur une criminelle qu'il faut sévèrement garder. C'est la douce physionomie de Mme Bou-chaud qui se présente à moi ; c'est elle dont je sens à chaque instant les soins délicats. Il n'est pas jusqu'au jasmin apporté devant ma fenêtre, dont on garnit les grilles de ses branches flexibles, qui n'atteste ce désir dont elle est pénétrée. Je me regarde comme sa pensionnaire, j'oublie ma captivité[10]. Cela dura jusqu'au jour où un administrateur de police brutal ordonna à la concierge de la faire remonter dans les corridors au nom de l'égalité. Ce fut Mme Roland qui dut consoler la concierge ; et celle-ci, du reste, continua à la faire descendre pendant le jour dans la pièce où elle avait ses livres et ses objets d'études[11].

Même dans l'antre de la Conciergerie, on ne trouve que des femmes compatissantes aux prisonniers : c'est d'abord la citoyenne Richard, qui se montra si respectueuse et si attentive pour Marie-Antoinette durant sa captivité, lui ménageant dés mets plus délicats, lui apportant des fruits et des fleurs[12] ; qui introduisait M. Hue jusqu'auprès d'elle pour qu'elle reçût des nouvelles de ses enfants et leur en pût donner ; qui mérita que Mme Élisabeth, dans sa correspondance avec Hue à ce sujet, la désignât sous le nom de sensible[13] ; qui fut compromise pour la reine dans l'affaire de l'œillet[14], et entraîna son mari et son fils dans sa disgrâce ; et après qu'elle eût été mise en prison (11 septembre), ce fut la citoyenne Bault que cet exemple n'intimida point : on prétend même que Bault, gardien de la Force, fut choisi pour remplacer Richard à la Conciergerie par les manœuvres secrètes de Hue et de Cléry, en vue de la reine. C'est à la femme Bault que l'on doit le récit le plus sympathique des derniers moments de Marie-Antoinette à la Conciergerie[15], et c'est sa servante, Rosalie Lamorlière, qui a transmis les détails les plus touchants sur la manière de vivre, le courage et la résignation de la reine, dont elle fit avec une diligence pieuse le service jusqu'à l'heure de la dernière toilette[16] (16 octobre).

Richard et sa femme revinrent à la Conciergerie (11 novembre 1793), n'ayant pu être convaincus de complicité avec les amis de la reine ; Bault et sa femme retournèrent probablement dès lors à la Force, où nous les retrouverons ; et, de part et d'autre, les prisonniers continuent de se louer de leur humanité[17]. La citoyenne Richard en fut en quelque sorte victime. Deux années après la Terreur (messidor an IV, 1796), comme elle apportait un bouillon à un vil criminel, condamné à vingt ans de fers, il se jeta sur elle et la tua[18].

Il ne faudrait pas s'exagérer pourtant et généraliser outre mesure les soulagements que les bons offices des concierges humains et sensibles apportaient en certains lieux aux prisonniers. Le régime des prisons restait communément au fond ce qu'il est toujours. C'est sur l'argent plus que sur tout autre chose qu'il fallait compter pour se procurer quelques adoucissements ou des objets de distraction, une nourriture un peu meilleure, un logement plus commode, des cartes, la permission de voir ses parents[19] : témoin, Port-Libre. L'Abbaye et Sainte-Pélagie, où madame Roland eut tant à se louer des concierges, ne faisaient pas exception. A l'Abbaye, Paris de l'Épinard se plaint fort qu'on lui ait pris 4 livres par jour pour ses repas, quand il aurait dû être nourri gratis[20]. Il est vrai que les repas gratis, là comme à Sainte-Pélagie, étaient difficilement supportables, au témoignage de madame Roland, qui avait voulu voir ce que c'était[21]. As-tu des sonnettes ? c'était, d'après l'auteur que nous avons déjà cité, la première question qu'on adressait au prisonnier lorsqu'il entrait à Sainte-Pélagie ; s'il répondait oui, on lui faisait apporter une cuvette et quelques plats fêlés, qu'il payait le triple de leur valeur ; mais si malheureusement il avait le gousset vide, on lui disait :Ma foi, pays, tant pis pour toi ; mais ici on n'a rien pour rien. Et l'on était obligé de vendre à vil prix une partie de ses effets pour obtenir les choses les plus strictement nécessaires[22]. Madame Roland aussi constate que, dans la petite cellule qu'elle y occupa d'abord, on lui demanda, pour un lit, 15 livres par mois, payables à l'avance, qu'il n'y avait dans sa cellule ni pot à l'eau ni autre vase, et que, pour en avoir, il fallait les acheter[23].

On ne trouvait pas ordinairement en ces lieux des commissionnaires comme celui de la maison Blanchard, à Picpus, qui refusait presque toujours ce qu'on lui offrait pour ses commissions, qui disait même à ceux que la fortune mettait en état de reconnaître ses services : Gardez, citoyen ce que vous m'offrez ; un prisonnier n'a jamais trop d'argent. Ces petits services que je vous rends ne me coûtent rien ; c'est un plaisir que je me fais à moi-même et j'y trouve ma récompense[24]. Et puis, il y avait au-dessus des concierges les administrateurs de police ; et c'étaient généralement les agents les plus stupides et les plus brutaux de la Terreur : personnages ignorants, comme ce Dupommier, chargé de la surveillance de la maison Blanchard, à Picpus[25] ; — ou bien encore sinistrement burlesques ; et les prisonniers qui souffraient de leur humeur s'amusaient aussi quelquefois de leurs ridicules. On en peut donner pour exemple ce Marino, l'un des bourreaux de Lyon, connu de tous les prisonniers pour le plus hardi scélérat, qui, du reste, n'attendit même pas la fin du régime dont il était le digne satellite, pour être emprisonné lui-même et guillotiné avec plusieurs de sa bande (29 prairial an II)[26].

J'ai dit comme il insultait la société polie qu'il trouvait au Luxembourg. On l'y reçut un jour d'étrange sorte. Une douzaine de prisonniers occupaient une espèce d'entresol qui avait servi de grenier à foin. Comme l'on sut qu'il allait entrer, on ferma la fenêtre ; la plupart se mettent à fumer ; le cuisinier de semaine, un torchon sale devant lui, est chargé de recevoir l'administrateur, qui fait trois pas en arrière, tout saisi par l'odeur combinée du charbon, de la fumée des pipés et des haleines à l'ail. On l'introduit, on offre à ses yeux une méchante table fabriquée à la diable, sur laquelle était une cruche ébréchée, plus une bouteille qui servait de chandelier : il faut sauter à la fenêtre pour ne pas étouffer ; il s'embarrasse dans des matelas étendus par terre ; il chancelle, il tombe, on le relève ; on l'invite à prendre sa part des pommes de terre qu'on faisait frire au suif ; il s'attendrit et finit par faire cadeau â la chambrée d'une cuiller en bois, et presque neuve, qui avait écumé le pot du vieux Sillery. Les petits présents entretiennent l'amitié[27].

Sa première visite aux Madelonnettes avait produit un grand effet :

Le 8 octobre 1793, dit Coittant, il arrive avec une grotesque dignité, une allure insolente, un habit sale, chapeau gras, écharpe pareille : on se précipite autour de lui ; on lui présente des mémoires ; on cherche à exciter sa sensibilité. L'anthropophage administrateur donne à tout le monde des réponses évasives, et entre dans la chambre qui renfermait les citoyens de sa section. Il parcourt des yeux ses victimes — car c'était d'après ses dénonciations que ses co-sectionnaires avaient été arrêtés — ; il les contemple avec le souris du tigre et les accable de grossièretés. Avec un pareil brigand, on ne pouvait pas parler de sa liberté, on se contente de lui demander le jardin ; — Patience, bons citoyens, répond le Néron écharpé, on établit de belles maisons d'arrêt à Picpus, à Port-Libre, etc. Et il termina sa visite, dit Coittant, en nous annonçant, avec un visage rayonnant, l'arrêté de la Commune qui nous défendait de communiquer au dehors : l'ordre fut exécuté sur-le-champ'[28].

Ce matamore pouvait pourtant être mâté. Il ne s'agissait que de savoir lui parler son langage. Dans cette même visite, un grand hussard à larges moustaches était venu lui présenter humblement sa requête et l'appelait avec respect : Monsieur, parle en républicain ; je tutoie tout le monde : point de monsieur, mais citoyen, et tutoie-moi.

Eh bien ! par le s... n... d'un Dieu, fais-moi sortir d'ici et donne-moi la liberté !

Il sortit le troisième jour : on avait besoin d'hommes à moustaches[29].

Ce Marino vint une seconde fois aux Madelonnettes afin d'établir l'égalité dans la maison ; et, pour commencer, il voulait substituer, dans leurs logements respectifs, les pailleux aux suspects et les suspects aux pailleux. Mais les pailleux étaient des brigands, des voleurs : c'eût été appliquer trop à la lettre sa théorie sur la supériorité de ceux-ci à l'égard des autres. La fermeté du concierge Vaubertrand servit sans doute à le contenir sur ce point. Il se rabattit sur les tables, et prétendit y mettre largement en pratique la loi de l'Évangile qui oblige le riche à nourrir le pauvre. Par une sorte de réparation, ce fut au profit des prisonniers de sa section de la Montagne qu'il voulut l'appliquer. Il prit De Crosne, et l'amenant dans la chambre que ceux-ci occupaient, il lui dit :

Tiens, mon fils, voilà les hommes de ma section, il faut que tu en aies soin, entends-tu bien ?

Oui, citoyen.

Assis-toi là.

Oui, citoyen.

Et, le flattant sur la joue :

Ah çà, tu payeras le fricot, entends-tu bien ?

Oui, citoyen.

La chambre, les frais, le vin ?

Oui, citoyen.

Tiens, voilà le président, en désignant Jousseron, il fera la carte de toute la dépense, entends-tu ?

Oui, citoyen.

Tu as de la fortune, ils n'en ont pas, c'est toi à payer, entends-tu ?

Oui, citoyen.

N'y manque pas.

Non, citoyen.

Et tu leur donneras le gigot à l'ail, les pommes de terre et la salade ? — Oui, citoyen.

Après ce colloque, il quitta De Crosne en lui donnant le petit soufflet sur la jouet[30].

Mais les prisonniers de la section de la Montagne n'étaient pas des montagnards. Quoique en général peu fortunés, ils avaient de quoi se suffire, et ils résistèrent à. toutes les instances de De Crosne qui, naturellement généreux, tenait à exécuter de lui-même ce que Marino lui avait commandé.

Disons aussi que les geôliers humains ne réussirent pas tous à se maintenir avec de pareils administrateurs. Naudet fut destitué ; Benoît, envoyé au tribunal révolutionnaire, d'où il se tira on ne sait comment, dit un de nos récits. Blanchard, à Picpus, incarcéré aussi pour son trop de bonté, demeura incorrigible, et, rendu à ses fonctions, il ne montra pas moins de sollicitude envers les détenus dont il avait la garde[31]. Mais il était bien rare que destitués ils revinssent à leurs fonctions ; et les administrateurs ne songeaient qu'a installer dans les prisons des geôliers à leur image ; comme Semé, établi par l'administrateur Bergot, son compagnon de débauches, à la place de Naudet, dans la maison de Saint-Lazare[32] ; comme le féroce Guyard, qui remplaça Benoît au Luxembourg[33] ; comme le concierge Bertrand, à la maison des Anglaises, ou cet Haly que l'on trouve successivement à Port-Libre et au Plessis : le petit Haly, petit despote, comme l'appelle Coittant, ancien montreur de bêtes féroces[34]. Coittant dit que son cœur, au fond, était assez bon ; mais on ne le voit guère à ses paroles et même à ses actes, tels que lui-même les expose ; et au Plessis on jugeait tout autrement de son cœur[35]. Il était de ceux qui se faisaient souvent un plaisir d'ajouter, par les brutalités de leur despotisme, aux misères des prisonniers. Et il fallait user à leur égard de ménagements et de flatteries, car ils avaient, dans les maisons les mieux situées, un moyen de vengeance : c'était de faire transférer dans les prisons plus dures : Tais-toi, je te ferai mettre à Bicêtre, disait Haly aux détenus de Port-Libre ; apprends que je suis le maître ici ; et de fait, ajoute Coittant, il a tenu plus d'une fois parole[36]. — Du Plessis où on l'envoya comme geôlier, il ne pouvait plus envoyer qu'à la Conciergerie, c'est-à-dire à l'échafaud.

 

 

 



[1] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 76. — Je dois à l'humanité de mes gardiens, dit-elle aussi dans sa première lettre à Buzot (22 juin), des facilités que je cache pour ne pas les compromettre ; mais les bons procédés lient plus étroitement que des chaînes de fer, et je pourrais me sauver que je ne le voudrais pas, pour ne pas perdre l'honnête concierge qui emploie tous ses soins à adoucir ma captivité. (Lettres à Buzot, p. 17, publiées par M. Dauban, 1864.)

[2] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 132. — Je trouve des gardiens honteux de m'y voir, qui cherchent à me faire oublier ce que leur office a d'odieux. (Lettres à Buzot, p. 30.)

[3] Consolations de ma captivité, ou Correspondance de Boucher (7 juillet), t. I, p. 90.

[4] , dit-il, j'aperçois le citoyen Bouchotte (Bochaut) debout, triste, et nous regardant passer : Adieu citoyen concierge, grand merci du ton honnête et doux que vous avez toujours eu avec moi. En lui parlant ainsi, je lui tends la main, il me tend la sienne que je presse, et je suis mes compagnons. (Correspondance de Roucher, t. I, p. 26.)

[5] Mémoires sur les prisons, t. I, p. 47.

[6] Avant de terminer ce récit, dit encore le prisonnier de l'hôtel Talaru, je rendrai justice aux gardiens à qui je fus confié pendant cinquante-trois jours. Ils n'étaient pas tous également recommandables ; mais, l'un portant l'autre, ils n'étaient pas mauvais, et les beaux yeux d'une bouteille de vin ou d'un assignat les humanisaient tout à fait. (Histoire des prisons, t. III, p. 104.)

[7] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 76-77.

[8] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 83.

[9] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 119. — C'est probablement une pièce qui forme la panneterie aujourd'hui. La lingerie actuelle, qui est au-dessus, faisait jadis le logement du directeur.

[10] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 119-120.

[11] Ibid., p. 133. Cf. Lettres à Buzot, p. 48 : J'ai ici un meilleur air qu'à l'Abbaye et je passe quand je veux dans l'agréable appartement du concierge. C'est même là que je suis obligée d'aller recevoir le petit nombre de ceux qui peuvent me visiter ; mais il faut traverser pour cela une partie de la maison, sous l'œil des guichetiers et celui des vilaines femmes qui errent dans mon quartier. Je garde donc habituellement ma cellule, elle est large de manière à souffrir une chaise à côté de mon lit. C'est là que souvent à ma petite table je lis, je dessine et j'écris, etc.

[12] Histoire des prisons, t. IV, p. 203. — Voici une anecdote qui fait honneur à la femme Richard, et prouve aussi que, non :seulement dans les prisons, mais dans le peuple, dans les halles, il y avait, parmi les femmes, de la compassion pour cette royale infortune : La reine, dit M. Hue, avait témoigné à la femme Richard l'envie de manger du melon : Cette femme, qui prenait le plus grand soin de Sa Majesté et qui veillait à tous ses besoins, autant que cela était en son pouvoir, courut au marché le plus proche de la prison. Il me faut un excellent melon, dit-elle à une marchande qu'elle connaissait. — Je le devine, lui répondit celle-ci. Le melon que tu demandes avec tant d'empressement est, j'en suis sûre, pour notre malheureuse reine ; choisis, prend ce qu'il y a de plus beau. Elle-même lui donne le meilleur. La dame Richard veut payer. Garde ton argent, lui répliqua la marchande, et dis à la reine qu'il y en a beaucoup parmi nous qui gémissent... Elle allait en dire davantage lorsque la concierge se retira, porta le melon à la reine et lui rendit compte de ce qui s'était passé. Sa Majesté fut attendrie. (Hue, Dernières années de Louis XVI, p.446, note. L'auteur dit qu'il tient l'anecdote de la dame Richard elle-même.)

[13] Hue, Dernières années de Louis XVI, p. 4'45, et la note de l'auteur. — Hue fut arrêté lui-même, et conduit à la Force le 14 octobre 1793, deux jours avant la conclusion fatale du procès de la reine. De là il fut transféré dans une maison de détention du faubourg Saint-Antoine, d'où il tenta de s'évader, puis à Port-Libre, et enfin au Luxembourg. Il n'en sortit qu'après treize mois de captivité. (Ibid., p. 466, note.)

[14] Œillet offert à la reine par le chevalier de Rougeville, introduit à la Conciergerie comme simple curieux. L'œillet contenait un billet portant ces mots : J'ai à votre disposition des hommes et de l'argent, billet qui fut saisi par le gendarme dans les mains de la reine. Rougeville se sauva. La femme Richard et son fils furent arrêtés et envoyés aux Madelonnettes comme complices de cette tentative. Voyez Mémoires de Cléry, appendice 5, p. 314, et Hue, Dernières années de Louis XVI, p. 448, et le dossier du procès Michonis, Archives nationales W 296, dossier 261 (armoire de fer).

[15] Voyez ce récit à la suite des Mémoires de Cléry, dans les Mémoires relatifs à la Révolution française (Paris, 1817).

[16] Déclaration publiée dans les Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France, par Lafont d'Aussone (Paris, 1824) p. 328. — Voici un trait de ce récit qui se rapporte aux premiers temps du séjour de la reine à la Conciergerie : Un jour madame Richard amena dans le cachot son plus jeune enfant, qui était blond, qui avait des yeux bleus fort agréables. La reine, en voyant ce beau petit garçon, tressaillit visiblement. Elle le prit dans ses bras, le couvrit de baisers et de caresses, et se mit à pleurer en nous parlant de M. le Dauphin, qui était à peu près du même âge ; elle y pensait nuit et jour. Cette circonstance lui fit un mal horrible. Madame Richard, quand nous fûmes remontés, nous dit qu'elle se garderait bien de ramener son fils dans le cachot (p. 334).

[17] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 246, note ; et le comte Beugnot dans ses Mémoires.

[18] Histoire des prisons, t. II, p. 5.

[19] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 7.

[20] Mémoires sur les prisons, t. I, p. 151.

[21] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 90.

[22] Histoire des prisons, t. II, p. 124. — On trouve pourtant, dans les rapports du bureau de la Surveillance générale, à la date du 18 floréal, cette note qui montre que l'on se préoccupa de ces abus : Le département de Paris fait passer deux arrêtés portant que les concierges de prisons ne pourront exiger de loyer de ceux qui se munissent de leurs effets d'utilité (Archives nationales, F 7, 4437.)

[23] Mémoires de madame Roland, t. II, p. 111.

[24] Histoire des prisons, t. III, p. 204.

[25] Un jour, dit notre narrateur, il entre dans la chambre d'un prisonnier qu'il trouve occupé à lire. Qu'est-ce que tu fais là ? — Vous le voyez. — Ce n'est pas ainsi qu'il faut répondre. Qu'est-ce que tu fais là ? — Vous en êtes témoin, je lis. — Eh quelle est cette lecture ? — Tenez, voyez. Il lui présente le livre. Dupommier, qui ne savait pas lire, lui dit avec colère : Ton procédé est de la dernière insolence ; songe à me répondre, f....., car sans cela je verrai ce que je dois faire. — Je ne pouvais mieux faire que de vous présenter ce livre ; et si vous ne savez pas lire, je vais vous apprendre quel en est le titre. — Oui f....., je veux le savoir tout de suite. Ces b.....-là sont si insolents qu'on n'en viendra jamais à bout. — Puisqu'il faut vous le dire, c'est... — Eh bien, dis donc. — C'est Montaigne. — Oh ! puisque c'est de la Montagne, continue de lire ; voilà ce qu'il faut ; mais une autre fois ne sois pas si impertinent. Malpeste ! un livre fait par la Montagne ! Bravo, bravo ! (Histoire des prisons, t. III, p. 205).

[26] Mémoires sur des prisons, t. II, p. 83 et 116.

[27] Mémoires sur des prisons, t. II, p. 139.

[28] Mémoires sur des prisons, t. II, p. 207, 208.

[29] Mémoires sur des prisons, t. II, p. 208.

[30] Mémoires sur des prisons, t. II, p. 223, 224. — Cette anecdote est textuellement reproduite par Beaulieu (Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution française, t. V, p. 335).

[31] Il n'en fut pas ainsi de tous. Des directeurs de ces maisons de santé où plusieurs des suspects avaient réussi à se faire envoyer, à se faire oublier, furent accusés d'exiger outre le prix de leur hospitalité le prix de leur tolérance, prix souvent énorme : menaçant, à défaut de paiement, de renvoyer à l'accusateur public, ce qui était envoyer à la mort. On en a cité des exemples.

[32] Mémoires sur les prisons, t. I, p. 231.

[33] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 167 et 487.

[34] Prud'homme, Crimes de la Révolution, t. V, p. 22G ; Mémoires sur les prisons, t. II, p. 3 ; t. I, p. 175.

[35] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 256 et 266.

[36] Mémoires sur les prisons, t. II, p. 3. — Ce droit tant soit peu féodal, dit Coittant, fait trembler tous les prisonniers, qui ont soin de mettre beaucoup' de circonspection dans leurs demandes ou requêtes à M. le concierge. (Ibid., p. 31.)