SAINT LOUIS ET SON TEMPS

 

TOME PREMIER

PAR HENRI WALLON

MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE À LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS

PARIS - HACHETTE - 1875.

 

 

INTRODUCTION.

CHAPITRE I. — RÉGENCE DE BLANCHE DE CASTILLE.

I. Première éducation de saint Louis. - Sacre. - Révolte des barons. - Traité de Vendôme (1227). - Traité de Paris ou de Meaux (1229). — II. Nouveaux troubles: le comte de Champagne secouru. - Le comte de Bretagne soumis. - Trêve avec l'Angleterre. - Mariage de saint Louis. — III. Fin des guerres de barons. - Affaires intérieures: l'Université. - L'archevêque de Rouen. - L'évêque de Beauvais.

CHAPITRE II. — VERTUS CHRÉTIENNES DE SAINT LOUIS.

I. Piété de saint Louis. — II. Simplicité. - Pureté. - Bonté. - Humilité. - Charité.

CHAPITRE III. — GOUVERNEMENT PERSONNEL DE SAINT LOUIS. - LA QUERELLE DU SACERDOCE ET DE L'EMPIRE. - LES CROISADES.

I. Soumission des comtes de Champagne et de Bretagne. - Mariages féodaux. - Affaires ecclésiastiques (Beauvais et Reims). — II. La querelle du Sacerdoce et de l'Empire. - Innocent III, Othon IV et Frédéric II. — III. Les Croisades de 1217 et de 1228. - Honorius III, Grégoire IX et Frédéric II. — IV. Les Tartares. - Constantinople et la Terre Sainte. - Nouvelle excommunication de Frédéric II (1239). - Dernière lutte de Grégoire IX et de Frédéric II. - Intervention de saint Louis.

CHAPITRE IV. — LIGUE DE PLUSIEURS SEIGNEURS ET DU ROI D'ANGLETERRE CONTRE SAINT LOUIS.

I. Complot du comte et de la comtesse de la Marche. — II. La guerre de Poitou. - Journée de Taillebourg et de Saintes. - Soumission du comte de la Marche. — III. Trêve avec l'Angleterre. - Soumission des seigneurs du Midi. - Paix de Lorris.

CHAPITRE V. — PÉRILS DE LA CHRÉTIENTÉ À L'INTÉRIEUR ET AU DEHORS. - INNOCENT IV ET FRÉDÉRIC II. - CONCILE DE LYON.

I. Les Tartares et les Karismiens. - Prise de Jérusalem. - Saint Louis prend la croix. — II. Innocent IV et Frédéric II. — III. Concile de Lyon. - Déposition de Frédéric II.

CHAPITRE VI. — SUITES DU CONCILE DE LYON.

I. Situation de l'Europe après le Concile de Lyon. — II. Continuation de la lutte d'Innocent IV et de Frédéric II. — III. Entrevue de Cluny. - Mariage de Charles d'Anjou. - Nouvelles démarches de Frédéric II. — IV. Nouvelle intensité de la lutte en Allemagne et en Italie : Henri Raspon. - Guillaume de Hollande. — V. Préparatifs de la Croisade.

CHAPITRE VII. — PREMIÈRE CROISADE DE SAINT LOUIS.

I. Saint Louis en Chypre. — II. Prise de Damiette. — III. Séjour de saint Louis à Damiette.

CHAPITRE VIII. — BATAILLE DE MANSOURA.

I. Départ de Damiette. - Le Nil. - Le canal d'Achmoun. — II. Bataille de Mansoura. - Première journée (mardi avant les Cendres). — III. Le roi campe sur le champ de bataille. - Deuxième journée (vendredi 11 février). — IV. Souffrances de l'armée. - Arrivée du jeune sultan. - Premières négociations. - Progrès de l'épidémie et de la disette. — V. Retraite par terre et par eau. - Le roi fait prisonnier.

CHAPITRE IX. — LA CAPTIVITÉ DE SAINT LOUIS.

I. La reine sauve Damiette. - Le roi ramené à Mansoura. - Joinville pris avec ceux qui faisaient retraite par eau. - Sort des prisonniers. — II. Traité de saint Louis avec le sultan. - Meurtre du sultan. - Le roi devant les conjurés maîtres du pouvoir. - Renouvellement du traité. — III. Exécution du traité.

CHAPITRE X. — SAINT LOUIS EN PALESTINE (1250-1251).

I. Arrivée à Saint-Jean d'Acre. - Question du retour. - Départ des frères du roi. - Message de Frédéric II. — II. Saint Louis en présence des musulmans d'Égypte et de Syrie. - Il fortifie Saint-Jean d'Acre. - Message du Vieux de la montagne. - Délivrance des prisonniers d'Égypte. - Lutte des Égyptiens et des Syriens. — III. Saint Louis à Césarée. - Sa conduite en Palestine.

CHAPITRE XI. — SAINT LOUIS EN PALESTINE (1251-1254).

I. Dispositions de l'Occident à l'égard de la croisade. - Fin de la lutte d'Innocent IV et de Frédéric II. - Les Pastoureaux. — II. Conventions avec l'Égypte faites et rompues. - Saint Louis à Jaffa. - Mort de Blanche de Castille. - Mission de Rubruquis chez les Tartares. — III. Saint Louis à Sour et à Sidon.

CHAPITRE XII. — RETOUR DE SAINT LOUIS.

I. Derniers temps du séjour du roi en Palestine. - Départ. — II. Périls et incidents du voyage. — III. Débarquement de saint Louis. - Le roi à Saint-Denis. - A Paris. - Résultats de la croisade.

APPENDICES.

I. Lettre de Henri III à Frédéric II (19 septembre 1242). — II. Récit de frère Salimbene sur saint Louis partant pour la croisade (1248).

 

INTRODUCTION.

Louis IX fut un saint sur le trône. Quelle influence le caractère du saint a-t-il eue sur la conduite du roi ? Quelle action le gouvernement d'un tel roi a-t-il exercée sur les destinées de la France ? La France, durant les siècles qu'elle a traversés et dans la suite des dynasties qui ont régné sur elles, a vu des princes de bien des natures différentes ; et sans parler des mauvais rois, elle a compté de grands cœurs, des âmes dévouées, une ou deux fois de vrais génies. Une seule fois (en ne comptant pas Charlemagne) elle a connu un saint. Il est donc intéressant de voir quelle figure il a faite parmi tant de noms fameux. Sa vie n'est pas seulement un exemple pour le chrétien ; elle est un sujet de méditation pour le politique. On y verra où est la grandeur, où est la force d'une nation et sa bonne renommée. On y trouvera la justification de cette parole de l'Évangile : Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu ! Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre ! Beati pacifici.... beati mites, quoniam possidebunt terram.

Rappelons quelle était la situation du royaume et de la royauté à l'avènement de saint Louis.

La France n'était plus ce qu'elle avait été sous Charlemagne. L'Empire, échappé aux mains des Carlovingiens, avait été relevé par les princes germaniques. La royauté, dans les limites fort amoindries de,l'ancienne Gaule, était échue aux Capétiens : royauté féodale, ayant ses racines dans le pays ; mais d'autres maisons établies aussi de longue date sur le sol pouvaient lui en disputer la possession. Entre ces rivales de la maison de France, le premier rang appartenait à celle de Normandie qui venait de conquérir le trône d'Angleterre (1066) ; et quand son héritage passa à la maison d'Anjou, on aurait pu se demander si cette maison n'était pas plus que les Capétiens appelée à grouper autour d'elle toute la France. Henri Plantagenet, duc d'Anjou par son père, roi d'Angleterre et duc de Normandie par sa mère, avait, par sa femme, réuni à ces provinces le Poitou, l'Aquitaine, presque tous les rivages de l'Océan, moins la Bretagne qu'un mariage donna à l'un de ses fils. Il occupait ainsi eu France bien plus de pays qu'il n'en restait en propre à ceux qui s'en disaient les rois ; et à sa puissance territoriale s'était jointe après lui dans sa maison une force non moins considérable en ces temps de chevalerie : entre tous les héros de la croisade, quel prince avait brillé d'un plus vif éclat que Richard Cœur le Lion ? Mais une chose retenait l'ascendant aux Capétiens : c'était le titre de roi et le droit de suzeraineté qu'il emportait sur tous les autres ; et dès le temps de Richard, il y avait sur le trône de France un prince qui, inférieur en puissance et en renom militaire, n'en devait pais moins changer la situation et ramener la prépondérance là où était le droit de suzeraineté. Je veux parler de Philippe Auguste[1]. Rival effacé de Richard dans l'expédition faite en commun pour la délivrance de la Terre Sainte (troisième croisade), il sut reprendre au retour ses avantages, surtout quand à Richard succéda son frère Jean : prince cruel, bas et avide, qui voulut s'assurer tout l'héritage de sa maison en faisant périr son neveu Arthur, duc de Bretagne, et qui par là ne fit qu'y attirer l'intervention de la France. Cité devant la cour des pairs, condamné par défaut, il vit le roi de France lui enlever la plupart des provinces qui relevaient de la couronne : Normandie, Maine, Anjou, Touraine, Poitou. Il le vit même bientôt le menacer pour son propre royaume. Excommunié, puis déposé par Innocent III, il ne garda sa couronne, offerte par le pape à Philippe Auguste, qu'en la mettant aux pieds du souverain pontife lui-même, pour la reprendre en fief de ses mains. La France avait donc reconquis son rang sur l'Angleterre, et elle maintint son indépendance à l'égard de l'Empire, lorsque Othon, qui voulait encore se croire le suzerain des rois, vint, à l'appel de Jean, attaquer Philippe Auguste à Bouvines (1214).

C'est l'année où naquit saint Louis.

La royauté française victorieuse avait dès lors conquis sa place dans le monde, et un moment elle faillit dominer l'Angleterre à son tour. Jean, humilié en France, odieux dans son pays, avait dû concéder la Grande Charte à ses barons révoltés (1215) ; mais, tirant parti de sa déchéance même, il s'en était débarrassé presque aussitôt en la faisant annuler par le pape dont il était devenu le vassal. Les barons offrirent le trône à Louis, fils de Philippe Auguste, et Philippe, tout en évitant de se compromettre lui-même auprès du Saint-Siège, souffrit que son fils acceptât (1216) : on mettait en avant les droits, primés par beaucoup d'autres, que la jeune femme du prince, Blanche de Castille, tenait de Henri II, son aïeul maternel[2]. Ainsi l'héritier du trône de France devenait roi d'Angleterre ; et l'on pouvait prévoir le jour où les deux couronnes seraient unies sur la même tête. Cet avenir peu souhaitable pour chacun des deux pays ne devait pas se réaliser. La mort de Jean, qui semblait débarrasser Louis d'un rival, ne fit que lui en susciter un autre plus dangereux. Les barons anglais avaient déjà eu le temps de songer au péril qu'il y avait à mettre sur le trône un prince venu en Angleterre avec tant d'autres barons désireux de s'y établir autour de lui ; et les libertés stipulées par la Grande Charte ne leur paraissaient pas bien garanties sous un roi qui pourrait se croire roi d'Angleterre par la conquête. Le fils de Jean, un enfant, leur offrait l'avantage de maintenir leur dynastie nationale et de garder le pouvoir entre leurs mains. Aussi les défections ne tardèrent-elles pas à réduire, au profit du jeune Henri III, le parti de Louis, qui ne fut plus que le parti de l'étranger. Louis se rembarqua, restituant au prince anglais ce qu'il avait conquis en Angleterre, et promettant même d'intervenir auprès de son père pour lui faire rendre ce que Jean avait perdu en France (traité de Lincoln, 1217) : promesse qui pouvait être tenue par le prince sans qu'on pût craindre en France qu'elle fût suivie d'effet dans les conseils du roi.

A la mort de Philippe Auguste (14 juillet 1223), la maison royale était maîtresse directement de la meilleure partie de la France du nord et du centre, et suzeraine incontestée de tout le reste, dans les bornes que lui avait marquées en 843 le traité de Verdun : au sud la Méditerranée et les Pyrénées (moins la basse Navarre et le Roussillon) ; à l'ouest l'Océan ; au nord et à l'est l'Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône (moins le Lyonnais et le Vivarais[3], où l'Empire avait étendu les prétentions qu'il gardait sur les pays situés en deçà de cette grande ligne) ; et un événement qui, sans procéder de l'action du roi, n'en est pas moins l'un des principaux de son règne, avait préparé l'extension du domaine royal dans le Midi : je veux parler de la croisade des Albigeois.

Pour nous réduire à ce qu'il en faut connaître avant d'en voir le dénouement sous saint Louis, rappelons qu'une hérésie manichéenne, à ce qu'il semble, transférée, on ne sait comment, en Bulgarie et en Hongrie, et de là répandue dans l'Allemagne du Sud et dans l'Italie du Nord, avait pénétré de l'Italie dans le midi de la France, notamment dans le diocèse d'Albi : d'où le nom d'Albigeois donné à ces sectaires. Eux-mêmes s'appelaient Cathares ou purs, nom grec qui marque bien l'origine byzantine de l'hérésie. Ils prétendaient revenir aux coutumes de la primitive Église, et, se faisant de la richesse et des vices d'une partie du clergé un moyen d'attaque contre lui, ils entraînaient les populations et avaient trouvé faveur auprès des seigneurs qui voulaient se soustraire à l'empire de l'Église ou convoitaient ses biens[4].

Dès le douzième siècle, la papauté s'était efforcée de combattre le mal par des missions, mais sans résultat. Saint Bernard lui-même y avait échoué. Innocent III reprit l'œuvre commencée, et grâce au concours de l'évêque d'Osma, Diégo, et de son acolyte Dominique[5], l'entreprise eût réussi peut-être, si l'excommunication du comte de Toulouse par le légat Pierre de Castelnau, et le meurtre du légat par un chevalier qui voulait venger ainsi son seigneur (1208), n'eût entraîné dans les voies de la guerre. La croisade fut prêchée contre les Albigeois, et une troupe nombreuse de pèlerins et de seigneurs, notamment le duc de Bourgogne et Simon comte de Montfort, accoururent par plusieurs chemins vers le Midi, attirés par des indulgences qui se pouvaient gagner avec si peu de peine, et tant de profit par surcroît.

Deux périodes, séparées par le concile de Latran (1215), précèdent l'intervention directe de la France dans cette guerre. Dans la première les croisés l'emportent ; dans la seconde ils sont à la veille d'être vaincus.

D'abord, le comte de Toulouse menacé de tous les côtés, et ne trouvant d'appui ni auprès du roi de France ni auprès de l'empereur Othon, cède et signe tout ce que l'on veut (15 juin 1209). La croisade eût été prévenue si Raymond Bérenger, vicomte de Béziers et de Carcassonne, n'eût refusé de plier : il y perdit ses villes et seigneuries qui furent données à Simon de Montfort (novembre 1209). Un homme du Nord est ainsi établi dans le Midi : mais il est seul au milieu de toutes les haines du pays, et il aurait succombé si une nouvelle excommunication, lancée contre Raymond VI, n'eût renouvelé la croisade. La lutte cette fois promet d'être plus égale. Le comte de Toulouse, attaqué par le Nord, trouve au Midi un puissant auxiliaire : le roi d'Aragon, vainqueur des Almohades à la grande journée de Tolosa (16 juillet 1212). Mais ce prince est vaincu et tué à la bataille de Muret (12 septembre 1213), et sa défaite entraîne la ruine de Raymond VI. Le concile de Latran vient clore cette période et paraît mettre fin à la guerre. L'hérésie est condamnée et comme dépossédée, exterminée par la substitution des vainqueurs aux vaincus. Simon de Montfort joint à ses précédentes acquisitions celle du comté de Toulouse[6]. Le fils de Raymond VI, qui a abdiqué, ne retient que le marquisat de Provence (entre la Durance et l'Isère) : à quoi le pape ajoute, par un don bénévole, le comtat Venaissin comme fief du Saint-Siège (1215).

Rien n'est fini pourtant. La haine contre Simon de Montfort s'est accrue avec ses possessions et sa fortune. Le jeune Raymond VII entre en scène (1216). Toulouse, qui frémit sous le joug, réussit enfin à lui ouvrir ses portes (13 septembre 1217), et Simon, qui vient l'y assiéger, périt tué d'un coup de pierre (25 juin 1218).

Cet événement, qui semblait ruiner l'œuvre de la croisade dans le Midi, allait lui donner un. plus redoutable soutien. Amaury, fils de Simon, fait appel, non plus seulement au pape, mais au roi de France. D'abord il ne fait qu'invoquer son secours, et ce secours insuffisant faillira le compromettre davantage. Philippe Auguste n'intervient pas lui-même ; il se contente d'envoyer son fils. Louis, rejoignant Amaury de Montfort, prend Marmande et met le siège devant Toulouse, mais il est contraint à le lever au bout de deux mois (1er août 1219) : marque d'impuissance qui fait perdre à Amaury presque toutes les villes dont il avait encore la possession. Béziers même, imitant Toulouse, reçoit le jeune Trencavel, le fils de son ancien seigneur ; Amaury ne retient que Carcassonne, Agde et Narbonne. C'est alors que, désespérant de sa cause, il offre de la remettre, avec tous ses droits, aux mains du roi (1222). Cette offre que Philippe Auguste, malade et mourant, ne put accueillir pour lui-même, allait être acceptée de son fils.

Louis VIII pourtant, aux débuts de son règne (1223), avait porté ses vues d'un autre côté ; et il eût mieux fait d'y persister, car c'était encore la voie la plus sûre pour aller à Toulouse. Il voulait reprendre aux Anglais ce' qui leur restait de possessions au delà de la Loire. Au traité de Lincoln, il est vrai, il avait promis d'intercéder auprès de son père pour leur faire restituer tout ce qu'ils avaient perdu, même en deçà. Le fit-il ? Devenu roi, la chose semblait toute faite : il n'avait qu'à vouloir. Mais il ne s'en souciait pas plus que Philippe son père. Il prétendait, d'ailleurs, que le roi d'Angleterre avait violé le traité.

Henri III pouvait bien réclamer l'exécution de la promesse, il n'était pas en mesure de l'exiger. Entre lui et ses barons il y avait défiance réciproque et dans une telle situation, il avait bien plus à souhaiter de prolonger la trêve que de la rompre. Ce fut Louis VIII qui la dénonça. Il entra dans le bas Poitou : rien n'avait été fait pour mettre le pays en défense. Niort se rendit ; la Rochelle même, n'étant pas secourue, dut capituler (3 août 1224) : et l'exemple de cet abandon décida tout le pays jusqu'à la Garonne à se soumettre. L'Aquitaine aurait sans doute subi le même sort et Bordeaux aurait été contraint de suivre l'exemple de la Rochelle, malgré la présence de Richard, frère de Henri III, si le roi ne s'était laissé détourner ailleurs.

Il se détourna vers l'Albigeois.

Amaury était près de succomber. Le pape, craignant de voir dans sa chute le triomphe de l'hérésie, pressait vivement Louis de répondre à l'appel qui lui était fait. Dans un concile (Bourges) où l'on assigna Raymond et Amaury, Raymond fut excommunié, et Louis accepta enfin, avec la succession d'Amaury, la direction de la croisade (novembre 1225)[7]. Le lieu de réunion de tous les croisés était fixé à Lyon. Ils descendirent par la rive gauche du Rhône (bien que ce fût terre d'Empire), la rive gauche offrant seule une plaine convenable à la marche d'une armée. Ils comptaient repasser le fleuve à Avignon qui avait consenti au passage ; mais quand la première troupe des croisés eut traversé la vine, les habitants eurent peur et fermèrent leurs portes à tout le reste. Ils ne leur concédaient qu'un passage étroit le long du rocher sur lequel s'élève encore aujourd'hui la terrasse du palais des papes[8]. Du pied de l'arche ils auraient dû sans doute gagner le tablier du pont par des échelles. Ce procédé, qui eût fait défiler l'armée sous les créneaux des murailles et comme à la merci des habitants, ne convint pas au roi. Il voulut passer avec toute son armée par la ville et assiégea la place (10 juin 1226)[9]. Elle finit par capituler (10 septembre[10]). Mais on avait perdu un temps précieux, et plusieurs pouvaient regretter de s'être obligés à rester au delà des quarante jours de leur service féodal jusqu'à la fin de la guerre[11]. Le jeune comte de Champagne, qui n'était pas engagé, partit sans plus attendre. Déjà pourtant presque tout le pays s'était soumis depuis le Rhône jusqu'à quatre lieues de Toulouse[12], lorsque des maladies se déclarèrent parmi les troupes. Le roi lui-même en fut atteint, et il y succomba dans la ville de Montpensier, le 8 novembre 1226.

Quoique ayant en partie réussi, cette campagne contre les Albigeois avait été fatale à la France : elle avait détourné Louis VIII de son expédition contre Henri III ; elle l'avait arrêté au milieu de ses conquêtes, lorsqu'il venait de prendre la Rochelle, et qu'il pouvait espérer de se faire ouvrir les portes de Bordeaux. Bordeaux pris, le roi ne se fût certes pas trouvé en moins bonne position pour menacer Toulouse. L'expédition fut donc dommageable à ce point de vue ; elle le fut, à un autre titre encore, bien davantage, puisqu'elle coûta à la France la vie du roi. Or la mort du roi, en laissant, pour la première fois depuis Hugues Capet, le trône à un enfant, pouvait mettre en péril l'œuvre poursuivie depuis plus de deux siècles. Constatons, au moment où la question se pose, la situation respective du roi et des barons : ce sera donner le tableau de la France à l'avènement de saint Louis.

DOMAINE ROYAL.

Le roi possédait directement l'Île de France et l'Orléanais (comtés de Paris, de Melun, d'Orléans), qui constituaient le patrimoine des premiers Capétiens ; le Gâtinais (Château-Landon), le Vexin français (rive gauche de l'Epte), la vicomté de Bourges, acquis par Philippe Ier ; la seigneurie de Montlhéry et le comté de Corbeil, par Louis VI ; l'Artois, cédé par le comte de Flandre en 1191 ; le Vermandois (y compris le comté d'Amiens), et le Valois, promis à Philippe Auguste lors de son premier mariage, et réunis définitivement en 1214 ; Gisors, Vernon, Néaufle, Pacy-sur-Eure, Longueville, cédés par Richard Cœur de Lion en 1195 ; la Normandie, le Maine, l'Anjou, la Touraine, enlevés à Jean en 1204 ; les comtés d'Évreux (1200), et de Meulan (1203) ; le Vexin normand (1205) ; les comtés d'Alençon et du Perche (1219, 1226) ; de Beaumont-sur-Oise (1223) ; la ville de Montargis et la seigneurie de Gien, qui précédèrent ou complétèrent ces grandes acquisitions au nord de la Loire ; au sud, le Poitou, conquis en partie en 1205 et en totalité sous Louis VIII ; la plus grande partie de l'Auvergne (la terre d'Auvergne), abandonnée, avec Vernon, etc., par-Richard Cœur de Lion à Philippe Auguste (1195), ou conquis par ce roi sur le comte et sur le dauphin d'Auvergne ; et dans le Midi, ce qui avait été cédé par Amaury ou conquis par Louis VIII : Beaucaire, Nîmes, Carcassonne[13], etc.

DOMAINE FÉODAL[14].

Les principaux fiefs ou arrière-fiefs de la couronne peuvent être rangés dans les divisions suivantes :

I. PAYS AU NORD DE LA LOIRE.

I. RÉGION DU NORD.

La FLANDRE, dont le comte Ferrand était 'retenu prisonnier au Louvre depuis la bataille de Bouvines ; à la Flandre se rattachaient plusieurs terres tenues en fief de l'Empire : au nord, les îles de Zélande, les Quatre-métiers le comté d'Alost, etc. ; au sud, Crèvecœur, Arleux et l'Ostrevant (Bouchain).

Le comté de Boulogne, dont le titulaire, Renaud, avait eu le même sort que le comte de Flandre : le comté, assuré en héritage à sa fille quand elle épousa Philippe Hurepel, fils de Philippe Auguste et d'Agnès de Méranie, était alors occupé par ce prince. Au comté de Boulogne se rattachait Calais. Au nouveau comte de Boulogne appartenait encore le comté de Dammartin et le comté de Clermont[15].

Le comté de Saint-Pol, qui relevait de Boulogne ; les comtés d'Ardres et de Guines, de l'Artois.

Les comtés de Ponthieu et d'Aumale, unis par le mariage de Marie, comtesse de Ponthieu, avec Simon de Dammartin, comte d'Aumale[16].

Les comtés d'Eu, de Soissons[17] ; les seigneuries de Coucy[18] et de Montmorency.

Et au sud-ouest de Paris le comté de Montfort-l'Amaury, dont le nom, rendu si fameux par le comte Simon, devait recevoir une nouvelle illustration en Angleterre par un autre Simon, fils du premier ;

Le comté de Dreux, tout petit apanage d'une branche de la maison de France (issue de Robert, troisième fils de Louis VI).

L'évêché de Tournai, sur les deux rives de l'Escaut, n'avait pas cessé d'être regardé comme se rattachant directement au royaume ; les évêques de Beauvais, de Noyon, de Laon, étaient comtes dans leurs évêchés ; l'évêque de Lisieux en était seigneur ; il ne prit le titre de comte que plus tard.

II. RÉGION DE L'EST.

Le comté de CHAMPAGNE sous Thibaud IV, fils posthume de Thibaud III (1201). Placé dès sa naissance sous la tutelle de sa mère, Blanche de Navarre, il venait d'atteindre sa majorité (1222) à l'avènement de Louis VIII, qu'il accompagna dans la guerre contre les Anglais, au siège de la Rochelle, et qu'il abandonna dans la guerre contre les Albigeois, au siège d'Avignon.

Six comtés en relevaient au treizième siècle : les comtés de Réthel, de Grandpré, de Roucy, de Brienne, de Joigny, et le comté Porcien.

L'archevêque de Reims, les évêques de Châlons et de Langres étaient comtes dans une partie de leur diocèse. Le chapitre de Reims rendait directement hommage au roi pour une partie détachée du comté Porcien, au nord de la Champagne, sous le nom de Potées (Potestates).

Le duché de BOURGOGNE, dont le titulaire, Hugues IV, tenait plusieurs fiefs des évêques de Châlon et de Langres, et même au delà de la Saône, de l'Empire ;

Les comtés de Tonnerre, d'Auxerre et de Nevers, réunis pendant la plus grande partie des règnes de Philippe Auguste, de Louis VIII et de saint Louis par deux femmes, Mahaut Ire (1192-1257) et Mahaut II (1257-1262) ;

Le comté de Mâcon, vendu en 1239 à saint Louis ;

Le comté de Beaujeu, dont le titulaire, Humbert IV, accompagna Louis VIII en 1226, dans sa croisade contre les Albigeois, et saint Louis en 1248, dans sa croisade en Égypte où il mourut.

III. RÉGION DE L'OUEST.

Les comtés de Blois et de Chartres, appartenant à deux princesses d'une branche de la maison de Champagne, dont ils relevaient encore au commencement du règne de saint Louis ; les cinq baronnies du Perche (Perche-Gouet), unies et tenues en fief de l'évêque de Chartres.

Le comté de Vendôme, mouvant du comté d'Anjou.

Le comté ou duché de Bretagne (ces deux titres sont portés au treizième siècle), échu, après la mort d'Arthur, à sa demi-sœur Ali ; fille aînée de la duchesse Constance et de Gui de Thouars, et porté par elle en mariage à Pierre Mauclerc, de la maison de Dreux. Depuis sa mort, en 1220, Pierre Mauclerc ne tenait plus la Bretagne que comme baile ou régent, au nom de son fils mineur ; mais il garda jusqu'à la majorité de ce dernier le titre de comte de Bretagne, qu'il rendit redoutable à ses barons d'abord et aussi à la France pendant la minorité de saint Louis. — Parmi ces vassaux du comte de Bretagne, Henri d'Avaugour, dépouillé de ses terres de Tréguier, de Lamballe et de Guingamp, ne possédait plus que quelques domaines sous le nom de comté de Gœllo ; le vicomte de Léon, qui n'avait plus Morlaix, mais gardait Brest, céda ce grand port, en 1240, au comte de Bretagne.

II. PAYS AU SUD DE LA LOIRE.

I. BASSIN DE LA LOIRE.

La seigneurie de Bourbon, dont les domaines correspondaient à peu près au Bourbonnais, et par conséquent s'étendaient aussi sur la rive droite du fleuve : ils devaient passer, par un mariage (1272), au plus jeune fils de saint Louis, Robert de Clermont.

Le comté de Forez, à cheval aussi sur la rivière. Le Lyonnais, qui appartenait à la même maison, avait été cédé en 1173 à l'archevêque de Lyon[19].

Le comté de Velay à l'évêque du Puy ; la seigneurie de Clermont à l'évêque de Clermont ; la seigneurie de Montbonnet, qui relevait directement du roi.

Le comté et le dauphiné d'Auvergne, petite partie de cette vaste contrée qui, sous le nom de terre d'Auvergne, avait été réunie au domaine royal. Le comté d'Auvergne se réduisait à Vic-le-Comte et à quelques domaines à l'entour ; le Dauphiné d'Auvergne consistait en une bande de territoire qui s'étendait entre Clermont et Langeac.

Le comté de Sancerre, que le comte de Champagne allait bientôt céder à saint Louis 11234).

Les comtés de la Marche et d'Angoulême, fiefs du Poitou. Le comte de la Marche, Hugues X, qui avait épousé Isabelle, veuve de Jean[20], se trouvait ainsi le beau-père du roi d'Angleterre Henri III.

II. BASSIN DE LA GARONNE.

A côté de la GUYENNE[21], qui restait au roi d'Angleterre avec la suzeraineté de plusieurs fiefs de sa dépendance[22], on trouve la vicomté de Limoges et le comté de Périgord, la vicomté de Turenne et la seigneurie de Hautefort, qui en avaient été détachés par la conquête, et qui devaient lui revenir par le traité de 1258.

Le comté de TOULOUSE, si puissant avant la guerre des Albigeois[23], si amoindri alors, mais qui restait encore le principal État du Midi, s'étendant en général sur les terres. des diocèses de Toulouse, d'Agen, de Cahors, de Rodez, et d'Albi ; nous verrons la situation que lui reconnut, dès les premières années de saint Louis, le traité de Paris (1229).

Dans la mouvance de Toulouse étaient les comtés de Foix et de Comminges pour une partie de leurs possessions ; la seigneurie de Mirepoix, les comtés d'Armagnac, de Fezensac, unis alors, et la vicomté de Fezensaguet, qui s'y joignit en 1256 ; le comté de Rodez, le comté d'Astarac, de Pardiac ; les vicomtés des Quatre-Vallées, de Nebouzan, de Lomagne ; de Gavardan (appartenant au vicomte de Béarn) ; la seigneurie de l'Isle en Jourdain.

L'évêque de Mende possédait le comté de Gévaudan ; les évêques de Lodève, d'Albi et de Cahors étaient comtes dans leurs diocèses : le premier depuis 1190, les deux autres depuis la guerre des Albigeois. La partie méridionale de l'Albigeois avait formé la seigneurie de Castres comme fief de la couronne au profit de Philippe de Montfort.

III. BASSIN DE L'AUDE ET DE L'HÉRAULT.

La vicomté de Narbonne et la seigneurie de Montpellier. Montpellier appartenait au roi d'Aragon, comme fief de l'évêque de Maguelonne[24] ; mais la ville de Montpellier avait les droits de commune les plus étendus, d'après sa grande Charte du 15 août 1204[25]. — L'évêque de Maguelonne possédait le comté de Melgueil ; les évêques d'Agde et de Lodève occupaient, à titre de comtes, tout ou partie de leurs diocèses.

Du côté de l'Est, nous l'avons dit, le Rhône, la Saône, la Meuse et l'Escaut étaient la limite tracée, depuis le traité de Verdun, entre ce qui fut la terre de France et la terre d'Empire ; mais les pays situés au delà de cette ligne, presque indépendants de l'Empire, étaient unis à la France par de nombreux liens : le Brabant, le comté de Namur, l'Ostrevant (Bouchain), le Hainaut au nord ; le comté de Bar et le duché de Lorraine au nord-est ; le comté de Bourgogne à l'est ; le Dauphiné du Viennois, et la Provence au sud-est[26].

 

Voilà dans ses traits principaux, non dans ses détails, le tableau de la France féodale ; la France dans son morcellement en fiefs et arrière-fiefs, mais aussi avec le principe qui devait constituer sa nationalité.

La maison de France, depuis Philippe Auguste, n'avait pas seulement acquis par ses domaines une supériorité en rapport avec son titre ; elle avait donné à ce titre toute sa valeur. Le roi avait véritablement groupé autour de lui et maintenu à leur rang, dans l'observation de leurs devoirs, les membres de la féodalité. Les seigneurs lui faisaient leur service et dans son ost et dans sa cour. C'est cette cour qui, composée plus solennellement des grands vassaux et des évêques au nombre de douze (six laïques et six ecclésiastiques[27]), avait formé la cour des pairs où le roi Jean avait été cité comme duc de Normandie et condamné faute de comparaître ; et depuis, les douze pairs n'y pouvant être très-régulièrement présents, d'autres barons y avaient été appelés avec eux et maintenus, malgré quelques protestations, même quand la question touchait les grands vassaux de la couronne. Les offices de la maison du roi. étaient devenus les principales charges de l'État : sénéchal, bouteiller, chambrier, connétable et chancelier ; les baillis institués par Philippe Auguste, quand la charge de sénéchal fut supprimée (1191) et au-dessous d'eux les prévôts, étendaient l'action de la justice et de l'administration du roi dans toutes les parties du domaine.

Secondé par cette administration, le pouvoir royal avait pu donner plus d'activité et de suite à ses rapports avec les différents ordres. De nombreuses transactions avaient resserré les liens des seigneurs et du roi ; et souvent des traités obligèrent tel ou tel d'entre eux à garantir la fidélité de quelques seigneurs du voisinage. Philippe Auguste s'était aussi attaché l'Église en lui faisant des donations, en confirmant ses privilèges, tout en recommandant aux baillis de veiller sur les empiètements de sa juridiction. Il trouvait enfin un appui sérieux dans les populations des villes ou des campagnes, en accordant des chartes de privilèges ou de libertés, même à de simples villages, et en se montrant en toute circonstance favorable à l'affranchissement des serfs[28]. Ainsi le pouvoir royal s'était plus fortement constitué, et par la supériorité de son administration il acquérait faveur jusque au delà des limites où il devait se contenir. Louis VIII, dans son règne de trois ans, n'avait pas laissé déchoir la puissance qu'il avait reçue de son père. Il l'avait accrue même, en donnant place aux grands officiers dans sa cour à l'occasion d'un procès où les pairs prétendaient avoir, seuls, droit de siéger ; introduction qui, sans porter atteinte à l'indépendance de la cour du roi, ne laissait point que d'y donner à l'autorité royale plus de garanties. Louis VIII avait pourtant compromis l'œuvre de Philippe-Auguste lorsque, par son testament, il distribua les principales acquisitions de la couronne en apanage à ses enfants : donnant au deuxième (Robert), l'Artois ; au troisième (Jean), l'Anjou et le Maine ; au quatrième (Alfonse), le Poitou et l'Auvergne[29]. C'était faire de la fécondité de la maison royale une calamité publique, mettre en question, à chaque règne, la puissance de la branche régnante, et, ce qui préoccupait moins, sans doute, alors les esprits, la formation de la nationalité. Le péril était encore éloigné, puisque ces princes n'étaient que des enfants : mais l'aîné n'était qu'un enfant lui-même. Qu'allait devenir avec un roi mineur l'œuvre des Capétiens ? C'est ce que nous allons voir par l'histoire du prince qui va prendre le rang de Louis IX, et que nous appelons saint Louis.

Avant d'aborder le récit, je crois utile d'offrir au lecteur quelques notions sommaires sur les principaux historiens dont le témoignage sera soumis à son appréciation.

Les principaux historiens de saint Louis sont publiés dans le tome XX du Recueil des historiens de France. Pour tous on consultera avec fruit la préface du volume et les notices mises en tête de chacun des auteurs.

Le premier, non dans l'ordre des temps, mais dans l'ordre de l'importance, c'est JOINVILLE. Jean, sire de Joinville, né vers 1224, avait déjà hérité de son père le titre de sénéchal de Champagne quand il assista, en 1241, avec le comte de Champagne son seigneur, à la cour plénière tenue par saint Louis à Saumur. C'est la première fois qu'on le voit en présence du saint roi. Il l'accompagna dans sa première croisade en Égypte, mais refusa de le suivre à Tunis. Il déposa dans l'enquête ouverte en 1282 pour sa canonisation, et après la canonisation (1297), il assista à la levée du corps. Tous ses souvenirs se seraient éteints avec lui, si la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel, qui était sa dame aussi, comme comtesse de Champagne, ne l'avait pressé de les mettre en écrit. Ce livre qui était fait pour elle, elle mourut avant de le recevoir (1305). C'est à son fils Louis que Joinville l'offrit en 1309, cinq ans avant que ce prince montât sur le trône. Il mourut lui-même en 1317. Ces pages, écrites dans sa vieillesse, conservent encore aussi vives et aussi fraîches les impressions qu'il avait reçues de la longue familiarité dont l'honora saint Louis. On fera plus ample connaissance avec lui dans cette histoire. Joinville a été l'objet d'un bien grand nombre de travaux depuis Ducange. Je renvoie particulièrement le lecteur aux préfaces et aux notices que M. Natalis de Wailly a mises en tête de ses deux éditions (1867 et 1874).

Le second rang appartient à GEOFFROI DE BEAULIEU, qui fut pendant vingt ans le confesseur de saint Louis ; qui l'accompagna à la croisade d'Égypte et partagea sa captivité ; qui le suivit encore à la croisade de Tunis, et recueillit son dernier soupir. Il écrivit son histoire à la demande de Grégoire X qui, élu pape en 1271 et sacré en 1272, songea, dès le commencement de son pontificat, à procéder aux informations pour la canonisation de saint Louis. On croit qu'il mourut après l'avoir rédigée, de 1273 à 1275. C'est l'histoire non des actes politiques, mais de la vie privée et des vertus de saint Louis. M. Natalis de Wailly en a démontré l'authenticité pour le livre entier contre des critiques qui l'avaient contestée pour plusieurs de ses chapitres ; et il porte ce jugement sur sa valeur : Geoffroi de Beaulieu a sur la plupart des chroniqueurs de son temps un avantage inappréciable : il ne copie personne. C'est un auteur original qui, par son naturel et sa simplicité, rappelle Joinville dont il se rapproche plus que tout autre[30].

GUILLAUME DE CHARTRES, chapelain de saint Louis avant la croisade de 1248, l'accompagna comme Geoffroi de Beaulieu en Égypte ; comme lui encore, il le suivit à Tunis et l'assista dans ses derniers moments. Il fut de ceux à qui fut donné le soin de rapporter ses ossements à Saint-Denis. Dans l'intervalle des deux croisades, il s'était fait dominicain. Il écrivit après Geoffroi de Beaulieu, pour compléter son histoire, sans sortir d'ailleurs du même ordre de faits, et lui aussi s'acquitta de cette tâche avant la canonisation du saint roi.

A ces deux derniers récits, il faut joindre comme ayant le même caractère la vie de saint Louis par le CONFESSEUR DE LA REINE MARGUERITE. L'auteur, dont le nom est inconnu, dit de lui-même qu'après avoir été pendant dix-huit ans confesseur de la reine Marguerite, il s'est attaché à la maison de la reine Blanche sa fille, mariée à l'infant de Castille, Ferdinand ; elle était revenue en France après l'avoir perdu en 1274. Il écrit après la canonisation du roi et paraît avoir puisé dans les documents de l'Enquête. Ces documents n'ayant pas été gardés, le livre en est d'autant plus précieux, et il a un autre intérêt encore : c'est que, comme l'histoire de Joinville, il est écrit en français.

Les histoires qui présentent la vie de saint Louis dans la suite des actes de son règne sont sorties de l'abbaye de Saint-Denis.

Ce n'est pas le lieu de reprendre, ni même de résumer ici les travaux qui ont été publiés récemment sur la composition des Grandes Chroniques. Pour nous en tenir aux textes qui peuvent servir à notre histoire, nous rappellerons qu'une rédaction de ces chroniques, comprenant le règne de saint Louis, existait avant sa canonisation (1297) et en latin et en français : tel était par exemple le romant ou récit français d'où Joinville déclare avoir tiré ce qu'il n'avait ni vu ni oui par lui-même ; et l'on a signalé une rédaction de cette nature et de cette date dans le manuscrit 2615 de la Bibliothèque nationale. La vie de saint Louis notamment avait été écrite par deux moines de Saint-Denis qui avaient mis à profit des rédactions déjà faites ou des documents tout préparés : Guillaume de Nangis et Primat.

GUILLAUME DE NANGIS, selon qu'il le déclare lui-même, se servit du récit de Geoffroi de Beaulieu (la confrontation est facile), et d'une histoire commencée par Gilon de Reims, dont il ne reste plus rien que dans son histoire. A la vie de saint Louis il joignit celle de Philippe le Hardi, et il dédia l'une et l'autre à Philippe le Bel. Ces deux récits, qu'il écrivit en latin entre l'avènement de Philippe le Bel et la canonisation de saint Louis, furent mis en français soit par lui, soit plus probablement par un autre après la canonisation, vers la fin du treizième siècle ; les deux textes sont imprimés parallèlement dans le tome XX des Historiens de France. PRIMAT avait aussi écrit en latin, et l'on croit qu'il avait traduit lui-même son récit en français avant la canonisation de saint Louis. Mais son œuvre eût été perdue si elle n'avait été un peu plus tard mise en partie à profit par un autre. Au quatorzième siècle, Jean du Vignay, ayant traduit le Miroir historial de Vincent de Beauvais, prit pour le continuer depuis 1250 le récit de Primat : et c'est cette traduction, récemment retrouvée en Angleterre par M. P. Meyer, qui va paraître dans le tome XXIII du Recueil des Historiens de France. On avait supposé d'abord, à cause des ressemblances des deux récits de Guillaume de Nangis et de Primat, que l'un était tiré de l'autre, et que Primat, comme Gilon de Reims, avait été copié par Guillaume de Nangis. Mais avec les ressemblances qui motivaient cette induction, il y a des différences qui la combattent. M. L. Delisle, dans un mémoire spécial sur les écrits de Guillaume de Nangis, les a fait ressortir et arrive à cette conclusion plus probable : que l'un et l'autre se sont servis d'une rédaction antérieure, tout en la modifiant par des informations personnelles et par un travail indépendant[31].

Après cette vie de saint Louis, Guillaume de Nangis a fait une chronique universelle depuis la création jusqu'au milieu du règne de Philippe le Bel. M. Léopold Delisle, par une étude attentive des manuscrits, a établi qu'il en avait fait deux rédactions ; l'une antérieure, l'autre postérieure à la canonisation de saint Louis : la première dont il n'y a qu'un manuscrit incomplet : la seconde qui en compte neuf à la Bibliothèque nationale, et dans ce nombre le manuscrit original de l'auteur lui-même, d'où tous les autres sont dérivés. C'est la seconde édition qui est publiée dans le tome XX des Historiens de France[32].

La Vie de saint Louis, de Guillaume de Nangis, a passé avec des modifications postérieures dans le corps des Grandes Chroniques, et c'est pourquoi les auteurs de ce recueil, pour éviter les répétitions, n'en ont produit que quelques extraits contenant des faits nouveaux au t. XXI de leur publication. Ils avaient donné au volume précédent, et à la suite de Geoffroi de Beaulieu, et de Guillaume de Chartres, un fragment d'un autre ouvrage écrit à Saint-Denis, fragment déjà publié par Duchesne sous le titre de Gesta sancti Ludovici noni Francorum regis, comme d'un moine anonyme de Saint-Denis. M. Léopold Delisle a soulevé le voile de l'anonyme et montré que l'abbé qui fit faire, du moins, s'il ne fit pas lui-même ce livre, est Gilles de Pontoise, abbé de Saint-Denis sous les règnes de Philippe le Bel et de Philippe le Long. C'est à Philippe le Long que l'ouvrage entier fut présenté[33]. Le fragment nous offre une histoire analogue à celle de Geoffroy de Beaulieu et de Guillaume de Chartres. C'est l'histoire des vertus, plus que du règne de saint Louis. Elle contient le texte des Enseignements du roi à son fils, sous la forme qui parait la plus rapprochée de celle de l'Enquête.

La chronique de Guillaume de Nangis, et les Grandes Chroniques de France, nous ont ramené à l'histoire générale. Dans cette classe de récits, il faut mettre au premier rang le Miroir historial de VINCENT DE BEAUVAIS, dominicain fort estimé de saint Louis, et dont ce prince encouragea les travaux. Sa chronique finit avec la captivité du saint roi, en 1250. Il faut y ranger aussi les diverses chroniques dont les extraits sont publiés aux tomes XX, XXI, XXII et XXIII des Historiens de France : GUILLAUME DE PUY-LAURENS, un des historiens de la guerre des Albigeois, dont la chronique se continue jusqu'à la réunion du comté de Toulouse au domaine royal (1272) ; GIRARD DE FRACHET, qui fournit très-peu à l'histoire de saint Louis ; la chronique faussement attribuée à BAUDOIN D'AVESNES, fils de la comtesse de Flandres, Marguerite ; GIRARD D'AUVERGNE, chanoine de Clermont, qui a résumé d'une façon bien sèche pour le temps de saint Louis et de Philippe le Hardi, un ouvrage plus étendu appelé Histoire figurale, aujourd'hui perdue ; ALBÉRIC DE TROIS-FONTAINES, ou plutôt le moine de Neumoutier (à Huy, province de Liège), dont la chronique, pour toute la dernière partie qui s'étend jusqu'en 1241, est placée faussement sous le premier nom ; BERNARD GUY OU GUIDONIS, évêque de Lodève en 1324, auteur de divers morceaux d'histoire ; la Grande chronique de Limoges et ses divers suppléments rédigés dans l'abbaye de Saint-Martin de cette ville ; la Chronique rimée de Philippe MOUSKET, bourgeois de Tournai, pris à tort pour Philippe de Gand, surnommé Mus, qui fut chanoine, puis évêque de Tournai ; la Chronique rimée, dite de Saint-Magloire, qui a le mérite d'être brève mais l'inconvénient de fournir bien peu de chose à notre histoire ; la branche des royaux lignages de GUILLAUME GUYART, l'une des plus verbeuses et des plus obscures des chroniques rimées ; la Chronique dite de Reims, plus destinée à l'amusement qu'à l'instruction, et qui pourtant renferme quelques traits curieux ; les Anciennes chroniques de Flandre, dont la compilation ne parait pas antérieure au quinzième siècle, mais qui nous donne sur la Flandre des documents empruntés à des auteurs contemporains ; JEAN DE COLONNE, dominicain, auteur d'une Mer des Histoires qui se termine malheureusement après le récit du mouvement des Pastoureaux (1251), et divers autres chroniques anonymes comprises dans cette période du Recueil des Historiens de France. Des notices, placées en tête, résument pour elles, comme pour les auteurs nommés, ce que l'on en peut savoir. Il me suffira d'y renvoyer quand j'aurai quelque témoignage à leur prendre.

Parmi les historiens étrangers, il en est un qui a le plus grand intérêt pour nous parce que l'histoire qu'il se propose plus particulièrement de raconter est perpétuellement mêlée à la nôtre : je veux parler de MATTHIEU PARIS, Anglais de naissance, appelé Paris, soit qu'il ait tenu ce nom de sa famille, soit qu'il l'ait pris ou reçu comme ayant étudié à Paris. Entré au monastère de Saint-Alban vers 1217, il fut chargé en 1236 de continuer la chronique commencée par Roger de Wendover sous le titre de Flores historiarum. En la continuant, il l'a reprise depuis le commencement en son nom, suivant l'usage du temps, la modifiant d'ailleurs selon son esprit, surtout depuis la Conquête. Il la voulait terminer en 1250. C'est à ce point qu'il la laissée d'abord ; mais il la reprit ensuite pour la continuer jusqu'en 1259, presque jusqu'à sa mort. C'est l'histoire publiée, en 1571, par l'évêque Parker, sous le titre de Chronica majora, réimprimée par William Wats (Londres, 1640) et qui a été traduite en français par Huillard-Bréholles. Dans l'intervalle, il avait fait faire sous ses yeux un abrégé de sa chronique dont le manuscrit, transporté plus tard de Sain t-Alban à Westminster, fut mis, par un oubli de son origine et un souvenir partiel du nom de l'auteur, sous le nom d'un prétendu Matthieu de Westminster ; il commença lui-même, en 1250, une autre histoire, l'Historia Anglorum, qu'il continua jusqu'en 1253 : histoire improprement appelée Chronica minora, et qui, avec un développement plus réduit, offre cependant des détails plus circonstanciés sur quelques faits et quelques personnages ; enfin, il composa une Abbreviatio chronicorum de 1100 à 1255, abrégé qui vient de paraître avec l'Historia Anglorum, publiée par Madden[34]. Nous empruntons ces détails à l'édition du savant éditeur. Nous ne saurions souscrire de la même sorte à ce qu'il dit de la sincérité de l'historien : à moins de reconnaître qu'elle peut s'allier avec la passion qui fausse les jugements de l'histoire ; à moins d'admettre que la faveur que lui témoigna Henri III dans la dernière partie de sa vie, et le désir d'offrir au roi son livre justifient le changement de ton que l'on remarque à l'égard du prince entre le premier et le second ouvrage du moine chroniqueur.

La même collection, dont fait partie cette édition de l'Historia Anglorum de Matthieu Paris, contient aussi un recueil de lettres du temps qui jettent beaucoup de lumière sur les événements de l'histoire d'Angleterre où le règne de saint Louis est intéressé, et notamment sur les affaires de Gascogne : Royal and other historical letters illustrative of the reign of Henry III (2 vol. in-8°, 1866). J'en ai tiré particulièrement une lettre de Henri III à Frédéric II, où il lui raconte à sa manière sa triste campagne de 1242, et je l'ai donnée en appendice à la fin du premier volume de cette histoire.

La grande collection de Pertz (Monumenta Germaniæ historica) renferme un assez grand nombre de chroniques où l'on trouve à contrôler ou à compléter nos propres historiens, notamment des chroniques italiennes qui nous donnent les relations de la France et de l'Italie, et celles de la papauté et de l'Empire. Sur ce dernier point, nous aurons perpétuellement à citer la grande publication de Huillard-Bréholles, Histoire diplomatique du règne de Frédéric II, six tomes en deux parties, in-4° (1852-1861). Nous trouverons aussi plusieurs documents dans les collections propres à l'Italie : Muratori, Rerum Italicarum scriptores ; la collection de Turin : Monumenta historiæ patriæ (1839-1848) ; celle de Florence : Archivio storico italiano, etc.

Mais il y a une chronique italienne qu'il faut citer en particulier, à cause du caractère de témoin oculaire qu'elle offre en plusieurs circonstances : c'est la Chronique de frère Salimbene de Parme, de l'ordre des frères mineurs, publiée dans les Monumenta ad provincias Parmensem et Placentinam pertinentia (Parme, 1857, grand in-4°). Salimbene, né à Parme en 1221, était entré à quinze ans dans l'ordre des frères mineurs. Sa vie, qui se prolongea jusqu'à la fin du treizième siècle, se passa surtout en missions et en voyages ; et sur la route il recueillit mille renseignements qu'il consigna à diverses époques dans sa chronique ; car on peut voir, à la façon dont il parle de saint Louis, qu'il la rédigea avant et après la mort, avant et après la canonisation du roi. Il l'a vu lui-même à Sens quand il partait pour la croisade de 1248. Il en a gardé une impression si vive, il l'a reproduite d'une façon si originale, que je crois utile de traduire aussi à peu près intégralement ce passage en appendice à ce premier volume.

Les chroniques imprimées trouvent un précieux complément dans les chartes déposées aux Archives. Cette source abondante d'informations se trouve aujourd'hui déjà mise plus facilement à la portée de tous par la publication des Layettes du trésor des Chartes, commencée par Teulet et continuée par d'habiles archivistes, sous la surveillance éclairée du Directeur des Archives nationales ; publication importante dont le troisième volume atteindra les dix dernières années de saint Louis.

Bien longtemps avant cette publication, les principales de ces pièces, et beaucoup d'autres, avaient été signalées et mises en œuvre par Le Nain de Tillemont dans son Histoire de saint Louis, travail admirable non-seulement pour le temps où il a été fait, mais dans tous les temps. C'est un grand charme pour un ami de l'histoire, que de trouver dans ce beau livre tous les faits recueillis avec une patience infatigable, et classés à leur date précise par une méthode qui tire de sa simplicité même sa clarté. Cette plénitude d'informations, où se complait l'érudit, n'a pas, il faut le reconnaître, le même attrait pour le public. Les grandes lignes de l'histoire le frappent moins dans ce détail infini où elles se confondent ; mais ceux qui cherchent à les en dégager n'en sont pas moins redevables à Tillemont, et le savant disciple et ami de Nicole aura toujours comme un droit d'auteur sur leurs travaux. C'est parce qu'on a un pareil guide près de soi que l'on marche avec plus de sécurité dans la composition.de cette histoire, et alors même qu'on n'accepte pas ses jugements on est toujours tributaire de son érudition.

J'aurais à faire toute la bibliographie d'une époque si je voulais indiquer ici les ouvrages que doit consulter l'homme curieux de connaître saint Louis et son temps. Entre les histoires modernes de saint Louis, il en est une que je citerai particulièrement : c'est celle de M. Félix Faure, étude consciencieusement faite, à laquelle je renverrai plus d'une fois le lecteur.

 

 

 



[1] Plusieurs chroniqueurs notent volontiers que par son mariage avec Isabelle ou Élisabeth de Hainaut, issue des Carlovingiens, Philippe Auguste avait transmis à ses descendants les droits des deux races. (Gesta Phil. Aug. et Gesta Ludov. octavi ap. Duchesne, Script., t. V, p. 258 et 285 b ; Bernard Guidonis, dans les Historiens de France, t. XXI, p. 694 b.) L'auteur des Gesta Phil. Aug. rappelle que, du reste, le sang de Charlemagne se retrouvait déjà dans Hugues Capet.

[2] Blanche de Castille était née en 1187 d'Alfonse IX, roi de Castille, et d'Éléonore, fille de Henri II, roi d'Angleterre. Son union avec Louis, fils de Philippe Auguste, avait été une des clauses de la paix conclue par Jean sans Terre avec Philippe Auguste. Éléonore de Guyenne, aïeule de Blanche, l'amena elle-même en France, où le mariage fut célébré.

[3] Pour les prétentions de l'Empire dans les régions de l'Escaut, voy. Huillard-Bréholles, Histoire diplomatique de Frédéric II, introduction, p. CCLXXXI-CCLXXXIV ; sur le Lyonnais, voy. un article de M. Bonnassieux, dans la Bibl. de l'École des Charles, t. XXXV (1874) ; sur le Vivarais, voy. la note ajoutée par M. Longnon à la grande et belle édition de Joinville publiée par M. N. de Wailly chez MM. Didot, et la carte jointe à cet ouvrage. Nous reviendrons tout à l'heure sur ce savant travail.

[4] Sur l'origine de la doctrine des Albigeois, voy. C. Schmidt, Histoire et doctrine des cathares, t. II, notes 1 et 2 à la fin du volume.

[5] Voy. sur leur mission vraiment apostolique, Pierre de Vaux-Cernay, dans le Recueil des Historiens de France, t. XIX, p. 7.

[6] Philippe Auguste se plaignit, dit-on, au pape de cette dépossession du comte de Toulouse comme d'une atteinte à la suzeraineté de la couronne dont ses fiefs relevaient. Le roi fit du reste bon accueil à Simon de Montfort quand il vint lui faire hommage. Tillemont, t. I, p. 67 ; D. Vaissette, Hist. du Languedoc, l. XXII, § 103, t. III, p. 285, et M. F. Faure, Vie de saint Louis, t. I, p. 59.

[7] Sur l'empressement d'un certain nombre de villes et de seigneurs, mais surtout du clergé, à aller par des adresses au-devant de la domination du roi de France, voy. les pièces citées par Teulet, Layettes du trésor des Chartes ; t. II, n° 75 et suiv., et par M. Boutaric, Saint Louis et Alfonse de Poitiers, p. 37.

[8] Portas civitatis præclaudunt, Regi tamen cum paucis transitum permittentes, aut haberet transeundi sub rupe, via arctissima, optionem, Guill. de Puy Laurens, ch. XXXV, dans les Historiens de France, t. XIX, p. 216 d.

[9] D'autres chroniques, peut-être pour justifier la conduite du roi de France, parlent d'embûches que les Avignonnais lui avaient tendues. Voy. Tillemont, t. I, p. 390.

[10] Chron. Turon., dans les Historiens de France, t. XVIII, p. 317, a, b. Guill. de Nangis (ibid., t. XX, p, 544) dit à l'Assomption (15 août).

[11] Usque ad ipsius negotii consummationem vel quandiu in negotio [rex] laborbit (Paris, janvier 1225). Teulet, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 1742. Nous aurons souvent l'occasion de renvoyer à ce précieux recueil dont deux volumes ont été publiés par le regrettable Teulet, et qui se continue, sous la surveillance du directeur des Archives, par de jeunes archivistes dignes de leur prédécesseur.

[12] Voy. D. Vaissette, Hist. du Languedoc, l. XXIV, §§ 13-21, p. 355-360.

[13] Louis VIII, pendant son expédition, établit déjà des sénéchaux à Carcassonne et à Beaucaire (D. Vaissette, Histoire du Languedoc, l. XXIX, §§ 18 et 21, p. 359-360).

[14] Pour cette description de la France féodale, je renvoie à la carte dont M. Longnon a enrichi le Joinville de M. N. de Wailly (éd. Didot), et à la savante note qui l'explique et la complète en y joignant les détails historiques propres à déterminer les limites de chaque fief (p. 559 et suiv.). Pour les maisons qui les occupaient, on sait les ressources que présente l'Art de vérifier les dates. Il ne faut pas oublier que tel grand seigneur, soit, pour en nommer un, le comte de Champagne, était feudataire de tel ou tel évêché compris dans sa province, Reims et Langres par exemple, en raison des domaines qu'il tenait de l'évêque.

[15] Le comté de Clermont, acquis en 1218 par Philippe Auguste des héritiers de Thibaut IV, comte de Blois par son père et de Clermont par sa mère, et donné cette année même à Philippe Hurepel ; le comté de Dammartin, un des fiefs de l'ancien comte de Boulogne, rendu au même Philippe Hurepel, son gendre, en 1223. Une fille de Philippe Hurepel hérita du comté de Clermont, et épousa Gaucher de Châtillon qui périt en Égypte (1250). Elle mourut la même année et le comté échut au roi.

[16] Ces deux comtés avaient été également confisqués en châtiment de la participation du comte d'Aumale à la révolte de la Flandre. Marie avait obtenu la restitution du Ponthieu, moyennant la cession de Doullens et de Saint-Riquier qui furent unis à l'Amiénois ; Simon ne recouvra Aumale qu'en 1230.

[17] Alix, comtesse d'Eu, avait épousé Raoul de Lusignan, dit d'Issoudun ; en 1227, Raoul succéda à sa mère. Sa fille et son héritière épousa le fils de Jean de Brienne, roi titulaire de Jérusalem, Alfonse de Brienne, dit d'Acre, compagnon de saint Louis dans sa première croisade, et qui mourut devant Tunis le même jour que le roi. — Le comte de Soissons était en 1226 Raoul de Nesle, et depuis 1237 Jean II de Nesle, cousin de Joinville.

[18] Coucy, la Fère, Marles et Vervins.

[19] Le fils de Guignes V, qui était comte en 1226, Guignes VI, épousa Mathilde ou Mahaut Ire, comtesse de Nevers, mais leurs intérêts restaient séparés. Voy. les accords conclus entre eux, 25-février 1239 et décembre 1242 (Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2768 et 3004). Le comte de Forez accompagna saint Louis dans sa première croisade et fut blessé devant Damiette.

[20] Avant d'épouser Jean, Isabelle avait été fiancée à Hugues IX, père de Hugues X, et non, comme on l'a cru, à Hugues X qu'elle épousa plus tard. Voy. L. Delisle, Bibl. de l'École des Charles, 4e série, t. II, p. 514.

[21] Diocèses de Bordeaux, de Bazas, d'Oloron, de Lescare, d'Aire, et partie des diocèses de Bayonne et de Tarbes.

[22] Vicomtés de Maman, de Béarn, de Soule ; comté de Bigorre, seigneurie d'Albret.

[23] Avant la guerre des Albigeois, Raymond VI possédait : 1° le duché de Narbonne ; 2° le domaine direct des comtés particuliers de Narbonne, Nîmes, Uzès, Béziers, Agde et Lodève ; 3° le comté de Toulouse comprenant toute la province ecclésiastique de ce nom ; 4° les comtés particuliers d'Albigeois, de Quercy, de Rouergue, en Aquitaine, et la suzeraineté de plusieurs pays de Gascogne ; 5° le Vivarais, dans la province de Vienne ; à quoi il faut ajouter le marquisat de Provence, comprenant une grande partie du pays situé entre la Durance, l'Isère, le Rhône et les Alpes. (Voyez D. Vaissette, Hist. du Languedoc, l. XXIII, § 64, t. III, p. 325.)

[24] Voy. l'hommage rendu à l'évêque de Maguelonne par le roi d'Aragon pour Montpellier, le 16 décembre 1236 (Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 2470 et 2471).

[25] Voy. A. Germain, Histoire de la Commune de Montpellier, t. ch. IV, p. 53 et suiv.

[26] La cité basse de Marseille fut donnée pour la vie au comte de Toulouse par les Marseillais, le 7 novembre 1230 (Layettes du Trésor des Chartes, t. II, n° 2079). Il y eut pour leurs possessions respectives de fréquentes contestations entre le comte de Toulouse et le comte de Provence pendant le règne de saint Louis. La maison de Provence était une branche de la maison d'Aragon.

[27] Les six pairs laïques étaient originairement les ducs de Normandie, d'Aquitaine, de Bourgogne, et les comtes de Flandre, de Champagne et de Toulouse (les deux premières pairies appartenaient donc alors au roi d'Angleterre) ; les six pairs ecclésiastiques étaient l'archevêque de Reims et les évêques de Laon, de Langres, de Noyon, de Châlons-sur-Marne et de Beauvais.

[28] Nous reviendrons sur toutes ces matières en traitant du gouvernement de saint Louis, au t. II de cette histoire.

[29] Voyez son testament (juin 1225) dans Teulet, Layettes du trésor des Chartes, t. II, n° 1710. Le cinquième fils, Charles, ne reçut point d'apanage étant destiné à entrer dans les ordres. Plus tard, Jean étant mort, Charles lui fut directement substitué, le comté de Poitou restant à Alfonse comme le portait le testament.

[30] Mémoires de l'Acad. des inscriptions et belles-lettres, t. XV, 2e partie, p. 419.

[31] Voyez sur cette question des Chroniques de Saint-Denys ce qu'ont publié MM. Lacabanne (Bibl. de l'École des Chartes, 1re série, t. II (1840), p. 57 ; Paulin Paris, dans la préface de son édition des Grandes chroniques de France (1836) ; Paul Viollet et Natalis de Wailly (Bibl. de l'École  des Chartes, 3e série, t. V (1869), t. XXXIII (1872) et t. XXXIV (1874) et le Mémoire de M. Léopold Delisle sur les ouvrages de Guillaume de Nangis dans les Mém. de l'Acad. des Inscrip., t. XXVII, 2e partie.

[32] Léopold Delisle (mémoire cité). Guillaume de Nangis a fait de plus une chronique abrégée des rois de France qui ne nous est point parvenue en latin, mais qui est restée en français sous deux formes : l'une abrégée qui est la traduction faite par l'auteur ; l'autre amplifiée souvent à l'aide des Grandes Chroniques (Ibid. p. 342 et suiv.). — Ce qui regarde saint Louis dans la première tient une page dans le Recueil des Historiens de France, t. XX, p. 650.

[33] L. Delisle, Notice sur un recueil historique présenté à Philippe le Long par Gilles de Pontoise, abbé de Saint-Denis, dans les Notices et extraits des manuscrits, t, XXI, 2e partie, p. 249 et suiv.

[34] Dans la collection des Rerum Britannicarum medii ævi scriptores, publiée sous la direction du maître des Rolls, 3 vol. in-8°, 1866-1869.