Recherches nouvelles sur l’histoire ancienne

 

 

CHAPITRE PREMIER. — Période des rois juifs.

LE TABLEAU ci-dessous, dressé fidèlement d’après le texte du Livre des Rois, démontre à trois époques diverses ; prises dans la liste des rois de Samarie et celle des rois de Jérusalem, des discordances de corrélation qui ne devraient pas exister ; car, certains -règnes devant commencer et finir ensemble à une même date selon le texte, les sommes d’additions devraient être les mêmes à l’époque où on les compare. Par exemple, dans la colonne des rois de Samarie, Section 1ère, ces princes comptent 3 ans de plus que ceux de Juda... Dans la 2e, une année seulement ; et dans la 3e, ils ont 23 ans de moins.

CHRONOLOGIE

ROIS DE JUDA

 

ROIS D'IRAËL

Section première

 

Section première

 

 

Saül

omis

hors

 

 

 

 

 

 

 

David

40

du

 

 

 

 

 

 

 

Salomon

40

compte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

R. I, 14, 21

 

Roboam

17

ans

 

R. I, 14, 20

 

Jéroboam I

22

ans

15, 2

 

Abia

3

 

 

15, 25

 

Nadal

2

 

15, 10

 

Asa

41

 

 

15, 35

 

Raza

24

 

22, 42

 

Josaphat

28

 

 

16, 8

 

Éla

2

 

R. II, 8, 17

 

Joram

8

 

 

16, 15

 

Zamry 7 j.

 

 

8, 26

 

Okosia

 

 

 

16, 23

 

Amri

12

 

 

 

 

 

 

 

16, 29

 

Achab

22

 

 

 

 

 

 

 

22, 52

 

Ochosias

2

 

 

 

 

 

 

 

R. II, 3, 1

 

Joram

12

 

 

 

Total

95

 

 

 

 

Total

98

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Section II

 

Section II

11, 3

 

Athalie

6

 

 

10, 28

 

Jehu

28

 

12, 1

 

Joas

40

 

 

13, 1

 

Joakas

17

 

14, 2,17,23

 

Amasis

14

 

 

13, 10

 

Joas

16

 

 

 

Total

60

 

 

 

 

Total

61

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Section III

 

Section III

 

 

Amasias

 

 

 

14, 41

 

Jéroboam II

41

 

 

 

continua

15

 

 

15, 8

 

Zacharie - 6 m.

 

15, 2

 

Osias

52

 

 

15, 13

 

Sellum - 1 m.

 

15, 33

 

Joethan

16

 

 

15, 17

 

Manahem

10

 

16, 2

 

Achaz

16

 

 

15, 23

 

Phakée I

2

 

18, 6

 

Éséqiah

6

 

 

15, 27

 

Phakée II

20

 

 

 

 

 

 

 

17, 1

 

Osée

9

 

 

 

Total

105

 

 

 

 

Total

82

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Éséqiah

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

continua

23

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Manassé

55

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Amon

2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Josias

31

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ihoukas - 3 m.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ihouakim

11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ihouakin - 3 m.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sédéqiah

10

6 m.

 

 

 

 

 

 

 

 

Total

133

ans

 

 

 

 

 

 

Les deux premières différences sont des bagatelles que l’on peut expliquer et faire disparaître, en fondant ensemble les années premières et dernières de quatre ou cinq princes successifs ; mais les 23 ans qui se trouvent en excès de la part des rois de Juda n’admettent pas de palliatifs. Les chronologistes ont composé de gros volumes sur ce problème, sans pouvoir le résoudre, parce que posant comme principe fondamental l’infaillibilité de chaque texte, il leur devient impossible de concilier ce qui est manifestement contradictoire. Non seulement les textes se contrarient dans les résumés additionnels, ils se contrarient encore, presque à chaque verset, dans les comparaisons respectives des règnes ; par exemple, un texte dit (Reg. II, chap. 14, v. 23). L’an 13 d’Amasias, roi de Juda, Jéroboam II devient roi d’Israël, et l’an 15 de ce Jéroboam, Amasias termine un règne de 29 ans. (ibid. V, 7.)

Donc Ozias, fils d’Amasias, lui succéda et régna l’an 16 de Jéroboam, et cependant le texte dit (chap. 15, vers. 1er), que ce fut l’an 27. Quelques chronologistes veulent trouver ici un interrègne qui aurait retardé le couronnement d’Ozias ; mais celte hypothèse est détruite par l’expression formelle d’un passage qui dit : Amasias étant mort, le peuple prit Ozias, dit Azarias, son fils, âgé de 16 ans, et il l’établit roi. (Ibid., ch. 14, v. 21).

Cette faute de 27 ans se corrige en l’attribuant au copiste, qui aurait dû écrire 17 : mais immédiatement après, une autre faute semblable se reproduit ; car Jéroboam II ayant régné 41 ans, dont 15 ans du temps d’Amasias ; il lui en doit rester 26 sur le règne d’Ozias ; par conséquent, Zakarie, fils de Jéroboam lui succède l’an 27 (pour 28) d’Ozias, et cependant le texte dit l’an 38 (Reg. II, ch. 15, v. 8). Ce n’est pas tout ; la confusion est telle dans ces comparaisons de règne à règne, que par suite de dates énoncées, un prince se trouve engendrer à l’âge de 10 ans.

(Reg. II, c. 16 v. 2) : Achaz, fils de Joathan, lui succède âgé de 20 ans ; et il en règne 16 ; donc il vécut 36 ans... Son fils Ézéqiah lui succède âgé de 25 ans. Donc, Achaz aurait été père à 11 ans ; et eût engendré à 10 ans ; ce qui en histoire serait si étrange, qu’on en eût sûrement fait le remarque.

Il faut en convenir de bonne foi, presque toutes les dates comparées du Livre des Rois sont inexactes, et leur inexactitude forme un système tellement lié, qu’on ne saurait l’attribuer tout entier à la négligence des copistes...... Il est bien plutôt l’ouvrage du rédacteur même, qui composa cet extrait abrégé des archives officielles après le retour de Babylone. Nous n’entrerons pas dans les détails fastidieux et peu importants de tous les articles : nous nous bornerons à proposer pour les 23 ans de la Section III, deux corrections qui l’a redressent presque entièrement.

La première de ces corrections, admise déjà par plusieurs chronologistes, porte sur le règne d’Ozias, qui a reçu 10 ans de trop par suite d’une phrase équivoque, et, qui a compté 52, au lieu de 42. Le texte dit[1], qu’après plusieurs années d’un règne glorieux, Ozias, surnommé Azarias, fut frappé de la lèpre ; qu’il la garda jusqu’à sa mort ; et que (selon la loi) il vécut séparé dans une maison écartée. Pendant ce temps Joathan, son fils, jugea le peuple à sa place [dans le palais du roi[2]]. En style hébraïque, juger c’est régner : ainsi Joathan régna à la place de son père encore vivant. Et combien de temps jugea-t-il ? et auquel du père ou du fils le temps de ce règne a-t-il été compté ? Plusieurs critiques ont fait cette question ; en la répétant après eux, nous pensons que ce temps équivoque fut de 10 années, et que c’est lui qui, compté au père et au fils, a introduit un quiproquo de 10 ans ; qui se montre partout. L’état primitif et vrai est qu’Azarias régna 42 ans seul, et 10 ans, avec son fils : total 52. Joathan régna 6 ans seul et 10 avec son père : total 16. Mais pour ne l’avoir pas, distingué, le rédacteur s’est jeté dans un dédale de contradictions : ces 10 ans et ces 6 ans sont si bien le nœud de la difficulté et le vrai moyen de solution, que sans cesse on les voit reparaître, dans l’analyse, et la décomposition des règnes : ce sont ces 10 ans qui ont occasionné la fausse date de l’avènement d’Ozias, placé à l’an 27 de Jéroboam au lieu de l’an 17 (ci-dessus.). Ce sont eux qui ensuite ont réagi sur Zacharias, et l’ont fait succéder à Jéroboam l’an 38 au lieu de l’an 28 d’Ozias. Ce sont encore ces 10 ans qui, soustraits à l’âge de Joathan, âgé de 35 ans au lieu de 25, quand il règne avec son père, lui font engendrer à 16 ans, au lieu de 26, son successeur Achaz, qui à son tour resserré de ces 10 ans, engendra à 10 ans au lieu de 20. En rétablissant le règne d’Ozias seul à 42, et celui de Joathan, son fils, à 16, dont 10 du vivant d’Ozias, tout rentre dans l’ordre ; mais il reste encore aux rois de Juda un excès de 13 ans.

Ici l’autorité du célèbre manuscrit alexandrin, que nous verrons par la suite restituer au règne d’Amon, fils de Josiah, 10 ans qui lui ont été mal à propos enlevés, nous fournit le moyen d’en regagner 8 sur le règne de Phakée Ier ; car au lieu de 2 ans que les textes vulgaires donnent à ce prince, fils de Manahem ce manuscrit lit 10 ans. Cette même lecture se trouve dans Eusèbe (Chronicon, page 24) et, qui plus est, dans le Syncelle (page 202). Cette fois-ci il la préfère à celle d’Africanus, qu’il remarque ne donner que 2 ans à ce prince (comme le texte hébreu). Par conséquent beaucoup de manuscrits grecs des plus anciens se sont accordés à donner 10 ans à Phakée Ier ; ce qui restitue 8 ans de plus à la branche d’Israël, et ne lui laissé plus qu’un déficit de 5 ans, où plutôt de 3 ans et demi vis-à-vis celle de Juda ; et parce que les deux premières sections d’Israël ont un excès de 4 ans, il se trouve que les trois sommes additionnées et compensées donnent 249 ans ; ce qui ne diffère que d’une seule année de la somme des rois de Juda, laquelle est de 250 :

Après ces diverses corrections, si nous calculons la durée totale des rois de Juda ; depuis l’an premier de David jusqu’à l’an dernier de Sédéqiah, nous trouvons 473 ans.

Et parce que le temple fut fondé l’an 4 de Salomon, c’est-à-dire, 43 ans révolus depuis l’an Ier de David, et qu’il fût incendié l’an 19 de Nabukodonosor, nous avons pour la durée de cet édifice, 473 moins 43 = 430 ans.

Ici se présentent quelques réflexions dictées par le sujet. Comment concilier, par exemple, les hautes idées que l’on à voulu se faire de l’origine et de la nature de ces livres juifs avec l’inexactitude, les négligences, les fautes matérielles de leur rédaction ? et ces vices l’on ne peut les mettre tous à la charge des copistes : si les calculs eussent été clairs et bien ordonnés ; si les sommes partielles eussent été contrôlées par une addition résumée, les copistes n’eussent point commis tant de divagations. Ce désordre de la Chronique des Rois est une preuve sensible qu’aucune autorité publique n’a présidé à sa confection ; qu’elle m’est point un ouvrage officiel ; mais le travail volontaire d’un on de plusieurs individus, sans caractère authentique, et dont le nom, par cela même, n’a point été apposé. Il est facile de concevoir comment les choses ont pu se passer. Tant que la puissance nationale subsista, les registres royaux, cités dans la Chronique, furent tenus avec plus du moins d’exactitude, et il y eut des annales régulières et authentiques ; mais quand les étrangers eurent violé le trône et brisé le sceptre ; lorsque le roi d’Égypte, Nekos, maître de Jérusalem, eut déposé le roi et fouillé lé trésor ; lorsque le roi de Babylone, surtout, eût enlevé les vases, les ornements, pillé tous les genres de richesses et de monuments conservés ; lorsqu’il eut déporté toutes les principales familles, on sent que dans la dévastation d’une ville prise d’assaut, d’un palais saccagé, d’un temple brûlé, la conservation des livres fût un soin secondaire, abandonné au zèle personnel et gratuit de quelque lettré, et par suite livré à tous les hasards qu’un où plusieurs individus courent au milieu des calamités d’une guerre terrible.... Nombre de livres durent être vendus, brûlés, dispersés. Au retour de la captivité, tout débris échappé au naufrage devint puis précieux ; mais des manuscrits volumineux et dispendieux durent exciter peu d’intérêt, et trouver peu d’amateurs dans une nation ignorante et ruinée. Il fallut que le sort suscitât quelque individu qui, réunissant le goût de la chose et les moyens d’exécution, fit l’abrégé ou l’extrait que nous possédons : quels furent ses matériaux et quel fut son art d’en user ? Voilà ce dont on ne, peut juger que par l’induction de ce qui nous reste. Si cet individu eût été un homme de marque comme Esdras, il eût été connu et cité ; si ses matériaux eussent été complets et passablement en ordre, il n’eût eu qu’à les classer ; s’il eût eu l’esprit méthodique et la critique nécessaire à éclaircir les difficultés, il eût rédigé son travail, avec une clarté qui n’eût pas permis tant de divagations aux copistes. Par exemple, s’il eût exprimé la durée positive du règne de Saül, cette durée se trouverait-elle en lacune dans tous les manuscrits sans exception et dans toutes les versions, à commencer par la version grecque sous Ptolémée ? et s’il eût exprimé la durée totale des rois de Jérusalem, éprouverions-nous les variantes et les discordances où nous la voyons flotter ? Cette omission capitale, est la cause de tout le désordre de leur liste, en même temps qu’elle semble l’effet de l’hésitation et de l’incertitude du compilateur, qui n’a osé prononcer. Des copies premières ayant été faites de son manuscrit, ses premiers lecteurs eu auront fait la remarque : l’on aura fait quelque calcul, quelques recherches ; une opinion orale se sera établie entre les docteurs ; quelque savant aura coté sur sa copie la somme qu’il aura crue vraie.... : Supposons 473 : par le laps du temps, par les effets des guerres et la dispersion des Juifs, cette, tradition se sera perdue.... Quelques docteurs auront trouvé de l’équivoque dans le texte réellement vague qui est relatif au règne d’Ozias et à l’association de son fils.... Les uns auront compté les 10 ans de l’association en dehors ; les autres, en dedans du règne du père un surplus de 10 ans se sera introduit ; une branche de manuscrits aura compté 483 ; une autre branche soutenant le nombre 473, l’on aura voulu retirer les 10 ans de trop, et la soustraction sera tombée sur le règne d’Amon, fils de Josias, ainsi que nous le verrons ; ces variantes doivent être très anciennes, puisque nous les trouvons dans la version grecque de Ptolémée et dans l’historien Josèphe, dont les contradictions semblent tenir à là diversité des manuscrits qu’il a consultés et suivis, en exceptant néanmoins l’opinion qui lui fut imposée par la Synagogue asmonéenne dont il fut membre. Ces contradictions ne sont pas sans quelque résultat’ utile dans notre question ; mais pour. en saisir le fil il est nécessaire : de remonter au règne de Saül.

La durée de ce règne, telle que l’énoncé le texte hébreu, est absolument inadmissible.

Saül [dit ce texte[3]] était âgé d’un an lorsqu’il régna, et il régna deux ans. D’abord nous observons que le texte mot à mot ne dit pas d’un an, mais de .... an, laissant le nombre en lacune ; et il n’est pas permis de traduire un sans le mot ahad, qui l’exprime. La première de ces données est si choquante, que personne n’a osé la défendre au sens littéral ; quelques interprètes ont recouru à des sens mystiques et allégoriques qui ne signifient rien. La seconde est si contraire à tout l’historique du règne de Saül, qu’il est incontestable qu’une altération, ou plutôt une lacune existe ici dans le texte. Or, telle est l’antiquité de cette lacune, que la version grecque d’Alexandrie n’osant admettre deux données si absurdes a préféré de supprimer le verset entier. Aucun manuscrit grec connu n’y supplée, et ceci fait peu d’honneur à l’exactitude des prétendus 70 docteurs : pour remplir l’omission et surtout pour corriger l’erreur seconde, les chronologistes ont invoqué deux écrivains juifs ; l’un est l’historien Fl. Josèphe, qui dans ses Antiquités judaïques, dit[4] : que Saül régna 18 ans du vivant de Samuel, et 22 ans après la mort du prophète.... Par conséquent, Saül aurait régné 40 ans ; mais plusieurs graves objections s’élèvent contre cette donnée ; tous les critiques sont d’accord que les manuscrits de Josèphe ont subi des altérations considérables dans leurs chiffres, de la part des copistes qui y ont porté des motifs de piété. Or, dans le cas présent, outre que les manuscrits dans l’idiome grec sont trop peu nombreux pour faire autorité, nous avons la version latine que le prêtre Rufin, ami de saint Jérôme, fit du texte grec de Josèphe, vers le temps du concile de Nicée ; et cette version, qui sert de contrôle à nos manuscrits actuels, les dément ici.... car elle porte : Saül régna 18 ans du vivant de Samuel et 2 ans (seulement) après la mort de ce prophète ; ce qui ne fait en tout que 20 ans.

De plus, Josèphe dans un autre passage[5] des mêmes manuscrits grecs, corrige l’erreur des 22 ans, lorsque, récapitulant la durée des rois de Jérusalem, il dit : Et ces rois régnèrent pendant un espace de 514 ans, 6 mois, 10 jours, sur lesquels Saül, premier roi, mais qui ne fut point du sang de David, régna 20 ans. La version de Rufin porte les mêmes nombres de 514 et 20 : par conséquent les 22 du premier passage sont évidemment une erreur ; ou plutôt une altération du copiste, qui a eu un motif que nous allons bientôt voir.

On peut demander où, Josèphe a puisé cette instruction : nous ne dirons pas, dans les écrits des Juifs de son temps, qui furent très ignorants ; mais nous pensons qu’ici et dans plusieurs autres cas, il a emprunté d’un historien grec qui paraît avoir été bien instruit de ce qui concerne les Juifs. Cet historien est Eupolème, qu’il cite avec éloge dans son livre contre Apion[6], et dont Eusèbe, parmi plusieurs fragments[7], cite celui-ci : Eupolème dit que Saül mourut vers la 21e année de son règne, que David régna 40 ans, etc. .... Eupolème nous est désigné comme la source où Alexandre Polyhistor puisa la plupart de ses récits sur les Assyriens et sur les Juifs ; et Alexandre Polyhistor ayant vécu du temps de Sylla, il s’en suit qu’Eupolème a pu vivre un siècle avant lui ; et comme il paraît avoir beaucoup voyagé ; il aura visité Alexandrie, y aura conversé avec des docteurs juifs qui, dans ce foyer de la traduction grecque, exécutée peut-être un siècle avant eux, ont pu avoir recueilli de bonnes traditions ou des notes marginales tirées de manuscrits anciens. Toujours est-il vrai que les fragments d’Eupolème portent un cachet particulier d’instruction sur les Juifs. Quant à la durée totale des rois de cette nation, que nous évaluons à 473 ans, non compris Saül, et à 493 en y ajoutant ce prince, cette somme ne diffère de celle du texte hébreu, qu’en ce qu’il ôte au roi Amon 10 ans que nous verrons lui appartenir dans l’article des Assyriens, et qu’il double les 10 ans premiers de Joathan que nous simplifions ; cette identité autorise à croire que notre calcul est l’ancien et véritable ; et il semble avoir été celui de l’historien Josèphe, en écartant les altérations et les contradictions de ses principaux passages. Par exemple, sa liste détaillée que nous présentons dans le tableau ci-joint, donne, selon la traduction latine de Rufin, un total de 492 ans ; et si l’on compte pour 40 ans Joas qu’il ne compte que pour 39, l’on a juste 493 ans.

CHRONOLOGIE DE JOSÈPHE

ROIS JUIFS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Selon le texte vulgaire

Selon Josèphe

Résultat corrigé

Texte grec

Traduction de Rufin

Saül

 

ans

20

ans ou 40

20

ans

20

 

David

40

 

40

 

40

 

40

 

Salomon

40

 

80

vécut 94

40

vécut 94

40

 

Roboam

17

 

17

 

17

 

17

 

Abia

3

 

3

omis

3

 

3

 

Asa

41

 

41

 

41

 

41

 

Iosaphat

25

 

25

 

25

 

25

 

Ioram

8

 

8

 

8

 

8

 

Ochozias

1

 

1

 

1

 

1

 

Athalie

6

 

6

tuée à la 7e

6

 

6

 

Joas

40

 

40

 

39

ou 40

40

 

Amazias

29

 

29

 

29

 

29

 

Ozias

52

 

52

 

52

 

42

 

Ioathan

16

 

16

 

16

 

16

 

Achaz

16

 

16

 

16

 

16

 

Ézéqiah

29

 

26

 

29

 

29

 

Manassé

55

 

55

 

55

 

55

 

Amoun

2

 

2

 

2

 

12

 

Iosias

31

 

31

 

31

 

31

 

Iochaz

 

3 m.

 

3 m. 10 j.

 

3 m. 10 j.

 

3 m. 10 j.

Ioaquim

11

 

11

 

11

 

11

 

Ioakin

 

3 m.

 

3 m.

 

3 m.

 

3 m.

Sédéqiah

10

5 m.

11

 

11

 

10

5 m.

 

473

 

533

6 m.

492

6 m.

493

 

 

 

 

ou

 

 

 

 

 

 

 

 

553

 

 

 

 

 

 

 

 

514

 

 

Il est vrai que sa liste grecque diffère beaucoup puisqu’elle compte 533 ans, Saül n’étant porté que pour 20.... Mais il y a erreur manifeste sur Salomon, qu’il porte pour 80, et qui, selon tous les textes, n’a que 40 ans. Supprimez ces 40 de 533, il vous reste 493, nombre vrai.

Nous avons vu que dans un autre passage Josèphe donne aux rois[8] de Jérusalem 514 ans de durée, y compris les 20 de Saül : voilà une contradiction palpable avec les 533 de sa liste grecque, et un excès de 20 ans sur les 493 de sa liste latine. N’est-il pas à croire qu’ici il a compté Salomon pour les 40 ans qui lui appartiennent, mais que les copistes ont ajouté à Saül les 20 ans nécessaires à compléter les 40 qu’ils ont voulu établir ? Alors cette altération serait antérieure à Rufin même, et l’on voit quels embarras des copistes infidèles jettent dans les textes des écrivains. Eh ! comment cette audace n’aurait-elle pas existé dans des temps de barbarie, et dans le secret des copies écrites à la main, quand de nos jours Havercamp a osé introduire dans son édition imprimée, une altération choquante, un faux matériel, en écrivant 522 dans sa traduction latine, au lieu de 532 que porte le grec imprimé à coté[9] !

Le second écrivain invoqué par les chronologistes pour soutenir les 40 ans de Saül, est l’auteur des Actes des Apôtres. Cet anonyme fait dire (ch. XIII) à saint Paul, haranguant dans Antioche de Pisidie, que Dieu ayant livré à nos pères le pays de Canaan, leur donna des juges pendant environ 450 ans jusqu’à Samuel ; puis, lorsqu’ils lui demandèrent un roi, il leur donna Saül pendant 40 ans.

Ces deux nombres ont causé beaucoup d’embarras aux écrivains ecclésiastiques, parce que le premier est en contradiction formelle avec le Livre des Rois, qui dit que depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la fondation du temple, il ne s’écoula que 480 ans. Saint Paul en supposerait plus de 570 ; et parce que le second ne se trouve dans aucun autre livre canonique, l’on ne conçoit pas d’où saint Paul l’a tiré. Cette difficulté, traitée théologiquement, nous paraît réellement insoluble ; mais si nous l’examinons selon les principes naturels et généraux de la critique historique, nous demanderons, d’abord quel est cet auteur des Actes, inconnu de temps et de lieu ; quelles preuves fournit-on de l’authenticité de son livre, de l’époque même où il a paru, de la présence de son auteur au discours de saint Paul, de son exactitude à recueillir et à coter les nombres donnés par l’Apôtre ? et parce que l’on ne peut rien répondre de satisfaisant à toutes ces questions, nous disons que ces nombres reposent uniquement sur la garantie personnelle d’un inconnu, sans date ni titre ; que ces 450 ans résultent d’une manière d’évaluer le temps des juges que nous exposerons à leur article ; et, que les 40 ans de Saül semblent venir de la même source talmudique que les 80 ans de Salomon, système de doublement dont il existe encore d’autres exemples : néanmoins nous ne dirons pas que l’anonyme ait copié Josèphe ; au contraire, nous sommes persuadés que c’est pour se conformer à ce passage des Actes des Apôtres, que les copistes dévots ont altéré, celui de Josèphe, où le grec porte 22 au lieu de 2. Quoi qu’il en soit de l’origine de ces fautes, une analyse exacte de la vie de Saül achèvera de démontrer que ce prince n’a pu et dû régner que 20 ans, et non pas 40.

David avait trente ans lorsque après la mort de Saül il commença de régner à Hébron (Samuel, lib. II, c. V). Il dut en avoir au moins 20 lorsqu’il fut présenté à ce roi pour combattre le géant ; car lorsque Saül lui représente qu’il est jeune, tandis que son rival est un homme fait et expérimenté[10], David lui répond que déjà il a de ses mains étranglé un ours et un lion. Et peu auparavant l’officier, qui le recommande à Saül, avait dit que David était un jeune homme grand et fort[11], propre à la guerre ; ce qui ne saurait se dire d’un jeune garçon de 15 ou même de 18 ans. De là il s’ensuit que David vécut environ 10 ans, avec Saül ; donc Saül a dû commencer son règne 10 années auparavant ; et lorsqu’on lit attentivement son histoire, depuis les chapitres VIII et IX, l’on est convaincu, que ces 10 années ont suffi à tous les événements qui sont : 1° la guerre contre Nahas, roi des Ammonites, guerre qui fut la cause de l’élection de Saül : Au bout d’un mois, est-il dit (ch. XI), il marche au secours de la ville de Iabès, bat les Ammonites ; et parce que sa première élection avait eu des opposants, Samuel profite de l’enthousiasme des Hébreux vainqueurs pour sacrer Saül une seconde fois...[12] Après cette guerre d’une seule campagne, vient celle des Philistins, où, dès le début, son fils Jonathas se montre un guerrier aussi vigoureux que brave, ce qui comporte au moins 20 ans : par conséquent Saül, quand il régna, dut avoir au moins 41 ans ; et si le texte actuel nous dit qu’il était âgé de 1 an ; c’est sûrement parce que le premier chiffre 4 a disparu, et qu’originairement il y avait 41. Cette première donnée, qui se fonde sur des faits positifs, exclut les 40 ans de règne ; car Saül aurait eu 8o ans lorsqu’il périt, tandis que le récit de sa mort le représente encore comme un guerrier plein de vigueur, et peint son fils Jonathas (qui aurait dû à cette époque avoir 60 ans), comme un homme d’environ 40 ans qui venait d’avoir un enfant (Miphiboseth). Ajoutez que Nahas, ce roi ammonite contre qui marche Saül, ne meurt que vers l’an 12 ou 15 de David (lib. II, c. X), en sorte qu’il eût régné plus de 55 ans, chose presque impossible dans un siècle où pour être roi, il fallait être déjà un homme de guerre. La guerre des Philistins occupe un ou tout au plus deux étés (ch. XIV) ; Saül, pour s’affermir, laisse tranquilles les Philistins trop puissants ; mais pour tenir son peuple en haleine, il attaque 1° les Moabites, 2° les Ammonites, 3° les Iduméens, tous peuples pasteurs assez faibles ; 4° les Syriens de Soba (au nord de Damas, vers Halep) ; puis il revient aux Philistins, et enfin à son expédition contre les Amalékites, par suite de laquelle l’impérieux Samuel le disgracie et sacre le jeune David. Or, si l’on fait attention qu’alors chez les Hébreux organisés à la manière des Druses de nos jours, il n’y avait point de troupes soldées subsistantes, mais que la guerre se faisait par convocation et levée en masse à chaque printemps, qu’elle ne durait ordinairement qu’une campagne, et n’était qu’une incursion de pillage pour récompenser les combattants ; ces six ou sept guerres n’ont pu emporter plus de 9 à 10 ans, et par conséquent Josèphe paraît avoir eu raison de n’évaluer le règne total de Saül qu’à 20 années. Or, comme réellement c’est vers la fin de son règne qu’arrive la mort de Samuel[13], tout concourt à prouver la vraisemblance des assertions de l’historien juif.

Les douze années de judicature qu’il attribue à Samuel, sont également très probables, car supposons que ce prophète soit mort à 70 ou 72 ans, il aura abdiqué de 52 à 54 ; à cette époque (ch. XII), Samuel demandant au peuple assemblé un témoignage solennel de la pureté de sa gestion, il dit qu’il a les cheveux déjà blancs pour un homme d’État, usé d’affaires et de soucis depuis sa jeunesse, cette circonstance convient à cet âge. Ce serait donc vers 40 ou 42 qu’il aurait commencé de juger, et cela à l’époque de l’assemblée de Maspha. Or, 20 ans et 7 mois avant cette assemblée, avait eu lieu la bataille d’Aphek[14], où lés Philistins prirent l’arche, tuèrent les deux fils d’Héli ; qui lui-même périt en apprenant ces désastres. Samuel à cette époque aurait eu environ 20 ans ; et réellement lorsque l’on compare avec attention divers faits de sa jeunesse contenus dans les premiers chapitres ; lorsqu’on examine avec défiance par quelles manœuvres habiles et secrètes, il parvint à supplanter la famille d’Héli ; comment les vexations des enfants de ce grand-prêtre leur ayant suscité un parti ennemi, ce parti jeta ses vues sur Samuel pour les écarter du sacerdoce ; comment un homme inspiré de Dieu, et protecteur secret du jeune Samuel, fit d’abord des remontrances à Héli, et lui annonça que Dieu écarterait sa maison du sacerdoce pour y placer un étranger qui serait l’objet de l’envie de sa famille ; comment peu de temps après, Samuel prétendit avoir entendu la voix de Dieu qui lui tint exactement le même discours[15], comment cette apparition ébruitée le fit regarder comme l’élu de Dieu et le successeur désigné d’Héli ; enfin lorsque l’on considère dans tout le cours de sa vie, combien son caractère fut impérieux, dissimulé et jaloux de puissance, l’on pensera que dans l’anecdote de la vision du chapitre III, il joua un rôle habile et profond qui exige au moins l’âge de 20 ans.... Chez les Juifs, où il fallait 30 ans pour être sacrificateur, il fut encore trop jeune pour remplacer le grand-prêtre ; mais il employa ce temps à se faire des partisans et à augmenter son crédit contre la famille puissante d’Héli : quand il se crut assez fort, il leva l’étendard à Maspha, âgé alors de 40. Dix ans après, vers l’âge de 50, il établit ses deux fils juges en une petite ville, pour accoutumer le peuple à leur obéir, et il put déjà avoir des enfants de 25 ans ; mais leurs prévarications ayant excité des murmures, son ambition fut déçue ; et il fallut que malgré lui il nommât un roi, d’où il résulta, dans l’organisation politique des Hébreux, un changement tout à fait semblable à celui qui, au Japon, substitua le Cubo au Daïri ; c’est-à-dire, que tout le pouvoir exécutif passa de la main des prêtres aux mains laïques et militaires.

LISTE CHRONOLOGIQUE DES ROIS

JUDA

 

SAMARIE OU ISRAËL

 

 

 

Av. J.-C.

 

 

 

 

Av. J.-C.

Saül règne

20

ans

1078

 

 

 

 

 

David

40

 

1058

 

 

 

 

 

Salomon

40

 

1018

 

 

 

 

 

Roboam

17

 

978

 

Jéroboam I règne

22

ans

978

Abia

3

 

961

 

 

 

 

 

Asa

41

 

958

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nadab

2

 

956

 

 

 

 

 

Baaza

24

 

954

 

 

 

 

 

Éla

2

 

930

 

 

 

 

 

Zamri, 7 j.

 

 

 

 

 

 

 

 

Amri

12

 

928

Iosaphat

25

 

918

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Achab

22

 

916

 

 

 

 

 

Ochosias

2

 

894

Ioram

8

 

892

 

Ioram

12

 

892

Ochozias

1

 

884

 

 

 

 

 

Athalie

6

 

883

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jehu

28

 

880

Joas

39

 

877

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ihouhakaz

17

 

852

Amasias

29

 

838

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Iohaz

16

 

835

 

 

 

 

 

Jéroboam II

41

 

820

Ozias règne seul

(42)

 

806

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Zakarie, 6 mois

 

 

779

 

 

 

 

 

Sellum, 1 mois

 

 

 

 

 

 

 

Manahem (tributaire de Phul, roi d'Assyrie)

10

 

778

 

 

 

 

 

Phakée I

10

 

768

Iothan règne seul 6ans

16

 

767

 

 

 

 

 

Et du vivant d'Ozias 10 ans

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Phakée II

20

 

758

Achaz

16

 

751

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hoshée (appelle Seva, rois d'Égypte)

9

 

738

Ézéqiah

29

 

735

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prise de Samarie par Salmanasars, et ruine du royaume d'Israël, l'an 6 d'Ézéquiah, roi de Juda

 

 

730

Manassé

55

 

706

 

 

 

 

 

Amon

(12)

 

650

 

 

 

 

 

Josias

31

 

638

 

 

 

 

 

Ioachaz, 3 mois

 

fin

609

 

 

 

 

 

Ioaqim

11

 

608

 

 

 

 

 

Ioakin, 3 mois

 

fin

598

 

 

 

 

 

Sédéquiah

10

5 m.

597

 

 

 

 

 

Ruine de Jérusalem

587

 

 

 

 

 

Incendie du Temple

586

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE II. — Durée des Juges.

NOUS VENONS d’obtenir, pour la durée totale des rois hébreux, y compris Saül, une somme de 493.

Si nous la joignons à celle de 586, écoulée depuis la ruine du temple de Jérusalem jusqu’à nôtre ère, nous aurons, pour première année de Saül, l’an 1079.

Alors la judicature de Samuel, évaluée à 12 ans, aura commencé l’an 1091.

Quant à celle d’Héli, si l’on considère que ce grand-prêtre était en place dès avant la naissance de Samuel ; que déjà ses enfants étaient des hommes faits, ayant des enfants, et que les diverses autorités s’accordent à lui donner 78 ans quand il mourut ; l’on regardera comme probable et convenable le nombre de 40 ans que le texte hébreu assigne à sa judicature. Héli aura donc commencé de gouverner l’an 1131 av. J.-C.

De combien d’années cette date est-elle postérieure à Moïse ! Ici se présentent de grandes difficultés ; car dans cette période de temps, que l’on nomme les Juges, nos deux seuls guides et autorités sont le livre de ce nom, et le livre dit Josué. Or, le récit de ces deux livres sur la durée et la succession des juges est si vague ; leur calcul des sommes partielles d’années est si contradictoire avec le résultat de l’addition totale, et avec le résumé du Livre des Rois, qu’il est impossible d’en déduire une série régulière et fixe de temps. Les chronologistes avouent ce déficit, mais ils n’avouent pas également là conséquence qui en résulte et qui est qu’au-dessus d’Héli, il y a interruption, fracture absolue dans le système juif, de manière que tous les événements antérieurs à ce grand prêtre flottent dans le vague et ne sont classés que par conjecture. Notre attention constante étant de donner au lecteur, non pas notre opinion propre, mais les moyens d’établir la sienne nous allons lui offrir, dans un tableau raccourci et sous un coup d’œil facile, tous les passages chronologiques des Livres de Josué et des Juges, en le prévenant qu’il a besoin de beaucoup de patience et d’attention dans cette discussion aride et compliquée qui nous a coûté encore plus de peine qu’à lui.

TABLEAU DE LA DURÉE DES JUGES

Moïse

ans

 

Josué

 

Temps omis

Une génération

 

Josué, chap, dernier, et Juges, chap. Ier.

Servitude sous Kusan

8

Juges, c. 2.

Finie par Othoniel. Paix de

40

Josué, c. 15, v. 16 ; Juges, c. 3, v. 11

Servitude sous Eglon

18

Juges, c. 3, v. 14.

Finie par Aod. Repos de

80

Ibid., v. 30.

Samgar

 

Temps omis

Servitude sous Jabin

20

Ibid., c. 4, v. 3.

Finie par Débora. Repos de

40

Ibid., c. 5, v. 32.

Servitude des Madianites

7

Ibid., c. 6, v. 1.

Finie par Gédéon qui juge

40

Ibid., c. 8, v. 28.

Abimélek

3

Ibid., c. 9, v. 22.

Thola

23

Ibid., c. 10, v. 2.

Iaïr

22

Ibid., v. 3.

Servitude sous les Philistins et les Ammonites

18

Ibid., v. 8.

 

319

ans

Jehté, juge

6

Ibid., c. 12, v. 7.

Abesan

7

Ibid., v. 9.

Ahialon

10

Ibid., v. 11.

Abdon

8

Ibid., v. 14.

 

31

 

Servitude sous les Philistins

40

Ibid., c. 13, v. 13.

Temps de Samson

20

Juges, c. 16, v. 31 ; c. 14, v. 4.

Temps d'Héli

40

Samuel, lib. I, c. 4, v. 18.

Samuel

 

Temps omis

Saül

2

 

David

40

 

Salomon

3

 

 

495

 

L’on voit dans ce tableau, que l’addition des sommes partielles donne une durée totale de 495 ans ; et cependant, outre le temps inconnu de Samagar, il faut encore porter en compte celui de Moïse (40) ; celui de Josué, et de la génération des Vieillards qui jugèrent après lui. Supposons pour ces deux objets 30 années : plus 40 pour Moïse = 70 ; plus 12 pour Samuel et 18 pour Saül, autre 30, total 100. Nous avons depuis la sortie d’Égypte jusqu’à l’an 4 de Salomon, exclusivement, une durée totale de 595 ans.

Ce résultat authentique, et qui ne peut se nier, chagrine beaucoup les chronologistes catholiques et même protestants, parce qu’il est en contradiction formelle avec deux autorités non moins infaillibles pour eux que les Livres des Juges et de Josué. La première est celle de l’anonyme auteur des Actes des Apôtres, qui dit, chapitre XIII :

Le Dieu de nos pères supporta leurs maux au désert durant l’espace d’environ 40 ans....

Après cela, pendant environ 450 ans, il leur donna des juges jusqu’à Samuel le prophète.

Ayant ensuite demandé un roi, Dieu leur donna Saül pendant 40 ans. (Actes, chap. XIII, v. 18.)

D’abord, dans les deux premières sommes, les mots environ doivent paraître singuliers : ils donnent à penser que l’auteur n’était pas sûr de son calcul.

Ensuite, si nous calculons depuis Josué jusqu’à Samuel ; nous trouvons bien réellement 450 ans.

Ici nous avons la preuve matérielle que l’auteur inconnu des Actes, des Apôtres n’a pas eu d’autres monuments ni d’autres documents que les. nôtres ; mais. son calcul n’en est pas moins erroné, en ce qu’il ne compte rien pour Josué, ni pour les Vieillards, ni pour Samagar, dont les temps réunis exigent au moins 30 ans, et feraient 480 ans. Or, si cet auteur s’est trompé dans le premier calcul, nous avons droit de conclure qu’il n’a pas plus d’autorité dans celui sur Saül... ; et nous avons démontré plus haut qu’à cet, égard il est en erreur positive. Son calcul total, pris depuis Moïse jusqu’à la fondation du temple, en excluant, Josué, les vieillards et Samuel, supposera une durée de 573 ans. Et si nous ajoutons 42 pour ces trois articles omis ; cet auteur admettrait une durée totale de 615 ans.

La seconde autorité contradictoire aux résultats des Juges et de Josué, est celle, du rédacteur des Rois, qui résumant le temps écoulé depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la fondation du temple par Salomon, dit que cet intervalle fut de 480 ans. Cette autorité est d’autant plus grave, que, selon l’opinion commune et raisonnable, la rédaction des Rois fut faite peu après le retour de la captivité, et que l’auteur quelconque eut à cette époque plus de moyens de s’éclairer qu’aucun autre écrivain postérieur.

Cependant, en n’admettant avec le texte hébreu que deux ans pour Saül ; en tenant pour nuls Moïse, Josué, les Vieillards et Samuel, nous avons 495 ans, auxquels on ne peut refuser de joindre les 40 de Moïse ; total 535. Il y a excès de 55 sur ses 480.

Il faut donc que le rédacteur des Rois ait tiré son calcul d’une autre source, ou qu’il ait fait des réductions sur les nombres de notre liste ; et en effet nous en trouvons une saillante exprimée formellement par le Livre des Juges ; l’auteur rapportant le message de Jephté au roi des Ammonites, cite ces propres paroles de leur dialogue ; Jephté dit[16] :

Pourquoi attaquez-vous Israël ? le roi répond : Parce qu’Israël revenant d’Égypte, a usurpé mes terres depuis l’Arnon jusqu’au Jourdain.

Eh ! pourquoi, reprit Jephté, n’avez-vous pas fait cette réclamation depuis 300 ans ? Il y avait donc 300 ans écoulés depuis la dernière année de Moïse jusqu’à la première de Jephté ; et si la citation est exacte, Jephté a du être mieux instruit du fait qu’on ne l’a été depuis. Néanmoins la liste des Juges présente 319 ans, et toujours avec l’omission du temps de Josué et des Vieillards, ce qui donne un total de 349. Or, l’on ne saurait dire que Jephté ait compté 300 en nombres ronds, quand il y a un excès de 49 ; ce surplus a donc été réduit d’une manière quelconque. Pour opérer cette réduction ; les chronologistes disent, que les 12 tribus du peuple hébreu étant répandues et comme dispersées en deçà et au delà du Jourdain, aux frontières de peuples divers, une même judicature, une même servitude n’a pas eu lieu simultanément pour toutes ; mais que les temps de divers juges et de diverses servitudes ont couru parallèlement, et que par erreur ils ont été comptés doubles.

Cette explication est admissible ; elle trouve même sa preuve dans le texte du chapitre 4 ; car il y est dit qu’après la mort d’Aod, le peuple retomba en servitude : or comme il est impossible qu’Aod ait jugé, c’est-à-dire gouverné 80 ans, il est très probable que la servitude indiquée fut celle que subit la Galilée de la part de Iabin, roi de Hatsour ; dont le temps aura couru dans les 80. Mais cette solution admise, il reste encore un excès de 29 ans sur les 300 de Jephté.

On a dit également que Samson ne fut point un juge général[17], mais un héros local dont les exploits eurent pour théâtre le pays des Philistins ; que par conséquent l’oppression des Philistins pendant 40 ans, englobe les 20 de Samson, et que peut-être elle fut la même qui durait encore au temps d’Héli. Alors ces 40 ans engloberaient 3 sommes qui séparément en donnent 100 ; et si l’on retirait les 60 en excès, plus les 20 de Iabin, on aurait 80 ans à soustraire de 565[18], ce qui produirait 485 ans, très voisins des 480 de la Chronique des Rois ; mais il faudra restituer les 12 ans de Samuel, les 20 de Saül ; ce qui ajoute 32 à 485 = 517 ; et de plus, rien ne prouve que les 40 ans des Philistins soient identiques à la judicature d’Héli : au contraire, une lecture attentive du texte indique à la fois fracture de récit, et lacune de faits entre Abdon et Héli. Cette lacune, au lieu d’être restituée, se trouve confirmée par l’incohérence du Livre des Juges avec celui de Samuel, qui devrait en faire suite, et dont le début n’a aucune liaison avec ce qui précède...... Desvignoles[19] convient expressément que le dernier verset de l’histoire de Samson fait la clôture réelle du Livre des Juges ; car, ajoute-t-il, la plupart des savants reconnaissent, avec l’historien Josèphe (Ant. Jud., lib. V, cap. 12), que les cinq derniers chapitres des Juges, qui traitent des anecdotes de Michas, du lévite d’Ephraïm et de la guerre de Benjamin, doivent être rapportés au temps qui suivit immédiatement Josué : sur quoi nous observons que si l’anecdote de Michas et des 600 hommes de Dan se place à cette époque, comme il est plausible par quelques circonstances, il faut aussi y reporter l’histoire de Samson qui s’y lie par un trait que nous citerons. Il serait trop long de présenter l’analyse entière du Livre des Juges ; mais tout lecteur qui voudra l’examiner avec attention, se convaincra, comme nous, que cette compilation est un assemblage incohérent de quatre morceaux parfaitement distincts.

Le premier morceau, qui s’étend depuis le chapitre Ier jusques et compris le chapitre 16, est proprement l’histoire des Juges. Cet historique est si mal ordonné, si confus, que débutant par ces mots : Après la mort de Josué, etc., l’auteur répète sans raison l’anecdote de Caleb, qui arriva du vivant de ce juge ; puis il introduit, dans le chapitre 2, une assemblée générale présidée par Josué ; puis encore, copiant presque mot à mot les versets 28, 29, 30 et 31 du chapitre dernier, de Josué, il entre en matière sur les Juges, comme s’il ne faisait que commencer.

Le second morceau débutant par ces mots : En ce temps-là il y eut un homme d’Éphraïm nommé Michas, etc., comprend les chapitres 17 et 18, et contient l’anecdote du lévite enlevé par 600 hommes de la tribu de Dan, qui allèrent s’établir à Laïs : or cette anecdote n’a de liaison apparente avec le temps d’aucun juge ; seulement, comme il est dit que ces 600 hommes émigrèrent du canton d’Estaol et de Saraa, par la raison qu’ils n’avaient reçu aucun lot dans le partage général des terres, l’on a droit d’inférer, comme l’a fait l’historien Josèphe, que leur aventure arriva peu de temps après la mort de Josué ; et alors ce morceau se trouve très mal placé à la fin des Juges, chap. 17 et 18.

Le troisième morceau est l’anecdote du lévite d’Ephraïm, dont l’outrage à Gebaa devint la cause d’une guerre civile, dans laquelle la tribu de Benjamin se fit exterminer[20] presque entière pour soutenir le crime atroce commis par six de ses membres. Or cette anecdote, qui n’a aucune date, ne se lie pas plus avec l’histoire des Juges que celle de Ruth qui la suit.

Enfin le quatrième morceau est l’histoire de Samson, dont l’époque n’est point indiquée : seulement, comme il est dit, chapitre 18, verset dernier, que Samson commença d’être saisi de l’esprit de Dieu, lorsqu’il était au camp de la tribu de Dan, entre Estaol et Saraa ; ce rapport avec l’anecdote des 600 hommes de la tribu de Dan (second morceau), autorise à placer Samson peu de temps après la mort de Josué ; ce qui est très différent de l’opinion vulgaire. Or, nous le répétons, tout lecteur impartial qui scrutera avec soin ces divers récits, vagues, décousus, et sans date, reconnaîtra que leurs auteurs ont été divers ; que très probablement ils n’ont été ni témoins, ni contemporains des faits, mais qu’ils les ont rédigés après coup sur des traditions populaires ; qu’à une époque plus tardive, un compilateur également inconnu recueillit ces morceaux, et en fit l’assemblage confus que l’on nomme Livre des Juges. Une note insérée dans l’histoire du prêtre, Michas et des 600 hommes de Dan, indique que ce fut depuis l’établissement des rois.

Or, en ce temps-là, est-il dit trois fois (chapitre 17, v. 6, et chap. 18, v. 1er et v. 31), il n’y avait pas de roi en Israël. »

Donc, faut-il conclure, il y avait un roi lorsque l’auteur écrivait ; donc la compilation n’a point précédé Saül, mais a pu se différer longtemps après lui. Une autre note insérée dans le morceau premier (l’historique propre des Juges), indique qu’elle aurait été faite même après le règne de Salomon ; car il est dit, chap. 1er, v. 6 :

Les enfants de Benjamin ne tuèrent point les Jébuséens qui habitaient Jérusalem, et les Jébuséens ont demeuré à Jérusalem avec Benjamin jusqu’à ce jour.

Or, il est fait mention des Jébuséens comme habitant encore Jérusalem au temps de David, qui sur la fin de son règne acheta l’aire du Jébuséen, Arana[21], située non loin de son palais ; et sous Salomon, on les cite encore comme payant le tribut. (Reg., lib. I, chap. 9, v. 20.)

A la suite de cette note et dans le chapitre 2, verset 16, les résumés généraux que l’écrivain fait de l’état de la nation pendant toute la période des juges, sont une autre preuve qu’il a écrit tard, par conséquent plus de 400 ans après Josué, et 100 ans au moins après les événements confus qui précédèrent la judicature d’Héli.

Maintenant nous demandons sur quels documents, d’après quels monuments a-t-il pu écrire ? quelles archives, quelles annales a-t-il pu avoir ? s’il en a eu, pourquoi tout est-il si vague, si confus ? Pour répondre à ces questions, il faut considérer que tout l’espace de temps appelé période des Juges, se passe dans une anarchie orageuse, violente, pendant laquelle les Hébreux, féroces et superstitieux comme des Ouahabis, ne cessèrent d’être agités de guerres civiles ou étrangères ; il faut considérer, que ce petit peuple, divisé en tribus indépendantes et jalouses, subdivisées en familles aussi indépendantes, était une démocratie turbulente de paysans armés, mus plutôt que gouvernés par des bramines avides et par des inspirés fanatiques...... ; que dans ce temps de guerres perpétuelles et de l’ignorance qui en est la suite, l’art d’écrire, sans encouragement, sans estime, était difficile et rare, et que le peu d’instruction existante était concentré dans les familles lévitiques. A raison de ce genre de vie orageuse et précaire, personne n’avait le loisir ou l’intérêt de s’occuper ni du passé ni de l’avenir ; par conséquent il ne dut se composer aucun livre historique : faute de gouvernement central, il ne dut pas même exister d’autres archives publiques que la succession des pontifes. Ce ne fut que sous le règne de David que commença de s’organiser un état de choses plus régulier, plus calme, plus propre à la culture des esprits : alors il y eut une chancellerie, des archives, et l’on put s’occuper d’histoire : alors, et mieux encore sous Salomon, purent être faites quelques recherches sur le passé ; et puisqu’à cette époque l’on ne trouva ou l’on ne produisit rien de mieux que ce que nous avons dans les deux ouvrages intitulés Josué et les Juges, nous avons le droit de conclure, 1° qu’aucune archive authentique et régulière n’avait été composée ; 2° que les Livres de Josué et des Juges sont uniquement des productions littéraires d’écrivains inconnus, sans autorité publique ; telles que les chroniques de nos moines aux 8e, 9e et 10e siècles, où, parmi plusieurs faits historiques, se sont glissés des récits entièrement fabuleux.

Ce dernier caractère se montre avec évidence dans les aventures bizarres de Samson ; plusieurs critiques, qui ont déjà fait cette remarque, se sont accordés[22] à voir dans ce personnage l’Hercule de la mythologie. Hercule est l’emblème du Soleil, le nom de Samson signifie Soleil : Hercule était représenté nu[23], portant sur ses épaules deux colonnes appelées portes de Cadix ; Samson est dit avoir enlevé et porté sur ses épaules les portes de Gaza. Hercule est fait prisonnier par les Égyptiens, qui veulent le sacrifier ; mais tandis qu’ils se préparent à l’immoler, il se délie et les tue tous[24] : Samson, garrotté de cordes neuves par des gens armés de Juda, est livré aux Philistins, qui veulent le tuer ; il délie les cordes et tue 1000 Philistins avec la mâchoire d’âne. Hercule (soleil), se rendant aux Indes (ou plutôt en Éthiopie), et conduisant son armée par les déserts de la Libye[25], éprouve une soif ardente et conjure Ihou, son père, de le secourir dans ce danger ; à l’instant paraît le Bélier (céleste) ; Hercule le suit et arrive à un lieu où le Bélier gratte du pied ; et il en sort une source d’eau (celle des Hyades ou de l’Éridan.) : Samson, après avoir tué 1000 Philistins avec la mâchoire d’âne, éprouve une soif violente ; il supplie le Dieu Ihou d’avoir pitié de lui ; Dieu fait sortir une source d’eau de la mâchoire d’âne.

Les habitants de Carseoles, ancienne ville du Latium, chaque année, dans une fêté religieuse, brûlaient une quantité de renards avec des torches liées à la queue ; ils donnaient pour raison de cette bizarre cérémonie, qu’autrefois leurs blés avaient été brûlés par un renard auquel un jeune homme avait lié sur la queue une botte de paille allumée[26]. C’est bien là le conte de Samson avec les Philistins, mais c’est un conte phénicien. Car-Seol est un mot composé de cet idiome, signifiant ville des Renards ; les Philistins, originaires d’Égypte, n’ont point eu de colonies connues : les Phéniciens en ont eu beaucoup ; et l’on ne peut guère admettre qu’ils aient emprunté ce conte des Hébreux, aussi obscurs que les Druses de nos jours ; ni qu’une simple aventure ait donné lieu à un usage religieux : on voit que ce ne peut être qu’un récit mythologique et allégorique, tel que nous l’indiquons dans la note ci-dessus.

Ceux qui, comme les savants du 16e siècle, veulent que les païens aient calqué les hébreux, peuvent dire que Samson a servi de modèle à tous ces contes ; mais aujourd’hui que nos idées se sont étendues et rectifiées sur l’antiquité, et qu’Hercule nous est bien connu pour être le dieu Soleil[27], dont l’histoire allégorisée fut répandue chez tous les peuples longtemps avant qu’il fût question des Hébreux, nous avons droit de croire et de dire que quelque Juif, lévite ou autre, a composé l’anecdote de Samson, en défigurant les traditions populaires des Phéniciens, soit pour s’en moquer, soit pour attribuer ce héros à sa propre nation.

 

CHAPITRE III. — Secours fournis par Flavius Josephus.

CES REMARQUES ne résolvent pas notre problème de la durée des Juges. Quelques chronologistes ont eu recours, pour cet effet, à l’historien Josèphe ; il est bien vrai que Josèphe, à raison du temps où il vécut, de sa qualité de prêtre, de son éducation plus soignée, plus libérale que celles des autres Juifs, de sa vie publique, de ses liaisons, de ses lectures à Rome, où il finit ses jours ; il est bien vrai que Josèphe a eu des moyens d’instruction sur l’histoire de sa nation, plus étendus qu’aucun historien ; mais nous avons vu que ses manuscrits ont été considérablement altérés, et que la critique de cet auteur, d’ailleurs très crédule ; n’est ni ferme ni scrupuleuse. Où a-t-il puisé les harangues qu’il prête aux rois, aux grands-prêtres juifs, même aux patriarches ? D’où a-t-il tiré tant de circonstances sur les actions, l’âge, la vie des princes juifs avant Sédéqiah ? et cela, sans jamais citer ni indiquer de monuments à lui particuliers ; en suivant, au contraire, toujours la trace des livres que nous avons, et qu’il paraphrase et commente quelquefois avec une licence qui touche à l’inexactitude. Il est clair que Josèphe, élevé dans l’idiome grec, sous le gouvernement romain, ayant passé la dernière partie de sa vie dans Rome (vers la fin du premier siècle de notre ère), a imité le goût et les mœurs de cette époque ; et s’est permis d’introduire dans son récit des détails de convenance et d’ornement empruntés peut-être des traditions, ou imaginés par lui-même. Ce n’est cloue qu’avec réserve et discussion que l’on peut user de son autorité : faisons-en un nouvel essai dans le sujet présent.

Cet auteur nous fournit, sur la durée des juges, quatre passages principaux, dont les calculs comparés ne se trouvent pas exactement les mêmes ; mais l’un d’eux est accompagné d’un fait qui semble authentique et qui peut nous devenir utile.

Avant les rois, nous dit-il, les Hébreux avaient été gouvernés par des juges pendant plus de 500 ans, depuis la mort de Moïse et du général Josué[28].

Effectivement, Desvignoles[29] trouve ces 500 ans dans un tableau des juges, qu’il dresse, dit-il, suivant Josèphe ; mais, outre qu’il interposé Tholah et ses 23 ans, dont Josèphe ne dit pas un mot, et qu’il restitue les 8 ans d’Abdon, juge omis par cet auteur (qui cependant récite ses actions), Desvignoles s’écarte de la logique en séparant Moïse de Josué, quand le texte les unit par ces mots : Depuis la mort de Moise et du général Josué, etc. Il faut admettre ou exclure l’un et l’autre : en restituant Moïse et ses 40 ans, nous aurions 540 ans, y compris Tholah ; et seulement 517, si l’on écartait ce juge, comme l’on y est autorisé par le silence absolu de Josèphe.

2° Dans un autre passage, Josèphe (lib. X, c. 8, n° 5) dit que le temple, fut brûlé 1062 ans et 6 mois après la sortie d’Égypte.

Retranchons les 514 ans qu’il a comptés ailleurs pour les vingt et un rois juifs, y compris les 20 ans de Saül ; nous aurons 548 ans pour la durée des juges, ce qui diffère de 8 ans du calcul précédent (540) ; mais en comptant ces 1062 ans., Josèphe dit, dans la : même phrase, que le temple avait été brûlé 470 ans après la fondation, c’est-à-dire 533 ans après l’avènement de Saül. Or, dans ce cas, il ne reste pour les juges et pour Moïse que 529 ou 530 ans.

3° Il dit au livre II, c. 4, v. 8, que depuis Saül, premier roi, jusqu’à la ruine du temple, la monarchie avait duré 532 ans. Soustrayons-les de 1062, nous avons 530 pour les juges et Moïse ; ce qui revient au calcul que nous venons de voir, en s’écartant de 32 ans de celui que Josèphe fait dans la même phrase ; car après les 533 des rois, il dit que les juges gouvernèrent plus de 500 ans.

4° Enfin un autre passage nous donne encore un autre résultat.

Depuis la sortie d’Égypte, dit Josèphe[30], jusqu’à la fondation du temple, il y eut de père en fils 13 grands-prêtres dans un espace de 612 ans.

De ces 612 ans, ôtons les 63 qui appartiennent aux règnes de Saül, David et Salomon, nous aurons pour la durée des juges depuis la sortie d’Égypte 549 ans. Ce nombre revient à celui du n° 2 548 ½.

De ces 548 ou 549 ôtons les 40 de Moïse, il nous reste pour les juges proprement dits 500 ou 501 ; ce qui revient au premier calcul sommaire de Josèphe.

D’où l’on peut conclure que réellement cet auteur compte 500 ans pour les Juges ; mais en même temps l’on peut assurer que ses calculs n’ont pas d’autres bases que le livre de ce nom, et les combinaisons que Josèphe a faites lui-même des divers passages de ce livre.

Le fait des 13 générations de grands-prêtres, mentionné dans le dernier passage, mérite une attention particulière. Citons le passage entier :

Depuis Aaron jusqu’à Phanasus, dernier pontife au temps de Titus, il y eut en tout 83 grands-prêtres ; savoir, 1° 13 depuis le temps que Moïse établit l’arche dans le désert, jusqu’à la fondation du temple par Salomon. Dans l’origine ; le pontificat fut à vie ; par la suite l’on succéda même à un vivant : or, les 13 étant la postérité des deux fils d’Aaron ; ils reçurent le pontificat par succession (du vif au mort) ; et le temps de leur gestion depuis leur sortie d’Égypte jusqu’à la fondation du temple, fut de 612 ans.

Après ces 13, et depuis ladite fondation jusqu’à la ruine du temple par Nabuchodonosor, 18 autres pontifes se succédèrent dans un espace de 466 ans ½.

Le pontife emmené captif fut Iosedek ; après la captivité qui fut de 70 ans (v. lib. XX, c. 8), terminée par Kyrus, Jésus, fils de Iosedek, revint pontife à Jérusalem ; et ses descendants, au nombre de 15, se succédèrent jusqu’au règne d’Antiochus Eupator, pendant 412 ans.

Josèphe continue de détailler avec ordre le reste des 83 ; mais parce qu’alors la succession ne fut plus régulière, et que les pontifes furent déposés, tantôt par les rois, tantôt par des rivaux, nous laissons cette suite.

Ce passage demande plusieurs observations. D’abord il est étonnant que Josèphe compte 70 ans de captivité, en lui donnant pour limites, d’une part, la ruine du temple, d’autre part, la seconde année du règne de Kyrus ; ces deux points sont bien fixés, le dernier à l’an 537, et le premier à l’an 586 ; or, entre ces deux dates il n’y a que 49 ou 50 ans ; et Josèphe, qui avait en main l’historien Bérose, aurait dû sentir son erreur, d’autant plus qu’il observe que le grand-prêtre Jésus, qui revint de Babylone l’an 2 de Kyrus, était le propre fils de Iosedek, grand-prêtre emmené par Nabuchodonosor, ce qui serait presque impossible dans un intervalle de 70 ans ; mais Josèphe paraît avoir été lié ici par l’opinion canonique des docteurs juifs, de qui l’ont empruntée plusieurs des anciens chronologistes chrétiens.

Ce dénombrement des grands-prêtres est par lui-même un fait important, et qui paraît d’autant plus digne de confiance, qu’à raison de la constitution politique des Hébreux, leurs familles sacerdotales avaient un intérêt puissant à conserver leurs généalogies et leurs titres de descendance, sur lesquels se fondaient leurs droits- aux charges du temple, et même au pontificat. C’est ce que Josèphe atteste dans son premier livre contre Apion, et l’on n’a point de difficulté raisonnable -à y opposer. Depuis l’organisation régulière du service du temple par Salomon, la liste des grands-prêtres fut aussi authentique que celle des rois.... La même exactitude n’est pas également prouvée pendant la période des juges ; mais il est facile de concevoir qu’outre les motifs d’intérêt qu’avaient les lévites à tenir registre de la succession, le peuple même ne dut guère manquer de faire attention aux mutations de personnes, et de remarquer que chaque nouveau grand-prêtre était le tantième depuis la conquête : le changement de pontife produisait une sensation générale au temps de la Pâque, et le calcul de son numéro de succession était un fait simple et frappant qui dut devenir une tradition nationale conservée jusqu’au temps de la monarchie et de la fondation du temple où elle fut recueillie par la chancellerie, et convertie officiellement en fait historique.

Ici Josèphe suscite une difficulté, lorsque dans un autre passage[31] il ne nomme que 5 grands-prêtres depuis Ithamar, fils d’Aaron, jusqu’à Héli : mais, outre les inconséquences habituelles de Josèphe, il est facile de sentir que par le laps de temps, par les accidents des guerres et de la dispersion, les détails de la liste ancienne furent négligés et perdus, surtout lorsque la ligne directe d’Aaron fut éteinte et n’eut plus de représentants intéressés à garder ses titres : alors les noms purent s’oublier, et cependant le souvenir du nombre se conserver dans l’opinion publique, ce nombre étant un fait simple à retenir. On peut donc regarder la liste des cinq citée par Josèphe, comme une liste tronquée, et cela avec d’autant plus de raison, que puisqu’il y eut 13 grands-prêtres entre Aaron et la fondation du temple, il est impossible que 8 d’entre eux se soient succédés de père en fils depuis Héli jusqu’à cette fondation dans un intervalle de 75 ans seulement.

Josèphe laisse encore une équivoque dans une circonstance de ce nombre, car après avoir dit qu’il y eut 13 grands-prêtres depuis que Moïse établit l’arche dans le désert, jusqu’à la fondation du temple ; il ajoute que ces 13 furent la postérité des deux fils d’Aaron.... Mais alors ces deux fils d’Aaron devraient être comptés pour une génération, et nous donner le nombre total 14.

Quoi qu’il en soit, posons l’un de ces nombres ; il va nous devenir un moyen d’évaluer le temps écoulé entre Moïse et Salomon, en donnant à chaque génération une valeur moyenne et probable[32].

D’abord, si l’on répartit sur les 14 générations les 612 ans que Josèphe suppose, l’on a une durée moyenne de 44 ans pour chaque, et ce terme est inadmissible ; il est réfuté par la fausseté ou l’erreur des calculs d’années qu’a faits Josèphe.

Que si nous évaluons ces 14 générations par les 480 du rédacteur des Rois, nous aurons 34 ans pour chaque génération, et quoique moins exagéré, ce terme est encore improbable, surtout lorsque deux autres termes de comparaison, certains et appropriés au sujet, nous fournissent une évaluation plus naturelle.

Josèphe nous dit que depuis la fondation du temple jusqu’à sa ruine par Nabuchodonosor, 18 autres pontifes se succédèrent de père en fils dans un espace de 466 ½ ; dans nos calculs cette durée ne fut que de 431 ans : mais admettons les 466.

Cette somme divisée par 18, donne près de 26 ans par génération.

Depuis le retour de la captivité sous Kyrus, en l’an 537, jusqu’au règne d’Antiochus Eupator, il y eut encore, dit Josèphe, 15 grands-prêtres successifs de père en fils en 412. Ces 412 divisés par 15, font un peu plus de 27 ans par génération. Voilà deux séries de 31 et 18 générations qui nous donnent pour résultat le même terme de 26 à 27 ans par génération, la liste des rois nous donne également 25 : nous avons donc le droit d’appliquer de préférence cette mesure aux 13 ou 14 grands-prêtres qui depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la fondation du temple, se succédèrent dans des circonstances de climat, de régime et d’hérédité parfaitement analogues., Or, 14 générations multipliées par 27 ans, donnent 378 ans. Supposons le nombre rond 380, le rédacteur des Rois qui compte 480 se trouve toujours inculpé de quelque exagération ; d’ailleurs ce nombre rond 480 suscite quelque doute sur la précision de cet auteur, et donne lieu à une conjecture : nous avons dit que le Livre des Rois n’a pu être rédigé que depuis la captivité de Babylone, nous ajoutons que l’opinion assez générale qui l’attribue à Ezdras, nous semble raisonnable : ce travail a donc été fait entre les années 460 et 470 avant notre ère. A cette époque un système dominant chez les Égyptiens, chez les Grecs, et probablement dans l’Asie voisine, évaluait 3 générations à 100 ans. Nous en verrons la preuve dans un passage d’Hérodote, qui écrivit vers l’an 460 avant notre ère. L’auteur juif des Rois n’a pu manquer de connaître cette évaluation. Or, si nous l’appliquons à ces 480 années, les 14 générations citées par Josèphe, rendent 466 ans, qui ne diffèrent que de 14 ans : il semblerait donc que le rédacteur des Rois aurait connu et employé ces 14 générations de grands-prêtres, et qu’il n’aurait ajouté les 14 ans que pour quelque motif maintenant ignoré : toujours est-il vrai que l’époque de Moïse ne peut s’élever plus haut que ces 480 ans qui, ajoutés à 1015 autres écoulés depuis la fondation du temple jusqu’à J.-C., placent ce législateur vers l’an 1495 ; mais parce que l’évaluation de 3 générations au siècle est exagérée et peu probable, admettons 1450 pour terme moyen ; Moïse aura vécu, vers l’an 1460 avant J.-C., environ 100 ans avant Sésostris, qui régna en 1356, et un peu plus de 200 ans avant Ninus, dont le règne date de l’an 1237, ainsi que nous le verrons.

 

CHAPITRE IV — Y a-t-il eu un cycle sabbatique ?

PLUSIEURS chronologistes, pour dernière ressource, ont eu recours au cycle sabbatique, c’est-à-dire à ce jubilé prescrit par Moïse, qui avait ordonné que chaque 7e année, à l’imitation du 7e jour de la semaine, fût une année de Sabbat ; c’est-à-dire d’oisiveté et de repos absolus, même pour la culture de la terre. Moïse avait de plus ordonné[33] qu’en cette 7e année toute créance d’argent prêté serait annulée ; que le débiteur serait libre, et de plus encore, que tout Hébreu réduit en esclavage, pour dette ou autre cause, serait remis en liberté, et, renvoyé avec des provisions capables de l’entretenir pendant du temps.

Il est certain que si une telle loi eût eu son exécution, elle eût produit une sensation et constitué une époque aussi remarquable par ses retours septénaires que la période olympique chez les Grecs ; mais on cherche en vain dans tous les livres hébreux une mention, une indication même légère de ces jubilés. L’on n’en trouve pas la moindre trace ni dans le Livre des Juges, ni dans celui de Samuel, quoique très détaillé dans une durée de plus de 60 ans, ni dans le Livre des Rois ; au contraire, Jérémie, dans le chapitre 34 de ses prophéties, nous fournit la preuve positive de la négligence et de l’inobservation de cette loi dès son origine.

Jérémie, est-il dit, engagea le roi Sédéqiah, les grands et le peuple de Jérusalem à renvoyer leurs esclaves hébreux ; ils s’y engagèrent par la cérémonie d’un sacrifice, et ils renvoyèrent leurs esclaves hébreux ; puis s’en étant repentis, ils les reprirent et les contraignirent de force ; et Jérémie leur dit : Écoutez les paroles du Dieu d’Israël :

Au jour où je retirai vos pères de l’Égypte, je fis un pacte avec eux et je leur dis : Lorsque 7 ans seront écoulés, que chacun de vous renvoie l’esclave hébreu qui lui a été vendu et qui a servi 6 ans ; que l’esclave soit libre ; et vos pères n’ont point écouté ma paroles ils n’ont point incliné leur oreille (à m’obéir) ; vous, aujourd’hui, vous vous êtes retournés (de leur sentier) et vous avez fait le bien, vous avez fait alliance avec moi, mais ensuite vous l’avez violée (comme vos pères) ; maintenant je vais amener sur vous tous les maux, etc.

Pour tout lecteur qui pèsera bien ces mots : Vos pères n’ont point écouté ma parole, n’ont point obéi à mon ordre de renvoyer libre ; vous, aujourd’hui, vous vous êtes retournés (de leur sentier, etc.) ; pour tout lecteur, disons-nous, il sera prouvé que jusqu’au temps de Sédéqiah, les Juifs avaient. imité leurs pères et n’avaient point observé le jubilé septénaire ; par conséquent il n’y a point eu chez eux de cycle sabbatique avant la captivité .de Babylone. Ce ne fut qu’alors et au retour dans leur patrie, qu’ayant pris à tâche d’exécuter littéralement les lois de Moïse, celle-ci devint en usage avec plusieurs autres. De savants chronologistes, quoique très pieux, n’ont pu s’empêcher de reconnaître ces faits ; entre autres, le Père Petau, jésuite, dans son Traité de la doctrine des temps, livre IX, chapitre 26, s’avoue réduit à la nécessité de révoquer en doute l’observance des années sabbatiques[34] avant le règne d’Antiochus Eupator ; mais beaucoup d’autres ont cru leur religion intéressée à en soutenir la croyance. Le savant Desvignoles présente, à cet égard, une inconséquence remarquable ; car après avoir exposé avec candeur une masse de raisons négatives, il finit par dire[35] que comme il faut avoir une mesure de temps, il se range au gros des chronologistes qui ont admis les Sabbats ; ce qui ne l’empêche point de convenir ailleurs, que les cycles sabbatiques, produits par les Samaritains et les Juifs, et remontant jusqu’à la création, sont des cycles fictifs et inventés après coup[36].

Par une autre inconséquence, Desvignoles fournit un argument ingénieux de calculer le temps de la monarchie, en admettant la non-existence ou l’inobservance des Sabbats. Tout le monde connaît la célèbre prophétie de Jérémie, concernant l’exil et la captivité du peuple hébreu pendant 70 ans, et cela pour avoir négligé et méprisé les ordonnances de Dieu. En comparant à ce texte celui des Paralipomènes, qui dit (chap. 36, vers. 10) : Que le peuple hébreu fut déporté à Babylone, afin que la terre (d’Israël) prît plaisir à célébrer ses sabbats, et qu’elle eût 70 ans de repos ; » Desvignoles a pensé que Jérémie dans sa prédiction avait eu spécialement en vue la loi de Moïse sur les jubilés de 7 ans, et que par le nombre 70 il avait entendu établir une compensation des sabbats que l’on avait omis ou négligé de célébrer : il est bien vrai que ces 70 jubilés de 7 ans donnent une somme totale de 490 ans, et que si l’on prend ces 490 ans pour la durée des rois, en y ajoutant 604, qui sont la date première de la prophétie en question, l’on a pour première année de Saül, l’an 1094 avant J.-C. Or, les calculs de Josèphe donnent pour ce même intervalle 1091, et l’analogie est frappante ; mais nous avons vu que la Chronologie détaillée des Rois, en nous produisant la somme totale de 493, jusqu’à Sédéqiah (en 587), ne donne jusqu’à l’an 604, que 475 ans ; ce qui fait 15 ans de moins que 490. Jérémie aurait-il aussi compris dans son calcul le temps de Samuel, qui fut de 12 ans ? Il y aurait encore déficit de 3 ans. D’ailleurs il a donné à ses 70 ans de captivité, deux points de départ différents ; tandis qu’au chapitre 25, verset 11 [37], il les fait partir de l’an 4 de Ihouaqim, au chapitre 31, verset 5-10 [38], dans sa lettre aux émigrés qui suivirent Iechonias à Babylone, il les fait partir de l’an 598 ; ce qui donne 481 ans depuis l’an 1er de Saül, et 493 depuis l’an 1er de Samuel : 4 ans de plus que les 490. Néanmoins, comme nous ignorons de quelle manière Jérémie a pu établir son calcul de la durée des rois, et qu’il a pu compter comme Josèphe[39], l’idée de Desvignoles reste plausible, et tend à constater ce qui nous paraît vrai ; savoir que la loi des années sabbatiques n’a point eu d’exécution sous les rois.

Un fait positif vient aussi prouver qu’elle n’en eut point sous les juges, qui furent un véritable temps d’anarchie ; car lorsque Josué entre en Palestine, on le voit admettre les Gabaonites à vivre au milieu d’Israël à titre d’esclaves et d’ilotes, malgré la loi de Moïse qui ordonnait l’extermination ; et ces mêmes Gabaonites sont cités au temps de David ; comme subsistants dans le même état[40], ce qui n’aurait pu être si la loi des jubilés eût été exécutée. De plus, il est dit dans le Livre des Juges[41], qu’après le partage des terres, chaque tribu accorda aux Chananéens de son arrondissement, la faculté d’habiter avec le peuple de Dieu, en payant un tribut qu’ils payaient encore au temps de Salomon. On est en droit de conclure de ce double fait, que la loi des Jubilés sabbatiques, cette loi étrange d’oisiveté, de stérilité, de famine organisée pour chaque huitième année, fut abrogée dès le début de la conquête par les Hébreux, qui, après tant de peine et de danger, trouvèrent sans doute trop dur de relâcher des esclaves et des biens achetés au prix de leur sang : dans ce premier état anarchique ou démocratique, personne n’eut intérêt de réclamer contre l’inobservance ; personne n’eût eu le pouvoir de faire exécuter ; dans le second état, c’est-à-dire, sous le règne monarchique, lorsque les rois investis d’un pouvoir arbitraire eurent cette faculté, leur prudence dut trouver trop dangereux de rétablir une loi qui eût tout bouleversé.

Ainsi il est constant que depuis Josué jusqu’au temps du roi Sédéqiah, les Juifs n’observèrent point la loi sabbatique, et cela est fâcheux pour la science chronologique, qui eût trouvé dans ce cycle, une mesure précise du temps.

En résumé de toute notre discussion sur le temps des juges, le lecteur voit qu’au delà du grand-prêtre Héli, le système des Juifs est brisé et dissous ; que tout y est vague, incertain, confus, que leurs annales ne remontent réellement d’un fil continu, que jusqu’à l’an 1131 ; enfin, qu’il est impossible d’assigner, à 20 ou 30 ans près, le temps où Moïse a vécu, et qu’il est seulement permis, par un calcul raisonnable de probabilité, de le placer entre les années 1420 et 1450.

 

CHAPITRE V. — Des temps antérieurs à Moïse et des livres attribués à ce législateur.

MAINTENANT si les Juifs n’ont pu conserver de notions exactes du temps écoulé entre le grand-prêtre Héli, et Moïse, ni du temps que dura le séjour de leurs pères en Égypte (car rien n’est clair à cet égard), comment peuvent-ils prétendre avoir mieux connu les temps antérieurs où n’existait pas encore la nation, et qui. plus est, les temps où n’existait aucune nation, c’est-à-dire, l’époque de l’origine du monde, à laquelle aucun témoin n’assista, et dont leur Genèse nous fait cependant le récit, comme si l’écrivain en eût eu sous les yeux un procès verbal ? Les Juifs nous disent que c’est une révélation faite par Dieu à leur prophète : nous répondons que beaucoup d’autres peuples out tenu le même langage. Les Égyptiens, les Phéniciens, les Chaldéens, les Perses, ont eu, comme le peuple juif, leurs histoires de la création, également révélées à leurs prophètes Hermès, Zoroastre, etc. De nos jours les Indous ont présenté à nos missionnaires les Vedas et les Pouranas, avec des prétentions d’une antiquité plus reculée que la Genèse même, et que les autres livres attribués à Moïse. Il est vrai que nos savants biblistes rejettent, ou du moins contestent l’authenticité de ces livres ; mais quand notre zèle convertisseur présente aux Indous la Bible, qu’aurons-nous à répondre, si les brahmes nous rétorquent nos propres arguments européens ? si, par exemple, ils nous disent :

Vous niez l’authenticité et l’antiquité de certains Pouranas et Chastras, par la raison qu’ils mentionnent des faits postérieurs aux dates présumées de leur composition : eh bien ! nous nions à notre tour l’authenticité des cinq livres que vous attribuez à Moïse, par cette même raison que nous y trouvons un grand nombre de passages, et de citations qui ne peuvent convenir à ce législateur.

La question se réduit donc à savoir, si cette dernière assertion est fondée en preuve de faits ; et c’est une question qui doit se traiter avant, toute autre ; car le système chronologique antérieur à Moïse, tirant son autorité principale de la supposition que ce prophète en a été le rédacteur, si cette supposition était démontrée fausse, l’autorité du système en serait considérablement affaiblie. De savants critiques ont déjà traité ce sujet[42] ; mais parce qu’ils ne l’ont pas à beaucoup près épuisé, et que surtout ils n’ont pas bien saisi les conséquences qui découlent des preuves, nous allons reprendre la, discussion dans ses fondements, et dresser un tableau plus complet qu’aucun autre précédent, de tous les passages du Pentateuque, qui prouvent la posthumité de cet ouvrage relativement à Moïse, et qui indiquent la véritable époque de sa rédaction.

 

CHAPITRE VI. — Passages du Pentateuque, tendant à indiquer en quel temps et par qui cet ouvrage a été ou n’a pas été composé.

1° AU DERNIER chapitre du Deutéronome on lit un récit détaillé et circonstancié de la mort de Moïse, de son inhumation, et en outre ces phrases singulières : Personne, jusqu’à ce jour, n’a connu le lieu de sa sépulture, et il ne s’est plus élevé dans Israël de prophète égal à Moïse.

N’est-ce pas l’indice saillant d’un long temps déjà écoulé ? Personne jusqu’à ce jour... il ne s’est plus trouvé de prophète.

On nous dit que ce chapitre a été ajouté après coup, qu’il ne fait point corps avec l’ouvrage. Admettons la réponse, parce qu’elle est naturelle et raisonnable ; mais comment expliquera-t-on tous les autres passages qui se trouvent au corps, du livre, et qui ne sont pas moins incompatibles avec l’hypothèse reçue ? Par exemple, le premier chapitre .du Deutéronome débute par ces mots : Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël au delà du Jourdain[43], dans le désert, etc.

On sait que Moïse ne passa point cette rivière, et qu’il mourut dans le désert qui est à son orient[44], par conséquent le mot au delà désigne, relativement à Moïse, la rive occidentale, le côté où est Jérusalem. Par inverse, la rive orientale où Moïse mourut, se trouve au delà du Jourdain, relativement au pays de Jérusalem. Donc cette phrase, Moïse mourut au delà, a été écrite du côté de Jérusalem ; donc ce n’est point Moïse qui l’a écrite : l’expression au delà se trouve trois autres fois : 1° Deutéronome (chap. 3, vers. 8), l’on fait dire à Moïse : En même temps que nous enlevâmes à deux rois amorrhéens leur pays situé au delà du Jourdain, entre le torrent Arnon et le mont Hermon. Puisque Moïse parlait dans ce pays-là même, il était en deçà et non au delà ; et la note qu’il joint immédiatement, ne lui convient pas davantage....

Or, l’Hermon est appelé Chirin par les Sidomens, et Chinir par les Amorrhéens.

Une telle note ne convient qu’à un auteur posthume, qui explique la nomenclature du temps passé à ses contemporains, qui ne l’entendent plus il en est ainsi des versets suivants :

Et nous prîmes toutes les villes d’Og, roi de Basan, qui était resté seul de la race des Raphaïm ou géants : son lit est encore dans la ville de Rabat-Amon ; et je donnai à Jaïr, fils de Manassé, le pays de Basan, qu’il nomma villages de Iaïr, et on les appelle ainsi jusqu’à ce jour.

Et (chap. IV, vers. 21), on lit : Moïse marqua trois villes au delà du Jourdain, du côté du soleil levant.

Et (idem, versets 45 et 46) : Voilà les lois et statuts que Moïse donna aux enfants d’Israël, après la sortie d’Égypte, dans la vallée de Bethphegor, au delà du Jourdain... Et les enfants d’Israël possédèrent au-delà du Jourdain, les pays de, etc., etc.

Ces versets, et en général tout ce chapitre, sont évidemment un récit historique écrit longtemps après Moïse, par un rédacteur qui a résidé du côté de Jérusalem, au soleil couchant du Jourdain, et pour qui le soleil levant était art delà ; qui parlant des faits anciens, y a joint les explications nécessaires à ses contemporains : poursuivons.

Dans la Genèse (chap. XII, vers. 6), en décrivant la route d’Abraham, depuis la Mésopotamie jusqu’à Sichem et à la vallée de Moria, il est dit : . Or les Cananéens occupaient alors le pays[45] : donc ils ne l’occupaient plus au temps de l’historien ; donc cet historien écrivait après Josué, qui chassa, les Cananéens de ce pays. Donc Moïse n’est pas l’historien.

Même Genèse (ch. 2, vers. 14), en parlant du lieu où Abraham voulut sacrifier son fils, on lit :

Abraham appela ce lieu Iahouh Ierah c’est-à-dire, Dieu verra ; d’où est venu ce mot usité jusqu’à ce jour : Sur la montagne Dieu verra.

Notez ce mot, jusqu’à ce jour ; et de plus, comment Abraham a-t-il pu appeler Dieu du nom de Iahouh, quand il est dit (chap. 6 de l’Exode, vers. 3) que Dieu ne s’était fait connaître à personne avant Moïse, sous le nom de Iahouh... ? L’auteur posthume ne se décèle-t-il pas à chaque instant ?

Même Genèse (chap. 14, vers. 14), Abraham poursuivit ses ennemis jusqu’à Dan.

Le Livre des Juges (chap. 18, vers. 29) nous apprend que jusqu’au temps des juges, on appela Laïs la ville sidonienne qui fut surprise par 600 hommes de la tribu de Dan, et que ce fut seulement alors qu’elle reçut le nom de Dan. Certainement Moïse n’a point écrit cela : l’auteur est postérieur aux juges.

Deutéronome (chap. 2, vers. 12), il est dit : Nous tournâmes la montagne de Séir sans l’attaquer, parce qu’elle est habitée par nos frères, les enfants d’Ésaü. Or Séir était d’abord habitée par les Horiens, que chassèrent les enfants d’Ésaü, qui ont habité ce pays jusqu’à ce jour (verset 32), comme les enfants d’Israël ont habité celui que le Seigneur leur a donné.

Ceci est manifestement postérieur à la conquête par Josué.

L’auteur des Rois (livre I, chap. 9, vers. 9), en parlant de Saül qui alla consulter le voyant, dit : Autrefois, lorsqu’on allait consulter Dieu, l’usage était de dire, Allons au voyant ; car, on appelait voyant ce qu’aujourd’hui on appelle prophète. Or puisque l’usage durait encore du temps de David, qui appela Gad son voyant et non son prophète ; et puisque dans tout le Pentateuque, Moïse est toujours appelé le prophète et non le voyant, il s’ensuit clairement que la rédaction du Pentateuque est postérieure au temps de David.

Enfin un passage frappant est celui du chapitre 36 de la Genèse, où, parlant de la postérité d’Ésaü, l’auteur dit (verset 31 et suivants) : Voici les rois qui régnèrent sur la terre d’Édon avant qu’Israël eût des Rois, etc.

Or si, comme il est de fait, Israël n’eut de rois que depuis Saül, il est évident que l’auteur historique est postérieur à cette époque, et que cet auteur n’a pu être Moïse, par toutes les raisons ci-dessus. Ainsi nous avons une masse de preuves incontestables que le Pentateuque, tel qu’il est en nos mains, n’a point été rédigé par Moïse, mais par un écrivain anonyme dont l’époque n’a pu précéder, le temps des rois David et Salomon ; bientôt nous verrons encore d’autres preuves de cette posthumité, lorsque l’époque de cette rédaction nous sera connue : il s’agit maintenant de la connaître.

Quelques écrivains critiques[46], qui comme nous ont senti que le Pentateuque n’a pu être rédigé par Moïse, ont essayé d’en deviner l’auteur, et ils ont cru l’apercevoir dans le lévite Esdras, qui, au temps d’Artaxerxés roi de Perse, ranima chez les Juifs attiédis l’observance, et l’étude de la loi. Sur l’autorité accréditée de ces écrivains, nous avions d’abord admis cette opinion ; mais l’intérêt, qu’excite ce sujet nous ayant engagé à de nouvelles recherches, nous avons trouvé, dans une lecture attentive des livres hébreux, des raisons de penser différemment, et d’attribuer le Pentateuque à un autre auteur, indiqué par les textes mêmes avec plus d’évidence que le lévite Esdras.

D’abord on cherche vainement des indices quelconques de l’existence du Pentateuque, soit dans le livre de Josué, l’un des plus anciens, soit dans le livre dit des Juges, soit dans les deux livres intitulés Samuel, soit enfin dans l’histoire des premiers rois juifs. Ce silence, surtout au temps de Salomon, est d’autant plus remarquable, que l’auteur de la Chronique, en nous apprenant que les Tables de la Loi de Moïse furent déposées dans le temple bâti par ce prince, ne dit pas un mot des livres de Moïse ; et cependant si le Pentateuque eût été l’ouvrage de Moïse, le manuscrit autographe devait encore exister, et il est inconcevable qu’un livre si précieux fût laissé dans un oubli absolu ; surtout lorsqu’en cette inauguration du temple, une foule d’objets moins importants, moins appropriés au sujet, sont relatés et mentionnés.

Une autre circonstance encore digne de remarque, est que dans les livres de Salomon, dans les psaumes réellement de David[47], et même dans les prophéties d’Isaïe, l’on ne trouve presque aucune citation que l’on puisse rapporter avec évidence au Pentateuque. Il faut descendre jusqu’au règne de Josias, pour en découvrir une indication probable ; le passage qui la contient mérite d’être cité en entier, pour en bien scruter les détails. (Voyez Reg., lib. 2, cap. 22.)

 

CHAPITRE VII — Époque de l’apparition du Pentateuque.

APRÈS la mort du roi Amon, son fils Josiah devint roi à l’âge de 8 ans ; on sent qu’un roi de 8 ans eut un tuteur régent, qui n’est point nommé, mais qui naturellement et par l’indication des faits, fut le grand-prêtre Helqiah.

La 18e année de son règne, Josiah envoie, sans motif apparent, Saphan, scribe ou secrétaire du temple, vers le grand-prêtre, pour lui dire de recueillir tout l’argent donné par le peuple aux portiers du temple, et de le remettre aux entrepreneurs et ouvriers des réparations, sans leur faire rendre compte, et en se reposant sur leur bonne foi. Pour réponse, le grand-prêtre Helqiah dit au secrétaire : J’ai trouvé un livre (ou le livre) de la loi dans le temple du Seigneur ; et il donne ce livre au secrétaire qui le lit. Saphan retourne vers le roi, et lui dit : Vos ordres sont exécutés... ; (de plus), Helqiah m’a remis un livre ; et il (commença) de le lire devant le roi... ; et lorsque le roi entendit les paroles de la loi, il déchira ses vêtements, et il dit à Helqiah, à Ahiqom, à Akbour, à Saphan, secrétaire, et à Achih, serviteur du roi : Allez et consultez Dieu sur moi et sur tout le peuple juif, au sujet des paroles de ce livre qu’on a trouvé ; car la colère de Dieu est allumée contre nous de ce que nos pères n’ont point pratiqué ses préceptes.... Et ils se rendirent tous ensemble chez Holdah, prophétesse, qui demeurait à Jérusalem, et dans la rue Seconde. Holdah leur annonça, de la part de Dieu, de grands maux contre le pays et la ville. Mais, ajouta-t-elle, parce que le roi a écouté la parole du Seigneur, qu’il a pleuré et déchiré ses vêtements, ces maux n’arriveront point de son vivant... Helqiah et les autres envoyés portent cette réponse au roi.... Le roi envoie de tous côtés des ordres dans la ville. Tous les anciens et gens notables se rassemblent dans le palais... Le roi va ensuite au temple, et il y est suivi des prêtres et des anciens, et de tout le peuple depuis le plus grand jusqu’au plus petit ; et là on fait une lecture solennelle de ce livre trouvé. Le roi monte ensuite aux degrés à (de l’autel), et fait un sacrifice d’alliance, pour pratiquer tout ce qui est dans le livre... ; et le peuple en prend l’engagement.... Alors en exécution de ce pacte et des préceptes du livre, l’on jette hors du temple les vases de Baal ; on souille les lieux hauts où l’on sacrifiait, et celui où l’on passait les enfants par la flamme... ; on chasse des portiques du temple les chevaux sacrés que les rois entretenaient en l’honneur du soleil ; on brûle les chars consacrés au soleil ; on détruit les autels élevés par Achaz et Manassé, et ceux élevés par Salomon sur les hauts lieux aux dieux de ses femmes. Josiah, présent à tous ces actes qu’il commande et dirige, fait déterrer même les morts sur les hauts lieux, et égorger tons les prêtres de Baal qu’il y trouve.... De retour à Jérusalem, il fait célébrer une pâque si solennelle, qu’il n’y en eut point ale telle depuis les juges d’Israël et pendant tout le temps des rois.

Pesons les mots et les circonstances de ce récit ; et d’abord remarquons que Josiah enfant couronné dès l’âge de 8 ans, fut élevé par le grand prêtre Helqiah, qui pendant 10 ou 12 ans fut le véritable régent de l’État et du prince : par conséquent Josiah, maintenant âgé de 25 à 26 ans, est encore sous l’influence morale du pontife et de l’éducation sacerdotale qu’il en a reçue. A cet âge et l’an 18 de son règne, il fait un message solennel au grand-prêtre : l’objet de ce message est de remettre aux entrepreneurs des réparations du temple, des sommes d’argent sans leur en faire rendre compte. Pourquoi cette faveur d’un genre singulier, même injuste et imprudent ? Elle a certainement un motif, un objet en vue ; cet objet est de se concilier ces gens et leurs familles, et, par suite, leurs amis et le peuple dont ils font partie : pour réponse, le grand-prêtre, présenté un livre, qu’il dit être le livre de la loi, et qu’il dit avoir trouvé dans le, temple. Où est la preuve qu’il a trouvé ce livre ? a-t-il des témoins ? On ne le dit pas ; mais il est clair que s"il a besoin d’appui, tous les ouvriers du temple qu’il a gratifiés lui seront dévoués. Admettons qu’il ait trouvé ce livre, et qu’il ne l’ait pas lui-même composé ; Au moins il l’a. eu en. main, seul et aussi. longtemps qu’il a voulu : n’y a-t-il pas fait des changements ? C’est un manuscrit unique ; personne ne l’a contrôlé ; rien n’établit son authenticité. Ce manuscrit dut être un rouleau de papyrus ou de vélin ; quelle main l’a écrit ? est-ce la main de Moïse ? Helqiah ne le dit pas, il dit seulement le livre de là loi, : cela est remarquable. S’il fût venu de Moïse, Helqiah eût-il supprimé une circonstance si,propre à ajouter au respect ? D’ailleurs, s’il fût venu de Moïse, ce manuscrit aurait eu, à cette époque plus de 800 ans d’existence ; et depuis tant de temps, oublié dans quelque armoire, il eût dû être rongé des vers et de poussière, dans un climat aussi rongeur que l’est la Judée. Il y aurait eu des lacunes ; l’écriture même aurait dû être différente, et beaucoup de mots tombés en désuétude ; car il est sans exemple qu’une langue et qu’une forme d’écriture aient subsisté 800 ans sans altération. Cependant le secrétaire Saphan le lit couramment et à livre ouvert : il porte, le livre au roi, et le roi entendant le contenu, est surpris, effrayé au point de déchirer ses vêtements. Quoi, le roi Josiah, élevé par le grand-prêtre, ne connaissait pas la loi de Moïse ! cette loi, dont tout prince, à son avènement, devait avoir une copie transcrite à son usage par les prêtres, selon un ordre exprès du Deutéronome, chapitre 17. Tout était donc oublié, ou bien tout est simulé. Le roi Josiah de suite fait consulter Dieu ; l’oracle auquel on s’adresse est une vieille femme, exerçant ce métier de devineresse, et jouissant d’un grand crédit sur le peuple, c’est-à-dire dans la classe des ouvriers que le roi a gratifiés. Le grand-prêtre, le secrétaire Saphan, Akbour et d’autres prêtres, se rendent en pompe chez cette femme.... N’est-il pas clair que l’intention d’une telle démarche est de produire une vive sensation sur le peuple et de donner de l’éclat à une chose nouvelle ?

La prophétesse répond dans le sens désiré...... Elle annonce que, Iahouh, Dieu d’Israël, va envoyer contre Jérusalem et ses habitants, toutes les calamités écrites dans le livre que le roi a entendu, et cela parce que les Juifs ont abandonné leur Dieu, et qu’ils ont sacrifié à des dieux étrangers.

Ces expressions nous deviendront bientôt utiles ; mais pour le présent remarquons que cette prophétie de Holdah a une analogie frappante avec les autres prophéties que depuis cinq ans proclamait Jérémie : or, dans sa qualité, de prêtre et de fils de prêtre, Jérémie avait des rapports nécessaires avec le pontife ; il était, comme Holdah, dans la dépendance plus ou moins médiate de Helqiah[48] ; et lorsque nous trouvons que peu d’années après les fils de Saphan et d’Akbour furent les amis et protecteurs zélés de Jérémie contre la colère de Ihouaqim, nous avons lieu de soupçonner que déjà il avait des liaisons avec Saphan et Akbour, qui figurent dans cette affaire ; que par conséquent il était lui-même, comme Holdah, l’un des confidents de ce drame concerté ; qu’en un mot il y a eu dans cette occasion un pacte secret, un plan combiné entre le grand-prêtre, le roi, le secrétaire Saphan, le prêtre Akbour, le prophète Jérémie et la prophétesse Holdah ; et cela, pour un motif, une affaire d’état de la plus haute importance, puisqu’il s’agissait de sauver la nation du danger imminent d’une destruction absolue ou d’une dispersion prochaine.

En effet, à l’époque dont nous parlons, l’an 621, le royaume de Jérusalem se trouvait dans les circonstances les plus désastreuses. Depuis quatre ans les Scythes, venus du Caucase, exerçaient ces ravages dont parle Hérodote, et dont leurs pareils, les Tatars de Gengis khan et de Tamerlan, nous ont fourni d’effrayants exemples dans les temps modernes. Vainqueurs de Kyaxare et de ses Mèdes, maîtres de la haute et de la basse Asie, les Scythes n’avaient pu parvenir à Azot ; où les arrêta Psammitik, sans inonder la Syrie et la Palestine : leur cavalerie innombrable avait ravagé tout le pays plat, avec cette cruauté féroce et impitoyable qui a toujours caractérisé les Tatars ; le pays montueux, investi de toutes parts, privé de toutes communications, attaqué dans ses postes faibles, menacé dans toute sa masse, ressemblait à une grande place assiégée, et subissait tous les maux attachés à cette situation or voilà premièrement le tableau que trace Jérémie dans ses dix-sept premiers chapitres.

L’an 13 de Josiah, dit cet écrivain, le (Dieu de Moïse) Iahouh, m’adressa la parole[49], et il me dit (chap. I) : Que vois-tu ? Je vois une chaudière bouillante ; elle est dans le nord (prête à verser), et Dieu dit : Du nord accourt le mal sur tous les habitants de cette terre ; car voici que j’appelle toutes les familles des royaumes du nord, et, elles viennent établir chacune leur tente aux portes de Jérusalem, autour de ses murs et,dans toutes les villes de Juda, et a je prononcerai mes décrets contre les pervers qui m’ont abandonné, et qui ont sacrifié aux dieux étrangers.

Cette dernière phrase est mot pour mot, le motif allégé par la prophétesse Holdah. Les chapitres suivants sont remplis de reproches, de menaces et d’exhortations.

Le prophète s’écrie (ch. 4) : Annoncez dans Juda ; publiez dans Jérusalem ; sonnez de la trompette ; criez et dites : Rassemblez-vous ; retirez-vous dans les villes fortes ; élevez des signaux de fuite ; ne restez pas, parce que, dit le Seigneur, voici que j’apporte du nord une calamité, une grande destruction ; le lion a quitté son repaire ; le destructeur des peuples est parti de son pays pour réduire cette terre en solitude.

Ceci convient parfaitement aux Scythes ; ce qui suit les caractérise encore mieux :

Voici qu’un peuple vient du nord ; une grande nation est sortie des flancs de la terre... : ; ils portent l’arc et le bouclier ; ils brisent et déchirent sans pitié.... ; leur bruit ressemble au bruissement des flots ; ils montent des chevaux armés (et bardés) eux-mêmes comme un guerrier, etc. : voilà bien les cavaliers scythes.

Voici que (l’ennemi) monte comme une nue, ses chars (volent) comme un tourbillon ; ses chevaux sont plus légers que les aigles.... Malheur à nous ! nous sommes ravagés. — Un cri d’alarme vient du côté de Dan ; on apprend des horreurs (iniquitatem) de la montagne d’Éphraïm...... Faites entendre dans Jérusalem que des troupes d’éclaireurs viennent d’une terre lointaine.....

J’ai regardé le pays, il est désert...... J’ai vu les montagnes, et elles tremblent ; les collines, et elles se choquent ; j’ai regardé (partout), il n’y a plus d’hommes ; les oiseaux du ciel se sont envolés...... J’ai regardé le Carmel, il est désert, et toutes les villes détruites devant la face de Iahouh et de sa fureur.

(Chap. 5, v. 15) : J’amène sur vous une nation lointaine, une nation robuste, antique, dont vous ne connaissez point le langage, dont vous ne comprenez point les paroles...... : son carquois est un sépulcre ouvert...... ; tous ses guerriers sont forts. Ils mangeront votre pain, vôtre moisson, vos enfants, vos bœufs, vos figues, vos raisins, etc.

(Chap. 6, v. 1) : Enfants de Benjamin, fuyez de Jérusalem ; sonnez de la trompette, parce que de l’aquilon vient un fléau, une dévastation.

Et (Ch. 8, v. 16 à 20) : Du côté de Dan on entend le bruit de leurs chevaux ; la terre retentit de leurs violents hennissements ; ils accourent ; ils dévorent la terre et soit abondance, la ville et ses habitants...... La moisson est passée, «l’été est fini, et nous ne sommes pas délivrés.

Nous verrons ailleurs que cette dernière circonstance cadre très bien avec la date de l’irruption des Scythes, que nous plaçons en 625.

Tous ces maux dépeints par Jérémie duraient donc depuis 4 ans, lorsque Helqiah tira de l’oubli ou du néant un livre qui devait sauver la nation en la régénérant ; et cependant le danger qu’elle éprouvait de la part des Scythes n’était pas le seul. Deux puissances voisines, devenues plus ambitieuses. depuis quelques années, menaçaient dans leur choc prochain d’écraser le petit royaume de Jérusalem : l’Égypte, d’une part, délivrée des guerres. étrangères et civiles qui l’avaient longtemps déchirée, venait de concentrer toutes ses forces dans les mains de Psammitik ; et ce prince heureux et, habile, avait, par la prise d’Azot et de la Palestine, annoncé à la Syrie les projets d’agrandissement que poursuivit Nekos son fils. D’autre part, les rois de Babylone, héritiers de l’empire ninivite, renouvelaient, sur la Phénicie et la Judée, les prétentions et les attaques de Sennachérib et de Salmanasar. Selon la chronique des Jours[50], l’un deux avait fait saisir et emmener captif le roi Manassé, grand-père de Josiah. Helqiah, grand-prêtre et régent en 638, avait pu être témoin de cet événement arrivé 18 ou 20 ans auparavant. — A l’époque présente, c’est-à-dire l’an 621, Nabopolasar, père de Nabuchodonosor, régnait depuis 4 ans, et son règne préparait le règne de son fils. Une grande lutte s’annonçait entre l’Égypte et la Chaldée ; et dans cette lutte, les politiques juifs ne pouvaient manquer de sentir, que leur nation faible et d’ailleurs divisée d’opinions, était menacée d’une entière dissolution. Si le salut était possible, ce n’était qu’en réunissant les esprits, en ressuscitant le caractère national ; et si cette pensée dut venir à quelqu’un, ce dut être au grand-prêtre Helqiah, qui, par la minorité du prince, se trouvant chef politique et religieux, eut l’avantage de réunir en sa personne,et les connaissances, et l’intérêt, et les moyens d’exécuter. une réforme, une régénération urgente. Cette idée une fois conçue, il ne lui resta plus à imaginer que le moyen. Un administrateur purement politique eût pu en apercevoir plusieurs ; mais un homme de famille sacerdotale, imbu, dès son berceau, de la prééminence des institutions religieuses, qualifiées divines, ne pouvait en apercevoir que dans la religion et par la religion : celle de Moïse avait eu le pouvoir magique de changer une multitude esclave et poltronne en un peuple de conquérants fanatiques ; il fut naturel à un prêtre juif, de penser qu’en rétablissant les institutions anciennes, l’on rétablirait la même ferveur. La religion de Moïse, comme toute autre et plus que toute autre, enseignait que tous les maux qui arrivaient au peuple, pro venaient de ce qu’il violait ou négligeait la loi : un successeur de Moïse ne put avoir une autre doctrine, et il ne dut éprouver d’embarras que dans le moyen d’exécution. S’il eût été possible d’évoquer le législateur, de ressusciter Moïse lui-même, ce moyen eût été le premier employé. Evoquer son livre, ressusciter sa loi, ne fut qu’une modification de cette idée assez naturelle...... Lors donc que Helqiah, sans un motif d’abord apparent, annonce avec éclat qu’il a trouvé le Livre de la loi, nous avons lieu et droit de penser que ce n’est point une invention fortuite, mais une opération méditée et préparée depuis du temps, concertée même avec quelques personnes nécessaires à l’exécution, spécialement avec Jérémie ; dont le rôle et les écrits ont plusieurs rapports frappants avec certains textes du livre produit, ainsi que nous le verrons.

 

CHAPITRE VIII. — Suite des preuves.

MAIS que faut-il entendre par ce Livre de la Loi découvert dans le temple et porté au roi ? Les commentateurs qui veulent absolument que le Pentateuque soit l’ouvrage immédiat de Moïse, imaginent ici diverses hypothèses pour détourner l’idée qui s’offre d’abord : cependant tout esprit impartial qui voudra peser les circonstances accessoires, pensera probablement comme nous, que ce livre ne saurait être autre que le Pentateuque tel que nous l’avons, et cela par plusieurs raisons qui se confirment réciproquement.

1° Parce que l’on n’aperçoit pas le moindre indice de l’existence du Pentateuque, avant le roi Josiah, et que s’il eût, été connu, un silence aussi absolu eût été une chose impossible.,

2° Parce que depuis l’époque de Helqiah, nous trouvons le Pentateuque accrédité d’une manière imposante ; et qu’il est habituellement désigné chez les Juifs sous le nom de Livre de la Loi. C’est ce livre qu’Esdras lut au peuple rassemblé aux portes du nouveau temple, et cette lecture, qui dura six matinées consécutives, nous donne précisément l’espace de temps qui convient à une lecture publique du Pentateuque.

Après Esdras, les docteurs l’appelèrent indifféremment Livre de la LoiLivre de Moïse, parce qu’il contient la loi de ce prophète ; or il est facile de voir que ce fut cette expression qui introduisit l’usage de regarder Moïse comme son auteur : les Pharisiens consacrèrent cette opinion par bigoterie ; puis, une haine des Saducéens, ils déclarèrent hérétiques quiconque la rejetterait.

3° Si le Pentateuque eût existé avant Josiah, il eût été connu du moins dans les hautes classes ; et le jeune roi, élevé par le grand-prêtre, n’eût pu être surpris en entendant des préceptes qui s’y trouvent répétés cent fois. Au contraire, le Pentateuque n’ayant pas existé jusque là, on conçoit l’épouvante vraie ou simulée de Josiah à la lecture des anathèmes terribles contenus dans les chapitres 27 et 28 du Deutéronome. Mais, nous dira-t-on, si le livre trouvé par Helqiah, fût le Pentateuque, et si, par toutes les raisons citées, Moïse ne put en être l’auteur, s’ensuivra-t-il que Helqiah l’ait composé de toutes pièces, et qu’on doive le regarder comme un livre entièrement supposé ?

Nous n’admettons point cette conséquence exagérée ; nous pensons seulement que ce grand-prêtre se proposant de ressusciter la loi de Moïse, généralement oubliée, par les Juifs, a recherché tout ce qui a pu subsister d’écrits et de monuments relatifs à. son but ; qu’il a réellement pu trouver des écrits dont Moïse fut l’auteur ; mais plutôt en copie de seconde main qu’en original ; qu’à raison des 800 ans écoulés depuis ce prophète, beaucoup de choses étant tombées en désuétude dans le langage, dans l’écriture, et dans les usages géographiques ou civils, il a fait de tous ces matériaux une refonte une rédaction nouvelle, dans laquelle il a conservé beaucoup de fragments anciens, mais aussi dans laquelle il a introduit beaucoup de liaisons et d’explications de son propre chef. D’autre part nous rejetons aussi l’opinion de ceux qui veulent regarder tous les passages anachroniques comme des notes marginales introduites dans le texte par la succession des copistes ; il suffit de lire avec attention ces passages et d’autres que nous né citons pas, pour sentir qu’il font partie intégrante de la narration, et qu’il faudrait considérer dés chapitres entiers comme des parenthèses. Les redites, même, qui sont si nombreuses, prouvent cette rédaction par compilation telle que nous l’indiquons : il serait d’ailleurs trop commode de dire à chaque découverte d’un nouveau trait posthume, que c’est une note insérée ; il vaut mieux convenir de bonne foi que Helqiah est réellement auteur dans le sens de rédacteur et ordonnateur de matériaux ; mais il faut convenir aussi qu’à ce titre nous sommes livrés à sa discrétion, et qu’il a pu supprimer, réformer ; introduire même une partie entière ; inconnue ou du moins étrangère aux livres de Moïse, ainsi que nous croyons le pouvoir démontrer du livre de la Genèse.

A l’époque et dans les circonstances dont nous parlons, l’état politique et religieux des Juifs nous semble avoir été le même que celui des Parsis et des Hindous, qui pratiquent les lois de Brahma et de Zoroastre, sur des traditions, sur des commentaires et liturgies de prêtres, sans posséder les livres autographes de leurs prophètes[51]. Maintenant supposons qu’un roi perse, tel que Darius Hystasp ou Ardchir-Babekan ; eût concerté avec le grand Môbed, la découverte et la mise au jour de l’ouvrage de Zoroastre, n’est-il pas vrai que personne autre n’ayant en main ni l’original, ni une copie, n’eût pu démontrer la fausseté de leur opération, et que nous n’aurions de moyen d’en juger, que par l’examen du livre lui-même ; questionné et interrogé dans tous ses détails : or ce cas est précisément celui de Josiah et de Helqiah, avec la différence que le grand-prêtre est ici l’auteur et le promoteur principal. Ils ont pu dire tout ce qui leur a convenu sur la découverte un livre : c’est à nous de n’admettre que ce qui est conforme au raisonnement et aux preuves ou indices fournis par ce livre lui-même. Déjà nous y avons vu des preuves chronologiques d’une composition postérieure de plusieurs siècles à Moïse ; maintenant si nous le question nous encore, nous serons conduits à penser que les livres réels de Moïse ne sont point contenus dans le Pentateuque, en original ; mais en extraits et par citation ; et que le rédacteur, en écartant tout ce qui ne marchait pas à son but, y a introduit des portions tout à fait étrangères et probablement inconnues à ce législateur.

On ne saurait douter que Moïse ait composé des livres et laissé des écrits. Son rôle de législateur lui en suppose la faculté, comme il lui en impose la nécessité. Il se trouva dans la même position que Mahomet ; avec la différence que Mahomet feignit de ne savoir pas écrire. Aussi trouvons-nous la mention expresse de certains écrits de Moïse, dans plusieurs passages de l’Exode et du Deutéronome. Par exemple, au chapitre 24 de l’Exode, versets 3 à 7, il est dit que Moïse étant descendu de la montagne d’Horeb vers le peuple, il lui répéta tout ce que (le Dieu) Iahouh lui avait dit : qu’il l’écrivit (ce jour-là) et que le matin (du lendemain) étant retourné au pied de la montagne avec le peuple, pour faire un sacrifice, il prit en main le volume ou rouleau qu’il avait écrit, il le lut au peuple, qui dit : Tout ce que vous nous ordonnez, nous l’observerons.

Il est clair qu’un rouleau écrit dans un jour, et lu en préliminaire d’un sacrifice, n’est pas le Pentateuque, ni même le Deutéronome. Si nous confrontons ce qui précède et ce qui suit, nous trouvons que ce volume ou livre de l’Alliance dut être composé des 126 versets ou articles de la loi que nous lisons (chap. 20, vers. 2, jusqu’au chap. 24, vers. 1er), qui effectivement comprennent toute l’essence de la loi des Juifs. Or, ce livre de l’Alliance n’étant employé dans le Pentateuque que comme fragment, il est clair que nous n’avons pas les écrits originaux de Moïse dans leur état distinct et isolé.

En un autre endroit (Exode, chap. 17, verset 14), il est dit que Josué ayant battu les Amalékites qui étaient venus attaquer les Hébreux, peu après leur sortie d’Égypte, le dieu Iahouh ordonna à Moïse d’écrire ce premier fait d’armes dans le livre. Que peut avoir été ce livre, sinon le registre ou journal des opérations militaires des Hébreux, guidés par leur dieu Iahouh, et par son vizir Moïse ; opérations dont ce lieutenant voulut, comme tout chef militaire, avoir le tableau pour le consulter au besoin ? Lorsque ensuite nous trouvons au livre des Nombres (chap. 21, vers. 14) la citation d’un livre intitulé livre des Guerres (du Dieu) Iahouh..., exprimée dans les termes suivants : Les enfants d’Israël décampèrent, du torrent de Zared et vinrent camper sur l’Arnon ; qui est dans le désert ; et sort de la montagne des Amrim. Or, l’Arnon est la frontière de Moab qui le sépare des Amrim : c’est pourquoi il est dit dans le livre des Guerres de Iahouh, ce qu’a fait Iahouh sur la mer Rouge, (il l’a fait) sur les torrents d’Arnon ; nous disons qu’un tel récit, une telle citation ne saurait être de Moïse, et qu’ils ne conviennent qu’à un interlocuteur posthume qui écrivait d’après des matériaux qu’il avait sous les yeux, et où il trouvait décrits les campements et les faits militaires des Hébreux. Or ce livre ancien et original semble devoir être celui-là, même où Moïse écrivit la victoire sur Amaleq, l’an 1er, puis tout ce qui arriva pendant le séjour dans le désert, et enfin l’an 40, la victoire sur Sehoun et celle sûr Og, qui furent les derniers exploits du législateur. Lorsque ensuite les livres que nous avons en main portent une lacune totale entre l’an 2 et l’an 40 ; et que tout leur récit de ce qui se passa pendant 37 ans, se borne à une stérile notice de campements[52], c’est parce que le rédacteur posthume a supprimé, comme inutiles à son but, les détails du Journal de Moïse, de ce livre des Guerres du Dieu Iahouh, que nous n’avons pas.

Le Deutéronome[53] parle encore plusieurs fois d’un livre de la Loi écrit par Moïse l’an 40 ; outre le livre de l’Alliance écrit au pied de l’Horeb, l’an 2....... Moïse remit ce livre, peu avant sa mort, aux prêtres ; enfants de Lévi, et aux anciens d’Israël (ch. 31, v. 9), pour être lu, tous les 7 ans, à la fête des Tabernacles ; à l’époque du Jubilé : or, ce livre ne saurait être ni le Pentateuque, ni le Deutéronome entier, attendu que Moïse ordonna (ch. 27, v. 2), qu’après le passage du Jourdain, ledit livre serait écrit en entier sur les pierres du pourtour d’un autel dont la face aurait été enduite de chaux pour recevoir l’écriture. Il est déraisonnable et impossible de supposer qu’une masse d’écriture, telle que le Deutéronome, ait été écrite sur des pierres, surtout lorsqu’une partie contient des récits étrangers à la loi et postérieurs à Moïse....... Ce second livre de la Loi ne peut donc être qu’un nouvel exposé des lois, avec quelques développements, tels qu’on les trouve dans certains chapitres du Deutéronome ; mais là encore, nous n’avons l’écrit de Moïse que par intermédiaire et non pas autographe, tel qu’il le produisit ; et toujours nous sommes ramenés à l’idée d’un compilateur, posthume, qui retranchant, ajoutant, choisissant ce qu’il a voulu, a composé l’ouvrage réellement confus, et peu cohérent, que l’on appelle Pentateuque.

Ici revient se placer une remarque qui semble avoir échappé à nos prédécesseurs, et que nous avons indiquée plus haut. Nous avons dit que l’oracle rendu par la prophétesse Holdah, désignait d’une manière spéciale les anathèmes des chapitres 27 et 28 du Deutéronome.

Le dieu d’Israël, dit cette femme, va envoyer contre Jérusalem tous les maux écrits dans le livre dont le roi a ouï la lecture, et, cela, parce que les Juifs, ont abandonné leur Dieu et sacrifié à des dieux étrangers.

On feuillette vainement l’Exode, le Lévitique, les Nombres, l’on n’aperçoit rien qui corresponde à ces paroles, ni qui remplisse l’idée de ces maux ; mais lorsqu’on arrive au chapitre 17 du Deutéronome, on trouve une série de malédictions et d’anathèmes qui continue dans le chapitre 28, et qui réellement présente un tableau affreux.

Si vous n’écoutez point la voix de Dieu, dit le verset 15, pour observer tous ses commandements et pratiquer ces cérémonies, une foule de maux viendra vous accabler. Vous serez maudits dans vos villes, maudits dans vos campagnes....... ; Dieu vous enverra la disette et la famine....... ; il vous enverra la peste qui vous consumera....... ; la pluie du ciel sera une poussière et une cendre brûlante, etc., etc. »

Maintenant, comment se fait-il que la suite de ces anathèmes ait pour le sens, et, qui plus est, pour l’expression, une analogie frappante avec les premiers chapitres de Jérémie, écrits depuis l’an 625 jusqu’à 621 ; c’est-à-dire pendant les 4 années où le grand-prêtre dut être occupé de la rédaction du Pentateuque. Les chapitres 4, 5 et 6 en offrent surtout des exemples frappants :

Deutéronome ; chapitre 28, v. 48 et suiv. : Et vous servirez les ennemis que Dieu enverra contre vous : vous les servirez dans la faim, la nudité, la soif, le manque de tout....... Ils appuieront un joug de fer sur vos têtes.

Jérémie, chapitre 5, v. 15, Dieu a dit : Voici que j’amène sur vous un peuple lointain, un peuple robuste, antique, dont vous ne connaissez point le langage ; dont vous ne comprenez point les paroles.

Dieu amènera sur vous un peuple lointain, un peuple du bout de la terre, semblable à un aigle qui vole (à sa proie) ;

Et (chap. 4, v. 13.) Ses chevaux sont plus légers que les aigles. Malheur à nous ! nous sommes ravagés.

Un peuple dont vous ne connaissez point le langage, dont vous ne comprendrez point les paroles, un peuple insolent et dur, sans respect pour les vieillards, sans pitié pour les enfants ;

(Chap. 6., v. 22 et 23.) Un peuple vient du nord ; il sort des flancs de la terre ; peuple cruel, qui n’à point de pitié.

Qui dévorera les produits de vos animaux, les, fruits de vos champs jusqu’à votre entière destruction : qui ne vous laissera ni blé, ni vin, ni huile, ni bœufs, ni brebis ;

Ils mangent (ou mangeront) votre moisson, votre pain, vos enfants, vos troupeaux, vos bœufs, vos vignes, vos figues, etc.

Qui vous resserrera dans toutes vos villes fortes jusqu’à ce qu’il abatte les murs élevés qui font votre confiance ; et vous serez assiégés dans toutes les villes de votre pays, etc.

Ils ravagent (ou ravageront) vos villes fortes dans lesquelles vous mettez votre confiance.

Le hasard ne produit pas d’aussi parfaites ressemblances[54], surtout lorsque les expressions des deux textes sont littéralement les mêmes. Il nous semble donc presque démontré que Jérémie a eu connaissance du travail que préparait le grand-prêtre ; qu’il en est devenu le confident, peut-être même le collaborateur ; du moins est-il certain que son rôle et sa doctrine sont en accord parfait avec le Pentateuque et quant à la composition matérielle de ce livre, nous trouvons, dans les difficultés de l’entreprise, de nouvelles raisons de l’attribuer, à Helqiah ; car quel individu autre que ce grand-prêtre, tout-puissant par sa place et ses récentes fonctions de régent, eût pu se faire ouvrir les archives du temple, les registres du royaume et les monuments des villes ? Quel autre que lui eût pu réunir l’instruction variée, la connaissance des antiquités nécessaire à la compulsation des monuments et à la rédaction de l’ouvrage ? Huit siècles s’étaient écoulés depuis la mort de Moïse ; ce laps de temps avait introduit bien des changements dans le langage, dans les coutumes, dans le régime civil et même religieux, dans la forme même de l’écriture et l’usage des mots. Les 12 tribus pendant 400 ans sous les juges, avaient vécu dans un état réciproque d’indépendance et d’isolement ; c’étaient autant de peuples séparés comme les tribus arabes.... Après Salomon 10 tribus firent schisme absolu, et de ces 10 tribus, 3 vivant au-delà du Jourdain, faisaient presque une autre confédération distincte.... Le langage et les coutumes s’étaient ressentis de cette manière d’être : bien des choses anciennes étaient des énigmes pour le vulgaire ; les vieux manuscrits étaient pénibles à déchiffrer, à comprendre ; le concours de plusieurs hommes lettrés était nécessaire ; de tels hommes étaient rares chez un peuple grossier, ignorant, déchiré de troubles ; leur travail devenait dispendieux, et toute l’entreprise avait des obstacles qu’un homme puissant et tel que le grand-prêtre pouvait seul exécuter.

Après l’exposé que nous venons de faire des preuves positives fournies par divers passages du Pentateuque d’une part, et des présomptions et indices tirés des faits historiques et de leurs accessoires d’autre part, nous croyons pouvoir conclure impartialement

1° Que le Pentateuque, tel qu’il est en nos mains, ne saurait être l’ouvrage immédiat, ni la composition autographe de Moïse

2° Que le livre soi-disant trouvé par le grand-prêtre Helqiah, l’an 18 du roi Josiah, est réellement notre Pentateuque actuel ;

3° Que la partie de ce livre lue devant Josiah, se rapporte aux chapitres 27 et 28 du Deutéronome ;

4° Que le grand-prêtre Helqiah, qui dit avoir trouvé ce livre, et qui l’a possédé, seul et sans témoins ; qui en a été le maître absolu et sans contrôle, est fortement prévenu, par toutes les circonstances du fait, d’en être l’auteur, et de l’être en ce sens, qu’il a recueilli et rassemblé des matériaux dont quelques-uns paraissent venir directement de Moïse ; mais qu’il les a fondus, rédigés et mis dans l’ordre qu’il lui a convenu, et que nous voyons aujourd’hui.

 

CHAPITRE IX. — Problèmes résolus par l’époque citée.

CES PROPOSITIONS étant admises, l’on peut résoudre d’une manière satisfaisante presque toutes les difficultés chronologiques, géographiques et historiques contenues dans le Pentateuque. Et d’abord en considérant que son apparition ou promulgation l’an 18 de Josiah, correspond à l’an 621 avant notre ère, on voit la raison de tous les faits disparates dont-ce livre offre les citations, Par exemple, on conçoit que Helquiah écrivant dans Jérusalem, à l’occident et en deçà du Jourdain, a dû dire que Moïse parla et mourut au delà du Jourdain, du côté du soleil levant ; et il a pu ajouter avec convenance que personne n’avait connu le lieu de sa sépulture jusqu’à ce jour, puisque 8 siècles étaient écoulés et encore, qu’aucun prophète égal à Moïse ne s’était élevé en Israël : un tel prononcé a de la dignité et de la modestie dans la bouche d’un grand-prêtre successeur de Moïse.

On conçoit aussi comment Helquiah a pu employer, au temps d’Abraham, les mots Iahouh et Dan, qui ne furent usités que longtemps après ; comment il a fait des notes explicatives sur le lit d’Og, roi de Basan, sur les rois qui régnèrent en Édom, avant qu’il y eût des rois en Israël, comment il a cité le livre des Guerres du Seigneur, celui de Moshalim, ou traditions, etc., et employé le terme de nabia pour prophète, au lieu de raï, voyant ; qui fût usité jusqu’après David ; enfin, comment il a pu dire : de la terre de Sennar est sorti l’Assyrien qui a bâti Ninive, événement qui date de l’an 1218, ainsi que nous le prouverons. Cette remarque avait alors de l’intérêt pour les Juifs, à qui 150 ans de guerres avaient fait connaître, les Assyriens, tandis qu’auparavant, soit sous Moïse, soit sous David, ils n’avaient aucun rapport avec ce peuple lointain, et ne le connaissaient que vaguement.

Le mérite de cette date tardive du Pentateuque ne se borné pas là. Elle a encore l’avantage d’expliquer plusieurs énigmes de la Genèse et du livre des Nombres, qui sont restées inintelligibles jusqu’à ce jour. Par explique, elle explique les bénédictions supposées que Jacob mourant est censé donner à ses enfants.... Nous disons supposées, parce qu’il est inconcevable qu’il y ait eu là un sténographe pour les recueillir[55], et qu’en les examinant avec critique, l’on y découvre un résumé allégorique de l’historique de chaque tribu, présenté, selon l’usage oriental, sous une forme prophétique.

Zabulon habitera aux bords de la mer, près à des ports, appuyé contre Sidon : Issachar, âne robuste, voyant que sa terre est bonne, baissera[56] l’épaule sous le fardeau, et paiera le tribut. Le pain d’Aser est excellent.... Je diviserai Siméon et Lévi : je le disperserai en Israël (les lévites n’eurent point de lot spécial...) ; le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le trône d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne celui à qui appartient le sceptre et l’obéissance.... Remarquez qu’au temps de Josiah le sceptre avait été ôté d’Israël, c’est-à-dire des tribus, et qu’il restait en Juda, mais avec l’incertitude d’y persister s’il venait un puissant à qui appartînt l’obéissance.

Un second passage énigmatique : qui s’explique également bien, est la prophétie de Nohé à ses trois (prétendus) enfants : Maudit soit Canaan[57] ; il sera l’esclave des serviteurs de ses frères. Canaan, comme on sait, est le peuple phénicien. Ici, les serviteurs de ses frères sont les Hébreux, devenus tributaires des Assyriens, issus de Sem, et même, des Mèdes et des Scythes (en 621), issus de Iaphet.

Béni soit le Dieu de Sem, Canaan sera son esclave.... Dieu dilatera Iaphet[58] qui habitera les tentes de Sem...., et Canaan sera son esclave.

On n’a jamais compris ce verset ; mais dans la géographie hébraïque, Iaphet désigne les races scythiques qui parlent l’idiome sanscrit. Sem désigne les nations arabiques-chaldéennes, et la prophétie eut son accomplissement lorsque les Mèdes, race de Iaphet, eurent envahi Ninive, c’est-à-dire, l’habitation guerrière des Assyriens, race de Sem. Cet événement avait eu lieu 100 ans avant Helquiah, au temps de Sardanapale et d’Arbak ; mais l’invasion des Scythes, qui, en 625, s’emparèrent de tous les pays sémitiques, nous paraît être l’application la plus directe et l’objet le plus immédiat de l’oracle : cet article semble nous révéler positivement le secret du rédacteur Helqiah.

Enfin Canaan, c’est-à-dire les peuples phéniciens se trouvaient alors exactement les esclaves et les tributaires des peuples sémitiques et iaphétiques, puisqu’ils payaient le tribut aux Assyriens et aux Scythes. Aucune explication n’avait, jusqu’à ce jour, rempli toutes les conditions de celle-ci. En cette circonstance nous avons un exemple remarquable de l’observation critique de M. John Bentley, qui, à l’occasion de prophéties semblables insérées dans les livres indiens, soit Pouranas, soit Shastras, nous avertit que, de l’aveu des plus savants et des plus honnêtes brahmes[59], les écrivains Indous (et, en général les écrivains asiatiques), à raison de la corruption des mœurs du siècle, ont dès longtemps imaginé de se servir du respect porté aux anciens personnages, et de la croyance établie qu’ils avaient le don de prévoir l’avenir, pour leur attribuer tantôt des leçons de morale, tantôt des avis et prédictions de choses futures que l’on voyait ensuite arriver. Or, comme les Indous modernes sont en tout point une image vivante de l’esprit et du caractère, des usages et du régime politique de l’ancienne Asie, qu’il ont surtout une grande ressemblance avec les Égyptiens, les Chaldéens et les Hébreux[60] ; l’on conçoit que le grand-prêtre a pu imiter une pratique commune à tout l’ancien monde, surtout lorsque personne ne pouvait le convaincre de supposition.

Une troisième énigme plus obscure, plus compliquée que les précédentes, se résout encore très bien par la rédaction du Pentateuque à la date de l’an 621 avant J.-C. ; c’est l’oracle rendu par le prophète Balaam, que le roi des Moabites appela pour maudire l’armée des Hébreux[61] ; ce morceau est d’autant plus bizarre, que l’on veut expliquer les mystères les plus sacrés par les prédictions d’un devin païen que Moïse fit tuer (Voyez Josué, chapitre 13, verset 22, et Numeri, chapitre 31, verset 8). Laissons à part son dialogue avec son ânesse, qui est raconté sérieusement, comme une chose crue par la cour du roi Moab et par les Hébreux. Balaam après bien des diffa cuités, et après des cérémonies de divination curieuses pour le temps, au lieu de maudire les Hébreux, prononce sur eux des bénédictions.

Or les dernières de ces bénédictions composent les versets suivants[62] : Que les tentes d’Israël sont belles ! Son roi l’emportera (ou prédominera) sur Agag ; et son royaume s’élèvera (de plus en plus).

Une étoile sortira de Jacob, un sceptre s’élèvera d’Israël ; il démolira les pierres angulaires[63] de Moab ; il détruira tous les enfants de Seth. L’Idumée sera possédée par lui. — Le mont Séir sera possédé par ses ennemis, et Israël montrera sa force.

Jusqu’ici le style oraculaire est intelligible et présente des faits liés entre eux. Le premier roi d’Israël vainquit Agag, roi des Amalékites, et la royauté naissante des Hébreux fut affermie.... David succéda, et se montra comme une étoile fortunée ; il écrasa dans une bataille toute la nation moabite, dont il fit tuer, après l’action, tous les chefs, qui sont les pierres angulaires, les soutiens d’une nation, et tous les mâles qui pouvaient porter les armes : il fut le premier qui subjugua Séir (l’Idumée) ; jamais les Hébreux ne furent plus forts. Le verset qui suit se comprend encore.

Amaleq est le commencement (c’est-à-dire le plus ancien, ou le chef des peuples), sa fin sera la perte. David réduisit aussi ce peuple aux abois : ici nous entrons dans l’obscurité.

Pour toi ! ô peuple Qinéen, ton habitation (montueuse) est très forte ; tu as placé ton nid, sur un rocher (destiné) à te brûler du soleil, ô Qinéen ! jusqu’à ce que l’Assyrien (Assur) t’emmène captif. Malheur à qui verra ces choses ! des vaisseaux viendront de Ketim ; ils dévasteront l’Assyrien, ils dévasteront l’hébreu, et lui aussi sera détruit[64].

Le petit peuple Qinéen, ou la tribu de Qin, était parent des Juifs, comme étant issu d’une famille madianite, alliée de Moïse. Ce peuple vivait troglodyte dans des rochers arides au sud-est de la mer Morte, dans le district des Amalékites[65] : on ignore le temps où il fut conquis ; mais puisque ce fut par les Assyriens, ce dut être par Sennachérib ou par Téglatphalasar, qui enleva les tribus d’Israël fixées à l’est du Jourdain et contiguës au pays d’Amaleq et de Qin.

Quant aux vaisseaux venant de Ketim, la Vulgate traduit venant de l’Italie, par conséquent, elle désigne les Romains : ceci supposerait une interpolation postérieure au règne d’Antiochus le Grand[66]. Il faudrait alors supposer que la grande Synagogue a eu le crédit et l’autorité d’introduire ce verset dans la version grecque faite sous Ptolémée, environ 280 ans avant notre ère et dans le texte samaritain : cela n’est pas absolument impossible, mais cela est très difficile à concevoir.

D’autres versions veulent que Ketim désigne la Macédoine, et ils s’appuient du livre des Macchabées, qui dit qu’Alexandre vint de Ketim ; ce serait donc lui qui attrait dévasté ou assiégé l’Assyrien et l’Hébreu ; cela lui conviendrait assez à raison de l’addition, et lui aussi périra. Alors ce passage aurait été interpolé peu après ce prince, et il serait naturel de le trouver dans le texte grec ; mais comment s’est-il introduit dans le samaritain ?

Une troisième explication nous paraît plus convenable clé toutes manières. L’historien Josèphe, qui en général a eu des idées saines sur l’ancienne géographie des Hébreux, c’est-à-dire, sur le chapitre 10 de la Genèse, observe que le nom pluriel, Ketim, doit s’entendre des insulaires de Cypre, ainsi nommés du périple de Kitium, antique capitale de cette île : voilà pourquoi dans la Genèse on trouve les Ketim à côté des Rodanim[67] ou Rhodiens. Il paraît que les Juifs, aussi ignorants en géographie que les Druses, étendirent par la suite ce nom aux côtes de la Cilicie[68] et en général aux grandes îles ou pays[69] de l’ouest : l’auteur tardif des Macchabées en serait une preuve, sans devenir une autorité contre Josèphe. Or, en prenant les Ketim de Balaam pour les peuples ou pays de Cypre, le règne de Josiah nous fournit un fait analogue et convenable. Hérodote[70] rapporte que le roi égyptien Nekos (qui régna en 616), ayant tourné toutes ses pensées du côté des expéditions militaires, fit construire une flotte de trirèmes sur la Méditerranée, et que cette flotte lui servit dans l’occasion ; et aussitôt il parle de la bataille de Magdol ou périt Josiah.

D’autre part, nous apprenons par Bérose et par Jérémie, que cet armement fut destiné à agir contre la Syrie, soumise aux Assyriens de Babylone ; en sorte que tandis que Nekos conduisit par terre une armée qui battit les Juifs et Josiah, sa flotte conduisit par mer une autre armée qui dut le seconder sur l’Euphrate. Cette flotte. dut nécessairement prendre un appui en Cypre, et put agir de concert avec les Kitiens ; alors ces vaisseaux seront réellement venus de Ketim, ils auront tourmenté l’Assyrien et l’Hébreu. Ce dernier, dans cette même guerre, reçut le terrible échec de Magdolum, où périt Josiah, échec qui fut suivi de la prise de Jérusalem : or, comme Nekos finit par être battu et chassé en l’an 604, l’oracle, lui-même aussi périra, se trouve accompli. Il y a l’objection que cet événement est postérieur de 17 ans à la publication du Pentateuque ; mais Helqiah pouvait vivre[71] encore ; et comme il resta maître de son manuscrit, toujours unique, il put y faire lui-même cette addition : les mots, malheur à qui vivra alors, conviennent singulièrement à la douleur que durent lui laisser la mort de son pupille Josiah et la prise de Jérusalem.

Cette solution, qui sauve l’interpolation trop tardive du temps des Romains et même d’Alexandre, a aussi le mérite d’expliquer l’existence du Pentateuque samaritain, plus naturellement que ne le fait l’hypothèse qui rend Esdras auteur du Pentateuque : en effet, si Esdras eût composé ou publié ce livre[72], c’eût été en lettres chaldaïques, qui sont notre hébreu actuel, dont l’usage prévalut chez les Juifs à leur retour de Babylone, et alors on ne conçoit pas comment une secte schismatique, usant de l’ancien et véritable caractère hébreu, mal à propos nommé samaritain, aurait accepté un tel livre, et l’aurait transcrit, à l’exclusion de tous les autres qu’elle rejette ; au lieu qu’à l’époque de Helquiah, tous les Juifs usaient encore de leur écriture nationale, qu’ils tenaient des Phéniciens, et avec laquelle furent composés tous leurs livres, depuis Moïse jusqu’à Jérémie. Ce ne fut qu’au retour de Babylone, que les émigrés, nourris dans les sciences et dans les lettres chaldéennes, voulurent avoir les livres nationaux transcrits dans le caractère auquel ils étaient habitués. Comme ils étaient la haute classe de la nation, leur système acquit l’ascendant ; mais ce ne dut pas être subitement, et il resta un autre parti, conservateur du système ancien, qui traitant celui-ci d’innovation, continua d’écrire la loi avec les caractères dits samaritains ; de là s’est formée cette double branche de manuscrits perpétuée jusqu’à nos jours et parce que les Juifs du pays de Samarie, dès longtemps séparés de ceux de Jérusalem, n’ont en aucun temps voulu se plier à leur autorité ecclésiastique, ni admettre leur genre d’écriture, le parti novateur des chaldaïsants finit par confondre avec eux la branche ou secte réellement orthodoxe des hébraïsants qui out continué d’écrire comme les Samaritains. Par la suite, sous le régime des Asmonéens, un sanhédrin suprême et despotique s’étant formé, son autorité, semblable à celle des conciles, introduisit des changements qui composent les différences actuelles du texte hébreu avec le samaritain et même avec la version grecque.

Que si le verset de Balaam, relatif aux vaisseaux de Ketim a désigné la venue d’Alexandre, il faudra attribuer cette interpolation au grand sanhédrin ; et alors il faudra admettre qu’il a eu le crédit d’engager ou de contraindre les manuscrits grecs et samaritains à l’admettre, ce qui n’est pas impossible, mais ce qui néanmoins est peu naturel. Il est d’ailleurs singulier et remarquable que par un devoir traditionnel, les copistes ne manquent jamais de laisser à certains endroits des manuscrits hébreux, des places vides ou blanches..., comme si elles eussent primitivement été destinées à recevoir des interpolations du genre de la prophétie que le grand-prêtre Iaddus montra à Alexandre. Au demeurant, lorsque l’on examine tous les détails de l’anecdote de Balaam, on est, porté à croire qu’elle est un épisode tiré, quant aux faits, d’un livre tel que celui des Guerres du Seigneur, écrit par Moïse, ou de son temps ; et quant aux prédictions, qu’elles ont été composées par le rédacteur même ; car qui a tenu le procès verbal des jongleries de Balaam[73] ?

 

CHAPITRE X. — Suite du précédent.

Li rédaction du Pentateuque par Helqiah, explique encore pourquoi l’on trouve dans ce livre quelques faits chronologiques des temps anciens, que l’on ne peut concilier avec les temps postérieurs ; par exemple, il est dit dans l’Exode, (Ch. XVI, v. 1er et 13) :

Que les Hébreux étant arrivés dans le désert de Sinaï le quinzième jour du second mois depuis la sortie d’Égypte, le peuple murmura de la disette des vivres, et que le soir il vint une si grande quantité de cailles, qu’il put en manger à satiété.

Et dans les Nombres (comparez ch. IX, v. 1er, 3, 5, chap. X, v. 11, et chap. XI, v. 31), il est encore dit :

Que l’an II, au deuxième mois, peu après le vingtième jour, le peuple étant campé dans le désert, à 3 jours de marche de Sinaï, il arriva encore une volée de cailles si abondante, que chaque famille put s’en rassasier et en faire sécher pour sa provision.

Ce fait d’histoire naturelle n’est point changé ; il y a encore, chaque année, 2 passages de cailles dans ce désert et dans l’Égypte. L’un de ces passages a lieu vers la mi-septembre, lorsque les cailles craignant l’hiver, quittent l’Europe pour se rendre en Afrique et en Arabie ; l’autre vers la fin de février, lorsque les cailles reviennent en Europe chercher l’abondance de la belle saison.

De ces 2 passages, celui qui s’applique à l’exemple cité est le passage en février, par les raisons suivantes. Peu avant la sortie d’Égypte, il y avait eu une grêle terrible qui avait détruit l’orge parce qu’il était déjà grandi et le lin, parce qu’il montait en tuyaux[74] ; elle n’avait point détruit le froment, parce qu’il est plus tardif. Cet état de choses n’a lieu en Égypte que dans le cours de février : l’épi du blé se forme vers la fin de ce mois. Le texte ajoute peu après : Et Dieu dit : Voici le premier de vos mois (qui arrive), et (ch. XIII, v. 4) aujourd’hui vous sortez dans le mois des nouveaux blés.

L’année commençait donc en hiver. Le passage des cailles n’était donc pas celui de septembre, qui placerait le premier mois en août : c’était le passage de février, qui étant arrivé vers le vingt ou vingt-cinquième jour du second mois, nous indique le commencement de l’année vers la fin de décembre ou le début de janvier : les circonstances de la grêle n’y seraient point discordantes, lors même que l’on supposerait exact ; tout ce récit, ce qui ne peut s’admettre, vu les prodiges magiques qui y sont joints. Nous avons donc lieu de croire qu’à l’époque de Moïse, l’année commençait au solstice d’hiver, selon un usage des Égyptiens, dont ce législateur emprunta beaucoup d’idées. Cependant tous les livres juifs, y compris le Pentateuque, indiquent que l’année commençait à l’équinoxe du printemps.... Ce n’est pas tout le livre intitulé Josué, écrit sur des matériaux anciens, et rédigé, à ce qu’il semble, avant le temps de Salomon, porte un autre passage tout à fait contraire à celui-ci. On y lit[75] : que Josué, devenu chef, s’approcha du Jourdain pour le passer ; qu’il trouva cette rivière gonflée, parce que le Jourdain au temps de la moisson, a coutume de remplir son lit ; et que le peuple le traversa le dixième jour du premier mois[76]. Notez ces circonstances ; le peuple passe le Jourdain le dixième jour du premier mois, et le Jourdain est gonflé parce que c’est son usage au temps de la moisson ; ce qui a encore lieu de nos jours, à raison de la fonte des neiges. L’année commençait donc à cette époque : or, la moisson dans le pays de Jéricho se fait, selon Josèphe[77], 14 jours avant le pays de Jérusalem ; et dans ce pays, comme dans la Palestine, elle a lien vers la fin de mai : tout est fini du 1er au 5 juin. La date du passage est donc indiquée vers le solstice d’été ; et cette date, vu l’importance du fait, a dû être notée et conservée même par la tradition.

Nous avons ici deux textes clairs et positifs, indiquant chacun le commencement de l’année à une époque différente ; l’une au solstice d’hiver, l’autre au solstice d’été. D’où peut venir une telle contradiction ? Selon nous, elle vient de ce qu’à l’époque de Moïse et de Josué, les Hébreux avaient une manière de compter le temps, qui fut changée sous le régime obscur et anarchique des juges ; et que le grand-prêtre Helqiah eu rédigeant son livre, a fait disparaître la méthode des temps anciens et des livres originaux, parce qu’elle n’était plus d’usage et qu’elle eût contrarié ses récits en d’autres occasions, spécialement à l’occasion du déluge. Notre opinion pourra sembler singulière à quelques lecteurs ; mais ceux qui connaissent certains passages de Pline, dé Plutarque ; de Macrobe, et surtout le Traité de Censorin, de Die natali, pourront admettre avec nous, que les Hébreux, dans l’origine, ont, été du hombre de ces peuples qui ne mesuraient point le temps par la double révolution du soleil dans l’écliptique, et qui trouvaient plus simple d’employer de moindres révolutions de cet astre ou de la lutte, telles que les mois, les saisons de 3 mois, et la durée de 6 mois que le soleil met à se rendre d’un tropique à l’autre, on de l’un à l’autre équinoxe : de là est venue l’expression singulière d’années d’un mois, d’années de trois mois, d’années de six mois, dont les anciens citent beaucoup d’exemples.

L’an le plus ancien usité en Égypte, dit Censorin[78], fut de 2 mois : Orus le fit de 3 ; le roi Pison le porta à 4. Les Cariens et les Arcarnaniens ont eu des années de 6 mois ; les Arcadiens des années de 3 mois, etc.

Chez les anciens, dit Pline[79], l’année a eu des valeurs bien différentes de celle que nous lui donnons aujourd’hui ; les uns faisaient un an de l’été et un an de l’hiver ; d’autres, comme les Arcadiens, composaient l’année de 3 mois ; d’autres, comme les Égyptiens, avaient des années d’un mois.

En raisonnant d’après ces exemples, qu’il nous serait facile de multiplier[80], nous pensons que les Hébreux eurent d’abord des années de 6 mois ; prises d’un solstice à l’autre[81]. Le passage de Josué que nous avons cité, et ceux de l’Exode relatifs aux cailles, en offrent l’indication formelle ; et nous en trouvons d’autres indices dans l’analyse de quelques autres faits de l’Histoire des Juifs. Par exemple, au temps de Moïse, le Pentateuque donne pour terme ordinaire et moyen de la vie humaine, 120 ans de 12 mois : Moïse meurt à cet âge ; Josué vit 110 ans ; Amram, 137 ; Caat, fils de Lévi, 133, etc. Cet état prodigieux est d’autant moins admissible, qu’environ 4 siècles plus tard, David dit expressément que 70 ans sont le terme habituel de la vie humaine ; et qu’au delà ce n’est qu’infirmité et misère[82]. Supposons qu’il y ait équivoque de mots ; et qu’au temps de Moïse l’année fût de 6 mois, tous les âges cités se réduiront à l’état naturel, tel que l’indique David, et que nous le voyons encore réglé par l’organisation de l’homme ; Moïse aura vécu 66 de nos années, Josué, 55, Amram 68, etc. À l’appui de notre idée vient la remarque faite par dom Calmet, que les Juifs semblent n’avoir connu que deux saisons, puisque leurs anciens livres ne nomment jamais que l’hiver et l’été, lesquels présentent cette division de l’année solaire en deux parties, comme nous le disons.

Un fait cité dans le livre de Josué, ch. 14, v, 6, vient à l’appui de notre opinion. Kaleb, fils de Iephoné, dit à Josué :

Tu sais que j’avais 40 ans lorsque Moïse m’envoya avec toi reconnaître le pays des Cananéens il y a environ de cela 45 ans.... Maintenant je suis âgé de 85, et je suis aussi fort que j’étais alors ; j’ai la même vigueur pour combattre et pour marcher.... Donne-moi, pour mon partage, cette montagne d’Hébron que Moïse m’a promise.

(Ch. 15, v. 13). Josué ayant donné ce lot à Kaleb, celui-ci marcha avec ses parents pour s’en emparer. Je donnerai, dit-il, ma fille à celui qui prendra Kariath Sepher ; et Othoniel, fils de Kenez, frère cadet de Kaleb, prit la ville d’assaut, et il eut sa cousine Oxa pour épouse.

Si dans ce récit on prend les 85 ans de Kaleb pour des années, de 12 mois, sa vigueur est hors de vraisemblance, bien plus, le mariage de sa fille avec son neveu est une autre circonstance choquante, en ce que ce même neveu (Othoniel) après la mort de Josué, après celle des vieillards, après 8 ans d’oppression de Cusan, chasse ce roi et gouverne pendant 40 ans ; il en eut vécu plus de 100. Prenons les pour des années de 6 mois, tout devient naturel. Kaleb partit âgé de 20 ans (moitié de 40), et il est dit qu’il était le plus jeune avec le jeune Josué, serviteur de Moïse.... 22 ½ après (moitié de 45) Kaleb, âgé de 42 ½, est aussi vigoureux qu’à 20 ans, et cela est naturel.... Il donna sa fille âgée de 16 à 18 ans, au fils de son frère cadet : ce frère put être âgé de 40 à 41 ans, son fils Othoniel put en avoir 20, tout cela est dans l’ordre.... ; et il put, 20 ou 30 ans après, gouverner encore 20 ans (moitié de 40) sans être âgé dé plus de 60 à 70.

Une seule objection raisonnable se présente. Si des années de 6 mois eurent lieu sous Moïse, pourquoi ses lois font-elles une mention expresse des fêtes placées au 7e mois ? Par exemple au Lévitique (ch. 23, v. 27), il est dit : Au premier jour du 7e mois vous célébrerez une grande fête.... ; le 1er jour du 7e mois sera la fête des expiations, et le 15e sera la fête des tentes ou tabernacles.... : ce jour, en recueillant le produit de la terre, vous prendrez les fruits du plus bel arbre, etc.

Nous répondons que cela est une conséquence naturelle de la refonte des livres originaux, faite par Helqiah, et de la réforme qui s’introduisit tacitement dans le calendrier au temps des jugés.... Helqiah écrivant selon les usages de son temps, a fait disparaître les expressions anciennes et autographes qu’avait pu employer Moïse ; et quant à la célébration de la Pâque qui, dans notre hypothèse, ne revient que tous les deux ans, rien n’empêche que Moïse l’ait désignée par le passage du soleil dans le signe du bélier, et que connaissant l’année de 12 mois, employée par les Égyptiens, ses maîtres, il se soit conformé à l’usage populaire des Hébreux dans la désignation des fêtes.

A l’égard de la réforme que nous disons s’être introduite tacitement du temps des juges, elle a dû réellement se faire et elle a pu se faire sans laisser de traces’ apparentes, à raison de l’anarchie et du défaut de monuments ; car le livre des Juges n’est pas une chronique. Cette réforme expliquerait très bien la surabondance d’années que donne ce livre dans les sommes partielles ; les premiers juges et les premières servitudes ayant compté des années de 6 mois, il s’ensuivrait que 2 ou 300 de leurs années ne vaudraient que moitié ; et c’est la non distinction des unes et des autres qui, par l’ignorance de l’écrivain, a introduit un désordre maintenant irrémédiable. Il est probable que Helqiah lui-même n’a pas trouvé de matériaux suffisants à cet égard.... D’ailleurs la période des juges n’était pas dans son plan : l’auteur du livre des Rois ne nous semble pas avoir été plus heureux.

Le temps écoulé en Égypte est une autre période obscure sur laquelle le Pentateuque ne fournit point de documents admissibles. Selon l’Exode (ch. 12, v. 40), ce temps fut de 430 ans ; mais outre que ce calcul est entièrement dénué de preuves, il est encore incompatible avec le nombre de 2 ou 3 générations que veulent compter les Évangiles, et même avec les quatre que nous donne la Genèse dans la vision où Dieu dit à Abraham, que sa race, pendant 400 ans, servira un peuple étranger et qu’à 4e génération seulement, elle reviendra posséder le pays de Canaan[83]. Il est impossible d’admettre 100 ans pour une génération, et outre que cette prophétie est évidemment faite, après coup comme nous verrons : celle de Jacob et de Noé, il est apparent que l’auteur n’a pas eu d’autres renseignements que ceux de l’Exode, qui sont nuls.

Josèphe qui eut sous les yeux[84] des chroniques, égyptiennes, ne compte que 230 ans ; et ce nombre qui avoisine la moitié de 430 viendrait à l’appui de notre opinion pour les années de 6 mois ; nous, aurions, encore en notre faveur, l’emploi inverse qu’il en fait lorsqu’il donne : à Salomon 80 ans de règne au lieu de 40, et nous dirions que l’ancien usage se serait conservé dans quelque chronique qu’il aurait consultée[85] ; au reste, en admettant, les années de 6 mois, le séjour en Égypte n’en reste pas moins un temps incertain, inconnu.... ; et l’ignorance où nous laisse le Pentateuque sur l’emploi de ce temps, est une nouvelle preuve que Moïse m’est pas l’auteur de ce livre : il eût eu, et il nous eût donné, à cet égard, des renseignements qui ont manqué à Helqiah cette observation s’applique encore mieux aux 40 années du désert, dont 38 se passent dans un silence absolu ; car entre les chap. 9, 11, 13, 14 du livre des Nombres, où il est parlé des événements arrivés l’an 2, et le chap. 20 du même livre, où les Israélites se trouvent près d’entrer en Canaan (l’an 40 de la sortie d’Égypte), il y â une lacune manifeste, que le Deutéronome répète et rend plus sensible dans la fin du chap. 1er jusqu’au verset 14 du chap. 2, et cette lacune, qui ne saurait avoir existé dans le Journal de Moïse, s’explique naturellement de la part de Helqiah, soit que réellement il ait manqué de documents sur l’emploi de ce temps, soit qu’il ait volontairement supprimé des détails qui eussent contrarié d’autres parties de son travail, et indiqué, par exemple, l’usage des années de 6 mois.

Ainsi nous nous voyons sans cesse ramenés à nos deux propositions fondamentales, savoir :

Que Moïse n’est point l’auteur du Pentateuque, et que Helqiah est cet auteur indiqué par une foule de circonstances.

 

 

 



[1] Paralipom., II, chap. 26, v. 21. Reg. II, chap. 15, v. 5.

[2] Super domum regis constitutus.

[3] Samuel, ch. 13.

[4] Lib. VI, chap. 18, in fine.

[5] Antiq. jud., lib. X, cap. 8.

[6] Lib. I, n° 23. Josèphe l’associe à Démétrius de Phalère et à Philon l’ancien, comme étant les trois historiens les mieux informés sur les Juifs. Démétrius fut contemporain et témoin de la version grecque.

[7] Prœp. evang., lib. IX, p. 447.

[8] Antiq. jud., lib. X, cap. 8.

[9] Voyez lib. XI, cap. 4, à la fin. Josèphe dit que la monarchie dura, depuis Saül, 532 ans 6 mois. La traduction de Rufin est d’accord ; et il a plu à Havercamp d’écrire 522 qui est aussi faux. A l’égard des 80 ans de Salomon, qui de Josèphe ou de ses copistes les a imaginés ? Nous l’ignorons ; mais l’on ne peut attribuer qu’à lui les 94 ans de vie qu’il donne à ce prince, et qui sont inconciliables avec le temps de l’enlèvement de sa mère, vers la 14e ou la 15e année du règne de David ; Salomon dut avoir environ 25 ans à son avènement, et son début ferme et prudent cadre avec cet âge. Au reste, on ne peut disculper partout Josèphe de manque de critique et de bons calculs : par exemple, il dit : Achaz régna 16 ans, et il en vécut 36... Son fils Ézéqiah régna 29 ans, et en vécut 54. Donc Ézéqiah avait 25 ans lorsqu’il remplaça Achaz, lequel n’ayant vécu que 36 ans, se trouve l’avoir engendré à l’âge de 10 ou de 11 ans.

Deux autres contradictions se présentent encore dans Josèphe relativement à la durée des rois juifs : Le temple, nous dit-il (lib. X, cap. 8), fut brûlé par Nabuchodonosor, l’an 18 de son règne, 11e de Sédéqiah, 470 ans 6 mois après sa fondation (par Salomon). D’abord le Livre des Rois atteste que le temple fut brûlé l’an 19 de Nabuchodonosor, par Nabuzardan, l’un de ses généraux ; ensuite ces 470 ans sont une erreur manifeste : car le temple ayant été fondé l’an 4e de Salomon, si de la durée totale des rois 493 nous retranchons, 1° les 20 ans de Saül, 2° les 40 de David, 3° les trois premières années de Salomon, total 63 ; il ne nous reste que 430 et non pas 470 ans ; or la différence de 430 à 470 est précisément de ces 40 ans, dont Josèphe a surchargé, sans raison, le règne de Salomon, qu’il porte à 80 ans au lieu de 40... Mais si nous comptons ces 470 à reculons, c’est-à-dire en rétrogradant depuis l’an 11 de Sédéqiah, nous trouverons que leur première année coïncide juste à l’an 4 de David, au lieu de l’an 4 de Salomon. Cette méprise ne peut venir que de Josèphe.., elle se reproduit au liv. XX, chap. 9, lorsqu’il dit : Il y a eu dix-huit grands-prêtres depuis la fondation du a temple jusqu’à sa ruine, par Nabuchodonosor, en un espace de 466 ½. Voilà encore une variante de 4 ans qui ne peut venir que de cet auteur ; il est remarquable que ces 466 ½ comptés en remontant, tombent juste à l’an 8 de David, c’est-à-dire à la 1ère année de l’occupation de Jérusalem, lorsque l’arche y fut transférée par ce prince ; et cela en comptant Salomon pour 40 ans seulement, ce qui est exact en tout point. Au reste ce passage a le mérite d’indiquer que la liste, des grands-prêtres a été un monument particulier, indépendant de toute autre chronique, duquel Josèphe, en sa qualité de fils de prêtre, a eu connaissance, mais dont il a fait emploi sans le discuter ni le confronter à ses autres calculs et autorités.

[10] Samuel, lib. I, cap. 17, v. 34.

[11] Ibid., cap. 16, v. 18.

[12] Ibid., lib. I, cap. 12, v. 12.

[13] Samuel, lib. I, cap. 25.

[14] Samuel, lib. I, cap. 5.

[15] Ibid., lib. I, cap. 3.

[16] Chap. 12, v. 13 et 26.

[17] C’est l’opinion expresse de Usher, de Petau, de Marsham, de Lejay, etc.

[18] A raison des 30 ans qu’il faut ajouter pour Josué et les Vieillards.

[19] Chronologie, tome I, page 69.

[20] Juges, chap. 19, 20 et 21.

[21] Samuel, lib. II, cap. 2.

[22] Voyez Fabricius, notes sur l’Hérésie de Philastre.

[23] Montfaucon, Antiquité expliquée, tome I, page 127.

[24] Hérodote, lib. II, § XLV.

[25] Servius, notes sur l’Énéide, lib. IV, v. 196. Notez que chez les anciens l’Éthiopie est souvent appelée Inde.

[26] Ovide, Fastes, lib. IV, v. 681 à 712. Cette même fête avait lieu à Rome vers le 20 avril, au coucher des pluvieuses Hyades. Bochart remarque qu’à cette époque on coupe les blés en Palestine et dans la basse Égypte (Hierozoicon, tome II, page 857). Or, peu de jours après le coucher des Hyades se levait le Renard, à la suite ou queue duquel venaient les feux ou torches de la canicule, signalés, chez les Égyptiens, par ces marques rouges peintes sur le dos de leurs animaux.

[27] En arabe Shams-on, Soleil.

[28] Antiq. jud., lib. XI, cap. 4, n° 8.

[29] Chronologie, tome I, page 136.

[30] Antiq. jud., lib. XX, cap. 10, page 700 à 702.

[31] Antiq. jud., lib. V, cap. 6, in fine.

[32] Le livre d’Esdras, quoique canonique, est bien moins exact que Josèphe, puisqu’en remontant depuis ce prêtre jusqu’à Aaron, il ne compte que 17 têtes, savoir : d’Esdras à Helkyah ; sous Josias, 4 têtes en 160 ans ; ce qui est absurde. De là à Achitob, sous David, trois têtes en 420 ; ce qui est encore plus absurde. De là à Aaron, 10 têtes : en général les recensements de générations dans les livres juifs, depuis la captivité de Babylone, sont tronqués et méritent peu de croyance.

[33] Deutéronome, chap. 15, v. 1, 12 et suivants.

[34] Nihil in sacris litteris aut in historicis exteris satis expressum legi unde sciri possit, utrum jubileus etiam in Judœa ipsa, necdum in aliena regione ac deportatione, Judœi servaverint. — Primas est is quo Antiochus Eupator, Epiphanis filius, Hierosolymam obsedit. (Voyez chap. 26, p. 59). Voyez, aussi : Johan. Davidis Michaelis Commentationes ; Bremœ, 1774, Commentatio nona : de anno Sabbatico, où ce savant auteur déclare aussi que cette loi n’a point eu d’exécution.

[35] Tome I, p. 694.

[36] Desvignoles, tome I, p. 709, où il cite les solides raisons de Godefroi Vendelin.

[37] [Chap. 25 v. 11] Depuis 23 ans, je vous ai porté la parole de Dieu, vous ne m’avez point écouté ; voici ce que dit aujourd’hui le Seigneur : J’amène Nabuchodonosor, roi de Babylone ; il va dévaster cette terre ; elle restera déserte, et tous ses peuples seront en servitude 70 ans, et quand 70 ans seront écoulés, je visiterai Babylone à son tour, et je la détruirai.

[38] [Chap. 29, v. 5-10]. Bâtissez des maisons à Babylone ; plantez-y, semez-y ; mariez-vous-y, etc. ; car voici ce que dit le Seigneur : Lorsque 70 ans seront écoulés (pendant votre séjour) à Babylone, je vous visiterai et vous ramènerai ici.

[39] La différence de 2 ou 3 ans que nous avons citée n’aurait-elle point pour cause l’intercalation de quelques années, faite dans cet espace de près de 500 ans, par des procédés que nous ignorons ; car, quoique l’on en ait dit, nous ne connaissons pas exactement la forme de l’année juive avant la captivité de Babylone ?

[40] Samuel, lib. II, cap. 24, v. 2.

[41] Tout le chapitre premier.

[42] Voyez, entre autres, le Tractatus Theologico-politicus, publié en 1665, et l’Histoire critique du Vieux Testament, in-4°, 1685.

[43] Plusieurs traductions latines altèrent ici et ailleurs le vrai sens des mots, et au lieu de dire ultra, disent in transita ou in ripa ; mais il est avoué, de tous les hébraïsants, que b’âber signifie rigoureusement au delà, ultra.

[44] Deutéronome, chap. 4, v. 22. Moïse dit : Voici que je meurs dans cette terre, et je ne passerai point le Jourdain.

[45] Cette phrase est répétée chap. 13, v. 7.

[46] Voyez l’Histoire critique du Vieux testament, par R. Simon, chap. 5 et 6, etc. ; et le Tractatus philos. polit., chap. 8, 9 et 10, traduit sous le nom de Recherches curieuses d’un esprit désintéressé, etc., Cologne, 1672, in-12.

[47] On sait, et le texte hébreu déclare, qu’un grand nombre ne sont pas de David : plusieurs chapitres d’Isaïe sont évidemment dans le même cas. Au chap. 12, v. 2, on trouve un demi verset tiré du cantique composé à l’occasion du passage de la mer Rouge (Exode, chap. 15, v. 2) ; mais ce cantique, qui nous est indiqué par le texte même comme devenu chant populaire, a pu et dû se conserver en d’autres livres.

[48] Son père se nommait Helqiah, comme le grand-prêtre ; ils ont pu être parents.

[49] Cet an 13 de Josiah est l’an 626 avant notre ère, ainsi que nous le prouverons par la suite.

[50] Les Paralipomènes.

[51] Depuis Alexandre on a peine à prouver l’existence des livres de Zerdoust. Quant aux Vedas, on à longtemps douté de la leur ; et il a fallu toute la puissance des Anglais pour parvenir à compléter une copie de ces livres, réduits à un seul manuscrit dont rien ne garantit la parfaite pureté.

[52] Voyez le chap. 33 et les précédents, livre des Nombres.

[53] Deutéronome, ch. 29, v. 1er.

[54] Une autre identité a été remarquée par les critiques. On lit, au chap. 21 du livre des Nombres, v. 26, 27 et 28 : Or, la ville de Hesbon avait été enlevée aux Moabites par Séhon, roi amorrhéen ; c’est pourquoi il est dit dans le livre des Moshalim : Venez bâtir Hesbon, la ville de Séhon.... Un feu est sorti de Hesbon, une flamme de la ville de Séhon, pour dévorer les villages de Moab sur les hauteurs de l’Arnoun : malheur à toi, ô Moab ! il a péri le peuple de Kâmôs..., il a livré ses enfants à la fuite, et ses filles à la captivité.

D’autre part, le chapitre 48 de Jérémie, v. 44, 45 et 46, porte : A l’ombre de Hesbon se sont arrêtés les fuyards de Moab ; un feu est sorti de Hesbon, une flamme du milieu de Séhon pour dévorer les pierres angulaires et les sommets des enfants de Châoun. Malheur à toi, Moab ! Le peuple de Kâmôs a péri ; car ses enfants sont emmenés en esclavage, et ses filles en captivité. — On objecte que le livre des Moshalim a pu être cité, par l’auteur des Nombres, comme par Jérémie ; mais dans un temps où un manuscrit était rare et souvent unique, sa citation par deux auteurs devient un indice de quelques relations habituelles entre eux, et appuie notre opinion sur celles de Jérémie avec le grand-prêtre Helqiah.

[55] Genèse, ch. 49.

[56] Les interprètes traduisent ce mot au passé, mais il n’en porte pas plus le signe dans l’hébreu que les autres traduits au futur. En général ils font arbitrairement l’échange de ces deux temps.

[57] Genèse, chap. 9.

[58] C’est un jeu de mots, car Iaphet signifie dilaté, vaste, comme le continent des races scythiques. Ham, le pays chaud, brûlé.

[59] Asiatick researches, tome IV.

[60] Mégisthènes fait une remarque expresse de cette ressemblance entre les Indiens et les Juifs pour les opinions théologiques. Eusèbe nous dit, Prœpar. Evang., lib. IX, cap. 6, Megasthenis.... clarissimus hic locus est libro suo de Indicis tertio : Quidquid ab antiquis de natura dictum est, eorum etiam qui extra Græciam philosophantur, ut brachmanum apud Indos, et Judæorum in Syrid sermone celebrutur. Un passage de Josèphe, dans son livre Ier contre Apion, est encore remarquable, § XXII : Cléarque, disciple d’Aristote, en son livre du Sommeil, parlant d’Hyperochides, philosophe juif, observe que les Juifs tirent leur origine des Indiens. Chez les Indiens, dit-il, les philosophes se nomment Kalani, et chez les Syriens, Judœi, à raison du nom de la contrée qu’ils habitent.

[61] Le livre des Nombres, chap. 22, dit que Balaam vint du pays des Ammonites. Le livre du Deutéronome dit, chap. 23, v. 4, qu’il vint de la Mésopotamie (Aramnahrim).

[62] Numeri, chap. 24, v. 5 à 7 et 17 à 20.

[63] Voilà encore une phrase de Jérémie.

[64] Dans la Polyglotte de Walton, pas une des sept traductions grecque, syriaque, arabe, vulgate, chaldaïque, etc., ne ressemble à l’autre ; ce qui démontre l’incertitude des auteurs : nous avons suivi le sens le plus littéral et le plus plausible.

[65] Samuel, lib. I, cap. 15, v. 6.

[66] Environ 180 ans avant J.-C.

[67] Le texte hébreu porte Dodanim par confusion de l’R avec le D, qui en hébreu lui ressemble ; mais le samaritain, qui n’est pas susceptible de cette confusion, porte Rodanim, et c’est la vraie leçon.

[68] Voyez Isaïe, chap. 23.

[69] En hébreu, tout pays au-delà de la mer s’appelle Ile : Ai. La même chose a lieu en sanscrit.

[70] Hérodote, liv. II, § CLXI.

[71] Supposez qu’en 638, 1ère année de Josiah, Helqiah eût 40 ans, il en aura eu 74 en 604.

[72] Sous le règne d’Artaxerxés, vers l’an 452 avant J.-C.

[73] Le livre célèbre intitulé, Tractatus theologico politicus, publié en 1670, est le premier qui ait traité tout ce qui concerne les livres hébreux avec la liberté d’esprit convenable pour y porter la lumière.... Le lecteur y trouvera beaucoup de détails intéressants sur le sujet que nous traitons ; mais son auteur, qui a cru qu’Esdras composa le Pentateuque, nous paraît s’être trompé dans plusieurs de ses raisonnements ; son grand mérite est d’avoir ouvert une route où presque personne n’avait osé mettre le pied avant lui.

[74] Exode, chap. 9, v. 23, 31, 32.

[75] Chap. 3, v. 1, 15.

[76] Chap. 4, v. 19.

[77] De Bello judaico.

[78] Censorinus, de Die natali par Lindenbroq. Cantabrigiæ, 1695, in-12, chap. 19. Et in Ægypto antiquissimum ferunt annum bimestrem fuisse ; deinde a Pisone rege quadrimestrem factum. Diodore, liv. I, pas. 22, dit, d’un mois, d’accord avec Plutarque, Pline, Augustin, Varron et Proclus. Item in Achaia, Arcades trimestrem habuisse ; Cares autem et Acarnanes semestres habuerunt annos, et inter se dissimiles quibus alternis dies augescerent aut senescerent, eosque conjunctos veluti trieterida annum magnum.

[79] Hist. nat., lib. VII., cap. 49.

[80] Voyez Plutarque, de Numa ; Diodore, lib. I, Varron ; Proclus, Comment. in Timeum.

[81] Cela serait d’autant plus naturel, que n’étant point laboureurs, mais pâtres errants, ils n’avaient pas besoin du calendrier écliptique.

[82] Lorsque ce roi, fuyant Absalon, passe le Jourdain, il est accueilli par un vieillard de 85 ans, que l’historien peint décrépit, tel qu’il serait de nos jours.

[83] Genèse, chap. 15.

[84] Josèphe, Antiq. jud., liv. II, ch. 6 et 15.

[85] Voyez Mémoires de l’Acad. des Inscrip., tome XXXIV, un Mémoire de Gibert sur les années des Juifs.