VOYONS maintenant quel a été le rôle des maires, des adjoints et des députés de Paris pendant les événements que nous racontons. Le 19 mars les magistrats municipaux de Paris se sont réunis à 2 et à 6 heures de l'après-midi dans les mairies des 3me et 2me arrondissements sous la présidence de M. Tirard. Ces messieurs décidèrent dans ces deux réunions d'envoyer une députation au gouvernement de Versailles afin d'obtenir de lui la révocation du général bonapartiste Vinoy, un des hommes les plus compromis lors du coup d'Etat du deux-décembre, 1851, et du général royaliste d'Aurelle de Paladines, que le gouvernement de l'assemblée de Versailles avait eu la malencontreuse idée de nommer commandant en chef des gardes nationaux de la Seine. La réunion des maires et des adjoints de Paris demandait en outre que ces deux officiers supérieurs soient remplacés par le général Billaut et par le lieutenant-colonel Langlois. Les révocations du préfet de police Valentin, commandant de gendarmerie, du maire de Paris, Jules Ferry, et leur remplacement par MM. Edmond Adam et Dorian étaient aussi réclamées. Après de nombreuses démarches et un grand nombre de pourparlers le gouvernement se décida enfin à accorder le remplacement du général d'Aurelle de Paladines par M. Langlois, et M. Ferry donna sa démission de maire de Paris. Le nouveau commandant de la garde nationale se rendit alors à l'Hôtel-de-Ville auprès du Conseil Central, pour l'informer de sa nomination. Il fut reçu par le commandant Brunet, qui lui demanda s'il reconnaissait les pouvoirs du Comité Central de la garde nationale ? Non ! répondit arrogamment le lieutenant-colonel Langlois. Alors nous ne pouvons pas non plus vous accepter comme commandant des gardes nationaux de Paris, répondit le citoyen Brunet, et M. Langlois se retira. Les maires et les adjoints de la capitale, auxquels se joignirent bientôt les députés de Paris, continuèrent les négociations auprès du gouvernement de Versailles, mais sans obtenir aucune solution satisfaisante. Les députés de Paris, d'accord avec les maires et les adjoints, résolurent ensuite de porter la question devant l'assemblée de Versailles, afin d'en hâter la solution si c'était possible. Voici la proclamation qu'ils publièrent dans Paris, et par laquelle ils informèrent leurs électeurs de leurs intentions et de leurs résolutions : Citoyens, Pénétrés de l'absolue nécessité de sauver Paris et la République et d'éviter toute cause de collision, et convaincus que le meilleur moyen d'atteindre ce suprême résultat est de donner satisfaction aux vœux légitimes du peuple, nous avons résolu d'engager aujourd'hui l'Assemblée nationale à adopter deux mesures qui, nous l'espérons, ne seront pas repoussées et contribueront â établir le calme dans vos esprits. Ces deux mesures sont : l'élection de tous les chefs de la garde nationale et la formation d'un Conseil Municipal nommé par tous les citoyens. Ce que nous désirons et ce qui est nécessaire au bien public, dans toutes les circonstances actuelles, c'est l'ordre dans la liberté et par la liberté. Vive la France ! Vive la République ! Signé : LOUIS BLANC, SCHŒLCHER, PEYRAT, ADAM, FLOQUET, BERNARD, LANGLOIS, LOCKROY, FARCY, BRISSON, GREPPO, MILLIÈRE. Voici l'opinion du citoyen Paschal Grousset sur la proclamation et la conduite des députés de Paris : C'est sans étonnement, mais avec une douleur véritable, que nous avons lu ce matin, sur les murailles, le manifeste des députés et des maires de Paris. Certes, nous rendons hommage à l'empressement avec lequel ces élus du peuple ont accepté, pour leur compte personnel, les deux points principaux du programme populaire : le scrutin communal et l'indépendance de la garde nationale ; nous constatons volontiers la bonne grâce qu'ils ont mise à attester publiquement, et par voie d'affiche, cette adhésion à un mouvement qui s'était accompli en dehors d'eux. Pour qui sait les petitesses et les misères de la politique, ce sacrifice, car c'en est un véritable, ce sacrifice a sa valeur, qu'il serait injuste de ne pas apprécier. Mais ces réserves faites, où en sommes nous, où en est parmi nous l'abaissement du sens politique, si les élus de Paris, les représentants du peuple, croient devoir subordonner le programme du 18 mars à l'approbation de l'Assemblée de Versailles ? Quoi ! citoyen Louis Blanc, citoyen Lockroy, citoyen Greppo, citoyen Millière, sérieusement vous pensez qu'en droit le peuple de Paris a besoin, pour fonder sa liberté municipale, de l'autorisation des bons villageois ? Quoi ! vous jugez qu'en fait cette autorisation aurait une valeur quelconque ? Sérieusement, nous ne pouvons le croire. Le droit de Paris à ne pas subir plus longtemps l'oppression de la province, de l'esprit à ne pas être étouffé par la matière, de la science à ne pas être obscurcie par la stupidité, est trop évident pour ne pas éclater à tous les yeux, et spécialement aux yeux des représentants de Paris. Quant au fait, celui de la valeur que peut avoir en ce moment l'opinion d'une assemblée de ruraux, qui n'a même plus dans sa petite ville une baïonnette sûre à son service, auprès d'une population de trois cent mille hommes armés jusqu'aux dents, unis dans une même pensée et maîtres de toutes les positions dans la capitale de monde ; quant au fait, disons-nous, il est assez patent par lui-même pour qu'il n'y ait pas deux manières de le juger. Alors, quelle peut être la raison de cette proposition que les députés de Paris offrent de porter à l'assemblée de Versailles ? Est-ce le beau projet de donner une apparence de légalité au fait de la reprise de possession par le peuple de Paris de sa souveraineté ? Est-ce l'opinion que cette politesse va toucher le cœur des ruraux et faire le trait d'union qu'ils jugent nécessaire entre Paris et la province ? En ce cas, pauvre politique, comme toute politique parlementaire, et aussi peu appropriée que possible à l'esprit même de la Révolution présente ! Allez, nous n'avons pas besoin de prendre ces mitaines ! Les départements savent bien qu'ils ne peuvent pas se passer de Paris, et que Paris sait fort bien se passer d'eux. Et puis, il en serait autrement, que feraient-ils ? Nous avons la force, et ils ne l'ont plus. Nous avons le droit, et ils ne peuvent le contester, puisqu'ils ont été les premiers à nous répudier, à nous mettre au ban de la nation. La situation présente est plus forte que tous les raisonnements du monde. Nous voulons nous organiser et nous gouverner nous-mêmes. Nous en avons le pouvoir. Nous en avons la volonté. Nous le faisons. Les départements n'ont plus qu'à courber la tête. Et c'est déjà trop que de daigner leur en donner l'avis. Afin de donner encore une idée exacte de la négociation entamée par les députés de Paris, nous faisons un résumé impartial des discussions qui ont eu lieu à ce sujet au sein de l'assemblée de Versailles. Dans la séance du 20 mars dernier, M. Clemenceau saisit l'assemblée d'une proposition relative à l'élection de la municipalité parisienne dans les termes suivants : Dans les graves circonstances que nous traversons, je dépose un projet de loi signé par plusieurs membres de cette assemblée. Le voici : Article 1er. — Il sera procédé dans le plus bref délai à des élections municipales pour la ville de Paris. Article 2e. — Le conseil municipal de Paris se composera de 80 membres. Article 3e. — Le conseil nommera son président, qui aura les attributions de maire de Paris. Article 4e. — Il y aura incompatibilité entre les fonctions de maire et d'adjoints des divers arrondissements et celles de conseiller municipal. Signé : LOUIS BLANC, LANGLOIS, LOCKROY, MARTIN-BERNARD, TIRARD, CLEMENCEAU. Nous demandons l'urgence, ajoute le dépositaire du projet. Le Président. — Mais après la réunion qui vient d'avoir lieu dans les bureaux, vous ne pouvez point demander l'urgence. M. Clemenceau. — Nous ne venons pas irriter le débat, c'est pour cola que nous ne voulons pas développer les raisons qui nous obligent à demander l'urgence. (Parlez ! parlez !) Il n'y a à cette heure dans Paris d'antre pouvoir que celui des municipalités. Le gouvernement a quitté son poste. (Protestations au banc du gouvernement.) Le poste du gouvernement était où était le danger. Donc il est constant qu'il n'y a plus dans Paris d'autre autorité que celle des municipalités. M. Picard. — Cette autorité est contestée. M. Clemenceau. — Raison de plus pour demander l'urgence, car comme je l'ai déjà dit deux fois, il n'y a point d'autre autorité dans Paris. M. le Président. — Vous n'avez pas le droit de dire qu'il n'y a pas d'autorité en France. M. Clemenceau. — Je ne dis pas cela. Je ne serai point ici si je ne reconnaissais pas à cette assemblée le pouvoir souverain. Si vous voulez sortir de cette situation qui m'effraye, créez de suite une autorité municipale à Paris, de façon à ce que ceux qui veulent que l'ordre soit rétabli se rangent autour de cette autorité. Cette autorité ne peut émaner que du vote de Paris. Vous ne trouverez que dans son expression le point d'appui que vous devez donner à ceux qui veulent rentrer dans la légalité. M. Picard. — S'il ne s'agissait que d'un conseil municipal, je ne contredirais pas l'honorable préopinant. Mais devant une insurrection qui ne reconnaît point certaines municipalités, qui peut n'en reconnaître aucune demain, est-il possible de faire des élections vraies, c'est-à-dire libres ? Non. Nous demandons que la chambre se prononce contre l'urgence. M. Tirard. — Nous ne contestons point ce fait. Oui, il faut que les élections soient libres. Mais croyez-le, si nous vous demandons l'urgence pour ce projet, c'est que nous en sentons l'absolue nécessité. Nous avons fait tout ce qui était possible, nous avons affronté les plus grands périls depuis deux jours. M. Thiers. — Et nous aussi. M. Tirard. — Mais Paris a été abandonné par le gouvernement. M. Thiers. — Non ! M. Picard. — Les ministres ont été expulsés par la force. M. Tirard. — Je ne fait que constater un fait, nous ne blâmons personne. . . . . Je reviens aux faits. Nous nous sommes réunis dans nos mairies sans pouvoirs qui nous permissent d'intervenir en rien. J'ai été hier avec deux de mes collègues au ministère de l'intérieur. La garde nationale venait de l'envahir, nous avons dû nous retirer. En un mot, nous sommes restés dans nos mairies, et cette nuit seulement le ministre de l'intérieur nous a envoyé les pouvoirs nécessaires pour agir au point de vue administratif. Nous avons reçu des délégués de l'Hôtel-de-Ville, auxquels nous avons déclaré que nous étions les seuls élus du suffrage universel, et que nous ne voulions pas laisser péricliter notre mandat. Parmi les causes qui nous ont mis dans cette situation, plusieurs ont frappé tous les esprits. D'abord on s'est étonné de ce que la garde nationale ne se soit pas levée à l'appel du gouvernement. C'est un peu à cause du vote sur la loi sur les échéances. En outre Paris n'a pas d'administration municipale. Je vous garantis que le jour où nous aurons fait placarder un appel aux honnêtes Parisiens, pour les inviter à se donner des mandataires, la guerre civile sera finie. M. Picard. — Mais les électeurs sont déjà convoqués ! M. Tirard. — Je réponds à l'objection du ministre de l'intérieur. Il y a des affiches invitant aux élections pour le 22 ; nous avons déclaré que nous nous opposerions aux élections. Et vous venez nous dire que nous pactiserions avec l'émeute ? Soyez sûrs que la population sera avec nous, quand vous aurez fait ce que nous vous demandons. M. Picard. — La chambre a entendu les explications de nos collègues. Qu'y a-t-il entre eux et nous ? Une nuance. Dans les circonstances actuelles, il ne faut pas s'arrêter aux nuances. Il me semble donc que la chambre ne doit pas repousser la proposition d'urgence. D'ailleurs, plusieurs de nos collègues savent que depuis longtemps déjà nous étions disposés à proposer un projet de loi sur les élections municipales. . . . . L'urgence est ensuite mise aux voix et adoptée. Dans la séance du 21 mars, un membre de l'assemblée prend de nouveau la parole sur la question des élections municipales et s'exprime en ces termes : Ce matin, nous avons examiné dans les bureaux la question sur le conseil municipal de Paris. Cette question appelle des élections pour la France entière. Dans ce moment, il faut que cette assemblée sache accepter son mandat. Le temps presse, je vous demande de décider que les commissaires nommés par les bureaux discutent de suite. Dussions-nous y passer la nuit entière ? Pendant que nous sommes inactifs ici, les insurgés agissent. Il nous faut de l'activité ; ce n'est point être actif que de se retirer à deux heures quand nous avons la journée devant nous. . . . . M. Clemenceau. — Je vous ai déjà déclaré que nous ne reconnaissons d'autre autorité que la votre, et que je ne demande que le rétablissement de cette autorité dans Paris. On peut y arriver par la force ou par la paix. Je crois que nous pouvons y arriver par la paix. Nous avons dit : Nous voulons intervenir entre Paris et le Comité Central. Mais il nous faut une base pour intervenir. Cette base c'est l'élection municipale. Nous ferons ces élections, alors la lutte sera pacifique. Vous aurez rétabli le calme dans Paris sans verser une seule goutte de sang. (Cris à droite.) Mais vous ne pouvez pas faire le siège de Paris. Les chefs de bataillons sont là, mais leurs hommes ne leur obéissent pas. Croyez-moi, il n'y a qu'un moyen de sauver l'ordre, c'est de faire les élections municipales à Paris ; mais hâtons-nous ! M. Langlois. — Je suis de l'avis du citoyen Clemenceau. Mais je désire que l'assemblée déclare, afin que les élections qui seront faites demain à Paris soient illégales, que les élections municipales auront lieu à bref délai. Mettez dès aujourd'hui Paris dans le droit commun pour les élections municipales, voilà la solution pratique. Vous diminuerez par ce moyen le nombre de ceux qui voteraient sous l'impulsion du Comité Central. Faites cela, je vous en supplie. M. Brisson. — Nous reconnaissons tous que la proposition du citoyen Langlois est d'une urgence extrême. Mais nous tenons à déclarer d'ores et déjà que cette assemblée municipale n'aura aucun droit sur la France. Si le rapport de la commission sur les élections ne peut être prêt à temps, que l'Assemblée par un ordre du jour motivé fasse une loi qui remette Paris dans le droit commun. . . . . M. le Président. — Tous les bureaux n'ont pas nommé de commissaires, c'est déplorable ! Voici l'ordre du jour motivé déposé sur mon bureau : Considérant qu'un gouvernement libre a remplacé le gouvernement arbitraire qui est déchu ; L'assemblée nationale décrète : La ville de Paris rentrera dans le droit commun quant à son administration municipale. M. Thiers. — Il est vrai que la question a une énorme gravité ; nous comprenons l'intérêt qu'on lui porte. Voulez-vous dire à Paris, qu'il sera traité comme le reste de la France ? Oui. Mais la France ne peut pas subir le joug de Paris, sachez-le. (Applaudissements à droite.) Le droit commun nous ne pouvons l'accepter qu'expliqué. Sous le dernier régime Paris n'était pas représenté, il était administré par une commission nommée par le préfet de la Seine. Si vous entendez par droit commun que Paris soit administré par ses représentants, je suis de votre avis. Mais si vous voulez dire que Paris, sera administré comme une ville de 300 mille âmes, non ! Il faut combiner les mesures pour organiser le système agréable aux Parisiens avant de faire la loi. Si Paris a besoin de cette garantie : qu'il aura un conseil municipal comme toutes les villes, nous la lui donnons ; mais si Paris entend se faire esclave des sections, nous aimons trop Paris pour le vouloir. Donnez-nous très-peu de jours, Paris se gouvernera avant peu lui-même. Nous ne demandons que le temps nécessaire pour préparer la loi. M. Louis Blanc. — Nous nous associons de tout notre cœur aux paroles du chef du pouvoir exécutif. Mais c'est parce qu'il faut à Paris un centre autour duquel puissent se rallier tous les bons citoyens qu'il faut se hâter de donner à Paris un conseil municipal. A droite. — Mais oui ! Mais oui ! M. Louis Blanc. — Et alors que l'assemblée le déclare immédiatement. M. Clemenceau. — Je remercie le chef de l'exécutif de ses déclarations, mais il demande du temps, et c'est le temps qui nous manque. Il est vrai qu'on ne peut pas faire une loi précipitée. Mais ne pourrait-on pas procéder dans un bref délai aux élections municipales et voter la loi ensuite ? A droite. — Allons donc ! Allons donc ! M. Clemenceau. — Mais si je parle ainsi, Messieurs de la Commission, c'est que je ne veux pas livrer mon pays à la guerre civile. Peut-être avez-vous peur d'avoir l'air de pactiser avec l'émeute. Mais, si le gouvernement de l'Hôtel-de-Ville est obéi il y aura demain des élections à Paris. Je tiens à venir dégager ici ma responsabilité des malheurs qui pourront suivre. Si vous ne voulez pas cette loi à bref délai, nous allons à l'abîme, sachez-le. A droite. — La clôture ! la clôture ! Un Membre. — Y a-t-il à Paris des listes électorales régulières ? (Oui ! à gauche.) Nous accorderons à Paris de rentrer dans le droit commun, quand il y sera rentré lui-même. M. l'amiral Saisset. — J'ai été appelé au commandement en chef des gardes nationaux de la Seine, et immédiatement j'ai écrit aux maires que, si j'étais fort de leur autorité, je pourrais ranger autour de mon drapeau tous les bons citoyens. Après cela, j'ai écrit à une commune de m'envoyer deux bataillons pour m'emparer de l'Elysée et du ministère de l'intérieur. Ils n'ont pas voulu venir. Mais il y a pourtant péril en la demeure. On fait des réquisitions à domicile ; on arrête des citoyens. Le général Allain a été pris comme otage, sa femme aussi, m'a-t-on assuré. On m'a dit à Paris que, après avoir été abandonné par l'Assemblée (murmures), on n'avait su autour de qui se ranger. Je suis arrivé à avoir 300 hommes à ma disposition ; ce n'est pas avec cela qu'on vient à bout de la situation. Oui, la situation est terrible, l'insurrection est capable de tout. Je parle en homme qui sait les choses. Ecoutez-moi, donnez toute facilité à Paris de faire des élections municipales ; que les élections aient lieu après-demain. (Rumeurs.) Il y a deux jours que je suis au milieu de tout cela, et je rougis d'avoir été obligé d'y être. Je suis prêt à aller combattre les insurgés avec vous, mais il faut songer qu'il y a là cinq cent mille femmes ou enfants innocents. M. Tolain. — Il me semble qu'après ces explications toutes vos illusions devraient disparaître. Si vous voulez éviter la guerre civile, donnez aux maires et aux députés de Paris le moyen d'agir. Il vous faut vous incliner si vous voulez sauver Paris et la République. (Oh ! on ! la République !) Je ne discute pas si, à tort ou à raison, l'insurrection (rumeurs) a tort ; oui, si j'avais cru l'insurrection juste, je serais à l'Hôtel-de-Ville. J'ai fait tous mes efforts pour rétablir l'ordre dans Paris, moi qui ne suis pas, vous le savez, un partisan déclaré de l'ordre. (Rumeurs.) Mon nom n'indique pas précisément les opinions conservatrices, ce qui ne m'empêche pas de vouloir l'ordre dans les cœurs et dans la rue. Si vous voulez sauver la population de Paris, cette population qui, depuis six mois, a souffert de toutes les misères, et qui est si émue à cette heure, accordez-nous d'apporter à Paris la certitude que, dans quelques jours, il pourra faire des élections municipales. Un membre trouve la proposition peu opportune. (Oh ! oh !) M. Thiers. — Paris se plaint de ne pas être représenté comme les autres villes de France ; il a raison ! Mais nous lui demandons de reconnaître l'impossibilité absolue où nous nous trouvons de satisfaire sur l'heure à ses vœux. Il faut combiner un système ; nous le combinerons le plus tôt possible. Comment voulez-vous qu'en vingt-quatre heures on fasse un projet de loi aussi grave ? Croyez-vous que les hommes qui occupent Paris, qui ont tué Thomas, l'âme de la République. . . . . M. Jules Favre. — Proscrit de décembre ! ce sont les bonapartistes qui l'ont tué. M. Thiers. — Qui ont pris Chanzy comme otage, car si nous commettons une faute, c'est lui qui en répondra ; croyez-vous que ces gens-là vous écouteront, vous Lockroy, vous Clémenceau ? Et pourtant si vous n'êtes pas républicains, qui le sera ? On nous a dit que l'amiral Saisset avait été acclamé sur le boulevard, nous le nommons général en chef. L'amiral Saisset. — On m'a condamné à mort. M. Thiers. — Eclaircissons la situation. Qu'avons-nous fait à Paris ? On vous avait dit qu'on vous rendrait les canons, je n'étais pas de cet avis. Je consentis à patienter. Alors, on vint nous dire : Comment, vous supportez le spectacle de cent bouches à feu braquées sur Paris, menaçant les affaires et arrêtant les Prussiens sur le sol de la France ! Nous nous sommes entendus avec vous (à gauche), vous nous avez dit : On va vous les rendre. On ne les rendit pas, je résolus de les enlever, et j'aime mieux avoir été vaincu que d'avoir refusé de combattre. Si nous avons été vaincus d'ailleurs, c'est qu'il y a eu confusion' ; la troupe se voit entourée de femmes et d'enfants, elle ne tire pas. En 1848, le gouvernement, qui m'était cher, est tombé pour le même fait. Alors, sur le champ, j'ai enlevé les troupes à ce chaos, je les ai portées de l'autre côté de la Seine ; et là elles faisaient respecter la loi et la souveraineté nationale. Le général d'Aurelle avait bien demandé dis mille gardes nationaux, pour les faire battre à côté de l'armée active, ils ne se sont pas présentés. Paris ne voulant pas se sauver, nous avons résolu de penser à la France et à vous. C'est à cause de cette révolution que nous avons sauvé l'armée, que nous vous avons trouvé un lieu de réunion protégé par l'armée fidèle et la France entière. (Bravos.) Nous savons que Paris a sauvé l'honneur de la France, mais nous ne devons pas sacrifier son droit. Paris ne nous a pas aidé à le délivrer des insurgés. Paris nous a donné le droit de préférer la France à lui. Et pourtant nous viendrons au secours de Paris quand nous le pourrons. (Murmures à gauche.) Non, je vous mets au défi de faire un projet de loi que ces gens-là acceptent. Quand l'assassinat n'a pas ouvert les yeux à Paris, le projet de loi ne les lui ouvrira pas. M. Tolain. — Nous avons protesté le jour même des assassinats ; nous le leur avons dit. M. Thiers. — Oui, Paris sera représenté ; nous ferons une loi, peut-être peu conforme à nos idées, mais nous la ferons sans espoir, pour que ces hommes ne protestent plus de leur aveuglement ; ce n'est pas par la raison qu'on les désarme. Ce qui les désarmera, ce sera l'attitude ferme et calme de cette Assemblée et l'attitude de la France entière. A un moment, ils se trouveront isolés ; et alors nous voulons que Paris se sauve lui-même ; et ce n'est pas quand il offre 300 hommes à l'amiral Saisset qu'il semble disposé à le faire. Nous ne voulons pas attaquer Paris ; qu'il nous ouvre les bras, nous lui ouvrirons les nôtres. Paris a des droits, nous ne lui refuserons pas de les reconnaître ; mais ne vous payez pas d'illusion ; car, la loi faite, je vous défierais de la mettre à exécution. M. Clemenceau. — Le chef du pouvoir vous a expliqué comment il avait été amené à être la cause première des évènements qui se sont produits. (Rumeurs générales.) M. Jules Favre. — C'est un acte d'accusation. M. Clémenceau. — Je crois que le gouvernement a fait des fautes, mais ces fautes ne sont rien à côté des crimes qui ont été commis. (Ah ! ah !) Les maires avaient promis de faire tout leur possible pour amener une solution pacifique. J'ai dit pour ma part au ministre de l'intérieur que, sans le transfert de l'Assemblée nationale à Versailles et la suppression des cinq journaux, tout aurait été fini il y a dix jours. Le chef du pouvoir exécutif nous dit : Vous ne satisferez point ces hommes avec votre loi ; mais je ne tiens pas à les satisfaire. Je veux donner un soutien aux hommes d'ordre qui se trouvent dans Paris. Ils sont en majorité. Sans cela vous serez obligé d'employer la force, vous aurez toute la responsabilité de vos actes. M. Jules Favre. — Tout à l'heure, le président du conseil vous disait : Que Paris fasse un signe, nous serons avec lui. Nous n'avons jamais cessé d'être avec lui. Mais le temps presse, c'est par des actes énergiques qu'il faut combattre le mal. Les citoyens de Paris n'acceptent qu'en frémissant le joug honteux qu'on leur impose. Des journaux ont donné un grand exemple. Alors qu'ils sont sous le couteau des assassins, ils ont rédigé la protestation suivante : (Il lit la protestation des journaux et les signatures.) Vous voyez qu'à la presque unanimité la presse de Paris a protesté contre le coupable attentat dont Paris est victime. Et pour ce qui est de la question que nous discutons, je le déclare, oui, Paris doit avoir sa représentation. Nous avons préparé, de concert avec le ministre de l'intérieur, un projet de loi dans ce sens. S'il ne s'agissait que de rendre à Paris la liberté des élections, la majorité de cette Assemblée rendrait à Paris des droits longtemps discutés. Mais ces questions ne sont pas celles qu'on discute à Paris. Il y a des doctrines funestes qu'on nomme en philosophie l'individualisme, et le matérialisme en politique : la République au dessus du suffrage universel. Avec cela on peut faire croire à Paris qu'il peut avoir son individualité propre, vivre de son autonomie, et il est triste après tant de siècles de se trouver en face d'une sédition qui pourrait être ramenée par la fable des membres et de l'estomac. Comment donc ! Paris voudrait-il se séparer de la province, des ruraux, comme on dit ? Comment Paris pourrait-il soutenir cette erreur politique et sociale, après ce siège qu'il a supporté avec tant d'héroïsme ? Il a pu comprendre que la séparation d'avec la province était pour lui la mort. Une commune libre, c'est la servitude directe. Il m'a paru, dans un mouvement aussi extraordinaire, qu'il n'était pas hors de propos de signaler l'erreur qui a pu entraîner dos hommes abusés. Comment se fait-il que nous puissions hésiter à rentrer dans une voie vigoureuse pour avoir raison d'un pareil opprobre ? (Bravos à droite.) Est-ce que cette situation de Paris n'est pas la guerre civile ? Les réquisitions ont commencé ; nous allons voir la société tout entière s'effondrer par la faute de ceux qui n'ont pas su prendre les armes pour se défendre. Si le gouvernement a quitté Paris, c'est pour sauver l'armée. Mais que l'émeute le sache bien, si le gouvernement est à Versailles, c'est avec espoir de retour. Que l'émeute le sache bien, elle qui étudie pour savoir si nous n'avons pas le droit pour la réprimer de faire appel à l'armée étrangère. Comment donner caution de notre solvabilité, après des secousses pareilles ? Ils sont venus nous demander, avec M. Thiers, si nous ne voulions pas continuer à traiter avec les Prussiens. (Rires.) Il ne faut pas rire d'affaires aussi sérieuses ; et, selon moi, des hommes qui veulent vous renverser ne méritent aucune pitié. Laissez-moi vous lire, pour vous donner une idée de leur morale, l'article suivant que je trouve dans leur journal officiel. M. Jules Favre lit l'article de l'Officiel relatif à l'assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas ; il l'accompagne de quelques commentaires. Et pourtant qu'avons-nous fait ? Les Prussiens voulaient désarmer la garde nationale, nous lui avons maintenu ses armes avec des efforts considérables. Que la France le sache, quoi qu'il arrive, nous serons avec elle. L'amiral Saisset. — Eh bien ! appelons la province et marchons sur Paris. M. Tolain. — Nous ne nous payons pas de mots, nous voulons un vote. M. Tirard. — J'arrive de Paris. Tous les maires se sont réunis dans la mairie du 2me arrondissement. Une grande partie des mairies sont occupées par les maires réels. (Murmures.) Nous sommes en face des hommes de l'Hôtel-de-Ville ; nous leur faisons échec. Je passe mes jours dans la mairie ; je vais y revenir après la séance ; je sais mieux que personne ce qui se passe à Paris. En toute sincérité, je vous le dis, Paris peut être sauvé par des mesures de préservation. C'est une mesure de préservation que nous vous avons proposée. On a annoncé cette mesure, et immédiatement le résultat s'est fait sentir. J'ai fait venir les chefs de bataillon ; je leur ai dit : Il faut en finir ! Et ils ont signé la proclamation qui est affiché à cette heure dans tout mon arrondissement. Je ne suis pas dans le secret des moyens dont dispose le ministre, mais une grande partie des bataillons de la garde nationale est armée de chassepots : il y a des pantalons rouges dans les rangs des gardes nationaux insurgés. Je ne crois pas que vous ayez la force. (Rumeurs.) Un mot pour finir. Une chose m'a frappé dans le discours du ministre des affaires étrangères, c'est la division qu'on cherche à faire naître entre Paris et la province. Eh bien, il se passe des faits à Paris que je ne veux pas faire connaître. (Parlez ! parlez ! — Non ! non !) Je Vous annonce que notre œuvre est en bon chemin, ne nous empêchez pas de le poursuivre.... A droite. — M Chanzy ? Chanzy, nous avons été le chercher, nous ! Si vous voulez adopter notre projet, la tranquillité renaîtra. Dans trois jours, nous serons maîtres de l'Hôtel-de-Ville ; si nous revenons les mains vides ce soir à Paris, je ne sais pas ce qui pourra arriver. Je tenais à vous le dire. M. Thiers. — Plus les circonstances sont graves, plus la discussion est longue. Je remercie M. Tirard du courage qu'il montre dans ces circonstances difficiles. Qu'il soit bien entendu que nous n'entendons pas marcher sur Paris ; nous attendons que Paris fasse un acte de raison. Nous accorderons à Paris ses droits, nous n'y mettrons qu'une restriction : on prendra des mesures pour que de pareilles infamies ne se reproduisent plus. M. le Président. — On m'a remis plusieurs ordres du jour motivés. MM. Picard et Jules Favre déclarent que le gouvernement accepte ces ordres du jour indistinctement. Un membre ayant demandé l'ordre du jour pur et simple, M. Favre répond que l'adoption de cette proposition serait considérée par le gouvernement comme hostile. L'ordre du jour suivant est adopté : L'Assemblée nationale, de concert avec le pouvoir exécutif, déclarant que l'administration municipale de Paris et des départements sera faite sur le principe des conseils élus, passe à l'ordre du jour. Après le vote de l'ordre du jour motivé qui précède, lequel n'offrait aucune garantie à la population parisienne, puis qu'il ne disait pas quand les conseils municipaux seraient élus, ni par qui, ni comment, messieurs les députés de la gauche et les maires et adjoints de Paris publièrent la protestation suivante contre les élections du conseil communal, qui devaient avoir lieu le lendemain vingt-deux mars : Citoyens : Vos vœux ont été portés à l'Assemblée nationale par vos députés : l'Assemblée y a satisfait par un vote unanime qui garantit les élections municipales sous bref délai à Paris et dans toutes les communes de France. En attendant ces élections, seules légales et régulières, seules conformes aux vrais principes des institutions républicaines, le devoir des bons citoyens est de ne pas répondre à un appel qui leur est adressé sans titre et sans droit. Nous, vos représentants municipaux, nous vos députés, déclarons donc rester entièrement étrangers aux élections annoncées pour demain et protestons contre leur illégalité. Citoyens, unissons-nous dans le respect de la loi, et la patrie et la République seront sauvées. Vive la France ! Vive la République ! (Suivent les signatures.) On voit par la proclamation qui précède que les maires, adjoints et députés de Paris, déniaient aux électeurs de la capitale le droit de procéder aux élections de leur assemblée communale sans le bon plaisir de la majorité de l'assemblée de Versailles. Cette protestation des magistrats municipaux et des députés, qui n'était nullement fondée en droit, eut au point de vue moral les conséquences les plus funestes, et produisit un très-mauvais effet. Cette scission déclarée entre ces magistrats, ces députés et le Comité Central de la garde nationale, au sujet d'une question aussi grave que celle des élections communales, fut très-funeste non-seulement à la cause de la Commune, mais encore à celle de la République. Si le 21 mars, trois jours après le triomphe de la Révolution du 18, les maires, les adjoints et les députés de Paris s'étaient franchement, ouvertement raillés à la cause de la révolution communale qui s'accomplissait, et que les élections du 22 devaient légitimer et consacrer, il est certain que cette cause aurait été complètement gagnée dans l'opinion publique, et que l'assemblée de Versailles et le gouvernement de M. Thiers auraient été impuissants à s'opposer plus longtemps à son triomphe définitif. Mais malheureusement il n'en a pas été ainsi. Messieurs les députés de la gauche, les maires et les adjoints, en donnant leur appoint à l'assemblée de Versailles, ont porté un coup fatal à la Révolution, au triomphe de la cause communale, et ils ont rendu inévitable la guerre civile, les massacres et les transportations qu'ils redoutaient. Ces représentants et ces magistrats peuvent être considérés à juste titre comme responsables du sang versé et de la réaction qui a suivi. Si un jour la République succombe, ils pourront s'accuser en toute justice d'avoir été les principaux auteurs de sa chute. Les difficultés et l'opposition que les députés, les maires et les adjoints de Paris firent aux élections communales, qui devaient avoir lieu le 22 mars, obligèrent le Comité Central de la garde nationale do les ajourner au dimanche, 26 du même mois. Veut-on avoir une idée exacte de l'esprit d'arbitraire réactionnaire qui inspirait messieurs les maires et adjoints de Paris, voici une proclamation signée d'eux, qu'ils ont fait afficher sur les murs de Paris, le 22 mars, et qui ne laissera aucun doute dans l'esprit de nos lecteurs : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Liberté, Egalité, Fraternité. L'assemblée des maires et adjoints de Paris, en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés ; Au nom de suffrage universel dont elle est issue et dont elle entend faire respecter le principe ; En attendant la promulgation de la loi qui conférera à la garde nationale de Paris son plein droit d'élection ; Vu l'urgence, nomme provisoirement : L'Amiral Saisset, représentant de la Seine, commandant supérieur de la garde nationale de Paris ; Le Colonel Langlois, représentant de la Seine, chef d'état-major général ; Le Colonel Schœlcher, représentant de la Seine, commandant en chef de l'artillerie de la garde nationale. Les maires et adjoints de Paris. (Suivent les signatures.) En lisant cette proclamation la population parisienne se demandait avec surprise depuis quand des magistrats municipaux, maires et adjoints, élus pour administrer des mairies, avaient le mandat de nommer à des commandements militaires de premier ordre, et où ils avaient puisé le droit d'usurper la souveraineté du peuple et de ravir à ce dernier le droit imprescriptible de procéder lui-même à l'élection de tous les chefs de la garde nationale, depuis le caporal jusqu'au général en chef. Cette prétention des magistrats municipaux, aussi ridicule qu'outrecuidante et qu'arbitraire, après la Révolution du 18 mars, accomplie par le peuple pour reconquérir précisément le droit de nommer le commandant en chef de la garde nationale et l'assemblée communale, était bien faite pour inspirer le mépris le plus profond et soulever l'indignation générale. C'est ce qui arriva. Dès lors les maires, adjoints et représentants de Paris furent estimés à leur juste valeur et considérés pour ce qu'ils étaient réellement, c'est-à-dire pour des réactionnaires alliés de Versailles et ennemis du peuple, de ses droits et de son émancipation politique et sociale. L'Amiral Saisset, qui s'était écrié à l'assemblée de Versailles : Marchons de suite sur Paris, chercha alors à atténuer le mauvais effet que sa nomination produisait. Il publia dans ce but les deux proclamations suivantes : Chers concitoyens, Je me bâte de vous informer que, de concert avec les députés de la Seine et les maires de Paris, nous avons obtenu du gouvernement de l'Assemblée nationale la complète reconnaissance de vos franchises municipales et votre droit d'élire tous les officiers de la garde nationale, y compris le commandant en chef, une modification à la loi sur les échéances des billets, et un projet de loi sur les loyers en faveur de tous les locataires dont le loyer n'est pas au dessus de 1.200 francs. Jusqu'à ce que vous ayez confirmé ma nomination, ou que vous m'ayez remplacé, je resterai à mon poste d'honneur pour assurer l'exécution des lois de conciliation que nous avons réussi à obtenir et pour contribuer ainsi à la consolidation de la République. Signé : SAISSET. Paris, le 24 mars 1871. Il serait bien difficile de trouver un modèle de proclamation plus astucieusement mensonger que celui-ci. Il suffit de lire les débats soulevés au sein de
l'assemblée de Versailles au sujet de l'élection du Conseil communal de
Paris, pour s'apercevoir que jamais l'assemblée de Versailles n'avait voulu
accorder la complète reconnaissance des franchises
municipales et le droit d'élire tous les officiers de la garde nationale y
compris le commandant en chef, etc. L'assemblée de Versailles avait simplement voté pour la forme et sous les plus expresses réserves de M. Thiers et de ses collègues, un ordre du jour motivé disant que l'administration municipale de Paris et des départements sera faite sur le principe des conseils élus, sans dire ni par qui, ni comment ces conseils seront élus, ni quels seront leurs attributions et leurs droits. Ce vote n'engageait absolument l'assemblée à rien et n'était qu'un hypocrite escamotage. Le projet de loi municipal qui était alors à l'étude, et qui fut voté plus tard, est une preuve incontestable de l'esprit réactionnaire de l'assemblée en matière électorale comme en toute autre. Voici ses principaux articles : Art. 1. — Les élections municipales auront lieu dans toute la France ; les pouvoirs conférés par les électeurs ne pourront dépasser trois ans. Art. 2. — Les commissions municipales cesseront leurs fonctions, etc. Art. 3. — La loi du 3 juillet 1849 est provisoirement remise en vigueur pour le choix des maires. Art. 4. — Les 20 arrondissements de Paris nommeront chacun trois membres du Conseil municipal de Paris, choisis parmi les éligibles domiciliés depuis trois ans dans l'arrondissement et y exerçant leur industrie. . . . . Art. 8. — Il y aura un maire et trois adjoints par chacun des 20 arrondissements ; ils seront choisis par le chef du pouvoir exécutif. . . . . Art. 9. — Le préfet de la Seine et le préfet de police pourront assister aux séances du conseil municipal, ils y auront voix consultative, Art. 10. — Le conseil municipal ne s'assemblera que sur la convocation du préfet de la Seine. . . . . Art. 12. — Il y aura chaque année une session ordinaire spécialement consacrée à la présentation et à la discussion du budget. Cette cession ne pourra durer plus d'un mois. Art. 13. — Le conseil municipal votera le budget, et ne délibérera que sur les objets d'administration municipale, etc. Toute l'économie de cette loi peut se résumer dans ces dispositions réactionnaires : Conseil municipal de 60 membres pris parmi les habitants qui ont trois ans de domicile, convoqués, réunis sous la surveillance du maire de Paris et du préfet de police, sous le contrôle du gouvernement, qui a le droit de le dissoudre. Il n'a pas d'autre droit que celui de voter le budget qui lui est présenté ; c'est une machine à voter au service du gouvernement. Et à côté de lui il y a les 20 maires et les 90 adjoints nommés par le gouvernement. Cette loi municipale est une ironie amère, une mystification, un outrage pour la population parisienne, qu'elle met en tutelle et dont elle confisque les droits. Quant aux nominations du commandant en chef de la garde nationale, du chef d'état-major général, du commandant en chef de l'artillerie, et des chefs de légions, il n'en avait pas même été parlé dans les discussions qui avaient eu lieu à l'assemblée. L'amiral Saisset n'ignorait pas l'opinion du gouvernement et de l'assemblée de Versailles sur ce sujet. Il savait bien que le chef du pouvoir exécutif, les ministres et toute l'assemblée, sans exception, y compris lui Amiral Saisset, Messieurs Schœlcher, Louis Blanc, Langlois, et tous les députés de la gauche, étaient formellement opposés à la nomination des commandants supérieurs de la garde nationale par cette dernière. Du reste la nomination des commandants Saisset, Langlois et Schœlcher à leurs hautes fonctions, par les maires et les adjoints de Paris, n'était-elle pas la négation la plus absolue des droits de la garde nationale. Après cela et après avoir accepté les bénéfices de ces nominations illégales et destructives du droit, l'Amiral Saisset pouvait-il être bienvenu à promettre à la garde-nationale le respect de ses droits ? Il ne pouvait y avoir doute pour personne sur le but secret que poursuivaient les maires, les adjoints et les députés de Paris, unis à l'assemblée de Versailles. Ils voulaient étouffer dans son berceau la Révolution du 18 mars. |