L'HISTOIRE DU LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE CONSPIRATEUR

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

§ VI.

 

 

Si Louis-Napoléon Bonaparte échoua à Boulogne comme à Strasbourg, cette fois du moins il lui a été donné de faire connaître dans sa défense ses idées et ses intentions[1], ainsi qu'il en avait exprimé le désir lors de la grâce qui lui fut accordée en 1836, après sa première échauffourée.

Aussi, quand M. le chancelier Pasquier l'interrogea devant la Cour des Pairs, à l'audience du 28 septembre 1840, au lieu de répondre à la question qui lui était adressée et dans laquelle ou lui demandait : s'il n'avait pas débarqué sur la côte de Boulogne avec un nombre assez considérable de personnes, dans la nuit du 5 au 6 août dernier et tenté de changer la forme du gouvernement établi par la charte de 1830 ? il demanda avant de répondre à la question qui lui était adressée, à présenter quelques observations à la cour. Cette faveur lui ayant été accordée il déploya un cahier de papier, qu'il tenait à la main et lut d'une voix lente et faible, avec un accent étranger très prononcé la profession de foi politique suivante, dont le greffier, M. de la Chauvinière, a été obligé de répéter tous les paragraphes pour les faire entendre à la cour. On comprend ce que ce spectacle avait de pénible.

Messieurs les Pairs, dit-il : — pour la première fois de ma vie, il m'est enfin permis d'élever la voix en France, et de parler librement à des Français.

Malgré les gardes qui m'entourent, malgré les accusations que je viens d'entendre, plein des souvenirs de ma première enfance, en me trouvant dans ces murs du Sénat[2], au milieu de vous que je connais, messieurs, je ne peux croire que j'aie ici l'espoir de me justifier, ni que vous puissiez être mes juges. Une occasion solennelle m'est offerte d'expliquer à mes concitoyens ma conduite, mes intentions, mes projets, ce que je pense, ce que je veux.

Sans orgueil comme sans faiblesse, si je rappelle les droits déposés par la nation dans les mains de ma famille, c'est uniquement pour expliquer les devoirs que ces droits nous ont imposés à tous.

Depuis cinquante ans que le principe de la souveraineté du peuple a été consacré en France, par la plus puissante révolution qui se soit faite dans le monde, jamais la volonté nationale n'a été proclamée aussi solennellement, n'a été constatée par des suffrages aussi nombreux et aussi libres que pour l'adoption des Constitutions de l'Empire.

La nation n'a jamais révoqué ce grand acte de sa souveraineté, et l'Empereur l'a dit : Tout ce qui a été fait sans elle est illégitime.

Aussi gardez-vous de croire que me laissant aller aux mouvements d'une ambition personnelle, j'ai voulu tenter en France, malgré le pays, une restauration impériale. J'ai été formé par de plus hautes leçons, et j'ai vécu sous de plus nobles exemples.

Je suis né d'un père qui descendit du trône, sans regret, le jour où il ne jugea plus possible de concilier, avec les intérêts de la France, les intérêts du peuple qu'il avait été appelé à gouverner.

L'Empereur, mon oncle, aima mieux abdiquer l'empire, que d'accepter par des traités les frontières restreintes qui devaient exposer la France à subir les dédains et les menaces que l'étranger se permet aujourd'hui. Je n'ai pas respiré un jour dans l'oubli de tels enseignements. La proscription imméritée et cruelle qui pendant vingt-cinq ans a traîné ma vie des marches du trône sur lesquelles je suis né jusqu'à la prison d'où je sors en ce moment, a été impuissante à irriter comme à fatiguer mon cœur ; elle n'a pu me rendre étranger un seul jour à la dignité, à la gloire, aux droits, aux intérêts de la France. Ma conduite, mes convictions s'expliquent.

Lorsqu'en 1830 le peuple a reconquis sa souveraineté, j'avais cru que le lendemain de la conquête serait loyal comme la conquête elle-même, et que les destinées de la France étaient à jamais fixées ; mais le pays a fait la triste expérience des dix dernières années. J'ai pensé que le vote de quatre millions de citoyens, qui avait élevé ma famille à l'Empire, nous imposait au moins le devoir de faire appel à la nation et d'interroger sa volonté : j'ai cru même que si, au sein du Congrès national que je voulais convoquer, quelques prétentions pouvaient, se faire entendre, j'aurais le droit d'y réveiller les souvenirs éclatants de l'Empire, d'y parler du frère aîné de l'Empereur, de cet homme vertueux qui, avant moi, en est le digne héritier, et de placer en face de la France aujourd'hui affaiblie, passée sous silence dans le Congrès des Rois, la France d'alors, si forte au dedans, au dehors si puissante et si respectée. La nation eût répondu : République ou monarchie, empire ou royauté. De sa libre décision dépend la fin de nos maux, le terme de nos discussions.

Quant à mon entreprise, je le répète, je n'ai point eu de complices. Seul j'ai tout résolu ; personne n'a connu à l'avance ni mes projets, ni mes ressources, ni mes espérances. Si je suis coupable envers quelqu'un, c'est envers mes amis seuls. Toutefois, qu'ils ne m'accusent pas d'avoir abusé légèrement de courages et de dévouements comme les leurs. Us comprendront les motifs d'honneur et de prudence qui ne me permettent pas de révéler à eux-mêmes combien étaient étendues et puissantes mes raisons d'espérer un succès.

Un dernier mot, Messieurs. Je représente devant vous un principe, une cause, une défaite. Le principe, c'est la souveraineté du peuple ; la cause, celle de l'Empire ; la défaite, Waterloo. Le principe, vous l'avez reconnu ; la cause, vous l'avez servie ; la défaite, vous avez voulu la venger. Non, il n'y a pas de désaccord entre vous et moi, et je ne veux pas croire que je puisse être voué à porter la peine des défections d'autrui.

Représentant d'une cause politique, je ne puis accepter comme juge de mes volontés et de mes actes une juridiction politique. Vos formes n'abusent personne. Dans la lutte qui s'ouvre, il n'y a qu'un vainqueur et un vaincu. Si vous êtes les hommes du vainqueur, je n'ai pas de justice à attendre de vous, et je ne veux pas de générosité.

M. le Président. Je ne crois pas que cet exposé soit favorable au fond à votre cause ; vous auriez dû mieux apprécier les sentiments du pays dont vous invoquez la volonté ! Je vais maintenant procéder à votre interrogatoire.

Vous êtes accusé d'avoir débarqué sur la côte de Boulogne avec un nombre assez considérable de personnes, dans la nuit du 6 du mois d'août, et d'avoir tenté de changer la forme du gouvernement.

Le prince Louis. Je viens de déclarer que je ne pouvais pas répondre à vos questions.

M. le Président. Selon l'usage, je dois vous adresser des questions sur les faits qui ont motivé votre mise en accusation. Ici comme devant tous les tribunaux, l'accusé a toute latitude pour répondre ou ne pas répondre ; cependant, je dois vous faire observer que vos explications peuvent être nécessaires, non-seulement dans votre intérêt, mais dans celui des autres inculpés.

Le prince Louis. Je persiste dans ma première réponse.

M. le Président. N'avez-vous pas été accueilli sur la plage par le lieutenant Aladenize et par l'accusé Bataille ?

Le prince répond d'une voix faible et qui n'arrive pas jusqu'à nous.

M. Le comte Molé. Les réponses de l'accusé devraient être répétées, on n'entend pas un mot d'ici.

M. le Président. L'accusé dit qu'il persiste dans les premières réponses qu'il a faites lors de ses interrogatoires précédents.

D. Les douaniers n'ont-ils pas tenté de s'opposer à votre débarquement ? — R. Oui.

D. Qu'avez-vous dit aux douaniers ? — R. Rien.

D. Ne les avez-vous pas engagés à vous suivre ?

L'accusé garde le silence.

M. le Président. Vous convenez d'avoir tiré un coup de pistolet sur le capitaine Col-Puygellier, qui s'opposait à vos desseins.

Le prince Louis. Il y a des moments où l'on ne se rend pas bien compte de la valeur des termes. Mon intention n'était nullement d'engager un conflit. J'ai tiré ce coup involontairement.

M. le Président. Après votre débarquement vous vous êtes dirigé vers la haute ville ; alors vous avez distribué des proclamations que vous aviez emportées tout imprimées de Londres.

Le prince Louis. J'ai en effet apporté des proclamations.

D. Après avoir échoué dans votre tentative sur la caserne, vous vous êtes rendu près de la colonne ? — R. Oui, je me suis dirigé avec mes compagnons vers la colonne de la grande armée.

D. Reconnaissez-vous ces proclamations que je fais passer sous vos yeux, ainsi que l'ordre du jour qui assignait diverses fonctions aux personnes qui vous accompagnaient ? — R. Je reconnais ces pièces.

D. Est-ce à l'insu du général Montholon, du colonel Voisin et de Maisonan que vous avez mis leur nom au bas de ces proclamations ? — R. C'est à leur insu.

D. Par une de ces proclamations vous formez un gouvernement provisoire. Comment avez-vous pu le composer en disposant du nom de plusieurs personnes dont vous n'aviez pas le consentement ? — R. Parce que je l'ai cru utile à mes desseins et aux intérêts de la France. J'ai voulu d'ailleurs prendre pour chefs de ce gouvernement des hommes élevés en dignité, bien qu'ils ne partageassent pas mes principes.

D. Je dois vous demander encore comment il peut se faire que lorsque vous avez pris la résolution de venir en France, vous n'ayez pas confié vos projets au général Montholon, à Voisin, Mésonan et autres ? — R. Je n'ai rien à répondre.

D. Reconnaissez-vous avoir fait imprimer et avoir répandu la brochure de Laity et un autre écrit intitulé : Idées-napoléoniennes ? — R. Non.

D. N'avez-vous pas, dans le courant de l'année 1839 et dans le but de saisir le pouvoir, entretenu des intrigues en France avec divers individus ? — R. J'ai déjà répondu que non.

D. Avez-vous chargé Mésonan de rallier à votre parti le général Magnan, en lui faisant des promesses ? — R. Non.

D. Quelles ont été vos relations avec Bataille ? — R. Je ne répondrai pas.

D. Quelles ont été vos relations avec Aladenize ? — R. Je ne veux pas répondre.

D. Montholon vivait dans votre intimité, il est impossible qu'il ait ignoré vos projets ? — Je ne les ai confiés à personne.

D. Parmi les cinquante personnes qui vous ont accompagné, plus de la moitié était dans un état de domesticité, les autres étaient vos amis ? — R. Je n'ai point eu de confident.

D. Parquin, votre aide-de-camp, ne savait-il pas quel était l'objet de l'expédition ? — R. Il l'ignorait comme les autres.

D. Comment vous êtes vous procuré des armes et des habits d'uniforme avec des boutons portant le n° 40, et des schakos portant également le n° 40 ? — R. Je ne puis le dire.

D. Qui a cousu les boutons aux habits ? — R. Je ne m'en souviens pas.

D. Comment preniez-vous l'autorité suprême tout en proclamant la souveraineté du peuple ? — R. Je voulais établir un gouvernement provisoire et convoquer ensuite un congrès national.

D. Mais avant de convoquer le congrès, vous prononciez l'abolition du gouvernement actuel ? — R. On ne pouvait pas convoquer un congrès national sans faire une révolution.

D. Quelle était la nature de vos rapports avec Conneau qui faisait aussi partie de l'expédition ? — R. Il était mon médecin.

D. Par qui avez-vous fait retenir le bateau dit la Ville d'Edimbourg ? — R. Je ne puis le dire.

D. Vous rappelez-vous quelles sont les personnes à qui, au moment de. débarquer, vous avez confié votre projet ? — R. Je ne puis le dire.

D. N'avez-vous pas emporté avec vous des sommes considérables en or et en argent ? — R. Oui.

D. Comment vous étiez-vous procuré ces sommes. — R. Elles provenaient de la vente d'une partie de mon patrimoine.

D. Quelle était l'importance de ces sommes ? — R. J'en ai donné le compte dans mes interrogatoires.

 

Voici en quels termes l'accusé a répondu sur ce point au juge d'instruction de Boulogne :

J'avais environ 15.000 liv. sterl. en billets de la Banque d'Angleterre. Je portais moi-même ces billets. J'ai confié à Thélin et à Bure deux rouleaux en fer-blanc, contenant chacun 25.000 francs en or. Bure et Thélin ont confié à deux personnes, dont ils ne m'ont pas dit les noms, deux rouleaux semblables contenant chacun 25.000 francs en or. Je crois que les clés de ces rouleaux sont dans un portefeuille resté dans ma voiture,

A mon arrivée à Boulogne, je pouvais avoir distribué pendant la traversée 100 à 105 livres sterling. Je crois que les rouleaux ne contenaient ensemble que 78.000 frs. et que je pouvais avoir sur moi 20 à 22.000 frs. que j'ai distribués pendant la traversée. Ces sommes venaient de ma fortune personnelle, j'avais rassemblé depuis quelque temps des valeurs à cause de mes projets.

 

MM. les commissaires de la Cour ont représenté à l'accusé une enveloppe cachetée, qui, après avoir été ouverte, s'est trouvée renfermer trois paquets de billets de la Banque d'Angleterre, composés ainsi qu'il suit : le premier, de quatre-vingt-quatre billets de 20 livres sterling, de trente-neuf billets de 100 livres, et de sept billets de 50 livres ; le deuxième, de quarante-deux billets de 5 liv., dont un en lambeaux ; le troisième, de trente-huit billets de 30 livres : en tout onze mille cent quatre-vingt-dix livres sterl., formant 279.750 frs. en valeurs de France, en évaluant la livre sterling à 25 francs.

M. le Président. Il paraît que les sommes que vous avez distribuées en route s'élèvent à environ 22.000 frs. A qui avez-vous donné cet argent ?

Le prince Louis. A tout le monde également : j'en ai donné aux domestiques-eux-mêmes, afin que personne n'en manquât.

 

La profession de foi politique de Louis Bonaparte ne manque pas d'habileté, malgré les erreurs et les sophismes dont elle abonde. Mais nous serions injustes envers son auteur si nous le rendions personnellement responsable des doctrines fausses quelle contient, car la faute n'en est pas à lui, mais à la cause injuste qu'il défend, et qui l'oblige forcément à soutenir le plus adroitement possible des principes faux, que le plus grand art ne parviendrait pas à faire passer pour vrais.

Aussi il revendique ici, tout naturellement, les prétendus droits qui, selon lui, ont été déposés far la nation dans sa famille ; or, comme nous avons déjà fait justice de cette prétention erronée et ridicule nous n'en prouverons pas de nouveau toute la fausseté ; pas plus que le peu de valeur des fameux quatre millions de suffrages plus ou moins adroitement escamotés en faveur de l'Empire, qui n'avaient rien de commun avec la souveraineté nationale, ainsi que nous l'avons déjà démontré, qui en étaient au contraire la négation absolue et qui l'avaient complètement détruite pour établir sur ses ruines le despotisme militaire d'un tyran.

Au point de vue de la souveraineté nationale l'Empire était tout aussi illégitime que la monarchie de juillet, car, si le premier était la destruction complète de la souveraineté du peuple, le second en était l'escamotage effronté.

Il n'y a de gouvernements légitimes que ceux fondés sur la justice, sur le droit et sur la raison pure et ce gouvernement ou plutôt ce système politique est celui de la République universelle démocratique et sociale ; il est l'objet de nos plus profondes convictions, le but de tous nos efforts, notre idéal et notre plus chère espérance.

Quand aux hautes leçons et aux nobles exemples qui ont formé Louis Bonaparte, si on ne les connaissait pas, on pourrait facilement les juger par les fruits, qu'ils ont portés en formant un homme aussi peu. moral que notre héros, qui invoque bien gratuitement les qualités de son père légal, car on sait que le sang de l'ancien roi de Hollande ne coule pas dans ses veines, cela est de notoriété publique ; il n'est pas besoin de soulever les rideaux de l'alcôve royale d'Hortense de Beauharnais, pour savoir que Louis Bonaparte est le fruit du commerce adultère de cette lascive princesse avec l'amiral Hollandais de Werhuell, et que le roi Louis ne fut pour rien dans la procréation de ce charmant sujet, pas plus que dans celle de son frère aîné mort à Forli, en 1831, pendant son expédition dans les Romagnes, et qui devait le jour aux amours incestueuses de Napoléon Ier avec sa belle fille, Hortense de Beauharnais. Cette princesse était dans une position intéressante, quand elle a épousé malgré lui le frère de Napoléon. L'illustre duc de Morny, que la France a eu la douleur de perdre il y a quelque temps et que les journaux anglais ont qualifié d'homme non moral, était encore un produit de la lubricité de cette intéressante et facile Hortense, cette fois c'était au comte de Flahault, aujourd'hui sénateur, qu'était dû cet illustre personnage ; aussi l'ex-roi de Hollande, ne voulut-il à aucun prix, endosser la paternité du nouveau bâtard de son impudique moitié, de laquelle il vécut toute sa vie séparé. On voit par ces exemples quelle était la moralité conjugale de la mère de Louis-Napoléon Bonaparte, et que ce dernier n'eut jamais aucun rapport d'origine avec son père légal ; il a été élevé par sa mère, qui ne lui a jamais donné que des exemples d'inconduite, de dissolution et de mauvaises mœurs ; qui ne lui a appris que la ruse, la dissimulation, le mensonge, l'hypocrisie, l'amour du luxe, des jouissances sensuelles ; qui lui inculqua de bonne heure une ambition démesurée, la soif du pouvoir, de la fortune, et qui plaça constamment devant ses yeux le trône de Napoléon, comme but de ses convoitises et de son ambition. Voilà les hautes leçons et les nobles exemples, qui ont formé notre héros. Aussi ils ont porté leurs fruits naturels et, depuis plus de seize ans qu'il est au pouvoir, nous avons vu se développer et se mettre en pratique tous les éléments nuisibles qui composent cette nature perverse, cette organisation viciée, dès sa plus tendre enfance, par les maximes immorales et l'éducation perverse d'une mère impudique et éhontée.

Si Louis-Napoléon eut eu le moindre sentiment des convenances, il n'eut pas invoqué l'exemple de l'ex-roi de Hollande ; Louis Bonaparte, qui est descendu du trône, non pas volontairement, mais pour ne pas subir plus longtemps les caprices et la tyrannie de son frère Napoléon ler, et surtout la honte que ce dernier lui infligeait chaque jour en gardant près de lui sa femme Hortense de Beauharnais, avec laquelle il affichait publiquement des relations coupables, adultères et incestueuses ; il n'aurait pas mêlé le nom de son père légal à ses projets insensés, surtout après le désaveu formel que ce dernier en avait fait dans une lettre publiée dans tous les journaux, dans laquelle il qualifiait l'échauffourée de Strasbourg d'infâme intrigue de piège épouvantable et d'effroyable guet-apens. Mais il parait que l'opinion de l'ancien roi de Hollande n'était pas plus respectable pour lui que la parole jurée et les principes de la morale la plus élémentaire, il sacrifiait dès lors tout à son intérêt personnel et à sa coupable ambition.

Il n'est pas exact non plus de dire que l'Empereur son oncle aimât mieux abdiquer l'Empire, que d'accepter par des traités les frontières restreintes, qui devaient exposer la France à subir les dédains et les menaces que l'étranger se permettait en 1840.

Quand Louis-Napoléon parle c'est pour mentir ; quand il cite l'histoire, c'est pour la falsifier ; sa parole, comme sa plume, n'engendrent que mensonge et perfidie.

En 1814 Napoléon Ier n'eut pas a choisir entre une abdication et un empire amoindri, avec des frontières restreintes, il fut abandonné par la plupart de ses maréchaux, qu'il avait comblés de richesses, de titres, d'honneurs et qui lui reprochèrent brutalement son insatiable ambition. Son abdication forcée en faveur de son fils Napoléon II, qui livrait la France à la discrétion de l'étranger, avec les frontières qu'il plairait à son bon plaisir de lui octroyer, ne fut pas même respectée, son propre Sénat conservateur, après lui avoir reproché durement sa tyrannie, son parjure, ses guerres ruineuses et continuelles, ses assassinats politiques, ses prisons d'Etat, sa censure, l'arbitraire de sa police, sa démoralisation, ses outrages à la morale et à la justice, son ambition insatiable, sa cruauté, son mépris de la vie des autres, son profond égoïsme, son immoralité, la ruine des villes, la dépopulation des campagnes, la famine et les maladies contagieuses ; son sénat conservateur disons-nous après l'avoir accusé de tout cela, rendit le décret suivant :

Article 1er. Napoléon Bonaparte est déchu du trône et le droit d'hérédité établi dans sa famille est aboli.

Article 2e. Le peuple-français et l'armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte.

 

Nous avons aussi déjà montré, d'une façon non équivoque comment l'impérial accusé de 1840 entend la dignité, la gloire et les intérêts de la France depuis qu'il est au pouvoir, nous n'ajouterons rien ici à ce que nous avons déjà dit à cet égard, les actes de chaque jour du gouvernement impérial parlent assez éloquemment et démontrent assez péremptoirement que Louis Napoléon Bonaparte n'a jamais eu pour objet ni la dignité ni la gloire du peuple, car il n'a pas plus compris l'une que l'autre ; il a simplement poursuivi les intérêts de son ambition avec la plus grande persévérance.

Il suffit aussi de lire ses proclamations, que nous avons déjà citées et analysées, pour être convaincu que ce qu'il voulait à Boulogne, comme à Strasbourg, c'était restaurer l'Empire ainsi qu'il l'a fait depuis. Quand il dit qu'il voulait convoquer un Congrès national, faire appel a la nation, interroger sa volonté ; et que la nation eût répondu : République ou Monarchie, Empire ou Royauté et que de sa libre décision eut dépendu la fin de nos maux, le terme de nos dissensions ; il cherche à abuser et à tromper l'opinion publique ; il emploie là un de ses nombreux artifices, de ses stratagèmes à l'aide desquels il espère donner le change, et cacher ses projets d'ambition personnelle.

S'il, voulait alors laisser la nation choisir librement la forme de gouvernement qu'elle préférait, pourquoi donc ne le disait-il pas dans ses proclamations, pourquoi disait-il donc au contraire aux soldats : qu'il venait relever les aigles d'Arcole, d'Iéna et d'Austerlitz et au peuple qu'il ne s'arrêterait que lorsqu'il aurait repris l'épée d Austerlitz et remis les aigles sur les drapeaux !

Est-ce qu'il ne savait pas que l'épée d'Austerlitz et les aigles impériales étaient les symboles du despotisme militaire et non de la liberté. Mais en supposant même, ce que nous contestons, qu'il eut eu la volonté consulter le peuple de convoquer un congrès, nous savons encore, dans ce cas, ce que cela signifie ; et nous connaissons, par l'expérience et l'étude du premier, comme du second Empire, quelle est la pratique ingénieuse de suffrage universel, qui a été faite par eux et qui a eu pour résultat, non pas de consulter la volonté nationale, mais de l'escamoter à l'aide des plus infâmes manœuvres de corruption, d'intimidation et d'escroquerie qui se soient jamais vues. Nous pourrions citer des volumes de faits de cette nature sous le second Empire seulement ; mais ces actes de déloyauté et d'arbitraire sont aujourd'hui d'une telle notoriété publique en Europe, qu'on ne peut plus même parler des majorités électorales obtenues depuis bientôt quatorze ans par l'Empire, sans soulever les dédains, les sarcasmes et d'immenses éclats de rires ironiques.

Enfin, après toutes réserves faites en faveur des. grandes lois de la justice et de la morale, qui priment la volonté nationale, et qui font qu'au point de vue du droit une nation ne peut pas voter pour la monarchie qui est l'aliénation de sa souveraineté, si en 1840, le héros de Boulogne voulait poser à la France la question entre la République et la Monarchie, puis ensuite dans le cas où cette nation eut opté pour la seconde, entre l'Empire et la Royauté.

Pourquoi L. Bonaparte ne l'a-t-il donc pas fait en 1851, après son coup d'Etat du deux décembre ?

Pourquoi alors, au lieu de consulter loyalement le peuple laissé libre, lui a-t-il- posé cette question captieuse et artificieuse.

Que ceux qui sont d'avis de proroger les pouvoirs du président de la République pour dix ans, et d'approuver son plébiscite du deux décembre 1851 votent oui. S'ils votent non tout sera de nouveau en question et tout tombera dans l'anarchie :

Car telle est la manière dont Louis-Napoléon a fait appel au peuple en 1851, au lieu de poser franchement et carrément la question entre la République et la monarchie, entre l'Empire et la Royauté, comme, il disait, devant la Cour des Pairs en 1840, avoir l'intention de le faire.

Mais, du reste, la péroraison de son discours devant la Chambre des Pairs, prouve le peu de sincérité de son intention de laisser le peuple libre de choisir la forme de gouvernement qu'il préfère.

Est-ce qu'il se présente devant la Cour comme ayant combattu pour la justice, pour la libre manifestation de la volonté populaire : non il se donne comme le représentant, l'héritier en ligne collatérale de la souveraineté du peuple, qu'il prétend être inféodée à sa famille, par le vote de 1804 ; comme le représentant de la cause de l'Empire, c'est-à-dire comme le restaurateur, le continuateur du gouvernement impérial et enfin comme le vengeur de la défaite de Waterloo, cette profession de foi, si claire, si formelle, ne laisse plus de place au doute sur les opinions et le but de Louis-Napoléon Bonaparte, les phrases de circonstance et de convenance qui la précédent ne sont que des moyens, des préparatifs oratoires propres à lui concilier la bienveillance, les sympathies de la Cour et du public, mais qui n'ont pas d'autre importance ni d'autre valeur, et qui s'effacent, qui disparaissent devant cette triple déclaration :

Je représente devant vous, un principe, une cause, une défaite : le principe c'est la souveraineté du peuple ; la cause celle de l'Empire ; la défaite, Waterloo.

Une seule chose n'est pas vraie dans cette affirmation, c'est qu'au lieu de représenter la souveraineté du peuple, il en revendiquait seulement l'aliénation à son profit et à celui de sa famille.

Mais malgré cette inexactitude, il devait être clair pour tous ceux qui avaient lu ces quatre lignes que Louis Bonaparte conspirait pour rétablir l'Empire.

Sauf cette profession de foi, son attitude devant ses juges n'offrit rien de saillant.

Le général Montholon, interrogé à son tour, avoue avoir suivi Louis-Napoléon à Boulogne et avoir été mu en cela par l'amitié paternelle qu'il porte à ce jeune homme.

Il s'était, dit-il rendu à Londres pour affaires personnelles et il eut ainsi l'occasion de voir souvent Louis-Napoléon avec lequel il parlait politique. Il n'a rien su, de ses projets sur Boulogne. Dans un voyage qu'il a fait en Belgique il avait été chargé de remettre des lettres de Louis-Napoléon à quelques personnes mais il n'en connaissait pas le contenu. Quand il s'est embarqué à bord du Château-d'Edimbourg il ignorait le but de l'expédition. Ce n'est que quelques instants avant de débarquer que le prince lui a fait part de ses projets. Il ignorait complètement que le prince l'eut nommé major-général de son armée, son nom a été placé au bas des proclamations à son insu et sans son autorisation. Son uniforme se trouvait à bord parce que la veille du départ il devait aller à un bal et être en uniforme.

On comprend tout ce que ces dénégations du général avaient d'invraisemblable, aussi n'y vit-on que des excuses maladroites qui ne méritaient aucune créance. M. le chancelier Pasquier le lui fit observer, mais il persista jusqu'à la fin dans ses déclarations.

Le colonel Voisin fait des réponses à peu près identiques, il avoue seulement avoir copié les proclamations à bord, mais il soutient qu'il n'en avait jamais eu connaissance avant.

— De Wimereux, lui dit-on, n'avez-vous pas marché en armes sur la ville de Boulogne, et n'avez-vous pas accompagné Louis Bonaparte à la caserne ?

— J'avais mon sabre au côté ; voilà toutes mes armes.

— Là, n'avez-vous pas joint vos efforts aux siens pour engager la troupe à vous suivre ?

— Je n'ai rien dit ; j'ai suivi le prince.

— Etiez-vous près de Louis Bonaparte au moment où il a tiré un coup de pistolet sur le capitaine Puygellier ?

— J'étais dans la cour, j'ai entendu le bruit, mais je n'ai pas vu qui avait tiré,

— En sortant de la caserne, n'avez-vous pas accompagné Louis Bonaparte à la haute ville et à la Colonne ?

— Oui, monsieur.

— Ne vous êtes-vous pas jeté avec lui dans un canot ?

— Non, je ne suis pas monté à bord du canot. Seulement j'ai employé tous mes efforts pour mettre le canot à flot et faire échapper le prince.

— Il est difficile de croire que vous ayez pu prendre part à un attentat aussi grave, seulement pour suivre un individu ; vous avez dû avoir d'autres motifs ? les accusés Parquin, Bouffet-Montauban et Lambard font a peu près les mêmes déclarations, ils ne sortent pas du même cercle dans leurs interrogatoires, leurs réponses sont comme stéréotypées.

L'interrogatoire de M. Fialin, dit de Persigny offre seul quelques variantes ; en voici la partie la plus intéressante :

D. M. le Président. Vous prenez le nom de Persigny, ce n'est pas votre nom, vous vous appelez Fialin.

R. Je prends le nom de Persigny, parce que c'est celui de mon grand père (hilarité générale).

D. Vous prenez aussi le titre de vicomte, est-ce que votre grand père était comte ?

R. Non, c'était mon arrière grand père qui était comte.

 

On voit que l'arbre généalogique de M. le vicomte de Persigny laissait beaucoup à désirer et qu'il s'était approprié un nom qui ne lui appartenait pas. Mais cela ne l'empêcha pas de se poser en bravache devant la cour.

Il dit qu'il a fait partie de l'expédition sans en connaître l'objet et raconte de la manière suivante l'épisode de la caserne :

Lorsque le prince s'est rendu à la caserne, j'ai posé six factionnaires à la porte et je leur ai donné l'ordre de ne laisser entrer ni sortir personne. Cet ordre a été exécuté pendant quelque temps, mais, au moment où les troupes proclamaient le prince et reconnaissaient le drapeau, un officier du 42 e, qui m'a paru animé d'intentions hostiles, est entré de vive force au quartier : J'étais alors habillé en sous-officier d'infanterie et j'avais un fusil à la main ; je me suis précipité sur lui et, au moment où j'allais le tuer, M. le lieutenant Aladenize s'est élancé sur moi et a détourné le coup que j'allais porter.

Telle a été l'énergie de mon action que ma baïonnette a été pliée en deux.

Un moment plus tard le capitaine des grenadiers du 42e est arrivé et un nouveau conflit est survenu, dans ce conflit, déterminé par les mêmes raisons, j'aurai infailliblement tué le capitaine, si M. Aladenize ne s'était de nouveau jeté entre cet officier et moi et ne m'avait arrêté de la manière la plus énergique ; il me déclara alors, avec toute la chaleur de son âme, que si je touchais au capitaine il se tournerait sur le champ contre nous.

Le Président. Ainsi vous vous seriez rendu coupable d'une tentative d'assassinat.

Persigny. J'aurai pu le tuer avec mon fusil qui était chargé. Mais telle n'était pas mon intention, je l'aurai attaqué à armes égales.

Le Président. Le capitaine n'avait qu'un sabre, vous aviez un fusil avec une baïonnette, les armes n'étaient pas égales, si vous l'aviez tué vous auriez été un assassin. Dans une autre audience de la cour M. Fialin de Persigny, vicomte par la grâce de son arrière grand père, a demandé à expliquer cette déposition et il l'a désavouée.

M. le chancelier interroge ensuite Messieurs Forestier et Bataille qui ne disent rien de nouveau,-M. Pasquier demande au dernier s'il n'appartenait pas à la rédaction du Capitole ? — Oui, dit-il, parce que ce journal était parfaitement bien rédigé dans le sens de mon opinion ; j'y ai été attaché, pour traiter une question spéciale, la question d'Orient : Je l'ai traitée d'une manière conforme à mon opinion ; c'est-à-dire sous le point de vue de l'alliance Russe.

 

C'est une chose très curieuse aujourd'hui que de voir que M. Louis Bonaparte faisait traiter en 1840, dans son journal le Capitole, la question d'Orient au point de vue de l'alliance russe et qu'en 1854, il basait sa politique en Orient sur l'alliance anglaise et faisait l'expédition de Crimée avec l'Angleterre pour combattre la Russie.

C'est là une des preuves nombreuses de la versatilité de la politique de Louis Bonaparte à l'extérieur qui, comme celle qu'il suit en France, est toute d'expédients, au jour le jour, dépourvue de règles et sans principes axes.

Le lieutenant Aladenize, avoue toute sa participation à l'attentat.

Ma position est difficile, dit-il, placé entre mes camarades officiers dans le même régiment et mes affections, je ne puis rien dire pour ma défense qui doive tourner au détriment de mes amis politiques. Dans cette situation ce que j'ai de mieux à faire c'est d'attendre les dépositions qui, je n'en doute pas, seront en ma faveur, jusqu'à présent je n'ai rien de mieux à dire.

L'accusé Desjardins, interrogé à son tour, raconte des faits déjà connus et sans aucune nouvelle importance. Voici l'interrogatoire de M. Conneau qui est aussi, d'une grande insignifiance.

M. le Président. Vous étiez médecin du prince, et vous avez débarqué avec lui et la troupe qui l'accompagnait ?

M. Conneau. C'est vrai.

M. le Président. De Wimereux vous avez marché sur Boulogne et vous êtes entré dans la caserne ?

M. Conneau. C'est la vérité.

M. le Président. Vous avez engagé des soldats du 42e à vous suivre ?

M. Conneau. Je n'ai rien fait.

M. le Président. Etiez-vous là quand un coup de pistolet a été tiré ?

M. Conneau. J'étais auprès du prince Louis, j'ai entendu le coup de pistolet, mais je ne savais pas qui l'avait tiré.

M. le Président. D'après votre propre aveu, vous avez participé à l'attentat quels ont pu être vos motifs.

M. Conneau. Ma position et un devoir encore plus saint, la reconnaissance que m'inspirent les bontés dont m'a comblé la mère du prince, la reine Hortense.

M. le Président. Connaissiez-vous les projets de l'entreprise.

M. Conneau. J'ai déjà répondu à M. le président que je connaissais quelque chose du prince, mais il ne m'avait pas mis dans la connaissance des moyens d'exécution.

M. le Président. C'est vous qui vous étiez chargé de l'impression des proclamations et des ordres du jour.

M. Conneau. Le prince m'avait fait l'honneur de m'en charger.

 

Les accusés Ornano, Galvani, d'Almbert, Orsi et Bure sont interrogés à leur tour, ils avouent avoir fait partie de l'expédition par dévouement pour le prince.

Jamais on n'a vu d'interrogatoires aussi insignifiants, aussi plats, dans tous ces accusés nous ne trouvons pas un homme à convictions profondes, tous sont venus disent-ils par dévouement personnel, obéissant comme des automates, comme des machines ; Louis Bonaparte leur disait allez là et ils y allaient, montez dans ce paquebot et ils y montaient ; mettez cet uniforme et ils le mettaient, descendez à terre, venez à la caserne, criez vive l'Empereur et ils le faisaient, on dirait selon l'expression d'Ignace de Loyola des cadavres ou des automates dans les mains de leur chef. Ce sont des corps sans âme, sans pensée, sans volonté, sans initiative, qui se meuvent en vertu d'une impulsion qui leur est étrangère, d'une force extérieure. Presque tous-, jusqu'aux anciens complices de Strasbourg, jusqu'au secrétaire intime de Louis-Napoléon, jusqu'au docteur Conneau qui était au près de L. Bonaparte depuis de longues années, qui vivait dans l'intimité la plus particulière avec sa mère, et qui avait imprimé les proclamations ; jusqu'au banquier Orsi, qui avait fourni l'argent volé qui a servi à l'expédition ; jusqu'au commandant Mésonan, qui a voulu embaucher le général Magnan ; jusqu'à Parquin, qui a envoyé des domestiques, à Louis Bonaparte pour en faire des soldats de l'entreprise ; jusqu'au général Montholon, qui était chargé du premier rôle auprès du prince, qui avait signé les proclamations, et qui avait eu le soin d'apporter son uniforme, ont persisté jusqu'au bout dans ce stupide moyen de défense qui consistait à nier qu'ils eussent eu connaissance à l'avance du complot.

Ordinairement les conspirateurs à quelque parti qu'ils appartiennent sont mus par des convictions profondes basées soit sur la raison, soit sur les préjugés, le fanatisme-ou l'erreur, mais dans tous les cas leurs croyances sont vives et sincères, c'est là ce qui les recommande à l'indulgence de leurs juges, ce qui leur mérite les sympathies du public, et ce qui en fait des martyrs quand ils combattent et meurent pour la justice, pour le droit et pour là liberté.

Il était réservé aux tristes et ridicules compagnons de Louis-Napoléon Bonaparte de faire preuve d'une pareille absence de convictions, de tous sentiments nobles, élevés et généreux. Tous ces gens là ont obéi comme des valets, ils ont suivi celui qui les nourrissait, les entretenait, les payait, les tenait à gages, les faisait boire, manger, leur distribuait du vin et de l'or sur son paquebot, et qui leur promettait des places', des honneurs des décorations, des grades et de la puissance. Leur chef n'a pas non plus de meilleurs sentiments que les leurs, quand il veut faire séduire un général il ne trouve rien de mieux à lui faire proposer que quatre on cinq cent mille francs et le bâton de maréchal de France ; quand il débarque la première chose qu'il fait c'est d'offrir de l'or aux douaniers et une pension à leur chef, tous refusent avec dignité ; quand il est mis en présence du capitaine Col-Puygellier, au lieu de lui parler de gloire militaire, d'honneur national, du rôle de défenseur des peuples qu'il réservait, disait-il, à l'armée, il ne trouve rien de mieux que de pratiquer auprès de lui une grossière tentative de séduction en lui disant, comme à un homme que l'on méprise, à une conscience vénale : Capitaine, soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez. Pour séduire un vieux sergent il le nomme capitaine séance tenante, mais celui-ci se tourne contre lui. Nous avons vu Louis-Napoléon employer absolument les mêmes moyens de basse et vile corruption à Strasbourg donner des grades à tout le monde, distribuer de l'argent aux soldats et vouloir faire une pension aux enfants du colonel Taillandier et celui-ci la refuser avec indignation en lui disant : je donne mon sang et je ne le vends pas. Seulement comme à Strasbourg le prince n'avait pas le million des bons de L'Echiquier volés au trésor d'Angleterre il fut moins généreux qu'à Boulogne, il ne jeta pas l'or à pleines mains aux passants et aux gamins. Nous le verrons plus tard, au deux décembre 1851, employer les mêmes moyens de honteuse corruption, faire distribuer de l'argent aux soldats, des rouleaux d'or aux officiers, et séduire les chefs supérieurs de l'armée Canrobert, Forey, Espinasse, Fleury, Magnan, Saint-Arnaud, etc. etc., en leur donnant à chacun deux, trois, cinq, six, huit cent mille francs et jusqu'à un million. Le héros de Boulogne a toujours été et sera toujours le même grossier et abject corrupteur, ne comprenant et n'exploitant que les passions les plus basses et les plus viles du cœur humain, sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres c'est un type, qu'on ne rencontre nulle part dans l'histoire, pas même dans celle des plus grands criminels qui ont illustré les cours d'assises.

Louis Bonaparte n'était pas le seul à exploiter ces vils moyens, voici le vieux général Montholon, qui a accompagné l'Empereur à Sainte-Hélène et son prétendu neveu à Boulogne, qui ne craint pas d'en faire autant ; il parait que la fréquentation des Bonapartes soit celle de l'oncle ou celle du neveu corrompt tout le monde, que personne n'échappe à la contagion-, pas même un vieux soldat que son âge et son expérience auraient du préserver.

Mais citons les dépositions des témoins qui confirmeront tout ce que nous venons de dire : Guilbert Jacques, brigadier ambulant des douanes dépose ainsi :

Le 6 août dernier, vers quatre heures du matin, étant de service sur la plage de Wimereux, je vis arriver un détachement de soldats[3]..... ils m'ont forcé de les conduire à Boulogne avec mes douaniers. En passant près de la colonne, ils l'ont saluée des cris de vive la colonne ! Vive l'Empereur ! Arrivé aux quatre moulins, le colonel Montauban me dit : savez-vous qui vous escortes ? sur ma réponse négative il me répondit : C'est, le prince Louis Napoléon. Nous allons à Boulogne qui est à nous. Lui ayant fait observer qu'il me plaçait dans une fausse position, il nous dit : soyez sans inquiétude la famille du prince est riche et ne vous abandonnera pas.

Le général Montholon m'offrit de l'argent, ainsi qu'au lieutenant, nous refusâmes tous les deux.

M. le président. — Vous dites que le général Montholon vous a offert de l'argent, persistez-vous à le soutenir ?

Le témoin. — Je persiste.

 

Le témoin Pierre Nicolas Bolly, lieutenant des douanes dépose des mêmes faits que le précédent. Il déclare que le général Montholon lui a offert une pension de douze cents francs. Il déclare en outre que le général Montholon tenait lors du débarquement un sac d'argent.

Il résulte de plusieurs questions adressées aux témoins que ce sac était passé des mains du général dans celles des autres accusés Mésonan et Ornano.

Febvre (jean-marie-françois) voltigeur au 42e de ligne en garnison à Boulogne, déclare aussi qu'il vit un officier distribuer de l'argent aux bourgeois.

D'autres témoins déposent de faits que nous avons déjà racontés.

Voici les dépositions du capitaine Col-Puygellier, commandant les troupes de la garnison de Boulogne, du sous-lieutenant Maussion, de M. Launay le Provost, sous-préfet et de M. Sansot, commandant de la garde nationale, comme elles sont très importantes et quelles ont donné lieu à un débat très vif, nous les donnons toutes entières.

M. Col-Puygellier, qui était capitaine lors de l'événement, et qui est aujourd'hui major, fait la déclaration suivante :

Le 6 du mois d'août dernier, vers cinq heures et demie, je me disposais à aller à la forêt de Boulogne, lorsque je fus informé par un de mes grenadiers, qui travaille en ville, qu'il avait rencontré des militaires précédés de plusieurs officiers-généraux. Cette circonstance me parut singulière et éveilla mon attention. Je m'occupais à revêtir précipitamment mon uniforme, quand le sous-lieutenant Ragon vint chez moi me dire que le prince Louis était à la caserne avec des soldats du 40e J'y courais avec lui, lorsque je rencontrai le sous-lieutenant Maussion. Tous trois nous arrivâmes en même temps à la porte de la caserne, je veux dire près de la porte où était un groupe d'officiers et de soldats.

Avant d'arriver à ce groupe, nous avions rencontré à l'entrée de la rue de la Caserne, deux factionnaires portant au shako le n° 40, qui m'ont dit : Capitaine, on ne passe pas. J'ai répondu : Ce n'est pas le 40e qui fait la police ici. Nous avons passé alors et nous sommes arrivés au groupe dont je viens de parler. Là, un officier, portant les épaulettes de chef de bataillon, s'avança vers moi d'un air affable et en m'adressant quelques paroles que je ne me rappelle pas, et dont le sens était de m'engager à me joindre à lui. Je lui demandai ce que cela signifiait ; il me répondit que le prince Louis était là. Je tirai mon sabre, et, entrant dans le groupe, on me saisit de toutes parts, et surtout le bras qui tenait mon sabre. Parmi les personnes qui me saisirent étaient le chef de bataillon dont je viens de parler et un colonel. Mais le lieutenant Aladenize s'avança, et dit à ceux qui me retenaient- : Retirez-vous ! Respectez le capitaine !

Je m'avançai avec peine vers l'intérieur de la caserne. Je dis à un grenadier portant le n° 40 : Si vous êtes un homme d'honneur, apprenez qu'on vous porte à trahir. On me répondit : On ne trahit point ; criez Vive le prince. Louis ! Je dis : Je ne crierai point, mais où est-il ? Je pus arriver sous la voûte qui est à l'entrée de la caserne, et là un homme d'une trentaine d'années, revêtu d'un uniforme de général, je crois, et ayant un crachat sur la poitrine, s'est présenté à moi en me disant : Voilà le prince Louis, capitaine, soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez. Il a dit encore quelques mots que je ne me rappelle pas. Je l'ai interrompu ; en lui disant : Prince Louis ou non, je ne vous connais pas. Napoléon, votre prédécesseur, a abattu la légitimité, et ce serait à tort que vous viendriez ici la réclamer. Qu'on évacue ma caserne ! Le prince m'a paru intimidé ; on m'a pressé plus vivement. J'ai crié : Assassinez-moi, ou je ferai mon devoir.

On répondit qu'on ne m'assassinerait pas, et au même instant M. Aladenize, qui se trouvait dans l'intérieur de la cour, près de ma troupe, reconnut ma voix, et cria : Ne tirez point ! Il arriva à moi, me couvrit de ses bras, et dit énergiquement : Respectez le capitaine, je réponds de ses jours. J'avançai encore un peu, et plusieurs de mes sous-officiers vinrent enfin m'arracher des mains de mes adversaires. Presque aussitôt l'ennemi se retira jusque dans la rue ; mais, comme je m'occupais des premiers soins à donner à ma troupe, et n'ayant eu que le temps de lui dire : On vous trompe, vive le Roi ! je vis l'ennemi rentrer à rangs serrés, ayant en tête le prince Louis, le général Montholon et les principaux de la troupe,

Me portant de quelques pas vers eux, et m'adressant particulièrement au prince Louis, je lui signifiai hardiment de se retirer à l'instant, même, ou que j'allais employer la force ; et comme après lui avoir dit : Tant pis pour vous, je me tournai vers ma troupe dans l'intention de la faire agir si le prince ne sortait pas, une détonation d'arme à feu se fit entendre ; j'ignore par qui ce coup a été tiré, et à qui il était destiné, étant trop préoccupé. Après la sortie du prince, le sous-lieutenant Ragon et le sergent-major Clément m'ont dit que le coup avait et tiré par le prince avec un pistolet, et qu'il m'était destiné. Immédiatement après le coup tiré, je veux dire après la fermeture des portes, j'ai vu que le grenadier Geoffroy était blessé à la bouche par le coup de feu dont j'avais entendu la détonation.

M. Maussion, sous-lieutenant de voltigeurs au 40e de ligne, raconte la manière dont il a été instruit de ce qui se passait, et ajoute : — J'allai de suite chez le capitaine Col-Puygellier, a qui je fis part de ce qui venait de m'arriver ; il me dit : Je vais endosser mon uniforme ; allez mettre le vôtre, et nous irons ensemble à la caserne.

Lorsque le capitaine passa devant chez moi avec le sous-lieutenant Ragon, je les rejoignis, et nous allâmes ensemble à la caserne.

Arrivés à l'entrée de la rue où elle est située, nous rencontrâmes deux factionnaires portant l'uniforme du 40e, qui nous dirent : On ne passe pas ! Je dégainai, et, les ayant écartés avec mon sabre, nous passâmes sans difficulté. Plusieurs officiers vinrent au-devant de nous, nous faisant des démonstrations amicales en nous engageant à être des leurs, et en nous disant qu'ils venaient pour l'honneur de la France et pour rétablir la famille de Napoléon sur le trône.

Arrivés sous la voûte, nous trouvâmes un groupe compact d'officiers et de soldats qui voulurent nous barrer le passage ; le capitaine et moi nous avions le sabre à la main : nous fûmes ballottés à droite et à gauche dans un grand tumulte, au milieu duquel j'entendis quelques supplications qui nous étaient adressées pour nous engager à faire partie des troupes du prince. Aladenize, officier du 42e, nous faisait aussi des supplications semblables.

Nous sommes arrivés au prince, qui a engagé le capitaine à se joindre à lui ; le capitaine a refusé énergiquement. C'est à ce moment que j'ai entendu la détonation d'un coup de pistolet ; j'ignore par qui il a été tiré et à qui il était destiné.

M. le Président. Reconnaissez-vous celui qui a croisé sur vous la baïonnette ?

M. Maussion. Je ne le reconnais pas.

M. Ragon Laferièrre, sous-lieutenant de grenadiers, rend compte des mêmes détails.

Voici en outre les dépositions du sous-préfet et du maire de Boulogne :

M. Launay le Provost, sous-préfet de Boulogne-sur-Mer, dépose : — J'ai su, le 6 août à six heures du matin, par un officier de la garde nationale, M. Dutertre, notaire, que des officiers supérieurs, au nombre desquels devait être Louis Bonaparte, parcouraient la ville, répandant des proclamations et de l'argent ; qu'en ce moment même ils devaient être à la caserne.

Le commissaire de police arriva presque en même temps que M. Dutertre, et confirma ce qui venait de m'être dit. J'envoyai le commissaire de police à la haute ville, avec ordre d'en faire fermer les portes ; et m'étant habillé à la hâte, je courus moi-même appeler aux armes la gendarmerie, qui occupe une aile de mon hôtel. Je descendis alors la Grande-Rue pour me porter à la caserne, et au détour de mon hôtel j'aperçus, à- trente pas environ, un cortège formé de militaires en haie, entre lesquels marchaient trois officiers supérieurs, ayant en arrière un drapeau tricolore à l'aigle impériale, et suivis d'un groupe de quinze ou vingt autres officiers.

Je marchai droit à ce cortège, et je sommai, au nom du Roi, ceux qui le composaient, de se séparer à l'instant, et d'abattre un drapeau qui n'était pas le drapeau national. Il me fut répondu par des cris de vive l'Empereur ! auxquels j'opposai le cri de vive le Roi ! puis m'adressant aux militaires que je croyais de la garnison, je m'efforçai de les rappeler au devoir, en leur disant qu'ils étaient les dupes d'un aventurier, et qu'ils ne tarderaient pas à se repentir de leur conduite.

L'officier supérieur qui occupait la place du milieu dans le premier rang du cortège, et que j'ai su depuis être le prince Louis Bonaparte, ordonna de me repousser et de reprendre la marche un instant interrompue. Plusieurs militaires ayant fait la démonstration de se porter vers moi, je reculai sur l'un des côtés de la rue, et à ce moment je fus atteint à la poitrine d'un coup de l'aigle qui surmontait le drapeau. Ce coup m'était porté par l'officier porteur de ce drapeau, le nommé Lombard.

Je me retirai en annonçant aux rebelles que j'allais réunir la garde nationale et les rejoindre prochainement. Je descendis en effet au poste de la place d'Alton, où je trouvai quatre militaires du 42e, commandés par le sergent Morange, qui me promit d'exécuter tous les ordres que je donnerais pour le service du Roi. Je parcourus les principales rues voisines, appelant aux armes les gardes nationaux que je connaissais, et leur ordonnant de se grouper autour des militaires du poste d'Alton.

Quelques citoyens, entr'autres M. Chaveau-Soubites, capitaine de la garde nationale, que j'avais rencontré en même temps que le groupe de rebelles, se joignirent à moi pour faire appel à leurs camarades. Pendant ce temps, la générale commençait à battre, et bientôt le colonel Sansot vint me joindre à cheval, et m'annonça qu'un certain nombre de gardes -nationaux étaient déjà réunis à l'esplanade. Quelque temps après, ils se trouvaient au nombre de 12 à 1.500. Alors, on a cerné les insurgés, qui ont été forcés de se jeter à la mer, où ils ont été pris.

Je dois déclarer, relativement à l'accusé Forestier, qu'il m'avait été signalé depuis longtemps comme un des agents du prince les plus actifs. Il avait déjà fait un voyage en Angleterre, il était arrivé à Boulogne la veille tout seul sur un yacht, frété exprès pour lui.

Forestier. Je n'étais pas seul sur cette barque de pêcheurs, je m'y trouvais avec un Anglais et sa femme qui, comme moi, avaient manqué le bateau à vapeur.

Me Ducluzeau. C'est une chose qui arrive tous les jours à Calais et à Dunkerque ; on se jette dans un bateau de pêcheurs, quand on a manqué l'heure du paquebot.

M. Adam, maire de Boulogne, rend compte des faits déjà connus.

M. Sansot, commandant de la garde nationale de Boulogne, termine ainsi sa déposition : — Avant de me retirer, je demande à répondre à deux accusations dirigées par quelques journaux de Paris, contre la garde nationale de Boulogne. On lui a reproché d'avoir tiré sur des hommes désarmés, et d'avoir assassiné un homme qui rendait son épée ; ces accusations sont fausses.

J'aurais pour appuyer mes paroles deux faits que je demande à rappeler à la Cour. Le colonel Voisin m'a fait appeler à l'hôpital où sa blessure le retenait et il a reconnu devant moi que la garde nationale avait rempli son devoir, et qu'il ne lui en voulait pas. (Le colonel Voisin s'agite sur son banc.)

Le colonel Montauban, quand je fus confronté dans la prison, m'a remercié également d'avoir fait cesser quelques cris offensants poussés par les gardes nationaux contre les prisonniers.

L'accusé Voisin. Non, je n'ai pas reconnu que toute la garde nationale avait rempli son devoir. (Vive agitation.)

Si M. le colonel de la garde nationale ne m'a pas compris, je l'attribue à la faiblesse de l'organe d'un blessé. Non, je ne pensais pas que la garde nationale, qui a tiré sur nous sans que nous ayons fait contre elle le moindre signe offensif, ait rempli son devoir.

M. le Président. Il est impossible de laisser passer ces paroles. Comment, l'acte du débarquement, l'invasion de la caserne n'étaient pas des hostilités ? La garde nationale devait tout faire pour réprimer ce crime et en punir les auteurs. Il y a d'ailleurs un fait constaté c'est qu'un coup de pistolet est parti de la barque qui prenait le large.

Voisin. J'atteste sur l'honneur qu'aucun coup de pistolet n'a été tiré dans ce moment.

M. le Président. L'agression est venue de la part des hommes que nous avons le malheur d'avoir devant nous, et ce n'est pas à eux à faire à la garde nationale un crime des moyens employés pour réprimer leur tentative criminelle.

Me Ferdinand Barrot. Je rends hommage à l'héroïsme de la garde nationale de Boulogne. (Nouveau mouvement.) Permettez, messieurs, ce n'est pas de l'ironie... J'admets que la garde nationale a rempli son devoir quand elle a tiré, quand mon client a été frappé par derrière au moment où il se retirait, où il avait jeté ses armes.... (Agitation.) La parole de la défense ayant été coupée par les murmures de la Cour, la parole n'est plus libre, et j'y renonce.

M. le Président. — C'est moi qui donne ou qui retire la parole. Je déclare que je n'ai point coupé la parole au défenseur ; il peut continuer s'il le désire.

M. Ferdinand Barrot garde le silence.

M. le Président. — Voici la déposition du sieur Jenin, négociant, reçue le 11 août par M. Martinet, juge-suppléant à Boulogne.

J'étais avec quelques gardes nationaux et un détachement de la ligne, lorsque le prince et sa suite sont montés sur le canot de sauvetage, et l'ont poussé à flot. Nous les avons sommés de se rendre, et pour toute réponse j'ai vu tirer un coup de pistolet du canot ; alors je me suis avancé dans l'eau, et j'ai tiré un coup de fusil qui a été suivi de plusieurs autres, tirés par des gardes nationaux et des soldats de la ligne.

M. Voisin. La garde nationale a tiré sur des hommes désarmés.

M. Sansot. La garde nationale n'a pas tiré sur des hommes désarmés, mais sur des hommes qui fuyaient.

M. Leprovost. La garde nationale de Boulogne avait été indignée en apprenant qu'il avait été fait des distributions d'argent et des proclamations. Les insurgés, poursuivis de toutes parts, cherchaient à se rembarquer sur un bateau de sauvetage. Le lieutenant du port, M. Pollet, venait d'amarrer le bateau à vapeur, et le faisait entrer dans le port ; comme les insurgés se dirigeaient vers ce paquebot, qui alors se mettait en mouvement, la garde nationale a pu croire que les rebelles allaient s'échapper, et a dû faire feu. Quand elle a su que le bâtiment était au pouvoir de l'autorité, elle s'est empressée de voler au secours des prisonniers. Plusieurs d'entre eux lui ont dû la vie.

Un autre témoin :

M. Lejeune, entrepreneur de bâtiments à Boulogne-sur-Mer, raconte les circonstances de l'arrestation de Lombard au sommet de la colonne par les gardes nationaux. Je me suis trouvé, dit le témoin, en face d'un homme portant l'uniforme d'officier, ayant d'assez fortes moustaches rousses. Je m'écrias aussitôt : Je te somme de me remettre ton drapeau et de te rendre prisonnier ! Il me présenta un pistolet à deux coups et dit : Si tu avances, je te brûle la cervelle ! Je relevai vivement son bras et je le saisis travers corps en appelant à moi M. Noël. Il tenait un pistolet à deux coups de chaque main ; je lui en arrachai un, et M. Noël lui prit l'autre. Il me supplia de ne point lui enlever l'honneur en lui ôtant son drapeau, de le laisser en sa possession jusqu'à ce qu'il l'eût remis à une autorité. J'ai consenti à tenir le drapeau d'un côté et lui de l'autre.

M. Noël, maître maçon à Boulogne, confirme ce témoignage.

Me Barillon fait observer que Lombard ne refusait de rendre son drapeau que par un sentiment d'honneur et pour le remettre lui-même à l'autorité.

Nous ne reproduisons, pas ici la déposition du général Magnan qui se trouve déjà dans le rapport de M. Persil que nous avons donné. Il a répété devant Louis-Napoléon Bonaparte accusé, en l'accablant de son mépris, tout ce qu'il avait dit dans l'instruction, sans oublier d'affirmer de nouveau que : le parti du neveu l'empereur est un parti ridicule et perdu, et qu'il chassa le corrupteur Mésonan, que lui avait envoyé le prince, en lui disant : Allez-vous faire pendre ailleurs. Depuis M. Magnan s'est vendu pour un demi million au même représentant de ce parti ridicule et perdu, c'est pour lui qu'il a fait les massacres des boulevards, il est maintenant sénateur et maréchal d'Empire[4].

M. Franck Carré, procureur-général, prend ensuite la parole en ces termes :

Messieurs, après les débats qui ont rempli vos dernières audiences, ne permettrez-vous pas au magistrat que son devoir appelle à soutenir cette accusation, de se demander d'abord quelles peuvent être ici l'utilité de ses paroles et la nécessité d'une discussion ? Rien n'a été contesté ni sur le faits qui constituent l'attentat, ni sur la part qui en est attribuée à chacun des accusés : l'intention, le but, les moyens, tout a été avoué. Dans les réticences mêmes que certaines positions commandaient, on a paru s'inquiéter moins du soin de cacher la vérité, que du point d'honneur qui défendait de la dire, et en produisant des excuses que pouvaient souffrir des situations moins désespérées ce n'était pas du crime qu'on tentait de se justifier, mais de l'aveuglement qui l'avait conçu, et de la folle présomption qui l'avait entrepris. Et comment eût-il été possible, messieurs, qu'il en fut autrement ? Une violation du territoire à main armée, le peuple sollicité à la révolte par des distributions d'argent et des acclamations séditieuses, des tentatives réitérées pour ébranler la fidélité des soldats, des proclamations qui provoquent au renversement des institutions du pays, des ordres, des arrêtés, des décrets qui supposent déjà l'exercice d'une dictature usurpée, ce ne sont pas là des actes dont l'évidence puisse être obscurcie, ou dont le caractère soit équivoque ; les factieux avaient marché à découvert au milieu d'une population aussi surprise qu'indignée et lorsque après la déroute, presque tous les accusés, encore en armes, étaient arrêtés dans leur fuite, ceux-ci portant les marques distinctives des grades qu'ils avaient obtenus au service de la patrie, et qu'ils venaient de mettre au service de l'insurrection, ceux-là revêtus d'uniformes et d'insignes qui ne leur appartenaient point, et dont la révolte les avait décorés pour son usage, nul d'entre eux ne pouvait nier une culpabilité flagrante, et le concours qu'il avait prêté à une si criminelle entreprise. Il semble donc, messieurs, qu'il ne s'agisse plus que de mesurer pour chacun le degré de culpabilité qui lui appartient dans le crime de tous, et c'est là une appréciation où nous devrions peut-être hésiter à précéder votre haute justice, qui sait le faire avec autant de sagesse dans la fermeté que dans l'indulgence.

Mais nous comprenons, Messieurs, que le procès ne doit point être réduit à ces termes. Lorsqu'un effort a été tenté pour substituer un autre gouvernement à celui du pays, lorsqu'une ambition si haute qu'elle n'aspire à rien moins qu'au souverain pouvoir, s'est manifestée par des actes formels ; lorsque quelques hommes, enfin, ont cru pouvoir menacer d'une révolution nouvelle cette terre sillonnée déjà par tant de révolutions, suffit-il, devant cette cour surtout, de constater les circonstances matérielles de l'attentat, et de provoquer contre ses auteurs un châtiment mérité ? Ne faut-il pas encore rechercher quels avaient été les mobiles, quelle était la portée de cette agression, sur quels titres s'appuyaient des prétentions si vastes, de quelles influences et de quels moyens disposaient les hommes qui s'étaient bercés d'une si folle espérance ? Vous prévoyez déjà, Messieurs, les résultats de ces investigations ; elles vous montreront jusqu'à quels humiliants mécomptes on a pu être abaissé par l'ignorance de la situation politique du pays ; par l'intelligence de ses vœux, de ses sympathies, de ses intérêts ; par une spéculation aventureuse fondée sur de glorieux souvenirs, dont le culte bien compris condamnait toutes les témérités qu'ils ont inspirées.

Mais qu'il nous soit permis de rappeler d'abord les circonstances principales de l'attentat qui amène les accusés devant vous. La conduite de cette coupable entreprise, et son dénouement doivent être le point de départ de l'appréciation à laquelle nous essaierons ensuite de nous livrer.

Dans la nuit du 5 au 6 août, un bâtiment à vapeur, nolisé à Londres, apporte sur les côtes de France Charles-Louis-Napoléon Bonaparte. Un officier-général, plusieurs officiers de grades l'accompagnent ; il porte les insignes du commandement supérieur, la plaque de la Légion d'honneur brille sur sa poitrine. A sa suite marche un corps peu nombreux d'hommes armés qui paraissent appartenir au 40e régiment de ligne, dont ils ont revêtu l'uniforme : au milieu du cortège flotte un drapeau que surmonte l'aigle impériale, et sur lequel sont inscrits les noms à jamais mémorables des principales victoires de l'empire.

Ainsi messieurs, c'est l'Empereur que l'on prétend faire revivre aux yeux de la France : ce sont les gloires de son règne que l'on évoque. Quels sont donc ceux qui osent se promettre à eux-mêmes et promettre à la patrie de continuer à vingt-cinq ans d'intervalle et l'Empereur et l'Empire ? Trouverons-nous parmi eux, verrons-nous accourir à leur rencontre quelques-uns de ces chefs illustres, de ces lieutenants du héros dont la gloire ne pâlissait point à côté de la sienne, ou quelques-uns de ces sages qui portaient avec lui, dans le conseil, le lourd fardeau des affaires ? Comptent-ils du moins dans leurs rangs quelques-unes de ces illustrations plus nouvelles qui s'élèvent pour remplir les places vides dans la phalange immortelle ?

Vous avez sous les yeux, messieurs, la liste des conjurés : vous savez ce qu'ils ont été et ce qu'ils sont ; et ce n'est assurément leur rien enlever de ce qu'ils ont pu considérer, les uns comme le prix de leurs vieux services, les autres comme les titres de leurs jeunes ambitions, que de leur refuser l'éclat de ces hautes renommées sûr lesquelles peuvent reposer la confiance et l'espoir d'un grand peuple.

Ici M. le procureur-général fait le narré des faits de la cause, expose la part que chacun a prise à l'expédition, et soutient qu'aucun des accusés, quoi qu'ils en disent, n'a dû en ignorer le but. Il poursuit ainsi :

Il est certain d'ailleurs que pendant la traversée. Louis Bonaparte a fait connaître à tous ceux qui l'accompagnaient son intention de débarquer à Boulogne, et sa volonté de renouveler la tentative dans laquelle il avait si tristement échoué à Strasbourg. Il est certain que chacun a trouvé sous sa main son uniforme, ses armes, son équipement, et que, sur l'ordre qui en a été donné, l'état-major, comme la troupe, s'est aussitôt costumé pour l'action. C'est donc au moins depuis ce moment que l'entreprise avait été sciemment acceptée, et que tous les complices s'étaient associés sans réserve, à la pensée de leur chef. Nous ne savons, messieurs, si parmi eux il s'est trouvé un homme dont la raison plus mûre comprit tout le néant d'une ridicule illusion, et qui prévit l'inévitable issue d'une témérité sans exemple. Mais celui-là même n'a pas refusé son concours ; et lorsqu'au milieu du peuple et devant les soldats il marchait revêtu des insignes de son grade, sous le drapeau de la sédition, il assurait aux factieux le plus énergique moyen d'influence dont ils pussent disposer. Le général- Montholon ne pourra donc se disculper en invoquant son peu de confiance dans le succès ou l'intention de prévenir les collisions violentes. Placé dans une situation élevée, il n'est que plus coupable lorsqu'il en foule aux pieds les devoirs ; les épaulettes d'officier-général lui imposaient envers la patrie et envers le Roi, des obligations plus étroites, et son nom, recommandé par un pieux dévouement aux souvenirs de la France, ne devait pas être compromis dans une tentative sans portée contre les institutions qu'elle s'est faites. Il était de ceux qui avaient reçu la noble mission de guider l'armée dans les voies de la fidélité et de l'honneur. La conscience publique et la justice des lois prononceront un arrêt rigoureux sur le crime qu'il a commis en devenant le complice de ceux qui provoquaient des soldats à la trahison et à la révolte.

La conduite d'Aladenize est plus coupable et plus odieuse encore ; il était au moment de l'attentat en activité de service sous le drapeau de son corps. Pour se rendre à Boulogne, où il sait que Louis Bonaparte va débarquer, il abandonne le lieu de sa garnison. Instruit des projets criminels dont on va tenter l'exécution, il a promis sa coopération la plus active, et il tient largement sa promesse. Ce n'est pas seulement l'influence c'est l'autorité même de son grade qu'il emploie pour détourner du devoir des soldats qui appartiennent à son régiment. C'est au nom de la hiérarchie et de la discipline que, traître et parjure lui-même, il leur prescrit la trahison et le parjure. Violation déplorable des lois les plus impérieuses de l'honneur. Crime le plus odieux peut-être et le plus funeste qu'un militaire puisse commettre !

Après avoir ainsi fait la part de chacun des accusés, M. le procureur-général poursuit en ces termes :

Que si nous demandons maintenant comment ces hommes et leur chef ont pu être amenés à courir les chances d'une entreprise qui partout a été accueillie avec un sentiment de surprise, presque d'incrédulité, que tout le monde aurait condamnée d'avance non seulement comme criminelle, mais comme insensée ; dont il n'est personne enfin qui n'eût prévu l'inévitable dénouement, les écrits publiés pour faire l'apologie de l'attentat de Strasbourg et pour préparer l'attentat de Boulogne suffisent pour faire comprendre, et les illusions dont ils se berçaient, et l'aveuglement dont ils étaient frappés. Déjà, messieurs, vous vous le rappelez, nous avons dû apprécier devant cette Cour les prétentions et les ressources, les vanités et les erreurs de ce qu'on appelait alors, de ce que l'on nomme encore aujourd'hui le parti napoléonien.

Lorsqu'on a pu dans une brochure répandue avec profusion, se poser, en revendiquant une sorte de légitimité impériale, comme le tuteur nécessaire des intérêts, des libertés et de la gloire de la patrie ; se vanter d'avoir rallié tous les partis dans les mêmes sentiments et dans les mêmes vœux ; se présenter enfin comme soutenu par toutes les sympathies du peuple et de l'armée ; on a donné la mesure de ce que pouvaient imaginer les fantaisies de l'ambition, de ce que pourraient oser les témérités de l'inexpérience. On s'était montré sur le sol français. Un colonel, cette fois, avait livré son régiment qu'un instant il avait pu abuser, en séparant pour conserver son influence toute entière, les soldats de leur officiers. Quelle avait été l'issue ? Combien de temps avait-il fallu pour que celui qui rêvait un trône, se réveillât dans une prison, dont une clémence aussi libre qu'elle était généreuse, lui a seule ouvert les portes ? Comment se fait-il qu'il n'ait point été alors désabusé ? Vaincu sans débats, pardonné sans conditions, ne devait-il pas comprendre qu'on ne redoutait point ses entreprises ni comme un péril ni comme une menace ? Si la reconnaissance ne l'enchaînait pas, ne devait-il pas voir du moins que la prudence la plus commune lui faisaient une loi de se renfermer désormais dans l'obscurité de la vie. privée, et d'y échapper par l'oubli à la réprobation ? Il n'en est pas ainsi, messieurs, on cherche le bruit et l'éclat ; on s'efforce de glorifier l'échauffourée de Strasbourg, de conquérir en quelque sorte, dans l'opinion, une situation politique qu'elle s'obstine à refuser ; on fonde à grands frais un journal, on répand de nouveaux écrits, et en même temps qu'on emprunte à la presse sa puissance, ou renoue dans l'ombre des trames criminelles.

On se plaint aujourd'hui de défections ; on parle de ressources cachées, des raisons étendues et puissantes qui devaient promettre le succès. Mais à qui pense-t-on que ce langage puisse faire illusion ? Est-ce au pays, qui sait bien qu'il n'appartient à personne de disposer sans lui de lui-même, et qui a manifesté si énergiquement le jugement qu'il portait sur la conjuration et sur les conjurés ? Est-ce à vos complices eux-mêmes qui, de tous ces moyens rassemblés par l'influence, appréciés par la sagesse de leur chef, n'ont vu rien apparaître au moment décisif, rien qu'un lieutenant parti furtivement de sa garnison pour vous introduire dans une caserne dont sans lui peut-être vous n'auriez pas franchi le seuil.

N'est-ce pas ici le lieu, Messieurs, de montrer les misères de cette entreprise jusque dans la ridicule contradiction qui éclate entre les pompes du programme et les pauvres détails de l'exécution ? Vous avez lu, Messieurs, vous avez sous les yeux ces arrêtés, ces décrets, ces ordres du jour où, par avance, on a dépassé les succès, et où déjà se trouve accomplie, consommée, l'œuvre impossible que l'on a rêvée. On y a réglé la marche de l'armée victorieuse, distribué les commandements divers ; celui-ci est placé à l'avant-garde ; il commande la cavalerie toute entière ; celui-là a sous ses ordres toute l'infanterie du centre ; cet autre est chargé de veiller à l'arrière-garde ; l'état-major est organisé ; l'intendance militaire est établie ; elle est en fonctions... On n'a pas oublié le service de santé ; et cependant, messieurs les Pairs, cette puissance armée, elle a été toute entière soumise à votre justice ; et quand elle a été dépouillée du déguisement dont on l'avait couverte, nous avons vu apparaître la livrée de la domesticité ; puis quand une ordonnance de non-lieu est venue licencier le gros de la troupe, tous ces soldats, redevenus des valets, se sont empressés de réclamer leurs gages par l'entremise des magistrats.

Parlerons-nous de proclamations menteuses, tristes parodies d'une langue inimitable, où se lisent à chaque ligne l'ignorance de la situation du pays et l'oubli de la dignité nationale ; où celui qui reproche a nos institutions de ne pas protéger la liberté, institue des commissions militaires pour juger ceux qui se permettraient de rester fidèles à leur devoir ; où celui qui a fait pratiquer l'embauchage et distribuer l'argent pour acheter la trahison, accuse notre gouvernement de corruption ; où un neveu de Napoléon annonce à la France qu'il a des amis puissants à l'extérieur qui lui ont promis de le soutenir ? Comme si la France ne savait pas que l'étranger qui conspirerait contre son gouvernement, conspirerait en même temps contre elle ; 'où ce jeune homme, connu seulement par ses deux équipées de Strasbourg et de Boulogne, ose promettre de ne s'arrêter qu'après avoir repris l'épée d'Austerlitz.......... L'épée d'Austerlitz ! elle est trop lourde pour vos mains débiles ! Cette épée, c'est l'épée de la France ! Malheur à qui tenterait de la lui enlever !

Cependant, messieurs, le dictateur improvisé, qui vient de débarquer à Boulogne au milieu de sa domesticité travestie, a déjà supprimé d'un trait de plume le gouvernement national fondé en 1830 ; un arrêt laconique, comme ceux du Destin[5], mais heureusement moins irrésistible, décrète la déchéance de notre royale dynastie et la dissolution des deux Chambres. Et il faut que tout cela, messieurs, que toutes ces œuvres, qu'on serait tenté d'attribuer à une imagination en délire, soient signées du grand nom de Napoléon ! Il faut que tout cela figure dans la mise en scène d'une conspiration qui doit avorter devant les premiers soldats qu'elle tentera de séduire ! Cette armée en ordre de bataille, cet état-major organisé, ce cortège presque triomphal, ces arrêtés, ces décrets qui ont déjà disposé des fruits de la victoire, tout cela vient aboutir à une impuissante manifestation, à une fuite, à une seconde prison. On devait alors demander à la justice des lois une garantie décisive contre les agressions réitérées d'une ambition si aveugle et si obstinée. Il devenait nécessaire de rendre à jamais impossibles ces entreprises a main armée, que ne pouvait tolérer la nation, quand elles n'auraient été que des insultes, et qui pouvaient si facilement amener des collisions sanglantes. La force du gouvernement de juillet est dans la loi : c'est par elle seule qu'il protège tous les intérêts du pays ; c'est par elle seule qu'il se défend contre les trames cachées, ou les violences ouvertes des partis. La justice, toujours calme et modérée, mais toujours ferme et puissante, est le seul appui qu'il invoque et sur lequel il lui convienne de se reposer. Certes, messieurs, nous déplorons les premiers ce crime renouvelé qui a placé notre gouvernement libéral et généreux dans la douloureuse nécessité de ce procès ! Nous comprenons tout ce qu'il est dû de respect aux grands noms, aux grandes infortunes ! Dieu nous préserve, nous ne dirons pas seulement de toute action, mais de toute pensée contraire à ce sentiment élevé ! car nous nous sommes dit aussi avec douleur, en nous rappelant une énergique parole, que ce qui manquait trop souvent à ce pays, c'était le respect !

Oui, sans doute, un tel procès est une chose triste et regrettable ; mais à qui faut-il l'imputer, à ceux qui attaquent par la force ou à ceux qui se défendent par la loi ? Ce qui ébranle surtout ce respect salutaire dont nous parlons, c'est quand l'atteinte qui lui est portée vient de ceux-là même qui devraient l'inspirer ! Pour nous, messieurs, plus est vive l'admiration que nous avons vouée dans note cœur à l'Empereur Napoléon, plus nous avons besoin de nous rappeler notre caractère de magistrat pour maintenir l'impartialité de notre jugement, en présence de cette ambition puérile qui deux fois a compromis ce grand nom dans les plus misérables échauffourées.

C'est véritablement là, messieurs, ce qui est douloureux pour les âmes élevées, pour ceux qui ont le respect des grandes choses et le culte des nobles souvenirs, c'est qu'un neveu de l'Empereur, c'est qu'un Bonaparte soit devenu le triste héros des complots avortés de Strasbourg et de Boulogne ! Voilà ce qu'on ne saurait trop déplorer voilà ce qui, au regard de l'opinion publique, sinon aux yeux de la justice, aggrave le crime que nous poursuivons. Ainsi, à ceux qui nous demanderaient de respecter le nom qu'ils portent, nous serions en droit de répondre qu'avant tout ils doivent le respecter eux-mêmes et puisqu'il est parmi les insurgés des hommes que leur dévouement de soldats pour le grand capitaine a jetés dans les entreprises de son neveu, elle leur dira d'interroger leurs souvenirs, de comparer ce qu'ils faisaient autrefois et ce qu'ils viennent de faire, la gloire qu'ils partageaient alors et leurs humiliations d'aujourd'hui. N'ont-ils pas déjà senti dans leur conscience, n'ont-ils pas avoué par leur confusion, qu'ils ont compromis l'honneur de leurs vieilles épaulettes, et qu'ils ne pourraient trouver nulle part un juge plus indigné et plus sévère que Napoléon lui-même, si le bruit de ces tentatives sans portée, de ces témérités sans grandeur, de ces défaites sans combats, pouvait monter jusqu'à lui.

En résumé, messieurs, un mot suffit pour expliquer les illusions et les mécomptes, l'audace et les revers de ces quelques hommes, qui, groupés autour de Louis Bonaparte, composent le parti napoléonien.

Ils se sont imaginé que les grandeurs de l'Empire et la gloire de l'Empereur étaient comme un patrimoine pour la famille de Napoléon, et le culte de la nation pour ces immortels souvenirs, se transforme à leurs regards en un vœu populaire qui appelle cette famille à régner. Vingt-cinq années, cependant, se sont accomplies, depuis que le trône élevé par la puissance d'un homme de génie s'est écroulé dans les débris de sa fortune ; et ces vingt-cinq années ont été marquées par les efforts et par les progrès d'un grand peuple, qui marchait vers la liberté avec le calme de la force et la sagesse de l'expérience. Récemment éprouvé par les malheurs de l'anarchie et par ceux que peut entraîner à sa suite l'esprit de conquête et de domination, il voulait des garanties pour ses droits ; il voulait imposer à tous le respect de l'indépendance et de la dignité nationales ; mais il savait les écueils, et n'ignorait plus à' quel point les garanties de l'ordre pouvaient être compromises par le zèle de la liberté, et les conditions de la liberté par le tumulte des armes et les enivrements du triomphe. Au dedans, la liberté sous l'égide des lois respectées et puissantes ; au- dehors, une attitude ferme et digne qui ne menaçât, qui ne redoutât personne ; c'est là ce qui était dans ses vœux ; tel était le but vers lequel il s'avançait avec persévérance ; il se montrait patient, content du présent sous l'empire d'une Charte qui lui garantissait l'avenir.

Le jour où cette Charte fut brisée par la main du pouvoir, le peuple rentra dans ses droits ; il les soutint et les fit triompher par les armes : le monde sait l'usage qu'il fit de la victoire, et comment, en présence de la nation tout entière debout et armée, un contrat solennellement accepté et juré est devenu la base inébranlable d'une dynastie nouvelle.

Dans ce moment où toutes les voix étaient libres, une seule voix s'est-elle élevée à l'appui des prétentions que l'on essaie de raviver aujourd'hui ? le grand nom du héros a-t-il valu un suffrage à son fils ?

Et c'est, messieurs, dix années après cette grande révolution, l'un des événements les plus mémorables et les plus féconds de notre histoire, que, sans être découragé par le déplorable dénouement de deux tentatives insensées, Louis Bonaparte vient proclamer jusque devant vous, nous ne savons de quel droit, d'anéantir nos institutions par ses décrets, et de convoquer un congrès national pour organiser, à nouveau, le gouvernement du pays. Ce n'est plus aujourd'hui la légitimité impériale qu'il revendique ; ce n'est pas une restauration qu'il veut faire : c'est une dictature dont il se saisit de son chef, par devoir envers la patrie, et pour la conduire, sous ses auspices, à de meilleures destinées.

Mais, en vérité, qui donc êtes-vous pour afficher de si extravagantes prétentions ? Qui donc êtes-vous pour vous ériger en représentant de la souveraineté du peuple sur cette terre où règne un prince que la nation a choisi, et auquel elle a remis elle-même le sceptre et l'épée ? Qui donc êtes-vous pour vous donner en France comme un représentant de l'Empire, vous qui étalez tant de misères dans vos entreprises, qui donnez par vos actes tant de démentis au bon sens ?

L'Empereur, apprenez-le, n'a pu léguer à personne le sceptre tombé de sa main puissante avant que ses destins fussent accomplis :

Nous avons été sévère envers vous, prince Louis ; notre mission et votre crime nous en faisaient un devoir.

Sachez enfin connaître cette France qui fut votre patrie, et d'où vous a banni une loi dont vous avez su trop bien justifier la prudence ; appréciez ces institutions éprouvées déjà, qu'elle aime pour leurs bienfaits, et qu'elle défend comme sa conquête. Deux fois coupable envers le pays, vous l'avez mis dans la nécessité d'invoquer contre vous les lois qui protègent son repos et sa sécurité. Traduit à la barre de la plus haute de ses juridictions, ne dites pas que vous êtes traîné vaincu devant les hommes du vainqueur. C'est une prétention qui n'a jamais relevé ni justifié personne. Il ne suffit pas de nier la justice pour l'abolir, ni de braver, pour s'absoudre, la loi qui vous condamne.

Puissiez-vous reconnaître, au contraire, que la France a eu le droit de vous demander compte de son territoire violé, du sang français versé par votre main, et vous souvenu que le repentir atténue toutes les fautes et convient à toutes les conditions !

 

Ce discours, qui a fait sur tout l'auditoire l'impression la plus vive, est suivi d'une assez longue interruption.

Louis-Napoléon Bonaparte et M. le général Montholon avaient pris pour défenseur Me Berryer, un avocat légitimiste, ce choix paraîtra d'abord surprenant mais on se l'expliquera facilement quand on saura que le parti napoléonien n'a jamais compté dans ses rangs aucun homme capable ; et qu'il s'est toujours servi sans scrupule des hommes de tous les partis soit pour le défendre, soit pour conspirer avec lui, sauf à les payer après d'ingratitude ou de persécution, ainsi qu'il l'a fait envers M. Berryer, que Louis-Napoléon Bonaparte a fait arrêter le 2 Décembre 1851, à la mairie du 10e arrondissement où il s'était réuni à ses collègues pour défendre la Constitution, il l'a fait jeter dans une voiture de galérien et enfermer dans les casemates d'une caserne ; voilà comment le héros de Boulogne a témoigné sa reconnaissance envers son illustre défenseur.

M. Berryer commence son plaidoyer par un exorde dans lequel il déplore les changements politiques qui se sont accomplis de 1789 à 1830, et dans lesquels, en homme du passé, au lieu de voir dans les Révolutions politiques et sociales les grandes étapes de la marche, de l'humanité, et l'accomplissement nécessaire de ses destinées, il ne reconnaît au contraire dans ces commotions indispensables et toujours fécondes de la vie des peuples, que des malheurs et des catastrophes, qui ont jeté une profonde et une affligeante incertitude dans les esprits et dans les cœurs. Cette triste pensée et d'un pessimisme aveugle et réactionnaire, est une preuve, de l'influence fâcheuse qu'exercent toujours, même sur les esprits supérieurs et sur les plus belles intelligences, des opinions et des prétendus principes politiques qui reposent sur les bases fausses de la légitimité et du droit divin.

Après ce début et ces récriminations contre les révolutions, l'illustre avocat a continué en ces termes, la défense de Louis Bonaparte :

Pardonnez-moi cette réflexion qui me saisit chez un peuple où de tels événements se sont succédé. Serait-il donc vrai que les hommes qui ont le plus d'énergie, un sentiment plus élevé des devoirs, un respect plus profond pour la foi jurée, un sentiment plus religieux des engagements pris, une fidélité plus invincible aux obligations contractées, soient précisément les hommes les plus exposés à être considérés comme des factieux et de mauvais citoyens, et que l'on compte au nombre des citoyens les plus purs et les plus vertueux ceux qui, dans ces révolutions diverses, se sentent assez de faiblesse dans l'esprit et dans le cœur pour ne pas avoir une foi et un principe ? Et pour la dignité de la justice, quelle atteinte, Messieurs, quand elle se trouve appelée à condamner comme un crime ce que naguère il lui était enjoint d'imposer comme une loi, de protéger comme un devoir !

Dans une telle situation sociale, les hommes d'Etat et les moralistes se peuvent affliger, ils se doivent alarmer ; mais les hommes de justice, juges et avocats, quand il se trouvent jetés dans l'un de ces procès politiques, de ces accusations criminelles, où la vie des hommes est en jeu, se doivent armer de vérité et de courage, protester énergiquement, et avant d'accorder à la société ou au pouvoir les satisfactions les vengeances qu'ils demandent, ils doivent se rappeler la part qu'ils ont eue dans les actions, les entreprises, les résolutions dont ils viennent requérir le châtiment.

Le devoir qui m'est imposé aujourd'hui, je l'ai rempli loyalement il y a vingt-cinq ans, au début de ma carrière. En 1815, des ministres méconnaissant la véritable force de la royauté légitime, infidèles à son caractère auguste, poursuivirent devant les tribunaux les hommes débarqués en France avec Napoléon et échappés au désastre de Waterloo. J'avais adopté les principes politiques que j'ai gardés et défendus, et que je garderai toute ma vie. J'étais ardent et sincère dans les convictions que le spectacle  offert à mes yeux fortifie de jour en jour. Royaliste, j'ai défendu les hommes restes fidèles à l'Empereur. Pour sauver leur vie, j'ai fait la part des événements, des lois, des traités, des actes, des fautes mêmes du gouvernement, et les juges du Roi ont acquitté Cambronne.

Aujourd'hui, l'accusé qui a fait, à mon indépendance et à ma bonne foi, l'honneur de me venir chercher pour sa défense, dans un parti si différent du sien, ah ! il ne me verra pas faillir à sa confiance ! Aussi, quoique les questions que soulève ce procès touchent profondément aux points fondamentaux de nos luttes politiques,-veuillez croire. Messieurs, que je ne les aborderai que sous le point de vue du seul pouvoir que vous soyez appelés à exercer ici, sous le point de vue judiciaire.

Le 6 août dernier, le prince Louis Bonaparte est parti de Londres, sans communiquer ses projets, ses résolutions. Accompagné de quelques hommes sur le dévouement desquels il devait compter, il s'est embarqué et à l'approche des côtes de France il les a fait armer ; il est descendu en France ; il a jeté sur le territoire ses proclamations et un décret proclamant que la maison d'Orléans a cessé de régner, que les Chambres sont dissoutes, qu'un Congrès national sera convoqué, que le président actuel du ministère sera chef du gouvernement provisoire.

Tous ces faits sont avoués ; vous êtes appelés à les juger ; mais je vous le demande, dans la position personnelle du prince Napoléon, après les grands événements qui se sont accomplis en France et qui sont votre propre ouvrage ; en présence des principes que vous avez proclamés et dont vous avez fait la loi du pays, les actes, l'entreprise du prince Napoléon, sa résolution présentent-ils un caractère de criminalité qu'il vous soit possible de déclarer et de punir judiciairement ? S'agirait-il donc, en effet, d'appliquer à un sujet rebelle et convaincu de rébellion les dispositions du code pénal ?

Nous ne suivrons pas ici M. Berryer dans les longues considérations qu'il faites sur la légitimité, des prétendants, il était ainsi dans son rôle de royaliste, puisse-t-il ne pas se repentir aujourd'hui d'avoir ainsi contribué, sans le vouloir au triomphe définitif d'un homme qui a élevé son pouvoir sur les ruines des libertés publiques, dans le sang du peuple et à l'aide de cent mille proscriptions. Nous donnons seulement la péroraison de la défense de Me Berryer.

Parlerai-je de la peine que vous pourriez prononcer ? Il n'y en a qu'une, si vous vous constituez tribunal, si vous appliquez le code pénal : c'est la mort ! Eh bien ! malgré vous, en vous disant et en vous constituant juges, vous voudrez faire un acte politique ; vous ne voudrez- pas froisser, blesser dans le pays toutes les passions, toutes les sympathies, tous les sentiments que vous vous efforcez d'exalter ; vous ne voudrez pas le même jour attacher le même nom, celui de Napoléon, sur un tombeau de gloire et sur un échafaud. Non, vous ne prononcerez pas la mort !

Vous ferez donc un acte politique, vous entrerez dans les considérations politiques, vous mettrez la loi de côté. Ce n'est plus ici une simple question d'indulgence, c'est une raison politique qui déterminera le corps politique.... Pourrez-vous prononcer selon vos lois la détention perpétuelle ? Une peine infamante ! messieurs, j'abandonne tout ce que j'ai dit. Je laisse de côté l'autorité du principe politique ; je ne parle plus de l'impossibilité de prononcer, sans que le peuple soit convoqué, entre le droit constitué par vous, et le droit consacré par les Constitutions de l'empire, et renouvelé dans les Cent-jours ; je laisse de côté les considérations prises de ce qu'a fait votre gouvernement, et je ne parle plus des sentiments si naturels, si vrais, qui repoussent la condamnation, et je me borne à dire que vous ne jetterez pas une peine infâmante sur ce nom. Cela n'est pas possible à la face du pays, cela n'est pas possible en ces jours et en ces temps. Sortez des considérations de devoir, de législateur et de juges dont je vous ai parlé et croyez que la société française attache encore un prix immense, un honneur immense aux sentiments naturels à l'honneur ... On veut vous faire juges : mais qui êtes-vous ? ...

Condamnerez-vous l'héritier d'un si grand nom dans le moment même où les cendres de l'Empereur vont être ramenées de Sainte-Hélène ? Le condamnerez-vous à aller chercher sa sépulture dans une contrée lointaine, lorsque de glorieux ossements vont recevoir de magnifiques funérailles ? Non, la peine de mort, la déportation, la détention perpétuelle une peine infâmante, rien de cela n'est possible ; mais je veux un instant laisser de côté ces considérations.

En remontant à l'origine de vos existences, vous ducs, marquis, comtes, barons, vous ministres, maréchaux, à qui devez-vous vos grandeurs ? A votre capacité reconnue sans doute ; mais ce n'est pas moins aux munificences même de l'Empire que vous devez de siéger aujourd'hui et d'être juges.... Croyez-moi, il y a quelques chose de grave dans les considérations que je ferai valoir..... Une condamnation à une peine infâmante n'est pas possible.

En présence des engagements qui nous sont imposés par les souvenirs de notre vie, des causes que vous avez servies, des bienfaits que vous avez reçus, je dis qu'une condamnation aurait quelque chose d'immoral et j'ajoute qu'il y faut penser sérieusement, qu'il y a une logique inévitable et terrible dans l'intelligence et les instincts des peuples, et que le jour où l'on brise la loi morale, on doit s'attendre à voir un autre jour le peuple briser lui-même toutes les autres lois.

 

Nous verrons plus loin que la Cour pour éviter l'écueil que lui signalait Me Berryer, a commis une violation flagrante de la loi en condamnant Louis Bonaparte à la prison perpétuelle, peine qui ne lui était pas applicable d'après la loi.

L'accusé Montholon se lève pendant l'agitation produite par le plaidoyer de M. Berryer et lit d'une voix faible un écrit qu'il tient à la main.

M. le comte de Pontécoulant et plusieurs autres Pairs. — On n'a rien entendu !

M. de la Chauvinière, greffier-adjoint, lit les paroles de l'accusé ainsi conçues :

Messieurs les Pairs, j'étais en Angleterre, où des intérêts de famille m'avaient appelé.

J'y vis souvent le prince Napoléon ; souvent il me confia ses pensées sur l'état de la France, son projet de convoquer un congrès national, son espérance de rendre un jour aux Français l'union politique que l'Empereur avait si glorieusement fondée.

Toutes ses idées manifestaient un ardent amour de la France, un noble orgueil du grand nom qui lui a été transmis, et je retrouvais en lui un vivant souvenir des longues méditations de Sainte-Hélène.

Mais jamais il ne m'a parlé d'entreprises prochaines, de préparatifs pour une expédition en France.

Lorsque, croyant aller à Ostende, je me trouvai à bord du paquebot que montait le prince, et qu'il me fit connaître sa détermination, j'ai pu lui soumettre quelques observations ; mais il était déjà trop tard !

Je n'ai pas quitté le neveu de Napoléon, je ne l'ai pas délaissé sur la côté de France.

J'ai reçu le dernier soupir de l'Empereur. Je lui ai fermé les yeux. C'est assez expliquer ma conduite. Je me vois sans regret accusé aujourd'hui pour avoir pris une résolution, dont la bonne opinion que j'ai des hommes, me persuade que chacun de vous, messieurs les Pairs, eût été capable.

Me Berryer. La défense de M. de Montholon se borne à ces seuls mots : — Je n'ai pas voulu délaisser sur la côte de France le neveu de l'Empereur, dont j'avais reçu le dernier soupir, et à qui j'avais fermé les yeux.

Je n'ajoute qu'un mot pour répondre à l'objection qui consiste à dire : Est-il possible, est-il vraisemblable que M. de Montholon n'ait rien connu de la détermination du prince Louis ?

Le prince Louis l'affirme, il l'a déclaré dès les premiers moments : il n'y a pas une circonstance dans l'instruction suivie devant vous, qui indique qu'il y ait eu entre le général Montholon et le prince Louis Napoléon, d'autre conversation que les conversations générales dont il vous parle. Dans l'absence de tout indice à cet égard, je dépose sur le bureau de la Cour des lettres écrites par M. de Montholon, le 2 et le 3 août, pour des affaires importantes à Paris, qui constatent qu'il croyait en effet se  rendre en Belgique, et que sous très-peu de jours il pensait être revenu à Londres.

Me Ferdinand Barrot. — Messieurs les Pairs, le procès qui vous occupe renferme d'assez hauts enseignements pour qu'il soit utile de les recueillir et d'en prendre acte au nom des idées d'avenir.

D'une part, les princes reconnaissent que de notre temps,, ils relèvent de la souveraineté nationale, et qu'ils doivent compter relativement à leurs droits avec les révolutions qui les ont compromis ou effacés.

D'une autre part, vous, comme juridiction, vous vous êtes résolument saisis d'un de ces débats qui, jusqu'à présent s'agitaient et se vidaient dans l'arène du fait et non dans le prétoire de la loi. C'est là un acte grand et solennel, et dont vous appréciez toutes les conséquences, et vous voilà prêts, sans doute, messieurs les Pairs, à engager juridiquement tout ce contentieux des dynasties que le mouvement social, dans sa marche, a pu laisser derrière lui.

Il est donc convenu que dorénavant en France nous jugerons ceux qui furent d'institution divine ou d'institution nationale, peu importe ; nous ferons passer le droit qu'ils invoquent, les prétentions qu'ils soutiennent, sous le niveau de la loi commune ; et cette résolution de la part de l'un des trois pouvoirs de l'Etat aura poussée plus avant que jamais dans les voies populaires notre droit politique.

Du reste, messieurs, j'ai voulu seulement retenir, au bénéfice des doctrines avancées, le résultat de votre décision, et je me hâte d'abandonner de grandes thèses qui appartiennent à une position à part dans ce procès, position à laquelle il a été admirablement pourvu.

Maintenant, messieurs, je dois ramener votre attention à une tâche moins élevée ; je n'emprunterai rien aux doctrines transcendantes du droit public. Il ne m'appartient pas, comme à l'orateur que vous avez entendu à votre audience d'hier, d'aller bâtir l'aire de ma cause au dessus des régions de la loi commune. Je viens défendre de simples accusés que n'abriteraient pas suffisamment l'exception invoquée pour le prince ; je viens défendre de simples accusés qui sont citoyens, qui se le rappellent, qu'ils doivent compte à la loi et à votre justice. C'est donc le procès en lui-même, le procès dans ses conséquences judiciaires que je viens débattre devant vous.

L'un de mes clients le colonel Voisin, lorsque l'Empereur fut conduit à Sainte-Hélène, resta fidèle à son serment et à ses souvenirs, il ne voulut pas prendre de service : il s'occupa d'industrie. En 1830, il rentra dans les rangs de l'armée ; en 1831, il fut nommé colonel du 3e régiment de lanciers, et perdit son emploi, par suite d'une intrigue odieuse. Il a passé en Angleterre, il s'est attaché au prince Louis-Napoléon, il est venu avec lui en France, croyant débarquer à Ostende. Vous savez ce qui s'est passé ; il a accompagné le prince à la caserne, puis au pied de la Colonne, où, dans son désespoir, le prince voulait mourir sous les balles françaises. Le prince fut entraîné ou plutôt porté par ses amis sur les bords de la mer ; déjà la douane s'était emparée du bateau à vapeur. Au moment où le colonel Voisin et ses compagnons voulaient s'emparer d'un canot, on a fait feu sur eux. Le colonel a reçu deux balles par derrière dans le bras.

Hier je me suis laissé entraîner à ce sujet à un mouvement que je n'ai pas pu dominer, mais il n'était nullement dans ma pensée d'offenser la garde nationale de Boulogne.

Le défenseur de M. Voisin fait ici la biographie de son client.

Me Ferdinand Barrot. — Parquin était devenu capitaine ; sous la restauration il fut mis à la réforme. En 1821, il comparut devant la Cour des Pairs accusé d'avoir pris part à la conspiration dite du 19 août, et il fut acquitté.

Plus tard, en 1836, lorsque le prince Louis-Napoléon fit une tentative sur Strasbourg, Parquin l'accompagna : ce dévouement à la famille Napoléon s'explique parfaitement. En 1819 ou 1820, il est a allé habiter un château qu'il possédait en Suisse, à quelque distance du château d'Arenenberg, où s'était retirée la reine Hortense. Cette princesse avait pour lectrice Mlle Cochelet, dont Parquin devint l'époux. Depuis ce temps, il s'attacha à la destinée du prince Louis-Napoléon. Il fut arrêté à Strasbourg, jugé et acquitté. Il ne s'occupait plus de politique, et n'était rentré en France que pour venir fixer la position qui lui appartenait comme militaire. De retour à Londres, il est parti avec le prince Louis sans avoir été aucunement dans sa confiance.

Après avoir expliqué la conduite de l'accusé à Boulogne, M. Barrot ajoute : Parquin est tellement convaincu de son innocence, qu'il y a quelques jouis il écrivait à M. le président de la Cour la lettre suivante :

Monsieur le chancelier,

Je suis l'aide de-camp du prince Louis ; je suis dans la même position que les généraux Drouot et Cambronne qui furent acquittés par le conseil de guerre. Je demande ma mise en liberté immédiate.

Cette lettre est une preuve de la naïve stupidité de ces anciens soudards, qui croient que tout leur est permis ainsi qu'à leur chef parce qu'ils ont été soldats de l'Empire et que comme du temps de Napoléon ils sont 'au dessus des lois, et du droit des gens.

La défense de Desjardins, dit Me Barrot, a été facilitée par quelques mots d'indulgence échappés hier à M. le procureur-général. La Cour ne se montrera sans doute pas plus sévère que l'accusation.

Je passe au quatrième accusé dont la défense m'est confiée : Bataille s'occupait beaucoup d'idées industrielles. Comme rédacteur politique, il était partisan de la question d'Orient sous le point de vue de l'alliance russe. Le journal le Capitole était le seul journal qui comprit ainsi la question et voilà ce qui explique les articles qu'il a publiés dans le Capitole.

Du reste, son voyage à Londres n'avait d'autre but que ses affaires et ses études sur les chemins de fer. Là, il demanda à être présenté au prince, qui l'accueillit fort bien. De retour à Boulogne, il reçut le 5 août l'ordre du prince de transmettre une lettre à Aladenize. Il dut obéir, et le lendemain il se trouvait à la suite du prince, dont il ignorait les projets. La jeunesse de Bataille recommande-son avenir à l'indulgence de la Cour.

En résumé, et pour compléter la défense des quatre accusés confiés à mes soins, je rappellerai à messieurs les Pairs qu'ils sont des hommes politiques, et qu'ils ne s'effrayeront pas outre mesure des fautes attribuées à des hommes politiques.

 

Me Delacour présente la défense de l'accusé Leduff de Mésonan, et fait l'historique de sa vie militaire.

Sa mise prématurée à la retraite, dit-il, l'oubli de ses services passés, le mécontentement d'une injustice, ont jeté Mésonan dans le parti du prince. Le prince sait inspirer de véritables dévouements : si la fortune avait continué à sourire à sa famille, il aurait commandé autrement que par l'intérêt, et il aurait été obéi comme on sait obéir en France à des sentiments d'affection.

Le seul témoin contre Mésonan est le général Magnan qui lui attribue une tentative de corruption et d'embauchage. Vous avez pu remarquer hier une foule de contradictions et d'invraisemblances dans la déposition du général Magnan. Pour combattre cette déclaration, il fallait quelque chose de plus palpable, de plus fort, de plus invincible, il fallait un fait matériel ; nous en avons la preuve : le général Magnan prétend que la conversation dans laquelle Mésonan lui avait fait des propositions au nom du prince, a eu lieu le lendemain d'un dîner- ; eh bien ! je prouve, par le billet d'invitation, que le dîner a eu lieu le 12 juin, et que dès le lendemain, à neuf heures du matin, Mésonan est parti pour la Belgique. Ainsi l'entretien dont on parle n'a pas pu avoir lieu, tout se réduit à un simple fait dont l'accusé a fait l'aveu dans ses interrogatoires. M. le chancelier lui a demandé : — Comment voulez-vous que j'ajoute foi à ce que vous dites, quand je rapproche votre déclaration de ce que vous avez dit, dans un précédent interrogatoire, de la disposition d'esprit dans laquelle vous aviez trouvé le général, du mécontentement que vous prétendiez qu'il aurait éprouvé de certaines promotions qui avaient été faites, de l'amertume avec laquelle il s'en serait exprimé devant vous et avec vous ?

L'accusé a répondu : — Il est bien vrai que le général m'a parlé avec amertume de quelques promotions qui avaient pu le blesser, mais je n'ai pas voulu dire qu'il ait partagé mes vues ; je suis bien loin de dire cela.

Ainsi il demeure constant que le général Magnan avait témoigné à l'accusé quelques mécontentements au sujet de certaines promotions. Il se plaignait, en effet, d'une injustice qu'il aurait éprouvée en 1834, pour avoir tenu une conduite ambigüe pendant les troubles de Lyon.

— M. le général Magnan, qui est dans le couloir avec les témoins, s'agite avec force, et écrit à M. le chancelier pour réclamer la parole. —

Me Delacour achève sa plaidoirie, et s'efforce de démontrer qu'en s'associant à la fortune du prince, Mésonan n'avait été nullement initié à ses projets.

L'audience est suspendue pendant un quart d'heure. Durant cet intervalle, M. le général Magnan s'approche du siège de M. le procureur-général et de MM. les substituts, et annonce l'intention de s'expliquer nettement sur les faits qui viennent d'être avancés contre lui. H continue cet entretien au milieu d'un groupe d'avocats, parmi lesquels se trouve Me Delacour.

Me Barrillon, à la reprise de l'audience, prie la Cour de vouloir bien entendre les explications personnelles de l'accusé Persigny, l'un de ses clients.

Persigny, lisant un discours écrit. — Messieurs les Pairs, il y a sept ans que des études approfondies de la grande époque consulaire et impériale, comparée à l'époque actuelle, me firent adopter les idées-napoléoniennes. Le résultat a été mon admiration pour le grand homme qui a fondé ces idées, et mon dévouement pour le prince, son neveu, qui en a été le représentant.

L'idée-napoléonienne est à la fois une idée de grandeur et de liberté ; faut-il s'étonner qu'elle ne soit pas comprise, aujourd'hui qu'il n'y a ni véritable autorité, ni véritable liberté, aujourd'hui que les partis et les pouvoirs sont également impuissants, faute d'une personnification de ces grandes et salutaires maximes.

M. le Président. — Je ne puis laisser passer ces paroles. L'accusé a dit qu'à notre époque il n'y avait point de pouvoir.

Persigny. — J'ai dit qu'il n'y avait ni véritable autorité ni véritable liberté.

M. le Président. — Fialin, je ne veux pas entraver votre défense, mais modérez vos paroles.

M. Persigny. — Je n'ai point l'intention que vous supposez.

M. le Président. — Sans examiner quelles peuvent être vos intentions, je dis que vous vous êtes déjà beaucoup égaré ; vous pourriez vous égarer encore.

Persigny. — Je suis fier d'avoir risqué ma vie et engagé ma liberté dans le but d'assurer et d'agrandir les libertés de mon pays ; je suis fier d'avoir pris la devise de ce prince généreux qui est venu exposer sa vie sur la côte de France qui vint mourir à Crécy, et qui avait cette devise modeste mais qui a aussi la grandeur : Je sers ! je suis fier d'être le soldat d'un homme, d'une famille qui est la gloire de la France, car l'idée napoléonienne est l'expression la plus sublime de la révolution française.

L'idée napoléonienne assure parmi nous l'égalité, elle assure la liberté et le bonheur du peuple[6]. L'idée-napoléonienne, vous la connaissez : car vous avez servi à ses triomphes, puisque tous, ou presque tous, vous avez été les compagnons de gloire de l'Empereur.

Il faudrait, messieurs les Pairs, une voix plus éloquente que la mienne pour exprimer dans tous ses développements l'idée-napoléonienne.

Sénateurs de l'Empire, dites-nous quelle n'aurait pas été la grandeur, la puissance de la France, sans les honteux traités de 1814 et de 1815 ?

M. le Président. — Accusé, tout cela est complètement étranger à votre défense. Les traités de 1814 et de 1815 n'ont aucun rapport avec le procès actuel.

Persigny. — La Cour peut apprécier les rapports que je prétends exister. Je ne vois pas pourquoi l'on m'empêcherait de développer ma pensée.

M. le Président. — Mais, en vérité, vous ne servez pas votre cause ; je vous en donne avis.

Persigny. — Comparez, en effet, la grandeur passée et la situation présente de la France, Messieurs, il est un sentiment commun parmi les accusés, c'est le sentiment pénible que nous inspire le triste spectacle de la France humiliée et outragée, lorsque naguère elle envoyait tour à tour ses armées victorieuses dans toutes les capitales de l'Europe. Voici, en effet, messieurs les Pairs, un passage de la brochure intitulée Idées-napoléoniennes, que je vous prie d'écouter ; vous allez être convaincus.

M. le Président. — Tâchez d'aborder votre défense, la Cour n'est pas ici pour entendre lire des brochures.

Persigny. — Je dois dérouler devant vous le triste tableau de la situation actuelle de la France comparée à la domination qu'elle exerçait autrefois en Europe. C'est en vain que vous comptez parmi vous tant d'illustrations....

M. le Président. — Je vous répète, Fialin, que cela est entièrement étranger à votre cause.

Persigny. — Eh bien ! puisque la Cour ne veut pas m'écouter, je me tais ; mais je n'aurai pas été défendu.

M. le Président. — Vous avez un avocat.

Persigny. — Je proteste contre l'interruption. (L'accusé serre ses papiers et se rassied.)

Me Barillon, défenseur de Persigny, Lombard, Conneau et Bouffet-Montauban, montre comment chacun d'eux a été amené par des circonstances impérieuses à payer un tribut d'admiration et de dévouement à la famille de Napoléon.

— Lombard avait eu avec cette famille d'intimes relations, dit-il. Il a étudié la médecine et il a été employé comme chirurgien-major. En 1832, à l'époque du choléra, Lombard était en garnison à Belle-Isle-en-Mer. Un navire marchand dont l'équipage était attaqué du choléra réclame des secours en faveur d'un matelot qui avait le bras cassé. Lombard, sans songer à un danger imminent, monte sur le bâtiment et prodigue ses soins au matelot, qu'il eut le bonheur de sauver.

Ce n'était cependant pas en qualité de médecin que Lombard était attaché à la personne du prince ; les soins de la santé du prince Louis-Napoléon regardaient plus particulièrement le docteur Conneau. Né à Milan de parents français, Conneau, dès son jeune âge, fut attaché à la personne du prince Louis en qualité de secrétaire. Plus tard il devint son médecin, ou plutôt celui de la Reine Hortense, qu'il a assistée dans ses derniers moments. Il a tenu une espèce de journal de l'agonie de cette princesse, et il y rappelle ces paroles adressées à son fils par la Reine Hortense dans l'intérêt de Conneau : Je désire que mon fils puisse le garder avec lui.

Il ne faut pas réduire ce procès aux mesquines proportions d'un procès criminel ; cependant on a voulu jeter le ridicule sur cette expédition en vous parlant de la manière dont elle était composée. On vous a dit que plusieurs de ceux qui en faisaient partie couvraient sous leurs uniformes militaires les livrées de la domesticité.

L'affaire serait-elle plus importante et plus noble si elle eût été composée d'un plus grand nombre d'individus, si elle eût exposé l'Etat à une collision affligeante ? Non, sans doute ; car elle est d'autant plus honorable que l'expédition se composait d'un moindre nombre d'individus.

M. le Président. — Je ne puis laisser passer cette expression d'affaire honorable ; un attentat n'est jamais honorable.

Me Barillon. — J'ai voulu dire à la Cour que c'était une consolation de voir que l'honneur français n'était point intéressé dans cette affaire.

Le défenseur passe ensuite au développement des faits qui concernent chacun de ses clients ; il justifie Persigny d'avoir tout à l'heure aggravé sa cause par des paroles imprudentes, et discute ensuite les faits relatifs à Bouffet-Montauban.

Qu'un rapprochement, dit Me Barillon, me soit permis : On dit sans cesse qu'il est impossible que le prince n'ait pas mis dans sa confidence ceux qui avaient foi dans sa personne et qui le suivaient aveuglément dans une entreprise périlleuse. Eh bien ! après le retour de l'île d'Elbe, Napoléon aux Tuileries, entouré de ses courtisans, recevait des félicitations sur le dévouement des hommes qui l'avaient secondé dans ses desseins. Sachez, répondit Napoléon, que je n'avais mis personne dans la confidence de mes projets, moi seul j'ai médité et conduit à exécution mon entreprise.

Ainsi Napoléon n'avait point confié ses projets de débarquement à Drouot et à Cambronne, ni à aucun de ceux qui l'accompagnaient ; ils n'avaient connu sa pensée qu'au moment de débarquer sur la côte de France. Pensez-vous que son neveu ne l'ait pas imité ? pensez-vous qu'il ait admis qui que ce soit au secret de.sa pensée ?

Me Nogent Saint-Laurent présente la défense du colonel Laborde.

M. le Président. — Le défenseur d'Aladenize à la parole.

Un mouvement très-vif de curiosité se manifeste. On remarque qu'Aladenize a revêtu aujourd'hui, avec le pantalon garance, sa capote de lieutenant au 42e. Il porte à sa boutonnière la décoration de juillet.

Me Jules Favre. — Messieurs les Pairs, je sens en prenant la parole, tout ce qu'a de grave la situation du jeune lieutenant Aladenize, qui m'a confié sa défense. Officier dans l'armée, il a mis son épée au service d'une cause que l'événement a condamnée. Aussi ce n'est pas seulement d'attentat, mais de trahison qu'il est accusé.

De trahison, mot cruel pour un Français, pour un militaire dont les antécédents sont purs, et qui déjà a eu le bonheur de verser son sang pour l'indépendance et les libertés de son pays !

Toutefois, voyez-le, Messieurs, et permettez-moi de le dire, ce calme que l'accusé a conservé dans tous ses interrogatoires et dans tout ce débat, ce calme n'est pas celui d'un traître, et la fatalité des entraînements qui l'ont égaré sera comprise surtout au sein de cette assemblée qui, par sa haute expérience des révolutions politiques, sait faire la part de ces natures ardentes que l'irritation pousse quelquefois hors de la ligne du devoir.

Si Aladenize comparaissait devant un conseil de guerre, j'y disputerais, j'y sauverais la tête de l'accusé. Que sera-ce donc devant un tribunal que les institutions du pays ont placé comme le premier corps politique et ont proclamé le juge souverain des entreprises politiques, qui, par sa composition, son caractère, son élévation, se trouve au-dessus de toutes choses, et puise plutôt ses décisions dans la conscience de l'homme que dans les règles du légiste.

Je ne voudrais rien vous dissimuler, car pour être digne de vous, la défense doit être sincère ; elle ne doit pas surtout oublier que c'est une question d'honneur autant qu'une question de salut qui lui est confiée.

Oui, messieurs les Pairs, il y a des situations douloureuses et complexes dans lesquelles l'honneur commande tout d'abord une inflexible appréciation. Je trahirais les intentions d'Aladenize, je le déshonorerais sans le sauver, si je l'humiliais devant vous par de lâches paroles ; mais aussi je méconnaîtrais son cœur, si je le glorifiais par l'imprudence des exagérations, et si, dans l'excès de mon zèle, je lui faisais un piédestal dans.son malheur.

Ainsi, il vous a dit avec une noble et touchante simplicité : Si dans le récit de cette triste journée du 6 août quelques faits s'élèvent en ma faveur, les témoins vous les rappelleront ; mon rôle est de me taire et d'attendre votre justice.

Cette espèce d'abnégation de lui-même vous donne la mesure de son âme et le secret de ses intimes pensées.

Il entre dans la vie ; la mort, il l'embrasserait cependant avec joie, si elle lui arrivait glorieuse ; mais la mort avec l'ignominie, il la repousse de toutes ses forces : elle lui fait horreur. Voulez-vous attacher l'infamie à son nom si avantageusement connu dans les rangs de l'armée française ? N'est-il donc rien qui l'excuse, qui atténue sa faute, qui doive l'arracher au déshonneur ? Examinons les faits, interrogeons la vie de ce jeune homme, plein de force et de courage qui est assis devant vous.

Le lieutenant Aladenize est un des insurgés de Juillet. Lorsque le peuple se leva en armes en 1830, il combattit dans ses rangs. Il fut blessé et décoré. Pour prix de son sang, il ne réclama d'autre faveur que celle de conserver l'épée qu'il avait saisie pour la liberté. C'est vous dire assez avec quel sentiment il entra dans l'armée. Pour lui, la révolution nouvelle n'était pas seulement l'affranchissement du peuple, c'était la réhabilitation de la France : il la voyait libre, enfin, des engagements contractés envers l'étranger.

Ceci explique comment, dans une réunion d'officiers jeunes comme lui, comme lui braves, comme lui inquiets de la situation du pays, il a pu ajouter foi aux paroles d'un homme qui se présentait non seulement comme héritier d'un grand nom, mais qui annonçait l'intention de ne saisir le pouvoir que pour le faire sanctionner par l'autorité nationale.

Tels sont les sentiments qui ont animé Aladenize, il ne s'est attaché au prince que parce qu'il a cru ce prince appelé à rétablir les libertés du pays et à effacer les traces d'humiliation imprimées à la France par d'anciens traités ; il a voulu que la France fut grande, forte et respectée.

M. le Président. — Je rappellerai au défenseur que la France est grande, forte et respectée : ce n'est pas au défenseur qui parle devant la Cour à méconnaître cette vérité.

Me Jules Favre. — Je parle des sentiments d'Aladenize ; il aurait voulu que la France reprit ses anciennes limites ; voilà ce que je voulais dire. Je ne crois pas avoir rien dit qui puisse mériter le reproche que vient de m'adresser M. le président ; je serais désolé que mes intentions fussent mal interprétées.

Aladenize. —J'approuve du reste les paroles de mon défenseur.

Plusieurs Pairs. — On n'a pas entendu.

M. le Président. — L'accusé dit : J'approuve les paroles de mon défenseur.

Me Jules Favre. — Le moment favorable pour Aladenize était celui où la volonté nationale se manifesterait. Il se complaisait à voir le prince recevant des mains du peuple le bandeau populaire. C'était une illusion, elle a été complètement détruite.

 

Ici le défenseur retrace les faits depuis le jour où Aladenize, en semestre à Saint-Omer, a été appelé à Boulogne sur l'invitation du prince, jusqu'à la scène fatale qui s'est passée à la caserne. Il raconte comment Aladenize a détourné les baïonnettes qui se croisaient déjà sur le lieutenant Maussion et le capitaine Col-Puygellier, et le désespoir d'Aladenize qui. dans ce moment fatal brisa son épée ;

Messieurs les Pairs, dit-il, vous ne condamnerez pas à mort ce malheureux jeune homme, victime d'une erreur déplorable. Vous ferez plus encore, vous lui rendrez son épée dont il saura faire un glorieux usage si la France se trouve bientôt dans des circonstances telles qu'elle doive appeler à elle le secours de tous ses enfants. Si cependant une condamnation devait le frapper, sa plus douce consolation sera d'avoir empêché le sang français de couler ; c'est ainsi qu'il expiera la faute d'avoir aimé avec passion la gloire et la liberté.

 

La parole est à Me Lignier, défenseur des accusés Ornano, Orsi, d'Almbert, Galvani et Bure.

Me Lignier. — Messieurs les Pairs, tout procès, toute lutte juridique se résume, pour ceux qui y assistent, en une idée principale. Pour moi, et d'après mes impressions, le caractère saillant de ce procès, le caractère qu'il faut lui restituer avec d'autant plus d'énergie que l'accusation a fait plus d'efforts pour le lui enlever, a été la franchise avec laquelle chacun des prévenus s'est posé devant vous, la loyauté avec laquelle chacun d'eux a accepté la responsabilité de ses actes, sans forfanterie comme sans faiblesse.

A ce caractère, messieurs, vous avez pu, vous avez dû reconnaître que les compagnons du prince Napoléon ne se considèrent point comme des conspirateurs qui attendent, sous le poids de leur crime, que la main de la justice les frappe.

D'où leur viennent donc ce calme et cette tranquillité ? est-ce de leur aveuglement, ou n'est-ce pas plutôt du témoignage de leur conscience et de leur confiance dans vos lumières ?

Ils ont voulu, dit-on, eux, citoyens français, apporter dans leur patrie le fléau de la guerre civile.

Mais qu'ont-ils donc fait pour encourir une aussi terrible accusation, qui les vouerait non seulement aux rigueurs de la loi, mais encore à la haine du pays ? Est-ce qu'ils ont fait appel à la violence ? est-ce qu'ils ont engagé le combat ?

Et quand vous voyez que tant de courages éprouvés ont cédé tout d'abord à la résistance d'un seul homme, dites, si vous voulez, que le prince Napoléon s'était exagéré les vœux qui le rappelaient en France, dites, vous, son accusateur, que le pays ne veut pas d'autres maîtres pour le gouverner ; mais ne dites pas que le prince et ses amis ont, dans leur folle ambition, voulu livrer la France au désordre et à l'anarchie.

Non, non ; si le colonel Voisin, si le colonel Laborde, si le commandant Parquin, si le commandant Mésonan, suivis d'une troupe nombreuse et bien armée, ont fléchi devant le capitaine Col-Puygellier, seul et en présence de ses soldats, dont la fidélité était ébranlée, c'est qu'ils ne voulaient pas triompher par la violence.

Et maintenant que le reproche d'attentat que l'anarchie devait faire réussir est écarté, que reste-t-il au service de l'accusation ?

Une descente sur la plage de Wimereux et une promenade dans la ville de Boulogne.

Singulière contradiction de M. le procureur-général, qui, lorsqu'il s'adresse à vous nos juges, à vous qui devez prononcer sur notre sort, enfle le complot jusqu'à l'énormité, représente l'armée travaillée par des agents nombreux, les chefs tentés par de grandes récompenses, la presse achetée, et qui, lorsqu'il parle pour le public, voue l'expédition de Boulogne à la risée de la multitude, en rapetisse les moyens aux plus mesquines proportions !

Il faut choisir pourtant, et nous ne pouvons vous laisser le bénéfice de ces deux versions contradictoires.

Où est la vérité, Messieurs ? Je l'ignore ; car je ne suis point initié aux secrets du prince. Lui seul peut connaître quelles étaient ses ressources ; lui seul pourrait vous dire si sa tentative reposait sur des engagements pris envers lui par des hommes puissants, ou si elle ne reposait que sur de simples espérances.

Mais, ce que je sais, c'est que les accusés, c'est que mes clients surtout, Ornano, Galvani, Bure, d'Almbert et Orsi, ont été étrangers aux projets du prince. Ils n'ont point eu à contrôler ces projets, car le prince ne les leur a point soumis. Ce sont des soldats à qui le prince a dit à l'instant du péril : Mes amis, voulez-vous me suivre ? et qui l'ont suivi.

Voilà en deux mots tout leur crime et toute leur histoire. Est-ce qu'alors il s'est agi pour eux de voir dans le débarquement sur le sol français un attentat contre la sûreté de l'Etat, une violation des Constitutions du pays ? Ils n'ont vu qu'une chose, le prince se précipitant dans un péril, et leur honneur intéressé à l'y suivre.

Je le répète, messieurs, les accusés que je défends n'ont pas délibéré l'expédition à laquelle ils ont concouru, et leur participation n'a pas été le résultat d'un concert politique dès longtemps mûri et arrêté dans le silence.

C'est là la vérité, je l'invoque, je la saisis, et je place mes clients sous son patronage.

On a dit : Les accusés étaient au moins des conspirateurs en disponibilité, enrôlés à l'avance pour un complot dont ils ne connaissaient peut-être ni l'heure, ni le lieu d'exécution, mais qui étaient prêts pour toute entreprise et à tout événement.

Mais où est donc la preuve, où est donc la vraisemblance d'une pareille allégation ?

Quoi ! Ornano et Galvani qui, quinze jours avant l'expédition de Boulogne, n'avaient jamais vu le prince ; Orsi, livré à Londres à ses spéculations commerciales ; d'Almbert et Bure, qui remplissaient dans la maison du prince un emploi ostensible, réel, étaient des prétoriens dévoués d'avance à se lancer aveuglément, au premier signal, dans toute expédition aventureuse !

Votre haute raison, Messieurs, a déjà rejeté, j'en suis sûr, ces accusations ; et je constate ici, bien plus que je ne le provoque, le travail de vos esprits.

Laissons donc de côté toutes ces superfétations de la cause, et venons- aux faits de l'attentat. Ceux-là ne sont que trop avérés, et ce sont ceux-là seuls que vous avez à apprécier.

Et même je me trompe : les,-faits de l'attentat, dépouillés de toute circonstance extérieure, la coopération pure et simple à l'expédition de Boulogne, vous échappent.

Dès que vous avez mis en liberté tous ceux des prévenus qui, en même temps qu'ils avouaient leur participation matérielle à l'entreprise, ont prouvé n'en avoir pas d'avance connu le projet, vous avez nécessairement préjugé que cette participation matérielle ne suffisait pas pour constituer la criminalité, ou plutôt vous avez préjugé que vous ne vouliez atteindre que les instigateurs ou les chefs.

Si donc j'établis que mes clients n'ont connu les projets de Louis-Napoléon que sur le paquebot ; si j'établis, en outre, que leur position vis-à-vis du prince, l'ardeur de leur courage, leurs antécédents leur faisaient un devoir de ne pas l'abandonner sur la plage de Wimereux, je vous aurai fortement conduits à les renvoyer absous.

Vous ne pouvez avoir deux poids et deux mesures ; et votre justice, si elle cessait d'être égale pour tous, deviendrait une iniquité.

Abordant les faits qui concernent chacun de ses clients, le défenseur remarque que le seul grief contre Ornano est d'avoir fait partie d'une expédition dont on lui avait caché le but. Ornano devait avoir une aveugle confiance dans le prince et professer pour lui un entier dévouement, car Ornano est plus proche parent encore de Napoléon que l'honorable général qui siège parmi les Pairs.

Galvani était depuis longtemps attaché à la famille Napoléon. Il était à Naples, près de Murat. Après les malheureux événements de mars 1815, il s'est réfugié avec lui en Corse. Il est monté avec Murat sur un frêle batelet pour échapper à ceux qui le poursuivaient. Galvani a ensuite accompagné Murat dans la désastreuse expédition de Calabre. Tous deux ont été faits prisonniers, et Galvani était encore près de Murat lorsque ce prince, rapidement jugé par une commission militaire, est tombé sous le coup mortel.

D'Almbert était le secrétaire du prince Napoléon ; c'est en cette qualité qu'il a dû le suivre. Il n'est pas plus coupable que Bachon, qui était aussi homme d'affaires du prince, qui a été mentionné dans l'ordre du jour comme ayant des fonctions à remplir, et qui cependant n'a pas été mis en accusation.

Bure était le frère de lait du prince ; il a été élevé avec lui. Depuis l'âge de quinze ans, il ne l'a pas quitté. Jamais il ne s'est mêlé d'affaires politiques.

Orsi, continue Me Lignier, est un proscrit italien qui a sacrifié à la liberté de son pays une brillante existence et une grande fortune. Obligé de fuir sa patrie, il est venu se réfugier à Londres, où il fut chargé par lé prince, dont il avait été le banquier a Florence, de quelques affaires d'intérêt[7].

Ses rapports avec lui ne furent jamais ni bien intimes, ni bien fréquents.

Vous connaissez, messieurs, les événements d'Italie en 1831 ; vous savez comment les insurgés italiens ont été abandonnés à la merci des armées autrichiennes, vous savez comment les deux fils du roi Louis, pressés ; de se mettre à la tête des patriotes dispersés, prêtèrent à leur cause leur nom et leur, courage, eux qui n'avaient rien promis, qui n'avaient rien à tenir ; vous savez enfin comment l'aîné des deux frères laissa la vie dans une rencontre avec les troupes ennemies.

Or, croyez-vous donc que de pareils sacrifices s'oublient, et vous sentirez-vous maintenant le courage de punir dans Or si son dévouement pour le prince ?

Orsi doit au prince Louis-Napoléon le prix du sang de son frère tué pour la cause italienne[8] et il ne payait pas trop cette dette en l'accompagnant sur les côtes de Boulogne.

Je pourrais, je devrais peut-être vous peindre, pour vous intéresser à la position d'Orsi, tous les dangers qu'il a courus, toutes les tortures qui ont été infligées à ses amis, tous les malheurs de la patrie commune, et l'affreuse tyrannie qui pèse sur elle.

Mais je comprends que cette question est brûlante, et je ne veux pas oublier que si je puis tout dire sur ce sujet, sans danger, vous ne pouvez peut-être pas tout entendre. Je m'arrête donc. Souvenez-vous seulement qu'Orsi, comme tous ses compatriotes, est un noble cœur, et que son dévouement à la cause du prince Louis n'a pas été, quoiqu'il soit étranger à la France, un dévouement d'aventurier.

Me Ducluseau, avocat de l'accusé Forestier. — Messieurs les Pairs, je pourrais me débattre, moi aussi, contre la justice qui' nous est donnée dans cette cause, si j'avais un principe à défendre ; je pourrais proclamer dans cette enceinte mieux qu'ailleurs l'inviolabilité des races royales, et soutenir qu'elles sont vis-à-vis les unes des autres comme la nation dans l'état de nature ; n'ayant qu'un tribunal, qu'un juge, qu'une justice, le fait ; je pourrais soutenir que l'exil, que la proscription, la mort de cent princes ne portent pas une atteinte aussi profonde au principe de l'inviolabilité royale que le jugement d'un seul ; je pourrais vous montrer au dehors de terribles logiciens prêts à s'emparer du précédent qui s'établit à la Cour des. Pairs. Que dis-je, au dehors ? N'avez-vous pas entendu hier dans cette enceinte la souveraineté populaire s'armer à l'avance de votre arrêt par l'organe d'un de ses "plus éloquents apôtres ?

Une telle doctrine devant une telle assemblée ne semblerait ni subversive ni révolutionnaire. Elle siérait mieux aux principes de respect dont M. le procureur-général vous a parlé, que la condamnation dont il est venu vos demander ici le déplorable bénéfice. Elle serait surtout plus conforme aux antécédents du gouvernement. Une pareille doctrine ne serait pas surtout considérée j'espère, par la noble Cour, comme une offense à sa haute et impartiale justice. Nous ne sommes, plus aux temps où le mot de justice politique n'avait qu'une signification trop peu douteuse, dans ces temps où le plus fougueux des génies révolutionnaires fut traîné, lui aussi, dans ces mêmes prisons qu'il avait tour à tour peuplées et dépeuplées... où il repoussa avec amertume ses amis qui lui conseillaient de préparer les pièces pour sa défense. Des pièces, une défense ! s'écria-t-il ; ne savez-vous pas, mes amis, que je vais subir un jugement politique ? Ces temps sont passés, passés, j'espère, sans retour. Nous comparaissons devant le corps le plus élevé, le plus éclairé de l'Etat, celui qui renferme de nobles cœurs, de hautes intelligences, et résume par conséquent la plus magnifique expression de la justice du pays.

Cette doctrine d'inviolabilité que l'éloquente voix de la défense a si bien proclamée, ne serait donc pas une offense à la Cour, mais un hommage aux principes. Mon rôle, Messieurs les Pairs, est plus modeste. C'est [Forestier, dont la défense m'est confiée. Pour lui, messieurs les Pairs, votre compétence n'est pas douteuse ; et il se gardera bien de vouloir l'échanger contre ce qu'on appelle la justice du pays ! En politique, messieurs les Pairs, toute justice est effrayante, celle du pays comme toute autre, et quelquefois plus qu'une autre. Je l'ai vue parfois bien zélée, bien prompte et bien vive ; et si j'avais à demander une justice calme, modérée, patiente, ce n'est pas aux rivages de Boulogne que j'irais la chercher.

Le défenseur discute les griefs élevés contre Forestier, et décrit le péril qu'il a couru dans la fatale journée du 6 août.

Sauvé par deux généreux ouvriers, qui échangent avec lui leurs vêtements, Forestier est entraîné par eux vers Boulogne, où ils étaient bien connus, et où leur assistance le mettait à l'abri de tout soupçon. Un grand tumulte avait lieu sur le port. Ces hommes y entraînent Forestier, et là, sous ses yeux, on s'élance sur ses amis qui se sauvaient dans un bateau. Là, à ses côtés, commence sur eux une vive fusillade. Il voit les uns blessés, les autres mourants, le prince à la nage avec Parquin, Persigny sur le point de se noyer, et une grêle de balles pleuvant autour d'eux. Vingt ans de prison ne serait rien, me disait Forestier, au prix de ce que j'ai souffert en ce moment. Je voulais m'élancer vers eux pour partager leur sort, mais mes deux compagnons me tenaient fortement serré, et d'autres hommes placés à mes côtés, se méprenant sur la nature de mes émotions, me criaient : Sois tranquille, pas un seul ne pourra nous échapper.

Quelques jours après Forestier fut arrêté.

— Quand je considère les faits, dit en terminant le défenseur, je me rassure ; et je me rassure encore quand je considère les juges.

M. le Président. — Les défenseurs des accusés ont été successivement entendus ; ont-ils quelque chose à ajouter pour compléter la défense ? (Signes négatifs dans les rangs du barreau.)

M. Franck-Carré, procureur-général. — Messieurs les Pairs, tous les faits sur lesquels repose l'accusation ont été acceptés par la défense, et la tâche du ministère-public serait accomplie si le premier orateur que vous avez entendu s'était, comme il l'avait annoncé lui-même, renfermé dans son rôle judiciaire. Mais ses préoccupations politiques l'ont enlevé à ce rôle malgré lui, et ses paroles nous ont fait sortir pour un instant de cette enceinte ! Ce n'est pas seulement l'avocat, c'est aussi l'homme politique qui est devenu notre contradicteur. Dédaignant les faits de la cause ; il n'a cherché ni à enlever au crime que vous êtes appelés à juger, le caractère de l'attentat, ni à le dépouiller des circonstances graves qui l'ont accompagné.

On ne trouvait pas sans doute ce procès assez élevé ; on s'est efforcé de l'agrandir, et comme s'il y avait nous ne savons quel intérêt d'avenir derrière l'intérêt actuel engagé dans ce débat, on a réclamé devant vous, au nom d'un principe, dont on exagérait à dessein les conséquences, le privilège d'une inviolabilité judiciaire, en faveur de ces prétentions ambitieuses qui se, traduisent en attentats.

Pour nous, messieurs les Pairs, nous n'acceptons pas la position qu'on veut nous faire. Mais nous suivrons la défense sur le terrain qu'elle a choisi ; nous sommes prêts à entrer avec elle dans l'examen des questions qu'elle a soulevées, et nous démontrerons sans peine que la raison, la politique et la loi sont d'accord pour justifier cette accusation.

Assurément, messieurs, notre adversaire a fait preuve de peu de bienveillance pour le gouvernement de juillet ; il ne lui a pas cependant dénié de de droit de se défendre, et ne l'a pas condamné à subir, sans les repousser, toutes les attaques de ses ennemis.

Ne voulût-on voir en effet dans l'ensemble de nos institutions qu'un gouvernement de fait, ceux même qui croiraient avoir conservé le droit de d'attaquer, lui reconnaîtraient encore le droit naturel de défense, qui dans ce monde appartient à tout ce qui a vie, à tout être collectif ou individuel, Nous vous dirons tout à l'heure ce que c'est que le gouvernement de juillet, et comment c'est à sa nature et à ses principes qu'il faut précisément rendre grâce de ce qui fait aujourd'hui l'objet de nos griefs.

Mais dès à présent, nous sommes fondés à dire que vous reconnaissez à ce gouvernement le droit de se protéger lui-même contre les attaques de ses ennemis. Nous vous demandons alors ce que vous vouliez, si vous ne vouliez pas ce procès ? Le droit de défense d'un gouvernement, songez-y, c'est la raison politique ou la loi ; c'est l'arbitraire ou la justice.

Si vous ne voulez pas de la justice, si vous récusez la plus haute juridiction du pays, c'est donc l'arbitraire que vous réclamez. Vous voulez être traité sans doute par ce gouvernement libéral comme vous l'eussiez été il y a trente ans, il y a vingt ans peut être ?

Eh bien ! le gouvernement de juillet ne fait pas d'injonction aux citoyens de courir sus à ses ennemis[9] ; il ne les a pas condamnés d'avance sur une reconnaissance d'identité ; il appelle la justice à décider ; il les juge, il ne les proscrit point ; cela est nouveau, nous en convenons, dans l'histoire des gouvernements, et c'est pour cela que nous sommes fondés à dire que ce gouvernement est le plus libéral qui fut jamais. Savez-vous d'où lui vient ce caractère ?

C'est que la puissance, qui est née de la révolution de juillet, est la puissance légitime par excellence, parce qu'au lieu de représenter l'ancien régime, elle représente le régime nouveau ; parce qu'elle est la réalisation la plus complète de cette grande régénération de 89 qui a fondé, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, la nouveau droit public de la France, parce que sa légitimité, au lieu de chercher son point d'appui dans une idée qui n'est pas de ce siècle, s'établit et se fonde sur la base la plus large et la plus durable ; celle des sentiments nationaux, des intérêts nouveaux du pays, de sa grandeur et de sa dignité ! Elle est précisément légitime, cette glorieuse révolution, sachez-le bien, par les raisons mêmes qui vous font dire qu'elle ne l'est pas.

Nous le savons, messieurs les Pairs, il est dans les nécessités d'un certain parti politique de s'attaquer avec autant d'obstination que d'impuissance au principe de cette révolution, et toutes les habiletés oratoires du langage que vous avez entendues se sont appliquées à faire comprendre, sans l'exprimer, cette pensée que notre gouvernement, issu d'une insurrection, n'a pas en lui cette autorité légitime qui imprime à ses ennemis le caractère de rebelles. Nous avons trop le sentiment de nos devoirs, messieurs, pour accepter une discussion sur ce terrain ; la révolution de juillet n'aura jamais besoin d'être défendue, et le gouvernement qu'elle a fondé ne se laissera jamais mettre en cause par qui que ce soit. Mais nous sommes toujours heureux et fiers, messieurs, quand l'occasion s'en offre à nous, de rappeler ces grandes circonstances, et d'en montrer à tous le caractère.

Ceux qui ont parlé d'une comédie dequinze années ont calomnié le pays ; la France a pris au sérieux le gouvernement de la Restauration ; elle n'aimait pas son origine ; elle redoutait ses tendances, mais elle avait accepté la Charte de 1814 avec son véritable caractère, celui d'un contrat formé entre lé présent et l'avenir. On avait bien pu écrire dans cette Charte le principe d'un droit que le pays ne reconnaissait pas, et rayer d'un trait de plume le Consulat et l'Empire, Bonaparte et Napoléon. On avait pu se donner la satisfaction de dire qu'on l'octroyait de sa pleine puissance et par un acte de bon plaisir ; elle n'en restait pas moins aux yeux de la France, et dans la vérité, comme le pacte qui unissait la nation à la dynastie régnante, comme l'inévitable condition de l'avènement de cette dynastie.

C'est là, Messieurs, qu'était la force du gouvernement de la Restauration ; ses fautes et ses malheurs sont venus de ce qu'elle n'a pas compris cette vérité : elle a cru à la toute puissance de ce qu'elle appelait son principe ; et quand, dans son égarement, elle a voulu demander à ce principe le droit de déchirer de ses mains ce contrat qui, seul, la soutenait, et d'enlever au-pays sa Constitution, deux jours ont suffi à sa chute ! Tant il est vrai que le principe de souveraineté inhérent à la personne royale, et les anciennes lois fondamentales qui avaient pu faire autrefois la stabilité de la monarchie, n'étaient plus le titre, ni la garantie constitutionnelle ; tant il est vrai que ce n'était pas en vertu de ses droits anciens, et d'une légitimité préexistante, mais bien plutôt malgré son obstination à les invoquer, que cette dynastie a gouverné quinze ans le pays.

Eh bien ! cette force que la Restauration a repoussée, le gouvernement de Juillet la possède et saura la conserver. Mais il a de plus une origine nationale et pure, et des tendances libérales et généreuses. Il n'a pas eu le malheur d'arriver après une invasion étrangère, mais après le triomphe des lois sur la révolte du pouvoir ; il est le produit de la volonté nationale librement exprimée par les mandataires légaux du pays, en présence du pays lui-même tout entier. Voilà ce qui fait la grandeur et la force de ce gouvernement ; c'est par là qu'il répond aux besoins du présent, et qu'il assure les intérêts de l'avenir ; et c'est précisément parce que son origine repose sur la victoire de l'ordre et des lois, parce qu'il est ainsi la négation la plus formelle du principe de l'insurrection, qu'il possède à un plus haut degré qu'aucun autre cette puissance et cette autorité légitimes qui donnent le droit et la force de réprimer et de punir la rébellion par la justice.

Nous le savons, messieurs, jamais le pouvoir judiciaire n'a encore réalisé plus explicitement qu'il n'est appelé à le faire dans ce procès, le grand et nouveau principe de l'égalité de tous devant la loi ; et dans cette circonstance ; d'ailleurs si pénible, nous sommes fiers par là de nous associer à son œuvre.

Cependant, messieurs, le défenseur vous a contesté le droit de juger, et c'est en réalité une incompétence politique qu'il a soutenue devant vous.

Vous ne pouvez juger, parce que Louis Bonaparte n'a pas seulement commis un attentat, mais qu'il est venu contester la souveraineté à la maison d'Orléans.

Vous ne pouvez juger, parce que Louis Bonaparte est placé par une loi du pays en dehors du droit commun.

Vous ne pouvez juger, enfin, parce que l'impartialité est la première condition de la justice, et que dans une telle cause vous ne pouvez pas, vous ne devez pas être impartiaux.

Reprenons, messieurs, en peu de mots, et discutons rapidement chacune de ces propositions.

Louis Bonaparte est venu contester la souveraineté à la maison d'Orléans.

Messieurs ; l'accusé et son défenseur ont reculé devant la pensée d'une revendication de la légitimité impériale. Quelles que fussent les prétentions personnelles, les ambitions cachés, on a compris qu'après vingt-cinq années écoulées, après trois règnes, après une grande révolution, qui depuis dix ans a fondé un trône national, on ne pouvait sérieusement invoquer un droit d'hérédité absolu qui donnât l'empire par lui-même, qui fit par lui-même à la nation un devoir de l'obéissance ; on a bien voulu se borner à chercher dans ces anciens suffrages le droit de la consulter de nouveau. C'est comme un litige dont l'objet est le trône de France, et où le compétiteur, ses titres à la main, vient demander jugement.

Certes, messieurs, si tel était le procès, vous n'en seriez pas les juges, vous n'auriez pas le droit de prononcer. Mais par quelle aberration a-t-on pu être amené à penser que ce fût la matière d'une contestation licite, et qui peut être soumise à la nation elle-même, engagée sans contrainte comme sans regret par le contrat de 1830 ? A-t-on imaginé que vous seriez les tuteurs assez faibles des droits sanctionnés par votre sagesse et par vos votes, pour tolérer qu'on les remit témérairement en question, et pour permettre un seul instant à qui que ce fût de révoquer en doute la légitimité de notre Charte et l'autorité des pouvoirs qu'elle institue ?

La toute puissance nationale est toujours invoquée par les factieux que leurs ambitions ou leurs mécontentements personnels entraînent dans la révolte ; mais la justice leur rappelle que ces immenses procès de souveraineté dont les peuples sont les juges, ne peuvent être soulevés que par eux. Ils ne s'engagent jamais sous la protection du droit et avec les conditions du succès qu'aux jours marqués pour les révolutions, quand des droits sacrés, quand des intérêts légitimes sont méconnus par un pouvoir aveugle, quand les forces de la société s'émeuvent d'elles-mêmes, et qu'une volonté commune les entraîne vers le même tout.

Examinons maintenant, messieurs, dans une discussion rapide, si la seconde objection élevée contre votre justice, au nom de la loi du 11 avril 1832, a [plus de force et plus de valeur. Mais d'abord, reportons-nous au texte, et consultons l'esprit de cette loi.

D'après les dispositions combinées de ses articles 1er et 4, le territoire de la France est interdit à perpétuité aux ascendants et descendants de Napoléon, à ses oncles et tantes, à ses neveux et nièces, à ses frères, à leurs femmes et à leurs descendants, à ses sœurs et à leurs maris.

Ainsi, par le seul fait de sa présence sur le territoire français, le prince Charles-Louis-Napoléon Bonaparte violait manifestement la loi du pays : le gouvernement était en droit de le saisir et de l'expulser du territoire ; c'est la loi qui le veut ainsi ; c'est un acte constitutionnellement émané des trois pouvoirs.

Cette loi politique honore le gouvernement de juillet, car elle remplace la loi du 14 janvier 1816, dont on n'eut pas cherché devant vous la sanction, puisqu'elle punissait de mort le seul fait de la présence. Nous reconnaissons donc qu'en abrogeant cette exorbitante disposition pénale, la loi de 1832 n'a donné qu'un droit, n'a imposé qu'un de- voir au gouvernement, celui d'assurer son exécution en répondant au fait de la présence par le fait de l'expulsion, et si le prince Bonaparte était poursuivi devant vous pour avoir pénétré sur le territoire de la France, s'il était possible que le ministère public, érigeant de sa propre autorité au rang des crimes le fait de la contravention à cette loi, vînt solliciter de vous une condamnation pénale, oh ! alors, nous comprendrions l'objection qui nous est faite, nous reculerions devant sa force, et vous n'hésiteriez pas à l'accepter.

Mais, en vérité, messieurs, la prétention de la défense est plus extraordinaire que ne le serait encore la nôtre dans l'hypothèse impossible que nous vous présentons. A l'en croire, la loi de 1832 devient un obstacle à la poursuite ; elle couvre ceux qu'elle bannit du territoire d'une complète inviolabilité, quand ils pénètrent sur ce territoire ; ce n'est plus une loi de bannissement, c'est une loi de privilège ; il y a plus, elle s'abroge par sa violation même, elle protège ceux qui la violent, et son premier effet est de s'opposer à sa sanction.

Eh bien ! nous n'hésitons pas à dire qu'une telle prétention répugne au bon sens comme elle répugne au texte et à l'esprit de la loi ; la violation du bannissement politique ne peut devenir une excuse nécessaire pour tous les crimes qui la suivront. La raison indique, au contraire, qu'un manquement de plus à la loi ne peut être qu'une circonstance aggravante.

Au surplus, messieurs, à cet égard la discussion de la loi de 1832 doit écarter toutes les controverses. La proposition de rappeler dans cette loi la sanction pénale écrite dans la loi de 1816 fut faite à la Chambre des Députés, et cette proposition, dans une plus saine intelligence des principes de notre révolution de 1830, fut bientôt repoussée par son auteur lui-même et par la Chambre tout entière. Il fut dit alors par la commission que la mort prononcée par l'art. 91 serait une peine trop rigoureuse pour l'un des membres de la dynastie déchue qui pénètrerait sur le sol français, si d'ailleurs aucun projet de guerre civile, de renversement de la dynastie régnante, ou des institutions politiques qui nous régissent, n'accompagnait sa rentrée ; que si, au contraire, quelques uns de ces crimes pouvaient lui être reprochés, les dispositions du code pénal seraient suffisantes et l'atteindraient. Telles sont précisément, messieurs, et personne ici ne le conteste, les circonstances dans lesquelles se présente l'accusation contre Louis Bonaparte.

Ainsi le moyen qu'on développe devant vous est jugé par la loi elle-même comme il l'est par les seules lumières du bon sens.

Qu'aurions-nous besoin de plus, messieurs ? Nous sommes ici devant la Chambre de Pairs, mais devant la Chambre des Pairs convoquée en Cour de justice. La loi, voilà notre règle à tous, et dès qu'elle a parlé toutes les discussions doivent cesser.

Ainsi, vous nous demandiez où était notre droit ; nous vous avons répondu par notre devoir : et cependant vous vous emparez de l'indulgence de ce gouvernement pour vous en faire une arme contre lui. Vous lui rappelez l'acte de clémence de 1836 ; et c'est au nom de Louis-Bonaparte que vous ne craignez pas de renouveler aussi les souvenirs de 1837.

Eh bien ! nous répondrons que ce qui fut alors pardonné pardonné votre jeune inexpérience, ne peut plus l'être à votre persistance coupable. Nous dirons que ce qui fut accordé au respect du nom que vous portez, ne peut plus l'être quand l'obstination de vos projets insensés fait un devoir au gouvernement d'y mettre obstacle.

Ce n'est donc pas nous qui avons voulu ce procès, c'est vous qui l'avez voulu ; c'est vous qui l'avez rendu nécessaire.

Cependant le défenseur, messieurs, par une habileté de langage qui lui est familière, est revenu à sa première argumentation en la présentant sous une forme nouvelle.

Ce n'est plus dans la prétention de Louis-Bonaparte, c'est-à-dire dans la nature et dans la gravité du crime en lui-même qu'il trouve une fin de non-recevoir contre votre justice, c'est dans cette haute justice elle-même relativement au crime dont elle doit connaître.

Vous ne pouvez être impartiaux, vous dit-il, sous l'empire d'un droit politique consacré ; comment voulez-vous être juges ?

Quelle est donc, messieurs les Pairs, la mission que vous avez à remplir ? quelle est la question qui s'agite devant vous ? Est-ce que cette question, comme dans tous les débats judiciaires, n'est pas celle de savoir si les accusés déférés à votre justice ont ou n'ont pas commis le crime qu'on leur impute ? Est-ce que vous n'avez pas à rechercher dans les faits et dans les détails de cette cause, non plus seulement si les accusés ont matériellement commis le fait qu'on leur impute, mais aussi toutes les circonstances qui peuvent faire apprécier leurs intentions, apporter des excuses aux actions, des tempérances à la peine ? Est-ce que ce n'est pas là, messieurs les Pairs, le texte même qu'ont développé devant vous tous les défenseurs que vous avez entendus hier ? Est-ce qu'ils n'ont pas pris soin réfuter par leurs paroles, le discours du premier orateur que vous avez entendu et l'étrange prétention qu'il a soulevée devant vous ? Votre mission dans cette affaire est donc celle du juge dans tous les procès criminels : il s'agit de constater le crime, de rechercher si les accusés en sont les auteurs, et de peser toutes les circonstances qui peuvent accroître ou atténuer la culpabilité de chacun d'eux.

Nous le demandons maintenant, quelles sont donc les raisons qui s'opposeraient à votre impartialité, messieurs les Pairs ? Ah ! c'est qu'il faut dire ce que c'est que l'impartialité, qu'on vous demande ! Cette impartialité, c'est dans la qualification, c'est dans le jugement du crime lui-même qu'on veut l'imposer à vos délibérations.

Qu'est-ce à dire, messieurs ? Qui donc espère-t-on abuser par une telle argumentation. ? far quelle confusion d'idées et de principes veut-on attribuer au juge l'examen et le jugement de la loi. elle-même ?

Le premier devoir du juge, faut-il vous le dire ? c'est précisément d'avoir par avance accepté la loi, c'est-à-dire condamné le crime dans son cœur et dans sa pensée. Vous voulez qu'il monte sur son siège pour juger entre le crime et la loi ; mais ce que vous lui demandez alors, c'est de forfaire à tous ses devoirs : c'est de mentir au titre même en vertu duquel il siège ; c'est de violer le serment qu'il a prêté.

Une telle doctrine, messieurs les Pairs, ne pouvait être présentée devant vous que par la plus étrange préoccupation , résultat nécessaire de la fausse, situation qu'on s'était faite ; c'est, qu'en effet, on a écarté du procès le procès lui-même ; c'est qu'au lieu du débat judiciaire qui s'agite devant vous, on a discuté sérieusement les rêves et les illusions du prince Louis Bonaparte ; c'est qu'en mettant au néant nos institutions politiques, en donnant un démenti à la glorieuse révolution de 1830, qu'on n'a pas craint d'appeler un incident, on vous a conviés à mettre dans la balance la royauté de Juillet et la souveraineté transmise à Louis Bonaparte, et à peser impartialement les droits de chacun.

Eh bien ! ce que nous avons à vous dire, c'est que la question que vous prétendez soulever, n'est pas une question ; c'est que c'est précisément pour avoir soulevé cette question à main armée sur le territoire, que Louis Bonaparte et ses complices sont traduits devant la Cour des Pairs ; c'est que l'énoncé même de cette question est un déli prévu et puni par nos lois.

Vous nous demandiez hier de respecter l'idée de la justice, de ne pas confondre un arrêt avec un acte de gouvernement ; nous sommes en droit de vous répondre que ce sont les doctrines dont vous vous êtes rendu l'interprète qui altèreraient, s'il était possible, le caractère sacré de la justice, en élevant le magistrat contre la loi.

En vérité, messieurs, c'est trop insister peut-être sur une argumentation demeurée sans force, parce quelle n'est, en réalité, rien autre chose qu'une protestation déguisée et impuissante contre l'existence légitime de notre gouvernement. En nous résumant, nous pouvons dire à Louis Bonaparte : Quel droit invoquez-vous ? tous vous condamnent.

Est-ce le droit des gens ? mais le droit des gens, ce serait le droit de vous enfermer, de vous retenir prisonnier jusqu'à la paix, et c'est ici qu'apparaît l'étrangeté de cette prétention ; car, comme d'après vous-même, c'est le droit qui s'attache à votre naissance qui vous constitue en état de guerre, il en résulterait que vous seriez arbitrairement détenu toute la vie ; c'est que, en effet, vous n'êtes pas un Etat, une puissance ; c'est qu'aucun gouvernement, aucune société ne peut être en guerre ou en paix avec vous, par la raison que les Etats n'ont pas de rapports de cette nature avec les individus.

Vous n'invoquerez pas apparemment le droit commun : car c'est le droit commun que nous vous appliquons. C'est donc la politique ; eh bien ! la politique on vous l'a appliquée en 1836 ; on n'a pas voulu vous traiter autrement qu'une princesse qui avait aussi tenté la guerre civile ; on a fait juger vos complices, après vous avoir ouvert les portes de la prison. Aujourd'hui c'est encore la politique, en même temps que c'est la loi qu'on vous applique ; car la politique c'est la prudence, et la prudence veut qu'on mette enfin obstacle à votre persistance coupable.

Est-ce à dire que vous présentez des dangers pour le pays ? non, assurément, et vous même devez le reconnaître aujourd'hui ; mais vos folles entreprises ne valent pas la vie d'un homme, et de votre main vous avez versé le sang d'un brave soldat !

Maintenant, messieurs les Pairs, répondrons-nous à cette partie de la défense, où, en vous demandant de juger humainement les choses humaines, on appelait votre indulgence sur le neveu de l'Empereur ?

A cet égard, nous n'aurions pas un mot à dire si la défense avait été plus heureuse dans le choix de ses motifs d'excuse. On les a cherchés d'abord dans les circonstances politiques du moment, oubliant apparemment l'entreprise de Strasbourg et l'aveu de Louis Bonaparte qu'il a renoué ici les trames criminelles qui ont préparé l'attentat du 6 août, dix-huit mois avant l'exécution de cet attentat.

Dans ces mêmes pensées d'atténuation et d'excuses, le défenseur a tracé devant vous un triste tableau de notre société moderne. Jetant un regard sur les cinquante dernières années de notre histoire, il vous a rappelé ces grandes vicissitudes de la fortune qui, tour à tour, ont élevé ce qu'elles avaient abaissé, abaissé ce qu'elles avaient élevé ; et en déplorant ces bouleversements successifs de l'ordre politique, il a gémi sur les rudes atteintes qu'ils portaient au droit et à la morale, à l'énergie de la conscience et à la majesté des lois. Il s'est demandé ce qu'il y avait aujourd'hui de permanent et de durable dans la société, et il n'y a rien vu de constant que l'inconstance universelle. Dans cette effrayante succession de trônes et de Constitutions, dans ce choc confus de toutes les doctrines et de toutes les opinions, il a regretté amèrement le naufrage de ces principes qui lui semblaient avoir rallié dans les anciens temps tous les esprits à une foi commune, et tous les cœurs au sentiment des mêmes devoirs.

Nous n'avons certainement pas, messieurs, la pensée de demander à l'histoire si c'est de nos jours seulement que les hommes ont été violemment divisés par les passions, les intérêts et les idées, ni de méconnaître ce que devaient apporter de troubles et d'incertitudes dans les intelligences les mouvements violents et rapides à travers lesquels se formait l'œuvre pénible d'un état social fondé sur de nouvelles bases. Des esprits superficiels, ne découvrant pas la loi supérieure qui réglait ces agitations, ont pu n'y voir que les caprices passagers de la fortune et les triomphes successifs des principes contraires ; mais l'esprit élevé de notre contradicteur cède assurément à des préoccupations particulières, quand il souffre que la raison des événements lui échappe, quand il perd de vue les progrès laborieux et lents, mais continuels et assurés, de ce droit nouveau qui, pour rajeunir la société, s'est élevé sur des ruines qu'il n'avait point faites.

En rappelant ses combats, on ne devait point oublier ses victoires ; et tels sont aujourd'hui ses bienfaits, conque-' tes inviolables de la civilisation, qu'ils effacent les vestiges des luttes qu'il a dû soutenir. Non, messieurs, il ne ravit point à l'humanité ses nobles privilèges de conscience et de moralité ; il n'enlève rien aux lois de leur vigueur, rien aux magistratures de leur autorité. Assez sûr de lui-même pour être toujours modéré dans la force, et souvent clément dans la justice, pour ne se montrer jamais ombrageux et exclusif, pour protéger tous les intérêts légitimes, il remplace le prestige d'antiquité qui lui manque et la puissance ébranlée des respects traditionnels par la consécration qu'il reçoit de l'opinion publique, et par l'énergie d'action qu'il puise dans les volontés communes. Ce droit public, messieurs, la révolution de Juillet l'a sanctionné tel que l'avaient élaboré quarante années d'épreuves, tel que le formulait l'opinion générale, éclairée par cette longue expérience. C'est là ce qui lui donne sa force et sa stabilité ; c'est là ce qui la protège contre les agressions, de ses ennemis, de quelque part qu'ils viennent, soit qu'ils nient son principe, soit qu'ils l'exagèrent, soit qu'ils l'invoquent contre elle. Comme elle se sentait chargée des destinées de l'avenir, elle n'a pas répudié l'héritage du passé ; elle n'a rien méconnu, rien redouté, rien nié de ce qui avait été, parce qu'elle se savait l'expression sincère et puissante de ce qui était. Pour le gouvernement qu'elle a fondé, comme pour la nation qui l'a faite, la chaîne des temps n'a jamais été brisée, et aucune fiction à son usage n'a été introduite dans l'histoire du pays.

Qu'on ne l'accuse donc pas de s'être en quelque sorte démentie elle-même et d'avoir ébranlé l'œuvre de ses mains, lorsque son enthousiasme longtemps comprimé par un pouvoir jaloux, a célébré les splendeurs d'une glorieuse époque. Le fait, quelque glorieux qu'il puisse être, ne suffit sans doute pas pour constituer un droit : mais lorsque dans ce pays, menacé par l'étranger, apparut cet homme qui, fixa au dehors la victoire sous ses drapeaux. Il régna, soutenu plutôt par ses œuvres que par les suffrages qu'il fit recueillir, plutôt consacré par la victoire que par l'huile sainte qui coula sur son front.

Mais reconnaître le pouvoir qu'il exerça, était-ce justifier les prétentions de ses héritiers ? Messieurs, la France de 1830 a montré ce qu'elle pensait de sa dynastie. C'est que les temps avaient marché : c'est que les événements avaient prononcé. Ce n'était pas aux cris de vive l'empereur !, c'était aux cris de vive la Charte ! que le peuple avait combattu dans les rues de Paris, et le génie de la liberté s'élevait même au dessus du génie de la victoire.

Chose remarquable, messieurs, il avait fait triompher au dehors l'esprit nouveau ; mais au dedans il l'avait comprimé en rendant de jour en jour son pouvoir plus absolu. L'Empire n'est plus aujourd'hui un mode de gouvernement, une constitution politique, une forme d'organisation sociale ; c'est le nom d'une époque.

Eh quoi ! parce que le gouvernement de Juillet s'associe à toutes les sympathies publiques, et, dépositaire de l'honneur du passé comme du destin de l'avenir, admire ce que la France admire, et se plaît à lui rappeler le souvenir de sa grandeur, vous avez pu penser que ces hommages vous appelaient, et vous frayaient un chemin vers l'Empire ? Quoi ! parce qu'un prince français traverse les mers pour ramener, au nom de la patrie, sur les rives de la Seine, les cendres que le rocher de Sainte-Hélène avait gardées, vous avez pu penser que vous aviez seul le droit de les recevoir au sein de la France par vous régénérée !

Non, non ! les gouvernements qui préparent leur ruine, et qui ouvrent les voies à leurs ennemis, ce sont ceux qui luttent avec effort contre les généreuses tendances de l'esprit public et qui s'usent à les comprimer : ce ne sont pas ceux qu'unissent aux citoyens les mêmes admirations, les mêmes volontés, les mêmes sentiments d'indépendance et de nationalité. Tout condamnait donc vos prétentions surannées et vos criminelles entreprises ; tout vous présageait le dénouement où est venu s'ensevelir une présomptueuse ambition. Vous êtes venu en France pour un crime ; vous vous y trouvez devant la justice ; elle vous infligera, comme à tous les coupables, le châtiment légal que vous avez encouru

M. le prince Louis Bonaparte se lève, et s'exprime ainsi : — M. le procureur-général vient de prononcer un discours très-éloquent, mais il était inutile. En. priant M. Berryer de vouloir bien expliquer ici mes intentions dénaturées[10], d'expliquer mes droits, j'ai voulu par là faire mon devoir envers ma naissance et ma famille. M. Berryer a admirablement bien rempli mon attente. Mais maintenant qu'il ne s'agit que de mon sort, je prie M. Berryer de ne pas continuer ces débats. (Marques de surprise et de désappointement dans les tribunes.)

Me Berryer. — Les nobles sentiments que le prince Napoléon vient d'exprimer rendent plus précieux pour moi l'honneur qu'il ma fait de me choisir pour son avocat, et je suis plus heureux d'avoir apporté tout le zèle, toute la franchise, toute l'énergie de mes convictions à sa défense. Je lui obéirai. (Nouveau désappointement parmi les nombreux spectateurs.) Qu'aurais-je à faire, en effet, pour répondre au réquisitoire que vous venez d'entendre ? Discuter une autre cause, défendre mes opinions, mes convictions personnelles, et répondre en quelque sorte à ma propre accusation : pour de tels débats une autre arène m'est ouverte.

La séance est suspendue pendant un quart d'heure : une vive agitation règne parmi les groupes formés dans l'hémicycle. À trois heures l'audience est reprise.

M. le Président. — Aucun des défenseurs ne demandant plus la parole, M. le procureur-général va présenter ses réquisitions.

M. le procureur-général : — Le procureur-général du Roi requiert la Cour de lui donner acte en ce qui concerne le nommé Prosper Alexandre, dit Desjardins, de ce qu'il déclare s'en rapporter à la prudence de la Cour.

Et attendu que les nommés Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, Charles-Tristan comte de Montholon, Jean-Baptiste Voisin, Denis-Charles Parquin, Hippolyte-François-Athale-Sébastien Bouffet-Montauban, Etienne Laborde, Louis-Séverin Le Duff de Mésonan, Jules-Barthélemy Lombard, Henri Conneau, Jean-Gilbert-Victor Fialin dit de Persigny, Alfred d'Almbert, Joseph Orsi, Mathieu Galvani, Napoléon Ornano, Jean-Baptiste-Théodore Forestier, Martial-Eugène Bataille, Jean-Baptiste-Charles Aladenize, Pierre-Jean-François Bure, se sont rendus coupables à Boulogne, le 6 août dernier, d'un attentat dont le but était, soit de détruire soit dé changer le gouvernement, soit d'exciter les citoyens ou habitants à s'armer contre l'autorité royale, soit d'exciter la guerre civile en s'armant, ou en portant les citoyens ou habitants à s'armer les uns contre les autres ;

Crimes prévus par les art. 87, 88,89 et 91 du Code pénal ;

Le procureur-général du Roi requiert qu'il plaise à la Cour faire application aux sus-nommés des peines prononcées par les dits articles :

Déclarant toutefois, le procureur-général, s'en rapporter à la Cour pour faire droit à son réquisitoire et pour tempérer les peines si elle le juge convenable

M. le Président. — La Cour donne acte à M. le procureur-général de ses réquisitions, et ordonne qu'elles seront déposées sur son bureau pour y être fait droit dans le cours de ses délibérations. Les avocats des accusés ont-ils quelque chose à ajouter. (Même silence au banc des avocats.)

Prince Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?

Le prince Louis Bonaparte : — Je n'ai rien à ajouter.

Le général Montholon et les autres accusés, sur la même interpellation, déclarent n'avoir rien à dire.

M. le Président. — La défense étant complète, le ministère public ayant déposé ses réquisitions, la Cour déclare que les débats sont clos et terminés. La Cour va se retirer dans la salle de ses délibérations pour prononcer sur les réquisitions qui lui ont été faites. Son arrêt sera prononcé dans l'une de ses prochaines audiences. L'audience publique est levée. Qu'on fasse retirer les accusés.

 

La Cour des Pairs dans sa séance du 6 octobre 1840 a prononcé son arrêt de condamnation dont voici les principales dispositions :

En ce qui touche le prince Charles-Louis-Napoléon Bonaparte :

Attendu qu'il résulte de l'instruction et des débats, qu'il s'est rendu coupable, le 6 août dernier, à Boulogne, d'un attentat ayant pour but de détruire ou de changer le gouvernement ; soit d'exciter les citoyens à s'armer les uns contre les autres, crimes prévus par les articles 87, 88 et 91 du code pénal.

Vu pareillement les articles 59 et. 60 du code pénal, attendu que les peines doivent être proportionnées à la part que chacun des coupables a prise à l'attentat qu'ils ont commis : Condamne Charles-Louis-Napoléon Bonaparte à l'emprisonnement perpétuel dans une forteresse située sur le territoire continental du royaume.

J. Baptiste Aladenize à la peine de la déportation.

C. Tristan comte de Montholon, Charles Parquin, Jules Lombard, Jean-Gilbert Fialin, dit Persigny, à vingt années de détention.

Ordonne, conformément à l'article 436 du code pénal que les condamnés sus-mentionnés resteront pendant toute leur vie sous la surveillance de la haute police, les déclare déchus de leurs titres, grades et décorations.

H. J. Conneau à cinq années d'emprisonnement et Laborde à deux années d'emprisonnement.

Ordonne que H. J. Conneau restera sous la surveillance de la haute police pendant cinq années ; ordonne également qu'Etienne Laborde restera sous la surveillance de la haute police pendant deux ans. Les condamne tous solidairement aux frais du procès, lesquels seront liquidés conformément à la loi.

Déclare Prospert Desjardins, M. Galvani, d'Almbert et Bure acquittés de l'accusation portée contre eux, ordonne qu'ils soient mis en liberté s'ils ne sont retenus pour autre cause.

 

Les autres insurgés, domestiques au service de Louis Bonaparte, les matelots du Château d'Edimbourg avaient déjà été mis en liberté après une ordonnance de non lieu.

Telle fut la fin de la ridicule équipée de Boulogne.

Louis Bonaparte fut transféré le lendemain à la citadelle de Ham, qui lui fut désignée pour subir sa peine.

Les autres condamnés furent transférés à la prison de la Conciergerie, le général Montholon et le docteur Conneau obtinrent bientôt l'autorisation et la faveur de partager la captivité du prince. On accorda en outre à ce dernier son valet de Chambre, Charles Thélin, qui, quoique non condamné put venir habiter la forteresse de Ham en conservant sa liberté ; Madame Montholon jouit aussi du même privilège auprès de son mari ; on voit que le gouvernement de Louis-Philippe se montrait humain envers les condamnés. Des appartements très confortables leur furent donnés ; ils eurent en outre plusieurs domestiques et hommes de peine à leur disposition, ainsi que tous les livres qu'il leur plut de réclamer. Louis Bonaparte obtint même la permission de se promener à cheval dans la cour du Château, et on lui permit en outre de recevoir des visites ; ce qui ne l'empêchait pas de se plaindre des rigueurs de l'administration et du gouvernement.

Il employa ses loisirs à la publication de plusieurs brochures politiques : les Fragments historiques, l'Extinction du paupérisme, etc. ; et publia plusieurs articles politiques dans le journal le Courrier du Pas-de-Calais, dans lesquels il malmenait le gouvernement de Louis-Philippe, qui avait la bonhomie de se laisser attaquer impunément par son prisonnier. Nous avons analysé et reproduit en partie la plupart de ces écrits dans le premier volume de cette œuvre.

 

 

 



[1] Lettre de Louis-Napoléon Bonaparte à sa mère, du 10 janvier 1837.

[2] On voit que L. Bonaparte était, tellement infatué des institutions impériales, qu'il appelle la chambre des Pairs un Sénat.

[3] C'était L. Bonaparte et sa bande de valets déguisés en soldats.

[4] Au moment où nous corrigeons cette épreuve nous apprenons la mort de ce misérable.

[5] On voit que L. Bonaparte jouait dès lors le rôle d'homme providence.

[6] Nous avons, déjà expliqué dans le volume précédent de quelle façon singulière l'Idée napoléonienne, assure l'égalité la liberté et le bonheur du peuple, nous ne redirons pas tout ce que cette prétention à de peu fondé il suffit de jeter un coup d'œil sur le second empire pour en être convaincu.

Nous admirons surtout la devise, de M. Fialin ; Je sers, qui convient parfaitement à ce valet de l'Empire qui voulait conquérir la France avec une bande de laquais, pour se gorger de ses dépouilles, avec son maître comme il le fait depuis quinze ans.

[7] On sait que ces affaires d'intérêt consistaient à négocier les bons de l'Echiquier volés au trésor anglais et qui ont servi à faire les frais de l'expédition de Boulogne.

[8] Le frère de Louis-Napoléon est mort à Forli, de la rougeoie et n'a pas été tué pour la cause italienne.

[9] Le premier Empire les faisait fusiller sans jugement après la simple constatation de l'identité comme le duc d'Enghien, étrangler dans leur prison comme Pichegru ou empoisonner comme Toussaint Louverture. Le second Empire les a fait massacrer en masse dans les rues après le deux décembre, et il a tait guillotiner, et déporter ceux qui avaient échappés à ses premiers coups.

[10] Louis Bonaparte a bien raison de dire que ses intentions sont dénaturées, quoique ce ne soit pas là la pensée qu'il a voulu exprimer.