Dans la nuit du mercredi au jeudi 6 août 1840, un bateau à vapeur, le Château d'Edimbourg mouilla non loin de Vimereux près de Boulogne, vers deux heures du matin un canot rempli de passagers se détacha du paquebot et rama vers la côte. Trois douaniers de garde le hélèrent, les hommes qui le montaient répondirent qu'ils étaient des soldats du 40e de ligne allant de Dunkerque à Cherbourg, et qu'une roue de leur paquebot s'étant brisée ils s'étaient vus dans la nécessité de débarquer. Les douaniers qui virent en effet prendre terre à une quinzaine de militaires portant l'uniforme du 40°de ligne, n'eurent d'abord aucun soupçon sur la véracité de la réponse qui venait de leur être faite. Mais à peine les nouveaux débarqués furent-ils près d'eux qu'ils les entourèrent, croisèrent leurs baïonnettes sur eux et leur dirent : Ne vous opposez pas au débarquement où vous serez traités comme des Bédouins. Et alors le canot retourna au paquebot et fit trois voyages successifs pour amener à terre le reste de la troupe qui le montait. Cinq autres douaniers qui faisaient une ronde furent également arrêtés et retenus prisonniers avec leurs camarades. Quatre individus venant de Boulogne, arrivèrent aussi sur la plage embrassèrent plusieurs des militaires débarqués, qui leur remirent des uniformes d'officiers dont ils se revêtirent aussitôt. Sur ces entrefaites survint un lieutenant de douane qui fut aussi arrêté et sommé de guider les nouveaux débarqués jusqu'à Boulogne. Ces derniers étaient environ au nombre de 60 à 70, dont 30 et quelques revêtus de l'uniforme du 40e de ligne et à peu près autant costumés en officiers de tous rangs et de tous grades. Tous s'organisèrent en colonne et se mirent bientôt en marche pour Boulogne, ayant placé séparément et à distance au milieu d'eux les douaniers : ce fut vainement que leur lieutenant voulu se refuser de les suivre, il fut contraint par la force de marcher avec eux et de leur servir de guide ainsi que ses hommes. Cette petite troupe fit plusieurs haltes en route et se livra à de nombreuses et à de copieuses libations de Champagne et d'eau-de-vie, presque tous ceux qui en faisaient partie portaient à la main des bouteilles, et tous avaient les poches pleines d'or. Quand elle arriva à la hauteur de la colonne avant l'entrée de la ville, un grand nombre des soldats dont elle se composait étaient ivres. Jusqu'alors les malheureux douaniers [prisonniers
ignoraient à qui ils avaient à faire : ils pensaient être tombés, entre les
mains d'audacieux contrebandiers, mais ils étaient loin de soupçonner la
vérité, aussi l'inquiétude du lieutenant des douanes augmenta-t-elle encore
quand un officier supérieur, le général Montholon, s'étant approché de lui
dit : — Savez-vous bien que c'est le prince
Louis-Napoléon Bonaparte qui est à notre tête, que Boulogne est à nous et que
dans peu de jours le prince sera proclamé Empereur par la nation qui le
désire et par le ministère qui l'attend ? — Ce que vous m'apprenez là, répondit le douanier, rend ma position et celle de mes employés bien plus critique encore que je ne l'avais pensé d'abord ; je vous en prie, maintenant que vous voyez Boulogne et le chemin qui y conduit, laissez-moi retourner à mon poste avec mes douaniers. L'officier général s'y refusa en lui disant qu'il fallait qu'il l'accompagna, lui et sa troupe, encore plus loin ; il lui offrit 1.200 frs. de pension de la part du prince s'il voulait prendre son parti, mais cet honnête officier refusa. Après avoir encore marché un quart d'heure, le lieutenant renouvela sa demande et il s'adressa alors au prince lui-même, qui lui donna l'autorisation de retourner à Vimereux à la condition qu'il ne dise mot de ce qui venait de se passer. Les douaniers purent ainsi retourner en arrière, mais quatre hommes armés les accompagnèrent jusqu'à la colonne afin d'observer s'ils suivaient la route indiquée. Avant de se séparer d'eux l'officier supérieur qui les escortait s'approcha du lieutenant Bailly et voulut lui donner une poignée d'or, mais cette nouvelle tentative de corruption fut repoussée avec indignation ; les simples douaniers à qui la même proposition fut faite la repoussèrent, également, excepté un seul qui accepta quelque argent, ce qui lui valut sa destitution peu de temps après. La troupe armée fit bientôt son entrée en ville : à sa tête marchaient constamment MM. Montholon et Parquin revêtus de l'uniforme de lieutenant général, au milieu des quels se tenait aussi un homme plus petit de taille et portant le costume habituel de Napoléon Ier. A son nez très accentué, à son œil terne, à ses jambes courtes, à sa démarche mal assurée, il était facile de reconnaître l'ex-insurgé de Strasbourg, qui venait tenter une seconde fois la fortune, sur le bord de la mer, quoi qu'elle l'eut si maltraité, il y a quatre ans, sur les rives du Rhin. Le prétendant impérial n'avait pas fait de grands frais d'imagination, la mise en scène était la même, seulement le cortège était plus nombreux ; il avait eu le soin, cette fois, de costumer tous ses domestiques en soldats du 40e de ligne, dont le régiment était en garnison à Dunkerque ; il avait fait faire à cet effet, en Angleterre, des boutons et des plaques de schakos semblables à ceux du 40e de ligne, et fait confectionner des uniformes pareils à ceux de ce régiment. Plusieurs de ses anciens collègues de l'échauffourée de Strasbourg étaient avec lui ; tels que ; MM. Parquin, Persigny et de Querelles, M. Vaudrey avait refusé cette fois son concours à cette nouvelle équipée. Mais il était remplacé par le général comte de Montholon, par les colonels Voisin et Bouffé de Montauban, par le commandant Mésonan etc., etc., et par une cinquantaine d'individus presque tous au service de ceux-ci et, comme nous l'avons vu, tous en uniformes de soldats du 40e de ligne. Quand il eut franchi la porte de la Grande-Rue, le cortège de Louis-Napoléon Bonaparte se mit à crier de toutes ses forces : Vive l'Empereur ! Vive l'Empereur ! en se dirigeant vers la caserne occupée en ce moment par quelques compagnies de 42e de ligne. Nous interrompons ici notre récit pour citer et faire l'analyse des diverses proclamations que Louis-Napoléon Bonaparte avait préparées pour cette nouvelle entreprise. Voici la première de ces pièces qu'il adressa aux militaires de la garnison de Boulogne : Soldats, leur dit-il, la France est faite pour commander et elle obéit. Vous êtes l'élite du peuple et on vous traite comme un vil troupeau . . . Vous êtes faits pour protéger l'honneur national, et c'est contre vos frères qu'on tourne vos armes. Ils voudraient, ceux qui vous gouvernement, avilir le noble métier de soldat ! Vous vous êtes indignés et vous avez cherché ce qu'étaient devenus les aigles d'Arcole, d'Austerlitz et d'Iéna. Ces aigles les voilà ! Je vous les rapporte, reprenez-les ; avec elles vous aurez gloire, honneur, fortune et ce qui est plus que tout cela la reconnaissance et l'estime de vos concitoyens. Soldats ! entre vous et moi il y a des liens indissolubles ; nous avons les mêmes haines et les mêmes amours, les mêmes intérêts et les mêmes ennemis. Soldats ! la grande ombre de Napoléon vous parle par ma voix. Hâtez-vous, pendant qu'elle traverse l'Océan, de renvoyer les traîtres et les oppresseurs, et montrez-lui, à son arrivée, que vous êtes les dignes fis de la Grande-Armée, et que vous avez repris ces emblèmes sacrés qui, pendant quarante ans, ont fait trembler les ennemis de la France, parmi lesquels étaient ceux qui vous gouvernement aujourd'hui. Soldats ! Aux armes ! Vive la France ! On voit que cette nouvelle proclamation, de Louis-Napoléon Bonaparte aux soldats, n'est pas moins exagérée et moins ridicule que celle qu'il leur fit à Strasbourg ; il tient parait-il énormément aux épithètes de traîtres et d'oppresseurs qu'il adresse de nouveau au gouvernement de Louis-Philippe. M. Thiers alors président du conseil.des ministres et ses collègues ne devaient pas être très flattés de ces qualifications injurieuses, aussi inconvenantes que déplacées, car malgré notre peu de sympathies pour les opinions politiques des hommes de la royauté de Juillet, nous ne leur faisons cependant pas l'injure de les comparer à ceux de l'Empire. Et nous faisons une grande différence, et surtout sous le rapport de la moralité, entre MM. Guizot, Thiers, Salvandy, de Rémusat, etc., etc., et MM. de Saint-Arnaud, Magnan, Maupas, Morny, Persigny Espinasse, etc., etc., .... et les dix mille coquins de la bande du dix décembre si bien qualifiés par M. Ferdinand de Lasteyrie, car les ministres de Louis-Philippe n'étaient pas des hommes tarés comme ceux du gouvernement du coup d'Etat, ils ne s'étaient pas rendus coupables de trahison et de guet-apens comme les derniers, ils n'avaient pas, comme eux, touché d'avance le prix de leur crime et du sang versé ; ils n'avaient pas été renvoyés de l'armée pour leur inconduite comme Leroy, dit de Saint-Arnaud, et Fialin, dit de Persigny, ils ne portaient pas comme eux des noms et des titres qui ne leur appartenaient pas ; ils n'avaient pas été accusés comme M. Magnan d'avoir, en 1831, à Lyon, tenu une conduite ambiguë, qui ressemblait beaucoup à de la trahison, ils ne s'étaient pas réfugiés, comme lui, en Belgique, pour éviter une arrestation. On sait que M, Magnan eut toute sa vie ses traitements saisis et qu'après avoir été témoin à charge, en 1840, contre Louis-Bonaparte, il est devenu son complice en 1851. Mais ce serait bien pire si nous parlions du célèbre duc de Morny qui vient de mourir, et dont tous les journaux vendus et tous les valets aux gages de l'Empire ont chanté les louanges et célébré les vertus, et que le Times range dans la catégorie des hommes non moraux, pour ne pas trop s'écarter des règles de la politesse envers un aussi haut personnage ; ce serait encore une bien plus grande injure pour les anciens ministres de Louis-Philippe, que de les comparer au frère utérin de Louis-Napoléon Bonaparte, qui a poussé la non moralité jusqu'à vivre aux dépens d'une femme entretenue, Madame Lehon, dans un petit pavillon attenant à son hôtel et surnommé la niche à fidèle, et à tremper dans toutes les spéculations véreuses qui ont eu lieu depuis quinze ans, au moyen desquelles, d'insolvable qu'il était en 1850, il est mort avec un actif de cinquante millions après avoir dépensé l'or à pleines mains depuis son arrivée au pouvoir. Nous pourrions multiplier à l'infini ces comparaisons nous n'aurions pour cela qu'à citer tous les coquins de la Bande de Décembre. Est-ce surtout une chose sérieuse de la part de L. N. Bonaparte que de traiter Louis-Philippe et son gouvernement de traîtres et d'oppresseurs ? Franchement, qui ont-ils trahis ?.......... Malgré nos opinions politiques opposées aux leurs, puisque nous sommes républicain socialiste, malgré notre peu de sympathie pour eux, nous avouons honnêtement, parce que c'est une vérité, qu'ils étaient très honorables à côté de Louis-Napoléon Bonaparte et de ses complices. Ils n'ont jamais violé ouvertement la charte ; ils ne se sont jamais rendus coupables de rien qui ressemble à la trahison, au parjure et au guet-apens du Deux Décembre ; et le gouvernement de Juillet ne peut être comparé au despotisme affreux qui pèse sur la France depuis 1851, et si le trône de Louis-Philippe reposait sur un escamotage politique et sur une oligarchie bourgeoise de censitaires privilégiés, il n'avait pas du moins un crime affreux, un attentat épouvantable pour origine, et il ne déshonorait pas la souveraineté nationale et ne la traînait pas dans la boue par la pratique honteuse du suffrage universel telle qu'elle se fait depuis quatorze ans, Il n'avait pas substitué le gouvernement personnel, la volonté et le bon plaisir d'un despote inconscient et omnipotent à la volonté de tout un peuple. Il n'avait pas supprimé d'un seul coup toutes les libertés, la liberté de la presse, de la tribune et jusqu'à la liberté électorale, jusqu'au droit de former des comités électoraux et à celui de choisir et même de nommer des candidats de l'opposition ; quand on pense que tout cela a été fait depuis, quand on songe à la trahison du deux décembre, au despotisme impérial, pire que celui de la Russie, de la Turquie et de la Chine, et quand on lit les proclamations de Louis-Napoléon Bonaparte dans lesquelles il dit aux soldats : hâtez-vous de renvoyer les traîtres et les oppresseurs ! on reste stupéfié, anéanti ! On se demande s'il est bien possible que l'on puisse mentir et en imposer à ce point, si jamais le cynisme et l'imposture ont été poussés plus loin, et si ce n'est pas là le sublime du genre ; puis si nous continuons notre analyse nous trouvons d'autres assertions toutes aussi dénuées de bon sens et de justice. Comment le prétendant, qui disait en 1840 aux soldats : Vous êtes l'élite du peuple, on vous traite comme un vil troupeau .... Vous êtes faits pour protéger l'honneur national et c'est contre vos frères qu'on tourne vos armes. Ils voudraient ceux qui vous gouvernent avilir le noble métier de soldats. Comment disons-nous, celui qui tenait un pareil langage, a-t-il pu, en 1851, le 4 décembre, accomplir, sans provocation aucune, de son plein gré, avec préméditation et guet-apens, l'horrible massacre des boulevards ? Comment a-t-il pu, après avoir enivré les soldats avec du vin et de l'eau-de-vie et leur avoir distribué de l'argent comme à Boulogne, comment a-t-il pu leur donner l'ordre de tirer, à bout portant et sans sommations, sur les promeneurs inoffensifs, qui encombraient les boulevards, sur des hommes sans défense, le lorgnon à l'œil et le cigare à la bouche, sur des femmes en grandes toilettes, sur des vieillards en cheveux blancs, sur des enfants aux mains de leurs bonnes ou de leurs mères, et faire ainsi massacrer par plus de trente mille hommes, la plupart ivres, armés jusqu'aux dents et avec du canon, plus de deux mille innocents et inoffensifs curieux, de tous rangs, de tous sexes et de tous âges. Ce crime affreux, épouvantable ne peut-être nié, il est patent, authentique incontestable, ses auteurs l'ont eux-mêmes officiellement avoué ils sont convenus d'avoir commis 180 assassinats, ils ont dit l'avoir fait pour terrifier, terroriser la capitale. N'est-ce pas traiter les soldats comme un vil troupeau de bêtes féroces ou de brigands capables de tout, que de leur faire commettre de pareilles horreurs ? N'est-ce pas tourner leurs armes contre leurs frères ? N'est-ce pas avilir le noble métier de soldat ? Si ce n'est pas tout cela nous déclarons que nous ne savons plus distinguer le noir du blanc, le jour de la nuit, le bien du mal. Ces citations et ces rapprochements ne sont-ils pas de grands enseignements, et ne permettent-ils pas de juger, d'apprécier sainement et d'une manière juste et rigoureuse la valeur et la moralité des écrits et des actes de Louis-Napoléon Bonaparte ? Maintenant à côté de l'odieux voici l'absurde et le
ridicule. Quelle est en effet la valeur de cette phrase pompeuse que le héros
de Boulogne adresse aux soldats : Vous avez cherché
ce qu'étaient devenus les aigles d'Arcole, d'Austerlitz, d'Iéna. Ces emblèmes
sacrés, qui pendant quarante ans ont fait trembler les ennemis de la France,
parmi lesquels étaient ceux qui vous gouvernent aujourd'hui. Ces aigles, les
voilà ! je vous les rapporte, reprenez-les ; avec elles vous aurez : gloire,
bonheur, fortune, etc. etc. D'abord, lors de la première campagne d'Italie et de la bataille d'Arcole, il n'y avait pas d'aigles sur les drapeaux, ensuite ces emblèmes sacrés, n'ont pas fait trembler pendant quarante ans les ennemis de la France. Quand on revendique l'héritage de Napoléon Ier, et quand on adresse des proclamations à l'armée, sans autre titre que d'être le neveu légal de l'Empereur, on devrait savoir au moins qu'à la bataille d'Arcole l'aigle n'était pas encore sur les drapeaux, et que cet emblème n'a pu faire trembler pendant quarante ans les ennemis de la France, puisque le Consulat et l'Empire n'ont duré en tout qu'un peu plus de quinze ans et que le second seul n'a existé que dix ans. Dire que Louis-Philippe et ses ministres étaient avant 1815 des ennemis de la France, c'est non seulement une calomnie grossière que rien ne justifie, mais encore une grande erreur historique, car jamais le duc d'Orléans n'a porté les armes contre la France ni servi dans les armées étrangères ; il n'a pas même imité en cela son calomniateur qui, pendant son séjour en Suisse, s'est fait naturaliser citoyen Thurgovien et a accepté du service dans une armée étrangère, l'armée de le Confédération helvétique, dans laquelle il avait le grade de capitaine d'artillerie, ce qui, d'après l'article 21 du code civil, lui avait fait perdre sa qualité de Français ; mais ce qu'il y a de plus curieux c'est qu'en accusant les hommes du gouvernement de 1840 d'avoir été les ennemis de la France Louis Bonaparte accuse le maréchal Soult, un des meilleurs généraux de son oncle, qui en faisait partie, d'avoir ainsi été un traître à la patrie. On voit donc quelle est la valeur historique des proclamations déclamatoires de l'insurgé de Boulogne. Nous avons déjà expliqué quelle était la haute origine des aigles qu'il présentait alors aux soldats, et qu'elles avaient été fondues à Nancy ; il aurait, selon-nous, été beaucoup plus juste de dire aux soldats de Boulogne qu'il leur apportait les aigles de Strasbourg, au lieu de leur dire que c'étaient celles d'Arcole et d'Austerlitz qu'il leur présentait. Nous ne comprenons réellement pas comment le prétendant impérial a pu pousser aussi loin l'ignorance de l'histoire et le mépris de l'armée pour oser lui tenir un langage d'une pareille absurdité et d'un semblable ridicule. Cela nous donne une bien pauvre idée des connaissances et des facultés mentales de Louis-Napoléon Bonaparte. Et ce qui nous semble encore plus extraordinaire c'est que le général Montholon, le colonel Voisin et le commandant Mésonan aient permis que l'on mit leur noms au bas d'un pareil factum. Nous n'avons pas parlé de la grande ombre de Napoléon qui s'adressait aux soldats, par la voix de Louis Bonaparte, et. qui nous rappelle celle d'Hamlet ; car nous lui pardonnons volontiers cette figure exagérée , quoiqu'il soit assez peu admis que les ombres parlent par la voix des autres et que cette licence soit déplacée dans une proclamation militaire ; car, si nous voulions nous livrer à la critique littéraire ou de forme des œuvres de Louis-Napoléon, nous aurions trop à faire, c'est déjà bien assez de les apprécier au fond. A côté de cette proclamation à l'armée Louis-Napoléon Bonaparte avait jugé à propos d'en adresser une aux habitants du département du Pas-de-Calais, nous la transcrivons ici pour donner une nouvelle idée de l'intelligence et de la convenance qui présidaient à la rédaction de ces pièces. La voici : Habitants du département du Pas-de-Calais et de Boulogne ! Suivi d'un petit nombre de braves j'ai débarqué sur le sol français, dont une loi injuste m'interdisait l'entrée. Ne craignez pas ma témérité ; je viens assurer les destinées de la France et non les compromettre. J'ai des amis puissants à l'extérieur comme à l'intérieur, qui m'ont promis de me soutenir. Le signal est donné, et bientôt toute la France et Paris surtout se lèveront en masse pour fouler aux pieds dix ans de mensonge et d'ignominie ; car toutes les villes comme tous les hameaux ont à demander compte au gouvernement des intérêts particuliers qu'il a abandonnés, des intérêts généraux qu'il a trahis. Voyez vos ports presque déserts ; voyez vos barques qui languissent sur la grève ; voyez votre population laborieuse qui n'a pas de quoi nourrir ses enfants, parce que le gouvernement n'a pas osé protéger son commerce et écriez-vous avec moi : Traîtres, disparaissez ! l'esprit napoléonien qui ne s'occupe que du bien du peuple s'avance pour vous confondre. Habitants du Pas-de-Calais, ne croyez pas que les liens qui vous attachent à vos voisins d'outre-mer soient rompus. Les dépouilles mortelles de l'Empereur et l'aigle impériale ne reviennent de l'exil qu'avec des sentiments d'amour et de réconciliation. Deux grands peuples sont faits pour s'entendre, et la glorieuse colonne qui s'avance fièrement sur le rivage, comme un souvenir de guerre, deviendra un monument expiatoire de toutes nos haines passées. Ville de Boulogne, que Napoléon aimait tant, vous allez être le premier anneau d'une chaîne qui réunira tous les peuples civilisés ; votre gloire sera impérissable et la France votera des actions de grâces à ces hommes généreux qui, les premiers ont salué de leurs acclamations le drapeau d'Austerlitz. Habitants de Boulogne, venez à moi, et ayez confiance dans la mission providentielle que m'a légué le martyr de Sainte-Hélène. Du haut de la colonne de la Grande-Armée le génie de l'Empereur veille sur nous et applaudit à nos efforts, parce qu'ils n'ont qu'un but, le bonheur de la France. Comme on le voit cette proclamation adressée aux habitants du Pas-de-Calais est toute aussi excentrique que celle faite aux soldats, mais elle est beaucoup plus comique ; il est bien difficile de conserver son sang froid et de ne pas rire quand on songe quel était ce petit nombre de braves qui suivait Louis-Napoléon Bonaparte à Boulogne, car, sur environ 70 individus, qui débarquèrent avec lui, il y avait à peu près dix officiers en réforme, en disponibilité, en retrait d'emploi et en retraite, tous étaient promus par le prince à des grades supérieurs, depuis celui de lieutenant-colonel jusqu'à celui de maréchal-de-camp, ceux même qui n'avaient pas voulu faire partie de l'expédition, tels que le colonel Vaudrey et le Corse Bacciochi, chambellan du roi de Wurtemberg et cousin du prince, étaient nommés : le premier colonel d'artillerie, premier aide-de-camp du prince, et le second commandant d'état-major. Le général Montholon avait le grade de major-général, le colonel Voisin celui d'aide-major-général, et le comte Mésonan celui de chef, d'état-major. Après les officiers en disponibilité formant l'état-major du prince, vient toute sa haute domesticité, désignée sous les titres de secrétaires, fournisseurs, banquiers, négociants, rentiers, ingénieurs, médecins, etc., etc., auxquels il donne des grades importants : M. Forestier, négociant, est nommé lieutenant aux guides à pied ; M. Orsi, banquier italien, lieutenant des volontaires à cheval ; M. d'Alembert, secrétaire intime du prince, vaguemestre général ; M. Bataille, ingénieur civil, lieutenant colonel ; M, Bure, commis marchand, payeur général ; M. Conneau, médecin du prince, chirurgien d'Etat-major ; le célèbre Fialin, dit de Persigny, l'ancien sous-officier, qui a fait une si triste figure à Strasbourg, est nommé commandant des guides à cheval en tête de la colonne, ce qui devait lui fournir l'occasion de revêtir son ancien dolman écarlate qu'il avait quitté avec un si grand regret, et pour lequel il a toujours eu une si grande prédilection, etc., etc. Enfin la troisième catégorie des braves qui suivaient Louis-Napoléon Bonaparte se composait de sa basse domesticité comprenant : valets de chambre, maîtres d'hôtel, valets de pied, écuyers, courriers, chasseurs, cochers, jardiniers, cultivateurs, cuisiniers, et quinze on seize autres sous la désignation de domestiques, tous ces braves étaient revêtus du costume du 40e de ligne, et avaient des grades divers, les simples domestiques étaient caporaux, les cuisiniers, les valets de chambre et-de pied avaient des galons de sergents, de fourriers, etc. ;-la plupart, plus de 52, étaient étrangers à la France il y avait des Bavarois, des Badois, des Romagnols, des Genevois, des Vaudois, des Thurgoviens, des Savoyards, des Polonais, des Florentins, etc., etc., les Français étaient en minorité parmi les insurgés de Boulogne, même en comprenant parmi eux plusieurs Corses et un natif de la Jamaïque ; mais cela ne nous surprend pas puisque le chef de l'expédition avait lui-même perdu sa qualité de Français en se faisant naturaliser Thurgovien et en prenant du service à l'étranger. Voilà quels étaient les gens dont parlait Louis-Napoléon Bonaparte, dans sa proclamation aux habitants de Boulogne, quand il disait : La France votera des actions de grâces à ces hommes généreux, qui les premiers ont salué de leurs acclamations le drapeau d'Austerlitz . . . Du haut de la colonne de la Grande-Armée, le génie de l'Empereur veille sur nous et applaudit à nos efforts, etc. Jamais parade sur les tréteaux forains n'a, croyons-nous, eu un cachet plus comique et plus ridicule. Si Napoléon Ier n'eut pas été mort, et s'il eut vu son neveu jouer une pareille farce en compagnie d'une troupe d'officiers ambitieux et mécontents, d'une bande de valets déguisés en caporaux et en sous-officiers, de gens de toutes les nations, de marmitons, de cuisiniers, de valets, etc., dont la tenue ridicule et grotesque inspirait les rires, la pitié ou le mépris aux passants, et si Napoléon eut vu son neveu, revêtu de son costume historique, de ses grades, de ses insignes, de ses décorations et de son épée de cent batailles, marcher à la tête de cette colonne entré deux officiers supérieurs, l'un portant une sacoche pleine de pièces d'or et d'argent, et l'autre portant une bouteille, et jetant tous trois de l'argent aux badauds et aux enfants qui les suivaient, s'il eut entendu son neveu dire à la populace, qui se disputait ses pièces de monnaies, que suivi d'un petit nombre de braves, il avait débarqué sur le sol français, et que du haut de la colonne de la Grande Armée le génie de son oncle veillait sur cette bande de valets ivres, déguisés en héros ; qu'aurait dit, nous le demandons, le grand Empereur ? N'aurait-il pas désavoué, renié, maudit son neveu, qui profanait ainsi son nom, sa renommée, sa gloire, et qui traînait jusqu'à son uniforme, ses décorations et son épée dans la boue des rues de Boulogne ; qu'aurait aussi pensé le martyr de Sainte-Hélène, s'il avait pu entendre son héritier dire, en venant de chez le peuple qui l'avait fait mourir dans une île déserte : qu'il avait des amis puissants à l'extérieur. Quoi les bourreaux de son oncle étaient ses amis, un Bonaparte invoquait l'étranger ? N'était-ce pas là la plus cruelle injure, l'affront le plus honteux, l'outrage le plus grand que l'on put faire à la mémoire de son oncle. Ses plus cruels ennemis, Hudson-Lowe lui-même, en imaginèrent-ils jamais un pareil. C'est pourtant ainsi que le héros de Boulogne comprenait le respect et la vénération qu'il devait à la mémoire de son oncle. Après avoir montré tout ce que la conduite de Louis
Bonaparte avait d'outrageant pour la gloire de Napoléon, après avoir fait
ressortir tout ce que sa proclamation aux habitants de Boulogne a de ridicule
et d'indigne d'un homme qui se respecte, montrons ce qu'elle a d'absurde.
Voici une phrase qui en est un exemple frappant : Les
dépouilles mortelles de l'Empereur et l'aigle impériale ne reviennent de
l'exil qu'avec des sentiments d'amour et de réconciliation. Or, les
dépouilles mortelles de Napoléon signifient bien son cadavre dans son
cercueil, et l'aigle impériale veut bien dire une aigle en bois ou en bronze,
qui servait d'enseigne, d'emblème, d'armoirie à Napoléon Ier. Ainsi la phrase
que nous venons de citer signifie que le cadavre, le corps embaumé, plus ou
moins bien conservé, de Napoléon Ier, et une aigle en bois ou en métal,
revenaient de l'exil avec des sentiments d'amour
et de réconciliation. Depuis quand, nous le demandons, les
cadavres, le bois ou les métaux ont-ils des sentiments
d'amour ou de réconciliation ? A-t-on jamais rien écrit de plus
absurde ? Louis Bonaparte n'avait donc pas autour de lui un seul homme doué
d'un peu de bon sens pour lui faire observer ce que sa rhétorique avait de
contraire à la raison et à la grammaire. On nous dira sans doute que, si le héros de Boulogne laissait alors autant à désirer, sous le rapport du style, sous celui de la pensée et des idées, il n'en est plus de même aujourd'hui ; que muri par sis ans d'études profondes faites en prison, par de nouvelles années d'exil, par 17 ans de l'exercice du pouvoir, l'auteur de l'Histoire de Jules César ne commet plus les mêmes fautes, que ses idées sont aussi saines que son style est pur. Eh bien, nous n'avons qu'à ouvrir son nouvel ouvrage, à la première page, et qu'à lire la première ligne de sa préface pour nous assurer du contraire, dans les premiers mots il nous dit : La vérité historique devrait être non moins sacrée que la religion. Or qu'est-ce qu'une chose sacrée comme la religion ? c'est une chose révélée que nous devons respecter, vénérer, croire, ne pas discuter, puisqu'elle est une émanation directe de la- divinité, et aussi sacrée que la religion, c'est-à-dire que nous devons la considérer comme un dogme surnaturel dont il nous est défendu d'approfondir les mystères ; or, l'histoire est précisément le contraire de cela, c'est l'étude, l'analyse, des faits accomplis par l'humanité, c'est-à-dire une science toute humaine, qui ne doit rien avoir de merveilleux ou de divin, et dans laquelle le sacré et la religion n'ont rien. à voir, car ce que l'on appelle l'Histoire-Sainte, l'Histoire sacrée, n'est pas de l'histoire, c'est une légende Judaïque et chrétienne, et l'exposition des mystères et des cérémonies de ces deux croyances. Ainsi, dire que les enseignements de l'histoire sont aussi sacrés que la religion, c'est avancer une proposition fausse. On doit dire que les enseignements de l'histoire sont respectables mais non pas qu'ils sont sacrés comme des dogmes, puisque nous avons le droit et le devoir de les étudier, de les analyser, de les soumettre à l'examen de notre raison ; ce que la religion nous défend de faire pour ses dogmes en nous disant : croyez, mais ne raisonnez pas. Qu'est-ce que l'auteur de l'Histoire de Jules César entend aussi par cette autre phrase qu'il met dans sa préface : Le propre du génie est de survivre au néant. Survivre au néant, cela veut dire survivre à ce qui n'existe pas, à ce qui n'a jamais existé. Or, comment peut-on survivre à cela ? C'est là un mystère que nous ne voulons-pas approfondir et que nous soumettons aux méditations de ceux qui n'ont rien de mieux à faire, car nous ne désirons nullement endormir nos lecteurs, notre œuvre étant malheureusement déjà assez soporifique comme cela. On voit par ces citations que l'historien de Jules César, n'a pas oublié les traditions de l'insurgé de Boulogne, et que son dernier ouvrage est tout aussi amphibologique que ses précédentes publications. Dans ses proclamations de 1840, il fait un aussi grand usage de là Providence que dans sa vie de César. Dans les premières il dit : Habitants de Boulogne, venez à moi, et ayez confiance dans la mission providentielle que m'a légué le martyr de Sainte-Hélène. Dans la seconde, il nous recommande de ne pas oublier la mission providentielle des grands hommes. Il ajoute encore que le but qu'il se propose en écrivant son Histoire de César, c'est de prouver que lorsque la Providence suscite des hommes tels que César, charlemagne, Napoléon, c'est pour tracer aux peuples la voie qu'ils doivent suivre, marquer du sceau de leur génie une ère nouvelle, etc. Ainsi la Providence joue toujours un grand rôle dans les écrits de notre héros ; cette intervention providentielle dans l'histoire est d'une grande utilité pour les écrivains qui en font usage ; car, aussitôt qu'ils rencontrent un homme supérieur, ils ne se donnent pas la peine de rechercher quelles sont les causes de son mérite ou de son succès, ils attribuent de suite tout cela à la Providence, c'est-elle qui le guide ; qui le conduit par la main ; si plus tard le héros succombe, victime de la force , de l'abandon, de l'ingratitude ou de l'ignorance, alors c'est encore cette même Providence qui l'a voulu ainsi et qui a jugé, dans sa sagesse, ce dénouement utile à ses vues ; si un fait qu'ils ne peuvent pas comprendre ou expliquer se produit, ils se tirent facilement d'affaire, en l'attribuant aux vues impénétrables de la Providence ; c'est là une méthode très corn-, mode, inappréciable d'écrire l'histoire, on est avec elle sûr de ne jamais se tromper, de n'être jamais dans l'embarras, ni pris au dépourvu et d'avoir toujours raison. Il est vrai cependant que la science y perd beaucoup, mais peu importe à la plupart des historiens, pourvu qu'ils se tirent adroitement des cas difficiles à expliquer et qu'ils flattent le goût et l'amour du merveilleux et du surnaturel, qui exercent tant d'attrait et tant d'influence sur les masses ignorantes. Aussi la plus grande partie des écrivains modernes ne se privent pas de l'intervention de cette excellente Providence qui joue le premier rôle dans leurs récits. On peut juger par cela seul la valeur d'un historien. Tous les imposteurs, tous les tyrans, qui ont voulu dominer ou opprimer l'humanité, ont aussi eu recours à cette intervention surnaturelle et se sont dits les élus de la Providence. Nous ne sommes donc nullement surpris de voir Louis-Napoléon Bonaparte employer ce même vieux moyen et dire qu'il est l'élu de la Providence. Seulement nous constatons bien qu'il est toujours le même homme qu'en 1840, et qu'il n'a rien oublié et rien appris. Le chef des conspirateurs de Boulogne adressa aussi une proclamation au peuple français, marquée du même cachet d'emphase, d'exagération, de fatalisme de monomanie et de fausseté que le deux autres, la voici : Français Les cendres de l'Empereur ne reviendront que dans une France régénérée ! Les mânes du grand homme ne doivent pas être souillés par d'impurs et d'hypocrites hommages. Il faut que la gloire et la liberté soient debout à côté du cercueil de Napoléon ! Il faut que les traîtres à la patrie aient disparu ! Banni de mon pays, si j'étais seul malheureux, je ne me plaindrais pas ; mais la gloire et l'honneur du pays sont exilés comme moi ; Français, nous rentrerons ensemble ! aujourd'hui, comme il y a trois ans, je viens me dévouer à la cause populaire. Si un hasard me fit échouer à Strasbourg, le jury alsacien m'a prouvé que je ne m'étais pas trompé. Qu'ont-ils fait ceux qui vous gouvernent pour avoir des droits à votre amour ? Ils vous ont promis la paix, et ils ont amené la guerre civile et la guerre désastreuse d'Afrique ; ils vous ont promis la diminution des impôts, et tout l'or que vous possédez n'assouvirait pas leur avidité. Ils vous ont promis une administration intègre, et ils ne règnent que par la corruption ; ils vous ont promis la liberté, et ils ne protègent que privilèges et abus ; ils s'opposent à toute réforme ; ils n'enfantent qu'arbitraire et qu'anarchie ; ils ont promis la stabilité et depuis dix ans ils n'ont rien établi. Enfin ils ont promis qu'ils défendraient avec conscience notre honneur, nos droits, nos intérêts, et ils ont partout vendu notre honneur, abandonné nos droits, trahi nos intérêts ! Il est temps que tant d'iniquités aient leur terme ; il est temps d'aller leur demander ce qu'ils ont fait de cette France si grande, si généreuse, si unanime de 1830 ! Agriculteurs ils vous ont laissé pendant la paix de plus forts impôts que ceux que Napoléon prélevait pendant la guerre. Industriels et commerçants vos intérêts sont sacrifiés aux exigences étrangères ; on emploie à corrompre l'argent dont l'Empereur se servait pour encourager vos efforts et vous enrichir. Enfin, vous toutes, classes laborieuses et pauvres, qui êtes en France le refuge de tous les sentiments nobles, souvenez-vous que c'est parmi vous que Napoléon choisissait ses lieutenants, ses maréchaux, ses ministres, ses princes, ses amis. Appuyez-moi de votre concours et montrons au monde que ni vous ni moi n'avons dégénéré. J'espérais comme vous que, sans révolution, nous pourrions corriger les mauvaises influences du pouvoir ; mais aujourd'hui, plus d'espoir ; depuis dix ans, on a changé dix fois de ministère ; on en changerait dix fois encore, que les maux et les misères de la patrie seraient toujours les mêmes. Lorsqu'on a l'honneur d'être à la tête d'un peuple comme le peuple français, il y a un moyen infaillible de faire de grandes choses : c'est de le vouloir. Il n'y a en France, aujourd'hui, que violence d'un côté, que licence de l'autre, je veux rétablir l'ordre et la liberté. Je veux en m'entourant de toutes les sommités du pays, sans exceptions, et en m'appuyant. uniquement sur la volonté et les intérêts des masses fonder un édifice inébranlable. Je veux donner à la France des alliances véritables, une paix solide, et non la jeter dans les hasards d'une guerre générale. Français ! je vois devant moi l'avenir brillant de la patrie. Je sens derrière moi l'ombre de l'Empereur qui me pousse en avant ; je ne m'arrêterai que lorsque j'aurai repris l'épée d'Austerlitz, remis les aigles sur nos drapeaux et le peuple dans ses droits. Vive la France ! Boulogne le .......... 1840. Signé Napoléon. Cette proclamation est encore plus boursouflée que les deux précédentes, les cendres de l'Empereur ne reviendront, dit Louis Bonaparte, que dans une France régénérée. Sans doute que ce devait être lui, et la bande de laquais et de chevaliers d'industrie qui l'accompagnaient à Boulogne, qui devaient régénérer la France. Ces gens là offraient certainement de solides garanties de moralité et de capacité pour régénérer la nation, et c'était certes une chose bien flatteuse pour l'amour propre du peuple, que d'entendre élever de semblables prétentions par de pareils gens. Nous assistons depuis quatorze ans à la régénération de la France par les survivants des insurgés de Boulogne et nous avons vu quels beaux résultats ils ont obtenu. Jamais le despotisme, la corruption, le jeu l'agiotage, les mauvaises mœurs, la bassesse, le servilisme, la prostitution des corps et des âmes n'ont atteint un pareil degré ; on en est arrivé, en 1865, à un tel point d'immoralité, que le ministre de la justice n'ose plus livrer à la publicité les statistiques des tribunaux, tant les crimes contre les propriétés et surtout contre les personnes ont augmentés, la statistique des infanticides, des viols, des attentats à la pudeur et de tous les crimes contre les mœurs a été supprimée de peur d'effrayer ; et la population va en France, en décroissant depuis 1851. Nous sommes en pleine décadence morale et physique : voilà la régénération amenée par la pratique des idées napoléoniennes. La gloire et la liberté devaient aussi être debout à côté du cercueil de Napoléon. Nous le demandons où est la liberté, l'Empire en a-t-il respecté une, mais une seule ? Ne les a-t-il pas toutes détruites, depuis la liberté électorale, jusqu'à la liberté individuelle ? Quand à la gloire impériale, que nous avons ; la voici : d'abord, celle d'avoir rétabli à Rome le gouvernement des prêtres, qui, de l'avis même des journaux de l'Empire, est le plus détestable de tous les gouvernements ; ensuite celle d'avoir fait tuer à Sébastopol près, d'un million de soldats et dépensé plusieurs milliards de capitaux, pour faire accepter par le congrès de Paris la famille Bonaparte, qu'excluait du trône de France les traités de. 1815 ; celle d'avoir commencé puis abandonné, la délivrance de l'Italie, d'avoir laissé Naples aux mains du roi Bomba, Rome sous le despotisme des prêtres et Venise soumise à la tyrannie de l'étranger ; celle d'avoir annexé Nice et la Savoie à la France, contre leur gré, par la ruse, la fraude, la trahison et la force ; et d'avoir détruit le gouvernement national, républicain, libéral de Juarez au Mexique, pour le remplacer par la domination étrangère, despotique et réactionnaire d'un archiduc autrichien ; ajoutons encore à toutes ces gloires, celle d'avoir trahi la cause de la malheureuse Pologne et abandonné celle du Danemark. Voilà la gloire et la liberté que le héros de Boulogne a placées debout, à côté du cercueil de Napoléon ! D'après ce qui précède il est facile de comprendre quel est le genre de gloire et d'honneur qui serait rentré, dès lors, avec l'insurgé de Boulogne, s'il eut réussi en 1840. Nous avons vu depuis le Deux Décembre en quoi consiste l'honneur napoléonien, et qu'il n'exclut ni la trahison, ni le parjure, ni le vol, ni l'assassinat, ni le guet-apens ; car c'est escorté de tous ces crimes qu'il a fait son entrée triomphale depuis dix ans, et c'est grâce à eux qu'il est aujourd'hui glorieux et régnant. Le héros malheureux de Strasbourg et de Boulogne est venu une troisième fois se dévouer à la cause populaire et il a réussi enfin, grâce à la haute position dont l'avait revêtu la confiance du peuple, qui avait ajouté foi à ses belles promesses d'honneur, de gloire et de liberté. Ce n'est pas le hasard, comme le prétend Louis Bonaparte, qui l'a fait échouer à Strasbourg, mais bien son incapacité et surtout son manque de courage, ainsi que nous l'avons précédemment démontré ; et le jury alsacien ne lui a pas prouvé du tout qu'il ne s'était pas trompé, et s'il a acquitté ses complices c'est simplement pour ne' pas approuver et ne pas être solidaire de la violation flagrante de l'égalité des citoyens devant la loi, qu'avait commise le gouvernement de la monarchie de juillet, en soustrayant le principal accusé de l'échauffourée de Strasbourg à sa juridiction. Quand aux reproches que Louis-Napoléon Bonaparte formulait, en 1840, contre le gouvernement de Louis-Philippe, nous allons montrer avec quelle vérité et quelle justice on peut les lui adresser depuis qu'il est au pouvoir, ce sera la meilleure manière de démontrer qu'il a commis, et même avec aggravation, toutes les fautes qu'il reprochait aux autres, et nous ferons voir ainsi tout ce qu'il y avait de peu sérieux dans ses pompeuses déclamations. Ne peut-on pas dire, aujourd'hui en toute justice, aux Français en répétant les paroles de Louis-Napoléon Bonaparte : Qu'ont-ils fait ceux qui vous gouvernent pour avoir des droits à votre amour ? Ils vous ont promis la paix, et ils ont amené la guerre civile et la guerre désastreuse d'Afrique. N'avons nous pas eu, en effet, la guerre civile au deux décembre 1851. et une guerre civile bien autrement terrible, bien autrement grave, bien autrement funeste que celles qui ont eu lieu sous le règne de la dynastie d'Orléans, puisqu'elle a eu pour théâtre plus de trente-six départements ; puis que l'affreux massacre des boulevards, à Paris, a couvert la capitale de sang et de deuil, et l'a plongée dans la plus profonde terreur ; et qu'elle a eu pour conséquence plus de cent mille proscriptions, un nombre considérable de condamnations aux travaux forcés et plusieurs exécutions capitales. Etait-il convenable, du reste, à celui, qui deux fois a cherché à plonger la France dans la guerre civile, qui débarquait à Boulogne avec une bande armée de fusils anglais, et dont les deux tiers étaient composés d'individus étrangers à la France, d'accuser le gouvernement d'alors d'amener la guerre civile. La guerre d'Afrique n'a-t-elle pas toujours continuée depuis 1851, ne dure-t-elle pas encore à l'heure qu'il est ? mais depuis quatorze ans la guerre d'Afrique ne compte plus, n'est plus rien à côté des expéditions désastreuses exécutées par le héros de Boulogne. Que sont en effet les misérables combats soutenus en Algérie contre Bédouins, à côté des guerres de Crimée, d'Italie, de Chine, de Cochinchine, du Japon, et du Mexique, qui ont coûté à la France, seulement plus d'un demi million d'hommes et quinze ou vingt milliards de francs. L'accusation qu'il porte en disant : Ils vous ont promis la diminution des impôts et tout l'or que vous possédez n'assouvirait pas leur avidité, ne peut-elle pas s'appliquer rigoureusement au régime actuel, a-t-on jamais vu une pareille dilapidation de la fortune publique, les emprunts n'ont-ils pas succédés aux emprunts, les impôts aux impôts, la dette publique n'a-t-elle pas triplée depuis quinze ans, ne s'élève-t-elle pas aujourd'hui au chiffre fabuleux de près de douze milliards, sans compter les émissions de bons du trésor, les ventes des forêts de l'Etat, des biens des hospices, etc., etc., ni le budget de la ville de Paris qui atteint des proportions gigantesques sous l'administration Haussmann, et qui est maintenant supérieur aux budgets d'un grand nombre d'Etats de l'Europe. Faut-il parler de l'intégrité de l'administration dont font partie : M. Fould, qui proposa la banqueroute au gouvernement provisoire en 1848 ; M. de Morny, le spéculateur trop heureux, l'homme non moral, comme dit le Times, mort aujourd'hui ; M. de Maupas, le préfet qui propos ait de commettre un acte tellement odieux, que M. Léon Faucher, lui-même, en fut scandalisé ; M. Fialin, l'insolvable, aujourd'hui millionnaire ; M. Wieyra le stellionnaire ; M. Saint-Arnaud, l'expensionnaire de Sainte-Pélagie ; Magnan, qui fut toujours criblé de dettes et qui, aujourd'hui encore, vient de subir un jugement qui le qualifie de débiteur malheureux, etc., etc. Est-ce que ceux qui emploient de pareils ministres et de pareils administrateurs règnent autrement que par la corruption ? nous déclarons franchement que les hommes de la monarchie constitutionnelle, contre qui criait si fort M. Bonaparte, étaient de petits saints, de vraies rosières à côté des excellences de l'Empire. Le gouvernement de l'insurgé de Boulogne, qui nous a promis la liberté qui doit être debout a côté du cercueil de Napoléon, ne protège-t-il pas que privilège et abus ? ne s'oppose-t-il pas à toute réforme ? n'enfante-t-il pas qu'arbitraire et anarchie ? n'a-t-il pas promis la Stabilité ? et depuis dix ans il n'a rien établi. Faut-il citer des faits à l'appui de chacune de ces accusations ? Faut-il répéter qu'il n'existe plus aucune liberté, pas même celle de choisir un candidat lors des élections ainsi que nous l'avons déjà démontré.-' N'est-ce pas protéger les privilèges et les abus, que de rétablir les titres de noblesse, que de vouloir donner des dotations comme celle qu'il proposait pour le duc de Palikao, autrefois Bouffé de Montauban, l'insurgé de Boulogne, et que le Corps législatif a refusée ? N'est-ce pas un abus énorme que de s'attribuer une liste civile de 25 millions, que de s'approprier en-outre 15 millions de revenus des biens de la couronne, que d'imposer ses candidats au peuple par l'oppression, la menace, la ruse et les manœuvres les plus criminelles ; n'est-ce pas le plus criant de tous les abus ; le plus odieux de tous les crimes, que de supprimer toutes les libertés dont un grand peuple vous confie la garde, que de profiter des suffrages qu'il vous accorde, de la confiance qu'il a en vous, pour l'enchaîner et substituer sa volonté personnelle à la volonté générale, son intérêt à celui de la nation et que d'établir ainsi le règne du privilège et du bon plaisir ? Le gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte ne s'oppose-t-il pas à toutes les réformes qui lui sont proposées chaque année par l'opposition du Corps-législatif, par les journaux libéraux, par l'opinion publique et les besoins du peuple, et qui consistent dans : la liberté individuelle, l'inviolabilité du domicile, l'adoption de l'habeas-corpus, l'abolition de la loi de sureté générale et de toutes les entraves, si nombreuses, apportées à la liberté des citoyens ; l'inviolabilité du domicile, la liberté des correspondances, l'inviolabilité du secret des lettres, la liberté de réunion et d'association sans aucune restriction ; la liberté de l'enseignement, la liberté de la presse, l'abolition de la censure, du timbre, du cautionnement, des brevets de libraires, d'imprimeurs, d'éditeurs, des autorisations préalables pour fonder un journal, de celles de colportage, de vente sur la voie publique etc., etc., la liberté de la tribune pleine et entière sans restriction ; les libertés absolues de réunion et d'association ; la liberté électorale sans restriction aucune, avec abolition complète de la monstrueuse législation qui qualifie d'association illicite les comités électoraux, la suppression des candidatures officielles et du serment préalable des candidats à la représentation nationale ; la réforme du système de l'instruction publique, qui doit être gratuite et obligatoire ; l'établissement d'un enseignement agricole, professionnel, scientifique et artistique gratuit et à la porté de tous ; la liberté complète des cultes par la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat, l'abolition du concordat et du budget des cultes, et l'interdiction publique de toute manifestation religieuse etc., etc., l'abolition des armées permanentes et la défense nationale basée sur ce principe : tous les citoyens soldats et tous les soldats citoyens l'abolition de la prostitution et du bureau des mœurs ; la suppression des contributions indirectes et de tous les impôts qui frappent les objets de première nécessité ; l'établissement de l'impôt progressif, la réforme complète de l'impôt, la suppression des monopoles et des droits protecteurs ; celle des octrois et des douanes ; la réforme complète et radicale de notre législation, surtout de celle des codes pénal et d'instruction criminelle, et du système pénitentiaire ; l'abolition complète de la peine de mort et des peines perpétuelles et irrévocables ; et pour couronner toutes ces améliorations, toutes ces réformes, nous ajouterons les plus importantes de toutes, celles sans lesquelles les autres ne sont rien : l'organisation du crédit et du travail mis à la portée de tous, et par suite l'abolition de la misère, du paupérisme et du prolétariat. Tels sont les réformes auxquelles le gouvernement s'oppose, pour soutenir tous le privilège et tous les abus qu'il enfante, qu'il patronne, qu'il soutient, qu'il défend et dont il vit. Ne peut-on pas aussi lui appliquer en toute justice ces paroles de. Louis-Napoléon Bonaparte : il n'enfante qu'arbitraire et anarchie ; il a promis la stabilité et depuis dix ans il n'a rien établi. N'est-ce pas enfanter qu'arbitraire et qu'anarchie que de supprimer, comme cela a été fait depuis le deux Décembre 1851, toute liberté et toute garantie pour les citoyens et que de régner par l'arbitraire et par la force brutale, au moyen des transportations et des exécutions sans jugement ? Le gouvernement du coup d'Etat n'a-t il pas promis la stabilité, et cependant depuis quatorze ans il n'a rien établi, il a détruit en le faussant, en le violant, en l'opprimant et en le dénaturant le suffrage universel, la seule assise sur laquelle il a prétendu fonder son édifice informe, qui n'a plus maintenant ni base ni sommet, malgré la fameuse promesse du couronnement qui est renvoyée aux calendes grecques. N'ont-ils pas promis encore, les hommes du deux Décembre, de défendre avec conscience notre honneur, nos droits, nos intérêts, et n'ont-ils pas vendu partout notre honneur, abandonné nos droits, trahi nos intérêts ? N'est-ce pas vendre notre honneur que d'aller combattre en Crimée pour défendre la politique anglaise en Orient ? N'est-ce pas vendre notre honneur, trahir nos intérêts et nos droits que d'aller au Mexique, faire tuer cinquante mille français et dépenser six ou huit cents millions pour récupérer, pour le compte et pour le profit de M. de Morny et Cie, la créance Jeker de quatre-vingt-six millions, et pour fonder une monarchie autrichienne ? n'est-ce pas trahir notre honneur, nos intérêts et nos droits que d'avoir rétabli à Rome le gouvernement anti-civilisateur, anti-social des prêtres, qui chaque jour élève les prétentions les plus surannées, les plus contraires au droit des gens et à la marche régulière du progrès ? n'est-ce pas trahir notre honneur, abandonner nos intérêts et fouler aux pieds nos droits, que d'avoir sacrifié le Danemark et laissé égorger la malheureuse et héroïque Pologne ? est-ce que les défaites de ces deux peuples ne sont pas des taches indélébiles à notre honneur ? N'est-il pas temps, pour nous servir des paroles de la proclamation de l'insurgé de Boulogne, que tant d'iniquités aient leur terme ? n'est-il pas temps d'aller leur demander ce qu'ils ont fait de cette France si grande, si généreuse, si unanime de 1848 ?[1] Ces paroles s'appliquent avec tant d'à-propos à la situation actuelle comparée à celle de 1848, qu'elles se passent de tout commentaire. Et ont-elles moins d'à-propos les paroles suivantes : Agriculteurs, ils vous ont laissé pendant la paix de plus forts impôts que ceux que Napoléon prélevait pendant la guerre. En effet, les impôts qui sous le premier empire s'élevaient à douze cent millions de francs, sous Louis-Philippe à seize cent millions de francs sont arrivés aujourd'hui au chiffre exorbitant de deux milliards deux cent millions de francs, c'est-à-dire à plus du double, du budget du premier Empire. Les intérêts des industriels, des commerçants, n'ont ils pas été sacrifiés aux exigences étrangères ? Par les traités, de commerce avec l'Angleterre, qui ont été faits afin d'obtenir l'appui et l'alliance de cette puissance en faveur des conjurés de Décembre, ne lui a-t-on pas sacrifié les intérêts manufacturiers du commerce du nord de la France et principalement des Flandres et du Pas-de-Calais ? Une grande partie du budget n'est-il pas employé par les fonds secrets, par la police, par l'administration à soudoyer des espions, à payer des mouchards, à inonder l'Europe d'agents provocateurs, à fonder partout des journaux de police chargés de pervertir l'esprit public, de tromper l'opinion ; n'est-ce pas là, nous le demandons, employer à corrompre l'argent qui devrait servir à encourager les efforts de l'industrie et à l'enrichir ? Quand à l'appui que le héros de Boulogne demandait jadis aux classes laborieuses et pauvres, ces dernières doivent savoir aujourd'hui si elles veulent continuer de l'accorder à l'homme qui les flattait lorsqu'il était proscrit et qui depuis qu'il est au pouvoir n'a rien fait pour elles, si ce n'est qu'augmenter leur servitude, leur misère et leur ignorance ; qui les livre pieds et poings liées à toutes les horreurs de l'exploitation la plus barbare ; à celui qui leur défend de se réunir de s'associer pour discuter et défendre leurs intérêts ; qui donne l'éducation des masses et la direction des consciences à un clergé ennemi de toutes lumières et de toute amélioration sociale ; qui sacrifie leurs fils par centaines de milliers dans des entreprises aussi injustes que folks, aussi ruineuses qu'inutiles, aussi odieuses que sanglantes, aussi iniques que désastreuses ; qui laisse leurs femmes et leurs filles plongées dans la misère et l'ignorance, soumises à un travail forcé insuffisant, dont le salaire si infime ne leur laisse d'autre alternative pour vivre, si elles sont seules, que de recourir à la prostitution, n'ayant à choisir qu'entre la mort ou la honte. Si l'état de misère et d'esclavage dans lequel on tient le peuple ne l'a pas corrompu, s'il n'est pas dégradé, c'est que sa nature robuste et vigoureuse l'a préservé, mais il n'avait pas besoin de la venue de l'aigle de Boulogne pour montrer au monde qu'il n'avait pas dégénéré. Et depuis, malgré toute la corruption du nouveau Bas-Empire, qui a juré de plonger la France dans la décadence pour mieux l'asservir, le peuple a su conserver intact son honneur et sa moralité. Nous aussi, nous croyons, selon les paroles de Louis-Napoléon Bonaparte, qu'on ne peut, sans révolution corriger les mauvaises influences du pouvoir, qu'aujourd'hui il n'y a plus d'espoir ; car, depuis quinze ans on a changé quinze fois de ministère, on en changerait quinze fois encore, que les maux et les misères de la patrie seraient toujours les mêmes. Nous aussi, nous sommes persuadés, toujours en citant le même auteur, que lorsqu'on à l'honneur d'être à la tête d'un peuple comme le peuple français, il y a un moyen infaillible de faire de grandes choses c'est de le vouloir. Et si depuis quinze ans il n'a rien été fait de grand, si la France est devenue, par le despotisme qu'elle supporte, un objet de terreur pour les autres peuples, si elle a perdu leurs sympathies, si elle ne remplit plus le rôle civilisateur et libérateur qu'elle avait autrefois, c'est que ceux qui ont, pour son malheur, l'honneur d'être à sa tête, sont incapables de vouloir et de faire de grandes choses, ainsi qu'ils l'ont prouvé depuis quinze ans, en ne faisant que celles qui ont tourné à sa confusion et à sa honte. Est-ce qu'il y a aujourd'hui en France autre chose que violence et licence ? Ne sont-ce pas la violence et la licence qui règnent et qui gouvernent ? Qui oserait dire en présence de ce qui se passe chez cette nation, que l'insurgé de Boulogne a rétabli l'ordre, c'est à dire le règne de la justice ; et la liberté, c'est-à-dire l'exercice de tous les droits, ainsi qu'il annonçait vouloir le faire en 1840. Quelles sont aussi, depuis 1851, les sommités du pays sans exception, dont s'entoure le héros de Boulogne ? Ce sont : MM. de Morny, Fialin, dit de Persigny ; Leroy, dit de Saint-Arnaud ; Magnan, Vieyra, Fleury, dont nous avons esquissé quelques traits de leur vie aventureuse et non morale, et que M. Kinglake a si bien dépeints d'ans son livre l'Invasion de la Crimée, chapitre XIV. Nous avons déjà vu, comment Louis-Napoléon Bonaparte s'appuie uniquement sur la volonté et les intérêts des masses ; en supprimant toute espèce de manifestation de la volonté du peuple, en faussant le libre jeu du suffrage universel ; en viciant, corrompant ou supprimant toute liberté ; en ne consultant jamais que son intérêt personnel et celui de sa famille, en laissant le peuple dans l'ignorance, la misère, l'exploitation et la servitude. Quand à avoir fondé un édifice durable, nous ne croyons pas que Louis Bonaparte l'aie fait ; car, si le régime monstrueux, sans base et sans sommet, sans libertés et sans droits, sans principes et sans moralité, qui existe depuis le coup d'Etat, et qui a prolongé son existence jusqu'à aujourd'hui, à force de mensonge de ruse, de perfidie, de trahison, de force brutale et de terreur, était destiné à devenir un édifice inébranlable, il faudrait désespérer de l'avenir, du progrès et de l'humanité ; et croire au triomphe définitif du mal, mais heureusement nous n'en sommes pas encore là. L'insurgé de Boulogne avait aussi dit : Je veux donner à la France des alliances véritables, une paix solide et non la jeter dans les hasards d'une guerre générale. Voyons où sont ces alliances véritables : l'Angleterre tient l'Empire en grande défiance, elle arme secrètement contre lui, elle s'éloigne chaque jour davantage de lui ; elle demande pardon à Dieu et aux hommes d'avoir fait alliance avec lui lors de la campagne de Crimée et de l'avoir ainsi aidé à se consolider[2] ; l'Allemagne est très antipathique à l'Empire, elle sait qu'il convoite le Rhin ; la Belgique redoute l'annexion ; la Hollande craint de l'avoir un jour pour voisin et qu'il ne l'absorbe ; la Suède, la Norvège, le Danemark lui sont très désaffectionnés, depuis la tolérance qu'il a montrée pour la Prusse et l'Autriche dans la question des duchés ; la Suisse se tient sur la réserve et sur la défensive, depuis l'annexion de la Savoie ; l'Espagne catholique envisage d'un mauvais œil la politique impériale à Rome ; le peuple italien ne lui a pas pardonné son abandon à Villafranca, l'occupation de Rome et d'avoir ordonné l'affaire d'Aspromonte ; le Piémont est furieux contre lui d'avoir conseillé et imposé le transfert de la capitale à Florence, et les patriotes italiens veulent Rome à tout prix ; le gouvernement de Victor-Emmanuel, qui est à sa merci, lui est seul attaché ; quand aux grandes puissances du Nord : l'Autriche, la Prusse et la Russie, elles ont renouvelé la coalition contre lui, elle le tiennent en suspicion, et elles attendent le moment d'agir. Voilà les alliances véritables que l'Empire a données à la France. Quand à la guerre générale, elle éclatera le jour où l'Empire voudra continuer son système annexionniste et empiéter de nouveau sur l'Europe, ainsi qu'il l'a promis en 1840, en disant : Je sens derrière moi l'ombre de l'Empereur qui me pousse en avant ; je ne m'arrêterai que lorsque j'aurai repris l'épée d'Austerlitz, remis les aigles sur nos drapeaux et le peuple dans ses droits. Nous avons vu quel usage le héros de Strasbourg a fait de la glorieuse épée d'Austerlitz, qu'il avait au côté à Strasbourg, comment il se l'est laissée arracher et briser aux pieds, sans oser en porter un seul coup, par le colonel Taillandier, qui lui arracha ses épaulettes ainsi que le grand cordon de la légion d'honneur, dont il s'était paré, et qui lui infligea en-outre sur les joues le plus sanglant des affronts, le plus honteux des outrages. Quand on a subi un pareil traitement, ayant une épée au côté et sans s'en venger ou en demander raison, on devrait au moins avoir la pudeur de ne plus parler jamais d'épée et surtout de l'épée d'Austerlitz. Mais puisque le héros de la triste figure et des tristes aventures, que nous racontons, ose encore dire qu'il saisira une épée, quoiqu'il n'ait pas su mieux se servir de la sienne à Boulogne qu'à Strasbourg, voyons quel usage il en a fait en Crimée et en Italie. Il s'est bien gardé d'aller faire en personne la première de ces deux campagnes, qu'il trouvait trop meurtrière et trop dangereuse. Ce conquérant, d'un nouveau genre, s'est contenté de faire la campagne sur la carte, du fond de son cabinet ; il a trouvé cela plus commode et surtout moins dangereux ; aussi, les journaux officieux de l'époque annonçaient-ils chaque jour, que l'Empereur dirigeait lui-même les opérations militaires du palais des Tuileries, de sorte que l'épée d'Austerlitz avait la poignée à Paris et la pointe en Crimée, surpassant ainsi le prodige de la célèbre Durandal, l'épée de Roland, qui ne coupait qu'à dix lieues devant la pointe. Les feuilles publiques assuraient en-outre, qu'aucun mouvement important de troupe, ni aucune mesure stratégique, ni aucune opération de siège n'avait lieu sans l'ordre de Sa Majesté ; certains mémoires, publiés sur cette expédition, attribuaient même à l'intervention inepte et nuisible de Louis-Napoléon Bonaparte les difficultés énormes qu'elle a présentées, les combats meurtriers, les batailles sanglantes qu'elle a occasionnés, et la longueur si considérable du siège de Sébastopol. Lors de la campagne d'Italie l'Empereur résolut de faire briller au grand jour, devant les armées belligérantes et devant toute l'Europe, son génie militaire. Ceux qui ont étudié la campagne d'Italie savent que, si à Magenta la bataille à la fin a été gagnée, c'est que le plan adopté par Sa Majesté n'a pas été suivi, et que le général Mac-Mahon, au lieu d'exécuter les ordres qu'il avait reçus, les a ouvertement violés, et est venu prendre part à la bataille qui, sans cela, eut été perdue ; c'est au talent militaire et stratégique de Louis-Napoléon, qui. avait absolument voulu commander en chef à Magenta, contre l'avis de ses généraux, que la garde impériale doit d'avoir été si cruellement décimée ; l'incapacité militaire de Napoléon III, n'est du reste un mystère pour personne dans l'armée, et tous les officiers sourient ironiquement quand on leur parle de son talent ou de son courage, car tous savent que ses plans de campagne, si on les eut suivis, eussent immanquablement amené la perte de l'armée française, et que jamais il ne s'est exposé au feu de l'ennemi, mais, qu'au contraire, il s'en est toujours tenu à une distance considérable, et qu'il n'a fait preuve, pendant-cette campagne, ni de talent, ni de courage. Il est maintenant inutile, après ce que nous avons dit, de démontrer qu'il n'a pas plus remis le peuple dans ses droits que repris l'épée d'Austerlitz, et que son arrivée au pouvoir a été le signal de la confiscation de tous les droits du peuple et de toutes les libertés. Louis-Napoléon Bonaparte avait encore préparé plusieurs autres pièces lors de son expédition de Boulogne, parmi lesquelles nous citerons un décret par lequel il déclarait que la dynastie des Bourbons d'Orléans avait cessé de régner. Comme tout cela est bien imaginé, nous serions bien désireux de savoir qui avait donné à M. Louis-Napoléon Bonaparte le droit de parler et d'agir au nom du peuple français lui qui, comme nous l'avons vu, n'était pas même Français, puisqu'il avait perdu deux fois cette qualité par la naturalisation et en prenant du service à l'étranger ; c'est sans doute toujours comme héritier de Napoléon en ligne collatérale qu'il usurpait ce droit. De sorte qu'il considérait la France comme une propriété appartenant à la famille Bonaparte, transmissible par voie de succession, en ligne directe ou collatérale, aux. descendants mâles, ce qui est très flatteur, pour le peuple français. Voici cette pièce curieuse : D é c r e t. Le prince Napoléon au nom du peuple français décrète ce qui suit : La dynastie des Bourbons d'Orléans a cessé de régner. Le peuple français est rentré dans ses droits. Les troupes sont déliées du serment de fidélité, La Chambre des Paris et la Chambre des Députés sont dissoutes. Un Congrès national sera convoqué dès l'arrivée du prince Napoléon à Paris. M. Thiers, président du conseil, est nommé à Paris président du gouvernement provisoire. Le maréchal Clauzel est nommé commandant en chef des troupes rassemblées à Paris. Le général Pajol conserve le commandement de la première division militaire. Tous les chefs de corps qui ne se conformeraient pas immédiatement -à ces ordres seront remplacés. Tous les officiers, sous-officiers et soldats, qui montrerons énergiquement leur sympathie pour la cause nationale, seront récompensés d'une manière éclatante au nom de la patrie. Dieu protège la France ! Signé Napoléon. Quant à la déchéance de la famille des Bourbons d'Orléans, nous ferons humblement observer au héros de Strasbourg et de Boulogne, que s'il n'y avait eu que.lui pour renverser le gouvernement de Louis-Philippe, ce dernier ou ses fils régneraient probablement encore sur la France. Les bonapartistes sont bons tout au plus pour courir de caserne en caserne, revêtus de beaux uniformes, de superbes plumets, d'épaulettes et de décorations, pour exciter les soldats à la trahison, une bouteille d'une main et une bourse de l'autre ; mais ils sont trop lâches pour oser se battre, pour opposer la force à la force, et pour détruire un gouvernement les armes à la main, comme l'ont fait déjà maintes fois les républicains. S'ils sont parvenus à s'emparer du pouvoir, ils le doivent à la générosité et à la confiance du peuple français, qui croyant à la loyauté de Louis-Napoléon Bonaparte, a eu foi en ses belles promesses de dévouement et de fidélité à la République, et l'a nommé président, M a confié le pouvoir et la force publique, et lui a ainsi fourni les moyens nécessaires pour accomplir sa trahison et son guet-apens du deux décembre. Nous ne nous lasserons pas d'insister sur ces faits, afin de bien prouver le ridicule, la perfidie et l'odieux de la conduite du parti bonapartiste, incapable d'autre chose que de mensonge, d'hypocrisie et de parjure. Ce que nous admirons surtout c'est la facilité avec laquelle l'homme, qui onze ans plus tard devait violer tous ses serments, relève les autres des leurs ; on voit, en lisant son décret, que ce ne sont pas les engagements d'honneur et de conscience qui le gênent. Il délie les troupes du serment de fidélité comme un pontife, on dirait qu'il avait reçu pouvoir comme les prêtres de lier et de délier, et cependant l'insurgé de Boulogne n'était pas, que nous sachions, un oint du seigneur, la sainte ampoule n'avait pas encore opéré sur lui alors, pas plus qu'aujourd'hui, les prodiges de sa grâce merveilleuse. Il a oublié aussi de nous dire : par quel ingénieux procédé il devait convoquer les membres de son fameux Congrès-national, si ce seraient ses préfets, ses agents ou ses mouchards qui, comme aujourd'hui pour les membres du Corps législatif, seraient chargés de les faire nommer ou si ce serait le prince qui les choisirait directement, ainsi que Louis Bonaparte le fait pour les membres du Sénat, ou s'ils seraient nommés par le suffrage à deux ou trois degrés comme du temps de son illustre oncle.. Il eut pourtant été utile de renseigner le peuple sur ces procédés de convocation et d'élection ; sans doute que l'Homme Providence avait pensé, dans sa profonde sagesse, qu'il était indigne de lui de s'abaisser à de pareils détails, qu'il s'avait mieux que le peuple ce qui lui convenait et que, dans sa toute puissance et son omnipotence, il lui suffisait de dire que le congrès-national soit, pour que le congrès-national fut. L'insurgé de Boulogne a conservé au pouvoir sa passion malheureuse pour les congrès, ainsi que nous l'a prouvé Napoléon III, qui voulait organiser un congrès de souverains en 1864. Mais hélas ! il ne fut pas plus heureux alors dans son projet qu'en 1840. Nous lui demanderons aussi, comme l'a fait M. le chancelier Pasquier, comment il n'a pas craint, en violant toutes les lois de la délicatesse, d'abuser des noms de personnes qui ne l'avaient pas autorisé à-le faire et de pousser l'abus jusqu'à les nommer ainsi, sans les prévenir, membres de son gouvernement insurrectionnel et à des commandements importants. Nous trouvons surtout très extraordinaire qu'après avoir appelé traîtres et oppresseurs, dans ses proclamations, les ministres de Louis-Philippe, il ose se servir en suite de l'un d'eux, M. Thiers, pour en faire le président de son gouvernement provisoire ; cela prouve ce qu'avaient de peu sérieux et de peu logique les proclamations, les décrets et les actes de Louis Bonaparte, et quelles contradictions flagrantes ils renfermaient. Nous verrons plus tard l'auteur du guet-apens du deux décembre 1851, avoir recours au même procédé et nommer une prétendue commission consultative, qui ne fut jamais consultée, dans laquelle il fit entrer un grand nombre de personnes sans les en informer ; puis, quand elles se plaignirent de ce procédé indélicat, il leur fut répondu qu'on n'avait pas plus besoin de leur autorisation que de leurs consultations ; qu'on avait pris leurs noms comme garantie, pour donner de l'autorité et : du prestige au gouvernement, et qu'on s'en servirait malgré elles, qu'elles aient à se traire, si elles voulaient éviter d'être arrêtées et comprises dans des listes de proscription. Voilà comment ont toujours agi les conspirateurs bonapartistes, et quel respect ils ont toujours eu pour les noms et la volonté des citoyens. Après une pareille manière de faire, il était tout naturel d'employer la menace envers les militaires qui refuseraient de trahir leurs serments et la séduction envers les autres, en leur promettant de récompenser d'une manière éclatante leur trahison. Et sur ce : Que Dieu protège la France ! car elle en a grand besoin, surtout contre les entreprises bonapartistes, comme le dit si ingénument et si à propos le prince Louis, qui signe Napoléon, sans indication de numéro, absolument comme le vainqueur d'Austerlitz et de Marengo. Le' héros de Boulogne avait encore préparé un grand nombre d'autres pièces, qui ont aussi été saisies lors de son arrestation et de celle de ses complices, parmi lesquelles nous remarquons : 1° Un plan de Campagne des plus détaillé, avec des cartes très soignées sur lesquelles le prince avait tracé, de. son auguste main, l'itinéraire de sa marche triomphale sur la capitale et les glorieuses étapes qu'il devait suivre ; 2° Des ordres de service pour ses complices, assignant à chacun d'eux la mission qu'il devait remplir, et dans lesquels il lieu donnait les plus grandes et les plus précises instructions ; 3° Un ordre du jour fixant le grade de MM. les officiers auxquels il avait distribué les rôles ; 4° Un décret nommant de nouvelles autorités civiles pour la ville de Boulogne, et assignant de nouvelles fonctions et de nouveaux postes aux militaires, et toutes ces pièces, ainsi que ses trois proclamations, étaient signées par lui et presque toutes contresignées par le général Montholon, faisant fonction de major-général, par le colonel Voisin, faisant fonction d'aide-major-général et par le comte Mésonan, remplissant, les fonctions de chef d'Etat-major. Comme on le voit, pour ce qui concernait la conception, la préparation, l'organisation du complot, Louis-Napoléon Bonaparte avait fait preuve comme à Strasbourg d'une aptitude réelle et même d'habilité, il avait poussé la minutie des détails jusqu'aux dernières limites, il avait fait son plan avec un véritable talent de metteur en scène et d'organisateur consommé ; voyons maintenant s'il a montré la même supériorité pour l'exécution ou la mise en pratique ; et, pour cela, reprenons notre récit où nous l'avions laissé pour donner connaissance aux lecteurs des diverses proclamations de notre héros, c'est-à-dire 5 heures du matin, au moment où Louis-Napoléon Bonaparte, costumé en Empereur, à la tête de sa bande armée, arrivait près la caserne du 42e de ligne. Comme à Strasbourg les soldats l'attendaient : ici c'est un simple lieutenant, nommé Aladenize qui a fait battre le rappel, qui a fait descendre les militaires dans la cour, qui leur a fait prendre les armes, qui les a alignés, et qui leur a annoncé l'arrivée du prince Louis Bonaparte et de sa troupe, en leur disant que Louis-Philippe a cessé de régner et en les engageant à crier : Vive l'Empereur ! Un instant après Louis Bonaparte et ses partisans, portant un drapeau surmonté d'une aigle impériale, firent leur apparition dans la caserne, le héros de Boulogne fut alors présenté aux soldats par le lieutenant Aladenize. L. Bonaparte leur fit d'abord jeter des pièces de cinq francs pensant les séduire par ce procédé déshonorant. Il fallait qu'il eut un bien grand mépris pour les soldats pour croire, qu'avec quelques pièces de monnaie jetées devant eux, on pouvait leur faire trahir leurs serments ; mais il fut bientôt détrompé ; après cet essai infructueux il leur fit lecture de la proclamation qu'il avait préparée pour eux. Mais ici encore, l'impression qu'il produisit ne fut pas meilleure que celle qu'il avait faite à Strasbourg ; ce jeune homme à l'air embarrassé, aux allures lentes, à l'œil morne, aux traits fatigués, au long nez, à la taille courbée, dont la tenue nullement martiale, n'avait rien de militaire, dont les traits ne rappelaient aucunement ceux de l'Empereur, leur semblait une mauvaise caricature de celui-ci ; sa voix traînante, son accent étranger, sa prononciation difficile produisirent un très mauvais effet sur son auditoire, les soldats le regardèrent avec défiance et se demandèrent, à part eux, s'ils n'étaient pas dupes d'une mystification. Aussi, pour remédier autant que possible à cette mauvaise impression, le lieutenant Aladenize et les officiers qui accompagnaient Louis Bonaparte, leur distribuèrent-ils des proclamations imprimées et de l'argent à pleines mains. Louis Bonaparte leur en donna lui-même, en les embrassant à droite et à gauche, il leur prodigua des promesses d'avancement et de récompenses ; tous les sous-officiers furent nommés officiers, les caporaux furent faits sergents, des soldats remplacèrent les caporaux et tous furent décorés[3]. Les soldats moitié entraînés, moitié séduits par l'argent, les grades et les décorations se mirent alors à crier Vive l'Empereur ! Vive l'Empereur ! Et les insurgés leur répondirent par des cris de : Vive le quarante-deuxième ! Alors le lieutenant Aladenize présenta à Louis Bonaparte le sergent de grenadiers décoré Chapolard, en lui disant : Mon prince, voilà un ancien militaire, un brave à qui il faut une paire d'épaulettes. — Le prince me fit avancer devant la compagnie et me dit, raconte Chapolard, dans sa déposition devant la cour[4] : Mon brave, je-vous fais capitaine de grenadiers. Le sergent Chapolard lui répondit : Prince, je refuse, je ne veux rien. Le grade que le prince venait de lui conférer lui avait de suite fait penser qu'il s'agissait d'un complot contre le gouvernement. Il dit ensuite aux grenadiers : Grenadiers, il s'agit d'une conspiration ; je prends le commandement de la Compagnie ; ne faites que ce que je vous commanderai. Le prince parut fort contrarié de ce que disait le sergent ; il changea de couleur. Pendant que cette scène se passait dans la cour en voici une autre des plus burlesque qui avait lieu à la cuisine du 42e, qui donnera une idée exacte de la manière de procéder des conspirateurs bonapartistes, et qui fera voir quelles sont les passions élevées auxquelles ils s'adressaient. Nous citons textuellement la déposition du grenadier Geoffroy, que nous verrons un peu plus loin blessé par la balle d'un coup de pistolet tiré par Louis-Napoléon Bonaparte. Le 6 août à, cinq heures du matin, dit le grenadier Geoffroy, je faisais la cuisine à la caserne, lorsque des officiers accompagnés de beaucoup de soldats sont entrés dans la cour et, après s'être mis en bataille, ils ont, à plusieurs reprises, proféré des cris de vive l'Empereur ! Je manifestais ma surprise à mon camarade, en lui disant : L'Empereur est mort, il est donc redevenu vivant ? lorsque je vis entrer dans notre cuisine un officier et un sergent décoré, que je reconnaitrais peut-être si je les voyais en uniforme ; le sergent portait une bouteille et l'officier avait le sabre à la main ; tous deux me dirent de boire un coup et de crier vive l'Empereur ! Je leur répondis que je ne buvais pas et que je ne criais pas-vive l'Empereur puisqu'il était mort. L'officier dit alors : puisque vous ne voulez pas boire je vais vous faire boire de force ; dépêchez-vous de vous mettre en tenue et de prendre vos armes, nous avons l'ordre de votre colonel, nous marchons sur Paris ; c'est un officier de chez vous qui commande ; sur ce je me suis habillé et j'ai pris les armes, je suis descendu dans la cour et je me suis mis dans les rangs[5]. On nous raconte que Diogène prenait une lanterne à la main pour chercher un homme en plein jour, dans les rues d'Athènes ; Louis-Napoléon Bonaparte et ses amis, quand ils cherchent des traîtres à leurs serments, prennent un sabre d'une main, et une bourse et une bouteille de l'autre ; ils offrent d'abord de l'or et à boire à ceux qu'ils veulent corrompre et, si ce moyen malhonnête ne réussit pas, ils essaient de l'autre, tout aussi moral, ils emploient la menace, et brandissent leur sabre ; cette double manœuvre coupable résume tout leur talent et contient tout le secret de leur succès en 1851, ainsi que nous le prouverons plus tard. Pendant que ces scènes de séduction se passaient dans la cour de la caserne du 42e, le capitaine Col-Puygellier en fut averti, il s'empressa de revêtir son uniforme, et accourut aussitôt à la caserne, accompagné des deux sous-lieutenants Ragon et Maussion. Ils virent bientôt près, de la porte un groupe d'officiers et de soldats, et un peu en avant deux factionnaires, portant au shako le n° 40, qui leur dirent qu'on ne passait pas ; mais ces trois officiers répondirent que ce n'était pas le 40e qui faisait la police, ils passèrent outre et ils arrivèrent près du groupe qui gardait l'entrée de la cour. Là un officier portant les épaulettes de chef de bataillon s'avança d'un air affable vers le capitaine Col-Puygellier en lui disant : Capitaine, le prince Louis est ici, soyez des nôtres votre fortune est faite. Le capitaine lui répondit en mettant vivement le sabre à la main et en lui manifestant par ses gestes et par ses paroles l'intention d'arriver à sa troupe. Il fut saisi de toute part, plusieurs personnes
s'emparèrent de son bras armé, il poussa et résista de tous côtés pour
arriver à ses soldats. Avant d'y. parvenir, et tout en continuant ses valeureux
efforts, il essaya d'éclairer les conjurés eux-mêmes. On vous trompe, disait-il, apprenez
qu'on vous porte à trahir. Sa voix fut étouffée par des cris de Vive le prince Louis ! Où est-il donc votre prince,
s'écria-t-il à son tour. Alors se présenta à lui un homme de petite taille,
blond et paraissant avoir trente ans, couvert du petit chapeau historique de
l'Empereur, portant des épaulettes d'officier supérieur et un crachat, qui
lui dit : Capitaine me voilà, je suis le prince
Louis, soyez des nôtres et vous aurez tout ce que vous voudrez. Le
capitaine l'interrompit alors et lui dit : Prince
Louis ou non, je ne vous connais pas, votre prédécesseur avait abattu la
légitimité et c'est à tort que vous voudriez ici la réclamer ; je ne vois en vous
qu'un traître... qu'on évacue la caserne.
Tout en s'exprimant ainsi, M. Col-Puygellier continuait ses efforts. Ne
pouvant parvenir à ses soldats il voulut au moins essayer de se faire
entendre. Eh bien assassinez-moi où je ferais mon
devoir, dit-il. À ce moment M. Fialin dit de Persigny, armé d'un
fusil, s'élança sur lui la baïonnette, en avant pour le tuer, fort
heureusement pour le capitaine, M. Aladenize, qui avait entendu la voix de ce
dernier, se précipita à son secours, détourna le coup qui était si fortement
donné, que la baïonnette en frappant contre le mur se ploya en deux. M.
Aladenize fit alors un rempart de son corps au capitaine, en déclarant aux
insurgés qu'il répondait de ses jours et que s'ils le touchaient il se
tournerait immédiatement contre eux. Cette brûlante et vive altercation attira enfin l'attention des deux compagnies du 42e. Les sous-officiers accoururent à la voix de leur chef, ils l'aidèrent à se dégager des mains des conjurés, qui firent un mouvement en arrière jusque dans la rue, mais comme le capitaine s'occupait des premiers soins à donner à sa troupe, n'ayant eu que le temps de lui dire : On vous trompe, vive le Roi ! il vit les insurgés rentrer à rangs serrés ayant en tête le prince Louis, le général Montholon et les principaux d'entre eux. M. Col-Puygellier s'avança de suite au devant d'eux et s'adressant particulièrement au prince Louis, il lui signifia énergiquement de se retirer à l'instant même, ou qu'il allait employer la force, en ajoutant tant pis pour vous si vous m'y forcez. Louis-Napoléon Bonaparte profita alors du moment ou le capitaine se retournait du côté de ses soldats pour leur donner ses ordres, il prit un pistolet dans la poche de son pantalon du côté droit, ajusta le capitaine et lui tira par derrière un coup de son arme ; mais celui-ci ne fut pas atteint à cause d'un mouvement que lui firent faire ses soldats en l'attirant à eux pour qu'il évitât le coup. La balle du pistolet alla alors frapper le grenadier Geoffroy, le même que nous avons vu à la cuisine refusant de boire et de crier vive l'Empereur, elle l'atteignit à la lèvre supérieure du côté gauche, lui cassa trois dents et se logea ensuite dans le cou du côté droit[6]. Après cet exploit le héros de Boulogne, qui n'osait lutter en face avec ses adversaires et qui attendait qu'ils lui tournassent le dos pour leur tirer dessus, battit en retraite avec sa troupe et abandonna la caserne. Mais s'il avait renoncé à tout espoir de séduire la garnison il espérait, du moins, être plus heureux auprès du peuple. Les conjurés se dirigèrent ensuite vers la haute ville, en semant des proclamations et de l'argent, aux cris de Vive l'Empereur ! Ils étaient suivis de beaucoup d'enfants auxquels le prince jetait des pièces de cinq francs neuves à l'effigie de l'Empereur[7]. Louis Bonaparte chercha à s'emparer du château et à y prendre des armes pour les distribuer à la population. Le sous-préfet, M. Launay le Provost, prévenu des desseins des insurgés, alla à leur recherche, il ne tarda pas à les rencontrer et marcha droit à eux en les sommant de se séparer. Ils lui répondirent alors par des cris répétés de Vive l'Empereur ! Louis Bonaparte, qui occupait la place du milieu dans le premier rang, ordonna de repousser le sous-préfet, et de reprendre la marche un instant interrompue, ce qui eut lieu. M. Lombard, porte-drapeau, en passant devant le sous-préfet lui asséna dans l'estomac un coup du fameux aigle d'Austerlitz qui surmontait le drapeau. Ce fut là avec le coup de pistolet tiré par derrière, par Louis Bonaparte, sur le capitaine Col-Puygellier, les deux faits d'armes les plus extraordinaires de cette troupe héroïque. Arrivée vers les portes de la haute ville elle les trouva fermées, ce fut en vain qu'elle essaya de les enfoncer, elles résistèrent aux coups de haches redoublés des conjurés, qui, voyant l'inutilité de leurs efforts, durent encore abandonner cette seconde partie de leur entreprise. En désespoir de cause ils se dirigèrent vers la colonne de la Grande-Armée, et M. Lombard pensa alors que le meilleur usage qu'il put faire de son drapeau était de l'arborer au haut de ce monument, ce qu'il fit bientôt aux acclamations de tous ses camarades et aux cris nombreux de Vive l'Empereur ! Mais la garde nationale réunie à la hâte par le sous-préfet et par son colonel M. Sansot ainsi que la troupe, sous les ordres du capitaine Col-Puygellier, s'avançaient de tous les côtés pour cerner les insurgés ; ces derniers n'attendirent pas leur arrivée, ils se débandèrent et se sauvèrent dès qu'ils les aperçurent laissant l'héroïque Lombard et leur drapeau dans la colonne où le premier fut fait prisonnier par deux habitants de Boulogne, et l'aigle d'Austerlitz ne tarda pas à rouler dans la poussière. Les héros de cette équipée se dispersèrent en tous sens, les uns vers la ville dans l'intention de s'y cacher, les autres vers la campagne où ils pensaient pouvoir échapper aux recherches de l'autorité, et les derniers vers la plage pensant pouvoir regagner leur paquebot. Les premiers, parmi lesquels étaient Louis-Napoléon Bonaparte, le colonel Voisin, Faure, Mésonan, Persigny, D'Hunin, parvinrent à entrer dans un canot qu'ils s'efforcèrent de pousser au large ; ils refusèrent de s'arrêter sur l'ordre qui leur en fut donné, et ils répondirent à cette sommation par un coup de pistolet, alors M. Martinet, juge suppléant,.s'avança dans l'eau et lâcha un coup de fusil qui fut suivi de plusieurs autres tirés par les gardes nationaux et les soldats de la ligne[8]. Le colonel Voisin et le Polonais Owenski furent blessés et le sieur Faure fut tué. Les fuyards, dans leur peur, se jetèrent tous du même côté du canot ce qui le fit chavirer et ils tombèrent à la mer. D'Hunin se noya pendant que les autres parmi lesquels le grand prince cherchèrent à gagner le paquebot à la nage. Mais le commandant du port Pollet les repêcha et les fit prisonniers. Ainsi se termina ce combat naval dans lequel les illustres marins du Château d'Edinbourg, aussi courageux sur l'eau que sur terre, eurent le malheur de perdre deux des leurs. Louis-Napoléon Bonaparte était dans le plus triste état quand on le repêcha ; il était très pâle et il avait tellement peur qu'il ne pouvait ni marcher ni se tenir de bout, un officier de la garde-nationale lui donnait le bras, et de l'autre côté il était soutenu par un jeune homme qui ne s'était pas écarté un seul instant de sa personne[9]. — On raconte que, lors de son arrivée dans le château, il a fallu faire déshabiller Louis Bonaparte par un garde-national, parce qu'il n'avait pas de domestique et qu'il était trop abattu pour se déshabiller lui-même[10] un correspondant de la Presse, du 7 août, raconte qu'il a vu le prince : Il portait, dit-il, l'éternel habit vert, il était sans cravate et tout imbibé d'eau, sa figure était blafarde. Il paraissait accablé : rien de grand, rien de noble dans sa contenance. Un correspondant du Times, du 10 août, disait : Je viens de voir Louis-Napoléon ; le pauvre diable est dans un triste état. Il a manqué de se noyer et les balles l'ont serré de près. S'il en avait reçu une, c'eut été après tout la meilleure fin d'un aussi mauvais imbécile — mischie vous blockhead — c'est flatteur pour Louis Bonaparte, ajoute le journal l'Indépendant de Bruxelles, du 12 août 1840, qui a reproduit ce paragraphe. Il a suffi du commissaire de police Bergeret pour arrêter MM. Parquin et Montholon, et bientôt tous les insurgés, au nombre de 57, furent placés sous la main de la justice. Le général Montholon ne montra, parait-il, guère plus de fermeté que Louis Bonaparte. Voici ce qu'en dit l'Annotateur de Boulogne, du 8 août. Nous l'avons vu dans la cuisine du château seul en uniforme de général, assis sur une chaise de paille les bras tombants, la tête affaissée sur la poitrine, dans l'attitude la plus douloureuse. Voilà l'état dans lequel Louis Bonaparte réduisait ses plus dévoués serviteurs et les compagnons fidèles de son oncle à Sainte-Hélène, par ses équipées ridicules. Le paquebot le Château d'Edinbourg fut aussi capturé : C'est M. Pollet, lieutenant du port de Boulogne, avec un bateau monté par dix hommes seulement, qui accomplit cette prise. Voici en quels termes il la raconte : Avant de pousser au large, je fis cacher les fusils chargés au fond du bateau. En faisant route pour la rade je rencontrai le canot du paquebot à peu de distance de la jetée à l'ouest. Je pensai que ce canot était placé là en attendant des ordres. Alors doublant de vitesse j'abordai le navire et montai sur le pont ; je donnai l'ordre au capitaine d'appareiller aussitôt pour le port ; ce à quoi il se refusa d'abord ; mais lui ayant signifié que mes hommes et moi nous allions exécuter la manœuvre s'il ne la faisait de bonne grâce et l'ayant à diverses reprises menacé d'employer la force, il finit par s'y décider. On voit que la capture du bateau à vapeur, qui avait amené les insurgés, a encore été plus facile que celle de ces derniers, quoiqu'il contint 19 hommes d'équipage, 3 hommes pour soigner les chevaux, et 3 grooms, qui furent tous arrêtés provisoirement et relâchés plus tard. Outre près d'un demi million de valeur en or et en argent, quatre barils remplis de pièces dor de 40 f., le Château d'Edinbourg contenait neuf magnifiques chevaux anglais, un aigle vivant, deux voitures toutes neuves : dont une berline et un fourgon ; des uniformes magnifiques nouvellement confectionnés, sur lesquels se trouvaient inscrits les noms des possesseurs ; 23 ou 24 caisses d'excellents vins, de bière, de guiger-beer, de sodawater et de brandy ; un joli nécessaire de femme, des bobines et des aiguilles ; un album sur lequel le prince Louis avait dessiné le château d'Arenemberg et des paysages et écrit des stences érotiques. Dans des malles et des sacs de nuit on a trouve des vêtements bourgeois tout neufs et très beaux, ils devaient être endossés le soir pour un bal magnifique projeté à l'établissement des banis[11]. Comme on le voit, l'Homme-Providence, qui voit qui sait et qui prévoit tout, comme on le dit aujourd'hui, ne s'embarquait pas sans biscuits, il avait projeté un bal pour le soir, et apporté avec lui un aigle vivant, qui devait voler de clocher en clocher pour annoncer la victoire de son maître ; le vin et les liqueurs occupaient aussi une place importante dans la cargaison du bateau qui portait le nouveau César et sa fortune. Et il paraît que lui et sa légion sacrée leur faisaient le plus grand honneur. On a demandé dans l'instruction au capitaine James Crow, du Château d'Edinbourg, s'il avait remarqué que ces Messieurs aient bu pendant les dernières heures qu'ils ont passées à bord ? — il a répondu qu'ils ont bu énormément, et qu'il n'avait jamais vu boire autant qu'ils l'ont fait, et de toute espèce de vins et de liqueurs ; qu'ils avaient absorbé 16 douzaines de bouteilles de vin, sans compter l'eau-de-vie et les liqueurs[12]. Aussi les soldats du 42me présents à l'attentat ont affirmé que les conspirateurs étaient presque tous ivres. Voilà l'état où se trouvait le petit nombre de braves qui suivaient Louis Bonaparte, et sur lesquels veillait, du haut de la colonne, le génie de l'Empereur qui applaudissait à leurs efforts. Deux jours après son arrestation Louis-Napoléon Bonaparte fut extrait du Château de Boulogne où il était détenu pour être conduit à Ham, ce départ précipité auquel il ne s'attendait pas l'avait vivement ému, ses adieux au général Montholon ont été pénibles, en descendant dans le cour du château, il était au bras du colonel de la garde nationale[13]. Il parait que le héros de Boulogne n'était pas remis de sa grande frayeur et qu'il ne pouvait pas encore marcher seul. Aucune manifestation sympathique ne s'est produite sur son
passage. Le 8 août, il a traversé Amiens ; à six heures et demie du soir ; une population nombreuse, composée surtout d'ouvriers,
l'attendait au passage, son attitude était celle de l'indifférence et de la
pitié : pas un cri n'a été poussé, Louis-Bonaparte avait l'air fort triste ;
il s'enfonçait dans la voiture pour échapper aux regards. La population de
Ham montra la même indifférence que celle d'Amiens elle ne témoigna aucune
sympathie au prisonnier ; la désapprobation était générale[14]. Le 12 août, Louis-Bonaparte fut extrait de la prison de Ham et transféré à la Conciergerie à Paris. |
[1] Nous avons mis 1848 à la place de 1830 puisque c'est la France de 1848 que Louis Bonaparte a détruite.
[2] Voir à ce sujet l'excellente Histoire de l'Invasion de la Crimée, par M. Kinglake, Bruxelles 1864.
[3] Rapport du capitaine Puygellier, du 6 août 1840.
[4] Extrait de la déposition du sergent Chapolard, devant la Cour des Pairs, à l'audience du 29 septembre 1840.
[5] Déposition du grenadier Geoffroy, devant la Cour des Pairs, à l'audience du 29 septembre 1840.
[6] Tout ce qui concerne le coup de pistolet tiré par Louis Bonaparte, et qui a blessé le grenadier Geoffroy, est extrait textuellement de la déposition de ce dernier et en sa présence ; Le premier n'opposa aucune dénégation et se contenta de répondre : Je n'ai rien à dire si ce n'est que je regrette d'avoir blessé un soldat français. Cour des Pairs, audience du 29 septembre 1840.
Voici comment L. N. Bonaparte expliqua devant le juge d'instruction le motif qui le poussa à tirer ce coup de pistolet : Comme tout dépendait, dit-il, de la tentative faite sur les deux compagnies, voyant mon entreprise échouer je fus pris d'une sorte de désespoir ; et, comme je ne cacherai rien, je pris un pistolet, dans l'intention de me défaire du capitaine, et, avant que je voulusse tirer, le coup partit et atteignit un grenadier à ce que j'ai su plus tard. Cour des Pairs ; audience du 15 septembre 1840, rapport de M. Persil.
[7] Annotateur de Boulogne, du 8 août 1840.
[8] Déposition de M. Martinet devant la Cour des Pairs, le 27 septembre 1840.
[9] L'Indépendant de Bruxelles, du 7 août 1840.
[10] Le Globe Anglais, du 12 août 1840. Reproduit par l'Indépendant de Bruxelles du 14 août 1840.
[11] Le journal la Boulonnaise, du 12 août 1840.
[12] Rapport du sous-préfet de Boulogne, du 8 août 1840.
[13] Colonne de Boulogne, du 9 août 1840.
[14] L'Indépendant, journal belge, du 13 août 1840.