LES LETTRES DE PLINE LE JEUNE

 

CORRESPONDANCE AVEC TRAJAN RELATIVEMENT AUX CHRÉTIENS DE PONT ET DE BITHYNIE.

 

 

Lorsqu’en 1634 H. Dodwell fit paraître à Oxford sa dissertation sur le petit nombre des Martyrs[1], il n’était pas encore de mode de nier l’authenticité des pièces historiques ; le débat portait tout entier sur le sens qu’il fallait donner aux textes. C’est selon cette méthode que Dodwell joignait à son travail les citations tirées des anciens synaxaires, de quelques homélies des Pères ; il insistait sur certains passages d’Origène et d’Eusèbe de Césarée, principalement sur les rares édits des Empereurs. Tous ces témoignages une fois discutés, présentés sous un jour favorable à la thèse, l’écrivain, arrivé au terme de sa dissertation, croyait avoir le droit de conclure au petit nombre des martyrs.

Ces procédés de critique paraissent trop superficiels aux savants qui reprennent de nos jours la thèse du petit nombre des martyrs ; grâce à une méthode qui prétend aller au fond des choses et qui pourrait bien s’en tenir tin peu trop aux seuls monuments épigraphiques, on rejette les autres pièces regardées jusqu’à présent comme historiques, ou bien l’on en conteste la certitude. Telle est la marche suivie en France, par quelques contemporains, dans la question de la correspondance de Pline le Jeune et de Trajan relativement aux Chrétiens de Pont et de Bithynie, tels sont en particulier les travaux de M. B. Aubé, professeur de philosophie au Lycée Fontanes et les récentes conclusions de M. Ernest Desjardins, membre de l’Institut de France. Il n’est pas sans intérêt d’esquisser d’abord l’état de l’opinion, dans ces dernières années, au sujet de la célèbre correspondance.

Dès 1862, M. Aubé commençait à s’occuper des origines du Christianisme. C’est à propos de l’histoire de la philosophie, puis de deux études sur saint Justin et sur Constantin le Grand, qu’il a été successivement amené à traiter de nos origines au IIe siècle, ainsi que de tous les événements qui préparent le règne des Antonins. Aux thèses sur saint Justin, et Constantin le Grand ont succédé de nombreux travaux publiés dans une revue qui a cessé de paraître en 1870[2]. A cette époque, M. Aubé n’avait aucun grief contre les lettres de Pline le Jeune et de Trajan, au sujet des chrétiens de Bithynie il en invoquait le témoignage dans la longue préface qui précède sa thèse sur saint Justin, il les traitait avec honneur dans un article sur Tertullien, sa biographie et ses écrits[3]. Mais l’étude, le temps, les circonstances modifient presque toujours nos opinions de la veille. Après sept années de réflexions, au lendemain, dit-on, d’une lecture faite au Collège de France, en faveur de la non authenticité des lettres, M. Aubé publiait sur la correspondance un travail où les doutes exposés n’allaient à rien moins qu’à ruiner l’authenticité de la correspondance de Pline et de Trajan, au sujet des chrétiens de Pont et de Bithynie. Dans un article qui a pour titre : Le Christianisme dans l’empire romain : la persécution sous Trajan, M. Aubé donnait la traduction de la lettre de Pline le Jeune et s’écriait : Plus je lis de près, plus j’étudie cette lettre, plus elle me paraît suspecte, plus il me semble étrange que Pline l’ait écrite, et telle qu’elle est venue jusqu’à nous[4]. Suivait l’exposé des doutes, qui n’est guère qu’une édition expurgée ; une rédaction plus calme clés doutes proposés, à la fin du siècle dernier, par un théologien protestant de Halle. Il ne faudrait cependant pas croire que, dès 1869, M. Aubé se crût établi d’une manière inébranlable, dans la thèse de la non authenticité, car après avoir proposé ses cloutes dans l’article cité, il concluait avec modestie : J’expose ingénument mes doutes. Je n’ignore pas qu’on me dira qu’ils ne sont pas tout à fait concluants, et qu’en pourra me poser un certain nombre de difficultés fort embarrassantes.

M. Aubé a dû être bien agréablement surpris, lorsque, au lieu de difficultés fort embarrassantes, M. Ernest Desjardins n’a pas hésité à accepter sans réserve les doutes émis sur la correspondance. L’honorable membre de l’Institut est allé plus loin : il a fait un mérite au jeune écrivain français d’avoir fixé la critique sur la fameuse lettre de Pline le Jeune, dans le moment même où le récent travail de M. Th. Mommsen paraissait ne s’être pas inquiété de la question. Tout le monde connaît la fameuse lettre classée sous le n° 97 du Xe livre. On peut s’étonner que M. Mommsen n’en ait pas dit un seul mot dans son savant mémoire sur Pline. Un jeune écrivain de talent, M. Aubé, en traitant ce grave sujet avec compétence et savoir, nous a paru guidé par une critique aussi éclairée qu’indépendante. Malgré l’opinion reçue généralement, sans avoir jamais été soumise jusqu’à notre temps à un examen sévère, il ose mettre en doute, par de très fortes raisons, l’authenticité de cette lettre, tout au moins dans la teneur où elle nous est parvenue[5]. L’éloge était trop flatteur pour qu’il ne devînt pas un puissant encouragement pour M. Aubé. Aussi, sans aucun retard, l’auteur de la Persécution sous Trajan a pris confiance dans ses idées ; il a recueilli quelques-uns de ses articles de la Revue contemporaine et les a réunis dans un livre qui s’appelle : Histoire des persécutions de l’Église jusqu’à la fin des Antonins[6]. Dans cette histoire des persécutions, M. Aubé fait une très large place à son étude de la Revue contemporaine sur les lettres de Pline le Jeune et de Trajan ; car, sauf quelques pronoms personnels dont l’auteur ne veut plus se servir, autant pour faire honneur au suffrage de M. Desjardins que par déférence pour la dignité de l’histoire, sauf la nouvelle disposition de quelques membres de phrase et la note mise au bas de la page 218, le chapitre Ve de l’histoire des persécutions est intégralement tiré de l’article de la Revue contemporaine du 15 février 1869.

Je me propose de soumettre à l’examen les travaux de M. Aube, ainsi que les conclusions de M. Ernest Desjardins. Cette étude peut paraître tardive[7] et sans doute inutile, après les travaux de M. Gaston Boissier ; qu’on me permette cependant d’affirmer -que la matière est loin d’avoir été épuisée. Malgré la compétence et l’érudition qu’on peut remarquer dans les articles contemporains, il est encore utile de reprendre cette question de Pline et de Trajan, où la légende a été mêlée à l’histoire ; il n’est pas sans intérêt de déterminer le cadre historique où vient prendre place cet épisode détaché des origines chrétiennes. De plus, c’est seulement après avoir tracé l’histoire du texte et du manuscrit du Xe livre, ainsi que des études élaborées à son occasion, qu’il peut être facile, semble-t-il, d’apprécier à leur juste valeur les critiques des contemporains sur les faits contenus dans la correspondance et sur les témoignages des anciens. On verra s’il est bien vrai, comme le prétend M. Ernest Desjardins, que la question de l’authenticité n’ait jamais été, avant M. Aubé, soumise à une investigation sévère. J’espère qu’à la fin de cette étude, il sera permis de conclure à l’incontestable authenticité des lettres écrites sur les chrétiens de Pont et de Bithynie.

Le sujet, tel que nous l’envisageons, se présente sous un double aspect. Il y a dans les récits répandus sur Pline le Jeune et Trajan, une part de légende, mais il y a aussi une autre part non moins considérable qui appartient à l’histoire. La légende qui s’est attachée à Pline le Jeune et à Trajan, dans le moyen âge, n’a-t-elle pas nui aux faits historiques et à la correspondance au sujet des chrétiens ? C’était la crainte de Fabricius, c’est aussi la nôtre. Je vais donc de prime abord séparer la légende des faits, afin d’avoir, dans la suite, le droit de présenter l’exposé complet et historique de la célèbre correspondance.

— I —

Il faut bien l’avouer, presque rien au monde ne résiste à l’influence de l’imagination populaire ; les faits les mieux établis deviennent souvent l’occasion de fables aussi invraisemblables qu’inattendues. Cette disposition de l’esprit de la foula à tout orner, à tout embellir ; ne fut jamais plus sensible qu’au moyen âge. Cette époque avait le goût des légendes ; elle était active, industrieuse pour arranger de merveilleux récits sur des hommes qui n’avaient jamais figuré au nombre des chrétiens. C’est ainsi que Virgile eut sa légende chrétienne[8] ; un mot de la quatrième églogue avait suffi pour échauffer les imaginations ; c’est ainsi que la femme de Pilate, devenue recommandable par le mot de saint Matthieu[9], mérita de prendre rang parmi les saintes femmes et les prophétesses.

La même célébrité fut réservée aux noms de Pline le Jeune et de l’empereur Trajan. Peut-être suffit-il du récit accrédité sur Pline, qui avouait n’avoir jamais découvert aucune pratique criminelle chez les chrétiens, il suffit peut-être aussi du rescrit de L’empereur Trajan qui avait recommandé une procédure plus douce à l’égard des premiers fidèles, pour que clos chrétiens enthousiastes aient aussitôt inscrit l’un et l’autre de ces personnages, en une place d’honneur parmi les saints et les martyrs. Le premier bruit une fois en circulation dans la foule, il ne fut pas facile d’en arrêter la diffusion. Le proconsul Pline le Jeune fut placé au ciel comme chrétien et bientôt célébré comme martyr ; l’empereur Trajan mérita de ressusciter cinq cents ans après sa mort, afin de se faire instruire de la foi chrétienne et jouir du salut éternel !

La légende de Pline s’appuyait sur les Actes de Zénas le jurisconsulte[10], qui aurait été le disciple de saint Tite, et sur la Chronique de Dexter, une sorte d’encyclopédie historique qui paraît remonter au Ve siècle. Cette chronique racontait en ces termes la vocation de Pline le Jeune au christianisme : Tite surnommé le Juste fut créé évêque.... C’est ce même Tite qui avait converti Pline le Jeune à la foi, lorsque le proconsul se rendait de la province de Pont et de Bithynie dans l’île de Crète, où, sur l’ordre de Trajan, il avait élevé un temple à Jupiter. Assez grand est le nombre de ceux qui croient que Pline subit le martyre à Côme, le sixième jour du mois d’août[11].

Tel est le point de départ d’une fable qui se développe avec les siècles et qui réfléchit à sa surface les vicissitudes des époques qu’elle a traversées. Plus tard, la conversion de Pline le Jeune nous fut racontée avec les détails les plus minutieux. La scène se passe dans l’île de Crète. Un temple que le légat élevait à Jupiter est subitement renversé. Pline tout en larmes et la prière sur les lèvres vient trouver saint Tite qui avait lancé sa malédiction contre le temple de Jupiter. Tite ne voulant user à l’égard de Pline que d’une sévérité tempérée par la douceur, lui ordonne, s’il veut obtenir le pardon, d’ériger un temple en l’honneur du Dieu des chrétiens. La construction achevée, l’ancien proconsul reçoit le baptême avec son fils[12]. On ne se lassait pas de développer la vie de Pline le Jeune et de le suivre dans le cours de ses voyages. En quittant l’île de Prête, il visitait l’Espagne, où il laissait de nombreux monuments de ses bienfaits ; on sait qu’il avait aidé de ses deniers le poète Martial à retourner dans sa patrie[13]. Puis, vers la fin de tous ces voyages, Pline, vieilli et brisé par l’âge, revient à Côme sa patrie, pour y subir le martyre ! car c’est bien lui qui serait désigné dans le Martyrologe romain, sous le nom de Secundus. On lit en effet, au septième jour d’août, dans le Martyrologe : A Côme, passion des saints martyrs Carpophore, Exanthus, Cassius Severinus, Secundus et Licinius, qui eurent la tête tranchée pour la foi de Jésus-Christ[14]. Les noms de ces martyrs seraient, paraît-il, célèbres dans d’anciens monuments des Églises de Milan, de Bergame et d’Aquilée[15]. Ne dirait-on pas que l’histoire de la conversion et du martyre de Pline repose sur les meilleures autorités ?

La seconde légende est celle de Trajan[16], ou pour être plus exact, celle de Trajan et de saint Grégoire le Grand. Cette légende ne peut être antérieure à la mort de saint Grégoire le Grand, qui arriva en l’an 604. Elle prit naissance dans le peuple qui ne pouvait assez exprimer toute son admiration pour l’empereur Trajan et le pape saint Grégoire le Grand. L’un avait couvert la ville de monuments et demeurait enseveli sous la colonne Trajane[17], l’autre avait laissé le souvenir d’une grande autorité morale et d’une vie féconde en bonnes œuvres. Le peuple s’était fait une si grande idée de l’un et de l’autre, qu’il n’avait pu s’empêcher, d’établir, entre ces deux personnages, comme une sorte de parenté. Il n’est pas facile de décider comment se font ces associations dans l’esprit du peuple, comment se comblent les intervalles des temps ; et de quelle manière les espaces sont franchis. En tout cas, voici un récit qui avait cours, au commencement du IXe siècle :

Saint Grégoire se rendait un jour du mont Cœlius à, la basilique de Saint-Pierre, en passant par le Forum de Trajan. Il y avait sur le Forum un groupe on marbre, qui représentait l’empereur Trajan, prêt à partir pour une expédition et sautant à bas de son cheval pour rendre la justice aux prières d’une veuve éplorée. En traversant le Forum, le pontife jeta les yeux sur le sujet du groupe ; il fut pris aussitôt d’une telle abondance de larmes, qu’il ne put s’empêcher de prier pour le malheureux prince, dès qu’il fut entré dans la basilique de Saint-Pierre. Mais voici la merveille ! Saint Grégoire entendit une voix qui lui annonçait que sa prière avait été exaucée et que l’empereur Trajan était délivré des peines de l’enfer.

Le premier récit de, cet événement est attribué à Jean Diacre[18], le biographe de saint Grégoire le Grand ; mais, à partir de Jean Diacre, la légende, en gagnant de proche en proche, jusqu’en Syrie, en Palestine, pouvait-elle ne pas se développer, ne pas s’embellir ? Du IXe au XVe, on dirait que les écrivains se portent un mutuel défi pour inventer quelques nouveaux détails, dire quelque chose de plus ingénieux et ajouter de nouvelles arabesques au récit. Les uns ne savent plus très bien si la statue équestre s’élevait sur le, Forum de Trajan, ou bien à l’entrée du pont de pierre. Chez quelques écrivains, la prière de saint Grégoire est seulement mentale, ou accompagnée de paroles et de larmes ; un ange apparaît ou une voix se fait entendre ; pour d’autres auteurs, l’empereur ressuscité d’entre les morts, est baptisé, puis reçu dans le ciel. Ceux qui trouvaient le changement trop brusque, le faisaient sortir de l’enfer, mais sans le faire monter aux cieux. Encore le Pontife était-il atteint d’une maladie grave, en punition de sa prière imprudente[19]. L’un de ces écrivains qui s’affuble du nom et de l’autorité de saint Jean Damascène, va jusqu’à dire que ce récit est répandu en Orient comme en Occident[20], et l’auteur de la Légende dorée rapporte cette histoire dans un chapitre qu’on pourrait intituler : De la bienfaisance de l’empereur Trajan. Voici les termes du récit de Jacques de Voragine : cc Un jour, il y avait déjà bien longtemps que l’empereur Trajan était mort, saint Grégoire vint à passer par le Forum de Trajan, la mémoire remplie des actes de mansuétude et de justice de ce, prince. Arrivé à la basilique de Saint-Pierre, il ne put s’empêcher de pleurer sur les erreurs de Trajan. Il entendit alors une voix qui venait du ciel : J’ai exaucé ta prière et je délivre Trajan de la peine éternelle, mais à l’avenir aie bien soin de ne jamais m’adresser de prière pour un damné[21]. » Cette, dernière recommandation servait de correctif à une légende qui s’était permis un trop grand écart.

Mais peut-on faire accepter les correctifs par le peuple ? Est-il donc si facile d’enchaîner son imagination ? Les poètes, à leur tour, qui s’inspirent bien souvent des traditions populaires, ne savent pas toujours s’arrêter. Le jour vint où la légende de saint Grégoire le Grand et de Trajan fut consacrée par la poésie. Dante l’a célébrée dans une scène pleine de vie, empreinte des sentiments les plus doux. Il décrit la scène, dans son Purgatoire, comme elle se trouve figurée sur le marbre blanchissant :

Là était représenté le haut fait du guerrier romain dont la grande vertu excita le pape Grégoire à sa grande victoire.

Je parle de l’empereur Trajan : une pauvre veuve saisissait le frein de son cheval, tout en larmes et dans le désordre de la douleur.

Autour de lui paraissait une foule pressée de cavaliers, et au dessus d’eux on croyait voir les aigles d’or s’agiter au gré du vent.

La pauvrette, au milieu de tant de monde, semblait dire : Seigneur, donne-moi vengeance, pour mon fils qu’on a tué, au désespoir de mon cœur.

Et Trajan semblait répondre : Attendez que je revienne ; mais elle, comme une personne dont la douleur est impatiente : Mon seigneur, dit-elle :

Et si tu ne reviens pas ? Et lui : Celui qui tiendra ma place te fera justice. Et elle : Que te servira qu’un autre ait fait le bien, si tu mets en oubli celui que tu dois faire ?

Sur quoi Trajan repartit : Console-toi donc, car il faut que je fasse mon devoir avant de sortir d’ici ; la justice le veut et la pitié me retient ![22]

Telles sont ces deux légendes, qu’il convient d’examiner un instant ; car, si elles ne sont pas l’expression des faits, elles peignent du moins l’âme humaine, et peuvent toujours prétendre à cette part de vérité qui se trouve dans le sentiment et surtout dans le sentiment religieux, celui de tous qui échappe le plus à l’analyse, parce qu’il est le plus intime, le plus profond et le plus universel.

Nous savons ce qu’il faut penser de questions comme celles-ci, au point de vue de l’histoire : Pline a-t-il été chrétien et martyr ? Saint Grégoire a-t-il remporté la grande victoire, a-t-il délivré l’empereur Trajan des peines de l’enfer ? Nous ne rencontrons aucun document digne de foi qui nous permette d’accorder une valeur historique à l’une où l’autre de ces assertions. La conversion de Pline repose tout entière sur les Actes de Zénas le Jurisconsulte et sur la Chronique de Dexter. Nous n’avons rien à dire des Actes de Zénas, ignorés de l’antiquité ecclésiastique et qui font leur première apparition dans le Catalogue des Saints de Pierre des Noëls, vers la fin du XVe siècle ; mais comme on vante souvent la Chronique de Dexter, il n’est pas hors de propos d’en rappeler l’origine, et d’indiquer la grande réserve avec laquelle nous devons accepter ses renseignements.

Il paraît avoir existé, au commencement du Ve siècle, un livre de L. Flavius Dexter que saint Jérôme ne désigne pas sous le nom de Chronique, mais sous celui d’Encyclopédie Historique, comme nous dirions, omnimodam historiam[23]. Ce Lucius Flavius Dexter était de sang noble, et était fils de saint Pacien, évêque de Barcelone. Il avait occupé la charge de préfet du Prétoire et s’était acquis une réputation méritée par la culture de son esprit et ses vertus personnelles. Peut-être avait-il voyagé à Rome, à Aquilée ou à Trèves ; il s’était lié d’amitié avec saint Jérôme. Les relations étaient même devenues intimes, et saint Jérôme, qui venait de se renfermer dans la retraite de Bethléem, n’avait pas refusé aux prières de Dexter d’écrire son Livre des hommes illustres ; la dédicace que lui en fit le saint Docteur montre bien que Dexter n’était pas étranger à la rédaction. Mais, par un échange de services qu’il n’est pas rare de rencontrer chez les hommes voués aux travaux d’histoire, Dexter s’était décidé à écrire sur l’Espagne une esquisse historique, non pour faire montre d’érudition, mais pour informer son ami Jérôme de l’histoire religieuse d’Espagne. Nous savons seulement par conjecture que cet ouvrage devait être consacré aux origines chrétiennes espagnoles. Le livre avait vite acquis une grande célébrité, on savait qu’il était dédié à saint Jérôme ; saint Jérôme le savait aussi ; voilà pourquoi, sans cloute, le solitaire de Bethléem recommandait l’encyclopédie avant qu’elle eût vu le jour[24].

Ce livre de Dexter, dont saint Jérôme fait l’éloge en quelques lignes, bien qu’il ne paraisse pas l’avoir lu, n’était entre les mains d’aucun savant, jusqu’à la fin du XVIe siècle. A ce moment, il se répandit tout à coup la nouvelle qu’on venait de trouver la Chronique de Dexter, dans la bibliothèque de l’abbaye de Fulde. L’auteur et le propagateur de ce bruit était un jésuite espagnol, très versé dans les questions d’histoire et de géographie, mais surtout animé par un sentiment de patriotisme exagéré ; il s’appelait Jérôme Roman de Higuera. Il disait avoir reçu d’un autre jésuite de Worms la Chronique de Dexter et en faisait la description. Cette chronique donnait la nomenclature des événements depuis l’an 1 jusqu’à l’an 430 ; d’autres chroniques étaient jointes à cette première pour la développer et la compléter. Pendant quelques années, la Chronique de Dexter fut en grande faveur, et Nicolas Antonio, l’auteur de la Bibliothèque espagnole, ne peut s’expliquer comment les savants de son pays et les érudits étrangers se sont levés en chœur pour acclamer les fragments de la Chronique[25].

Une copie du manuscrit de Fulde, relevée dès 1594, avait été envoyée en Espagne ; Jean Calderon, de l’ordre de Saint François, s’en servit pour donner à Saragosse, en 1619, la première édition de la Chronique de Dexter ; il y avait ajouté d’autres ouvrages écrits sur te premier modèle et plusieurs commentaires. Dès la préface, Calderon parlait du livre de Dexter avec beaucoup de gravité et ne manquait pas d’exciter le zèle des bacheliers espagnols. Interrogez vos ancêtres d’après Dexter, leur disait-il, et ils vous répondront. Il espérait que la Chronique allait triompher de la résistance de tous ces êtres dégénérés, qui, semblables à des vipères, ne recevaient le jour qu’en donnant la mort à leurs mères[26] ! Sa controverse soulevée à l’occasion de cet ouvrage, ne frit pas facilement apaisée, les luttes recommencèrent avec plus d’acharnement, et c’est en pleine guerre qu’un moine cistercien, François Bivaire, entreprit non seulement de rééditer les chroniques de Calderon, mais encore de les embellir et de les entourer d’un vaste appareil d’érudition[27].

Malgré tous les expédients mis en œuvre pour défendre la Chronique, les jugements des savants n’ont pu lui être favorables ; Bollandus a donné sur cet écrit une appréciation qu’il est difficile d’attaquer, car Bollandus est un critique habile à discerner ces sortes de documents : La Chronique, dit-il, me parait l’œuvre d’un écrivain exercé, mais qui s’est proposé de faire entrer de vive force, dans le catalogue des saints espagnols, des personnages qui n’ont peut-être pas été chrétiens[28]. Fabricius, dans un moment d’humeur, a fait entendre que la Chronique de Dexter ne méritait pas plus de considération due les manuscrits et les lames de plomb trouvés en 1595, dans les grottes de Grenade[29]. Peut-être Fabricius va-t-il trop loin, car, dans ces questions de manuscrits et de textes anciens, bien que l’on ne parvienne pas à constater leur authenticité, il n’est pas toujours facile de déterminer s’il y a eu supercherie et si les pièces ont été forgées à plaisir. A peine, dans des querelles de nation à nation ; est-il permis de supposer que tel détail hagiographique devenait un instrument de polémique religieuse. Chacun des partis pouvait compter ses saints, comme l’on compte ses héros !

Plais c’est trop s’éloigner de l’objet du débat que de vouloir fixer en général la valeur historique de la Chronique de Dexter, il suffit qu’aucun doute ne soit possible sur le, point particulier qui nous occupe. La Chronique de Dexter, qui est la principale autorité invoquée en faveur de la conversion et du martyre de Pline le Jeune, rapporte toute l’histoire de Pline à l’année 220. Or nous savons que le légat de Bithynie était mort un siècle au moins auparavant. Ceux qui ont voulu le reconnaître dans l’un des Secundus de Côme, inscrits au martyrologe du septième jour d’août, oublient que ces Secundus ont pu être des affranchis de Pline le Jeune, désignés selon l’usage, par le nom du chef de la gens. Mais le Secundus qui souffrit le martyre, 175 ans après la mort de Pline le Jeune, sous l’empereur Maximien, ne peut avoir la prétention d’avoir été l’ancien légat de Pont et de Bithynie !

Il n’y a pas eu de conversion ni de martyre de Pline le Jeune ; il en faut dire autant de la résurrection de Trajan accordée à la prière de saint Grégoire le Grand. Les contemporains, les écrivains les plus rapprochés du temps de saint Grégoire,ne savent rien de cette merveille ; saint Grégoire de Tours, le vénérable Bède, Paul Diacre lui-même n’en ont pas entendu parler. Le premier mot en est risqué, à la fin du IXe siècle, par Jean Diacre, qui se fonde sur des documents de l’Église d’Angleterre[30]. Mais ces documents, qui remonteraient au IXe siècle, n’ont pas plus d’autorité que les discours grecs attribués à saint’ Jean Damascène, Les Anglais ont peut-être cru devoir célébrer un grand pape qui avait fait évangéliser leur île, en accueillant bien une légende si glorieuse pour sa mémoire. Quant aux Grecs, qui remportent le prix dans ces sortes de supercheries littéraires, qui savent choisir des noms comme celui de saint Jean Damascène polo abriter leurs fables et leurs inventions, il ne faut pas oublier que pendant la vie de saint Grégoire le Grand, ces mêmes Grecs lui faisaient déjà prononcer des discours dans leur langue, et que le saint -pontife était obligé d’écrire à Eusèbe de Thessalonique : Mais je ne sais pas le grec, et je n’ai jamais rien écrit en grec ![31]

Quoique la question historique n’ait pas besoin d’être posée, il y a néanmoins, dans ce mouvement des imaginations ; une signification morale qui peut servir à expliquer les écarts et les erreurs de la légende. C’est pourquoi il ne faut pas se presser, comme l’a fait Nicolas Cœffeteau, le bel esprit et le conteur spirituel de l’hôtel de Rambouillet, de condamner, avec tant d’aigreur, un récit qui renferme plus d’un enseignement. Il a dit, dans son Histoire romaine : Certes... la fable de ceux qui sans fondement et sans image de raison, l’ont (Trajan) fait sauver par un grand pape, est digne d’être envoyée aux enfers, brûler avec lui[32]. Le mot est joli, mais il est cruel pour les légendes.

Les faits historiques ont sans doute leur valeur, mais les légendes qui ornent et embellissent les grands faits, ressemblent, pour me servir du langage de Pline, aux petites barques qu’on amarre aux vaisseaux de transport, vetut cymbulœ onerariis adhærescunt. Elles ont aussi lotir usage et leur part de vérité ; elles nous peignent l’âme humaine ; et suivant les temps, les habitudes et les préférences de la foule. Le peuple ne, se complaît pas dans les idées abstraites, il aime bien les voir prendre corps et se mouvoir dans des personnages célèbres ; les récits qui touchent à la religion ont toujours le privilège, de l’émouvoir, le merveilleux l’attire[33]. Aussi le peuple est-il infatigable, lorsqu’il s’agit de faire figurer tous ses saints, tous ses héros, dans des peintures qui respirent la vie°et la foi naïve. Il a un culte pour les hommes célèbres de la patrie, il les grandit, il les compare et les rapproche, sans s’inquiéter des temps ni des distances ; il sait que Pline n’a pas voulu traiter les chrétiens d’une manière impitoyable ; le proconsul sera le protecteur de la nouvelle doctrine, il sera chrétien, martyr à Côme ! Ce même peuple entend lire un jour l’histoire d’un soldat[34] ressuscité par saint Grégoire le Grand : ce soldat ne peut être vulgaire, il sera l’empereur Trajan. Ainsi la foule poursuit son idée, ses imaginations avec une énergie qui n’a d’égale que son audace. Pour mettre dans tout son jour la miséricorde chrétienne, l’imagination populaire force les faits, brise les obstacles apposés par le dogme, et nous montre Trajan ravi aux enfers, par l’influence et la prière d’un grand pape[35] !

La légende qui se plaît aux créations et aux situations nouvelles, le comte de Maistre l’a appelée quelque part la vérité dramatique, par opposition à la vérité littérale. Celle-ci contient la vérité toute sèche, tandis que celle-là l’entoure d’agréments qui plaisent infiniment à la foule ; tout le monde est peuple sur ce point, ajoute finement le comte de Maistre, et je ne connais personne que l’instruction dramatique ne frappe plus que les plus belles morales de métaphysique[36].

Je suis loin de prendre parti contre la vérité littérale, mais je cherche à expliquer les écarts de l’imagination populaire, dans la création des légendes. S’il est encore une excuse qu’on puisse faire valoir en faveur de la légende de Trajan et de saint Grégoire le, Grand, c’est qu’en dehors de la préoccupation de donner aux idées une forme concrète, elle témoigne, chez le peuple, du vif désir d’unir le christianisme et l’esprit national.

Trajan et saint Grégoire sont deux Romains par excellence, Trajan est le dernier empereur qui ait donné une nouvelle province à Rome ; il a élevé des monuments, des aqueducs, des temples, des thermes, des statues[37]. Son souvenir était partout, ses inscriptions sur tous les édifices ; aussi Constantin l’appelait-il la pariétaire qui tapisse les murailles, herbam parietariam[38]. Ce même Constantin, lorsqu’il vint visiter le Forum de Trajan, demeura frappé de stupeur et d’étonnement, à la vue des constructions gigantesques qu’on avait pu y élever ; la statue équestre placée au milieu de l’atrium, fut le seul objet qu’il déclara pouvoir et vouloir imiter[39]. L’un des bas-reliefs du socle de la statue était, sans doute, celui qui représentait la rencontre de Trajan et de la veuve éplorée. Tous ces sujets étaient populaires.

Plus tard, lorsque la ville fut gagnée à la religion chrétienne, d’autres grands hommes devinrent aussi l’objet des affections du peuple. Comment le peuple n’aurait-il pas aimé les pontifes qui unissaient le christianisme et l’esprit national, un saint Grégoire par exemple ? Ce pontife s’était montré le protecteur de l’empire contre les prétentions des Lombards, il était patricien, arrière-petit-fils de patriciens, descendant de la noble et ancienne famille des Anicius, qui avait rendu tant de services à la cause romaine. Le peuple qui réunissait dans ses affections les souvenirs glorieux de Trajan et de saint Grégoire, ne tarda pas à leur prêter ses sentiments, et pour donner à ce rapprochement une consécration chrétienne, il faisait monter Trajan au ciel[40] par les prières du pontife suprême[41] !

On a pu le voir, la légende de Pline le Jeune est d’origine espagnole, celle de Trajan est italienne. Les préoccupations politiques jointes à l’imagination populaire ont suffi pour réunir des personnages séparés par le temps, mais rapprochés par le souvenir de leurs bienfaits. Les écarts de la légende chrétienne au sujet du proconsul et de l’empereur, doivent être imputés à l’erreur d’une époque simple et naïve ; mais les rapports réciproques de Pline le Jeune, de Trajan et des chrétiens de Pont et de Bithynie, demeurent intacts, comme je me propose de le montrer dans la suite de cette étude.

— II —

Afin de mieux administrer les pays conquis, Rome les avait divisés en gouvernements qu’elle appelait provinces, depuis la dictature de Sylla ; ces provinces étaient comme les domaines du peuple romain, quo la métropole confiait à des personnages consulaires. Jusqu’à la fin de la République, le Sénat s’était réservé la délégation des gouverneurs de province, il les choisissait dans son sein, et les envoyait avec le titre de proconsuls. Sous Auguste, il dut céder une partie des nominations aux empereurs. II y eut, dés lors, des provinces sénatoriales et des provinces impériales ; ces dernières comprenaient le plus souvent Ies régions frontières. Est-ce comme province maritime ou frontière ou bien parce que l’agitation intérieure y était incessante, que le Pont et la Bithynie devinrent sous Trajan une province impériale ? On ne saurait le décider. Mais ce qui n’est aujourd’hui l’objet d’aucun doute, c’est que Pline le Jeune fut le premier légat envoyé dans la province de Pont et de Bithynie, comme propréteur, titre réservé aux délégués impériaux. L’arrivée de Pline le Jeune, dans sa province, eut lieu, l’année 110 ou 111, comme l’ont établi les travaux du cardinal Norris et de Borghesi, ainsi que la récente étude de M. Th. Mommsen[42].

Le nouveau gouverneur était un homme de cinquante ans, qui avait parcouru avec rapidité la carrière des honneurs. D’abord tribun clos soldats en Syrie, il avait rempli à Rome tontes les charges qui précèdent le consulat. En l’an 101 ; il avait été nommé consul, puis préposé, dans Ies années qui suivirent, aux finances du trésor ou à la Direction des Eaux du Tibre. Comme tous les jeunes Romains qui se destinaient ail barreau, il avait de bonne heure cultivé l’éloquence. Il avait débuté par la carrière des armes en Syrie ; rirais sous les armes, comme sous la toge, il manifestait une grande avidité pour l’étude et recherchait de préférence la compagnie des hommes instruits. Son esprit facile était ouvert pour toutes les connaissances : Comme les champs se plaisent à changer de semences, ainsi mon esprit, disait-il, demande à être exercé par des études variées[43]. Il eut un vrai culte pour la poésie : Je fais de temps en temps des vers un peu légers... il m’arrive quelquefois de rire, je plaisante, je badine, et pour exprimer en un mot tous les plaisirs innocents auxquels je me livre, je suis homme[44]. Il écrivit un assez grand nombre d’ouvrages, des plaidoyers qui n’existent plus, un Panégyrique de Trajan, neuf livres de lettres qui rappellent les Lettres familières de Cicéron, mais surtout un échange de lettres avec l’empereur Trajan, qu’on peut appeler une correspondance administrative.

Les lectures publiques, les conversations avec ses amis, étaient pour lui pleines de charme. Il aimait à rencontrer Tacite, ce modèle si accompli, Suétone son ancien compagnon de tente ; on se livrait alors à des entretiens remplis de finesse, d’urbanité et d’abandon. Il avait une vive affection pour sa famille, et chérissait son épouse, qui se tenait, dans le voisinage, derrière un rideau, pendant les lectures publiques, écoutait avidement toutes les louanges prodiguées au lecteur, et chantait ses vers en s’accompagnant de la lyre[45]. Il aimait à s’intéresser aux affaires de ses amis, surtout aux causes abandonnées, destitutis[46] ; il ne rougissait pas d’être bon pour ses fermiers et ses esclaves, lorsqu’il les rencontrait dans quelqu’une de ses villas, où sa plus grande joie était de partager sa vie entre le repos et l’étude : Partim studiis, partim desidia fruor ![47]

Son esprit avait acquis beaucoup de force dans le silence et la retraite ; il avait appris à méditer et à mettre l’ordre dans ses pensées : Si j’ai quelque ouvrage sur le métier, disait-il, je m’en occupe, je dispose jusqu’aux paroles ; j’ai l’air d’écrire et de corriger[48]. Il avait dû à ses études, à ses fréquentations, à sa famille, de devenir l’homme le, plus éloquent de son temps. Il se déclarait pour la diction abondante, large, impétueuse, semblable à des flocons de neige, c’est là ce que j’appelle, ajoutait-il, une éloquence vraiment divine[49]. Il pouvait tenir la parole cinq heures consécutives[50] ; on le vit tour à tour plaider des causes devant le tribunal des Centumvirs, qu’il appelle son arène[51], devant le Sénat, en présence de César lui-même ! Mais les procès bruyants, les chicanes du barreau D’allaient pas à sa nature tranquille et rêveuse. Aussi, dès ]afin de sa préture, il avait tout mis en œuvre, pour se créer des loisirs : quelques essais de poésie légère, des lectures publiques longuement préparées, des lettres écrites bien souvent avec recherche, telles étaient ses occupations favorites. C’est à peine si, de temps à autre, le Sénat qui voulait mettre à profit la modération et la facilité de parole de l’ancien consulaire, parvenait à. l’engager dans quelque plaidoirie en faveur de la Bétique contre les exactions des gouverneurs, ou lien dans la défense des légats, contre les réclamations incessantes des administrés du Pont et de la Bithynie[52]. Mais, en revanche, une fois que Pline le Jeune s’était décidé à soutenir une cause, il s’y donnait tout entier et n’épargnait aucune étude. C’est grâce à ce zèle que, dans un temps où, de toutes les provinces de l’empire, celle de Pont et de Bithynie était la plus troublée, il avait, depuis bientôt dix ans, appris à connaître le pays, les prétentions des villes libres et des cités qui ne jouissaient d’aucun privilège ; il avait pu pénétrer dans les mœurs intimes de la région. Aussi, lorsque Trajan, qui voulait à tout prix, pour la pacification de cette province, un gouverneur patient et ferme en même temps, eut jeté les yeux sur Pline le Jeune, l’ami de, Tacite et de Suétone n’obéit sans doute pas à ses préférences personnelles, en quittant la ville de Rome, mais comment aurait-il pu décliner une mission de confiance ? Telle est, d’après le recueil de ses lettres, la physionomie de Pline, au moment où il quitte Rome, avec le titre de propréteur.

La province de Pont et de Bithynie avait été taillée dans l’ancien royaume de Mithridate. Elle longeait la mer, depuis la ville d’Apamée dans la mer Egée, jusqu’aux embouchures du Lycus, dans le Pont-Euxin ; ses rivages formaient comme un angle droit qui avait son point d’intersection à l’entrée du Bosphore. La province avait peu de profondeur dans le continent, mais elle confinait à toutes les grandes provinces, à celles de Cappadoce, d’Asie et de Galatie ; les ports de Sinope et d’Amastris s’ouvraient sur le Pont-Euxin ; celui d’Apamée devenait comme le boulevard du commerce de l’Italie, de la Grèce, des îles de l’Asie, et l’entrepôt général des richesses de deux mondes. La région elle-même, pour être resserrée, n’en était pas moins fertile ; plusieurs fleuves, des rivières nombreuses l’arrosaient, les arbres fruitiers couvraient le sol, et dans les entrailles de la terre, on trouvait des mines de sel, des carrières de marbre, et le minerai : de fer qu’avaient exploité les anciens Chalybes[53]. Le commerce ne pouvait donc manquer d’y être très actif, et Pomponius Méla se plaît à dire que, pour conserver la mémoire de l’hospitalité de la région, les voyageurs avaient donné à la mer qui baigne le littoral du Pont, le nom de Pont-Euxin (έυ ξενός)[54]. Quoi qu’il en soit de cette étymologie, les voyageurs affluaient dans la province. Mais les intérêts du commerce n’absorbaient pas toute l’activité de cette population inquiète, avide et toujours agitée. Les marchands de l’Italie et du nord de l’Europe ne se contentaient pas d’échanger les produits du sol contre les richesses ales autres contrées, ils apportaient des nouvelles de tout l’Empire et surtout des régions qu’ils avaient visitées. On racontait les exigences des gouverneurs, on commentait les dernières mesures de rigueur prises par Trajan. L’Empereur, du reste, se montrait inflexible dans l’application de la loi ; il faisait garder à vue les anciens condamnés ; les vieillards mêmes n’échappaient pas aux mesures les plus sévères ; on les employait au soin des bains, aux travaux les plus humiliants, à l’entretien des rues et aux terrassements des grandes routes[55]. Les têtes asiatiques, toujours promptes à s’échauffer, se ployaient difficilement à une administration aussi vigilante ; il se produisait des plaintes, des réclamations, des rébellions partielles, des mises en accusation contre les gouverneurs à la fin de leur mandat ; mais le danger le plus grave et qui méritait d’être promptement conjuré, c’était la formation de sociétés occultes qui pouvaient mettre l’Empire en péril. Le nouveau légat de Bithynie n’avait donc pas seulement à rétablir l’ordre dans les finances de ces villes que Cicéron a appelées les plus paperassières du monde, civitates rerum conficientissimæ, mais il avait surtout à calmer les esprits, à apaiser les mécontents, à réformer de nombreux abus, et celui de tous qui était le plus dangereux, et sur lequel Trajan a le plus insisté, la formation des Hétairies.

A peine débarqué à Ephèse, lorsqu’il se mettait en route pour Nicomédie, Pline le Jeune, comme tous les légats de province, avait eu soin de lancer son édit dans le gouvernement du Pont et de Bithynie et de renouveler les défenses de l’Empereur, au sujet des associations, quel qu’en fût l’objet, Trajan n’avait jamais vu d’un œil tranquille la formation des sociétés secrètes, la confédération de ces hétairies, dans lesquelles il soupçonnait comme des factions en germe. Il ne se fiait pas à toutes ces réunions d’hommes qui, selon lui, ne pouvaient se voir habituellement, longtemps discourir, sans songer aux magistrats, au prince, à un ordre de choses nouveau. Aussi avait-il interdit toutes les corporations à Rome, comme dans le reste de l’Empire, et lorsqu’un jour Pline le Jeune lui écrivit de Nicomédie : Pendant que j’étais en tournée dans la province, un grand incendie a détruit tout un quartier de Nicomédie, plusieurs maisons particulières et deux édifices publics ont été consumés par les flammes... faut-il créer un collège de cent cinquante artisans bien choisis, pour veiller au feu ? Trajan répondit aussitôt : Ce moyen de prévenir les incendies a déjà été proposé. Mais souvenons-nous que cette province et surtout les villes comme Nicomédie, sont toujours agitées par ces sortes de factions. Les réunions s’organisent sous un nom innocent, et mettent en avant un motif honorable ; mais bientôt elles tournent à l’hétairie. C’est l’affaire des propriétaires de pourvoir aux secours et d’étouffer les incendies[56].

Parmi les habitants de la Province, qui étaient poursuivis comme partisans des hétairies, il est temps de signaler les Juifs de la dispersion qui avaient été poussés par leurs destinées providentielles à établir des comptoirs dans le monde entier. Soixante ans auparavant, ils avaient, dans cette région même de Bithynie, préparé les voies à l’Évangile, et formé le noyau de la religion nouvelle. C’était de leur rang qu’était sorti Aquila[57], l’ami si dévoué de saint Paul, et c’est aux judéo-chrétiens du Pont et de la Bithynie, qu’après la persécution de Néron, sain Pierre écrivait l’épître pleine d’énergie et d’espérance où il recommande aux fidèles de ne pas se laisser abattre par la souffrance, et de ne pas désespérer parce que les païens les regardent comme des malfaiteurs et comme un objet d’opprobre, pour le genre humain[58]. De nombreux prosélytes étaient venus donner leur nom à la foi nouvelle, sous les règnes tranquilles de Vespasien et de Titus, et dès les premières années de Domitien. Ils avaient pu célébrer en paix les cérémonies de leur culte, se réunir et se voir pour se soutenir par la prière, s’exciter à l’espérance et se fortifier dans la pratique de toutes les vertus[59]. Ils continuèrent à se réunir, malgré les ordres des Empereurs, dans les dernières années de Domitien et sous le règne de Trajan, car c’est la gloire des premiers chrétiens de n’avoir jamais, même au milieu des persécutions les plus vives, oublié le jour du Seigneur, que les Pères appelaient quelquefois encore de son ancien nom le jour du Soleil[60].

Ces réunions, qui étaient au nombre de deux, se faisaient dans les demeures des particuliers. Les chrétiens avaient bien soin de ne pas attirer l’attention sur le lieu du rendez-vous, qui était peut-être quelque maison écartée des faubourgs. Dans l’un de ses dialogues, Lucien nous a parlé des demeures où se réunissaient les Chrétiens ; voici la description qui en est faite par l’un des personnages du Dialogue : Après avoir dépassé le seuil d’airain et les portes de fer, nous grimpons longtemps dans un escalier circulaire et nous entrons dans une salle toute lambrissée d’or, comme celle de Ménélas, dont parle Homère... Mais il n’y avait pas d’Hélène... je n’aperçus que des gens pâles et défaits, courbés à terre[61]. Pour avoir la pensée de Lucien, qui paraît ne bien connaître que quelques détails, faut prendre le contraire de ses paroles satiriques et pleines d’ironie. L’escalier étroit et tortueux, se trouve bien dans la maison, mais les lambris d’or ne, sont que dans l’imagination du rhéteur. A coup sûr, les réunions se faisaient dans des maisons d’humble apparence.

La première avait lieu avant le lever du soleil, cœtus antelucani. Les hommes, les femmes et les enfants d’un âge encore tendre y étaient admis. On ouvrait la réunion, en récitant des psaumes, des hommes et des cantiques sacrés. Après les psaumes et les cantiques, les fidèles qui avaient reçu le don de prophétie, faisaient entendre des chants improvisés pleins de la foi la plus vive et qui respiraient l’ardeur de la perfection chrétienne[62]. Lorsque les cœurs s’étaient ainsi préparés par une longue action de grâces, par les prières et par les chants sacrés, chacun quittait la sainte confédération, affermi dans la volonté de n’être pas homicide ou voleur, médisant ou envieux, du bien d’autrui, et de s’abstenir de toutes les infamies qui déshonoraient la société asiatique[63] !

On s’assemblait le soir, pour la seconde réunion, peut-être dans la maison d’un autre chrétien, afin de ne pas trop éveiller les défiances des païens. C’était pour célébrer ce que, dès l’origine, on avait appelé les agapes[64]. Ces repas fraternels et d’origine juive[65] avaient lieu, dans la primitive Église, avant la sainte communion ; ils rappelaient en figure cette admirable Cène, qui avait précédé l’institution clé la divine Eucharistie, Les aliments n’y étaient pas recherchés ; ils se composaient de dons offerts avec des intentions pures, par les plus riches d’entre les fidèles. L’Evêque ou quelqu’un de ses délégués présidait les réunions, afin de bénir les tables et de maintenir parmi les fidèles l’esprit de charité, que le zèle pour la perfection pouvait parfois compromettre, comme il était arrivé dans l’Église de Corinthe[66]. De même que la réunion avait commencé par la prière, la prière mettait fin à l’assemblée des agapes[67]. Une hymne ancienne, composée sans doute avec quelques réminiscences des cantiques que faisaient entendre les premiers Chrétiens à leur réunion du soir, mérite de trouver place dans cette étude :

HYMNE DU SOIR.

Lumière joyeuse de la gloire sainte de l’Éternel

Du Père céleste, saint et bienheureux, Jésus-Christ !

Au coucher du soleil, à la dernière lueur du soir,

Nous célébrons le Père et le Fils

Et le Saint-Esprit de Dieu.

Vous êtes digne, à tous moments, d’être célébré par des voix consacrées

Fils de Dieu, vous qui donnez la Vie !

Voilà pourquoi le monde célèbre votre Gloire ![68]

Les chrétiens ne pouvaient donc manquer d’être désignés comme partisans des hétairies, dans un temps où Trajan et ses légats renouvelaient contre les associations les ordres les plus sévères. A ce premier grief des magistrats contra la société nouvelle venait s’ajouter celui qui résultait de l’abandon des temples. Les temples consacrés aux dieux étaient déserts, on ne respectait plus le jour consacré aux anniversaires de l’empereur, on n’offrait plus de sacrifices, et ceux qui se chargeaient autrefois d’élever et d’entretenir lés -victimes pour les sacrifices n’osaient plus entreprendre une charge qui était devenue si peu lucrative. Les chrétiens devaient, par conscience, s’abstenir de toute participation à ces sacrifices ; un grand nombre de païens, n’y prenaient aucune part, simplement par indifférence. On vit bien alors combien saint Paul avait eu raison de reprocher à la société païenne de n’être pas seulement livrée à ses passions, mais encore d’avoir l’esprit perverti, et d’être encline d’une façon presque irrémédiable à croire toujours le mal de ceux qui se disaient chrétiens[69]. Les magistrats, les légats, les empereurs leur imputaient l’indifférence des païens pour les sacrifices ; sous le règne de Néron, on avait pris l’habitude de rejeter sur les chrétiens toutes les calamités publiques ; on l’a conservée depuis ; dès le commencement du n’a siècle, le nom chrétien était confondu avec celui des athées et des impies, et pour mieux exciter les passions populaires contre la société nouvelle, on se plaisait à redire dans tout l’empire qu’ils renouvelaient, à la faveur des ténèbres de la nuit, le festin de Thyeste et l’inceste d’Œdipe[70] !

C’est en mettant à profit toutes ces calomnies, qu’on pouvait sans cesse évoquer contre les chrétiens, et surtout contre eux, l’ancien sénatus-consulte qui interdisait les religions étrangères : Les Ediles sont tenus de ne laisser pénétrer à Rome que les divinités et les cultes admis[71]. On avait pu oublier cette défense au milieu des préoccupations de la politique et des guerres civiles, mais au moment ou le, Christianisme allait paraître, des hommes avisés comme Mécène s’en ressouvinrent et la répétèrent : Il faut bien se garder, disait Mécène, des religions étrangères, elles introduisent des pratiques nouvelles, favorisent les associations et dégénèrent en révoltes[72]. Pour sévir contre les fauteurs de la foi nouvelle, il n’était pas besoin de loi spéciale ; leur crime, c’était d’être chrétien[73], et de ne pas reconnaître la divinité de l’empereur. La foule leur imputait tous ses malheurs, les écrivains en renom les rendaient responsables de l’embrasement de Rome ou les regardaient comme des gens de mauvais œil[74]. Aussi, la procédure contre eux n’était pas compliquée, mais elle était odieuse et nous ne sommes pas surpris qu’elle ait excité l’accent indigné de Tertullien[75], Si le Tibre vient à déborder, si le Nil ne sort pas de son lit : si le ciel semble d’airain, si la terre tremble, s’il y a quelque part une famine, une peste, vite ce cri : Les Chrétiens au lion !

Telles étaient, sur toute la surface de l’empire, les dispositions d’une foule égarée, telles les accusations sans cesse répandues dans les provinces. Pline le Jeune ne put manquer d’intervenir, dès le commencement de son voyage, contre les chrétiens qui étaient déférés à son tribunal. Tout d’abord, le gouverneur n’avait pas conçu de doutes au sujet de la procédure qu’il fallait appliquer à ces nouveaux criminels. Il savait bien comment on jugeait ceux qui tombaient sous la loi de majesté, et les chrétiens, qui se refusaient à reconnaître la religion de l’empire, ne pouvaient manquer d’être regardés comme les premiers coupables. Pline les interrogeait donc, et leur demandait si leur dessein était de persister à refuser le vin et l’encens aux simulacres des Dieux, aux images de l’Empereur. Sur leur obstination inflexible à ne, pas sacrifier, il les envoyait à la mort. Le légat avait appliqué cette procédure sommaire, pendant la première année de son voyage, et il n’en avait éprouvé aucun remords. Mais, lorsque avec le printemps de 112, Pline entra dans le Pont, pour la visite de Sinope et d’Amisus, le nombre croissant des chrétiens qui lui étaient déférés, le plongea dans la plus grande incertitude. Qu’on ne nous accuse pas de prêter à Pline des impressions de voyages qu’il n’aurait pas jugé à propos de nous révéler ; car, nous l’établirons, je l’espère, sa lettre montre qu’il se conduisit comme l’aurait fait un légat porté à la compassion, à la miséricorde. Il se demanda quel pouvait être le crime de ces infortunés, si la procédure qu’il employait était bien la procédure mise en usage dans les régions où les chrétiens étaient en nombre, s’il n’était pas cruel de poursuivre seulement pour le nom, des victimes de tout âgé, de tout rang, de l’un et clé l’autre sexe. Ne pouvant parvenir à résoudre ses doutes par lui-même, il en écrivit à l’empereur, comme il le faisait en toutes circonstances. Trajan lui répondit aussitôt et traça la ligne de conduite dont le légat ne devait pas se départir.

Mais avant de transcrire cette correspondance, je vais jeter un coup d’œil sur le texte des Lettres, et rappeler en quelques mots toute son histoire.

— III —

Je ne m’occupe que du Livre des Épîtres de Trajan, ou, comme on dit généralement, du Xe Livre. Il n’entre pas dans mon sujet de reprendre- l’histoire du texte des neuf livres, de décrire les premières éditions qui furent sans doute faites par Pline lui-même, d’établir l’imitation de cette correspondance par Sidoine Apollinaire et par Aurelius Symmaque ; toutes ces questions sont nettement traitées par les critiques et les philologues contemporains, qui fondent sur trois classes de manuscrits les éditions des neuf livres publiées au XVe siècle[76]. Jusqu’à la fin du XVe, on n’avait connu la correspondance de Pline le Jeune et de l’empereur Trajan, que par une citation un peu libre de Tertullien, dans son Apologétique, il n’était tombé entre les mains des érudits aucun manuscrit du Xe livre. Cependant il y avait des présomptions en faveur de son existence : les Relations de Symmaque, grand admirateur de Pline, faisaient supposer qu’aine correspondance administrative de l’ancien légat lui avait servi de modèle[77] ; une note qu’on a lue sur le Ms. Riccardiani : Les Dix Livres de Lettres de Pline, indiquait qu’autrefois, le dixième livre avait été connu[78]. Il y avait en outre l’autorité des Pères du IVe et du IIIe siècle, et surtout le témoignage de Tertullien.

Mais, au commencement du XVe siècle, au moment où Philippe Béroald l’aîné, faisait paraître à Bologne le texte revu et corrigé des neuf livres des Épîtres, on découvrait à Paris un manuscrit d’une quatrième classe, qui renfermait les neuf livres des Épîtres et la correspondance de Pline le Jeune et de l’empereur Trajan. Les caractères de ce manuscrit étaient si différents de ceux qu’on connaissait alors, qu’il fallait une longue étude polir parvenir à le déchiffrer[79]. C’est la remarque d’Alde Manuce qui fut plus tard le principal éditeur du manuscrit. On ne peut fixer l’époque de ce document, aujourd’hui disparu, mais il nous souvient d’avoir entendu dire au plus éminent des paléographes français, à M. Léopold Delisle, membre de l’Institut et administrateur général de la Bibliothèque nationale, qu’un manuscrit difficile à déchiffrer, pour un paléographe exercé comme Alde Manuce, pouvait bien avoir été rédigé en écriture lombarde, et dès le vie siècle.

L’oubli d’un manuscrit aussi précieux aurait lieu de nous .surprendre, si nous ne savions combien augmenta de jour en jour la difficulté de lire et d’expliquer les ouvrages copiés en Italie, à l’aide des caractères lombards qui furent propres aux copistes milanais. Dans la suite des temps, à l’occasion ries voyages des moines, ou des guerres souvent rallumées, plusieurs manuscrits, transportés d’Italie en France, durent à ce changement de région d’être préservés contre les rapines et la destruction. On ne s’attend pas à ce que je dise vers quelle époque le manuscrit de la quatrième classe fut apporté en France, de Milan ou d’une autre ville ; on n’exige pas non plus due je détermine si le manuscrit fut conservé dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui avait la réputation d’être très riche, en ces sortes de documents. Sur toutes ces questions, les renseignements font défaut et le champ est ouvert aux conjectures.

Ce que nous savons avec certitude, c’est que, vers le commencement du XVIe siècle, l’on trouva un nouveau manuscrit, et la découverte du dixième livre, qui contient la correspondance de Pline et de Trajan, fut un événement presque également considérable pour les éditeurs, les jurisconsultes et les historiens. A peine découvert, le manuscrit fut examiné par deux hommes célèbres dans les questions de philologie, lé Français Guillaume Budé et l’Italien Jean Jucundus de Vérone. Guillaume Budé était déjà préparé à l’érudition par son père, qui était très acheteur de livres ; emacissimus ; les savants de la Renaissance qui connaissaient l’opiniâtreté de son travail, l’appelaient leur Milon[80], Milo in litteris ; il disait plaisamment de lui-même, qu’il avait épousé deux femmes : la philologie et la mère de ses enfants. Guillaume Budé était un savant de premier ordre, l’un des mieux préparés pour porter un jugement sur le nouveau manuscrit, en discuter le texte et en fixer la valeur.

Ce manuscrit avait été découvert par Jucundus de Vérone, religieux dominicain, qui, pendant un séjour à Paris, avait obtenu de Budé de pénétrer dans les bibliothèques de la ville, mais qui ne dut qu’à son propre génie et à la sagacité de son esprit, d’estimer le manuscrit qui tomba entre ses mains et qui contenait la correspondance administrative de Pline le Jeune et de Trajan. Nous possédons un Pline presque entier, écrivait Guillaume Budé ; le manuscrit vient d’être découvert à Paris, par les soins du prêtre Jucundus, archéologue aussi distingué qu’il est habile architecte[81]. Ce Jucundus avait su, par de longues études, des veilles nombreuses, une application infatigable, se former à la lecture des documents anciens. Dès ses jeunes années, il étudie à Vérone ; plus tard, lorsqu’il fait partie de l’ordre de Saint-Dominique, il professe comme maître ès arts ; il voyage à Rome, à Paris, à Venise, partout très curieux de tout ce qui touche aux mathématiques, aux inscriptions, aux manuscrits. Ses connaissances en architecture le font désigner pour achever la basilique de Saint-Pierre de home, car il a été le seul qui ait pu, en face de projets informes, démêler la pensée du Bramante et reconstituer le plan primitif. Au milieu de ses occupations, il trouve du temps pour l’archéologie, son étude de prédilection, et pour cultiver l’amitié des érudits et des savants[82]. On a surtout loué ce que nous appellerions aujourd’hui sa probité littéraire, et comme gage du soin qu’il apporta à l’édition des auteurs anciens, du goût qui le guidait dans les recensions et les corrections de manuscrits, il suffit de citer ce qu’il a écrit lui-même des devoirs d’un bon lecteur de manuscrit : Ce n’est pas assez, dit-il, d’en lire un seul, il faut comparer plusieurs exemplaires. S’il y a des variantes dans les leçons, il ne faut pas accepter celle qui nous plaît davantage, mais préférer celle qui paraît établie par d’autres passages parallèles ; il faut presque prendre l’esprit de son auteur[83].

Vers l’an 1500 ou 1501, Jucundus fut appelé à Paris, par Louis XII, pour jeter un pont sur la Seine. Dans les loisirs que lui laisse la construction du pont Notre-Dame, il fouille les bibliothèques et découvre le célèbre manuscrit. C’était une bonne fortune, dont il fallait vite profiter. Aussi Guillaume Budé et Jucundus de Vérone s’empressent-ils de lire le manuscrit, de le transcrire et d’en préparer des copies, qui contenaient seulement un choix de lettres de Pline et de Trajan. Nos deux savants usaient du concours de Pierre Léander qui était sans doute secrétaire de Jucundus de Vérone. Ce Pierre Léander est peut-être le même qui acquit plus tard, après sa profession religieuse, une si grande réputation sous le nom de F. Albert[84]. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, c’est par les soins d’un savant du nom de Pierre Léander de Bologne, que l’une. des copies du choix. des Lettres fut communiquée à Jérôme Avanzio d’abord, puis une seconde à Philippe Béroald l’aîné, l’un des savants les plus célèbres de l’époque.

Ces premières copies de lettres choisies n’étaient pas très correctes, il gavait des fautes, des négligences ; mais l’écriture avait été difficile à lire, et peut-être les copistes avaient-ils trop cédé à la précipitation. Jérôme Avanzio et Philippe Béroald s’efforcèrent d’effacer les traces de tous ces défauts dans les copies qui leur avaient été communiquées ; chacun de cas savants corrigea son exemplaire, dans la mesure de ses qualités d’esprit et de sa pénétration personnelle. Ces copies ainsi revues et corrigées servirent à établir le texte des deux éditions princeps où l’on offrit au public un choix des lettres de Pline le Jeune et de Trajan, de la vingt-huitième à la soixante-treizième (elles correspondent à celles du dixième livre, que les éditeurs depuis Alde Manuce jusqu’à Keil ont comptées de la Le à la CXXIIe)[85]. Ces deux éditions parurent toutes deux en 1502 et se suivirent à deux mois d’intervalle. Philippe Béroald donna la première à Bologne ; il disait dans sa préface : Voici quelques lettres qui viennent de paraître ; c’est une correspondance entre Pline et Trajan, en un style très laconique qui me paraît d’un grand charme, dans le genre épistolaire... Quoi qu’il en soit, lecteur, faites-leur bon accueil[86]. C’est au mois de mai de la même année que Jérôme Avanzio donna l’édition du même recueil de lettres, à Venise[87]. Bien que ces deux éditions soient de la même année, qu’elles aient paru dans la même région, quoiqu’elles reproduisent les mêmes lettres, le même nombre et le même ordre, elles sont tout à fait étrangères l’une à l’autre.

Les deux éditions ont des ressemblances qui ne s’expliquent que par leur communauté d’origine ; elles reproduisent toutes deux le même manuscrit. Il est facile de le constater en jetant un coup d’œil sur les leçons des deux textes de Béroald et d’Avanzio, dans les lettres relatives aux chrétiens[88]. Quant aux différences qui se rencontrent dans ces mêmes lettres, si Avanzio, par exemple, place en tête de chaque lettre un chiffre que Béroald omet, s’il se produit des variantes dans le texte, il ne faut plus, semble-t-il, les attribuer au manuscrit ou aux copistes, mais à la recension du texte lui-même. Béroald eut la main heureuse dans les corrections qu’il a faites du texte ; Avanzio n’était pas aussi bien préparé[89] ; aussi les savants ne lui ont-ils pas épargné le blâme. La recension des copies à donc pu être faite avec des qualités diverses par Béroald et Avanzio, mais je ne serais pas porté à admettre le soupçon un peu railleur de Gaspard Orelli qui suggère cette explication des variantes : Il ne faut pas trop s’étonner que l’édition soignée de Béroald ait tout à fait échappé à Avanzio ; il y a trois cents ans, l’état de l’imprimerie en Italie était déjà ce qu’il est encore aujourd’hui[90].

L’incrimination dirigée contre les Italiens, comme s’ils ne se préoccupaient pas des ouvrages publiés, est injuste ; parce qu’elle est trop générale. Il ne viendra à l’esprit de personne d’imputer la négligence d’Avanzio à Pius Alde Manuce, qui est aussi un Italien, et qui eut le premier la gloire de publier le dixième livre tout entier. L’événement est important et mérite d’être rapporté avec quelque détail. Que s’était-il donc passé depuis l’an 1502, date des deux premières éditions princeps, jusqu’en l’an 1508, date de l’édition complète d’Alde Manuce à Venise ?

Pendant qu’à Paris, Jucundus de Vérone et Guillaume Budé composaient un premier recueil de la correspondance de Trajan, Alde Manuce prêtait une oreille avide à tous les récits qui arrivaient jusqu’à lui, au sujet de la récente découverte. Cet éditeur, célèbre entre tous, dut à la nature clé son esprit et à un travail assidu, de sonder tous les problèmes d’érudition, de pénétrer dans les questions les plus complexes, de restituer les fragments et de corriger les textes mutilés. Telle est, sur Alde Manuce, l’opinion d’Erasme et des autres érudits qui louaient ses vastes connaissances, en même temps qu’ils étaient admis, dans l’Académie de Venise, aux honneurs de son intimité. Jucundus de Vérone, membre de cette Académie[91], fut l’un des familiers d’Alde Manuce, et je pourrais dire son pourvoyeur de manuscrits.

Dès l’année 1505, Aide Manuce avait reçu plusieurs volumes des lettres de Pline, ainsi que la copie des Lettres choisies transcrites par Jucundus de Vérone. Mais, ce qui l’intéressait plus vivement encore, dès l’année 1507, il avait eu communication du manuscrit lui-même. Alde, Manuce a retracé toute cette histoire dans sa, lettre au chevalier Aloysio Mocenigo[92]. Le chevalier Mocenigo, sénateur de Venise et ambassadeur en France, avait été assez habile et assez recommandable pour se faire confier le célèbre manuscrit, qu’il communiqua à Alde Manuce. Sans aucun retard, vers la fin de 1508, après le laps de temps nécessaire pour déchiffrer un document de cette importance, sur les presses d’Alde Manuce et d’Asulanus son beau-père, on publiait une édition complète des dix Livres de Lettres[93]. A partir de cette édition, on ne put revoir le manuscrit. A-t-il été brûlé, détruit, ou enseveli dans quelque coin de bibliothèque, on ne saurait le dire. Mais il ne peut être permis de concevoir le moindre doute au sujet de l’édition d’une correspondance que des savants exercés, comme Alde Manuce, Philippe Béroald, Jérôme Avanzio, Guillaume Budé et Jucundus de Vérone, ont préparé en tout ou en partie, après avoir fait la recension du manuscrit lui-même, ou de copies certainement authentiques.

A défaut du manuscrit, j’ai eu le privilège d’avoir sous les veux, les trois éditions princeps données en 1502 et en 1508, celles de Bologne et de Venise[94]. Gaspard Orelli n’avait pu consulter l’édition d’Alde Manuce. Mais quel texte faut-il préférer ? Il ne parait pas que l’hésitation soit possible, du moins pour ce qui concerne les Lettres sur les chrétiens. La leçon d’Alde Manuce parait la vraie, et dans la reproduction du texte qui va suivre, on verra bien qu’Alde Manuce a sous les veux un texte très correct et qu’il lit avec une grande sûreté, correctissimum. En choisissant ce texte, il me semble que je suis le conseil de Pline lui-même. Il recommandait à l’un de ses amis de choisir, pour faire son portrait, un peintre très habile, qui peignit d’après nature ; car, ajoutait-il, s’il est difficile de saisir la ressemblance d’après un original, combien ne l’est-il pas plus d’après une copie ?[95] J’applique ces paroles à la célèbre correspondance ; à défaut du manuscrit, je recours aux premières éditions qui sont les plus fidèles, pour établir le texte des deux lettres. Je donne la traduction de ces deux lettres, mais j’ai soin de mettre en regard le texte des éditions princeps et les variantes. Cette traduction est nécessaire pour le débat qui va suivre.

Voici la lettre que Pline le Jeune adressa à l’empereur, de la ville d’Amisus ou de quelque autre localité importante de la région[96].

C’est un devoir, Seigneur, que mes fonctions m’imposent d’en référer à vous dans toutes mes incertitudes. Qui mieux que vous, en effet, peut me tracer une ligne de conduite au milieu de mes hésitations et me former sur les choses que j’ignore ?

Je n’ai jamais assisté à l’instruction des procès contre les chrétiens ; aussi ne sais-je pas sur quoi porte l’information, et dans quelle mesure il convient de les punir. Mon indécision porte sur plusieurs points. Faut-il tenir compte de la différence des âges, au bien doit-on traiter les enfants d’un âge encore tendre, comme les hommes forts et vigoureux ? Le repentir mérite-t-il le pardon, ou bien suffit-il d’avoir été chrétien pour qu’on n’ait rien à espérer, de ne l’être plus ? Est-ce le nom seul, à défaut d’autres forfaits, qu’on punit, ou bien toutes les infamies qui sont inséparables de ce nom ?

En attendant, voici la procédure que j’ai suivie à l’égard de ceux qui m’étaient déférés comme chrétiens. Dans l’enquête, je leur ai demandé s’ils étaient chrétiens. A ceux qui l’ont avoué, j’ai fait une seconde et une troisième fois la même question, en les menaçant du supplice. Quand ils ont persisté, je les y ai envoyés. Quelle que fût, en effet, la nature de leurs aveux, je ne doutais pas que leur persistance et leur opiniâtreté inflexible ne méritassent d’être punies. Parmi ceux qui se livraient à ces folles pratiques, j’ai pris ceux qui sont citoyens romains, pour les envoyer à Rome.

Bientôt, dans la suite de l’enquête, les accusations s’étendirent, comme c’est la coutume ; il se présenta des cas d’espèce différente. On m’a remis un libelle de dénonciation anonyme, contenant une longue liste de noms. Mais les accusés ont nié qu’ils fussent chrétiens ou qu’ils l’eussent jamais été ; ils ont, devant mon tribunal, invoqué les dieux, brûlé l’encens et offert du vin à votre image, que j’avais fait apporter avec les statues de nos dieux, et chose à quoi on rie saurait, dit-on, contraindre des chrétiens véritables, ils ont même maudit le Christ ; ceux-là, j’ai cru bon de les absoudre. D’autres, déférés par un complice, ont d’abord déclaré qu’ils étaient chrétiens, mais ils se sont bientôt rétractés, avouant qu’ils l’avaient été, mais qu’ils avaient cessé de l’être, les uns depuis plusieurs années, les autres depuis plus de vingt ans. Ils ont tous observé les rites devant votre image et les statues des Dieux ; tous ont maudit le Christ.

Du reste, ils prétendaient que tout leur crime ou leur égarement avait consisté dans l’habitude de se réunir, en un jour marqué, avant le lever du soleil, pour chanter ensemble et alternativement des hymnes, en l’honneur du Christ comme d’un Dieu ; de s’engager par serment, non pas d’exercer des pratiques criminelles, mais à ne commettre ni vol, ni violences, ni adultères, à garder leur parole, à ne pas nier le dépôt réclamé. Après quoi chacun se séparait, mais qu’ils se réunissaient de nouveau, pour prendre une nourriture commune, il est vrai, mais innocente ; enfin qu’ils s’étaient abstenus de ces réunions, depuis l’édit par lequel, selon vos ordres, j’avais défendu les hétairies. Pour m’assurer de ce q0 l y a de vrai dans ces dépositions, j’ai cru nécessaire de faire mettre à la question deux filles esclaves, qui passaient pour être employées dans le ministère de leur culte. Mais je n’ai rien trouvé qu’une superstition absurde et poussée à l’excès.

Aussi, j’ai suspendu l’enquête, et je me suis empressé de vous consulter. L’affaire m’a paru digne de vous être soumise, surtout à cause du grand nombre de ceux qui se trouvent en péril. Un grand nombre de personnes ; de tout âge, de toute condition et même de l’un et l’autre sexe, sont déjà et devront être impliquées dans l’accusation. Car ce ne sont pas seulement les villes, mais les bourgs et les campagnes sont infestés de cette contagieuse superstition. On peut cependant arrêter le progrès du mal et y porter remède ; déjà l’on peut voir les temples qui étaient presque déserts, commencer à être fréquentés de nouveau, les sacrifices solennels, longtemps interrompus, reprennent leur cours ; le trafic se rétablit sur l’élevage des victimes, qui naguère encore ne rencontrait que de très rares acheteurs. On peut juger, par là, de la multitude qui peut être ramenée, si l’on fait grâce au repentir.

L’empereur Trajan répondit à son légat :

Vous vous êtes conduit comme vous le deviez, mon cher Secundus, dans les enquêtes que vous avez faites, au sujet des chrétiens qui vous étaient déférés. Car on ne saurait établir, pour ces procès, une procédure unique qui puisse être appliquée en tous lieux. Ne faites pas de perquisitions. Si des chrétiens viennent à être déférés et convaincus, il faut les punir, avec cette restriction toutefois, que si l’accusé nie qu’il est chrétien, et il le prouve extérieurement en adorant nos Dieux, quelque soupçon d’ailleurs qu’on puisse avoir sur son passé, il faut pardonner à son repentir. Les libelles de dénonciations anonymes ne peuvent faire autorité en aucune sorte d’affaires. C’est là une manière d’un pernicieux exemple, et qui n’est pas de notre temps[97].

VARIETAS AVANTIANI

TEXTUS ALDINUS

VARIETAS BEROALDINA

Epistola LXI

(nostra 97)

Solemne

 

extruere

 

 

 

detur

pœnitentiæ

si

cohærenti

 

confitentes

perseverantes

pertinaciam

 

 

 

 

sine auctor

esse se

Christianos

 

thure

 

ad judice

 

plures

 

 

 

 

 

 

 

 

 

rurusque ad

capiendum

 

Et cœras

 

 

pravam immodicam

decurri

 

 

 

 

 

pastumque venire victimarum

PLINUS TRAJANO

De Christianis.

Solenne est mihi, Domine, omnia de quibus dubito ad te referre. Quis enim potest melius uel cunctationem meam regere uel ignorantiam instruere ? Cognitionibus de Christianis interfui numquam, ideo nescio, quid et quatenus aut puniri soleat aut queri. Nec mediocriter hæsitavi, sit ne aliquod discrimen ætatum, aut quamlibet teneri nihil a robustioribus differant, deturne pœnitentiæ venia, an ei, qui omnino Christianus fuit, desisse non prosit. Nomen ipsum, etiamsi flagitiis careat, an flagitia cohœrenti nomini puniantur. Interim iis qui ad me tamquam Christiani deferebantur, hunc sum secutus modum. Interrogavi ipsos, an essent Christiani, confitenteis iterum ac tertio interrogavi, supplicium minatus, perseveranteis duci jussi. Neque enim dubitabam, qualecumque esset quod faterentur, pervinaciam certe, et inflexibilem obstinationem debere puniri. Fuerunt alii similis amentiæ, quos, quia cives Romani erant, adnotavi in urbem remittendos ; mox ipso tractatu, ut fieri solet, diffundente se crimine plures species inciderunt. Propositus est libellus sine. auctore multorum nomina continens, qui negant se esse Christianos, aut fuisse, cum præeunte me Deos appellarent, et imagini tuæ, quam propter hoc jusseram cum simulacris numinum afferri, ture, ac vino supplicarent, præteræ maledicerent Christo, quorum nihil cogi posse dicuntur, qui sunt re vera Christiani, dimittendos putavi.  Alii ab indice nominati, esse se Christianos dixerunt et mox negaverunt, fuisse quidem, sed desisse. Quidam ante triennium, quidam ante plureis annos, non nemo etiam ante viginti quoque. Omnes et imaginem tuam, Deorumque simulacra venerati sunt, ii et Christo maledixerunt. Adfirmabant autem hanc fuisse summam, vel culpæ suæ, vel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem convenire, carmenque Christo quasi Deo dicere, secum invicem, seque sacramento, non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent, quibus peractis morem sibi discedendi fuisse, rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen, et innoxium, quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secundum mandata tua etærias * esse vetueram. Quo magis necessarium credidi, ex duabus ancillis, quæ ministræ dicebantur, quid esset veri et per tormenta quærere. Sed nihil aliud inveni, quem superstitionem pravam, et immodicam. Ideoque delata cognitione ad consulendum te decucurri. Visa est enim mihi res digna consultatione, maxime propter periclitantium numerum. Multi enim omnis ætatis, omnis ordinis, utriusque sexus etiam vocantur in periculum et vocabuntur. Neque enim civitates tantum sed vicos etiam atque agros superstitionis istius contagio pervagata est, quæ videtur sisti et corrigi posse. Certe satis constat, prope jam desolata templa cœpisse celebrari, et sacra sollemnia diu intermissa repeti passimque venire victimas, quarum adhuc rarissimus emptor inveniebatur, ex quo facile est opinari, quæ turba hominum emendari possit, si sit pœnitentiæ locus.

Pli. Tra. S.

 

Solemne

 

excutere

 

 

 

detur

pœnitentiæ

si

flagitia

cohærentia

confitentes

perseverantes

pertinaciam

 

 

 

 

sine auctor

esse se

Christianos

 

thure se vico

 

ad judice

 

plures

 

 

 

 

 

 

 

 

 

rurusque ad

capiendum

 

et cœras

 

 

pravam immodicam

decurri

 

 

 

 

 

pastumque venire victimarum

 

 

 

 

 

causis

 

 

si deferentur

 

uquamvis suspectus in præteritum

auctor

TRAJANUS PLINIO

Actum quem debuisti, mi Secunde, in excutiendis caussis eorum, qui Christiani ad te delati fuerant, secutus es. Neque enim in universum aliquid, quod quasi certam formam habeat, constitui potest. Conquirendi non sunt, si deferantur et arguantur, puniendi sunt, ita tamen, ut qui negaverit se Christianum esse ; idque re ipsa manifestum fecerit, id est supplicando diis nostris, quamvis suspectus in præteritum fuerit, veniam ex pœnitentia impetret. Sine autore vero propositi libelli nullo crimine locum habere debent, nam et pessimi exempli, nec nostri sæculi est[98].

Trajanis Pli. Sal.

 

causis

 

 

si deferentur

 

quamvis suspectus in præteritum

auctor

 

— IV —

Après la lecture de cette correspondance, il semble qu’il n’y ait plus qu’à tirer les conclusions. Il a existé deux lettres qui ont rapport aux chrétiens de Pont et de Bithynie. La première, la quatre-vingt-dix-septième du dixième livre est citée par saint Jérôme, Eusèbe de Césarée et Tertullien ; les mêmes auteurs mentionnent aussi la seconde, la quatre-vingt-dix-huitième du même recueil. Dans la quatre-vingt-dix-septième, le légat consulte l’empereur sur la procédure à suivre à l’égard dès chrétiens de Pont et de Bithynie. Ces chrétiens font preuve d’une inflexible obstination dans leur foi, mais ne paraissent pas mériter le supplice ; dans la quatre-vingt-dix-huitième, l’empereur répond qu’il ne faut pas rechercher les chrétiens, mais qu’on doit cependant les punir, s’ils persévèrent dans leurs pratiques, lorsqu’ils auront été déférés et convaincus. Rien ne paraît plus simple que cette consultation, et la cause est jugée. Car enfin, par quel merveilleux artifice, des lettres, si célèbres danse le monde chrétien, revues et éditées avec tant de soin, auraient-elles pu être supposées, se glisser dans de si nombreux témoignages, et être conservées, à point nommé, dans un manuscrit rédigé en écriture lombarde ! Cependant, des auteurs ont nié l’authenticité de ces lettres ; c’est le petit nombre ; la plupart ont fait des travaux et des études où se trouvent réunis tous les matériaux pour la défense et l’authenticité de cette correspondance ; c’est le moment, avant d’aborder les difficultés soulevées par les contemporains, de rechercher si, dans le passé, il y a eu un examen de ces pièces et si cet examen a été sévère.

le ne me propose pas de démêler les divers sens du rescrit de Trajan, ni d’en examiner la justice et l’équité. Les opinions les plus diverses se sont produites à cet égard, depuis l’Apologétique de Tertullien, jusqu’au Resveille-matin de Benbellona de Godentiis[99]. Les uns, comme Tertullien, ont vu dans le rescrit de Trajan, une réponse vague, confuse et même contradictoire ; les autres, comme Benbellona et tous ceux qui, selon la mode du temps, écrivaient des resveille-matin, ont cherché dans le passé l’occasion de critiquer le présent ; ils ont exalté à l’envi un prince qui frappait les délateurs et savait user de tolérance envers les chrétiens, comme nous dirions aujourd’hui.

Le document important pour nous, c’est la lettre de Pline. Déjà, du temps d’Alde Manuce, des auteurs peu réputés et peu connus avaient attaqué l’authenticité des lettres. Alde Manuce leur adressait quelques mots dans sa, préface : Que ces lettres soient authentiques, disait-il, on peut le prouver de plusieurs manières, mais particulièrement à l’aide de ces arguments : en premier lieu, elles font partie d’un exemplaire très ancien, à la suite des autres lettres que nous avons fait imprimer et qui porté le nom de Pline le Jeune ; en second lieu, elles renferment la consultation de Pline au sujet des chrétiens et la réponse de l’empereur Trajan[100]. En ce temps-là, c’était une bonne note pour la correspondance de renfermer les lettres sur les chrétiens ; c’est aujourd’hui un signe qui les rend suspectes.

A partir d’Alde Manuce, on ne peut énumérer le nombre des auteurs catholiques ou protestants qui ont traité de ces Lettres. Aussi n’est-il pas téméraire d’affirmer que de toutes les questions soumises autrefois à la discussion des savants, il n’y en a pas de plus fréquente, de plus agitée quo celle de la correspondance au sujet des chrétiens. Les savants et les érudits du XVIe siècle ont eu la double gloire de restaurer les écrits de l’antiquité païenne et de tenter la description des origines chrétiennes. On le vit mieux encore, lorsque les premiers éditeurs, les jurisconsultes, les historiens n’eurent rien tant à cœur que d’écrire sur la célèbre correspondance, que de l’enrichir de notes et de la défendre par des discussions aussi savantes qu’elles étaient approfondies.

Les Éditeurs abordent les premiers la question. Il faut voir avec quel art, avec quelle compétence, Catanée, Veenhusius, Longolius savent déterminer la valeur des mots, comme ils décrivent les personnages, les villes et les régions ! Ils sont habiles à suivre la trace des rites anciens ; un texte est-il obscur, ils l’éclaircissent à l’aide d’une disposition du droit civil ; ils restituent des fragments incomplets, font un choix entre les différentes leçons, et savent prendre parti après de longs rapprochements. Catanée de Milan a une science encyclopédique, il peut tour à tour prendre la parole comme jurisconsulte, comme historien, comme grammairien. Voici l’appréciation qu’il met entête de la lettre quatre-vingt-dix-septième : Il semble, de prime abord, qu’on devrait supprimer cette lettre, ou ne lui faire les honneurs d’aucune annotation, car elle est tout à fait contraire aux chrétiens ; mais lorsque je viens à penser que sa lecture peut faire toucher du doigt, tant l’ignorance des Romains persécuteurs de la foi, que l’inaltérable patience des chrétiens sans cesse fortifiés par Jésus-Christ contre le raffinement des supplices, je crois qu’il importe de produire cette Lettre comme un témoignage tout à fait favorable à ce qu’elle reprend et condamne dans les chrétiens[101]. Henri Estienne, s’appliquait à revoir et à corriger toutes les citations grecques qui abondent dans les lettres de Pline ; Veenhusius compilait les travaux de ses devanciers, et Longolius, qui joignait à sa pénétration personnelle les ressources et la richesse des notes de son ami Cortius, eut le mérite de publier un texte avec des commentaires historiques, qui ne saurait être oublié aujourd’hui, même après les travaux de MM. Keil et Mommsen.

Les jurisconsultes rivalisaient de zèle avec les éditeurs ; sur ce terrain, du moins, ils n’étaient plus réduits, ainsi que l’a spirituellement remarqué Erasme, à rouler l’éternel rocher de Sisyphe ? Il suffit de nommer les principaux. François Baudouin écrivait ex professo, un trait sur les Édits des Princes[102]. Les difficultés sont abordées de front ; les vices, asiatiques qu’on rencontre chez les habitants du Pont et de la Bithynie, les hétairies répandues au temps de Trajan sur toute la surface de l’empire, la procédure des Irénarques contre les chrétiens, selon les récits des Actes des Martyrs, enfin la conduite de Pline à l’égard des fidèles de Pont et de Bithynie, d’après la relation de la lettre XCVIIe, tout est étudié avec une parfaite netteté, tout est décrit avec cette précision simple et éloquente qu’on rencontre parfois chez les magistrats de cette époque. Ce n’est que pour mémoire qu’il faut faire mention d’autres écrits composés à l’occasion de la correspondante, et qui sont pleins d’allusions très transparentes aux difficultés du moment ; l’opuscule de Samuel Petit[103] appartient à cette classe ; dans notre style contemporain, nous l’appellerions une conférence. Mais enfin, quels que fussent les ouvrages écrits ex professo ou à l’occasion des deux lettres, il n’était venu à la pensée d’aucun jurisconsulte français de s’élever contre l’authenticité de la correspondance.

Elle attira bientôt l’attention des savants allemands, et l’un d’eux, Conrad Rittershuys, qui écrivait pour deux jeunes princes un traité sur l’empereur Trajan[104], s’était épris d’un bel enthousiasme pour les lettres et les comparait à des perles hors de prix.... gemmas pretiosissimas ! Tous ces travaux préparaient celui de J. Gerhard Vossius, de tous ceux qui avaient précédé le plus savant et le plus complet. Il disait dés les premières pages de son petit traité : « Il n’y a pas de controverse possible sur l’authenticité du Xe livre, et en particulier sur la consultation de Pline au sujet des chrétiens et sur le rescrit de César à Pline le Jeûne[105]. » L’opinion du XVIIe siècle sur la correspondance est dans ce mot de Vossius ; elle demeura la même au XVIIIe siècle, jusqu’à l’année 1788. Dès le commencement du siècle dernier, la question avait été reprise de nouveau, dans la célèbre université de Halle que venait de fonder Frédéric Ier, et pour qu’on ne croie pas que la question se présentât d’une manière purement accidentelle, on peut affirmer que de 1711 à 1788, la lettre de Pline ne cessa d’occuper les érudits, non seulement à Halle, mais à Gœttingue et dans les autres centres universitaires allemands. Böhmer, un professeur de Halle, qui s’est fait un grand nom parmi les hommes habiles dans les questions d’antiquités chrétiennes, n’a pas craint de dire : que la lettre de Pline avait d’autant plus d’autorité qu’elle paraissait de tout point empruntée aux Actes judiciaires[106] !

D’un autre côté, les historiens en France et en Allemagne avaient fait leur profit d’une narration aussi précieuse et l’avaient insérée dans la trame de leurs récits. Cœffeteau s’en servait chez nous, pour faire la description du règne de Trajan, dans la première histoire romaine qui eût peut-être été rédigée en langue française[107], et Laurent Mosheim, que les Allemands ont appelé le Père de l’histoire ecclésiastique, démontrait par une savante exposition des Institutions romaines et chrétiennes, que tous les détails fournis par les deux lettres étaient bien du temps et avaient tous les airs de l’authenticité[108]. C’est ainsi que jusqu’à la fin du XVIIe siècle, éditeurs, jurisconsultes, historiens s’occupaient de la correspondance ; on l’étudiait dans les principaux centres littéraires de l’Italie, de la France et de l’Allemagne. Je demande pardon de ce que peuvent avoir d’aride tous ces renseignements bibliographiques ; mais peut-on se dispenser de les fournir, lorsqu’on se trouve en face d’une assertion comme celle-ci : que l’opinion de l’authenticité de la correspondance reçue généralement n’avait jamais été soumise jusqu’à notre temps à un examen sévère[109] ?

C’est eu vain que des savants d’Allemagne, de France et d’Italie avaient approfondi la question, des hommes tels que Baudouin, Vossius, Böhmer et Mosheim sont exposés aujourd’hui à n’être plus regardés comme des examinateurs assez sévères. Certains critiques paraissent croire, en effet, que pour bien apprécier la valeur d’une pièce historique, il faut commencer par en nier l’authenticité. A ces critiques exigeants, un théologien de l’Université de Halle n’a pas manqué de donner pleine satisfaction ; c’est de Jean-Salomon Semler que je veux parler. Semler était un esprit inquiet qui se -plaisait à tout troubler, à tout mêler, qui mettait bien souvent les rêveries de son imagination à la place de la réalité. Voici le jugement qui a été porté sur lui par un écrivain considérable en Allemagne : Semler peignit sous les couleurs les plus sombres les premières années de l’Église chrétienne.... L’Église qui a perdu son véritable point de départ, n’a plus pour lui, aucun but précis et arrêté. Le développement historique de l’Église se résume simplement dans les tentatives et les aspirations des âmes individuelles vers la liberté.... Semler a été bien plus entraîné par le mouvement qu’il a fait naître, qu’il n’a été capable de le diriger. Ç’a été sa faiblesse et sa punition d’avoir été l’instrument aveugle des tendances... de son époque[110]. En 1771, Semler avait commencé par admettre pleinement l’authenticité des Lettres[111], mais en 1784, il les regardait déjà un peu comme suspectes[112], et en 1788, il les traitait sans respect, d’une manière très vive et très emportée. Stolidissimæ nugæ, disait le professeur à propos des lettres, fraudesque non piæ sed impudentissimæ ! Nous sommes bien loin du temps où Conrad Rittershuys les appelait des perles hors de prix ! Mais ainsi vont les opinions humaines, elles ressemblent aux convives du poète qui ont chacun leurs préférences :

Poscentes vario multum diversa palato.

Le débat une fois soulevé, les partis se formèrent, comme c’était l’usage. Un professeur de Gœttingue, Harversaat, répliquait aux invectives du professeur de Halle[113], et Semler était obligé de publier, selon les besoins de la cause, les fascicules de son Histoire ecclésiastique[114], et d’appeler à son secours, son ami et fidèle disciple, le fougueux Henri Corodi[115]. La lutte était désormais vivement engagée. Semler et Corodi se servaient d’armes de toute sorte ; l’histoire ancienne, ils la remplissaient de préoccupations contemporaines ; les récits douteux ou suspects leur devenaient des instruments propres à ruiner de fond en comble l’authenticité de la correspondance. 

Cette école qui prétendait réformer la méthode dans les études historiques, y apportait, i1 faut l’avouer, un changement aussi radical qu’inattendu. Semler et Corodi firent table rase des témoignages. Des écrivains de l’Église, disaient-ils, comme saint Jérôme, Eusèbe de Césarée et Tertullien, avaient trop d’intérêt à croire vraie cette correspondance entre Pline et Trajan. Ils écartaient donc les témoignages et les remplaçaient par des idées d’antiquité qu’ils se faisaient à eux-mêmes. Il ne suffisait pas d’intenter d’une manière vague un procès aux écrivains ecclésiastiques en général, il fallait surtout décrier Tertullien, un phraseur qui croyait que les légats et les empereurs s’occupaient des chrétiens !

Le principal effort de l’argumentation de Semler portait sur un manque d’harmonie entre les récits de la correspondance et les histoires du même temps. La correspondance ne réfléchissait pas l’image des mœurs chrétiennes et païennes, elle n’exprimait pas non plus la vraie physionomie de Pline le Jeune. C’est la première fois, s’écriait Semler, qu’on nous fait une pareille histoire des païens et des chrétiens et de leurs rapports réciproques. Au second siècle, les chrétiens n’étaient pas si répandus, ils étaient en tout petit nombre. Et les païens étaient-ils donc si farouches à l’égard des chrétiens ? Peut-on citer une seule loi portée contre les chrétiens ? Les magistrats des villes et des provinces n’étaient-ils pas très accommodants ? En outre, dans la correspondance, c’est surtout le caractère de Pline qui est en défaut. Si des lois avaient été en vigueur contre les chrétiens, comment Pline, un jurisconsulte si distingué, aurait-il pu ignorer les procédures en usage ? aurait-il pu écrire : Je n’ai jamais assisté aux causes des chrétiens ? Mais, détail plus important encore, comment supposer qu’un légat aussi fidèle que Pline eût laissé près d’une année s’écouler avant de s’enquérir, auprès de l’empereur, de la conduite à tenir, dans un péril si pressant, suspendu comme une menace sur des personnes de tout âge et de tout sexe ?... La correspondance ne cadre donc ni avec l’époque de Pline, ni avec le caractère du légat de Trajan.

Enfin, de peur qu’il ne reste quelque chose debout dans les lettres de Pline et de Trajan, Semler fait la critique du style, où il trouve une langue toute liturgique, toute chrétienne, et non pas le vocabulaire d’un Romain. C’est quelque montaniste, disait-il, qui a dû écrire : crimen, carmen, sacramentum, periclitari ; cette langue là n’était pas de la connaissance d’un homme de lettres et d’un proconsul ! Tout cela est dit avec amertume, ironie ; les attaques sont pleines de véhémence, les allusions de mauvais goût ; c’est l’homme d’une autre église, l’ardent sectaire.

Les attaques de Corodi et de Semler ne purent tenir contre la réfutation de A. C. Haversaat. Ce dernier, professeur à l’Université de Gœttingue, reprit la thèse de l’authenticité avec un si grand avantage, que, dès ce moment, la question parut épuisée et la cause gagnée. Les éditeurs de ce siècle, Gierig[116], Orelli[117] et Keil[118], ont tous admis l’authenticité de la lettre XCVIIe, et M. Mommsen lui-même dans sa dernière étude n’a pas songé à la mettre en doute. En parlant des lettres envoyées du Pont, M. Mommsen s’exprime ainsi : On trouve dans cette série les fameuses lettres concernant les chrétiens ; elles ont donc probablement trait à Amisus, ou à des localités voisines, quoique la demande de Pline et la réponse de Trajan aient une portée plus générale[119].

Au moment où M. Mommsen donnait ses conclusions, MM. Aubé et Desjardins reprenaient la thèse de Semler. Quoique les deux écrivains français répudient la véhémence de Semler, et exposent leurs difficultés sous une forme pleine d’atticisme et d’urbanité, il n’est pas sans intérêt de rapprocher les arguments de Semler et de Corodi de ceux de M. Aubé. Quelle que soit la nature des ressemblances qui existent entre M. Aube et Salomon Semler, M. Ernest Desjardins sera certainement bienheureux d’apprendre que tous les cloutes récemment proposés avaient déjà été mis en ordre et présentés avec une grande force dès la fin du XVIIIe siècle. Il ne me reste plus qu’à examiner et à discuter l’argumentation de M. Aubé.

— V —

M. Aubé a donc essayé d’ébranler l’authenticité de la correspondance ; il a exposé ses doutes dans quelques pages de sa récente Histoire[120]. Avant de faire connaître l’opinion de cet écrivain et d’en discuter la valeur, je dois faire un aveu : je crains de ne pas reproduire assez fidèlement l’argumentation de M. Aubé. Je ne dirai pas que j’entreprends la, discussion avec un adversaire souple, habile, qui porte son coup et qui se dérobe, mais quiconque voudra lire, dans l’Histoire des persécutions, l’exposé des doutes de l’auteur, sera frappé de la manière dont toutes ses preuves s’entrelacent, combien le professeur est habitué à reprendre en sous-œuvre, et d’une manière peu scolastique, une longue suite de mineures, à les gonfler de considérations inattendues qui rompent soudainement le fil logique des idées pour les lecteurs qui ne sont pas accoutumés à tous ces artifices de langage. Ces procédés oratoires, quelquefois remplis d’une ironie contenue, font songer aux passes d’armes étincelantes ; elles peuvent être favorables aux agréments du style, à ce qu’on appelle l’intérêt du sujet, mais elles compromettent singulièrement la clarté et la précision de la pensée, dans une étude de critique historique.

Ces réserves faites, tous les doutes de M. Aubé peuvent être résumés dans ces deux propositions. Pour prouver que la lettre de Pline est authentique, il faut que les faits énumérés cadrent de tout point avec le caractère connu de l’auteur ; il est nécessaire que les témoignages des anciens et surtout celui de Tertullien soient irrécusables, et que l’auteur qui nie la valeur de ces témoignages ne soit pas responsable des difficultés qui pourront lui être faites au sujet du style des lettres, par exemple. Ces propositions, il est vrai, ne sont pas exprimées sous cette forme par M. Aubé ; mais elles existent dans son esprit, puisque, avant de conclure à la non authenticité, il démontre que les deux conditions énoncées ne, sont pas remplies. En d’autres termes, M. Aubé fait successivement la critique des faits et la critique des témoignages ; et c’est dans cette dernière qu’il essaye de se dégager de la responsabilité des difficultés fort embarrassantes qui pourront lui être faites, surtout à propos de l’auteur de la correspondance. Faisons avec M. Aubé l’examen séparé de chacune des deux questions qui renferment tout le débat, et pour ne pas nous répéter, indiquons, à l’occasion, de quelle manière M. E. Desjardins souligne et ponctue quelques-unes des attaques de M. Aubé.

Tout d’abord, M. Aubé prétend que les faits de la lettre quatre-vingt-dix-septième du Xe livre ne répondent pas au caractère de Pline le Jeune, de Pline jurisconsulte. Comment ! s’il y a des tribunaux à Rome pour juger les chrétiens, ce sont des tribunaux qui existent au temps de Pline, où l’on applique une procédure déterminée, et Pline, un jurisconsulte si célèbre, si habile, ne connaît pas la forme des jugements qui est en usage ! Pline est jurisconsulte et il ne voit pas la contradiction qu’il y a à s’enquérir si le nom chrétien seul est un crime ou bien les forfaits inséparables de ce nom ! Pline est un légiste, un homme de sens ; et il écrit que l’obstination et l’inflexible entêtement à avouer quoi ?il n’importeméritent à eux seuls le supplice ! — Les faits ne cadrent pas avec le caractère de Pline païen. L’envoyé de Trajan n’est pas le pieux néophyte créé de toutes pièces par l’imagination crédule du moyen âge, il ne peut être favorable à la cause des chrétiens, et doit s’exprimer, au sujet de la religion nouvelle, comme ses amis Suétone et Tacite. Enfin, Pline est gouverneur de province, et s’il avait, comme il est à croire, la conscience de ses devoirs, il ne pouvait attendre la fin de sa délégation pour entretenir l’empereur d’une question si grave et d’un intérêt si général, puisque cette superstition contagieuse aurait envahi les bourgades et les campagnes ! D’ailleurs, le fait de la propagation si rapide du christianisme, dans le Pont et la Bithynie, n’est nullement établi. On ne peut l’expliquer parla prédication de saint Paul, et il est combattu par le témoignage d’Origène, qui affirme que les chrétiens étaient en tout petit nombre, de son temps, πάνυ όλίοι, aussi bien que par la persistance des habitudes païennes en Orient comme en Occident. Les lettres quatre-vingt-dix-sept et quatre-vingt-dix-huit du Xe livre ne font donc pas corps avec la correspondance du gouverneur, et, si on les supprime, personne ne doutera qu’il y ait le moindre vide ou la moindre lacune. — Ainsi, la critique des faits contenus dans la lettre de Pline le jeune à Trajan, amène M. Aubé à conclure que cette lettre n’est ni d’un jurisconsulte comme Pline, ni d’un païen, ni d’un gouverneur de province, et M. E. Desjardins, qui souscrit à toute cette argumentation, insiste principalement sur la qualité de gouverneur de province, pour montrer que la négligence de Pline le Jeune serait inexplicable, s’il était vrai qu’il eût révélé si tard à l’Empereur, et par une seule lettre, l’accusation portée contre tant de chrétiens.

Reprenons maintenant les conclusions de M. Aubé, et voyons s’il est aucun des faits invoqués à l’appui de sa thèse, qui puisse empêcher Pline d’être l’auteur de la lettre. Souvenons-nous bien que Pline jurisconsulte, païen et gouverneur de province ne saurait avoir écrit la lettre quatre-vingt-dix-sept. Et d’abord, pourquoi s’abandonner à une émotion si profonde à propos des tribunaux où l’on jugeait les causes des chrétiens ? pourquoi vouloir à tout prix connaître les noms des juges, les forums ou les basiliques où ils siégeaient ? M. Aubé éprouve-t-il donc tant de répugnance à se convaincre qu’il n’y avait pas de tribunaux d’exception, de procédures spéciales pour les causes de ces hommes qui étaient odieux au genre humain et à qui l’on faisait une réputation de malfaiteurs ? Les chrétiens qui habitaient l’Aventin ou les cimetières voisins de la porte Capène étaient de trop petites gens, pour provoquer une législation particulière. Le droit commun suffisait, et l’on se souvient de l’application sommaire que Néron avait su lui donnera Son exemple ainsi que la haine publique attachée au nom chrétien, ne servirent pas peu à dicter, pendant de longues années, les décisions qu’avaient à rendre, dans ces sortes de causes, les préteurs urbains ou les magistrats de province. Il n’est donc pas téméraire d’affirmer que si Pline avait pu connaître les chrétiens, avant sa légation en Bithynie, c’était plutôt à l’amphithéâtre des Flaviens qu’au Forum d’Auguste ou à celui de Trajan.

Ne serait-ce pas, du reste, trop exiger de Pline, que de l’astreindre après coup à s’être tenu au courant de toutes les causes, et même des plus minimes, comme étaient celles des chrétiens ? Le recueil de sa correspondance nous donne dé tout autres renseignements sur ses habitudes d’avocat. Du jour où il commence à plaider, dans les premières années du règne de Domitien, ou peut-être même sous Titus, jusqu’à son départ pour la Bithynie, nous savons dans quelles circonstances il prend la -parole. Il plaide surtout devant les centumvirs[121], dans la basilique Julia, et s’y occupe d’affaires de succession. Il parcourt au pas de course la carrière des honneurs. Il ne parle pas pendant son tribunat, il emploie le temps de sa préture à organiser les jeux ; les grands procès qu’il soutient devant le sénat, sont des mises en accusation contre ses prédécesseurs de Bithynie, ou bien des défenses pour les habitants de la Bétique. Dès l’an 96, il aspire au repos et jouit de plus eu plus de la société de ses amis. Il est donc bien à craindre que M. Aubé n’ait voulu faire à Pline une légende de jurisconsulte, comme le moyen âge avait fait une légende de pieux néophyte à l’ancien légat de Bithynie. Un gouverneur qui, pendant son tribunat militaire en Syrie, s’est fait donner une place de comptable dans la légion, s’est créé des loisirs pour suivre les leçons des philosophes de la contrée, et nouer avec eux des relations intimes, qui, chargé de, la préfecture du Trésor de Saturne, passe son temps à polir des compositions pour les lectures publiques ou à donner les éditions de ses premiers livres de lettres, qui marque son consulat par la publication de quelques pièces de poésie, à la grande stupéfaction de ses amis qui n’en reviennent pas de rencontrer un consulaire de quarante ans dans les sentiers de Catulle, qui gémit, dans son gouvernement, d’être enchaîné par mille entraves, et qui soupire après le moment de rompre ses liens, O quando hos laqueos, si solvere negatur, abrumpam ! Ce gouverneur n’est pas ce jurisconsulte consommé, ce légiste accompli dont M. Aubé se plaît à nous faire un Antoine ou un Scævola[122]. Il faut avouer sans doute que Pline s’était formé à l’étude du droit, aux exercices du barreau, comme c’était l’habitude de tous ceux qui se destinaient à la carrière des honneurs. Mais laissons donc là, le jurisconsulte profond, éminent, et voyons, dans Pline le Jeune, le rédacteur de la lettre, c’est-à-dire le Romain qui peut demander, sans se contredire, si les chrétiens doivent être poursuivis pour le nom qu’ils portent, dans un temps où Tertullien nous apprend que leur nom est leur seul forfait[123], voyons l’homme officiel qui ne s’inquiète pas plus des confessions des chrétiens que ne l’avait fait autrefois Gallion le proconsul d’Achaïe[124], et qui punit tous ceux qui persistent à ne vouloir pas sacrifier aux dieux de l’Empire.

Ajouter que Pline païen doit s’exprimer comme ses amis Tacite et Suétone, et ne rien dire qui soit favorable aux chrétiens, c’est affirmer que la calomnie une fois en possession, la vérité ne pourra jamais conquérir ses droits, que les témoins oculaires des événements sont toujours obligés de les apprécier comme ceux qui n’en jugent que sur les rumeurs exagérées d’une foule aveugle et haineuse, qu’un homme du monde, doux, humain comme l’est Pline d’après M. Aubé, doit avoir, aussitôt qu’il s’agit de la religion nouvelle, une humeur sombre comme Tacite, ou prendre le ton volage et ironique de Suétone. Alors, il ne s’agit plus seulement d’expliquer comment la lettre a pu être écrite, mais tout le christianisme est en cause : comment s’est-il propagé, établi, affermi dans le monde ? Car enfin, pourquoi Constantin ne tenait-il pas le même langage que Galère, et pourquoi Théodose ne suivait-il pas les mêmes errements que Julien l’Apostat ?

M. Aubé et E. Desjardins insistent : si la lettre n’est pas supposée, si, au moment de la légation de Pline, le christianisme avait pu se répandre en Bithynie, au point d’envahir les bourgades et les champs, et de rendre les temples déserts, le gouverneur de la province a été d’une négligence inexplicable ; n’aurait-il pas dû, dès son arrivée dans la province, saisir l’Empereur d’une question de cette importance. MM. Aubé et E. Desjardins semblent se méprendre sur la procédure de Pline, à l’égard des chrétiens. Le propréteur, à peine arrivé en Bithynie, visite son gouvernement. On lui défère des chrétiens ; il les punit, s’ils avouent qu’ils sont chrétiens, et surtout s’ils s’obstinent à ne pas sacrifier. Le légat n’a d’abord aucun scrupule, car il est armé de la loi qui interdit le nom chrétien et la confession de la foi nouvelle. Mais, lorsque Pline arrive dans le Pont, qu’il aborde à Amisus, son âme s’émeut à la vue du nombre de ceux qui sont compromis ; les doutes commencent à naître dans son esprit sur la régularité d’une procédure qui doit être appliquée à presque toute la province ; comment s’y prend ou ailleurs, dans les régions où les chrétiens sont en nombre ? Il en réfère à l’empereur. Quoi qu’il en soit de la conduite de Pline, le christianisme avait été prêché en Bithynie depuis plus de soixante ans. Saint Paul n’avait pu y pénétrer, comme le rapportent les Actes des Apôtres[125] ; mais saint Pierre l’avait évangélisée[126] avant la persécution de Néron, et les lettres qu’il leur adresse, vers la fin de sa vie, témoignent du nombre des convertis et des liens intimes qui s’étaient établis entre les fidèles du Pont et de Bithynie et le chef des Apôtres. Cette prédication s’était faite dans les bourgades, dans les champs, comme dans les grandes villes. Elle n’était pas le résultat d’un programme tardivement introduit dans le christianisme ; dès les premiers jours qui suivirent la Pentecôte, les Apôtres avaient visité les villages des Samaritains et les bourgades de la Palestine[127], l’Évangile n’avait pas cessé d’être annoncé aux pauvres, aux ignorants, et quelques années après la légation de Pline, saint Justin pouvait, sans craindre d’être démenti, prononcer ces paroles que M. Aubé doit bien connaître : Il n’est pas une seule race de Grecs, il n’en est pas une de barbares, qu’on les appelle Scythes qui voyagent sur des chars, Nomades qui n’ont pas de demeures, Sabéens qui paissent des troupeaux et qui habitent sous la tente ; non, il n’en est pas une seule qui n’offre maintenant, par la médiation de Jésus le Crucifié, ses prières et ses actions de grâces à Dieu le Père et le Créateur du monde[128]. Les paroles da saint Justin s’appliquent aux chrétiens de la Grèce comme à ceux de l’Orient. Mais on objecte le texte d’Origène : — Les chrétiens n’étaient qu’une infime minorité, en Bithynie, comme dans le reste de l’Asie. — L’autorité du grand nom d’Origène vaut la peine qu’on s’y arrête un instant. Dans le passage cité par M. Aubé, Celse a demandé aux chrétiens ce qu’il arriverait si tout l’Empire embrassait la foi nouvelle, adorait le Très Haut ? Avant de répondre, Origène rappelle les paroles de Notre-Seigneur en saint Mathieu (XVIII-19) où il est question des prodiges que peut obtenir la prière commune, puis il ajoute : Dieu se plait en la concorde des êtres doués de raison, mais il abhorre les dissensions. Quelle ne serait donc pas sa joie, si, au lieu d’un peut nombre, comme aujourd’hui, l’Empire romain tout entier vivait dans cette union divine ?[129] Les chrétiens sont toujours une minorité, lorsqu’on les compare aux habitants du monde entier. Les expressions un tout petit nombre, comme aujourd’hui se rapportent, dans Origène, à un terme de comparaison, tout autre que celui de M. Aubé. Non seulement Origène ne dit pas que les chrétiens de la province de Pont et de Bithynie fissent à peine nombre, mais il n’affirme même pas d’une manière absolue que les chrétiens fussent en tout petit nombre en Asie. Dans la pensée de l’apologiste, qui voudrait voir le nom de Dieu partout glorifié, les chrétiens ne sont en petit nombre que si on les compare à l’Empire romain tout entier. Du reste, si l’on veut se convaincre de l’opinion d’Origène sur la propagation du christianisme en Asie, de son temps, il suffit de se reporter au livre III contre Celse. Cet habile antagoniste des chrétiens vient de leur dire : Votre trop grand nombre vous nuit, vous ne vous accordez plus, tous ne formez partout que des factions ; encore, si vous étiez le petit nombre du commencement !Sans doute, répond Origène, les chrétiens étaient en petit nombre dans le commencement, surtout si on les compare à la multitude de la suite, quoiqu’aux temps apostoliques, ils ne fussent pas déjà en si petit nombre[130]. Il n’est pas possible que M. Aubé ait connu le texte du livre III, et qu’il soit venu ensuite avec une pleine sécurité opposer le πάνυ όλίγοι ; car ne serait-il pas bien étrange qu’après l’affirmation du livre III, Origène eût appliqué au même terme de comparaison le πάνυ όλίγοι, du livre VIII[131] ? — Enfin, pour soutenir la thèse du petit nombre des chrétiens, en Bithynie, peut-on insister, en disant que les mœurs païennes luttèrent longtemps en Occident et en Orient contre la doctrine nouvelle ? Si M. Aubé prétend seulement établir par là que le christianisme, bien que répandu dans le monde entier, trouva longtemps encore des foyers de résistance, que le paganisme eut de temps à autre ses reprises d’armes, comme il les a encore aujourd’hui, sous d’autres formes, personne ne peut y contredire.

Cette question incidente résolue, il est aisé de se convaincre que les faits relevés dans la lettre par M. Aubé, n’empêchent pas Pline de l’avoir écrite ; il est d’autres faits contenus dans ce même document qui indiquent, qui réclament comme le rédacteur de la lettre quatre-vingt-dix-sept, Pline le Jeune, le Romain et le gouverneur que nous connaissons. Ne nous occupons pas, en ce moment, du style, puisque l’auteur de l’Histoire des persécutions avoue que la lettre est du meilleur Pline, qu’on ne peut, dans la liaison des idées, surprendre la main d’un faussaire, ajoutons même que dans cette lettre, comme dans toutes les autres Pline, est fidèle à son caractère : il consulte, il questionne, c’est un devoir consacré par l’usage, imposé par sa charge, solenne est. — N’insistons pas trop sur d’autres détails, par exemple, que c’est bien un Pline païen, gouverneur de province qui fait mettre en réserve, pour les envoyer à Rome, les citoyens romains qui se donnent à ces folles pratiques, qui s’adresse à des apostats, pour avoir des renseignements sur les réunions du jour et de la nuit, qui met à la torture de pauvres esclaves, des femmes[132], afin de les forcer à faire des révélations !

Mais il est un signe incontestable qui permet de reconnaître, dans le ton et dans les faits de la lettre, un Païen renfermé dans sa routine, un Romain d’uned6f1ancetoujours excessive quand il s’agit des rites : c’est le soin exclusif du gouverneur, dans ses enquêtes, dans ses interrogatoires, à sauver seulement les dehors. Un faussaire chrétien, un habile auteur d’apocryphes n’eût pas fait diriger l’enquête comme le vrai Pline l’a conduite. Un Pline chrétien, du iule siècle, n’eût pas manqué de s’informer des sectes qui existaient, des différences qu’on introduisait dans la foi et dans l’ espérance en Jésus-Christ ; il aurait voulu connaître les évêques, les prêtres, se serait fait apporter les livres sacrés, et l’hymne qu’on chantait au Christ. Mais le vrai Pline est un Romain ; il s’inquiète peu d’ébranler les consciences, il ne se préoccupe que de la conduite extérieure de ses administrés. Afin que cette conduite extérieure soit correcte, il s’éclaire sur les choses qui paraissent au dehors, sur les réunions, sur ce fameux sacramentum, qui rappelait trop à un magistrat le serment de Catilina et des conjurés, sur les dispositions des chrétiens à offrir l’encens et le vin aux images de l’empereur et aux statues des dieux, s’ils ne se soumettent pas à ce culte public, — et non pas, comme l’a dit M. Aubé, s’ils persistent à avouer n’importe quoi ! — ils sont obstinés, et leur obstination, de quelque manière qu’elle se produise, est un crime qui tombe sous le coup de la loi. En suivant ce mode d’enquête, Pline agissait comme les préteurs à Rome, comme les proconsuls en Gaule, comme les gouverneurs en Espagne. Cette procédure dura plusieurs siècles. Qu’importaient les consciences, si le ritualisme romain, si le culte public était sauvé ! Prudence nous a laissé une hymne sur le martyre de sainte Eulalie, qui confessa la foi en Espagne, sous le règne de Maximien Hercule. Les paroles du proconsul à la Vierge chrétienne sont insinuantes ; elles peuvent nous aider à comprendre la procédure de Pline le Jeune contre les chrétiens qui lui étaient déférés.

Hæc rogo, quis labos est fugere !

Si modicum, salis eminulis

Turis et exiguum digitis

Tangere Virgo benigna velis,

Pœna gravis procul ab fuerit ![133]

Dans cette critique des faits, on a pu voir que M. Aubé s’est préalablement formé une idée de Pline le Jeune comme jurisconsulte, comme païen et comme gouverneur de province ; s l’auteur de la lettre n’a pas de tout point rempli cette idée, i1 ne sera pas Pline. Au lien d’adopter la même méthode, j’ai comparé l’auteur de la lettre non pas à une idée, mais à l’ensemble des faits qui forment le tissu de sa vie de légiste et d’avocat, de Romain et de propréteur du Pont et de Bithynie ; je crois avoir démontré que les détails de la lettre XCVIIe répondent aux faits d’un ordre général contenus dans l’ensemble de la correspondance. La critique des témoignages va, je l’espère, me permettre de donner une conclusion définitive.

— VI —

Saint Augustin et les autres Pères, dit Bossuet, demandent sur la foi de qui nous attribuons les livres profanes à des temps et à des auteurs certains. Chacun répond aussitôt que les livres sont distingués par les différents rapports qu’ils ont aux lois, aux coutumes, aux histoires d’un certain temps, par le style qui porte imprimé le caractère des âges et des auteurs particuliers ; plus que tout cela par la foi publique et parla tradition constante[134]. Les premières conditions énumérées par Bossuet ont été étudiées, au sujet de la lettre de Pline, dans la critique des faits ; mais parce qu’il peut arriver que nous ne connaissions pas suffisamment tous les rouages d’une législation, que les histoires des temps reculés nous échappent souvent, et que le style, par une fraude habile, ne soit pas de l’âge ou des auteurs auxquels on le rapporte, il faut s’appliquer, dans la critique des témoignages, à chercher la foi publique et la tradition qui a précédé.

On ne peut désirer une tradition plus constante, au sujet de la lettre de Pline le Jeune à Trajan. Dés la fin du ive siècle, les Apologistes, les Docteurs, les Pères de l’Église la citent et en revendiquent -l’autorité, en Italie, en Espagne, dans l’Afrique proconsulaire et dans toute l’Asie. La trame de la tradition ecclésiastique ne peut être plus serrée ; elle remonte successivement de saint Jérôme, l’annotateur des chroniques d’Eusèbe, à Paul Orose, le disciple de saint Augustin, à Eusèbe de Césarée qui connaît la critique historique, pour arriver à Tertullien qui naissait à Carthage, il faut bien s’en souvenir, moins de cinquante ans après là légation de Pline le Jeune en Bithynie. Quelques critiques, il est vrai, n’attachent d’importance qu’au témoignage de Tertullien, parce que, disent-ils, tous les historiens postérieurs à Tertullien n’ont fait que reproduire le témoignage du prêtre de Carthage. J’accepte la discussion sur ce terrain, quoique je ne puisse être persuadé qu’un fait aussi grave que celui de la lettre de Pline le Jeune ait jamais pu avoir la fortune d’être répandu, à un moment précis, dans toute l’Église, et sur la seule autorité de Tertullien, si la société chrétienne n’avait pas été, pour ainsi dire, pénétrée de la véracité du fait[135].

C’est, selon le langage de Bossuet, dans son admirable Apologétique, au chapitre second, que Tertullien a résumé la lettre de Pline le Jeune. L’apologiste vient de parler des procédures en usage contre les chrétiens, depuis la prédication des apôtres ; il a rappelé qu’il fut un temps où les instructions dirigées contre eux ne s’attachaient à constater d’autre crime que celui du nom qu’ils portaient ; on les poursuivait alors, on les traquait comme des malfaiteurs. Mais l’ordre vint de ne plus faire de perquisitions : C’est sous Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, continue Tertullien, que cet ordre fut donné. Pline avait d’abord condamné à mort quelques chrétiens, il en avait privé d’autres clé leurs charges, puis, effrayé clé leur multitude, il avait consulté l’empereur Trajan, sur la conduite qu’il convenait de tenir. Il expose dans sa lettre que tout ce qu’il a pu comprendre de leurs mystères, sauf leur obstination à ne pas sacrifier, se réduit à ceci : qu’ils s’assemblent avant le jour, pour célébrer le Christ comme un Dieu, et pour resserrer les liens d’une vie sévère ; qu’ils défendent l’homicide, l’adultère, la fraude, la trahison et tous les autres crimes[136]. Comme cette citation de Tertullien est le pivot même de l’argumentation, dans la critique clés témoignages, il est intéressant et presque nécessaire de rapporter le texte de la lettre de Pline le Jeune, et de mettre en regard celui de Tertullien qui le résume : Pline décrit à l’empereur de quelle manière il a procédé contre les chrétiens qui lui étaient déférés :

TEXTE DE PLINE AUQUEL FAIT ALLUSION CELUI DE TERTULLIEN (Cf. texte d'Alde).

TEXTE DE TERTULLIEN (Cf. Apologétique, c. II, éd. Œlher).

Interrogavi ipsos, an essent Christiani, confitenteis iterum ac tertio interrogavi, supplicium minatus, perseveranteis duci jussi. Neque enim dubitabam, qualecumque esset quod faterentur, pervinaciam certe, et inflexibilem obstinationem debere puniri.... Adfirmabant autem hanc fuisse summam, vel culpæ suæ, vel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem convenire, carmenque Christo quasi Deo dicere, secum invicem, seque sacramento[137], non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent.... Visa est enim mihi res digna consultatione, maxime propter periclitantium numerum....

Plinius Secundus, cum Provinciam regeret, damnatis quibusdam Christianis, quibusdam gradu pulsis, ipsa tamen multidine perturbatus, quid de cœtero ageret, consuluit tunc Trajanum, impretatorem, allegans prœter obstinationem non sacrificandi, comperisse, quam cœtus antelucanos ad canendum Christo et Deo, et ad confœderandam disciplinam : homidicium, adulterium, fraudem, perfidiam et cœtera scelera prohibentes.

Premier point digne d’être remarqué : il est difficile de trouver une citation quoique très peu littérale, plus fidèlement résumée que ne l’est celle de Pline dans Tertullien. On peut s’en convaincre en rapprochant les mots écrits en italique dans les deux textes. Chez Tertullien, un certain nombre sont condamnés à mort, à cause de leur obstination et ne vouloir pas sacrifier ; dans Pline, ceux qui persistent sont, par ordre, conduits à la mort, à cause de leur inflexible obstination. Chez l’un, le légat de la province est effrayé de la multitude de, chrétiens qu’on lui défère, et consulte l’empereur, chez l’autre, l’affaire, paraît valoir la peine qu’on y regarde à deux fois... à cause du nombre de ceux qui sont compromis. Enfin, tandis que, dans la lettre de Pline, le Magistrat qui informe apprend par les dépositions des Apostats que les chrétiens se réunissent avant le jour, pour chanter une hymne au Christ comme à un Dieu, et s’obligent non pas à exerce des pratiques criminelles, mais à éviter les vols, les violences, les adultères, à ne pas manquer à la foi promise, chez le prêtre de Carthage, le seul détail que Pline ait pu vérifier, c’est que des réunions avaient lieu avant le point du jour, où l’on chantait en l’honneur du Christ et de Dieu, où l’on resserrait les liens d’une vie sévère, en déclarant défendus, l’homicide, l’adultère, la fraude et la trahison. Une seconde remarque qui doit être faite, c’est que Tertullien ne met pas toutes ses assertions sur le compte de Pline ; il est historien, voisin des événements, il a donc le droit de dire ce qu’il sait, ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu, en un mot, d’affirmer de lui-même et sous sa propre responsabilité. Quand il rapporte que quelques Bithyniens ont été destitués de leurs charges, quibusdam gradu pulsis, il ne dit pas qu’il l’ait appris parla lettre de Pline, mais il mentionne que la fait a eu lieu en Bithynie, comme il s’était déjà présenté à Rome pour le consulaire Flavius Clemens, et sans doute pour plusieurs familiers du palais des Césars. Ainsi, dans un temps où la vérification des textes sur les manuscrits n’offre pas les mêmes facilités qu’aujourd’hui, où tout témoin des événements peut se porter le garant de ses récits, nous constatons que la citation de Tertullien, très fidèle, quoique non littérale, contient des faits qui n’ont pas besoin d’âtre empruntés à la lettre de Pline.

La nature du témoignage de Tertullien, une fois établie, on pourrait prétendre que cet Africain ardent n’a pas ici une autorité décisive, parce qu’il n’a pas été renseigné, parée qu’il accepte trop les faits sur ouï-dire, ou qu’il ne contrôle pas les récits. Et, pour le cas présent, ne serait-il pas arrivé à la religion de Tertullien d’être surprise pour la lettre de Pline, comme sa bonne foi a été trompée pour les actes de Pilate à Tibère qu’il cite cependant avec une gravité digne d’une meilleure cause ? Passons condamnation sur les Actes de Pilate à Tibère[138] ; mais est-il possible d’assimiler les Actes de Pilate à la lettre de Pline le Jeune ? Sans doute, on conçoit à la rigueur que le récit de Pilate, enfermé dans les archives impériales, n’ait pu venir facilement à la connaissance du public, et qu’une opinion peu fondée se soit produite sur les détails publiés dans cette pièce au sujet de la Prédication et de l’Ascension de Jésus-Christ. Mais peut-on faire le même raisonnement à propos de la correspondance du légat de Bithynie ? Pline le Jeune était connu en Asie, comme il l’était dans la Bétique, en Italie et à Rome. Le soin qu’il avait pris à former le, recueil. de ses lettres avait contribué à les répandre dans toutes les parties de l’Empire. Ses amis les lisaient, les citaient ; ces compositions étaient un modèle de goût et d’urbanité. Soixante ans après leur publication, les exemplaires s’étaient multipliés, et Tertullien, comme tous ses contemporains, avait pris connaissance de, la pièce curieuse qui avait trait aux chrétiens. Or si Tertullien a pu être trompé sur la valeur de ce document apocryphe, il ne faut pas s’en prendre seulement à l’Africain, ardent, empressé, déclamateur, il faut s’attaquer aussi à tous les manuscrits répandus alors, qui deviennent responsables de la fraude. Il faut expliquer comment tous les exemplaires ont été interpolés, altérés par une même supercherie, ou comment ce phénomène étrange n’a pu se produire que pour le manuscrit qui nous est parvenu. M. Aubé n’a pas songé à résoudre cette difficulté, lorsqu’il a résumé en ces termes tous ses doutes sur le témoignage de Tertullien :

Quant au témoignage unique de Tertullien, est-il décisif ici ? Il ne le semble pas. Les quelques mots qu’il cite de la lettre de Pline ne conviennent pas tout à fait avec le texte que nous avons. Pline ne dit nulle part qu’il ait ôté leurs charges à des chrétiens[139]. Il ne dit pas non plus de lui-même qu’il n’a rien trouvé autre chose, chez les chrétiens, outre l’obstination à ne pas sacrifier que l’usage d’assemblées tenues avant le lever du soleil ; et l’engagement solennel à ne commettre aucun crime et à mener une vie pure et irréprochable. Il ne se rend pas garant de ces faits. Il les rapporte comme ries aveux qu’il a recueillis. Ce sont là des nuances qu’on a le droit de noter. On peut dire, il est vrai, que Tertullien citait de mémoire, comme cela avait lieu souvent. Mais on peut dire aussi qu’il prend ses arguments et ses textes où il les trouve, sans aucun souci de les contrôler. On sait qu’il allègue avec une pleine sécurité les Actes de Pilate à Tibère, dont l’authenticité n’est pas défendable[140].

Il n’est aucun de ces doutes qui ne soit détruit par l’examen attentif du témoignage de Tertullien : aussi M. Aubé ne laisse-t-il pas d’être un peu réservé et même inquiet sur les nuances[141] qui existent entre le texte de l’Apologétique et celui de la Lettre à Trajan. La meilleure preuve que l’auteur de l’Histoire des persécutions n’a pas pleine confiance dans la critique qu’il a faite du témoignage de Tertullien, c’est le soin même qu’il prend,après la citation qu’on vient de lire, de se rendre compte à lui-même de la composition de la fameuse lettre. Qui donc a écrit la lettre ? c’est une nouvelle difficulté, sans doute ; mais il en est encore une autre : il faut aussi expliquer comment et par qui la réponse de Trajan a été écrite ? Est-ce donc le même faussaire qui a composé les deux lettres ? Il faut alors le louer de la souplesse de son génie, qui témoigne en lui de talents si variés. Sont-ce deux auteurs différents ? On ne peut méconnaître en cette hypothèse qu’ils ne se soient merveilleusement entendus, l’un pour paraître du meilleur Pline et l’autre du meilleur Trajan. M. Aubé n’effleure ce sujet qu’en passant, mais 1a question a sa valeur et ne doit pas être traitée en une phrase, elle gagne à être exposée avec quelques détails.

Il y a une couleur plinienne comme on l’a dit, dans la lettre XCVII, et la réponse de Trajan se distingue par une concision qui lui est propre et qu’on a appelée l’Imperatoria brevitas. Il serait superflu de relever tous les termes de cette correspondance ; car les éditeurs, aussi bien que les érudits, admettent que les lettres sont de l’époque de Pline, c’est bien la même distribution des membres de phrases, ce sont des acceptions de, termes tout à fait conformes à celles des autres écrivains[142]. Non seulement la lettre est de l’époque, mais elle est de Pline lui-même.

A qui pourrait-on l’attribuer ? A Tertullien ? Personne n’y a pensé, pas même Semler, qui aurait bien voulu causer ce désagrément à ses adversaires. Peut-il être question de Valère Maxime et de Sénèque ? Mais le premier vivait sous Tibère et n’eut pas à défendre les chrétiens ; le second, qu’il ait eu ou non des rapports avec saint Paul, ne fut jamais préposé au gouvernement d’une province. On ne peut .nommer Suétone ou Tacite. Il reste encore quelques beaux esprits de l’époque, un Fronton, un Favorinus ?... Ils s’inquiétaient peu de l’administration des provinces, et n’auraient pas voulu contrefaire une correspondance impériale. Aulu-Gelle, nous a appris qu’ils aimaient à parler des couleurs et de leurs noms[143] !

Ces lettres sont donc de Pline ; cependant elles ne ressemblent pas tout à fait à celles des neuf livres ; elles sont moins vives, moins familières ; mais n’oublions pas qu’elles sont adressées à l’empereur, qu’elles se présentent toutes comme des rapports sur l’administration de la province, ou comme des lettres de remerciements. Elles sont plus graves que les autres, le langage en est plus poli, plus concis, toujours plein d’urbanité, de louanges et de compliments. L’auteur y parle de Voconius, de Marius Priscus, de, Suétone, c’est-à-dire des mêmes personnages qui ont déjà été introduits dans les autres livres. Enfin, dans les lettres sur les chrétiens, quelque courtes ‘qu’elles puissent être, il est facile de retrouver la manière de Pline et son vocabulaire de chaque jour[144]. En un mot, cette lettre est tellement du légat de Bithynie, que si l’on veut faire disparaître Pline le Jeune, on ne sait plus à qui attribuer la consultation adressée à l’empereur Trajan.

C’est là une difficulté fort embarrassante, que l’auteur de l’Histoire des persécutions a aperçue, mais qu’il essaye d’éluder, en invoquant un nouveau principe de critique historique. Que M. Aubé ne se dégage pas de cette difficulté, en déclarant qu’il n’incombe pas à celui qui établit que tel écrivain n’a pu écrire une pièce, ou n’a pu l’écrire telle qu’elle est connue, d’expliquer qui peut l’avoir écrite ou altérée, et à quel moment précis ; et dans quel lieu et dans quel but[145]. Il ne faut pas ici créer une équivoque et faire croire que la critique historique soit admise à se dérober sous de pareilles excuses et à ne pas expliquer les difficultés qu’elle-même a fait surgir. Lorsque les faits sont douteux, les témoignages peu concluants, que la critique se récuse et se dispense d’expliquer le moment précis d’une composition, le lieu où elle a vu le jour, le dessein qui a pu la faire naître, rien n’est plus sage, — il serait à souhaiter que la critique eût toujours cette prudence ; mais qu’après avoir dénaturé les faits, repoussé la valeur des témoignages au nom d’hypothèses fondées sur l’imagination, de possibilités vagues et indéterminées, cette même critique vienne d’un air tranquille affirmer qu’elle n’a pas à résoudre les difficultés opposées à la thèse de la non authenticité, c’est là une méthode qui ne peut être employée dans la recherche de la vérité.

M. Aubé a sans doute médité sur les conséquences extrêmes où le conduisait sa méthode, lorsqu’il parait donner son suffrage, à la thèse dé l’authenticité, dans la note du bas de la page 218, C’est à cette solution que nous nous arrêterions en dernière analyse. Nous n’avons pas cru devoir effacer ici l’expression des doutes qu’un premier et sincère examen avait suscités dans notre esprit. Cependant, s’il faut prendre un parti tranché, bien que tout embarras ne soit pas levé pour nous, nous inclinerions plutôt à recevoir dans son intégrité le texte de Pline, qu’à le rejeter même en partie. Nous ne découvrons, en effet, dans cette lettre, aucune suture, nul point où se trahisse et puisse se prendre sûr le fait la main du faussaire. La sympathie mitigée de Pline pour ceux qu’il juge, s’explique assez par la modération de caractère de cet homme du monde, doux, humain et un peu sceptique en matière religieuse[146]. Après cet aveu de M. Aubé, la cause paraît finie. On fera peut-être à cette étude le reproche de s’être attachée à résoudre des difficultés qui ne sont plus qu’imaginaires. — Cependant, ces difficultés sont loin d’être imaginaires. Je me suis décidé à démontrer l’authenticité, d’abord parce que M. E. Desjardins ne l’admet pas. Ce savant est d’avis que Pline a pu et dû en écrire une (lettre) sur ce sujet, mais une autre que celle qui lui est attribuée, et que dans cette dernière, l’innocence et la belle conduite des chrétiens, LES PROCÈS QU’ON LEUR AURAIT INTENTÉS AVANT L’AN CXI, et surtout, l’importance des conversions faites en Asie, auront été INTENTIONNELLEMENT ou exagérées ou même inventées après coup. Je laisse à M. E. Desjardins le soin de mettre en bon accord ces deux affirmations successives : que les procès criminels faits aux chrétiens n’ont jamais existé, puisque Pline ne les a pas connus, et ensuite que ces procès leur auraient été intentés avant l’an CXI[147]. — Mais ce sont surtout les doutes de M. Aubé qui m’ont décidé à reprendre la thèse favorable à la correspondante. C’est toujours une mauvaise note pour une thèse que d’être combattue par des difficultés que personne ne discute et n’essaye de résoudre ; et pour tout dire, malgré les aveux de M. Aubé, en dépit de la citation du bas de la page 218, le nouvel historien des persécutions n’admet pas encore l’authenticité d’une manière complète. Car, pour l’accepter d’une manière complète, il ne suffit pas de l’admettre dans une note, qui, outre qu’elle est bien souvent exposée au danger de n’être pas lue, est rédigée d’une manière conditionnelle, et indique que l’auteur serait enclin à embrasser cette thèse plus qu’il ne l’embrasse en réalité. Mais c’est aux conclusions qu’il faut juger du sentiment définitif de M. Aubé. Si la lettre est authentique, il faut admettre que Pline a persécuté les chrétiens, qu’il les a fait rechercher comme des malfaiteurs ; c’était son devoir de gouverneur de province, d’après le droit commun en vigueur contre les chrétiens et d’après le texte d’Ulpien, cité dans la nouvelle Histoire des persécutions[148]. Il faut admettre que les chrétiens étaient persécutés ailleurs qu’en Bithynie, puisque dans d’autres régions il y avait des procédures, des interrogatoires, des enquêtes, des manières d’informer quine pouvaient être partout uniformes. Ces conclusions s’imposent avec la thèse de l’authenticité, et si on les admet, l’on ne peut plus faire ressortir, dans le texte même d’une Histoire des persécutions, la nouveauté des poursuites judiciaires, l’absence dans les jugements, la non existence de sénatus-consultes, d’édits ou de décrets impériaux sur cette matière[149]. Il faut se ranger au jugement de Bossuet qui a écrit de l’époque des persécutions : Depuis ce temps (à partir de Domitien) les chrétiens furent toujours persécutés tant sous les bons que sous les mauvais empereurs.

A ces conditions, le suffrage de M. Aubé peut être accepté. Nous le joignons, s’il le permet, au témoignage de Tertullien, et, nous déclarons que nous sommes en possession de l’authenticité.

Il est facile, maintenant, d’embrasser d’une vue d’ensemble tout le développement de cette étude. Les chrétiens ont fait une légende à Pline et à Trajan, mais la correspondance du légat et de l’empereur n’offre en aucune manière les caractères de la légende. L’histoire du manuscrit de ces lettres, la critique des faits, où se trouvent le reflet de l’époque et lés traits principaux de la physionomie de Pline, la, discussion des témoignages les plus anciens, liés d’une manière étroite à ceux de nos contemporains, depuis Tertullien, Eusèbe de Césarée, saint Jérôme, jusqu’à Jucundus de Vérone, Alde Manuce, Gerhard Vossius et Laurent Mosheim, jusqu’à nos contemporains Orelli et Mommsen, le style même de la correspondance, qui est tout à fait plinien, sont autant d’arguments qui désignent d’une manière inévitable Pline le Jeune comme l’auteur de la lettre XCVII. L’étude de ces faits et de ces témoignages a été la meilleure réponse qui put être faite à une parole dite de notre temps : Que ces lettres n’avaient pas été jusqu’à ce jour soumises à un examen sévère. Telle est la conclusion principale de ce travail.

D’autres réflexions ont toujours dominé ce débat ; je demande la permission de les exprimer en quelques mots à la fin de cette étude ; elles ont trait aux conditions que devrait remplir la critique historique, pour aborder avec fruit les Origines du Christianisme.

En premier lieu, la critique admet bien le Christianisme comme un fait qui s’impose, mais elle incline parfois, disons même qu’elle vise à le dénaturer. Elle réclame l’impartialité de l’esprit, et se retranche derrière le mot de Fénelon que le bon historien n’est d’aucun temps ni d’aucun pays. Soit ; mais qu’on ne confonde pas l’impartialité de l’esprit avec la disposition à l’indifférence et même à l’hostilité. Où n’aboutirait-on pas en s’abandonnant à toutes les témérités, à toutes les conjectures de l’imagination ? On ajoute qu’il faut bien examiner la valeur des pièces historiques. — Rien de mieux, mais est-il donc, nécessaire, pour faire un examen sévère, de travestir tous les écrits en apocryphes ou tous les faits en légendes ? Ne peut-on pas parler des persécutions, sans plaider les circonstances atténuantes en faveur des empereurs ? À voir quelques-uns des travaux qui se publient, il faut s’attendre que bientôt les victimes ne mériteront plus la compassion, et que les empereurs deviendront les persécutés ; telles des études contemporaines, avec les airs attendris qu’elles prennent en parlant des païens, remettent en mémoire la fameuse Judith de Boyer, qui faisait verser des larmes au bon financier :

Je pleure, hélas ! pour ce pauvre Holopherne

Si méchamment mis à mort par Judith !

En second lieu, quelques savants se font parfois un jeu de la critique des faits, aussi bien que de celle des témoignages. Les faits, disent ils, doivent être expliqués par l’histoire du temps où ils se sont produits, et les témoignages eux-mêmes ont besoin d’être vérifiés et contrôlés. Il faut admettre cette règle prudente. Mais si, sous ce prétexte, l’on exige que les faits répondent toujours à des idées préconçues, à des analyses imparfaites ; si l’on va supposer que des hommes intelligents et sincères n’ont pas su, dans des circonstances bien déterminées, peser la valeur des témoignages et comparer les autorités, peut-on s’abuser au point de croire qu’une interprétation des faits, une explication des témoignages, fondées sur des impressions purement personnelles, pourront être décisives et non pas seulement provisoires ? La critique devrait songer, pour toutes les questions des origines chrétiennes, à rétablir un lien solide entre les faits et l’adhésion de l’esprit. Ce lien est dans la tradition de l’Église. Qu’on ne s’effraye pas à ce mot de tradition, qui peut-être ne paraît pas assez scientifique à certains esprits. C’est la tradition de l’Eglise, qui nous présente le Christianisme, non pas sous la forme sèche d’une question d’histoire et d’archéologie ; c’est elle qui nous le montre jeune et plein de vie et non pas seulement comme quelques débris précieux des ruines de Babylone et de Ninive. A propos des temps anciens elle raconte ce qu’elle a vu, ce qu’elle a entendu et ce qui nous intéresse tous. Elle survit toujours à elle-même et son témoignage n’est jamais impersonnel. Dès les premiers âges, elle s’appelle saint Justin le martyr, saint Irénée, Tertullien, Eusèbe, saint Épiphane, saint Jérôme ; ce que cette Tradition affirme est comme un fond, une substance qui doit demeurer à l’abri des esprits curieux et téméraires.

Enfin, l’imagination qui donne la couleur aux événements et sert à faire revivre le passé, est encore un grand péril pour la critique. Bien souvent, au lieu de construire sur les données des faits, l’imagination les devance dans ses caprices ou les préjuge dans son impatience. On, quitte alors l’histoire grave et instructive, pour entrer dans l’ère des fantaisies agréables ou des rêveries longuement évoquées. La véritable histoire des Origines du Christianisme ne s’attache pas à des créations vraisemblables ou seulement possibles, elle s’aide d’une imagination chrétienne, mais ne s’appuie que sur un ensemble de faits bien étudiés et tous mis en lumière.

 

JOSEPH VARIOT

 

 

 

 



[1] Cette dissertation fait partie d’un ouvrage intitulé : Dissertationes Cyprianicæ (Oxonii, 1684). L’avant-dernière dissertation, qui est la onzième du recueil, a pour titre : De paucitate Martyrum.

[2] La Revue contemporaine.

[3] Nouvelle Biographie générale, éd. Didot, 1565, art. Tertullien.

[4] Revue contemporaine, 2e série ; tome LXVII, p. 401.

[5] Revue des Deux-Mondes, liv. du 1er décembre 1874 : Les Antonins d’après les documents épigraphiques ; l’empereur Trajan.

[6] B. Aubé, Histoire des persécutions de l’Église jusqu’à la fin des Antonins. Paris, Didier, 1875.

[7] Cette étude est composée depuis 1875. Elle était le sujet d’une thèse présentée à la Faculté des lettres de Lyon, dès la fin de cette même année 1875. Cf. la dissertation : De Plinio Juniore et Imperatore Trajan apud Christianos et de Christianis apud Plinium Juniorem et Imperatorem Trejanum (Paris, Ern. Thorin). Le dépôt de la thèse est antérieur aux articles de M. Boissier, Le premier article de M. Boissier, celui de la Revue d’Archéologie, est de février 1876 ; le second, celui de la Revue des Deux-Mondes, est inséré dans la livraison du 15 avril 1876.

[8] Domenico Comparetti : Virgilio nel medio evo, part. I, cap. VII : Virgilio profeta de Christo... et parte seconda, cap. I : Leggenda de Virgilio mago nota fra la plebe a Napoli.

[9] S. Matthieu, XXVII, 19 : Sedente autem illo pro tribunati, misit ad eum uxor ejus, dicens : Nihil tibi, et justo illi ; multa enim passa sum hodie per visum propter eum.

[10] Épist. B. Pauli ad Titum, cap. III, v. 13 : Zenam logis peritum..., præmitte.

[11] Lucius Flavius Dexter : Chronicon (1-430) cum commentario Bivarii, in-fol., Lugduni, 1627. Ad ann. 220, n. 3 : Titus, cognomento Justus episcopus factus... Is Titus converterat ad fidem Plinium Juniorem ex Bithynia Pontoque redeuntem, in insula Creta, obi jussu Trajani, Jovi templum exstruxerat. Nec desunt qui putent septima sextilis ad Novocomum esse passum.

[12] Petrus de Natalibus Equilinus (Pierre des Noëls), Catalogus sanctorum, lib. VII, fol. 127, cap. CVIII de S. Tito discipulo (Venise, 1521) : Templo quod legatus Jovi exstruebat subito funditus everso, Plinius cum lacrymis et precibus adit Titum, qui omnia mala ædi Jovis imprecatus fuerat. Humana castigatione usus in Plinium Titus, præscribit legato veniam impetraturo, ut templum in honorem Dei christianorum erigat ; opera completo, cum filio suo baptizatur.

[13] Pline, Epist. III, 21 ; Martial, déjà vieux, avait quitté Rome et était revenu en Espagne.

[14] Martyrologium Romanum. VII Sextilis : Novocomi, passio Sanctorum Martyrum Carpophori, Exanthi, Cassii Severini, Secundi et Licinii, qui confessione Christi capite truncati sunt.

[15] Cf. la note de Bivaire, l’éditeur de la Chronique de Dexter, à l’année 220, n. 3. Il est vrai que Bivaire ajoute un correctif à son assertion : l’Église de Côme paraît ignorer absolument le martyre de Pline le Jeune !

[16] Si l’on veut avoir une idée de l’impression profonde qu’avait faite la personne de Trajan, il faut se souvenir d’une autre légende qui s’était fermée sous l’influence orientale et qui se trouve consignée dans l’un des traités du Thalmud (J. Soucca, v. 1.) Trajan nous y apparaît sous la figure du terrible guerrier ; il fait massacrer les hommes et les femmes, le sang traverse la mer et arrive jusqu’à l’île de Chypre ! Le jour de sa mort est fêté ; c’est le jour de Trajan. Les sources rabbiniques racontent l’histoire suivante : Trajan le tyran eut un fils le 9 du mois d’ab, et les Juifs observèrent leur jeûne, puis il perdit une fille, pendant les journées de Haunouka, et les Juifs illuminèrent. La femme de Trajan fit alors dire à son mari : Au lieu de faire des conquêtes parmi les barbares, viens achever la soumission des Juifs, qui se sont révoltés contre toi, Trajan croyait mettre dix jours à ce voyage, mais il l’accomplit en cinq. En arrivant, il trouva les Juifs occupés du verset 19 du Deutéronome, XXVIII, ainsi conçu : Dieu va lancer contre toi une nation du lointain, des confins de la terre, rapide comme l’aigle... — De quoi étiez-vous occupés ? demanda Trajan. — De ce verset. — C’est moi, dit Trajan, qui comptais venir au bout de dix jours et n’en ai mis que cinq. Aussitôt il les fit entourer de ses légions et tuer. Puis il livra les femmes à ses soldats, en les menaçant de la mort. Ce que tu as fait à ceux qui sont déjà abattus, diront les femmes, fais-le à nous qui sommes encore debout ! Et il mêlait leur sang à celui de leurs maris, et le sang traversait la mer et allait jusqu’à Chypre. Cf. T. Derenbourg, Histoire de la Palestine depuis Cyrus jusqu’à Adrien, c. XXIV, pp. 410 et sq.

[17] Urlichs, Codex Urbis Romæ topograpitieus, Wurtzbourg, 1871, p. 195 : Trajanus Selinunte morbo perit. Ossa ejus in urnam auream conlata et in Foro sub columna posita, solusque omnium inter urbem sepultus.

[18] Annales Ordinis S. Benedicti : tom I, lib. II, cap. XLIV.

[19] Collius, De animabus Paganorum, tom. II, p. 121. L’auteur cite les variantes et les additions de dix écrivains, au moins. Le dernier cité, Bernardin Corius, établit un dialogue entre saint Grégoire et le crâne de l’empereur Trajan ! Cf. Collius, ibid., p. 123.

[20] S. Joannes Damascenus, Opera à Mich. Lequien edita, Paris, in-fol., 1712, tom. I, II, 21, p. 591 Hanc narrationem Oriens totus atque Occidens testantur.

[21] Jacobi a Voragine : Historia Lombardica seu Legenda aurea, leg. XLVI, in-fol. Bibliothèque nationale. On lit à la première page : Hæc editio est prima omnium, procul dubio ante arum 1478 : Dum igitur, quadam die, diu jam defuncto Trajano, Gregorius per forum Trajani transiret et mansuetudinem judicis recordatos fuisset, ad S. Petri Basilicam pervenit et ibidem pro ejus errore amarissime flevit. Tunc illi divinitus est responsum : ecce petitionem tuam complevi et Trajano pænam æternam peperci. De cætero autem diligentissime caveas ne pro damnato ullo preces fundas.

[22] Dante, Purgatorio, canto X, terz. 25-32. J’ai donné la traduction française de F. Ozanam. Cf. Œuvres complètes, tom. IX, le Purgatoire, chant X, pp. 175-177.

[23] S. Hieronymus, Liber de Viris illustribus. Ce catalogue des écrivains ecclésiastiques a été écrit par saint Jérôme, l’an 393. On lit, cap. CXXXII : Dexter, Paciani filius, clarus apud sæculum et Christi fidei deditus, fertur ad me omnimodam historiam texuisse, quam nondum legi.

[24] Vossius, De historicis Latinis, lib. II, cap. X. Hieronymus, ubi ex amicis qui id opus viderant, cognorat, suo hoc nomini inscriptum iri, tam eam rem gratam habuit, ut non contentus viri ac libri necdum lecti, aut visi sibi meminisse, etiam præevertere Dextrum voluerit affectus sui testimonio.

[25] Nicolao Antonio, Bibliotheca Hispana, éd. 1672. tom. I, p. 456 : Quibus (fragmentis) mirum valde est quam obnoxii an venerabundi hujus sæculi homines, atque in iis non pauci ex nostratibus, necnon et exteris, docti sagacesque assurrexerint.

[26] F. Joann. Caldero, Franciscanus, Fragmentum Chronici sine omnimodæ historiæ Fl. Luc. Dextri Barcirtonensis, Cæsaraugustæ 1619. On lit dans la dédicace à Pierre de Molina : Interroga post Dextrum majores tuos, et dicent tibi.... ut opus historicum (Chronicon) deinceps Momorum calumnias et obelos posteritatis effugeret ; illorum scilicet qui viperis similes, parentes videntur impetere.

[27] F. Franciscus Divarius, Fl. Lucii Dextri Barcinonensis Chronicon omnimodæ historiæ, una cum commentariis. Lugduni, 1627.

[28] Bollandus, Act. Sanct. Mens. Januar., tom. I, præf., cap. II, § 6. éd. Antuerpiæ : Chronicon mihi opus videtur scriptoris non indiligentis, sed qui obtorto collo, in Hispaniam trahat quotquot potest viros illustres et in Sanctorum classem, quos ne constat quidam Christianos exstitisse. Cf. également Mens. februar., tom. I, præf., c. IV, $ 17. — Il n’est pas inutile de rapprocher de ces jugements les dernières conclusions du P. de Smedt dans son récent ouvrage : Introductio generalis ad Historiam Ecclesiaslicam critice tractandarn ; tract. III, de fontibus historiæ Eccles., p. 302. Advertisse juvat quædam chronica, ad Hispaniæ historiam præcipue ecclesiasticam spectantia, sed omnino apocryphe et conficta, edita esse sæculo XVII, unde multi.... non pauca hauserunt. Hujusmodi spurii fontes habentur chronica supposita Flavio Lucie Dextre ac Marco Maxime, Liberato, Gregorio Granatensi, Hauberto Hispalensi et aliis, ex quibus confertum est : Poblacion ecclesiastica de Espana, quod opus vulgavit Gregorius de Argatz, Matriti 1667-1669, 4 tomis, in-fol.

[29] Fabricius, Codex apocryphes Novi Testamenti, tom. II, p. 725. Fabricius dresse la liste des livres qu’on disait avoir été trouvés dans les grottes de Grenade ; il rappelle aussi l’argumentation du P. Bivaire qui fondait l’authenticité de la Chronique de Dexter sur les manuscrits et les lames de plomb des grottes de Grenade. Peut-être, les manuscrits de Grenade et la Chronique de Dexter n’étaient-ils que des pièces inventées ou interpolées, dans lesquelles on avait eu l’habileté d’introduire des récits analogues, a0n de donner des airs de vérité à une supercherie littéraire.

[30] Joann Diaconus, Vita Beati Gregorii, L XI, cap. XLIV : Legitur penes Anglorum Ecclesias.

[31] S. Gregorius, Epistol., lib. IX : Ad Eusebium Thessalonicensem : Nos, nec græcum novimus, nec aliquod opus græce conscripsimus. — On peut juger de l’importance du débat soulevé à propos de Trajan et de saint Grégoire, par les auteurs qui ont traité la question : Cf. Bellarminus, de Purgatorio, l. II, cap. VIII, élucide bien la question des faux diacres. — Bollandus, Mens Martii, tom. II, p. 211. — Baronius, Annales, tom. XI, ad an. 604, fait une réfutation assez longue de quinze colonnes in-folio. — Natalis Alexander, Sæcul. II Diss. Ia de liberatione contimentitia Trajan Imperatoris ab inferis, in-8° ; tom. III, p. 111-150, traite cette question, comme toute l’histoire de l’Église, à la façon scolastique.

[32] Nicolas Cœffeteau, Histoire romaine, l. IX, p. 552, éd. in-fol. 1628.

[33] Platon, Phèdre, ch. IV : Socrate répond à Phèdre au sujet des fables et des légendes : Je les regarde comme des créations pleines de charme, Έγώ δέ τοιαϋτα χαρίενεα ήγοϋμαι.

[34] S. Gregorius, Dialogi, lib. IV, cap. XXXII, cf. l. I, c. IX.

[35] Cette légende n’était pas isolée ; on avait également traité avec une déférence toute chrétienne, Socrate, Héraclite et Cicéron. Cf. La Mothe Le Vayer, Œuvres, Paris, 1654, t. I. De la vertu des païens, 1ère partie : Saint Justin a soutenu qu’il y avait beaucoup plus de chrétiens qu’on ne pensait, puisque Socrate et Héraclite pouvaient être nommés tels.... Saint Jean Damascène tient que Jésus-Christ descendant aux enfers en tira tous ceux qui avaient eu une vie vertueuse et moralement bonne... Érasme combat pour le salut de l’âme de Cicéron dans une préface sur les Questions tusculanes, pp. 551, 552, 553.

[36] Comte de Maistre, Lettres, tome I, p. 235 : Je demande la permission de mettre sous les yeux des lecteurs la lettre tout entière ; elle est adressée à un comte de ses amis.

A l’égard de la mythologie, entendons-nous encore. Sans cloute, toute religion pousse une mythologie ; mais n oubliez pas, cher comte, ce que j’ajoute immédiatement, que celle de la religion chrétienne est toujours chaste, toujours utile et souvent sublime, sans que, par un privilège particulier, il soit jamais possible de la confondre avec la religion même... Écoutez, je vous prie, un exemple : il est tiré de je ne sais quel livre ascétique, dont le nom m’a échappé.

Un saint, dont le nom m’échappe de même, eut une vision pendant laquelle il vit Satan debout devant le trône de Dieu, et ayant prêté l’oreille, il entendit l’esprit malin qui disait : Pourquoi m’as-tu damné, moi qui ne t’ai offensé qu’une fois, tandis que tu sauves des milliers d’hommes qui t’ont offensé tant de fois ? Dieu lui répondit : M’as-tu demandé pardon une fois ?

Voilà la mythologie chrétienne ! C’est la vérité dramatique qui a sa valeur et son effet indépendamment même de la vérité littérale, et qui n’y gagnerait même rien. Que le saint ait ou n’ait pas entendu le mot sublime que je viens de vous citer, qu’importe ? Le grand point est de savoir que le pardon n’est refusé qu’à celui qui ne l’a pas demandé. S. Augustin a dit d’une manière non moins sublime : Dieu te fait-il peur, cache-toi dans ses bras (vis fugere a Deo, fuge ad Deum). Pour vous, mon cher comte, c’est peut-être aussi bien : mais pour la foule, il s’en faut de beaucoup. Je dis peut-être ; car, soit dit entre nous, tout le monde est peuple sur ce point, et je ne connais personne que l’instruction dramatique ne frappe plus que les plus belles morales de métaphysique.

[37] Urlichs, Codex Urbis Romæ topographicus, pp. 22, 24, 38, 79, 108.

[38] Aurelius Victor, cap. XLI, 13.

[39] Ammianus Marcellinus, Rerum gestarum, libr. XVI, cap. X, n. 15, éd. Teubn. Cum ad Trajani forum venisset, singularem sub omni cælo structuram, ut opinamur, etiam numinum adsensione mirabilem, hærebat adtonitus per giganteos contextus circumferens mentem nec relatu effabiles nec rursus mortalibus adpetendos. Omni itaque spe hujus modi quicquam conandi depulsa Trajani equum solum locatum in atrii medio, qui ipsum principem vehit, imitari se velle dicebat et posse.

[40] Il Paradiso, canto XX. Trajan est le premier des princes qui forment le sourcil de l’aigle sacré, il est appelé : Celui qui consola la veuve de la mort de son fils... Cf. Petri Allegherii super Dantis ipsius genitoris comediam commentarium nunc primum in lucem editum... Florentinæ, 1845, pp. 367 et 680.

[41] Le moyen âge aimait à établir ces rapports entre les païens et les chrétiens. Cf. F. Ozanam, les Poètes franciscains, ch. I. Il n’y a presque pas une des vieilles cités italiennes, qui ne prétende avoir dans ses fondements les ossements d’un saint et ceux d’un héros ou d’un poète. Naples montre la sépulture de saint Janvier et celle de Virgile. Padoue avait élevé un monument incomparable à saint Antoine, mais elle conservait avec vénération la pierre qui passait pour le tombeau d’Anténor. Sienne, la ville des saints, gardait fièrement son titre de colonie romaine, et sur le parvis de sa cathédrale une colonne portait l’image de la louve et des deux jumeaux. Ce culte du passé eut ses excès, mais le principe en était respectable. Les hommes du moyen âge croyaient que la source des grandes actions est dans les grands souvenirs. — On rencontre quelquefois, dans ces légendes, les personnages les plus inattendus. Il y a des comparaisons entre Eve et Proserpine ! et l’Anglais Audoënus écrivait à ce sujet le distique suivant :

Utraque gustevit vetitum, pænasque pependit :

Hæc flores, fructus dum legit illa, perit !

(Cf. La Mothe de Vayer, tom. I, de la Vertu des Païens, 2e partie, p. 585.) L’imagination une fois échauffée, ne se calme pas facilement : il y eut aussi des comparaisons entre la Sainte Vierge et Proserpine ! (Cf. Biblioth. nationale, Mss. fonds français, n. 6839.) L’une des compositions de ce manuscrit est consacrée à la Purification de la Sainte Vierge ; mais l’un des compartiments représente le couronnement de Proserpine ! Dans le lointain on aperçoit plusieurs personnages bien drapés ; ils entrent aux régions infernales, ils en sortent une chandelle allumée à la main.

[42] Th. Mommsen, Étude sur Pline le Jeune, § XI, p. 70, trad. de M. Morel. — M. Mommsen a réuni toutes les inscriptions qui se rapportent à Pline le Jeune (Corpus Inscriptionum Latinarum Italiæ, tome V, n. 5262, 5263, 5261, 5667, 5279). Le n. 5275 paraît désigner Pline le Jeune avant son adoption par Pline l’Ancien. L’inscription la plus remarquable est peut-être celle de la Basilique ambrosienne de Milan. Alciat, un historien milanais (Historiæ Mediolanensis seu rerunt Patriæ, lib. II, p. 125) raconte que la tablette de marbre sur laquelle l’inscription fut gavée, avait été sciée en quatre parties, pour servir de tombeau au roi Lothaire. L’inscription avait souffert de cette transformation. Mais Alciat avait pu se procurer une lecture des fragments faite au XVe siècle, et Janus Gruter l’avait insérée dans son recueil d’après l’interprétation d’Alciat, en conservant la division en quatre compartiments (Corpus Inscriptionum, tom. II, p. 1028.) M. Mommsen qui n’a pas vu l’inscription ; mais seulement la copie, veut qu’il y ait eu six compartiments. Un seul existe encore, dont M. Mommsen n’a pu avoir communication. J’ai fait à Milan plusieurs tentatives infructueuses pour obtenir communication du fragment qui existe encore. (Étude sur Pline le Jeune, p. 85.) Ce fragment est aujourd’hui encastré dans l’atrium de la Basilique ambrosienne. J’en dois la copie à la bienveillance de M. l’abbé Duchesne, ancien membre de l’École française à Rome. Voici le fragment :

CPLINIVS – L -

AVGVRLEGATPR

CONSVLARIPOTESTA

IMPCAESARNERVA

VRATOR VEIT

PRAEFÆRARISAT

QVA ESTOR IMP

Je propose cette lecture :

CAIUS PLINIUS LUCII...

AUGUR LEGATUS, PRœses. .

CONSULARI POTESTATE,

IMPERATORE CÆSARE NERVA (Trajano).

CURATOR ALVEI TIEERI...

PRÆFECTUS ÆRARI SATURNI...

QUÆSTOR IMPERATORIS...

[43] C. Plini Cœcili Secundi Epistularum libri novem, Epistularum ad Trajanum liber Panegyricus ex recens. H. Keilii. Lipsiæ, 1870. Epistul. lib. VII, VIII : Ut enim terræ variis mutatisque seminibus, ita ingenia nostra nunc hac nunc illa meditatione recoluntur. Je cite le teste et l’orthographe de H. Keil, mais je conserve l’ordre des Lettres, tel qu’il existe dans les éditions antérieures.

[44] Epistul., lib. V, III : Facio nonnunquam versiculos severos parum... ; aliquando præterea rideo, jocor, ludo, utque omnia innoxiæ remissionis genera breviter amplectar, homo sum.

[45] Epistul., l. IV, XVIII : Eadem, si quando recito, in proximo discreta velo sedet laudesque nostras avidissimis auribus excipit. Versus quidem meo cantat etiam formatque cithara...

[46] Epistul., l. VI, XXIX.

[47] Epistul., l. II, II.

[48] Epistul., l. IX, XXXVI : Cogito, si quid in manibus, cogito ad verbum scribenti emendantique similis.

[49] Epistul., l. I, XX : Si tamen detur electio, illa orationem similem nivibus hibernis, id est crebram et adsiduam et largam, postremo divinam et cœlesem, volo.

[50] Epistul., l. II, XI : Dixi horis pœne quinque.

[51] Epistul., l. VI, XII : Præsertim in harena mea, hoc est apud centumviros.

[52] Epistul., l. VI, XXIX.

[53] Strabon, éd. Didot, tom. I, p. 470-480, Strabon était lui-même originaire du Pont et de la ville d’Amasie, dont les mines furent célèbres, comme celles de la Chersonèse par le nombre de Chrétiens qu’on y faisait travailler.

[54] Pompon. Méla, tom. I, c. XIX. — Cependant, les légendes argonautiques racontent que cette mer fut d’abord regardée comme inhospitalière (άξενος)

[55] Epistularum ad Trajanum liber XLI : Solent enim ejus modi ad halineum, ad purgationes cloacarum, item munitiones viarum et vicorum dari.

[56] Epistul. ad Trajan. liber, XLII. Trajan répond en ces termes à la consultation de Pline : Tibi quidem secundum exempla complurium in mentem venit posse collegium fabrorum apud Nicomedienses constitui. Sed meminerimus provinciam istam et præcipue, eam civitatem ejusmodi factionibus esse vexatam. Quodcumque nomen ex quacumque causa dederimus iis qui in idem contracti fuerint... hetæriæque brevi fient. Satius itaque est comparari ea quæ ad coercendos ignes auxilio esse possint admonerique dominos prædiorum ut et ipsi inhibeant, ac si res poposcerit accursu populi ad hoc uti.

[57] Act. Apostol., XVIII, 2 : Ponticum genere.

[58] I Petri, IV, 15, 16.

[59] Tertullianus, Apologetic. XXXIX : Coimus in cœtum et congregationem ut ad Deum, quasi manu facta, precationibus ambiamus... certe fidem sanctis vocibus pascimus, spem erigimus, fiduciam figimus, disciplinam præceptorum nihilominus in compulsationibus densamus.

[60] Le Blanc, Inscrip., tom. I, p. 355 : ΗΜΕΡΑ ΗΛΙΟΥ.

[61] Lucianus, Philopatris, dialog. LXXVII, n. 23. — Je connais la dissertation de Mathias Gesner sur ce dialogue ; elle se trouve à la fin du IXe volume de l’éd. Lehmann (pp. 637-686), et conclut à la non authenticité du Dialogue. Je n’ai pas ici à prendre parti sur l’auteur du Philopatris ; mais, alors même que cet opuscule ne devrait pas être attribué à Lucien, il me parait difficile de ne pas le rapporter à son temps, précisément à cause des traits, comme celui que j’ai cité, qui attestent une connaissance assez précise des habitudes des anciens fidèles et de leurs cérémonies.

[62] Epist. I ad Corinthios, XIV, 26.

[63] S. Justinus, Apologia II pro Christianis, n. 18, (Cf. ad. Otto, Corpus Apologetarum, Iena, 1877, t. I, p. 242.) — Cf. égal. : Minucius Felix, Octavius, ch. XXXV : Si vobiscum Christiani comparemur... multo vobis meliores deprehendemur. Vos enim adulteria prohibetis et facilis, nos uxoribus nostris solummodo viri nascimur ; vos scelera admissa punitis, apud nos et cogitare, peceare est...

[64] Peut-être peut-on prétendre que ces réunions furent appelées assemblées du soir, de nuit, d’avant-jour, cœtus vespertini, nocturni, antelucani, parce qu’à certaines fêtes, les chrétiens prolongeaient leurs veilles jusqu’au matin. (Tertull. II ad Uxorem, t, IV.) Cependant, bien que dès les premiers siècles, on ait offert le sacrifice dans la réunion du matin, l’usage ne fut ni uniforme ni universel. (Sozomène, Hist. Ecclés., l. VII, cap. XVII.) Dans certaines localités, les réunions se faisant par prudence avant le jour, n’étaient pas favorables au repas des agapes. On différait, alors le festin sacré et les agapes qui y étaient jointes, jusqu’à l’assemblée du soir, au moment où l’on avait coutume de prendre la nourriture. (S. August. Epist., CXVIII ad Januarium.)

[65] Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, lib. II, cap. I.

[66] Epist. I ad Corinth., cap. XI.

[67] Tertullian, Apolog., cap, XXXIX : Oratio convivium dirimit.

[68] Routh, Reliquiæ saçræ, tom, III, p. 515.

[69] Καxοήθεις

[70] Minucius Félix, Octavius : Oratio Cœcilii adv. Christianos... passim... Cf. aussi : Arnobius, Adv. gentes, lib. I, p. 24 : Aruspices has fabulas (calumnias in Christianos) convectores, arioli, vates et nunquam non vani concinnavere fanatici ; qui, ne suæ artes intereant, ac ne stipes exiguas consultoribus excutiant jam raris, si quando vos celle rem venire in invidiam compererunt, negliguntur dii, clamitant, atque in templis, jam raritas summa est : jacent antiquæ derisui ceremoniæ, et sacrorum quondam veterrimi ritus religionum novarum superstitionibus occiderunt.

[71] Titus Livius, l. IV, § 30 : Datum negotium ædilibus, ut animadverterent, ne qui, nisi Romani Dii, nec quo alio more quam patrio colerentur.

[72] Dion Cassius, Hist. Rom., lib. LII, § 36.

[73] Ruinart, Acta rincera et electa, § S. Martyr. Lugd. XI. On lisait sur une tablette, portée en tête du cortége, l’inscription latine : Hic est Attalus Christianus.

[74] Tacitus, Annal., XV, 44. — Suétone les appelle maleficam gentem. Néron, § 16.

[75] Tertullian, Apolog., c. XL : Si Tiberis ascendit in mœnia, si Nilus non ascendit in arva, si ceelum stetit, si terra movit, si Eames, si lues, statim : Christianos ad Leonem.

[76] H. Keil, Commentationes duæ de Epistotis Plini J. emendandis. Erlangen, 1864-1866. — Cf. aussi C. Plini Cæcili Epistularum libri novem, Epistularum ad Trajanum Liber.., mais surtout la préface, qui résume tous les travaux antérieurs, p. I-XLVII. — Cf. également : Étude sur Pline le jeune, par Théodore Mommsen, traduit par C. Morel, répétiteur à l’École des hautes études, Paris, 1873. (Cinquième fascicule du Recueil des travaux originaux ou traduits relatifs aux sciences historiques.)

[77] Q. Aurelii Symmachi, Relations, éd. Meyer, in Præfatione.

[78] H. Keil, C. Plini... Epistularum libri novem, præf. p. XI : pag.  174, epistulæ Plinii Junioris occurrunt, ab ipso librario scriptæ, hoc titulo : C. Plinii secundi Epistularurn libri numero decem.

[79] Alde Manuce, préface des Lettres de Pline, dans l’édition de 1508 : Adeo diversis a nostris characteribus, ut nisi quis diu assueverit, non queat legere.

[80] Voici l’épigramme composée par Lascaris sur Guillaume Budé, secrétaire du Roi et directeur de la Bibliothèque royale :

Augusti ut Varro, Francisi bibliothecum

Angel Budœus, Palladiis auspiciis.

Nam docti pariter ; judex hic æquior illi est

Qui voces Greiis reddit, at ille adimit.

Cf. Jani Lascaris Rhyndaceuni, Epigrammata, Parisiis, 1544, in-8°, p. 19.

[81] Guillelmus Bæudus, In annotationibus ad Pandectas, et præf. ad Cancellarium de Ganay : Nos integrum ferme Plinium habemus, primum apud Parisios repertum, opera Jucundi sacerdotis, hominis antiquarii architectique famigerati.

[82] Guilelm. Budæus : Cf. passim. De Asse., lib. IV et lib, V. — J. Cæs. Scaliger, Exotericarum Exercitutionum, lib. XV, Parisiis, in-4°, 1557, pp. 104, 329, 331 : Omnis antiquitatis peritissimus et antiquariorum diligentissimus.

[83] Commentarii Julii Cæsaris, Ald. Venetiis, 1513. Epistol. Joannis Jucundi Veronensis Juliano Medici S. p. d. : Non unum quodlibet solum pertegendum, sed plurima conferenda exempla. Ex varia lectione non quæ tibi maxime placent eligenda, sed quæ cæteris auctoris ipsius scriptis magis accommodata esse videatur, ita ut illius tibi prope animus induendus sit.

[84] Echard, Scriptores ordinis Prædicatorum, Paris, 1721, tom. II, p. 137 : Albertus, nunquam salis pro meritis laudandus.

[85] Dans la dernière édition de Keil, on a cru devoir, sur les indications chronologiques de M. Mommsen, intervertir l’ordre des lettres, mais j’ai eu soin d’avertir que je citais d’après le texte de Keil, et que je conservais l’ordre adopté par les anciens éditeurs.

[86] Epistotæ Plinii ad Trajanum, cum Panegyrico, es castigatione Philippi Bercaldi. Benedictus Hectoris Dononiensis impressit, anno M. D. II. — XIII Januarii. On lit dans la Préface : Hæc sunt Epistolæ aliquot, quæ nuperrime in lucem prodierunt, a Plinio Secundo ad Trajanum Imperatorem et a Trajano ad Plinium scriptæ ex brevitate laconica, quæ in epistolico charactere haud, partira habet concinnitudinis. Has proxime recognovi... Quidquid id est Lector, boni consule.

[87] Epistolæ Plinii Junioris noviter repertæ, summaque diligentia impresse per Joannem de Tridiuo (de Cereto. Venetiis) alias Tacuinum, anno Incarnationis Domini MCCCCCII, die vero undecimo mensis Maii et cum privilegio.

[88] Cf. le texte publié à la fin de cette partie. Béroald écrit, si flagiliis careat, pertinaciam, causis, esse se christianos, ab judice, rursusque ad capiendum, et cœras, decurri, si deferentur, quamvis suspectus in præteritum ; Avanzio reproduit la même leçon et la même orthographe.

[89] C’est ainsi qu’Avanzio écrit flagitia cohœrenti, passumque venire victimarum ; Béroald, qui nous parait avoir la vraie leçon, écrit au contraire flagitia cohærentia, pastumque venire victimarum.

[90] C. Plinii Cœcilii Secundi et Trajani Imperatoris Epistolæ mutuæ, ab interpolationibus purgatæ cura Jo. Gasp. Orelli, Turici, 1533. Préface, p. v : Nec vero mirum videri debet hujus (Beroaldi) curam prorsus ignotam fuisse Avantio. Scilicet ante hos trecentos armes idem rei librariæ inter Italos status fuisse videtur, qui etiam nunc obtinet.

[91] Ambroise Firmin Didot, Alde Manuce et l’hellénisme à Venise, Paris, 1875. Ce livre est plein de détails curieux et intéressants, sur toute l’histoire de cette époque.

[92] Cette lettre est l’épître dédicatoire de l’édition de 1508 ; Aldus Pius Manutius, Romanus, Aloisio Mocenico equiti et Senatori Veneto, s. p. d. : Tibi in primis habenda est plurima gratia, inclyte Aloysi, qui exemplar ipsum epistaolarum reportasti in Italiam mihique dedisti, ut excusum publicarem : deinde Jucundo Veronensi, vire singulari ingenio ac bonarum litterarum studiosissimo, quod et easdem Secundi epistolas ab eo ipso exemplari a se descriptas in Gallia diligenter, ut facit mania, et sex alla volumina epistolarum partira manu scripta, partial impressa quidem, sed cum antiquis collata exemplaribus ad me ipse sua sponte, quæ ipsius est erga studiosos omnes benevolentia, apportaverit, idque biennio antequam tu ipsum mihi exemplar publicandum tradidisses.

[93] C. Plinii Secundi Novocomensis epistolarum libri decem in quibus multæ habentur epistolæ non ante impressæ. Tum græca correcta et suis loris restituta, atque rejectis adulterinis, vera reposita. Item fragmeutataé epistolie, integræ factæ. In medio etiam epistolæ libri octavi de Clitumno fonte, non solum vertici calx additus et calci vertex, sed ducem quoque epistolæ interpositæ, ac ex nono libro octavas factus, et ex octave nonus, idque beneficio exemplaris correctissimi, et miræ ac potius venerandæ vetustatis.

Suit l’indication des ouvrages publiés, et on lit, à la dernière page : Venetiis, in ædib. Aldi et Andreæ Asulan soceri. Mèse novembri M. D. VIII. — In-8°.

[94] Je dois ce privilège à la constante bienveillance de MM. les Bibliothécaires de la Bibliothèque nationale ; je les prie de vouloir bien agréer ma respectueuse reconnaissance.

[95] Epistular., l. IV, XXVIII.

[96] Mommsen, Étude sur Pline le Jeune, p. 30, n. 3.

[97] M. Aubé a donné la traduction des deux lettres (Histoire des persécutions, p. 207 et sq.). Cette traduction se distingue par des qualités brillantes ; cependant je ne saurais l’accepter de tout point. Je ne veux rien dire de la manière protestante de rendre le mot Christus, sans faire précéder le mot Christ de l’article ; cette manière de traduire se retrouve aussi bien dans l’Histoire des persécutions que dans l’article de la Revue contemporaine. De plus, je ne crois pas que dans la traduction des mots promiscuum tamen et innoxium, il faille négliger la particule tamen ; que ministræ dicebantur doive être rendu par qu’ils appelaient leurs servantes comme si ces esclaves eussent appartenu aux chrétiens apostats ; enfin je préfère le texte de Béroald, qui écrit pastumque venire victimarum au lieu de passim venire victimas.

[98] Éd. Aldina, in-8°, pp. 327, 328, 329.

[99] Benbellona de Godentiis (Bartholomæus Gœricius), Commentatio juridico-polltico-historica pro defensione autonomiæ. Seu suscitabulum principum, Francofurt, 1512, in-12.

[100] Aldus Pius Manutius, C. Plinii... libri decem, Præf : Esse autem Plinii Epistolas ad Trajanum ; multis rationibus probari potest, sed his potissimum : primum quia in antiquissimo exemplari, una cum aliis, ut uos imprimendas curavimus, sub Plinii Junioris nomine scriptæ sunt. Deinde, quia Plinii illud de Christianis ad Trajanum et rescriptum Trajani super ea re habetur in una ex eisdem Epistolis ad Trajanum.

[101] Catanœus, Epistolartam Plinii libri decem, Mediolani, 1519 ; argumentum epistolmæ XCVII, X libri.

[102] Franecisci Balduini jurisconsulti, Commentarii ad edicta veterum Principum Romanorum de Christianis, Basileæ, per Joann. Oporinum, in-8°. Baudouin transcrit les deux lettres et les commente longuement de la page 29-69.

[103] Samuel Petit, Diatriba de Jure principum edictis Ecclesia quœsito, nec armis adversus temerantes aut antiquantes vindicato. Amstelod., in-8°.

[104] Cunrad Rittershusius, Optimus Princeps Trajanus, Ambegæ, 1668, in-8°.

[105] Gerhardus Joannes Vossius : In Epistolam Plinii de Christianis commentarius, Amstelod., 1656, in-16, p. 1-61. Verum esse genuinum (Xum Librum) extra controversiam poni debet, præsertim de Epistola illa quæ super Christianis Trajan judicium exquirit, item ista qua Cæsar Plinio respondit. Vossius divise la Lettre XCVII en trois parties : Cujus Partes sunt tres : Prima est propositio. Altera autem narratio facti Pliniana, tertia judicum Plinii de toto hoc negotio, p. 5 et 6. Chacune des trois parties est rapprochée des faits de l’histoire générale, des textes des Pères et des passages du jurisconsulte Ulpien.

[106] Just. Hennings Böhmer : XII Dissertationes Juris Ecclesiastici Antiqui ad Plinium Secundum et ad Tertullianian. On lit, 1e de Stato die Christianorum, p. 5 : Plinius Secundus.. relationem quidem concisam et perbrevem, sed quæ historiæ Ecclesiastiæ multam lucem adferre potest, Trajano imperatori misit, quæ tanto gravius pondus habere, debet, quod ex Actis judicialibus desumta esse videatur.

[107] Nicolas Cœffeteau, Histoire romaine, IX.

[108] Laurent Mosheim, De Rebus Christianis ante Constantinum Magnunt commentarius.

[109] Revue des Deux-Mondes, livraison du 15 décembre 1874, l. c.

[110] Dörner, Histoire de la Théologie Protestante, trad. A. Paulmier, pp. 608 et 609.

[111] Joh. Sal. Semler, Commentarii historici de antiquo Christianorum statu, 2 vol, in-8°, Hallæ-Magdeburgicæ, 1771, Cf. t. I, sæcul, I, § 33.

[112] Joh. Sal. Semler, Noræ observationes quibus studiosius illustrantur potioria capita hist. et relig. Christianæ usque ad Constantinum Magnum, Halle, 1784, cf. sæc. II, p. 37.

[113] Adolph. Christoph. Haversaat, Vertheidigung der Plinius’schen Briefe uber die Christen gegen die Eiwürfe des Dr Semler, 8, Gottingæ, 1788.

[114] Joh. Sal. Semler, Neue Versuche die Kirchenhistorie cler ersten Jahr hunderte mehr aufzuklären, S. Lipsiæ, Fasciculus I, p. 119-246.

[115] Hen. Corodi, Beitrage zur Beförderung der vernünfligen Denkens in der Religion.

[116] Gottlieb Erdman Gierig, Epistolarum libri decem, tom. II, p. 498-506.

[117] Jo. Casp. Orelli, C. Plinii Secundi et Trajan Imperatoris epistolæ mutuæ, Turici, 1833, p. 37-39.

[118] Henricus Keil, C. Plini Cœcili Secundi Epistularum libri novem Epistularum ad Trajanum liber, Panegericus. Lipsiæ, 1870, p. 307, 308.

[119] Mommsen, Étude, p. 30, note 3. Je dis que M. Mommsen s’exprime ainsi, car ce savant a relu lui-même les épreuves de la traduction française. Avant-propos.

[120] B. Aubé, Histoire des persécutions de l’Église, l. c., pp. 216-218.

[121] VI Epist., 12. In harena mea, hoc est apud centumviros.

[122] Les principaux détails du cursus honorum de Pline sont empruntés à l’Étude de M. Mommsen, Étude sur Pline le jeune.

[123] Apologétique, c. II : Christianus.... nomen valde infestum.

[124] Actes des Apôtres, c. XVIII, 12.

[125] Actes des Apôtres, XIV, 7 : Ire tentavit in Bithyniam.

[126] Saint Épiphane, Hæres., XXVII, 6.

[127] Actes apost., VIII, 25, græce : πολλάς τε xώμας εύηγγελίζοντο.

[128] Je ne nie pas qu’il y ait dans ce développement de saint Justin, quelque chose d’oratoire ; mais ce développement oratoire n’aurait pu être produit, si le fait de la propagation du christianisme au IIe siècle, n’avait pas été constaté. Cf. Justin philos. et martyris, Dialopus cum Tryphone, § 117. Édition d’Otto, Iéna, 1877 : Corpus Apologetarum Christianorum sæculi secundi, t. II, p. 420.

[129] Contra Celsum, lib. VIII, éd. Delarue, p. 793, 794.

[130] Contra Celsum, III, éd. Delarue, p. 458.

[131] J’ai dû insister sur le sens vrai des mots d’Origène πάνυ όλίγοι : l’interprétation de M. Aubé étant déjà passée dans l’Histoire des Romains de M. Duruy (Cf. Histoire des Romains, tom. V, p. 477, not 1). La communauté des chrétiens, y est-il dit, n’était pas considérable.

[132] On connaissait ces esclaves, ces femmes dévouées à la foi chrétienne. Elles allaient consoler les captifs dans les prisons, ministræ feminæ (Cf. saint Epiphane, Hæres, LXXIX, cap. III.) — Lucien, Pérégrinus, appelle ces femmes γραίδια, χήρας τινάς.

[133] Prudence, ex libro περί στεφάνων, hym. III, stroph. XXV.

[134] Bossuet, Dissertation sur l’Histoire universelle, 2e part., ch. XXVII.

[135] Je ne me crois pas dispensé de rapporter les témoignages d’Eusèbe de Césarée et de saint Jérôme. C’est en ces termes, qu’Eusèbe de Césarée raconte la consultation de Pline à l’empereur Trajan : Τετυλλιανός ίστορεϊ Πλίνιον Σεxοΰνδον ήγοΰμενον έπαρχίας, πλήθη χριστιανών xαταxρίναι θανάτω περί ών άπορών τι πράξοι, xοινοΰται Τραιανώ, μηδέν άξιον θανάτου πράττειν άυτούς πλήν τοΰ μή θύειν έιδώλοις xαί ότι Χριστόν ώς Θεόν ύμνοΰσιν (έωθεν) άνιστάμενοι, άπεχόμενοι πάντων xαxών. Πρός δέ άντέγραψε Τραιανός μή εxξητεϊσθαι χριστιανούς. (Cf. Eusèbe, Pamph. Chronic. Can. libri duo, édit. Angelo Mai, Mediolan... 1808, p. 80 ; Eusèbe, Pamph. Historia Eccles., III, 33.) Il reste deux traductions de cette Chronique d’Eusèbe, l’une en latin faite par saint Jérôme, l’autre en langue arménienne, dont les Mékitaristes de Venise ont donné une traduction latine, dans la première partie de ce siècle. Je cite d’abord la traduction de saint Jérôme. Plinius Secundus cura quamdam provinciam regoret, et in magistratu sue plurimos Christianorum interfecisset, multitudine eorum perterritus, quæsivit a Trajano, quid facto opus esset, nuntians ei, præter obstinationem non sacrificandi et antelucauos cœtus ad canendum cuidam Christo ut Deo, nihil apud eos reperiri. Præterea ad confœderandam disciplinam, vetari ab his homicidia, furia, adulteria, latrocinia, et his similia. Ad quos commotus Trajanus rescribit : Hoc tenus quidam inquirendum non esse, oblatos vero puniri oportere. Tertullianus refert in Apologetico. (Cf. S. Hieronym. interpretatio Chronici Eusebii Pamphili, ann. D’ CX).

Voici maintenant en latin la traduction du texte arménien :

Plinius Secundus, cujusdam Provincim Præses, plurimos Christianorum capitis damnavit, et condignam suis factis similiter retributionem recipit, turba nimirum in multitudine exorta, anxius hærebat, quid facto opus esset. Rem ad Trajanum regem deferendam putavit, declarans ei, præter cultum idolis non adhibitum, nihil dedecoris apud eos reperiri. De hoc etiam eum certiorem faciebat, diluculo surgere Christianos solere, et Christum ut Deum glorificare, atque prohibere (suos) ab adulterio, homicidio, aliisque simillimis rebus. Ad hæc vero rescribit (Trajanus) inquirendas (non esse) gentes Christianorum. Refert autem (hæc) Tertullianus. Cf. Eusèbe Pamph. Pars II, Chronic. canon. Venetiis 1818. p. 157 (opera Jo. Baptistæ Aucher Aucyram, nunc primum ex armeniaco textu in latinum conversa).

Le texte d’Eusèbe et les deux traductions qui viennent d’être citées peuvent donner lieu aux observations suivantes. En premier lieu, il n’est personne qui ne voie combien elles sont identiques, pour le fond des choses. Une variante du texte me semble très importante pour montrer que ni Eusèbe, ni saint Jérôme n’ont copié la leçon de Tertullien. Cet apologiste, en effet, écrit Christo ET Deo, mais Eusèbe et saint Jérôme ont transcrit Christo UT Deo, ce qui donnerais à entendre, dit Œlher, le savant éditeur de l’Apologétique, qu’Eusèbe et saint Jérôme ont dû se reporter à l’original, et ne pas reproduire le texte vrai ou fautif de Tertullien : facile feri poluit ut Eusebius et Hieronymus ipsi ex Plini loco sine non errorem corrigerent (Cf. Q. Sept. Florent, Tertulliani, Apologeticum, edidit Francisc. Œlher, Hallæ-Saxonum, 1849, p. 13). En second lieu, quoi qu’il en soit d’Eusèbe de Césarée, un critique très curieux et plein de discernement, je ne crois pas que saint Jérôme n’ait connu le texte de Pline que par l’entremise de Tertullien. Ce saint docteur, qui a été le plus savant des Latins, dit Erasme, n’avait pas manqué d’étudier Pline dans l’original et surtout à propos d’une question qui intéressait si vivement la foi chrétienne. Du reste, je ne trace pas, après coup, le programme des études de saint Jérôme ; il a pris soin de nous informer lui-même des auteurs qui avaient servi à la culture de son esprit ; il rappelle que Pline était un livre d’étude où l’on se formait à la douceur du style : lenitatem Plinii. Voici le passage qui aura sans doute échappé à M. Aubé : Ad quam (mentem) edomandam, cuidam fratri, qui ex Hebræis crediderat, me in disciplinam dedi, ut post Quintiliani acumina, Ciceronis fluvios, gravitatemque Frontonis, et lenitatem Plinii, alphabetum discerem et stridentia anhelantiaque verba meditarer. (Cf. S. Hieronym. Ep. CXXV, tom. I, p. 940, éd. Martianay).

[136] Tertullien, Apologétique, c. II, éd. Œlher.

[137] Il n y avait pas de serment proféré dans les réunions des Chrétiens. Il est probable que Pline aura rendu μυστήριον prononcé dans la déposition par le mot sacramentum ; c’est ainsi qu’à la fin de la lettre le mot ministræ rappelle tout à fait le Διάxονοι des Grecs. Ces femmes ont été célèbres aux origines du Christianisme, sous le nom de Diaconesses.

[138] Il n’est pas possible, dans un article de Revue, de discuter toutes les opinions de M. Aubé. Cependant qu’il me permette de lui dire au sujet des Actes de Pilate, que Van Dale pourrait bien n’être pas au courant de la science, et que Tischendorf, dont l’autorité n’est pas contestable en matière d’apocryphes, ne prend pas un parti aussi tranché sur les Actes de Pilate. Cf. C. Tischendorf ; Evangelia apocrypha sive de Evaneliorurn Apocryphorum origine et usu, Hagæ Comitum, 1851. Voici l’opinion de Tischendorf, pp. 64, 65 : Ea... jam Justino magnæ auctoritatis esse videbantur, quam utique non habebant nisi a nomine Pilati, testis rei gestæ gravissimi et qui idem, ut videtur ab Justino, suasor libelli publico usui destinati credebatur. Eadem acta mox inter Christianos satis divulgata esse, et Tertullianus et Eusebius et Epiphanius aliique multi testificantur. Hæc igitur an eadem ac nostra fuerint, quæritur. Quodsi eadem fuisse contendere temerarium est, diversa fuisse nemo demonstrabit.

[139] M. E. Desjardins reprend vivement cette assertion de Tertullien qui attribue à Pline une parole qu’il n’a pas dite, mais M. Desjardins tombe dans le défaut qu’il reproche à Tertullien : Il écrit A gradu pulsis. La particule n’est réclamée ni par le texte d’Œlher, ni par la grammaire. M Desjardins use sans doute du droit que parait lui donner Tertullien, il le cite de mémoire. (Revue des Deux-Mondes, l. c.)

[140] Aubé, Histoire des persécutions, l. c., p. 216, 217.

[141] M. Aubé écrit à propos des différences entre le texte de Tertullien et celui de Pline ce sont là des nuances qu’on a le droit de noter. Je crains que l’auteur de la Nouvelle histoire n’ait pas toujours une méthode aussi rigoureuse. Dans un article bibliographique sur l’Histoire ancienne des peuples de l’Orient, par G. Maspero, M. Aubé n’attaque pas seulement les brillants et pompeux articles de Bossuet où se trouvent nombre de lacunes et d’inexactitudes, il nous révèle encore quelques-uns des secrets qui enveloppent son Histoire des persécutions comme d’un voile. Il nous apprend d’abord que l’histoire est une œuvre de science, ce qui paraîtrait exiger qu’on la refit tous les cinquante ans ; ensuite, que l’histoire est plus œuvre d’art que de science, ce qui doit exiger qu’on la pare et qu’on l’orne plus souvent. A propos de l’histoire de M. Maspero, M. Aubé ne songe qu’à s’apitoyer sur les pauvres petites créatures de onze ans qui ne manqueront pas d’avoir les yeux éblouis par cette poussière de faits et de noms ; il ne se demande même pas ce que ces enfants pourront apprendre de leur religion et de leur origine, dans une histoire où le récit de la Genèse est placé sur le même plan que la légende de Xisuthrus ! La jeunesse parait-elle sauvée à M. Aubé, si elle parvient à se dégager des mythes et des légendes comme vient de le faire. M. Maspero, en rejetant la plupart des récits bibliques. C’est une nuance qui mérite d’être notée. (Cf. Journal officiel, mercredi 6 octobre 1875.)

[142] Pour solenne est mihi (Suétone, Auguste, CXLIV) ; pour instruere ignorantiam (Leg. II, c. de Delatoribus) ; pour duci jussi (Sénèque, de Ira, lib. I, cap. XVIII) ; pour imagini supplicarent (Tacite, Annales, XV, cap. XXIX) ; pour appellati (Valerius Maximus, lib. IV, de Liberatitate, cap. VIII, n. 3).

[143] Aulu-Gelle, Noctes Atticæ, lib. II, 25.

[144] Cf. en particulier, pour quamlibet teneris (II Epistul. XIV) ; pour stato die (IX Epistul. XXXIX), pour carmen (Panegyr., III.)

[145] Aubé, Histoire des persécutions, p. 218.

[146] Aubé, Histoire des persécutions, p. 218, nota au bas de la page.

[147] Revue des Deux-Mondes, loc. cit.

[148] M. Aubé, Histoire des persécutions, p. 222, note.

[149] Aubé, Histoire des persécutions, l. d., p. 219.