NAPOLÉON ET ALEXANDRE Ier

L'ALLIANCE RUSSE SOUS LE PREMIER EMPIRE

III. — LA RUPTURE

 

APPENDICE.

 

 

I

CORRESPONDANCE INÉDITE DE NAPOLÉON Ier AVEC LE GÉNÉRAL DE CAULAINCOURT, DUC DE VICENCE (1808-1809).

 

Dans le premier volume, nous avons constaté que les nombreuses lettres écrites par Napoléon au général de Caulaincourt, duc de Vicence, pendant l'ambassade de ce dernier en Russie, manquent dans la Correspondance imprimée et dans les manuscrits conservés aux archives nationales. Nous avons ajouté que les très volumineuses réponses de l'ambassadeur nous avaient permis de reconstituer, non le texte, mais le sens de ces instructions. Depuis lors, les lettres elles-mêmes, sous forme de copies pleinement authentiques, ont été retrouvées dans les papiers laissés par le comte de La Ferronnays, ambassadeur de France en Russie sous la Restauration. M. le marquis de Chabrillan, possesseur de ces papiers, et M. le marquis Costa de Beauregard, qui en a opéré le dépouillement, nous ont gracieusement autorisé à publier cette précieuse série de lettres : elles forment le complément naturel de notre ouvrage et comblent la plus importante des lacunes signalées dans la Correspondance de Napoléon Ier, telle qu'elle a été publiée sous le second empire[1].

 

Paris, le 2 février 1808[2].

M. le général Caulaincourt, j'ai reçu vos lettres. La dernière à laquelle je réponds est du 13 janvier. Vous trouverez ci-joint une lettre pour l'empereur Alexandre. Je ne doute pas que M. de Tolstoï n'écrive bien des bêtises. C'est un homme qui est froid et réservé devant moi, mais qui, comme la plupart des militaires, a l'habitude de parler longuement sur ces matières, ce qui est un mauvais genre de conversation. Il y a plusieurs jours qu'à une chasse à Saint-Germain, étant en voiture avec le maréchal Ney, ils se prirent de propos et se firent même des défis. On a remarqué trois choses échappées à M. de Tolstoï dans cette conversation : la première, que nous aurions la guerre avant peu ; la deuxième, que l'empereur Alexandre étoit trop faible et que si lui Tolstoï étoit quinze jours empereur, les choses prendroient une autre direction ; enfin que, si l'on devoit partager l'Europe, il faudroit que la droite de la Russie fut à l'Elbe et la gauche à Venise. Je vous laisse à penser ce qu'a pu répondre à cela le maréchal Ney, qui ne sait pas plus ce qui se passe et est aussi ignorant de mes projets que le dernier tambour de l'armée. Quant à la guerre, il a dit à M. de Tolstoï que si on la faisoit bientôt, il en étoit enchanté, qu'ils avoient toujours été battus, qu'il s'ennuyoit à Paris à ne rien faire, que quant à la prétention d'avoir la droite à l'Elbe et la gauche à Venise, nous étions loin de compte ; que son opinion à lui au contraire étoit de la rejeter derrière le Dniester. Le prince Borghèse et le prince de Saxe-Cobourg étoient dans cette même voiture : vous pouvez juger de l'effet que peuvent produire des discussions aussi ridicules. Tolstoï a tenu de pareils propos à Savary et à d'autres individus. Il a dit à Savary : Vous avez perdu la tête à Saint-Pétersbourg ; au lieu des déserts de la Moldavie et de la Valachie, c'est vers la Prusse qu'il faut porter vos regards. Savary lui a répondit ce qu'il avait à lui répondre. Je fais semblant d'ignorer tout cela. Je traite très bien Tolstoï, mais je ne lui parle pas d'affaires ; il n'y entend rien et n'y est pas propre. Tolstoï est en un mot un général de division qui n'a jamais approché de la direction des affaires et qui critique à tort et à travers. Selon lui, l'Empereur a mal dirigé les affaires de la guerre : il falloit faire ceci, il falloit faire cela, etc., etc. Mais quand on lui répond : Dites donc les ministres, il répond que les ministres n'ont jamais tort en rien, puisque l'Empereur les prend où il veut ; que c'est à lui à les bien choisir. Ne faites aucun usage de ces détails. Ce suint alarmer la cour de Saint-Pétersbourg et ne pourroit que produire un mauvais effet. Je ne veux pas dégoûter ce bon maréchal (sic) Tolstoï, qui parait si attaché à son maitre. Je n'ai voulu vous instruire de tout cela que pour votre gouverne ; mais le fait est que la Russie est mal servie. Tolstoï n'est pas propre à son métier, qu'il ne sait pas et qui ne lui plaît pas. Il parait cependant personnellement attaché à l'Empereur, mais les jeunes gens de sa légation le sont beaucoup moins ; ils s'expriment d'ailleurs même en secret de la manière la plus convenable sur ma personne ; ce pays n'est choqué que de celle dont ils parlent de leur gouvernement et de leur maître.

Aussitôt que j'ai reçu votre lettre du 13, j'ai envoyé un aide de camp à Copenhague et j'ai fait donner l'ordre à Bernadotte de faire passer en Scanie 14.000 Français et Hollandais. M. de Dreyer en a écrit à sa Cour de son côté et goûte fort cette idée.

Dites bien à l'Empereur que je veux tout ce qu'il veut ; que mon système est attaché au sien irrévocablement ; que nous ne pouvons pas nous rencontrer parce que le inonde est assez Grand pour nous cieux ; que je ne le presse point d'évacuer la Moldavie ni la Valachie ; qu'il ne nie presse point d'évacuer la Prusse ; que la nouvelle de l'évacuation de la Prusse avoit causé à Londres une vive joye, ce qui prouvoit assez qu'elle ne peut que nous être funeste[3].

Dites à Ilomanzoff et à l'Empereur que je ne suis pas loin de penser à une expédition dans les Indes, au partage de l'Empire ottoman, et à faire marcher à cet effet une armée de 420 à 25.000 Russes, de 8 à 10.000 Autrichiens et de 35 à 40.000 Français en Asie et de là dans l'Inde ; que rien n'est facile comme cette opération ; qu'il est certain qu'avant que cette armée soit sur l'Euphrate la terreur sera en Angleterre ; que je sais bien que, pour arriver à ce résultat, il faut partager l'Empire turc ; mais que cela demande que j'aye une entrevue avec l'Empereur ; que je ne pourrois pas d'ailleurs m'en ouvrir à M. de Tolstoï, qui n'a pas de pouvoirs de sa Cour et ne paroit pas même être de cet avis. Ouvrez-vous là-dessus à Romanzoff ; parcourez avec lui la carte et fournissez-moi vos renseignemens et vos idées communs. Une entrevue avec l'Empereur décideroit sur-le-champ la question ; mais si elle ne peut avoir lieu, il faudroit que Romanzoff, après avoir rédigé vos idées, m'envoyât un homme bien décidé pour ce parti avec lequel je puisse bien m'entendre ; il est impossible de parler de ces choses à Tolstoï. — Quant à la Suède, je verrois sans difficulté que l'empereur Alexandre s'en emparât, même de Stockholm. Il faut même l'engager à le faire, afin de faire rendre au Danemark sa flotte et ses colonies. Jamais la Russie n'aura une pareille occasion de placer Pétersbourg au centre et de se défaire de cet ennemi géographique. Vous ferez comprendre à Romanzoff qu'en parlant ainsi je ne suis pas animé par une politique timide, mais par le seul désir de donner la paix au immonde en étendant la prépondérance des deux Etats ; que la nation russe a sans aucun doute besoin de mouvement ; que je ne me refuse à rien, mais qu'il faut s'entendre sur tout. J'ai levé une conscription parce que j'ai besoin d'être fort partout. J'ai fait porter mon armée en Dalmatie à 40.000 hommes ; des régiments sont en marche pour porter celle de Corfou à 15.000 hommes. Tout cela, joint aux forces que j'ai en Portugal, m'a obligé à lever une nouvelle armée ; que je verrai avec plaisir les accroissemens que prendra la Russie et les levées qu'elle fera ; que je ne suis jaloux de rien ; que je seconderai la Russie de tous mes moyens. Si l'empereur Alexandre peut venir à Paris, il me fera grand plaisir. S'il ne peut venir qu'à moitié chemin, mettez le coin-pas sur la carte, et prenez le milieu entre Pétersbourg et Paris. Vous n'avez pas besoin d'attendre une réponse pour prendre cet engagement ; bien certainement je serai au lieu du rendez-vous quand il le faudra. Si celte entrevue ne peut avoir lieu d'aucune manière, que Romanzoff et vous rédigiez vos idées après les avoir bien pesées ; qu'on m'envoye un homme dans l'opinion de Romanzoff. Faites-lui voir comment l'Angleterre agit, qu'elle prend de toute main. Le Portugal est son allié : elle lui prend Madère. C'est donc avec de l'énergie et de la décision que nous porterons au plus haut point la grandeur de nos Empires, que la Russie contentera ses sujets et assoira la prospérité de sa nation. C'est le principal ; qu'importe le reste ?

L'Empereur est mal servi ici. Les cieux vaisseaux russes qui sont à Porto-Ferrajo depuis quatre mois ne veillent pas sortir de ce misérable port, où ils dépérissent, au lieu d'aller à Toulon, où ils auroient abondamment de tout. Les vaisseaux russes qui sont à Trieste, qui pourroient 'are utiles à la cause commune, y sont inutiles ; et je ne réponds pas que, si les Anglais assiégeoient Lisbonne, Siniavin ne concourût pas à sa défense et finit par se laisser prendre par eux. Il faut que le ministère donne des ordres positifs à ces escadres et leur dise si elles sont en paix ou eu guerre. Ce mezzo termine ne produit rien et est indigne d'une grande puissance. Sur ce, je prie Dieu, etc.

P. S. — Le Moniteur vous fera connoitre les dernières nouvelles d'Angleterre si vous ne les avez pas.

 

Paris, le 6 février.

M. le général Caulaincourt, je vous ai écrit par le sieur d'Arberg le 2 février. Le 5, ayant été chasser à Saint-Germain, j'ai fait inviter M. de Tolstoï et j'ai causé fort longtems avec lui. Il m'a parlé des notes du Moniteur, de la crainte que nous n'évacuions pas la Prusse, et m'a laissé voir des choses ridicules. M. Dreyer, ministre de Danemark, qui cause fréquemment avec lui, a écrit dans ce sens à sa cour. Cet homme a des idées déréglées de la puissance anglaise ; il prétend qu'on ne peut rien faire en Finlande, rien faire en Scanie : quand cela seroit, pourquoi le dire ? J'ai trouvé dans sa conversation de la loyauté, mais peu de vues, et une seule pensée : la peur de la France. Je lui ai observé que tous les propos de sa légation avoient pour résultat de décréditer l'empereur Alexandre et d'alarmer le pays, que pour l'évacuation de la Prusse, nous n'en étions pas avec l'Empereur à nous faire des conditions sine qua non ; qu'il falloit marcher avec le toms ; que les affaires d'Autriche n'étoient terminées que depuis quinze jours par l'évacuation de Braunau ; que le traité de Tilsit ne fixoit pas l'époque où seroit évacuée la Prusse, pas plus que l'époque de l'évacuation de la Moldavie et de la Valachie ; que mon premier but étoit de marcher avec la Russie ; qu'il ne falloit pas paraître frappé par la peur de la France ni se méfier de ses intentions.

 

Paris, le 17 février.

M. le général Caulaincourt, je reçois votre lettre du 29 janvier. M. de Champagny m'a mis sous les yeux vos dépêches. Vous trouverez ci-jointe une lettre interceptée de M. de Dreyer qui vous fera connoître le mauvais esprit de Tolstoï. Quand je reçus vos lettres, j'écrivis comme je vous l'ai mandé à Bernadotte de faire passer 12.000 hommes en Scanie, et voilà Tolstoï qui est venu à la traverse et a donné des inquiétudes à Dreyer. Vous remarquerez que la lettre de Dreyer est du 12, ce qui prouve que sa conversation avec Tolstoï est du 12, et cependant, la conversation que j'ai eue avec Tolstoï à Saint-Germain est du 5, conversation à la suite de laquelle il a écrit et qui paraissoit avoir dissipé ses craintes. Vous ne ferez usage de la lettre de Dreyer qu'autant que vous le jugerez convenable ; Tolstoï est peu disposé pour Romanzoff. Si on ne le rappelle pas, ce qui est important, c'est que l'Empereur lui écrive ou lui fasse écrire. Je suppose que je ne tarderai pas à recevoir de vous une nouvelle lettre, mon courrier devant arriver peu de jours après le départ du vôtre. Je désire fort savoir ce que l'on pense de la réponse du Moniteur à la déclaration anglaise. On ne doit avoir aucune inquiétude sur l'escadre russe ; mais il est convenable qu'on lui fasse connoître si elle est en guerre ou en paix. Mon escadre de Toulon, forte de 9 vaisseaux, est partie le 10 février pour aller ravitailler Corfou et lui porter des munitions et autres objets qui y sont nécessaires, et de là balayer la Méditerranée. Mes escadres de Brest et de Lorient sont également parties pour donner chasse aux Anglais et se réunir sur un point donné à mon escadre de Toulon. Mais les deux vaisseaux russes qui sont à l'isle d'Elbe ne veulent pas venir à Toulon. S'ils avoient reçu des ordres, cela auroit été utile pour la cause commune, et ils en auroient retiré l'avantage de se former à la mer. J'aurois également fait prendre l'escadre qui est à Trieste pour la réunir dans un de mes ports, si elle avoit reçu des ordres, mais aucune ne reçoit d'ordres positifs, et l'ambassadeur qui est ici ne leur donne pas l'impulsion convenable. J'ignore à quoi cela tient ; je dis seulement le fait. J'ai écrit deux lettres à l'Empereur depuis votre dépêche du 29 janvier. Je n'ai pas encore reçu la sienne que vous m'annoncez, et que sans doute M. de Tolstoï nie remettra demain. Quant aux affaires avec l'Espagne, je ne vous en dis rien, mais vous devez sentir qu'il est nécessaire que je remue cette puissance qui n'est d'aucune utilité pour l'intérêt général. Mes troupes sont entrées à Rome ; il est inutile d'en parler, mais si l'on vous en parle, dites que le Pape étant le chef de la religion de mon pays, il est convenable que je m'assure de la direction du spirituel ; ce n'est pas là un agrandissement de terrain ; c'est de la prudence.

P. S. — Le 18 février. — Je viens de voir M. de Tolstoï, qui m'a remis une lettre de l'Empereur. J'ai beaucoup causé avec lui. Je pense que si on lui montre de la confiance et qu'on le dirige bien de Saint-Pétersbourg, il y a autant d'avantage à l'avoir pour ambassadeur ici qu'un autre. Mes lettres précédentes vous l'auront assez peint ; mais, pour achever de le peindre en deux mots, c'est un général de division qui ne sent pas l'indiscrétion de ce qu'il dit, qui est un peu eu opposition avec l'esprit de la Cour, mais qui du reste est assez attaché à l'Empereur. — Le prince de Ponte-Corvo m'écrit du il qu'il doit avoir une entrevue avec le Prince Royal à Kiel, et qu'immédiatement il se met en marche. Vous sentez que je ne puis pas passer par l'isle de Rügen, parce que je n'ai point de vaisseaux là pour protéger mon passage ; mais j'écris aujourd'hui pour que des troupes y soyent embarquées pour menacer aussi de ce côté le roi de Suède. — Il n'est point question de négociations avec l'Angleterre, mais tous les bruits qui reviennent de ce pays sont qu'on veut la paix générale et qu'on sent la folie de la lutte actuelle. Dites bien au reste à l'Empereur qu'il ne sera écouté ni fait aucun pourparler sans m'être entendu avec lui. Je pense qu'il aura dans tous les cas la Finlande, ce qui sera toujours avantageux pour lui, puisque les belles de Saint-Pétersbourg n'entendront pas le canon.

 

Paris, le 6 mars 1808.

M. le général Caulaincourt, le Sr de Champagny vous a expédié dernièrement un courrier, par lequel je ne vous ai pas écrit parce que je n'avois rien à vous dire. Je reçois vos lettres du 26 février. J'attendrai la réponse de l'Empereur et votre courrier pour vous écrire. Le prince de Ponte-Corvo est entré dans le Holstein le 3 mars. Je le suppose arrivé sur les bords de la Baltique. Il a avec lui plus de 20.000 hommes ; ce qui, avec les 10.000 hommes que pourront lui fournir les Danois, lui formera un corps de 30.000 hommes. Si le temps est favorable, il sera bientôt en Suède, et la diversion que désire l'Empereur sera bientôt faite. — La reine Caroline a en l'insolence de déclarer la guerre à la Russie ; elle s'est emparée d'une frégate russe qui étoit dans le port de Palerme et y a arboré le pavillon sicilien. Le ministre et le consul de Russie, avec une suite d'une soixantaine de personnes, ont débarqué à Civita-Vecchia et sont maintenant à Rome. — Le duc de Mondragon est parti. — Je suppose que nia dernière lettre aura fait évanouir toutes les inquiétudes sur les levées de chevaux, sur la conscription. S'il restoit encore quelques nuages, vous pourrez ajouter que toute tua garde est rentrée ; que trente régiments ont été rappelés en France ; que plusieurs milliers d'hommes réformés comme invalides ou écloppés ont quitté l'armée et n'omit pas été remplacés ; que tous les auxiliaires, formant une centaine de mille hommes, sont rentrés chez eux ; qu'un gros corps, sous les ordres du prince de Ponte-Corvo, marche en Suède, et qu'en réalité la Grande Armée est diminuée de plus de la moitié de ce qu'elle étoit. — On ne vous parlera pas sans doute des affaires d'Espagne ; mais si on vous en parloit, vous pourriez dire que l'anarchie qui règne dans cette Cour et dans le gouvernement exige que je me mêle de ses affaires ; que le bruit public depuis trois mois est que j'y vais ; tuais que cela ne doit pas empêcher notre entrevue. Vous savez qu'en deux ou trois jours de marche, je fais deux cents lieues en France. Cela ne doit donc en rien retarder les affaires. — Le S' de Champagny vous envoye une note qui a été remise à Sébastiani, que vous pourrez montrer au ministère. J'ai demandé à la Porte ce qu'elle feroit, si on ne lui t'enduit pas la Valachie et la Moldavie, et quel moyen elle avoit d'en contraindre l'évacuation. Elle a répondu qu'elle feroit la guerre et a fait une énumération immense de moyens. — N'oubliez pas que le ministre de Prusse est toujours à Londres ; et, quoiqu'on dise qu'il a ordre de revenir, il ne revient jamais. Rien n'égale la bêtise et la mauvaise foi de la Cour de Memel. — M. d'Alopéus veut me persuader que les Anglais désirent la paix. Le Sr de Champagny vous envoye copie de la lettre qu'il veut écrire[4]. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

A Saint-Cloud, le 31 mars 1808.

M. le général Caulaincourt, Saint-Aignan est arrivé à cieux heures après midi ; il en est six. Les affaires d'Espagne demandoient depuis longtemps ma présence. Je me suis refusé à ce voyage dans la crainte que l'autorisation que je vous avois donnée d'arrêter le rendez-vous n'eût fait partir l'Empereur. Ce que je vois d'abord dans les nombreuses dépêches que vous m'envoyez, c'est que l'entrevue est ajournée. Cela étant, je pars après dîner pour Bordeaux pour être au centre des affaires. Voici votre direction pour les affaires d'Espagne. Le Moniteur ci-joint vous fera connoitre les actes publics rendus à Madrid. Mais un courrier que j'ai reçu ce matin change l'état des choses. Le roi Charles a protesté et a déclaré qu'il a été forcé par son fils à signer son abdication ; on a menacé de tuer la Reine dans la nuit s'il ne signoit pas. Mon armée est entrée le 23 à Madrid, où elle a été parfaitement reçue. Mes troupes sont casernées dans la ville et campées sur les hauteurs. Je n'ai pas reconnu le prince des Asturies, et peut-être ne le reconnaîtrai je pas, mais je n'en suis pas encore certain. L'infortuné roi se jette dans mes bras et dit qu'on veut le tuer. Ou a excité une émeute pour faire massacrer le prince de la Paix. Heureusement nies troupes sont arrivées à terris pour le sauver ; ce prince vit encore. Le grand-duc de Berg a fait son entrée dans Madrid quatre heures après les troupes. Le cérémonial l'a empêché de voir le nouveau roi, ne sachant pas si je le reconnoitrois. Les lettres du roi Charles font pleurer. Ceci est pour vous seul ; bardez-en le secret. Vous pourrez en dire un mot à l'Empereur et à l'ambassadeur d'Espagne qui est un bouline du prince de la Paix et qui parlera comme vous. Vous direz à l'Empereur que j'avois retardé mon voyage en Espagne pour ne point manquer de me trouver au rendez-vous, mais je suis parti deux heures après la réception de vos lettres. Je répondrai dans peu de jours à toutes vos dépêches. En communiquant le Moniteur à l'Empereur, vous lui direz que je ne suis pour rien dans les affaires d'Espagne ; que mes troupes étoient à 40 lieues de Madrid lorsque ces événements ont eu lieu ; que le prince de la Paix étoit généralement haï, mais que le roi Charles est aimé. Vous lui direz aussi que le Roi a été forcé et que vous ne seriez pas étonné que je me décidasse à le remettre sur son trône. Les mauvais esprits de Pétersbourg diront que j'ai dirigé tout cela. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

A Bayonne, le 18 avril 1808.

M. le général Caulaincourt, je reçois à Bayonne votre lettre du 24 mars. Vous avez dû en recevoir une de moi. Immédiatement après avoir reçu votre courrier à Paris, je suis parti. S'il m'eût apporté l'avis que le rendez-vous étoit arrêté, je m'y serois rendu incontinent. Je vois avec plaisir les succès de l'empereur de Russie en Suède. J'espère ne pas être retenu longtemps ici. L'infant Don Carlos s'y trouve. J'attends le vieux roi Charles, qui désire vivement me parler, et le prince des Asturies, qui est le nouveau roi. Les affaires s'embrouillent beaucoup en Espagne. Vous direz à l'Empereur que le roi Charles proteste contre son abdication et qu'il s'en rapporte entièrement à mon amitié. Cela ne laisse pas de beaucoup m'embarrasser. Dites cela à l'Empereur seulement. J'espère cependant être bientôt libre de tout cela. Vous recevrez bientôt un mémoire sur les affaires de Constantinople. Vous devrez en attendant ne pas dissimuler à M. de Romanzoff qu'il y a des choses scabreuses, et que si c'étoit là l'ultimatum de la Russie, il seroit difficile à arranger ; mais que je ne le suppose pas ; que c'est parce que j'avois prévu ces difficultés que j'avois demandé l'entrevue, et non pas pour une vaine formalité ; qu'il faut certainement trente courriers pour finir cette affaire ; que trente courriers à deux mois chacun consumeront trois ans ; que nous aurions terminé en trente conférences, qui à deux par jour auroient employé quinze jours. Le maréchal Soult a réuni tous les bâtimens de l'île de Rügen. Le prince de Ponte-Corvo est en Fionie : il a avec lui 15.000 Français, 15.000 Espagnols et 15.000 Danois. Il seroit passé, si le Danemark n'avait pas tergiversé si longtemps pour le recevoir : aujourd'hui il trouve qu'il ne va pas assez vite ; des miracles ne peuvent pas se faire. Aujourd'hui la belle saison s'opposera peut-être à tout passage. Mais on fera l'impossible, et la diversion aura toujours son effet. Je viens de recevoir le manifeste du roi de Suède. Tout y est faux. Je ne sais pas si le général Grandjean, que je ne comtois pas, et d'autres officiers ont, en buvant, fait de la politique. On n'attache d'ailleurs aucune importance au bavardage des militaires et devant des individus non accrédités. Mais je ne puis croire que cela soit vrai. Nous sommes trop amis du Danemark pour penser à lui ôter la Norvège. Pour ce qui regarde le sieur Bourrienne, cela est de toute fausseté ; il répondra à cette inculpation. Si cela étoit vrai, comme il est dans la carrière diplomatique, il seroit sévèrement puni. Mais continent auroit-il fait ce qu'on lui impute, puisqu'il ne voyoit pas le ministre de Suède à Hambourg ? On n'a pas d'idée d'un manifeste aussi fou. Répétez bien à M. de Romanzoff que la question de la Turquie est une affaire de chicane ; qu'on veut une entrevue pure et simple et sans condition. Vous ne manquerez pas d'insister sur ce que ce n'étoit point une vaine formalité, mais un moyen expéditif d'arranger tout. Je trouve que vous ne parlez pas assez haut et que vous n'avez pas assez défendit mes intérêts. En attendant, voilà la Russie maîtresse d'une belle province, qui est du plus grand résultat pour ses affaires et dont je ne suis d'aucune manière jaloux.

Je n'ai pas le teins de vous en écrire davantage. Je suis fort occupé ici de choses qui me donnent beaucoup d'embarras. Daru vous expédiera cette lettre par une estafette. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

Bayonne, le 26 avril 1808.

M. le général Caulaincourt, vous trouverez ci-joint une lettre de M. de Dreyer qui vous fera voir que M. de Tolstoï est toujours inconséquent. Mais cela n'est que pour votre gouverne. Les journaux de France sont pleins de bêtises. Il est faux que le prince de la Paix ait laissé tant d'argent : on n'a pas trouvé un sol. J'attends ce soir ici ce malheureux homme, qui a été arraché des mains des Espagnols par mes troupes. Il étoit enfermé dans un cachot entre la vie et la mort, entendant à tout instant les cris de la populace qui vouloit le lanterner. Quand il m'a été remis, il avoit une barbe de sept jours et n'avoit point changé de chemise depuis plus d'un mois. J'ai ici le prince des Asturies que je traite bien, mais que je ne reconnois pas. J'attends dans trois jours le roi Charles et la Reine. Les Grands d'Espagne arrivent ici à chaque instant. Tout est paisible en Espagne. Toutes les forteresses sont dans nos mains. Le seul point de Madrid où se trouve le grand-duc de Berg est occupé par 60.000 boulines. Le père proteste contre le fils, le fils contre le père. Différentes factions existent en Espagne. Je pense que le dénoûment n'est pas éloigné. — Si l'on vous parle de l'expédition de Scanie, voici l'état de la question : Je ne pouvois entreprendre cette expédition à moins de 40.000 hommes. Le prince de Porte-Corso avoit 15.000 Français et 15.000 Espagnols. Il falloit donc que les Danois fournissent 10.000 hommes. Mais je tenais et je devais tenir à ce que ces 40.000 hommes débarquassent à la fois ; qu'une partie eût débarqué et que l'autre fût restée sur l'autre bord, l'expédition étoit manquée et les troupes sacrifiées. Vous sentez que je ne pouvois permettre qu'on fît une telle faute. Le prince de Ponte-Corvo s'est rendu à Copenhague ; il y a vu que les moyens de débarquement n'existoient que pour 15.000 hommes à la fois : il auroit donc fallu faire trois voyages. Le passage devoit donc être ajourné. Il avoit ordre de passer là 40.000 hommes à la fois ; voilà la question. Aujourd'hui le roi de Danemark peut concentrer ses troupes en Seelande : il a 25.000 hommes. J'ai ordonné au prince de Ponte-Corso de faire passer 6.000 hommes. Le Danemark n'a donc rien à craindre. S'il manifeste de la peur, cette peur est sans fondement, à moins que ces hommes ne soyent de carton.

Les Albanais viennent d'assassiner un adjudant commandant et quatre officiers italiens sans prétexte ni raison. Une grande fermentation règne à Constantinople. Tout se prépare donc pour conduire à bonne fin l'entrevue, que je compte pouvoir avoir lieu en juin. Pour cela, il Faut que la Russie montre moins d'ambition. Je n'ai point de nouvelles de l'Autriche ; je vois qu'elle arme et désarme ; j'ignore ce qu'elle fait. Vous allez recevoir bientôt un courrier de M. de Champagny avec les premières notes sur les affaires de Turquie. Je le répète, il est factieux que l'entrevue n'ait pas eu lieu : au lieu d'être ici, je serois à Erfurt. Je crois qu'il faudra trop de teins pour se mettre d'accord avec des courriers. Sur ce, je prie Dieu, etc.

P. S. — Je reçois an moment votre lettre du 5 avril. Je trouve que vous vous donnez trop de mouvement pour l'expédition de Suède. Je vois avec plaisir tout ce que fait l'Empereur, mais il est inutile que vous pressiez tant. Vous avez eu des instructions pour la Finlande, vous n'en avez pas en pour le reste.

Je sais qu'on s'est plaint à Saint-Pétersbourg que je ne faisois pas de présens aux officiers qui venoient en dépêches : la raison est que je n'en ai vu aucun. Or l'usage ici est que je ne fais de présens qu'aux officiers qui me remettent des lettres de l'Empereur. S'ils remettent leurs lettres à l'ambassade, je ne les connois point. Il est de style aussi que, pour que l'officier soit traité avec considération, il faut que son nom soit cité dans la lettre du souverain. Si la lettre portoit, par exemple : Je vous envoye un de mes officiers, sans le nommer, cet officier, n'étant pas connu, ne seroit pas traité avec autant de distinction. Cependant, on a assez de considération pour l'Empereur pour que ses officiers soient très bien reçus ici. Mais lorsqu'ils portent leurs dépêches à l'ambassade, alors ils ne sont pas reconnus. Je vous donne ce détail pour votre gouverne.

 

La lettre suivante ne porte pas de date ; elle a été écrite à l'extrême fin d'avril ou au commencement de mai.

M. de Caulaincourt, je reçois votre lettre du 12 avril. Faites mon compliment à l'Empereur sur la prise de Svéaborg. — Vous avez reçu des explications sur les affaires de Copenhague. Le fait est qu'il faut pouvoir passer, et passer avec au moins 30.000 hommes à la fois, car il n'est pas certain que le second convoi passe, et si le premier convoi se trouvoit séparé, il seroit exposé A recevoir des échecs. Le prince de Ponte-Corvo avoit marché à marches forcées, espérant que les Belts gèleroient. Il s'est rendu de sa personne à Copenhague pour s'assurer des moyens de passage, et, voyant qu'il n'y avoit de moyens que pour passer 15.000 hommes à la fois, il suspendit sa marche. Mais le mouvement continue, et plusieurs milliers d'hommes sont passés en Seelande. Mais enfin ces opérations ne peuvent se faire qu'avec prudence. — Voilà la Finlande russe. — Les affaires de Turquie demandent de grandes discussions. Il est fâcheux que l'Etnpereur ait ajourné l'entrevue : au lieu de venir en Espagne, j'aurois été à Erfurt. J'espère sous dix ou douze jours avoir terminé mes opérations ici. — J'ai ici le roi Charles et la Reine, le prince des Asturies, l'infant don Carlos, enfin toute la famille d'Espagne. Ils sont très animés les uns contre les antres. La division entre eux est poussée au dernier point. Tout cela pourroit bien se terminer par un changement de dynastie.

— Pour votre gouverne, je vous dirai que depuis l'arrivée de M. d'Alopéus, je n'ai pas entendu parler de l'Angleterre, et au moindre mot que j'en aurois, la Russie en seroit instruite ; on doit compter là-dessus. — Je n'ai pas non plus entendu parler de l'Autriche, et je ne connois rien aux armemens qu'elle fait. On me rend compte de tous côtés qu'une grande quantité de canons, de vivres, de troupes se rend en Hongrie. Il faut que la Russie sache bien cela, et que, même vis-à-vis de moi, les Autrichiens nient ces armemens, on du moins disent qu'ils ne sont pas considérables. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

Bayonne, le 8 mai 1808.

M. de Caulaincourt, j'ai lu un ouvrage sur la tactique française que vous m'avez envoyé[5] ; je l'ai trouvé plein de faussetés et de platitudes. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

Bayonne, le 31 mai 1808.

M. de Caulaincourt, j'ai reçu vos lettres du 2S avril et des 4 et 7 mai. Le ministre des Relations extérieures à dû vous écrire. Je n'approuve point ce que vous avez mis dans votre mémoire à l'Empereur. Un ambassadeur de France ne doit jamais écrire que les Russes doivent aller à Stockholm. — Les affaires ici sont entièrement finies. Vous trouverez ci-joint ma proclamation aux Espagnols. Les Espagnes sont tranquilles et même dévouées. Les Anglais se sont présentés devant Cadix avec une forte expédition, attirés par la curée des affaires d'Espagne et par l'espoir de s'emparer de la Caraque. Mais ou ne les a pas écoutés. Ils ont renvoyé un parlementaire sur un vaisseau de 80 ; on leur a tiré des boulets rouges, et on leur a cassé un mât. — Il me semble que vous ne dites pas suffisamment ma raison. Je voulois l'entrevue pour tâcher d'arranger nos affaires avec la Russie. En Russie on ne l'a pas voulu, puisqu'on ne l'a voulu que conditionnellement, et dans le cas où j'adopterois tout ce que propose M. de Romanzoff. C'étoit justement pour traiter ces affaires que je désirois l'entrevue. Il y a un cercle vicieux que vous n'avez pas assez senti ni fait sentir. Aujourd'hui, je suis dans les mêmes dispositions, je désire l'entrevue. Depuis le 20 juin, je suis disponible, mais je veux l'entrevue sans condition. Bien mieux, il faut que l'on convienne avant que je n'adopte pas les bases proposées par M. de Romanzoff, qui me sont trop défavorables. J'ai dit à l'Empereur Alexandre : Conciliez les intérêts des deux empires. Or ce n'est pas concilier les intérêts des deux empires que de sacrifier les intérêts de l'un à ceux de l'autre, et compromettre même son indépendance. D'ailleurs, nous nous rencontrerions dès lors nécessairement, car la Russie ayant les débouchés des Dardanelles, seroit aux portes de Toulon, de Naples, de Corfou. Il faut donc que vous laissiez pénétrer que la Russie vouloit beaucoup trop, et qu'il étoit impossible que la France voulût consentir à ces arrangements ; que c'est une question d'une solution très difficile, et que c'est pour cela que je voulois essayer de s'arranger dans une conférence. Le fond de la grande question est toujours là : Qui aura Constantinople ? Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

Bayonne, le 15 juin, à midi.

M. de Caulaincourt, Talleyrand est resté malade à Berlin[6]. Une estafette m'apporte vos lettres des 22 et 25 mars. Vous trouverez ci-joint pour votre gouverne des pièces qui vous feront connaitre ce qui s'est passé relativement aux affaires d'Espagne. La Junte s'assemble ici demain ; elle est assez nombreuse. Le roi d'Espagne est déjà reconnu et proclamé dans toute l'Espagne et va se mettre en route pour Madrid. Je ne garde pas un village pour moi. La Constitution d'Espagne est très libérale ; les Cortés y sont maintenues dans tous leurs droits. — Les Anglais agitent les Espagnes, quelques villes ont levé l'étendard de la rébellion ; mais cela est très peu de chose, et lorsque vous lirez ceci, tout sera probablement calmé. Quelques colonnes mobiles ont déjà donné cinq ou six leçons. — Je consens à l'entrevue. Je vous laisse le maitre d'en désigner l'époque. Vous ne recevrez pas cette lettre avant le 1er juillet. L'Empereur ne sera pas fixé avant le 15. Vous devez me prévenir de manière qu'il y ait 16 ou 18 jours pour le temps que mettra votre lettre à arriver, 10 jours pour me rendre au lieu do rendez-vous et 5 ou 6 jours pour faire les préparatifs, Il faut donc que l'Empereur ne soit rendu au lieu de l'entrevue que le 35e jour après le départ de votre lettre de Saint-Pétersbourg. Ce ne peut donc pas être avant le mois de septembre, et, à vous dire vrai, je préfère cette saison à toute autre ; d'abord parce qu'il fera moins chaud, et ensuite parce que mes affaires seront finies ici, et que j'aurai pu passer quelques jours à Paris. — Plusieurs régimens sont passés en Seelande. L'escadre de Flessingue se met en rade. On donne aux Anglais toutes les inquiétudes possibles. Deux vaisseaux russes sont à Toulon, où on va les mettre en état. — Vous ne manquerez pas d'observer que la France ne gagne rien au changement de dynastie en Espagne, que plus de sûreté en cas de guerre générale, et que cet Etat sera plus indépendant sons le gouvernement d'un de mes frères que sous celui d'un Bourbon ; qu'il étoit d'ailleurs tellement mal gouverné, tellement livré aux intrigues et qu'il régnoit parmi le peuple une fermentation sans but déterminé telle qu'une réforme étoit devenue indispensable. — Je crois que l'Empereur a raison, en laissant passer la première nouveauté des escadres anglaises, mais il n'a rien à craindre d'elles, comme je l'ai dit à l'officier russe qui est parti dernièrement. Le seul point sur lequel on pouvoit avoir de l'inquiétude étoient les isles, si l'on n'avoit pas eu le temps de les fortifier. — Faites-moi connoitre ce que c'est que ce petit Montmorency. A-t-il justifié ce qu'on peut attendre de son âge ? Dites à l'ambassadeur d'Espagne qu'il doit se bien comporter, que le nouveau roi le confirmera et lui enverra ses pouvoirs ; qu'il doit parler dans le bon sens et qu'il doit toujours, pour cheval de bataille, s'appuyer de la Constitution qui réorganise son pays et va le porter à un degré de prospérité qu'il ne devoit jamais attendre do gouvernement des Bourbons.

P. S. — Vous trouverez ci-joint un petit bulletin en espagnol dont vous prendrez connoissance et que vous remettrez à l'ambassadeur d'Espagne. — C'est le conseil de Castille qui a demandé le roi d'Espagne comme vous le savez, par son adresse et celle de la ville de Madrid, et qui ont précédé de près d'un mois sa nomination ; au reste, tout cela est pour votre gouverne. Moins on vous en parlera, moins il faut en parler.

 

Bayonne, le 16 juin 1808.

M. de Caulaincourt, plusieurs acteurs de l'Opéra se sont sauvés de Paris pour se réfugier en Russie. Mon intention est que vous ignoriez cette mauvaise conduite. Ce n'est pas de danseurs et d'actrices que nous manquerons à Paris. Sur ce, je prie Dieu, etc.[7]

 

Paris, le 28 juin 1808.

M. de Caulaincourt, je n'ai reçu qu'hier votre lettre du 4. Il parait que votre courrier est tombé malade à Kœnigsberg. Vous aurez revu ma lettre du 15. Vous trouverez ci-joint de nouvelles pièces relatives aux affaires d'Espagne ; vous les aurez, lues, au reste, dans le Moniteur. Plusieurs provinces ont levé l'étendard de la révolte ; on les soumet. Cette expédition aura pour la Russie le résultat qu'une partie de l'expédition anglaise destinée pour la Baltique va en Amérique et que l'autre partie va à Cadix. J'ai vu avec peine que les Russes avoient essuyé quelques échecs dans le nord de la Finlande. Plusieurs régimens sont arrivés à Copenhague. L'expédition a été manquée pour le moment, mais tout peut facilement se faire au mois de novembre prochain. Il n'y a que quatre mois d'ici à cette époque ; il n'y a donc pas de temps à perdre. Il faut que la Russie engage le Danemark à me demander de faire passer 40.000 hommes en Norvège, et que les Russes soyent prêts à passer le détroit de Finlande quand il sera gelé. On se rencontreroit en Suède, et dès lors les Anglais seroient obligés de s'en aller et déshonorés, et la Suède seroit prise. Dites à l'Empereur que dans quinze jours je serai à Paris. Vous sentez qu'avant de lui parler des affaires d'Espagne, je désire savoir comment elles prendront à Saint-Pétersbourg. Vous avez dû recevoir du Sr de Champagny des instructions sur le langage que vous avez à tenir. L'Espagne ne me vaudra pas plus qu'elle ne me valoit. Le roi d'Espagne part après-demain pour Madrid. Je vous envoye un article d'un journal de Vienne qui me paroît une extravagance : montrez-le à Saint-Pétersbourg et faites-moi connoître ce qu'on en pense. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

Bayonne, le 9 juillet 1808.

M. de Caulaincourt, vous trouverez ci-joint la nouvelle Constitution d'Espagne et le bulletin de la dernière séance de la Junte avec le serinent qui a été prêté. Le Roi part demain à 5 heures du matin pour Madrid. Voici les ministres que le Roi a nommés : aux Relations extérieures, Cevallos, le même qui l'étoit déjà ; secrétaire d'État, Urquijo, qui a été premier ministre il y a six ans ; à l'Intérieur, Jovellanos, ancien ministre de Grâce et de Justice qui avoit été exilé à Minorque ; à la Marine, Mazzaredo ; à la Guerre, O'farill ; au ministère des Indes, Azanza ; aux Finances, Cabarrus. Je reçois votre lettre du 17. Je suis fâché que cet article de l'Angleterre ait fait un mauvais effet sur l'Empereur. Je réitère l'ordre au Ministère de la Police de veiller à ce qu'il ne soit imprimé rien de contraire à notre alliance avec la Russie. — Je vous ai écrit relativement aux acteurs et actrices français qui sont à Saint-Pétersbourg. On peut les garder et s'en amuser aussi longtemps que l'on voudra. Cependant l'Empereur a en raison de trouver mauvais que ses agents débauchassent nos acteurs. C'est M. de Benckendorf qui a favorisé la fuite de ces gens-là. Si la circonstance se présentoit d'en parler, dites que, pour ma part, je suis charmé que tout ce que nous avons t Paris puisse amuser l'Empereur. Vous trouverez ci-joint deux lettres pour l'Empereur, dont l'une relative à la mort de la grande-duchesse est d'une date ancienne. Je ne sais comment,on a oubl :3 de vous l'envoyer. Vous devez partir du principe que je ne sais pas cc que veut l'Autriche ; qu'elle arme beaucoup ; qu'elle excite beaucoup les services ; qu'elle fait des places en Hongrie ; qu'elle démolit, dit-on, les murs de Cracovie, et qu'elle retire ses troupes de Galicie. Lorsqu'on leur demande des explications sur les armemens, ils répondent qu'ils n'arment point. Cependant cela est trop évident. Jusqu'ici j'ai regardé cela en pitié. Je compte même ne rien dire. Cependant, si cela ennuyoit l'Empereur, nous pourrions de concert leur faire dire par Andreossi et par le prince Kourakine de désarmer et de laisser le monde tranquille. Je n'ai aucune discussion avec eux ; nous sommes sur le pied le plus aimable : et, dans le fait, ces arme-mens ne sont nuisibles qu'à eux, parce qu'ils désorganisent leurs finances.

P. S. — Le Roi est parti ce matin. Je l'ai reconduit jusqu'à la frontière. Toute la Junte dans près de cent voitures l'accompagnoit ; mais c'étoient des voitures équipées un peu à la hâte.

Les Anglais ont des expéditions nombreuses devant Cadix et le Ferrol, afin de fomenter les insurrections. Je suis certain que la seconde expédition, qui étoit destinée pour la Suède, a été employée à Cadix et sur les autres points. Ainsi cela a fait diversion aux affaires de Russie.

 

Bayonne, 21 juillet 1808.

M. de Caulaincourt, vous devez remercier l'Empereur de ce qu'il m'a fait dire relativement au roi d'Espagne. Il n'a pas affaire à un ingrat, et connue il n'a pas attendu que je le lui demande pour faire une chose qui m'est si agréable, vous pouvez lui dire que je viens de donner des ordres pour en finir avec la Prusse. Aussi bien la saison s'avance, et mes troupes ne pourroient évacuer l'hyver. Je voulois attendre l'issue de ma conférence avec l'Empereur ; mais puisque cela tarde et que l'hyver approche, vous direz que les affaires avec la Prusse étant à peu près d'accord, an reçu de cette lettre le traité avec cette puissance sera probablement signé. Les affaires d'Espagne vont bien. Le maréchal Bessières a remporté le 14 une victoire signalée qui a soumis le royaume de Léon et les provinces du Nord. En racontant cela à l'Empereur, vous lui direz que les Anglais mettent partout le feu en Espagne, qu'ils y répandent de l'argent et s'entendent avec les moines, et qu'il y a vraiment du trouble. Je pars cette nuit pour aller faire un tour dans mes provinces du Midi, et de là me rendre à Paris on je serai avant le 15 août. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

De Rochefort, le 5 août.

Ayant toujours été en route [lacune dans le texte], je m'empresse de la faire partir, avec les changemens survenus depuis ce teins. J'ai reçu hier un courrier qui m'a annoncé l'horrible catastrophe arrivée au général Dupont. Ce général, au fond de l'Andalousie, s'est laissé couper la retraite, s'est laissé envelopper, isoler de deux de ses divisions, et après une affaire mal concertée et mal donnée, il s'est rendu par capitulation. huit ou neuf initie Français ont été obligés de mettre bas les armes, ainsi que deux ou trois régimens suisses qui étoffent au service d'Espagne et qui avoient pris parti pour nous. C'est un des actes les plus extraordinaires d'ineptie et de bêtise. Dans la position actuelle des choses, cet événement est d'un effet immense en Espagne. Les esprits s'échauffent. Mon armée va être obligée d'évacuer Madrid pour se concentrer. Au même moment, 40.000 Anglais débarquent sur différents points. Je vous donne cette nouvelle pour votre gouverne. Je pense que vous devrez attendre l'arrivée d'un prochain courrier qui vous sera expédié, pour avoir le prétexte de la dire, en parlant des autres nouvelles, et disant que votre courrier étoit ancien. Après la tournure très grave que prennent les affaires d'Espagne, il est probable que cet hyver je laisserai 150.000 Français, indépendamment de 100.000 alliés, sur la rive gauche de l'Elbe. Je fais rentrer 80.000 hommes. C'est dans cette position que je passerai l'hyver. Dantzig sera gardé par les Saxons et les Polonais. Je laisserai la Pologne à ses propres troupes, pour ne pas menacer la Russie ni l'Autriche. Tout cela n'est aussi que pour votre gouverne. Tout porte il penser que les mouvemens de l'Autriche sont des mouvemens de peur. Je laisse des troupes suffisantes pour la contenir. Mais si elle se laissoit entraîner par l'Angleterre, elle se irouveroit loin de son jeu. Dans ces circonstances, je verrois avec plaisir que l'Empereur dit un mot et fit connoître son mécontentement des armemens de l'Autriche. — Voilà le roi de Suède entièrement abandonné d.s Anglais. Tenez-moi au fait de ce que tout cela doit devenir. La chose est obscure. Je suis fort content de l'esprit des Français dans les provinces. Demain, je traverse la Vendée.

 

Rochefort, le 6 août 1808.

M. le général Caulaincourt, je vous ai écrit hier. Je retarde mon départ de Rochefort de deux heures pour répondre à vos lettres des lli et 17 juillet de Saint-Pétersbourg que je reçois à l'instant. L'Autriche arme et devient insolente. Ces armemens et cette insolence ne sont que ridicules, dès qu'elle n'a rien de lié avec la Russie. Les Anglais débarquent beaucoup de monde sur les côtes d'Espagne. Cela peut avoir quelque inconvénient momentané pour moi, vu que cela excite merveilleusement les insurrections d'Espagne et de Portugal ; mais j'ai au moins la consolation que ces événemens ont servi de diversion à l'Empereur et l'ont entièrement dégagé de ses ennemis. Je pars pour parcourir la Vendée. Je serai à Paris le 15 août. J'attendrai là ce que vous m'écrirez pour le rendez-vous. — Voilà un an que mon alliance avec l'Empereur dure ; ainsi, elle doit donner de la confiance de part et d'autre. Je ne suis point éloigné de laisser la frontière de la Vistule occupée par les Polonais et les Saxons et d'en retirer mes troupes. Par ce moyen, il y aura entre une sentinelle russe et une sentinelle Française toute la distance du pays entre l'Elbe et le Niémen. Si vous recevez les journaux anglais, vous y verrez que les 5/6mes des nouvelles qu'ils contiennent sont fausses et controuvées. Je vous ai instruit de ce qu'il y a de vrai. Des expéditions anglaises et des insurrections menacent Lisbonne. La meilleure intelligence règne entre l'amiral russe et le général Junot ; je ne sais pas cc qui en arrivent. Je fais cependant avancer mes troupes eu tonte diligence. Une partie de l'armée espagnole ayant pris parti pour les Anglais, les affaires ne laissent pas d'être assez sérieuses. Vous ne manquerez pas de vous souvenir que l'armée du général Dupont étoit composée de recrues, et que cette affaire, quoique excessivement mal manœuvrée, ne seroit pas arrivée à de vieilles troupes, qui auroient trouvé dans leur moral même de quoi suppléer aux fautes du général.

 

A Saint-Cloud, le 20 août 1808.

M. de Caulaincourt, je vous envoye un rapport du ministre de la Marine et un projet de décret qu'il tue propose de prendre. Je ne veux pas le faire sans savoir si cela convient à l'Empereur. L'Empereur fait des dépenses inutiles en conservant ces vaisseaux qui ne sont bons à rien. Des transports armés en guerre ne peuvent servir. Ces vaisseaux sont pourris. Reste le vaisseau turc qu'on pourroit envoyer à Ancône, on il seroit désarmé. Moyennant cela, il y aura bon nombre de matelots disponibles. On fera de ces matelots ce que voudra l'Empereur : ou on les renverra en Russie, ou je les prendrai à nia solde et je mettrai les équipages des trois mauvais vaisseaux sur trois de mes vaisseaux de Flessingue ou ailleurs. Ils seront à nia solde et serviront comme alliés. Les officiers s'instruiront, les matelots s'exerceront, et cela sera utile à tout le monde. Mais il faut que ces équipages soyent tout à fait à mon service, car mon escadre souffriroit des dépendances attachées à une escadre combinée. Causez-en avec le ministre de la Marine. Peut-être seroit-il plus convenable que ce fût l'Empereur ou sou ministre qui prissent cette décision ? Vous y ferez mettre que le vaisseau turc se rendra dans le port d'Ancône où il sera désarmé. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et cligne garde.

 

Saint-Cloud, le 23 août 1808.

M. le général Caulaincourt, je reçois votre lettre du 1er août. J'ai reçu hier les beaux présens de l'Empereur. J'ai fait commander de très beaux meubles pour les faire ressortir ; ils sont vraiment beaux. M. le général Caulaincourt, Montesquiou vous porte deux bustes de l'Empereur faits à Sèvres sur le modèle de celui qu'il m'a envoyé. Je crois qu'il y en a déjà une cinquantaine de faits : ainsi vous pouvez en faire venir tant que vous voudrez. J'ai vu à Sèvres le beau service de porcelaine égyptienne qui pourra être envoyé à l'Empereur le 1er septembre. J'espère qu'il en sera content.

L'ineptie et la lâcheté qu'ont montrées Dupont, Marescot et quelques autres est inconcevable ; ils n'ont fait que des sottises et des bêtises. Cela a compromis mes affaires d'Espagne et m'oblige à lever des conscrits pour réparer mes pertes et me tenir toujours en mesure. Le P' et le Ge corps et trois divisions de dragons sont partis de la grande armée pour Mayence. Je fais partir des bords du Rhin une quantité de forces à peu près égale à celle que je retire pour renforcer les trois corps des maréchaux Davoust, Soult et prince de Ponte-Corvo. Je laisse en Allemagne mes 60 escadrons de cuirassiers, trois divisions de dragons et une vingtaine de régiments de cavalerie légère. J'ai d'ailleurs mis sur pied toutes les troupes de la Confédération du Rhin, de sorte que je puis marcher contre l'Autriche avec 200.000 hommes. Cependant je désirerois fort que l'Empereur fit parler à l'Autriche, avec laquelle je n'ai du reste aucun sujet de discussion. J'ai conclu ma convention avec la Prusse, et si, comme je le crois, je n'ai rien à démêler avec l'Autriche, la Silésie et Berlin seront dans les mains de la Prusse avant l'hyver, ce qui sera un grand sujet de tranquillité pour l'Autriche et même pour la Russie. Il faut que le prince Kourakine ait carte blanche en Autriche, et qu'il soit autorisé à dire que la Russie joindra cent mille hommes à mes troupes, si les Autrichiens font le moindre mouvement intempestif. Faites-moi connoitre quelles sont là-dessus les intentions de l'Empereur. Il est de son intérêt que je fasse finir promptement, les affaires d'Espagne. Trente mille hommes de plus peuvent accélérer la prise de certain port et nuire beaucoup aux Anglais. Jusqu'à présent, je n'ai retiré de l'Allemagne qu'un nombre de troupes à peu près pareil à celui que j'y envoye ; mais étant assuré que la Russie fera cause commune avec moi si l'Autriche chicane, je pourrai en retirer un plus grand nombre, ce qui seroit très avantageux. La levée des troupes de la Confédération coûte beaucoup d'argent à ses princes. Parlez de cela à l'Empereur : s'il fait faire sa déclaration à la cour de Vienne, et s'il fait marcher 100.000 hommes si l'Autriche m'attaque, je renverrai les troupes des princes de la Confédération chez eux, ce qui sera un grand bienfait pour toute l'Allemagne. Il n'y a rien de nouveau sur le Portugal. Jusqu'à cette heure on n'en entend rien. Votre lettre est arrivée deux jours avant celles de Constantinople que Champagny vous envoye. Vous y verrez que le 28 juillet Selim a été tué, Mustapha précipité du trône et un nouveau sultan mis à sa place. Ne croyez aucune mauvaise nouvelle. L'Espagne sera soumise après les chaleurs, qui font que ce pays est un désert sans eau et insupportable pour nos troupes.

 

Saint-Cloud, le 26 août 1808.

M. de Caulaincourt, je reçois votre lettre du 9. Montesquiou est parti avant-hier ; ainsi cette lettre pourra vous arriver avant lui. Voici ce qui s'est passé. Il y a deux jours que M. de Metternich reçut un courrier de Vienne qui annonçoit la résolution où étoit sa cour de me donner satisfaction sur tout, et de faire rentrer les choses dans leur ancien état pour le premier septembre. M. de Metternich avoit même l'ordre de me demander une audience et de me donner ces assurances de vive voix, ce qu'il a fait hier avant la Comédie. Je lui ai donné une audience d'une heure dans laquelle il m'a fait toute sorte de protestations de bons sentimens, et m'a annoncé que sa Cour reconnoîtroit le nouveau roi d'Espagne. Je suis donc fondé à penser qu'au 1er septembre, c'est-à-dire dans peu de jours, tout sera rentré dans l'ancien état. Je renverrai alors les troupes de la Confédération chez elles, et tout redeviendra pacifique en Allemagne. La convention avec les Prussiens n'est pas encore signée ; j'espère qu'elle le sera demain ou après. Aussitôt que je verrai que l'Autriche tient ses promesses, je compte réunir 100.000 hommes au camp de Bayon ne. Le 1er et le 6e corps de la grande armée arrivent à Mayence. — Les Anglais veulent attaquer le Portugal. Au 15 unit il n'y avoit rien de nouveau à Lisbonne. Junot y étoit en bonne position, ainsi que l'escadre russe. — La division espagnole qui étoit dans le Nord s'est embarquée pour l'Espagne, grâce à l'extrême imprévoyance du prince de Ponte-Corvo, quoique je lui eusse répété plusieurs fois qu'il devoit placer ses troupes de manière à en être sûr ; mais La Romana et d'autres généraux espagnols lui avoient tourné la tête. Vous pouvez parler de cette affaire ; comme ne voulant pas désarmer ces troupes, dire que je préfère les vaincre en Espagne à désarmer des soldats qui étoient passés à mon service, mais que cette trahison m'a révolté et que les traîtres seront punis. Les affaires d'Espagne vont médiocrement. Le roi d'Espagne est à Burgos. L'armée occupe la ligne du Duero. — Saragosse a été prise ; chaque maison a essuyé un siège, de sorte que cette ville est saccagée et perdue. Mes bonnes troupes arrivent de tous côtés, et aussitôt que la canicule sera passée, on fera une sévère justice des rebelles. Le parti du Roi est composé de tous les hommes sages, mais qui tremblent sous les poignards des moines et aux sollicitations des agens anglais. — Vous jugerez convenable de moins presser l'empereur Alexandre d'agir contre l'Autriche, puisque celle-ci ne paroit pas vouloir y donner lieu. — Vous recevrez par le prochain courrier les communications que je fais faire au Sénat des traités faits avec le roi d'Espagne, et des relations qui exposent au clair cc qui s'est passé et se passe en Espagne, pour détruire les faux bruits, quoique l'événement de Dupont ne soit que trop vrai. Lui et Marescot ont montré autant d'ineptie que de lâcheté et de pusillanimité. Je soupçonne que Villontreys ne s'est pas comporté dans cette circonstance comme il convenoit à nu officier de ma maison. Je ne le conserverai probablement pas près de moi. — L'ancien roi d'Espagne est toujours à Compiègne, où il a la goutte. Les princes sont à Valençay. — Depuis les dernières nouvelles de Constantinople, nous ne savons rien. Sur ce, je prie Dieu, etc.

P. S. — Les troupes espagnoles qui se sont sauvées avec le marquis de La Romana ne se montent qu'à 5.000 hommes ; 7.000 sont restés entre les mains du prince de Ponte-Corvo. J'ai ordonné qu'on les désarmât et qu'on les Fit prisonniers.

 

Saint-Cloud, le 7 septembre 1808.

M. de Caulaincourt, je reçois votre lettre du 23 août. Je partirai d'ici le 20 du mois pour être rendu à Erfurt à tems. Le général Oudinot part pour prendre le commandement de la ville d'Erfurt. Des maréchaux de logis de la cour partent pour marquer les loge-mens. Un bataillon de ma garde s'y rend pour tenir garnison. Le maréchal Lannes part pour aller à la rencontre de l'Empereur sur la Vistule. Le maréchal Soult est prévenu à Berlin pour que tout soit convenablement disposé. Quelque chose qu'on fasse, je crains qu'on soit mal à Erfurt. Peut-être auroit-on bien fait de préférer Weimar : le château est superbe, et on y auroit été mieux. Je ne me souviens pas des raisons qui ont fait donner la préférence à Erfurt. Si c'étoit à cause de moi, je serois aussi bien à Weimar. Cependant tout sera prêt à Erfurt. — Vous trouverez ci-joint le Moniteur qui vous fera connoitre les affaires d'Espagne. J'ai des nouvelles du Portugal du 20 août ; tout étoit dans le meilleur état à Lisbonne ; les Russes et les Français v étoient de la meilleure intelligence et. se préparoient à se défendre contre tout événement. hier il y a en une séance extraordinaire du Sénat, présidée par l'Archichancelier, à laquelle les Princes ont assisté. Champagny  y a lu deux rapports sur les affaires actuelles et donné communication des différents traités faits avec les princes de la maison d'Espagne. Il en est sorti un sénatus-consulte portant levée de 160.000 combattans. Du reste, tout est fort tranquille. Du côté de l'Espagne, nous avons des avantages ; la division est parmi les rebelles. Le Roi gagne tous les jours ; de nombreux renforts arrivent, et déjà tout se prépare pour marcher en avant. — Puisque l'Empereur n'est plus très nécessaire chez lui, il feroit bien, d'Erfurt, de passer jusqu'à Paris. Si vous pensez que cela soit dans ses projets, vous ne sauriez mele faire connoitre trop tôt. En conséquence de votre dernière lettre, Mondragon, ambassadeur de Naples, part de Paris et continue sa route. Celui d'Espagne va recevoir ses nouvelles lettres de créance.

P. S. — Je joins au Moniteur du 5 celui d'aujourd'hui qui contient les différentes pièces relatives aux affaires d'Espagne. Il n'y a aucun inconvénient que vous en remettiez un exemplaire à M. Romanzoff et que vous les communiquiez à l'Empereur.

 

A Saint-Cloud, le 7 septembre 1808.

M. le général Caulaincourt, le maréchal Lannes se rend sur la Vistule à la rencontre de l'empereur de Russie pour assurer toutes les escortes et complimenter ce prince ; il lui remettra une lettre de ma part. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

Saint-Cloud, le 14 septembre 1808.

M. de Caulaincourt, je reçois votre lettre du 29 août. Vous avez trouvé dans les Moniteurs qui ont paru et vous verrez dans celui d'hier que je vous envoye toutes les pièces relatives aux affaires d'Espagne. La plus grande confusion règne parmi les insurgés ; mes troupes avancent à grands pas vers l'Espagne, et mon armée se fortifie tons les jours. Le roi d'Espagne est à Burgos ; à trente lieues de lui, il n'a aucun ennemi. — L'Empereur a dû trouver le maréchal Lannes sur la Vistule. Le général Oudinot est à Erfurt, dont il a le commandement. Un détachement de nia maison y est déjà arrivé. Le prince de Bénévent part le 16 et sera rendu à Erfurt le 20. M. de Champagny part le 18. Moi je partirai le 20. Le prince de Neuchatel voyagera dans nia voiture. — Le prince Guillaume a pris ce matin congé. Tontes les affaires de Prusse sont terminées. Enfin les 80.000 conscrits des années 1806, 1807, 1808 et 1809 seront tous levés avant le 1er novembre. Je verrai, pour lever les 80.000 autres, quelle sera l'issue des événemens. J'ai été fort sensible au langage de l'Empereur. Les dernières nouvelles de Lisbonne sont du 18 août ; alors les Anglais paraissoient faire de grands monvemens. Je n'ai point de renseignemens ultérieurs.

 

A Aranda de Duero, 27 novembre 1808.

M. de Caulaincourt, je reçois votre lettre sans date que je suppose être du 5 novembre. J'imagine que M. Champagny tous aura fait connoître par des courriers tout ce qui se passe d'important dans ce pays, tel que le combat de Burgos, les affaires d'Espinosa, celle de Tudela, où les armées de Galice, des Asturies, d'Estremadure, d'Aragon, d'Andalousie, de Valence et de Castille ont été détruites. Le général Saint-Cyr, aussitôt que Rosas sera pris, ce qui n'est pas éloigné, marchera en Catalogne pour faire sa jonction avec le général Duhesme qui a 15.000 hommes à Barcelone, bien approvisionnés et dans le meilleur état. Vous pouvez dire à l'Empereur que je serai dans six jours à Madrid d'où je lui écrirai un mot. Il n'y a rien de mauvais comme les troupes espagnoles, 6.000 de nos gens en bataille en chargent 20, 30 et jusqu'à 36.000. C'est véritablement de la canaille ; même les troupes de la Romana pie nous avions formées en Allemagne n'ont pas tenu. An reste, les régimens de Zamora et de la Princesse ont subi le sort des traîtres, ils ont péri. Les Anglais se concentrent en Portugal. Ils ont fait avancer des divisions en Espagne. Mais à mesure que nous approchons ils reculent. — J'ai envoyé il y a peu de jours fi Champagny mes ordres pour répondre à la note de l'Angleterre. Quant à l'Autriche, sa contenance n'est que ridicule. Je laisse en Allemagne 100.000 hommes. J'en ai 150.000 en Italie et la moitié de ma conscription qui marche. D'ailleurs ici la grosse besogne est déjà faite. — Le ministre de Russie à Madrid a été insulté par la canaille qui s'est amusée à pendre et à traîner dans les rues deux Français qui étoient à son service, mais dans peu de jours il sera délivré. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

A Madrid, le 5 décembre 1808.

M. de Caulaincourt, nous sommes à Madrid depuis hier. Les bulletins vous feront connoître les événements qui se sont passés depuis le combat de Burgos, la bataille d'Espinosa et de Tudela, et les combats de Somo-Sierra et du Retiro. Les Anglais ont eu la lâcheté de venir jusqu'à l'Escurial, d'y rester plusieurs jours, et, à la première nouvelle que j'approchois du (sic) Somo Sierra, de se retirer, abandonnant la réserve espagnole. — On me dit que l'ambassadeur de Russie est parti il y a trois semaines pour Carthagène, où il a dû s'embarquer pour Trieste et pour la France. Le temps ici est superbe ; c'est absolument le mois de niai. Nos colonnes se dirigent sur Lisbonne.

 

Madrid, le 10 décembre 1808.

M. de Caulaincourt, vous trouverez ci-joint le rapport qu'on m'a fuit sur le vaisseau russe. Vous le communiquerez ou vous ne le communiquerez pas à l'Empereur, selon que cela vous conviendra.

 

A Valladolid, le 7 janvier 1809.

M. de Caulaincourt, je reçois votre lettre du 8 décembre. Les bulletins se sont succédé avec rapidité. Les nouvelles de Constantinople, les nouvelles d'Autriche et aussi le besoin de me rapprocher de France m'ont rappelé au centre, car il y a d'ici à Lugo 100 lieues, ce qui eu feroit 200 pour le retour des estafettes. J'ai laissé le duc de Dalmatie avec 30.000 hommes pour suivre la retraite des Anglais ; le maréchal Ney est en seconde ligne sur les montagnes qui séparent la Galice du royaume de Léon. Le duc de Dalmatie doit être à Lugo. Il est probable que, lorsque vous recevrez cette lettre, je sois de retour à Paris. Dites à l'Empereur qu'en Italie et en Dalmatie j'ai 150.000 boulines à opposer à l'Autriche, non compris l'armée de Naples ; que j'ai 150.000 hommes sur le Rhin, et, en outre, 100.000 hommes de la Confédération ; qu'enfin au premier signal je puis entrer avec 400.000 bonnes en Autriche ; que ma garde est aujourd'hui à Valladolid, on je la laisse reposer huit jours, et que je la dirigerai ensuite sur Bayonne ; que je suis prêt à me porter sur l'Autriche, si cette puissance ne change pas de conduite, et que si ce n'eût pas été pour ne rien faire de contraire à notre alliance, déjà je me serois mis en guerre avec cette puissance, car les affaires d'Espagne qui m'occupent 200.000 hommes ne m'empêchent pas de me croire deux fois plus fort que l'Autriche, quand je suis sûr de la Russie ; que le seul mal que je voye, c'est que cela coûte beaucoup d'argent ; que je viens de lever encore 80.000 hommes ; que je désire que nous prenions enfin le ton convenable avec l'Autriche. Je l'ai proposé à Erfurt. Autrement nous ne pourrons terminer rien de bon sur les affaires de Turquie. Nous aurions peut-être eu la paix, sans les espérances que les Anglais ont fondées sur les dispositions de l'Autriche. — Quant aux deux vaisseaux russes à Toulon, il n'y a pas de doute qu'ils seront payés. Je viens encore d'écrire à ce sujet. — Vous pouvez assurer qu'il n'y a plus d'armée espagnole ; si tout le pays n'est pas entièrement soumis, c'est qu'il y a beaucoup de boue, et qu'il faut beaucoup de toms, mais tout se termine. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

A Valladolid, le 14 janvier 1809.

M. de Caulaincourt, vous trouverez ci-joint la lettre que je voulois écrire à l'Empereur ; mais j'ai trouvé qu'il y avoit beaucoup trop de choses pour une lettre qui reste. Je vous l'envoye pour que vous vous en serviez comme d'instruction générale. J'écrirai à l'Empereur une lettre moins signifiante. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

Projet de lettre à l'empereur Alexandre, transformé en instruction pour l'ambassadeur.

Monsieur mon frère, il y a bien longtems que je n'ai écrit à V. M. I. Ce n'est pas cependant que je n'aie souvent pensé, même au milieu du tumulte des armes, aux moments heureux qu'elle m'a procurés à Erfurt. J'ai espéré pendant un moment annoncer à V. M. la prise de l'armée anglaise ; elle n'a échappé que de douze heures ; mais des torrents qui, dans des teins ordinaires, ne sont rien, ont débordé par les pluies, et des contrariétés de saison ont retardé ma marche de 2' heures. Les Anglais out été vivement poursuivis. On leur a fait 4.000 prisonniers anglais et tout le reste du corps de la Romana ; on leur a pris 18 pièces de canon, 7 à 800 chariots de munitions et de bagages et même une partie de leur trésor ; on les a obligés à tuer eux-mêmes leurs chevaux, selon leur bizarre coutume. Les chemins et les rues des villes en étoient jonchés. Cette manière cruelle de tuer de pauvres animaux a fort indisposé les habitans contre eux. Je les ai poursuivis moi-même jusqu'aux montagnes de la Galice. J'ai laissé ce soin au maréchal Soult. J'ai l'espérance que si les vents leur sont contraires, ils ne pourront s'embarquer. Ils ne rembarqueront pas de chevaux ; il ne leur en reste pas quinze ou dix-huit cents. Le Roi fait après-demain son entrée à Madrid. La menace de les traiter en pays conquis et la crainte de perdre leur indépendance a fort agi sur eux. Ils n'ont plus d'armée. Si l'on n'a pas occupé tout le pays, c'est que le pays est grand et qu'il faut du teins.

Quand Votre Majesté lira cette lettre, je serai rendu dans ma capitale. Ma garde et une partie de mes vieux cadres sont en mouvement rétrograde sur Bayonne. Je voulois former mon camp de Boulogne qui auroit donné beaucoup d'inquiétude aux Anglais, mais les arme-mens de l'Autriche m'en ont empêché. J'avois réuni 20.000 hommes à Lyon pour les embarquer sur mon escadre de Toulon et menacer les Anglais de quelque expédition d'Égypte ou de Syrie qu'ils redoutent beaucoup ; les armemens de l'Autriche m'en ont encore empêché. Je vais leur faire passer les Alpes et les faire entrer en Italie. J'ai des preuves certaines que l'Autriche a pris l'engagement de ne pas reconnaître le roi Joseph. Son chargé d'affaires a suivi les insurgés. Il a fui de Madrid et il est à Cadix. J'ai des preuves certaines que l'Autriche avoit promis de fournir 20.000 fusils aux insurgés. L'espérance de l'Angleterre étoit de soutenir les troubles de l'Espagne, de nous faire rompre avec la Turquie et de faire déclarer l'Autriche et avec la Suède de contrebalancer notre puissance. J'ai regret que Votre Majesté n'ait pas adopté à Erfurt des mesures énergiques contre l'Autriche. La paix avec l'Angleterre sera impossible, tant qu'il y aura la plus légère probabilité d'exciter des troubles sur le continent. Votre Majesté comprendra aisément que je n'attache aucune importance à la reconnoissance du roi Joseph par l'Autriche. J'en attache bien davantage à ce qu'elle désarme et fasse cesser l'état d'inquiétude où elle tient l'Europe. Je prévois que la guerre est inévitable, si Votre Majesté et moi ne tenons envers l'Autriche un langage ferme et décidé, et si nous n'arrachons son faible monarque du tourbillon d'intrigues anglaises où il est entraîné. Votre Majesté sait le peu de cas que je fais de, ses forces et de ses armes. Qui les connoit mieux que Votre Majesté ? Il n'en est pas moins vrai que l'Europe est en crise, et il n'y aura aucune espérance de paix avec l'Angleterre que cette crise ne soit passée. Si l'Autriche veut la paix, Votre Majesté et moi la garantissons ; qu'elle désarme ; qu'elle reconnoisse, la Valachie, la Moldavie, la Finlande sous la domination de Votre Majesté, et qu'elle cesse de faire un obstacle aux intérêts de nos deux puissances. Si au contraire elle s'y oppose, qu'une démarche soit faite de concert par nos ambassadeurs, et qu'ils quittent à la fois. L'Empereur ne les laissera pas partir, et la paix sera rétablie. S'il est assez aveugle pour les laisser partir, que vous et moi prenions des arrangemens pour en finir avec une puissance qui, depuis quinze ans toujours vaincue, trouble toujours la tranquillité du continent et flatte en secret le penchant de l'Angleterre. Mon désir est sans aucun doute celui de Votre Majesté, c'est que l'Autriche soit heureuse, tranquille, qu'elle désarme et n'intervienne près de moi que par des moyens concilians et doux, et non par la force. Si cela est impossible, il faut la contraindre par les armes : c'est le chemin de la paix. Votre Majesté voit que je lui parle clairement. Des intelligences très directes me font connoitre que l'Angleterre étoit déjà très alarmée de la marche de mes divisions sur Boulogne. L'Autriche lui a rendu un service essentiel en m'obligeant à la contremander. Votre Majesté est sans doute bien persuadée du principe qu'un seul nuage sur le continent empêchera les Anglais de faire la paix : or il ne doit pas y en avoir si nous sommes unis de cœur, d'intérêts et d'intentions ; mais il faut de la confiance et une ferme volonté.

 

A Valladolid, ce 14 janvier 1809.

M. de Caulaincourt, je reçois à l'instant même votre lettre du 20 décembre. Je vous expédie de Ponthon, parce qu'il m'a paru qu'il étoit agréable à l'Empereur. L'Empereur peut l'employer comme il lui plaira et autant de teins qu'il voudra. — Nous sommes entrés le 9 à Lugo. Le duc de Dalmatie étoit le 9 à Betauzos, près de la Corogne. Les Anglais ont perdu près de la moitié de leur arillée, 600 voitures de munitions et de bagages et 3 ou 4.000 prisonniers. Le corps de la Romana est entièrement détruit et dispersé. Vous pouvez croire exactement les bulletins, ils disent tout. Le Roi fait son entrée solennelle dans Madrid dans quatre jours. La nation est bien changée depuis deux mois ; elle est lasse de tous ces mouvemens populaires et bien désireuse de voir un terme à tout ceci. Je vous ai fait connoitre que du moment que l'on vouloit considérer le duc d'Oldenbourg comme étant de la famille impériale, il n'y avoit pas l'ombre de difficulté. Si l'Empereur lui donne le titre d'Altesse Impériale, tout est terminé ; même à Paris il seroit traité comme tel. L'empereur de Russie peut faire ce qu'a fait l'empereur d'Autriche et ce que j'ai fait moi-même. Tous les membres d'une famille sont traités dans les cours étrangères de la même manière qu'ils sont traités dans leurs cours respectives. Ce principe détruit tout obstacle. Vous avez eu tort de faire la moindre difficulté là-dessus. Chacun est maître de faire pour sa famille les lois qu'il veut, et, du moment qu'elles sont faites à titre de famille, aucun ambassadeur ne lient se mettre de pair. Vous ne devez pas céder le pas au prince d'Oldenbourg, pas à son père, mais au beau-frère de l'empereur de Russie, s'il lui donne ce rang dans sa cour. Mais en voilà assez sur cet objet. — Quant à l'Autriche, ce qui arrive, je Pavois prévu. Si l'Empereur avoit voulu parler ferme à Erfurt, cela ne seroit pas arrivé. Elle avoit promis de fournir des armes aux insurgés, et déjà des convois étoient près de partir de Trieste. Elle a des engagemens secrets avec l'Angleterre et n'attend que l'affaire de la Porte pour se déclarer. L'Empereur peut compter là-dessus. La guerre est inévitable sur le continent si l'Empereur ne parle pas haut. L'Autriche tombera à nos genoux, si nous faisons une démarche ferme de concert, et menaçons de retirer nos ministres si l'on n'accorde pas ce que nous demandons. La reconnoissance du roi Joseph n'est rien par elle-même. Elle n'est importante que parce qu'un refus encourage l'Angleterre et fait présager des troubles sur le continent. Le désarmement de l'Autriche, voilà le principal. L'Autriche ne peut dire que cet armement soit un état militaire permanent. Elle n'a pas les moyens de le soutenir. Elle met l'Europe en crise ; elle en payera les pots cassés. — Pour vous seul : quand vous lirez ceci, je serai à Paris. Je compte y être de retour le 20 de ce mois. Toute ma garde est réunie à Valladolid, et 2.000 de mes chasseurs à cheval sont à Vittoria. Je viens d'ordonner une levée de 80.000 hommes de la conscription de cette année. Je suis prêt à tout. Mais notre alliance ne peut maintenir la paix sur le continent qu'avec un ton décidé et une ferme résolution. — Quant aux affaires de Prusse, je ne sais de quoi vous me parlez. Le traité avec la Prusse est antérieur aux conférences d'Erfurt et on n'y a rien changé depuis. J'ai demandé que M. de Romanzoff restàt à Paris jusqu'au 1er février. Je désire le voir à Paris, et nous verrons s'il convient de faire une nouvelle démarche. Les affaires ont été ici aussi bien qu'on pouvoit le désirer. J'avois manœuvré de manière à enlever l'armée anglaise ; deux accidens m'en ont empêché : 1° le passage du Puerto de Guadarrama qui est une montagne assez haute et tellement impraticable quand nous l'avons passée qu'elle a apporté deux jours de retard dans notre marche. J'ai été obligé de me mettre à la tête de l'infanterie pour la faire passer. L'artillerie n'est passée que dix-huit heures après. Nous avons trouvé des pluies et des boues qui nous ont encore retardés douze heures. Les Anglais n'ont échappé que d'une marche. Je doute que la moitié s'embarque ; s'ils s'embarquent, ce sera sans chevaux, sans munitions, bien harassés, bien démoralisés, et surtout avec bien de la honte. Du moment que je serai à Paris, je vous écrirai. Sur cc, je prie Dieu, etc.

 

A Paris, ce 6 février 1809.

M. de Caulaincourt. Je reçois vos lettres des 15 et 17 janvier. Je vois avec peine que votre santé est altérée... Je crois que M. de Romanzoff reste encore ici quelques jours. Nous venons de recevoir des nouvelles d'Angleterre. Nous voulons voir s'il est possible d'en tirer quelque chose. M. de Romanzoff les envoye à l'Empereur. Ma dernière conscription de 80.000 hommes sera toute sur pied avant quinze jours, de sorte que j'aurai en Allemagne autant de troupes qu'avant que j'en eusse retiré pour mon armée d'Espagne. En Italie, je vais y avoir une armée, la plus forte que j'y ayc eue. Je vous ai mandé que la conduite de l'Autriche m'avoit empêché de former mes camps de Boulogne, de Brest et de Toulon. Ces trois camps eussent porté l'épouvante en Angleterre, parce que j'aurois menacé toutes ses colonies. — L'Autriche devient tous les jours de plus en plus bête, et je suis persuadé qu'il y aura impossibilité de faire du mal à l'Angleterre, sans obliger d'abord cette puissance à désarmer. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

Paris, le 23 février 1809.

M. de Caulaincourt, j'ai reçu vos lettres du 5 février. Les différentes lettres que vous avez reçues depuis mon arrivée à Paris vous auront fait connoitre la position des choses. L'Angleterre a fait sa paix avec la Porte. C'est une suite des intelligences de l'Autriche avec l'Angleterre. La mission anglaise a été reçue en triomphe à Constantinople par l'internonce. L'Empereur sera aussi indigné que moi de cette violation de la neutralité et des égards que nous doit l'Autriche. Les armemens de cette puissance continuent de tous côtés. Mes troupes, qui marchoient sur Boulogne, sur Toulon et sur Brest, où avec une escadre elles devoient menacer l'Angleterre et ses colonies, viennent de rétrograder, et tout est en mouvement pour former un camp d'observation de 80.000 hommes à Strasbourg. Le duc de Rivoli commandera ce camp d'observation. Le général Oudinot s'est porté avec son corps à Augsbourg. Vous savez que cc corps est composé de 19.000 hommes des compagnies de grenadiers et de voltigeurs des 4es bataillons ; les quatre basses compagnies de ces bataillons sont en marche pour les rejoindre, ce qui portera ce corps avec la cavalerie à près de 40.000 hommes. J'ai requis les troupes de Mecklembourg-Schwerin pour garder la Poméranie suédoise, et j'ai ordonné la réunion de tous les corps de l'armée du Rhin, composée des anciens corps des maréchaux Davoust et Soult, formant 30 régimens d'infanterie. Toutes les troupes de la Confédération sont prêtes. Mon armée d'Italie est au grand complet. Ma conscription se lève ici avec la plus grande activité. Dans cette situation de choses, je puis entrer s'il le faut en Autriche au mois d'avril, avec des forces doubles nécessaires pour la soumettre. Néanmoins je n'en ferai rien que mon concert ne soit parfait avec la Russie ; mais il est impossible de jamais songer à. la paix avec l'Angleterre, si nous ne sommes point sûrs de l'Autriche. Si j'avois dans ce moment 80.000 hommes à Boulogne, 30.000 hommes à Flessingue, 30.000 hommes à Brest, 30.000 hommes à Toulon, comme je comptois le faire, l'Angleterre seroit dans la plus fâcheuse position.

J'ai à Flessingue, à Brest et à Toulon de grands moyens d'embarquement, et quoique ma marine soit intérieure à celle de l'Angleterre, elle n'est pas nulle. J'ai 60 vaisseaux armes dans mes rades et autant de frégates. Une de ces expéditions qui s'échapperoit pour les Indes ou pour la Jamaïque, on deux escadres qui se réuniroient feroient le plus grand mal à l'Angleterre. Les ridicules armemens de l'Autriche ont paralysé tous ces moyens. Voilà ce qu'il faut que vous vous étudiiez à bien faire sentir à l'Empereur, qu'un armement de l'Autriche est la même chose qu'un traité d'alliance feroit avec l'Angleterre ; il forme même une diversion plus importante que la Guerre, parce que la guerre seroit bientôt finie ; plus coûteuse, parce que l'Autriche en payeroit les frais ; que je ne me refuse Pas à attendre quelques mois, mais qu'il ne seroit pas juste que le résultat de mon alliance avec la Russie fut de paralyser mes moyens et de me tenir dans une situation ruineuse, pénible, et n'ayant aucun but. Qu'allègue l'Autriche ? Qu'elle est menacée ? Mais l'étoit-elle davantage quand je tirois d'Allemagne la moitié de mes troupes pour les porter en Espagne, à 500 lieues d'elle, et que j'éloignois le reste de mon armée de la Silésie ? Pour plaire à la Russie je me suis dessaisi de ces Garants contre l'Autriche. Pour marcher avec la Russie, j'ai laissé hausser le ton à l'Autriche. Il est teins que cela finisse. Notre alliance devient méprisable aux yeux de l'Europe. Elle n'a pas l'avantage de lui procurer le bienfait de la tranquillité. Et les résultats que nous essuyons à Constantinople sont aussi déshonorants que contraires aux intérêts de nos peuples. Il faut donc que l'Autriche désarme réellement ; que je puisse dans le courant de l'été faire rétrograder mes troupes ; que j'aye la sécurité d'exposer 25 à 30.000 hommes sur la mer et même à des chances défavorables, sans craindre d'avoir au moment même une guerre continentale. Il faut que le désarmement de l'Autriche soit non simulé, tuais réel. Il faut que l'Autriche rappelle son internonce de Constantinople et cesse ce commerce scandaleux qu'elle entretient avec l'Angleterre. A ces conditions, je ne demande pas mieux que de garantir l'intégrité de l'Autriche contre la Russie et que la Russie la garantisse contre moi. Mais si ces moyens soin inutiles, il faut alors marcher contre elle, la désarmer, ou en séparer les trois couronnes sur la tête de trois princes de cette Maison, ou la laisser entière, mais de manière qu'elle ne puisse mettre sur pied que cent mille hommes, et réduite à cet état, l'obliger à faire cause commune avec nous contre la Porte et contre l'Angleterre. — Mon escadre de Brest a mis à la voile ; celles de Lorient et de Rochefort également, et j'aurai bientôt quelque événement maritime à vous annoncer. Si je n'eusse pas appris en Espagne les mouvemens de l'Autriche, et si mes troupes n'eussent pas été obligées de (un mot passé) de Metz et de Lyon, mes escadres seroient parties avec 20.000 hommes de débarquement.

 

A Paris, le 6 mars 1809.

M. de Caulaincourt, j'ai reçu votre lettre du 3 février. J'ai vu avec plaisir les détails que vous me donnez sur la présentation de M. de Schwartzenberg. Cette fameuse lettre à l'empereur d'Autriche dont on se plaint, M. de Romanzoff l'a entre les mains. Si vous ne la connoissez pas encore, vous pouvez lui en demander la communication. Quant aux propos que j'ai tenus à M. de Vincent, ils sont dans le même sens que ceux que j'ai tenus à M. de Metternich devant tout le corps diplomatique. L'Autriche auroit-elle cherché ses principes de conduite dans la fable du Loup et de l'Agneau ? Il seroit curieux qu'elle m'apprit que je suis l'agneau, et qu'elle eût envie d'être le loup. Le S' de Champagny vous a expédié un courrier qui vous porte sa conversation avec M. de Metternich. Vous aurez soin de montrer cette pièce à l'Empereur. Je vous envoye une lettre de Dresde qui vous fera connoitre jusqu'à quel point on est alarmé à la Cour de Saxe ; il en est de même à celle de Bavière. — Après la déclaration de M. de Metternich, j'ai dû faire marcher mes troupes qui étoient en route pour le camp de Boulogne, pour Brest et pour Toulon, mais que les mouvemens insensés de l'Autriche m'avoient obligé de faire arrêter sur la Saône et la Meurthe. Depuis cette déclaration tout est en mouvement sur tons les points de la France. Le 20 mars, le duc de Rivoli sera à Ulm avec 20 régimens d'infanterie, 10 régimens de cavalerie et 40 pièces de canon. Le général Oudinot, avec un corps double de celui qu'il avoit dans les campagnes précédentes, c'est-à-dire 18.000 hommes d'infanterie, 8.000 de cavalerie et 40 pièces de canon, est à Augsbourg. Le duc d'AuerstAt, avec 4 divisions d'infanterie formées de 20 régimens, une division composée de tous les régimens de cuirassiers, et 15 régimens de cavalerie légère, est à Bamberg, Bayreuth et Würtzbourg. Les troupes bavaroises forment 3 divisions qui campent à Munich, Straubingen et Landshut : cette armée est de 40.000 hommes, et sera commandée par le duc de Dantzig. Les Wurtembergeois sont rassemblés à Neresheim ; les troupes de Hesse-Darmstadt à Mergentheim ; celles de Bade, au nombre de 6.000 hommes, sont à Pforzheim. L'armée saxonne, forte de 30.000 hommes, se réunit à Dresde. Le prince de Ponte-Corvo s'y porte avec des troupes de Saxe. Le roi de Westphalie commandera une réserve prête à se porter partout on cela sera nécessaire. Le prince Poniatowski commande les Polonais qui appuyent leur gauche à Varsovie et étendent leur droite jusque devant Cracovie. Dans peu de jours je fais partir de Paris 1.500 chevaux de ma garde, ainsi que 3.000 hommes d'infanterie. Tout le reste est en route. La tête a déjà passé Bordeaux. Mon armée de Dalmatie campera sur les confins de la Croatie, avant sort quartier général à "tara, on elle a un camp retranché et des vivres pour une année. L'armée d'Italie, composée de 6 divisions d'infanterie française et de 2 divisions d'infanterie italienne, sera réunie à la fin de mars dans le Frioul. Elle approche de 100.000 combattans. Les Autrichiens s'apercevront que nous n'avons pas tous été tués sur le fameux champ de bataille de Roncevaux. Tout ce qui arrive de Vienne n'est que folie. Je compte que l'empereur Alexandre tiendra sa promesse et fera marcher ses années. Alors, si l'Autriche veut en tâter, j'ai fort en idée que nous pourrons nous réunir à Vienne. — Le Sr de Champagny vous expédiera demain un courrier par lequel vous recevrez la note qui va être t'enlise à M. de Metternich : elle vous fera connoitre l'état de la question. — Les Anglais ont publié les pièces de la négociation et la lettre d'Erfurt. Tout cela est tronqué et falsifié ; ce qui m'oblige à faire une communication au Sénat afin de rétablir le texte de toutes ces pièces. — Avez le ton haut et ferme envers M. de Schwartzenberg. L'état actuel des choses ne peut durer. Je veux la paix avec l'Autriche, mais une paix solide et telle que j'ai droit de l'exiger après avoir sauvé trois fois l'indépendance de cette puissance.

J'ai fait sortir nia flotte de Brest. J'avois pour but de faire débloquer Lorient, afin d'en faire sortir cinq vaisseaux que j'envoye dans les colonies. Cette première opération a réussi. Secondement, la flotte devoit se rendre à Rochefort pour se joindre à l'escadre de l'isle d'Aix et s'emparer de quatre vaisseaux anglais qui avoient eu la sottise de venir mouiller dans la rade du Pertuis-Breton. Mon imbécile de contre-amiral s'est amusé à chasser quatre vaisseaux ennemis qu'il a rencontrés sur sa route, ce qui a donné aux quatre antres vaisseaux qui étoient à l'ancre le tems d'être avertis et de gagner le large. On ne les a manqués que de quelques heures, et leur prise eût été infaillible sans cette perte de tems ; mais la jonction a eu lieu à l'isle d'Aix, et j'y ai 16 vaisseaux de ligne et 5 frégates. Si le camp de Boulogne avait été formé, si j'avois eu 16.000 hommes à Brest et 30.000 à Toulon, je donnois de la besogne aux Anglais : c'est ce que j'espérois de mon alliance avec la Russie.

Vous avez vu dans le Moniteur cieux lettres du gazetier de Vienne au rédacteur de la Gazette de Hambourg. Ces lettres paroissent peu importantes au premier abord ; mais, pour les hommes qui veulent réfléchir, c'est une manière de correspondre avec l'Angleterre et d'entretenir les espérances des ennemis de la France en étalant les forces de la Maison d'Autriche. — On y parle des dispositions peu favorables de la Russie, parce qu'on sait qu'il ne seroit pas possible d'en imposer à cet égard, et qu'en avouant sans détour son alliance arec la France, on veut persuader que l'Autriche est en état de soutenir la lutte contre ces deux empires. — L'Autriche doit désarmer tout à fait et se contenter de nos garanties réciproques, ainsi que M. de Romanzoff l'avoit proposé. — Quant aux provinces de cette monarchie vaincue, je n'en veux rien pour moi : nous en ferons ce que nous jugerons convenable. On pourroit séparer les trois couronnes de l'empire d'Autriche, ce qui seroit également avantageux à la France et à la Russie, puisque cette opération affoibliroit en même tems la Hongrie, qui menace la Pologne, le royaume de Bohême, qui jalousera longtems les pays de la Confédération, et l'Autriche, qui regrette sa domination sur l'Italie. Quant à la crainte qu'on pourroit inspirer de moi à la Russie, ne sommes-nous pas séparés par la Prusse, à qui j'ai rendu intactes des places que je pouvois démanteler, et ne sommes-nous pas aussi séparés par les États de l'Autriche ? — Lorsque ces derniers États auront été ainsi divisés, nous pourrons diminuer le nombre de nos troupes, substituer à ces levées générales qui tendent à armer jusqu'aux femmes un petit nombre de troupes régulières et changer ainsi le système des grandes années qu'a introduit le feu roi de Prusse. Les casernes deviendront des dépôts de mendicité, et les conscrits resteront an labourage. — La Prusse en est déjà là : il faut en faire autant de l'Autriche. Quant à l'exécution, je me charge de tout, soit que l'empereur Alexandre veuille venir nie joindre à Dresde à la tête de 40.000 hommes, soit qu'il marche directement sur Vienne avec 60 ou 80.000 hommes. Dans toutes les hypothèses, je me charge de faire les trois quarts du chemin. — Si les choses en venoient au point que vous eussiez besoin de signer quelque chose de relatif à la séparation des trois États, vous pouvez vous y regarder comme suffisamment autorisé. — Si l'on veut même après la conquête garantir l'intégrité de la Monarchie, j'y souscrirai également, pourvu qu'elle soit entièrement désarmée. J'ai été de bonne foi à Vienne, je pouvois démembrer l'Autriche. J'ai cru aux promesses de l'Empereur et à l'efficacité de la leçon qu'il avoit reçue. J'ai pensé qu'il me laisseroit me livrer entièrement à la guerre maritime. L'expérience, depuis trois ans, m'a prouvé que je me suis trompé, que la raison et la politique ne peuvent rien contre la passion et l'amour-propre humilié. Il seroit possible que la Pologne autrichienne pût devenir un objet d'inquiétude à Saint-Pétersbourg, mais elle n'est un obstacle à rien. — On pourroit la partager entre la Russie et la Saxe, ou bien en former un État indépendant. L'empereur Alexandre doit être convaincu par la déclaration du roi d'Angleterre que, tant qu'il aura l'espoir de brouiller le continent, il n'y aura point de paix maritime, et que si l'Autriche ne consent pas à désarmer et qu'on perde du tems, c'est autant de teins de gagné pour l'Angleterre et de perdu pour l'Europe. Cependant un, deux ou trois mois me sont égaux ; mes troupes resteront campées en Allemagne jusqu'à ce que mon concert avec la Russie soit bien établi. — Nous sommes encore dans le mois de mars : on peut parlementer jusqu'au mois d'août ; mais à cette époque il faut que l'Autriche ait pris son parti ou qu'on l'y force. L'honneur de nos couronnes l'exige, et l'intérêt du inonde nous en fait la loi. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

A Malmaison, le 21 mars 1809.

M. de Caulaincourt, j'ai reçu votre lettre du 28 février avec les pièces qui y étoient jointes. Plusieurs courriers de M. de Champagny ont dû vous porter le résumé de la conversation de ce ministre avec M. de Metternich et la copie de la note qu'il lui a passée quelques jours après. — Voici la situation des choses dans ce moment. L'Autriche a reçu de l'argent par Trieste : cet argent ne peut venir que d'Angleterre ; l'Autriche fomente la Turquie : elle a couvert de ses troupes la Bohême, l'Inn, la Carinthie, la Carniole. Il est impossible que l'Empereur ne soit pas instruit par Vienne de toutes les folies qu'on fait en Autriche. M. de Champagny vous envoie la copie en allemand de la proclamation du prince Charles, qui équivaut à une déclaration de guerre. Cependant le langage de M. de Metternich est toujours paisible, et il n'a encore fait aucune déclaration. Des agens subalternes ayant sondé le cabinet de Vienne pour savoir s'il y anroit quelque chose à craindre pour la Maison régnante de Saxe, la guerre venant à être déclarée, an lieu de répondre qu'il n'y avoit pas le sujet de guerre, on s'est empressé d'assurer que le roi de Saxe et sa famille n'avoient rien à redouter et qu'ils seroient respectés. Vous voyez que depuis le 28 février les choses ont beaucoup empiré. M. de Romanzoff doit être arrivé depuis longtemps à Saint-Pétersbourg. Il y aura apporté une opinion conforme à la mienne. Je ne pense pas à attaquer ; mais, dans la circonstance actuelle, je crois qu'il est important de prendre des mesures pour que les -trompes russes fassent un mouvement et que le chargé d'affaires russe à Vienne soit rappelé si les Autrichiens dépassent leurs frontières. Il faut que cet ordre soit connu de M. de Schwartzenberg et qu'il soit notifié à Vienne. Le Ministère autrichien est persuadé que la Russie ne fera rien et qu'elle restera neutre dans cette guerre, quand même elle la déclareroit. Vous sentez combien cela seroit contraire à l'honneur de la Russie et funeste à la cause commune. — Voici ma position militaire : L'armée saxonne est réunie autour de Dresde et le prince de Ponte-Corvo doit y être rendu pour en prendre le coin-mandement. Le duc d'Auerstædt a son quartier général à Wurtzbourg, et son corps d'armée occupe Bayreuth, Nuremberg, Bamberg. Le corps d'Oudinot est sur le Lech. Le duc de Rivoli a son corps cantonné autour d'Ulm. Les Wurtembergeois sont à Neresheim. Les Bavarois sont à Munich, Stranbing et Landshut. Le général du génie Chambarlhac est à Nassau, où il fait une tête de pont pour assurer le passage de l'Inn. On travaille à fortifier les places de Kuffstein, Cronach, Pforzheim. Les Polonais doivent se réunir sons Varsovie et le long de la Pilica. Les dépôts se remplissent de tous côtés. Aucune communication officielle n'est faite ici, et il n'y a encore rien de raisonnable d'imprimé, parce qu'on se tait jusqu'au dernier moment. L'opinion du Sr Dodun, mon chargé d'affaires à Vienne, et de la plupart des personnes qui sont dans cette ville, est que l'Autriche sera entraînée outre mesure et qu'il n'est plus en son pouvoir de s'arrêter, et que si la guerre peut être évitée, ce n'est que par l'aspect formidable des forces de la Russie, qui ôte à ces gens-là jusques à l'idée de la possibilité d'une chance en leur faveur. Un général autrichien s'est embarqué à Trieste pour aller à Londres concerter les opérations. Dans cette situation de choses, il faut prévoir deux cas : 1° Si l'Autriche attaque, il n'y a pas de note à faire ; le chargé d'affaires russe doit quitter Vienne et les troupes russes entrer sur-le-champ en Galicie et menacer d'attaquer la Hongrie, pour contenir ce côté-là. S'il falloit juger par sa raison, tout porte à penser que l'Autriche n'attaquera pas légèrement, voyant le nombre de troupes françaises qui inondent l'Allemagne et qu'elle ne croyoit pas voir revenir si promptement. Cependant, ce cas, il faut le prévoir, et envoyer des instructions aux agens respectifs à Vienne. L'idée que la légation russe partira sur-le-champ peut être une raison de retenir l'humeur guerrière de la faction qui domine. Le second cas, c'est que les choses restent dans la situation actuelle pendant les mois d'avril et mai, et qu'on puisse pendant cet intervalle négocier. Dans ce cas, la note que propose de remettre l'empereur de Russie me parait bonne. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

A Paris, ce 21, mars 1809.

M. de Caulaincourt, un courrier de M. de Champagny vous aura porté la nouvelle de l'attentat commis par l'Autriche. Vous aurez vu également la proclamation du prince Charles. Les mouvemens à Trieste et partout sont les mêmes. On appelle à grands cris la guerre. Les événemens marchent plus vite qu'on ne le croit à Saint-Pétersbourg. Vous ne me dites pas où sont les troupes russes. Si la Russie ne marche pas, j'aurai seul l'Autriche sur les bras et même les Bosniaques. Je l'ai dit suffisamment à M. de Romanzoff. Les Anglais ont compté sur l'Autriche et sur la Turquie et sur l'emploi de mes troupes en Espagne et de celles de l'empereur de Russie en Finlande et en Turquie pour nous braver. C'est le moment de faire voir le contraire. — Je considère le Sr Dodun comme prisonnier à Vienne ; je n'ai appris qu'hier à 4 heures après midi l'arrestation de son courrier à Braunau. J'ai fait dire sur-le-champ à M. de Metternich que je n'avois pas (mot illisible). Il me seroit impossible de le voir. J'ai ordonné des représailles contre les courriers autrichiens et que leurs dépêches fussent arrêtées jusqu'à ce que les miennes soyent rendues. Je n'avois pas cru à un attentat si imprévu, et je n'avois fait partir ni ma garde ni mes bagages. Mais ce matin je me suis hâté de faire partir la cavalerie et l'artillerie de ma garde et mes équipages de guerre. Il n'y a cependant rien de changé à la position de mes troupes. Je ne veux point attaquer que je n'aie des nouvelles de vous ; mais tout me porte à penser que l'Autriche attaquera. Faudra-t-il que le résultat de notre alliance soit que j'aie seul toute l'Autriche à combattre et de plus quelques milliers de Bosniaques ? L'Empereur voudra-t-il que le résultat de son alliance soit de n'être d'aucun poids et d'aucune utilité pour la cause commune ? Quant aux moyens, il me semble que l'Empereur a des troupes inutiles sur les confins de la Transylvanie, à Pétersbourg et du côté de la Galicie. Tout plan est bon, pourvu qu'il occupe une partie des forces autrichiennes. Je vous ai écrit il y a quelques jours là-dessus. L'Empereur veut-il m'envoyer un corps auxiliaire ? Je me charge de le nourrir. Qu'il lui fasse passer la Vistule entre Varsovie et Thorn, et qu'il l'approche de Dresde. Veut-il entrer en Galieie ou en Transylvanie ? Qu'il fasse marcher les troupes qu'il a de ce côté. Pourquoi ne gêneroit-il pas les communications avec l'Autriche et ne soumettroit-il pas ce pays à l'état de malaise où nous sommes, l'Autriche et moi ? Cette disposition de la Russie pourroit l'effrayer. — La note de l'Empereur me parait bonne. S'il la fait remettre à M. de Schwartzenberg, vous pourrez en remettre une pareille. Que l'Autriche désarme, et je suis content ; mais elle paroit décidée. La proclamation du prince Charles du 9 mars est postérieure de huit jours à la réception de M. Schwartzenberg. Les nouvelles que j'ai d'Angleterre sont positives : on est à Londres dans la joye. Des agens autrichiens ont déjà insurgé quelques communes du Tyrol. Le ministre de la Porte à Paris a reçu ordre de correspondre avec la légation autrichienne et d'écrire par son canal. Les propos du public en Autriche doivent être connus à Saint-Pétersbourg comme ils le sont ici. Si quelque chose, je le répète, peut encore prévenir la guerre, ce dont je commence à douter, car les Autrichiens ont perdu la tête, c'est : 1° que la Russie se mette en demi-état d'hostilité avec eux, c'est-à-dire marche sur les frontières de Transylvanie et de Galicie ; et si elle veut mettre un corps à ma solde, qu'elle l'envoye dans le duché de Varsovie : dans ce cas vous ne le feriez pas passer par Varsovie ; 2° que quelques articles soyent mis dans les journaux de Pétersbourg sur les proclamations du prince Charles et sur les articles de la Gazette de Pétersbourg relatifs à la Turquie ; 3° que les Autrichiens commencent à être gênés et maltraités dans les États russes. Cela se répandra dans la monarchie et fera voir qu'on ne veut point de la guerre. Si quelque chose peut-être est capable d'empêcher un éclat, ce sont ces mesures. — Le langage des chargés d'affaires respectifs doit être qu'ils ont l'ordre de quitter Vienne si l'Autriche commet la moindre hostilité : mais peut-être ces mesures sont-elles trop tardives. Vous pensez bien que je n'ai peur de rien. Cependant, après avoir perdu l'alliance de la Turquie, après m'être attiré cette guerre avec l'Autriche pour la conférence d'Erfurt, après que mon étroite alliance avec la Russie a détaché du parti de la France le prince Charles, ennemi déclaré des Russes, j'ai droit de m'attendre que, pour le bien de cette alliance et pour le repos du monde, la Russie agisse vertement. — Mes armées d'Italie seront toutes campées au le, avril, et à la même époque nies armées d'Allemagne seront en mesure. Je vous laisse les plus grands pouvoirs. Si l'Empereur veut m'envoyer 4 bonnes divisions formant 45 à 60.000 hommes, qu'il les mette en marche et qu'il fasse connoitre en même temps que, l'Autriche continuant de menacer, il m'envoye ce secours. Cela glacera d'effroi l'Autriche et l'Angleterre. On verra que l'alliance est réelle et non simulée. Si l'Empereur lui-même veut agir avec ses armées, il en a les moyens. En passant par la Galicie, il sera bientôt à Olmütz. Là, son armée vivra bien, se ravitaillera, et menacera de près l'Autriche en faisant une puissante diversion qui l'obligera à porter 60.000 hommes de ce côté. Par la Transylvanie, il peut menacer la Hongrie et tenir en échec l'insurrection hongroise. Si nous sommes sérieusement unis, nous ferons ce que nous voudrons. Vous êtes autorisé à signer toute espèce de traité ou convention qu'on voudra proposer. Si la Galicie est conquise, l'Empereur peut en garder la moitié, et l'autre moitié peut être donnée au duché de Varsovie. Enfin je ne veux point d'agrandissement. Je ne veux que la paix maritime, et l'Autriche armée est un obstacle à cette paix. — En résumé, tout est en apparence de guerre entre l'Autriche et moi, et cette apparence est publique ; la même apparence doit exister entre la Russie et l'Autriche. Mes armées sont prêtes à marcher ; les armées russes doivent être prêtes également à marcher. — La voix de M. de Romanzoff à Vienne ne produiroit rien. On y dit avec le plus grand sang-froid que les Russes sont occupés en Turquie, en Finlande et en Suède, et que mes armées sont occupées en Espagne et à Corfou. C'est sur ces chimères qu'ils Unissent des succès ; égarement qui fait hausser les épaules aux hommes qui raisonnent. De notre côté aussi il faut nous remuer. Je ne puis rien vous dire de plus ; vous comprenez aussi bien que moi la position des choses. Dites à M. de Romanzoff que vous êtes autorisé à signer une note et à la remettre de concert. Je partage le sentiment de l'Empereur et suis de l'avis de la note qu'il veut faire présenter. Mais rien n'est efficace s'il ne prend une attitude haute et sérieuse. L'irritation par suite de l'arrestation du courrier est générale ici et ne peut s'exprimer. Sur ce, je prie Dieu, etc.

 

Paris, le 9 avril 1809.

M. de Caulaincourt, je reçois vos lettres des 22 et 23 mars. Je suis fort aise de ce que vous me mandez des dispositions de la Russie et surtout de M. Romanzoff. Champagny vous envoye un courrier pour vous faire connoitre la situation des choses. Les Autrichiens, après s'être rassemblés en Bohême, sont revenus sur Salzbourg. Ils rétrogradent aujourd'hui sur Wels. Ils sont fort surpris de la force de mes armées, à laquelle ils ne s'attendoient pas. Effectivement, soit en Dalmatie, soit en Italie, soit sur le Rhin, je leur opposerai 400.000 hommes. Tout est en état. Le prince de Neuchâtel est au quartier général. Daru, tout le monde est à l'armée. Une partie de ma garde et mes chevaux sont arrivés il y a deux jours à Strasbourg. L'autre partie est ici ou arrive d'Espagne. J'ai augmenté ma garde de deux régiments de tirailleurs et de quatre régiments de conscrits. Je vous ai écrit par ma lettre du 24 mars que si l'Empereur vouloit m'envoyer trois ou quatre divisions, du moment qu'elles auroient passé la Vistule je mue chargerois de leur nourriture et de leur entretien ; que, s'il veut agir isolément, il fasse marcher un corps de troupes sur la Galicie. Un aide de camp du duc de Sudermanie arrive demain à Paris. Je vous expédierai dans quelques jours un nouveau courrier. J'attends d'attendre l'effet qu'aura fait la révolution de Suède en Russie. Je vous envoye l'ordre que j'ai donné au commandant de l'escadre russe à Trieste.

 

Paris, le 10 avril 1809[8].

M. de Caulaincourt, il résulte des mouvemens des Autrichiens et des lettres que j'ai interceptées qu'ils commenceront les hostilités au plus tard du 15 au 20. Le prince Kourakine m'a remis ce matin la lettre de l'Empereur. J'ai reçu du duc de Sudermanie une lettre que j'ai montrée à Kourakine. J'attendrai pour lui répondre si je recevrai encore des nouvelles de Russie. Toutefois ma réponse sera vague. Champagny vous écrit plus en détail. Si l'Empereur ne se presse pas d'entrer en pays ennemi, il ne sera d'aucune utilité. Ses généraux seront prévenus du moment où les hostilités auront commencé, quoique je pense que vous en serez instruit avant par le chargé d'affaires russe à Vienne. Il paraît par les lettres interceptées que l'empereur d'Autriche se rend lui-même à un quartier général, probablement à Salzbourg.

 

II

NAPOLÉON A-T-IL EMPORTÉ EN RUSSIE LES ORNEMENTS IMPÉRIAUX ?

 

Dans une brochure fort rare, intitulée : Petites causes et grands effets, le secret de 1812, M. Sudre rapporte le fait suivant, d'après M. Destutt de Tracy, qui prit part à l'expédition de Russie. Pendant la marche sur Moscou, entre Wilna et Witepsk, M. de Tracy remarqua, dans la colonne des bagages, un Fourgon aux armes impériales, gardé par un piquet de cavalerie : l'officier commandant ce détachement lui révéla que le fourgon contenait les ornements impériaux ; il l'avait appris par l'indiscrétion d'un subalterne. Plus tard, M. de Tracy sut de l'un des membres de la famille impériale la raison de ce transport : Napoléon voulait, après une paix victorieuse, se faire couronner à Moscou empereur d'Occident, chef de la Confédération européenne, défenseur de la religion chrétienne. (Cf. le Supplément littéraire du Figaro, 4 mai 1895.)

Dans la Revue rétrospective (n° du 10 mai 1895), M. le vicomte de Grouchy a publié divers extraits des Mémoires du comte de Langeron, qui fit la campagne de 1812 au service de la Russie : on y lit, dans le récit de la retraite, le passa8e suivant : A cinq verstes de Wilna, sur le chemin de Kovno, les Français laissèrent leurs dernières voituresentre autres celles de Napoléon. On y trouva ses portefeuilles, ses habits, ses ordres, son sceptre et son manteau impérial, dont un Kosak, dit-on, s'affubla. (Cf. le Supplément littéraire du Figaro, 11 mai 1895.)

A ces témoignages, nous pouvons en ajouter un autre. Le 6 avril 1812, Bernadotte disait à l'envoyé russe Suchtelen, en parlant de Napoléon et pour mieux prouver l'extravagance de ses ambitions : Il fait traîner en Allemagne l'attirail du couronnement, probablement pour s'en faire couronner empereur. (Recueil de la Société impériale d'histoire de Russie, XXI, 438.) Or, Bernadotte avait à Paris des correspondants, sa femme entre autres, qui l'instruisaient assez exactement des incidents caractéristiques et surtout des bruits répandus.

De ces trois témoignages, aucun n'est concluant par lui-même ; leur concordance fait leur valeur et donne à penser. Cependant, les registres de l'archevêché de Paris, où étaient déposés les ornements impériaux, ceux qui avaient servi au sacre, ne portent aucune trace d'un déplacement de ces insignes en 1812. Les ornements comprenaient, connue on le sait, la couronne de laurier d'or que Napoléon plaça sur sa tête, le sceptre, la main de justice, le manteau de velours pourpre doublé d'hermine et semé d'abeilles, le collier, l'anneau et, de plus, ce qu'on appelait les honneurs de Charlemagne, c'est-à-dire une couronne pareille à celle attribuée par la tradition à cet empereur et qui servait au sacre des rois de France, une épée de même style et le globe impérial : ces derniers objets furent portés devant l'Empereur par des maréchaux. La couronne de Charlemagne figura, sous le second Empire, au Musée des souverains, avec quelques pièces de l'habillement de dessous revêtu par Napoléon pendant la cérémonie du sacre ; quant au manteau, soi-disant pris par un Cosaque, il existe encore dans le trésor de Notre-Dame. D'autre part, les comptes impériaux, qui nous ont été intégralement conservés, ne mentionnent point que les ornements aient été faits en double ou qu'il ait été procédé à la réfection d'aucuns d'entre eux après 1812, bien que Napoléon ait agité le projet en 1813 de faire couronner Marie-Louise, ce qui eût nécessité la réapparition des insignes. Dans ces conditions, nous ne pouvons tenir pour établi le fait du transport en Russie : il est certain toutefois que le bruit en a couru dans certains milieux tenant de près à la cour, comme le prouvent les propos recueillis par M. de Tracy et par Bernadotte.

 

III

RAPPORT DU COMTE DE NESSELRODE À L'EMPEREUR ALEXANDRE Ier

(OCTOBRE 1811)[9].

Sire, en résumant d'après les ordres de Votre Majesté les idées que j'ai eu l'honneur de lui soumettre dimanche, je pense qu'il serait inutile d'entrer dans une longue énumération des événements qui nous ont conduits an point où nous nous trouvons actuellement dans nos relations avec la France. Il suffira de dire qu'elles ne sont plus ce qu'elles furent après Tilsit et Erfurt, et que même, depuis le commencement de cette année, les deux puissances se trouvent l'une vis-à-vis de l'autre dans un véritable état de tension qui a constamment fait présumer que la guerre éclaterait d'un moment à l'autre. Ce changement a déterminé Votre Majesté à organiser et à rassembler des moyens de défense considérables. Ses armées sont plus fortes qu'elles ne furent jamais ; elles mettent son empire à l'abri des suites d'une attaque imprévue, et comme nulle idée d'agression, même dans un but purement défensif, n'entre dans ses vues, l'objet de sa politique serait par là même déjà atteint si cette attitude ne donnait, en appuyant le refus de traiter sur les intérêts de la maison d'Oldenbourg, une extrême jalousie à l'empereur Napoléon et ne lui faisait soupçonner des arrière-pensées. Dès lors, elle pourrait devenir, sinon la cause, du moins le prétexte d'une guerre que Votre Majesté désirerait éviter tant qu'elle pourra l'être sans que sa dignité et les intérêts de sou empire soient compromis par des sacrifices incompatibles avec eux. Ce désir se fonde sur des raisons qui sont sans la moindre réplique, et quand même elles n'existeraient pas, toute guerre entreprise dans les conjonctures actuelles ne présenterait jamais les chances d'un succès vu en grand.

Effectivement, il n'est que trop constaté que la destruction de l'ancien système politique, tons les tristes bouleversements dont nous avons été témoins, toutes les épouvantables innovations que nous avons vues naître et se consolider, toutes les vexations que nous éprouvons et tous les genres de nouveaux orages qui nous font trembler pour l'avenir, sont l'effet de ces guerres solitaires, précipitées et mal combinées dans lesquelles, depuis 1792, et surtout depuis 1805, les grandes puissances se sont jetées, les unes après les autres, par des motifs très justes et très louables, mais avec des moyens trop peu calculés pour leur assurer le succès ou pour les garantir au moins contre des revers irréparables. C'est dans cette catégorie qu'il faudrait malheureusement ranger toute guerre que nous entreprendrions actuellement. Mais d'après tout ce qui s'est passé, d'après les déclarations positives de l'empereur Napoléon dans la conversation du 15 août, nous ne pourrions nous flatter de l'éviter qu'en acceptant la négociation qu'on nous offre. Continuer à nous y refuser serait, en mettant les torts apparents de notre côté, autoriser, en quelque sorte, ses préparatifs contre nous. Ceux-ci exigeraient que nous augmentassions les nôtres. La crise prendrait tous les jours un caractère plus alarmant, et la guerre deviendrait à la fin le seul moyen d'en sortir. L'objet réel de la négociation doit être de nous faire connaître si le désir que l'empereur Napoléon témoigne de s'arranger est sincère, s'il ne le met en avant en toute occasion que parce qu'il voit que nous y répugnons, ou si, en effet, il ne croit pas le moment venu d'exécuter contre nous des projets dont malheureusement l'existence est constatée par de trop irrécusables indices. Dans cette dernière hypothèse, il serait possible de profiter de l'état actuel des choses pour parvenir à un arrangement dont le fond et les formes tendraient également à améliorer notre situation présente et à nous assurer un intervalle de repos qui, sagement employé, préparerait des avantages bien plus solides que quelque bataille gagnée aujourd'hui contre les Français. A cet effet, il faudrait saisir sans hésitation et de la meilleure grâce le moyen qu'on nous offre de terminer les différends actuels et envoyer le plus tôt possible à Paris un homme qui fût capable de conduire une affaire aussi importante, qui jouît de toute la confiance de Votre Majesté et qui, connaissant à fond ses intentions, pût être muni du pouvoir de conclure tout ce qui serait d'accord avec elles, en même temps qu'il entrerait vis-à-vis de l'empereur Napoléon dans des explications franches et précises, telles qu'elles ne lui ont guère été données jusqu'ici que par le duc de Vicence, ce qui n'a produit que peu d'effet parce qu'il ne se voit pas obligé de les regarder connue officielles. Il est à regretter que cette marche n'ait point été adoptée dès le printemps où les revers qui épuisèrent les animées françaises en Espagne, auraient rendu l'empereur Napoléon plus coulant sur les ternies d'un semblable arrangement ; mais les succès brillants que le général Kutuzof vient de rein-porter en Turquie ont réparé ce mal, et si, comme il est à espérer, une paix honorable et modérée en devient le résultat, le moment présent sera peut-être plus propice encore. Toute démarche pacifique faite après cette paix ne peut manquer de produire un bon effet et de détruire l'appréhension qu'on parait nourrir en France que nous n'attendons que ce résultat pour éclater.

Les principaux objets dont il peut être question dans cette négociation sont :

1. Les intérêts des ducs d'Oldenbourg ;

2. La diminution des forces respectives sur la frontière ;

3. La situation présente et future du duché de Varsovie ;

4. La situation présente et future de la Prusse ;

5. Les relations commerciales de la Russie.

1° Je place en première ligne les affaires d'Oldenbourg, non point que ce point soit d'une importance supérieure en comparaison des autres, mais parce que c'est le seul qui jusqu'ici ait été mis en avant comme un grief contre le gouvernement français, et que la dignité de Votre Majesté exige qu'on lui donne réparation pour l'injure faite à des princes alliés de sa maison. Cependant, comme nous n'avons pu ni voulu protester contre la mesure générale dans laquelle le territoire de ces princes est compris, et que, sans une guerre heureuse avec la France, nous ne pourrions nous flatter de l'amener à une restitution pure et simple du duché d'Oldenbourg, il ne nous reste qu'à accepter le principe d'un dédommagement. Mais le choix en est difficile. Erfurt ou tout autre territoire situé au milieu de la Confédération du Rhin serait insuffisant et continuellement exposé au sort que le duché d'Oldenbourg vient d'éprouver. Au reste, la France n'a rien de disponible, et Votre Majesté professe une politique trop libérale pour vouloir que l'on dépouille qui que ce soit. La seule manière d'arranger cette affaire serait donc d'échanger nos droits sur l'Oldenbourg, à la cession desquels l'empereur Napoléon tient infiniment, contre tels sacrifices qui prouveraient qu'il veut réellement la paix, en un mot contre des arrangements, tels qu'ils seront exposés plus bas.

2° La diminution des forces respectives sur la frontière.

Loin de moi l'idée d'affaiblir en quoi que ce soit notre position militaire ou de désirer que l'on cessât les sages travaux ordonnés pour l'établissement d'un nouveau système de fortifications ! Mais tout en retirant de nos frontières une partie de nos forces, nous conserverions toujours la faculté de les placer en échelons dans des positions où elles seraient à portée de se concentrer et d'arriver à temps sur le point menacé toutes les fois que les dispositions de la France nous annonceraient une attaque prochaine, un danger réel. En se portant, par conséquent, à une réciprocité parfaite de mesures, nous accorderions peu et gagnerions beaucoup, car si l'empereur Napoléon a la volonté sérieuse de faire cesser la crise actuelle, il ne peut guère se refuser :

1° A une réduction effective de la garnison de Dantzig, accompagnée de quelque stipulation qui en fixerait le minimum ;

2° A l'engagement de ne pas envoyer de troupes françaises dans le duché de Varsovie.

Si on pouvait y ajouter une troisième stipulation par laquelle l'armée du duché serait limitée à un nombre plus conforme aux moyens pécuniaires de cet État, ce serait sans doute un avantage. Il n'y aurait, il me semble, aucun inconvénient de le tenter.

3° Je n'ai jamais attaché un grand prix à une déclaration formelle ou à un traité par lequel l'empereur Napoléon s'engagerait à abandonner une fois pour toutes ce qu'on appelle le rétablissement de la Pologne, car tant que nous serons en paix avec lui, il n'y songera pas, et si la guerre a lieu, aucune convention ne l'en empêcherait. Cependant, comme dans plusieurs occasions il s'est prononcé à cet égard d'une manière très positive, on pourrait toujours en prendre acte pour insérer dans le traité un article renfermant cette déclaration, bien entendu qu'il ne nous soit pas mis en ligue de compte pour plus qu'il ne vaut, qu'il ne serve pas de prétexte pour être moins facile sur d'autres d'un plus grand intérêt, car le seul avantage réel qui en résulterait serait peut-être l'effet qu'il pourrait produire sur l'esprit des Polonais.

4° Je regarde comme beaucoup plus important et même comme l'objet le plus essentiel de l'arrangement un article qui assurerait pour quelque temps l'existence politique de la Prusse. Votre Majesté ne peut être indifférente au sort d'une puissance que, malgré l'état d'affaiblissement où elle se trouve, on doit toujours envisager soit comme l'avant-garde des forces avec lesquelles Napoléon envahira tôt on tard la Russie, soit comme celle que la Russie opposera à ses projets. Le but véritable de l'arrangement, celui même qu'il faudrait hautement prononcer vis-à-vis de la France, étant le maintien de la tranquillité générale, tonte stipulation à cet égard serait nécessairement vaine et sans effet, si le territoire prussien ne devenait pas libre. La France a déclaré que toute invasion de notre part dans le duché de Varsovie amènerait la guerre ; pourquoi n'y répondrions-nous pas que toute attaque de la sienne contre la Prusse, tout envoi de troupes dans ce pays au delà du nombre fixé par les traités pour les garnisons des places de l'Oder équivaudrait à une déclaration de guerre ? D'ailleurs, on ne demanderait à la France que de remplir scrupuleusement les engagements qu'elle a contractés en 1808 vis-à-vis de la Prusse et qui sont moins avantageux que ce que le traité de Tilsit stipule en faveur de ce pays. Elle ne ferait autre chose que de s'engager également envers nous à évacuer les places de l'Oder à fur et à mesure que le gouvernement prussien s'acquitterait de l'arriéré de ses contributions, et, comme plus de la moitié en est payé, Glogau devrait être immédiatement restitué. Pour faciliter à la Prusse les moyens de se libérer envers la France, on pourrait peut-être tirer parti de l'article du traité de Tilsit qui stipule en sa faveur une cession de trois cent mille âmes dans le cas où le pays d'Hanovre ne serait pas rendu à l'Angleterre. La France ayant disposé de ce pays, je ne sais pas pourquoi on lui ferait grâce de cet article, à elle qui jamais ne fait grâce de rien. Tout ce qui peut, en général, faire cesser le prétexte sous lequel l'empereur Napoléon occupe encore les places de l'Oder est bon et ne saurait se plaider avec trop d'énergie. Ce ne sera que lorsqu'il n'y aura plus de troupes françaises sur son territoire que la Prusse recouvrera la possibilité de prendre, dans toutes les circonstances, un parti conforme à ses vrais intérêts, et, comme c'est à nous qu'elle en sera redevable, il faut espérer qu'elle ne suivra d'autre direction que celle que les dispositions de sa nation et surtout de l'armée semblent déjà actuellement lui indiquer.

5° Les relations commerciales de la Russie.

Votre Majesté s'étant refusée aux dernières instances de Napoléon relativement aux nouvelles extensions du soi-disant système continental, à l'adoption du tarif de Trianon[10], à l'exclusion des neutres, elle rie saurait se relâcher sur aucun de ces points. Ce refus, comme tout ce qui tend à distinguer la Russie de cette foule de faibles alliés aveuglément soumis aux volontés arbitraires et capricieuses de la France, était honorable et bien calculé, et plutôt la rupture de la négociation et peut-être même la guerre que quelque stipulation qui nous eut pécherait de persévérer dans le système que nous avons suivi cette année à l'égard du commerce !

Voilà les bases sur lesquelles la négociation doit s'établir et sur lesquelles doit être fondé l'arrangement qui en serait le résultat. Mais supposé qu'il réussisse de la manière la plus satisfaisante, il y a encore un point capital qui est presque à envisager comme la clef de la voûte : que l'Autriche soit invitée à le garantir.

L'empereur Napoléon ayant lui-même offert cette garantie[11], ne pourrait pas justement la décliner. La cour de Vienne aurait les meilleures raisons de s'y prêter, et il n'en résulterait que de grands avantages pour elle comme pour nous.

La Russie et l'Autriche, c'est-à-dire les deux seules puissances continentales dont aujourd'hui la réunion produirait encore un contrepoids efficace à l'énorme pouvoir de la France, se trouveraient pour la première fois depuis six ans unies non seulement par un intérêt commun, car celui-là n'a jamais cessé d'exister, mais par un lien positif et avoué. Il n'y a pas dans tout le cercle des rapports politiques un objet sur lequel les intérêts bien entendus des deux puissances ne soient pas absolument d'accord. Je n'en excepte pas même les affaires de la Turquie, car, quoique relativement à ce sent article on puisse concevoir une diversité de vues entre elles, considération qui ajoute un si puissant motif à tous ceux qui doivent faire désirer un prompt dénouement de la guerre de Turquie, je n'en suis pas 'nui us convaincu qu'un véritable homme d'État en Russie sacrifierait dans les circonstances actuelles un grand avantage local plutôt que de mécontenter l'Autriche, tout comme un véritable homme d'État en Autriche consentirait à des résultats généralement contraires à son système plutôt que de s'aliéner la Russie ou de voir porter atteinte à sa considération par une paix concilie sur des bases trop différentes de celles qui jusqu'ici ont été mises en avant. Cette paix aurait l'immense avantage d'écarter entre la Russie et l'Autriche tous les motifs de jalousie qui peuvent subsister, tandis que l'acte de garantie du traité conclu avec la France légaliserait, pour ainsi dire, entre elles des communications confidentielles et suivies, et habituerait les deux cours à penser et à agir dans le même sens pour tous les grands intérêts de l'Europe et deviendrait le germe d'une alliance formelle dont le but serait de stipuler et les mesures qu'il y aurait à opposer aux atteintes que la France pourrait porter à l'arrangement garanti, et les secours qu'il faudrait mutuellement se prêter. Je regarde un concert entre ces deux puissances comme la seule planche de salut qui suit restée après tant de naufrages ; si d'ici à quelque temps il n'est point solidement établi et que l'Autriche ne trouve pas moyen de rétablir ses finances et son année pour qu'il ne soit pas sans force et par conséquent sans utilité, c'en est fait de nos dernières espérances, tout périt sans retour. L'effet le plus funeste d'une explosion prématurée entre la France et la Russie serait de rendre ce concert impossible ; le plus grand bienfait d'un arrangement pacifique sera de le préparer et de le favoriser.

Pendant l'époque de paix plus ou moins raffermie qui suivrait un arrangement pareil, la Russie et l'Autriche auraient, l'une et l'autre, le temps de s'occuper de leur intérieur, de rétablir leurs finances et leurs armées. Leur union et leur confiance mutuelle faciliteraient ces opérations. Dans les conjonctures les plus périlleuses, c'est beaucoup que de savoir que tous les plans, toutes les démarches, tous les efforts, n'out à prendre qu'une seule direction, de pouvoir compter sur un voisin fidèle, de ne plus craindre de diversion sur nos flancs, d'être bien convaincu que les progrès que ces deux puissances feraient pour la restauration de leurs forces ne donneraient de jalousie qu'à celui qu'au fond de leur pensée elles regardent comme leur seul ennemi.

Si dans cet intervalle de paix l'empereur Napoléon se portait à quelque nouvel envahissement, la Russie et l'Autriche trouveraient dans l'acte de garantie un prétexte légal de s'y opposer, et le jour où ces deux puissances oseront pour la première fois avouer les mêmes principes et faire entendre le même langage au gouvernement français, sera celui où la liberté de l'Europe renaîtra de ses cendres. Ce sera l'avant-coureur de la résurrection d'un équilibre politique sans lequel, quoi qu'on fasse, la dignité des souverains, l'indépendance des États et la prospérité des peuples ne seront que de tristes souvenirs.

C'est ainsi que, d'une mesure bien calculée, résulterait une foule d'avantages, et que Votre Majesté, en conjurant l'orage, verrait sortir des fruits de sa sagesse les germes d'un véritable état de paix qui, s'il est compatible avec l'existence de l'empereur Napoléon, ne pourrait, dans l'état déplorable où se trouvent toutes les puissances, tant sous le rapport moral que sous celui de leurs moyens physiques, être obtenu que de cette manière.

On objectera peut-être que tous ces beaux rêves, n'étant bâtis que sur la bonne foi du gouvernement français, s'évanouiront du moment où l'on s'apercevrait qu'en offrant de négocier il n'a voulu que cacher son jeu, gagner du temps ou nous tendre un piège. Mais même si tel était le cas, nous n'aurions encore rien perdu, en nous prêtant à ces démonstrations pacifiques. La guerre n'ayant point été déclarée au printemps, tout délai doit tourner en notre faveur. Le moment actuel, malgré tout ce qu'on peut dire sur la guerre d'Espagne, serait un des plus funestes que nous pourrions choisir. L'ancienne règle qui veut que telle chose que notre adversaire parait éviter doit par cela même nous convenir, n'est pas admissible sans restriction. Mon adversaire peut avoir de très bonnes raisons pour ne pas vouloir aujourd'hui Ce qui n'en sen pas moins en dernier résultat entièrement à son avantage. Je crois n'avoir besoin de donner aucun développement à ce raisonnement, les idées de Votre Majesté sur l'utilité d'éviter la guerre m'ayant paru entièrement fixées, comme en général sur les moyens d'y parvenir. A ceux que j'ai osé lui soumettre, elle a objecté qu'en vidant les différends actuels par un arrangement, le grief que la France nous a donné par la réunion d'Oldenbourg disparaîtrait, et qu'elle voudrait s'en réserver un afin d'en profiter pour rouvrir ses ports dans telle circonstance où l'empereur Napoléon se trouverait hors d'état de lui faire la guerre pour cette seule raison. Je pense qu'à cet égard Votre Majesté Impériale pourrait s'en remettre au caractère connu de ce souverain, qui certainement ne tarderait pas à lui fournir de nouveaux sujets de plainte et de récrimination. D'ailleurs, ses engagements avec lui ne sont pas éternels, et si d'ici à quelque temps ils ne produisent pas sur l'Angleterre l'effet qu'il se flatte vainement d'en obtenir, Votre Majesté aurait toujours le droit de déclarer à la France qu'elle ne saurait sacrifier davantage les intérêts de son empire à une idée qu'une expérience de six ans a prouvé n'être qu'une chimère. Personne ne saurait voir dans cette déclaration une violation des traités, et si d'ici à cette époque nous sommes parvenus à consolider nos mesures de défense et à leur donner l'étendue et la perfection qu'elles doivent avoir tant que vivra Napoléon, je doute même qu'elle puisse amener la guerre.

 

 

 



[1] Sur le caractère d'absolue authenticité des copies à nous remises, voyez l'étude que nous avons publiée dans la Revue bleue, 30 mars 1893.

[2] Pour tous les événements ou incidents auxquels il est fait allusion dans les lettres, voyez le t. Ier et les trois premiers chapitres du t. II.

[3] Ce paragraphe et le suivant, communiqués par ordre en copie au cabinet de Saint-Pétersbourg et conservés dans ses archives, ont été publiés par M. TATISTCHEF, Alexandre Ier et Napoléon, 309-311.

[4] Sur cette velléité de négociation avec l'Angleterre, voyez le récent volume de MARTENS, Traités de la Russie, XI, 150-151.

[5] Il s'agit d'un ouvrage paru en Russie et que Caulaincourt s'était procuré.

[6] Il ne s'agit pas ici du prince de Bénévent, mais d'un de ses parents, employé à porter des dépêches diplomatiques.

[7] Cette courte lettre est la seule de toute la série qui figure en manuscrit aux Archives nationales ; elle a été publiée sous le n° 14,107 de la Correspondance.

[8] A dater de cette lettre cesse la correspondance directe de Napoléon avec son ambassadeur en Russie.

[9] Archives de Saint-Pétersbourg.

[10] Tarif portant un droit de 50 pour 100 sur les marchandises coloniales.

[11] Allusion sans doute à la garantie réciproque que Napoléon avait proposée en 1809 entre la France, la Russie et l'Autriche.