I ASur le rapport
attribué par nous au comte Alexandre de Laborde. Le rapport n'est pas signé, mais il est incontestablement de M. de Laborde. Ce qui le prouve, c'est en premier lieu l'écriture, comparée à celle des pièces émanées du même personnage et conservées tant aux Archives nationales, AF, IV, 1675, qu'aux Archives des affaires étrangères, Vienne, 383. De plus, dans une dépêche à Schwartzenberg en date du 25 décembre 1810, Metternich rend compte de la conversation, en citant le nom de Laborde (Mémoires de Metternich, II, 313-314). Seulement, le ministre autrichien prétend que c'est le Français qui a parlé le premier de mariage. Cette assertion n'est guère admissible. En effet, il est peu croyable que Laborde ait entamé un tel sujet sans ordre de soli gouvernement, et d'autre part, s'il avait reçu des instructions, il n'aurait eu aucune raison pour se cacher dans suri rapport d'avoir provoqué les confidences de Metternich. M. Wertheimer (Archiv für Œsterreichische Geschichte, Vierundsechzigster Band, Erste Hälfte, 509) a donné en allemand quelques passages de la pièce. BEn présence des
démarches ordonnées ailleurs (en Russie) et expressément maintenues... Il est vrai que, le 22 décembre, Cambacérès, demandant aux membres de l'officialité de Paris l'annulation du lien religieux, leur disait : Il (l'Empereur) est dans l'intention de se marier et veut épouser une catholique. (Welschinger, 84-85.) Mais, en présence de la lettre écrite à Caulaincourt le 13 et confirmée le 17, il est impossible de croire à la sincérité de ces paroles. D'ailleurs, le 22, on était loin encore d'être sur de l'Autriche ; les pourparlers avec Schwartzenberg ne commencèrent qu'à la fin de décembre 1899, d'après la mention portée sur le manuscrit qui en rend compte aux Archives nationales (AF, IV, 1675). Il est, au contraire, très naturel de supposer que Napoléon ou Cambacérès, demandant aux membres de l'officialité une décision qui embarrassait leur conscience, engageait leur responsabilité, ait voulu leur faire croire que la fin justifierait les moyens, et qu'ils contribueraient, par leur docilité, à placer une catholique sur le trône de France : c'était un argument ad homines. Toutefois, l'annulation du mariage religieux, utile dans tous les cas — la Russie exprima formellement des scrupules à cet égard —, l'était particulièrement en vue de l'éventualité autrichienne ; aussi fut-ce lorsque l'Empereur commença à s'occuper plus sérieusement de cette dernière, à partir de milieu de décembre, qu'il fit entamer et presser vivement la procédure devant l'officialité. CSur la date du
premier conseil tenu par Napoléon au sujet de son mariage. Thiers, suivi par divers auteurs, place le premier conseil à la date du 21 janvier ; Helfert, d'après les dépêches de Schwartzenberg, le place à la date du 28. Cette dernière nous parait seule admissible. D'abord, les dépêches de Schwartzenberg constituent un témoignage contemporain, opposé aux récits faits après coup où ont puisé les historiens français. De plus, le mémoire de Pellette, conservé aux Archives nationales, cité dans le cours du chap. VII et écrit le 1er février, parle de l'émotion que le conseil tenu aux Tuileries répand dans la société cc depuis trois jours 11 ce qui correspond à la date du 28 janvier. Enfin, dans une lettre du 6 février (Corr., n° 16210), Napoléon parle du conseil tenu il y a peu de jours, ce qui s'appliquerait difficilement à la date déjà éloignée du 21 janvier. Ce fait a son importance : il prouve que l'Empereur n'a laissé mettre en discussion le mariage autrichien qu'après la réception des premières nouvelles de Russie, arrivées le 25. DSur la date et
l'ordre des événements qui se sont succédé du 5 au 8 février 1810. M. Helfert, p. 90, place à la date du 6 l'arrivée du courrier de Russie, dans l'après-midi du 7 la tenue du conseil aux Tuileries, puis la démarche d'Eugène auprès de Schwartzenberg, suivie immédiatement de la signature du contrat entre l'ambassadeur et le ministre des relations extérieures. Or, par son billet à l'Empereur cité p. 253, Champagny nous apprend que les lettres de Caulaincourt sont arrivées le 5. Par une dépêche du 8, il fait savoir que le conseil s'est tenu dans la nuit du 6 au 7 qu'à l'issue il a écrit au prince de Schwartzenberg pour l'engager à se rendre chez lui, et qu'il vient de signer avec lui le contrat ; enfin, dans une dépêche subséquente à Caulaincourt du 17 mars, il rappelle qu'il s'est rencontré pour la première fois avec l'ambassadeur d'Autriche dans la matinée du 7. Dans ces conditions, comme il est matériellement impossible que la démarche d'Eugène, qui a incontestablement précédé la rencontre entre le ministre et l'ambassadeur, ait eu lieu entre la fin du conseil, terminé le 6 fort tard, et la matinée du 7, c'est-à-dire en pleine nuit — plusieurs témoignages s'accordent d'ailleurs pour la placer à six heures du soir —, il faut admettre qu'elle s'est passée antérieurement au conseil, et que Napoléon, avant de faire ratifier son choix en consulte solennelle, avait eu soin de s'assurer du consentement définitif de l'Autriche. D'ailleurs, la lettre de Dalberg portant la date du 6, citée par Helfert, qui l'attribue par erreur à Laborde et qui est obligé de la supposer mal datée, place au jour même où elle a été écrite, c'est-à-dire au 6, l'avis donné à Schwartzenberg- pendant la chasse et qui a précédé immédiatement la visite d'Eugène. Étant donnés ces divers témoignages, nous avons cru pouvoir établir l'ordre des faits de la manière suivante : le 5, arrivée du courrier de Russie ; dans l'après-midi du 6, démarche d'Eugène, puis, dans la soirée, conseil et délibération fictive ; enfin, le 7 au matin, entrevue entre Schwartzenberg et Champagny au sujet du contrat, qui est établi séance tenante et expédié à Vienne le lendemain. II PROPOSITION FAITE À L'EMPEREUR ALEXANDRE PAR UN GROUPE DE SEIGNEURS GALICIENS ET VARSOVIENS À L'EFFET DE RECONSTITUER LA POLOGNE EN L'UNISSANT À LA RUSSIE.Lettre du prince
Galitsyne à l'empereur Alexandre pour appuyer la proposition, le 4 (16) juin
1809. ... Sans entrer dans des raisonnements politiques à perte de vue, il me semble à moi qu'il n'y aurait pas de raison de décliner une dignité qui nous est offerte par tout un peuple à l'unanimité. D'autant plus que par ce moyeu on ferait le bonheur d'un vaste royaume, lequel resterait en somme, bien que sous une forme différente, nue province russe. Je ne vois pas non plus le mal qui pourrait en résulter par la suite pour la Russie, dans le cas où l'empereur, après s'erre revêtu de la dignité de roi de Pologne, instituerait pour l'éternité que les souverains de la Russie seront rois de Pologne, et qu'ils ont le droit de nommer pour les représenter dans le gouvernement de ce royaume des lieutenants qui le gouverneraient au nom et de par la volonté des souverains de toutes les Russies. Ce royaume serait formé de toute la ci-devant Pologne, à l'exception de la Russie Blanche et des territoires faisant partie des gouvernements de Kief et de Podolie. Il est hors de doute que le royaume en question pourrait entretenir une armée de cent mille hommes et tous les fonctionnaires nécessaires à son administration, en versant avec cela une partie considérable de ses revenus au trésor de l'empire. Réponse du comte Roumiantsof
par ordre de l'Empereur, 15 (27) juin 1809. Quelque flatteuse que soit l'acquisition de la Pologne dans sa totalité, S. M. l'Empereur, n'en ambitionnant pas l'éclat, a porté son attention particulière suit les conséquences que cette acquisition aurait pour la Russie, d'on résultent les questions suivantes : Le rétablissement du royaume de Pologne dans son état primitif n'entrainerait-il pas la rétrocession par la Russie des ci-devant provinces polonaises ? Peut-on se fier il la constance de la nation polonaise ? Et sons les dehors (ténues de leur vif désir de s'unir à la Russie sous le sceptre de Sa Majesté, ne se cache-t-il pas le dessein de ravoir les provinces susmentionnées qui nous étaient échues et puis de se détacher entièrement de nous ? (Suit un parallèle
entre la Russie et la Pologne d'un côté, la Grande-Bretagne et l'Irlande de
l'autre, et la conclusion que des liens entre pays de différente origine ne
sauraient être solides et durables. De plus, la conséquence évidente et
immédiate du rétablissement du royaume de Pologne et de sa réunion à l'empire
de Russie serait dite l'union des puissances copartageantes de la Pologne et
naturellement intéressées à se soutenir mutuellement, se trouverait
entièrement dissoute.) Tels sont les motifs pour lesquels Sa Majesté, se contentant de la part qui lui est échue de la ci-devant Pologne, préfère voir ce pays dans son état actuel et ne juge pas conforme aux intérêts de l'empire la réunion de la Pologne dans son étendue d'autrefois, sans même parler de ce qu'il y aurait d'incompatible avec l'honneur, la dignité et la sécurité de la Russie s'il fallait entendre par le rétablissement du royaume de Pologne l'incorporation de la Russie Blanche et des districts faisant partie des gouvernements de Kief et de Podolie. Néanmoins, dans l'état conjectural où se trouve actuellement l'Europe, Sa Majesté est d'avis que d'un côté, prenant en considération les représentations de Votre Excellence, on pourrait, en flattant les Polonais de l'espoir du rétablissement de leur patrie, les maintenir dans le calme et l'obéissance, tandis que d'un autre côté ils pourraient s'adresser à Napoléon pour lui demander la constitution d'un État particulier composé du duché de Varsovie et de la Galicie, ce qui nous serait extrêmement préjudiciable[1]. En conséquence, S. M. l'Empereur autorise Votre Excellence, après avoir acquis la certitude que les magnats varsoviens et galiciens ont le désir droit et ferme de se soumettre au sceptre de Sa Majesté, de leur insinuer sous main que s'ils ont réellement l'intention de former du duché de Varsovie et des principautés galiciennes un État particulier sous le nom de royaume de Pologne en en confiant le sceptre ad æternum à S. M. l'Empereur et à ses successeurs, volts ères presque certain qu'un acte pareil et nue proposition de leur part ne resteraient pas sans succès, et que vous, de votre côté, vous prendriez sur vous dans cette affaire le rôle d'un zélé solliciteur[2]. III LETTRES PARTICULIÈRES DU DUC DE VICENCE, AMBASSADEUR EN RUSSIE, AU DUC DE CADORE, MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES(Janvier-décembre 1810)[3]. Pétersbourg, le 8 mars 1810. (Cette lettre et
la suivante répondent aux reproches adressés à l'ambassadeur par le ministre,
sur l'ordre de l'Empereur, pour avoir signé le 4 janvier 1810 la convention
contre la Pologne dans les termes réclamés par la Russie.) MONSIEUR LE DUC, J'ai déjà eu l'honneur d'accuser à Votre Excellence la réception de ses courriers des 10 et 19 février ; je me suis conformé à ses ordres ; fidèle à mes devoirs, j'obéis avec un zèle, un dévouement absolus. Je me bornerais là dans ma réponse à Votre Excellence, comme je le fais dans mes démarches, si sa lettre du 10 février, en rappelant quelques expressions de ses précédentes dépêches, ne contenait pas en fait un reproche pour moi qui m'affecte d'autant plus sensiblement que je crois avoir, dans cette occasion, comme dans toutes, donné à Sa Majesté plus d'une preuve de mon exactitude et de ma fidélité. Que Votre Excellence daigne se rappeler les autres expressions de ses mêmes lettres des 21 et 25 novembre : Que je ne dois pas me refuser à signer la convention qu'on demande, pourvu qu'elle n'ait pour objet que de rassurer contre le rétablissement de la Pologne et l'agrandissement du duché de Varsovie... En général, vous ne vous refuserez, à rien de ce gui aurait pour but d'éloigner toute idée du rétablissement de la Pologne, etc., etc. L'Empereur veut tout ce qui peut tranquilliser l'empereur de Russie, surtout tout ce qui peut fonder su tranquillité. Les cinq points de ma dépêche du 7 novembre sont connus de Votre Excellence. C'est en partie la base dont on est parti ici ; quant à l'article 5, on l'a exigé comme une conséquence naturelle du traité de Vienne et des assurances données par Votre Excellence elle-même au comte de Romanzof. Votre Excellence a d'ailleurs pu se convaincre par toutes mes dépêches pendant la guerre que c'était là non moins que l'idée du rétablissement de la Pologne l'objet des craintes de la Russie. N'ayant pour instructions que vos lettres, les paragraphes précités vous disent assez, Monsieur le Duc, si j'ai été au delà des ordres de l'Empereur ; les miennes n'ont cessé de répéter que la Russie voulait des assurances positives. C'est à ces lettres que Votre Excellence m'a fait l'honneur de répondre par la sienne du 25 novembre qui m'autorise à prendre la mienne du 7 du même mois pour base, et certes les restrictions qu'indignait le traité de Tilsit et que sous-entendait votre lettre, quoique demandées et presque exigées par la Russie, n'ont pas été comprises dans la convention. Votre Excellence se rappellera encore combien j'étais peu empressé de la conclure. Il ne m'appartient pas de juger les ordres qu'on me donne, j'obéis à Pétersbourg comme je le ferais à Paris, ruais j'ose vous l'observer, Monsieur le Dac, un peu plus de confiance en moi, les véritables intentions de l'Empereur un peu mieux connues de son ambassadeur, et il pourrait le mieux servir. Je ne lue permets point de justifier la convention, je me borne à prier Votre Excellence de mettre sous les veux de Sa Majesté les ordres qui tue l'ont fait conclure et qui sont ma justification ; je ne tiens dans le monde qu'à prouver à mon maître que je le sers avec dévouement et fidélité et surtout avec exactitude. S'il pouvait en douter un moment, ma carrière serait finie, car ce n'est ni l'ambition ni la fortune qui m'attachent à lui, et je me tiendrais bien plus récompensé par un mot de satisfaction que je n'ai jamais pu l'être par ses bienfaits. Si Votre Excellence se net pour un moment a tua place, à boit cents lieues de ma cour, isolé, sans le moindre encouragement depuis trois ans que je lune dans des circonstances gui n'ont pas toujours été faciles, je puis le dire uniquement soutenu par mon zèle, elle sentira mieux que, je ne l'exprime ce que j'éprouve de chagrin, non de ce que cet acte n'est pas ratifié, mais de ce que l'Empereur ait pu penser que j'ai été au delà de ses intentions, quand j'ai, j'ose le dire, la conscience de m'être tenu en deçà même de la réserve qui m'était prescrite. Je ne puis confier mes chagrins qu'à Votre Excellence ; ce sont ceux d'un homme d'honneur réellement affecté, mais pas découragé, et qui défend les intérêts de son maitre avec plus de chaleur que son propre honneur. Pétersbourg, le 1er juin 1810. MONSIEUR LE DUC, Je n'ai pas la prétention d'être juge de mes talents, mais je le suis de ma conscience : elle me dit que j'ai fidèlement rempli mes devoirs. Si Votre Excellence daignait reprendre l'ensemble le ma correspondance et de ses réponses, j'ose le répéter, petit-être ne m'attribuerait-elle pas les inconvénients de l'acte dont elle se plaint ; j'ose même croire que si un peu de bienveillance rapprochait les circonstances des époques, elle conviendrait peut-être qu'obligé de faire alors une chose annoncée et attendue avec tant d'impatience, il émit difficile de faire mieux : car si la convention dit plus qu'on ne désire à Paris, elle dit aussi beaucoup moins qu'on ne voulait et surtout qu'on ne demandait ici, Mes lettres en font foi. Si celle de Votre Excellence du 25 novembre m'eût laissé entrevoir ce que porte celle du 30 avril, peut-vire aurais-je été assez heureux pour servir l'Empereur dans cette circonstance comme dans d'autres. Que Votre Excellence me permette de le lui dire avec franchise : quoique les éloges ne m'aient pas été dispensés comme le blâme, l'Empereur a été bien servi, quand on a eu plus de confiance en moi. Au bout du monde, ballotté par les événements qui se succèdent avec rapidité, par les circonstances qui changent ou modifient beaucoup de choses, placé dans une position qu'elles rendent d'autant plus délicate que je suis plus haut et plus loin, peut-être aurait-il fallu en savoir beaucoup plus qu'on ne m'en a dit pour deviner ce qu'on voulait. Je suis, Monsieur le Duc, profondément affecté des expressions de votre lettre, je le suis, parce que je suis Français et que je ne suis pas de ces gens qui défendent leurs productions comme leurs enfants. Je mets toute ma gloire à servir l'Empereur fidèlement, à le servir comme il veut l'être, je n'ai pas d'autre amour-propre. Je condamne donc la convention auprès dis ministère russe autant que je la défends et son négociateur auprès de l'Empereur ; je puis dire avec vérité que je sacrifie l'homme à la chose, et que je me dévoue pour amener cette affaire an point on l'Empereur le désire. Mais l'humilité de l'homme ne sert pas mieux que la fermeté et le zèle de l'ambassadeur. On ne cède sur rien, on est blessé ; le refrain est toujours le même : que nous savons depuis longtemps ce que la Russie demandait, que nous lui avons promis, que Votre Excellence a dit au prince Kourakine que j'étais autorisé à satisfaire la Russie sur tous les points ; que ce n'est pas elle qui a fait naître ces difficultés ; qu'enfin on ne peut lui refuser une réponse. Quelque chose qu'on dise, quelques récriminations qu'on Fasse, quelque ton que l'on prenne, l'Empereur et son ministre en reviennent toujours là ; c'est la même exigence dans le fond, avec le même ton de conciliation dans les formes. Je ne me rebute pas, mais il faut, Monsieur le Duc, sentir bien fortement l'empire de ses devoirs et la reconnaissance que je dois à tant de titres à l'Empereur, pour qu'il reste encore assez de force et de santé pour résister à des chagrins aussi peu mérités. Pétersbourg, le 11 juin 1810. MONSIEUR LE DUC, J'ai à remercier Votre Excellence de la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire le 19 mai par M. Duguay. Je pense comme Votre Excellence qu'il y a de la prévention dans la manière dont on a envisagé la conduite de nos agents en Valachie, et que les grands griefs contre eux sont d'avoir donné des nouvelles de l'armée dans la dernière campagne ; mais il y a eu aussi un peu de maladresse de leur part. On ne verra pas de bon œil le retour de M. Ledoulx[4]... Comme j'ai en l'honneur de le mander à Votre Excellence, il sera nécessaire qu'elle me fasse connaitre la nature de nos rapports avec nos agents dans les Principautés et les intentions de l'Empereur, afin d'éviter beaucoup d'embarras s'il survenait de nouvelles difficultés. Eu tout j'ai l'honneur de rappeler à Votre Excellence que je suis loin, que j'ai affaire à des gens qui veulent avec nous se mettre en règle sur tout ; qu'il faut donc pour le bien dm service qu'elle puisse m'en dire plus qu'elle ne m'en écrit ordinairement ; les choses étaient toutes différentes il y a un an. La mission de M. de Vatteville a fait plaisir, mais on est blessé du silence gardé avec le prince Kourakine sur la convention ; quant aux autres objets, on n'y pense pas. Il parait qu'on tient toujours à l'acte ou à une réponse officielle, et que la lettre de l'Empereur n'a pas changé cette intention fort prononcée. Je ne comprends rien à ce que le prince Kourakine a dit à Votre Excellence[5], j'y réponds par la lettre que j'ai reçue de lui par son courrier qui me fait penser que c'est un des mille on dit de Paris. Il y a deux ou trois mois qu'ils ont couru ici sous d'autres formes : on me disait rappelé, parce que nous étions au moment de nous brouiller avec la Russie. Ensuite on a écrit de Dresde et de Varsovie que c'était parce que l'Empereur était mécontent de moi. Ensuite on m'a fait aller à Vienne pour remplacer M. Otto. Pour faire cesser ces bruits qui accréditaient dans le moment les doutes de l'empereur Alexandre sur nos intentions, je me suis occupé d'arrangements à la campagne, j'ai parlé d'un voyage à la foire de Makarieff[6] à la fin de juillet ; cela a eu le succès que je voulais, au point que l'Empereur m'a parlé de ce voyage et m'a proposé de me donner toutes les facilités pour qu'il fût rapide et aussi agréable que possible. Le comte de Romanzof m'a dit qu'il avait aussi le projet d'y faire une course en même temps ; enfin le ministre d'Espagne, qui part dans peu de jours avec un rongé de deux mois pour voyager dans l'intérieur, my a donné rendez-vous. Voilà les faits à Pétersbourg ; si l'Empereur ni en donne la permission, je ferai cette course, dans le cas Mt les affaires le permettraient et où je n'obtiendrais pas la permission que je préférerais de revoir la France, au lieu de courir vingt jours pour visiter une foire d'Asie. Quant à Paris, je ne comprends rien à ces bavardages, et j'aurais laissé au prince Mourakine le soin et le plaisir de leur accorder assez d'importance pour en entretenir Votre Excellence, si elle n'avait pas émis avec lui un doute sur mes rapports avec elle, qui blesse ma délicatesse. Je ne marche pas par deux routes. Ma correspondance fait foi que je n'ai rien sur le cœur que je ne dise au ministre de Sa Majesté ; à plus forte raison, je ne lui dissimulerais pas une demande officielle. Votre Excellence sait quel désir j'ai de revoir mon pays, combien de raisons m'y rappellent. Mes lettres contiennent à cet égard le seul vœu qu'il me soit permis d'émettre comme serviteur de l'Empereur. J'aurais pu faire valoir à l'appui ma santé, qui a beaucoup souffert du climat, mes intérêts, le dérangement de nues affaires que chaque jour accroit, et la perte que j'ai faite de mon père, si j'étais de ces gens qui se font valoir, si je n'avais pas, par devoir comme par principe, toujours mis de côté tout ce qui m'était personnel, quand il s'agit du service de mon maitre. Sans doute, je ne cache pas à mes amis le désir que j'ai de les revoir, celui que je témoigne à cet égard, mais ce vœu se borne là, et je ne m'en suis jamais caché. Si l'intrigue s'en empare, je n'y suis pour rien. Votre Excellence a entre ses mains toutes mes demandes sur cela. Que l'Empereur me remplace, je serai le plus heureux des hommes ; qu'il me laisse ici, quelque grand que soit le sacrifice, je ne me plaindrai pas s'il pense que je puis l'y servir honorablement et utilement. Vous savez, Monsieur le Duc, que cc ne sont pas les difficultés qui me rebutent. Voilà ce que je désire et ce que je pense. Je ne m'occupe que de mes devoirs et remplis le plus sacré de tous en rendant toujours un compte fidèle des événements... Pétersbourg, le 18 août 1810. MONSIEUR LE DUC, Le courrier Fortier m'a remis la dépêche de Votre Excellence du 30 juillet[7], pendant que j'expédiais celles ci-jointes qui répondent en grande partie aux différents points sur lesquels elle développe la pensée de l'Empereur. Quant à ce qui m'est personnel, je dois m'affliger de voir que Sa Majesté pense que je ne fais que des compliments. Si quelqu'un avait pu écouter aux portes depuis trois ans que j'ai l'honneur de la servir dans ce poste difficile, peut-être me rendrait-elle plus de justice. Les résultats lui prouveront si j'ai été un serviteur fidèle, et si je me suis trompé. Je rends un compte exact de tout : ma fidélité à cet égard est sans doute un devoir, mais elle a dû prouver plus d'une fois à Votre Excellence que je marchais toujours armé de toutes pièces contre l'Angleterre. Je dois à la vérité de dire que sur ce point je trouve le cabinet de Pétersbourg tout aussi prononcé que je le suis. Ma correspondance et les événements font foi, Monsieur le Duc, que ce sont les ordres de l'Empereur et mon dévouement à sa puissance qui règlent toujours ma conduite. L'Empereur me trouve faible ; ici, 'in me fait le reproche contraire. Je me conformerai au surplus dans l'occasion à tout ce que vous me prescrirez. Pétersbourg, le 19 septembre 1810. MONSIEUR LE DUC, ... Dès que nous ne voulons pas la Pologne, la Russie vent l'alliance. Or, comme il ne peut être dans l'intérêt de noire cabinet de la vouloir, les affaires marcheront ici d'elles-mêmes, et tout autre, connue j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Excellence, les fera mieux que moi, car je ne puis empêcher les souvenirs de Tilsit et d'Erfurt de se rattacher à moi, et ces antécédents de plusieurs années deviennent gênants dans une marelle politique que mille circonstances et tant d'événements ont nécessairement plus ou moins modifiée, sans qu'elle soit changée. Je vous le dis en homme convaincu. Monsieur le Duc, les Russes ne pensent qu'à finir leurs affaires de Turquie — que les généraux ne mènent pas à bien, quoique l'armée soit belle et bonne — ; ils ne veulent que jouir de ce qu'ils auront acquis et pousser le temps avec l'épaule jusqu'à ce que la paix avec l'Angleterre, objet de tous leurs vœux, rende du bien-être à tout le inonde. L'Empereur est trop sage pour penser à se commettre avec nous suit par une folle levée de boucliers, soit en ne remplissant pas ses engagements pour soutenir le système continental ; travaillez donc. Monsieur le Duc, à entretenir en amicales et paisibles dispositions pendant que le génie de l'Empereur pacifiera la Péninsule. Ramenez la confiance en persuadant au prince Kourakine et a l'empereur Alexandre ce que je répète sans cesse, que les affaires d'Espagne, qui doivent avec le concours des mesures adoptées par nos alliés forcer l'Angleterre à la paix, sont d'une trop grande importance dans les grands intérêts qui occupent notre maitre pour qu'il ait même la pensée d'inquiéter la Russie relativement à la Pologne si loin de lui. A mon grand regret, je ne persuade plus ; la conviction ne peut venir que de vous et, je le répète, par un autre ambassadeur, quoique l'empereur Alexandre me témoigne toujours une grande bienveillance. A l'égard de ce prince. il me semble qu'on ne le juge pas ce qu'il est ; on le croit faible et on se trompe ; sans doute il sait supporter beaucoup de contrariétés et dissimuler son mécontentement, mais c'est parce qu'il a un but dans la paix générale et qu'il espère l'atteindre sans crise violente. Mais cette facilité de caractère est circonscrite ; il n'ira pas an delà du cercle qu'il s'est tracé ; celui-ci est de fer et ne prêtera pas, car il y a au fond de ce caractère de bienveillance, de franchise et de loyauté naturelle, ainsi que d'élévation de sentiments et de principes, un acquit de dissimulation souveraine qui marque une opiniâtreté que rien ne saurait vaincre. Le talent du cabinet et celui de l'homme qui a à traiter avec lui est donc de deviner cette limite, car l'Empereur ne la passera pas ; les meilleures raisons lui paraîtraient spécieuses et ne feraient, dès que sa défiance serait éveillée, que l'armer davantage contre ce qu'il regarderait con-une contraire ses intérêts. Ne voyant à notre cabinet aucun motif pour heurter ce prince, aucun intérêt réel pour l'inquiéter, je n'avance rien de trop en disant qu'il faudrait venir tirer ces gens-ci par l'oreille pour leur faire entreprendre quelque chose contre nous, et que tout homme qui apportera de la loyauté dans sa conduite et des formes convenables, conviendra pour me remplacer et fera même mieux que moi, si l'Empereur daigne accorder quelque confiance et un peu d'attention à mes précédentes dépêches et aux réflexions que je me permets de faire ici. Veuillez donc, Monsieur le Duc, m'obtenir son agrément pour que l'hiver ne tue clone pas dans mon lit de Pétersbourg. Faut-il absolument que j'y revienne ? J'obéirai ! Mais l'Empereur ne peut me refuser d'aller prendre des bains de Barèges, quand je suis perclus et que l'usage que j'en ai fait la première année que j'ai été son aide de camp m'a remis sur pied. J'insiste, parce que je suis très souffrant ; j'ose donc Ille flatter que l'Empereur jettera un regard d'ancienne bonté sur un de ses anciens serviteurs, et que Votre Excellence m'annoncera incessamment mon remplacement. Pétersbourg, le 15 novembre 1810. MONSIEUR LE DUC, Je dois des remerciements à Votre Excellence de la lettre qu'elle a eu l'obligeance de me faire passer, de ses bontés pour M. de et de l'intérêt dont elle m'assure ; ma santé en a plus besoin que jamais. Veuillez vous rappeler souvent de mes instantes demandes et les mettre de nouveau sous les yeux de l'Empereur. La position est ici toujours la même. Je crois les dispositions bonnes ; la méfiance et l'inquiétude n'ont pas changé, vous êtes notre thermomètre. Le retour de M. de Czernicheff[8] améliorera-t-il cette situation ? On ne m'a rien témoigné, mais il m'a été facile de voir qu'on est blessé ; est-ce de ce qu'il a rapporté, est-ce de la lettre dont Votre Excellence l'avait chargé pour moi, je l'ignore encore. On se plaint que nous ne témoignons point de confiance ; nos doutes, les annonces de nos journaux que de nombreux bâtiments arrivent en Russie, tandis qu'il n'en est pas entré quinze avec chargement depuis le 15 septembre, sont appelés de la mauvaise foi. On y voit un projet de proclamer d'avance des griefs pour former l'opinion et la préparer à des changements. On a la conviction qu'on a plus fait qu'aucune puissance et que nous-mêmes dans l'intérêt du système contre l'Angleterre. On se vante d'avoir sacrifié à ce but son commerce, son change et même, à un certain point, sa sûreté, eu nous aidant loyalement contre l'Autriche, tandis que lions profitions de ce concours pour ressusciter la Pologne, malgré les engagements pris. Le gouvernement se croit des droits à notre reconnaissance et l'empereur Alexandre à la confiance de l'empereur Napoléon. Voilà l'opinion du cabinet. Quant à sa marche, elle ne varie pas, les formes et les dispositions anti-anglaises sont les mêmes. Les glaces ont fermé Cronstadt, les autres ports ne tarderont pas à l'être ; il parait d'ailleurs que les hommes qui y sont les surveillent réellement et se sont persuadés que l'Empereur veut être obéi sur ce point. Quant à la marche des affaires, je crois que quelques changements dans les lettres qu'on peut voir[9] et quelques cajoleries dans les formes les rendraient plus faciles. Le ton de la menace rendrait plus dissimulé et n'obtiendrait rien ici. On peut nous craindre, aussi n'irait-on pas nous chercher. Mais on a eu même temps trop d'amour-propre et trop aussi le sentiment de sa force chez soi pour nous céder sur certaines choses. En énonçant cette Opinion, je ne dis qu'une vérité dont plusieurs années m'ont convaincu. L'éducation et le caractère de l'empereur Alexandre le rendent très impressionnable et sensible aux bonnes formes, et dans ce genre, on ne peut que lui rembourser ce qu'il avance. Il veut être un chevalier dans ses relations politiques ; pourquoi changer cette bonne disposition, qui est le correctif de la dissimulation presque obligée des princes, quand il y a au fond de ce caractère une opiniâtreté qu'il faut se garder de heurter ? L'Empereur, notre auguste maître, ne se doute peut-être pas jusqu'à quel point il pourrait servir ses intérêts avec des ménagements sur la Pologne et quelques procédés pendant que sa politique irait toujours son train. Je dois revenir sur les lettres que Votre Excellence m'adresse dans l'intention que le ministère russe les lise, parce qu'à la distance out nous sommes, cette manière de se parler a l'inconvénient de manquer d'à-propos. Je ne puis pas faire qu'on soit ici content de tout et que vous le soyez par conséquent de moi, mais soyez sûr que je ne manque ni de nerf, quand il en faut pour réussir, ni de fierté s'il était nécessaire de l'appeler au nom de qui je parle ; je connais mon terrain et crois avoir fait mes preuves. Pour en finir sur les lettres, et certes ma réflexion n'est pas dans mon intérêt, je pense qu'il y a moins d'inconvénient à me faire frapper trop fort qu'à frapper vous-même, car le mécontentement peut s'escompter à mes dépens. En entrant dans tous ces détails avec Votre Excellence, je crois remplir les devoirs d'un fidèle serviteur de l'Empereur et d'un homme qui désire are vraiment tuile au département dont elle est le chef. Je ne veux pas terminer cette lettre sans vous rappeler encore, Monsieur le Duc, que je me meurs ici, que je ne suis plus propre à y servir l'Empereur, et qu'un pauvre diable lancé loin de lui et des siens et au bout du monde a besoin de revoir la France après trois années d'exil et de tribulations politiques (pli ne sont ni de son goût, ni dans son caractère. Pétersbourg, le 15 décembre 1810. MONSIEUR LE DUC, L'état de ma santé m'oblige à rappeler à Votre Excellence les différentes demandes que j'ai en l'honneur de lui adresser pour obtenir de revoir la France. Ici, on tient trop à conserver la paix, on est trop prononcé contre l'Angleterre pour que le maintien du système actuel et nos relations puissent se ressentir d'un changement d'individu. Peut-être un nouveau visage réchaufferait-il même plus que je ne puis le faire l'alliance à laquelle on nous soupçonne d'attacher moins de prix maintenant. Quoique je coure déjà ma quatrième année d'absence, je regarderais, Monsieur le Duc, comme mon premier devoir de me dévouer encore si je croyais pouvoir servir l'Empereur mieux qu'un autre. Mais dans la situation où les circonstances m'ont placé depuis un an, tout autre après quelques mois de séjour fera avec plus d'avantage que moi les affaires du présent, puisqu'on ne pourra lui demander compte du passé. Cela remplacera donc bien an delà, même dès son début, l'avantage que je puis tirer de la connaissance des individus et de l'accès que j'ai à toute heure et en tous lieux chez l'Empereur et ses ministres. Je parle sur cela à Votre Excellence avec la confiance d'un homme d'honneur et la franchise d'un soldat dont la vie appartient à l'Empereur. Sa Majesté veut-elle encore l'alliance et ses effets, peu importe celui qui la servira ici. Sa politique ménageant les intérêts de frontière de ce pays, qui ne gênera en rien les grands projets qu'elle peut avoir, les choses marcheront d'elles-mêmes. Sa Majesté ne veut-elle que les froides relations d'un simple état de paix, a-t-elle même d'autres projets, elle ne peut tenir à ce que ce soit moi qui la représente, puisqu'un autre individu moins près de son auguste personne donnera moins d'importance à la mission, et que tout autre sera plus à son aise et fera donc mieux que moi. Voilà mes réflexions, Monsieur le Duc ; je vous les confie pour ne plus conserver que la pensée de mes devoirs et k désir de prouver à mon maitre que les obstacles quels qu'ils soient, ainsi que ma mauvaise santé, ne rebutent pas plus mon zèle qu'ils n'altèrent mon entier et respectueux dévouement. Que Votre Excellence agrée avec l'assurance de mes inaltérables sentiments celle de unit hante considération. CAULAINCOURT, DUC DE VICENCE[10]. |
[1] Les mots en italique ont été ajoutés par Alexandre lui-même en remplacement de ceux-ci : ce qu'il nous serait difficile d'empêcher.
[2] Ces deux pièces sont extraites des archives de Saint-Pétersbourg, où elles sont écrites en russe.
[3] Archives des affaires étrangères, Russie, vol. 150 et 151.
[4] Consul de France à Bucarest, mal vu par les autorités russes dans les Principautés.
[5] Allusion à un bruit de Paris d'après lequel Caulaincourt aurait demandé son rappel et eût été sur le point de l'obtenir.
[6] C'était la foire dite actuellement de Nijni-Novgorod.
[7] Il s'agit de la dépêche faisant le récit de la conversation de l'Empereur avec le prince Alexis Kourakine et reprochant à l'ambassadeur un manque de fermeté.
[8] L'aide de camp Tchernitchef.
[9] Il s'agit de lettres ministérielles qui étaient expédiées avec intention de manière à pouvoir être décachetées et lues par la police russe.
[10] La même signature, faisant suite à des formules identiques, se retrouve au bas de toutes les lettres précédentes.