I La loi organique de pluviôse et l'arrêté du 17 ventôse avaient institué dans Paris, à la place de l'ancien conseil départemental, un préfet de la Seine ; à la place du bureau central, un préfet de police ; au lieu de deux collectivités, deux hommes. Le premier fut Frochot et le second Dubois. Le conseil général de la Seine eut à remplir pour Paris les fonctions de conseil municipal. Aux douze municipalités d'arrondissement succédaient douze maires[1]. Le partage des attributions entre les deux préfectures ne se ferait définitivement qu'en messidor, le préfet de police obtenant le gros morceau ; d'ici là il y aurait quelque tiraillement, difficulté à s'entendre sur les domaines respectifs et contestation de limites[2]. Dubois débuta par une proclamation où il promettait aux Parisiens la jouissance des franchises les plus diverses. En fait, la transition entre le système administratif de l'an III, adouci depuis Brumaire, et le pur régime de l'an VIII fut d'abord peu sensible ; elle ne se manifesta point par un brusque sursaut d'autorité. Paris sentant planer au-dessus de soi une volonté unique, celle de Bonaparte, assez forte pour protéger, assez prudente encore pour ne pas contraindre et violenter, jouissait de sa sécurité et prenait ses aises. Dans les choses qui leur tenaient le plus au cœur, les habitants possédaient une somme de liberté fort appréciable ; ils la jugeaient délicieuse ; à la comparer aux rigueurs du régime conventionnel et fructidorien. La liberté individuelle était passablement respectée, d'après les témoignages les moins suspects[3]. Pour les cultes, comme la majorité du clergé parisien a signé la promesse, c'est la tolérance, à la condition qu'ils se renferment dans l'intérieur des temples ; point de manifestations extérieures ; les clochers toujours muets, le silence des cloches laissant planer dans l'air, par-dessus le bourdonnement de la ville, le deuil d'un éternel vendredi saint ; point de costume ecclésiastique dans les rues, mais les églises libres de s'ouvrir à leur jour et à leur heure ; le catholicisme rentrant en possession d'un nombre toujours croissant d'églises et d'oratoires ; la ferveur de ces asiles faisant contraste avec le paganisme officiel ; les offices très suivis, surtout par les femmes ; les pratiques religieuses s'affichant avec bravoure, encore que quelques hommes, furieux de voir reparaître ce qu'ils ont persécuté, se montrent dans les églises avec indécence et affectent de jeter le ridicule sur les femmes qui s'y livrent aux exercices de leur religion[4]. En dehors des églises, quelques établissements religieux tendent à se reformer ; çà et là en maison discrète, un groupe de religieuses reprend à huis clos la règle et l'habit de leur ordre. Dans les églises où les différents cultes cohabitent, les catholiques souffrent de cette promiscuité, cherchent à restreindre la place occupée par leurs rivaux, à faire disparaître les emblèmes civiques, et gagnent insensiblement à la main. A côté du catholicisme qui a fait de Saint-Loch sa métropole, l'église constitutionnelle, quoique officiant dans la nef de Notre-Dame, maintient péniblement la concurrence. Des protestants vont au prêche, réclament pour leur culte une église située près du Louvre. Eu d'autres églises, les Théophilanthropes célèbrent encore leurs rites ; on voit des fêtes de la Bienfaisance, de la Tolérance, des Bonnes mœurs, où des philosophes pratiquants expliquent devant leurs auditeurs les beautés de la religion naturelle[5]. On voit des prédicants divers et des loges de francs-maçons, car les partis extrêmes, démagogues et royalistes, semblent s'être servis alors de la franc-maçonnerie pour dissimuler leurs secrètes assemblées sous le voile d'une quasi-religion et de pratiques rituelles[6]. Plus de réunions politiques autorisées ; depuis la suppression du Manège, Paris n'a plus de clubs ; la tribune aux vociférations est renversée. En revanche, des sociétés artistiques ou littéraires, des sociétés formées pour la diffusion de la science et des lumières, subsistent ou se fondent, chacune s'inspirant d'un esprit différent et de tendances rivales. Rue de la Chaussée-d'Antin, La Harpe a rouvert sou cours de littérature ; philosophe repenti, il groupe autour de sa chaire tout le public bien pensant et transforme l'explication des auteurs en cours de réaction dogmatique. Le Lycée des Arts se donne pour mission d'encourager les inventions utiles, et au Portique républicain, devant un public de démocrates, la citoyenne Constance Pipelet lit un mémoire sur la condition des femmes dans une république. Dans l'ordre spéculatif et théorique, il est permis de parler et d'écrire, de raisonner et de déraisonner librement. Il en résulte une floraison assez variée d'initiatives discordantes, quelques efforts même de groupement et d'association, que Bonaparte supporte encore et n'ira pas supprimer trop tôt. Malgré le calme de la place publique, rien ne donne moins l'idée de ce que nous appellerions aujourd'hui l'unité morale, l'idée d'une règle imposée aux esprits, que cette première période du Consulat. Contre la réaction qui se manifeste de plus en plus dans les écrits et les paroles, l'esprit et la doctrine révolutionnaires se défendent. La lutte n'est plus dans la rue ; en dehors de la rue, elle est partout : dans les groupes littéraires, dans les cénacles, dans les salons, dans les sociétés, dans les journaux. Les journaux réduits à treize, se sentant sous la main du pouvoir, louaient le Consul sur des modes variés, qui allaient depuis l'adulation plate, continue, écœurante, jusqu'à l'éloge enveloppé ; sous le couvert de cette déférence unanime envers le suprême magistrat, ils pouvaient encore dire beaucoup de choses. On leur laissait le droit de discuter les lois en suspens, de critiquer les ministres et surtout de se déchirer entre eux. Quelques-uns ne se distinguent que par des nuances, d'autres lancent des notes violemment discordantes. Le Journal des Hommes libres reste le porte-voix de l'intransigeance jacobine. Le Journal de Paris et le Publiciste, où écrivent Suard et Lacretelle, sont surtout officieux, approbateurs ; ils réclament cependant les reconstitutions nécessaires. La réactionnaire Gazette de France voudrait que le Consulat ressemblât autant que possible A l'ancienne royauté ; elle s'acharne contre l'oligarchie révolutionnaire et prend vertement à partie le jacobinisme. Chaque matin, le rédacteur de la Gazette de France et celui des Hommes libres, Thurot et Méhée, se valant par la moralité, s'aguichent ou s'invectivent des deux bouts de l'opinion. Et ces polémiques de presse ne font que traduire brutalement la lutte établie, à l'intérieur même du gouvernement, entre les hommes qui veulent pousser Bonaparte à droite et ceux qui veulent le retenir à gauche. Ce n'est un mystère pour personne que Fouché tient en main le Journal des Hommes libres et sen sert contre ses collègues ; le Journal de Paris, le Publiciste, la Gazette de France exaltent au contraire Talleyrand, vantent Lucien et donnent une voix au bonapartisme de droite. A côté d'eux, un organe nouveau ou plutôt renouvelé prend tout de suite une grande place ; c'est le Journal des Débats. Créé en 1789, réduit depuis plusieurs années à l'état de simple bulletin, il venait d'être acheté, agrandi, transformé, fondé A nouveau par les frères Bertin, avec divers concours politiques et financiers. Ces jeunes hommes avaient passionnément lutté dans l'Éclair contre le jacobinisme, après Thermidor, et n'avaient succombé que sous la proscription fructidorienne[7]. Maintenant, fort répandus dans le monde des lettres, de la politique et des affaires, ils avaient de grands moyens d'information, des accointances avec Talleyrand, des relations et trop de relations avec l'Angleterre. Le journal qu'ils établirent dans l'imprimerie Lenormand, rue des Prêtres, allait devenir une puissance et presque une institution. En littérature, les Débats se montraient franchement réacteurs ; ils opposaient nos grands classiques aux auteurs modernes, le dix-septième siècle au dix-huitième : ils cherchaient à rendre aux Français le sentiment de la règle et du goût, en quoi ils servaient les desseins de Bonaparte, car le goût est une forme de l'ordre. En politique, ils soutenaient les idées de contre-révolution modérée. Royalistes au fond, mais royalistes libéraux, les frères Bertin ne voyaient dans le Consulat qu'un expédient réparateur. C'étaient de remarquables journalistes et d'habiles lanceurs d'affaires. Leur journal, traditionnel par ses principes, était le plus novateur et le plus moderne par ses procédés. Ils créèrent plus qu'un journal, un type de journal : le journal cher, plus cher que les autres, mais servant à ses abonnés et à ses lecteurs ce qu'on cherchait vainement ailleurs : une impression soignée, une rédaction choisie, des articles de fond sur toutes les questions pendantes, d'abondantes correspondances de l'étranger, d'intéressantes variétés ; enfin, une trouvaille, le feuilleton, c'est-à-dire, en annexe au bas de chaque numéro, un supplément quotidien, supplément littéraire et très parisien. Le feuilleton contenait des appréciations sur les pièces nouvelles, des comptes rendus d'ouvrages, des articles de mode, des éphémérides, des petits vers, des devinettes, des amusettes. Il insérait aussi, sur les plaisirs de Paris, sur la curiosité du jour, sur l'exhibition qui aspirait, à se lancer, d'ingénieuses et fructueuses notices ; il substituait l'art de la réclame à la simple annonce[8]. La liberté des plaisirs restait entière ; c'était encore la licence du Directoire, avec quelque chose d'un peu moins fiévreux et haletant. Les Parisiens qui veulent s'amuser — le nombre eu est toujours immense — ont amplement de quoi satisfaire leurs goûts : l'Opéra et ses drames lyriques, ses ballets, ses évolutions chorégraphiques ; le Théâtre-Français, l'Opéra-Comique, l'Opéra-Italien à la salle Fayard, Feydeau, Louvois, des théâtres de quartier ; les Troubadours ; le boulevard du Temple avec ses spectacles forains, ses tréteaux, ses bateleurs, ses petits théâtres, son répertoire populacier et canaille, et partout des cafés, des estaminets, des filles et des exhibitions plus qu'en aucun lieu du monde. Certes, derrière ce clinquant et ce tapage, à chercher dans les profondeurs, on trouve un autre Paris, créateur de richesse, créateur de pensée et d'art ; les manufactures et les ateliers qui commencent à se ranimer et mettent au loin un sourd bourdonnement de ruche ; Paris studieux, celui qui fait des livres, celui qui interroge les collections du Muséum et du Louvre, celui qui va se presser bientôt à la réouverture des leçons du Collège de France ; Paris artiste, les artistes proprement dits et les industries d'art, l'ouvrier habile à travailler le bois, à ciseler le métal, à réaliser de consciencieux chefs-d'œuvre, des objets de probe travail, avec des solidités et d'admirables finesses d'exécution ; mais cette activité féconde ne se révèle que par ses résultats. Ce qui arrête les yeux d'abord et donne à la ville son premier aspect, ce que voit l'arrivant, c'est le Paris bruyant, agité, jouisseur, flâneur, celui du Palais-Royal et du boulevard, celui des beaux magasins de la rue Vivienne, des restaurants, des bals et des théâtres. Le bruit court parfois que le gouvernement va restreindre le nombre des théâtres et les réduire à une stricte discipline ; ce n'est qu'un bruit. Liberté aux entrepreneurs et directeurs de monter des pièces de tout genre, comiques, bouffonnes, sentimentales, larmoyantes, terribles ; des spectacles forcenés qui secouent les nefs et font frissonner les femmes d'une horreur délicieuse. Le public aime à la fois l'anodin vaudeville, le couplet bon enfant, et la pièce à crime, le mélodrame, cet ancêtre plébéien du drame romantique ; il applaudit aussi à la tragédie, aux fastueux alexandrins, car cette société brisée, dissoute, vit tout de même enveloppée de grands événements et dans une atmosphère d'épopée ; elle aime à se donner le tressaillement héroïque. Mais le public a perdu le sens des nuances. Naguère, aux Français, le parterre, composé d'habitués, savait d'un murmure discret contenir, tempérer, guider l'artiste. Maintenant, pour réussir, il faut que les acteurs, y compris les plus remarquables, forcent leur talent, outrent leur jeu, enflent la voix et dressent au-dessus de leur tête des bras épouvantés. La police n'examine pas préventivement les pièces ; elle montre moins de susceptibilité et de pruderie républicaine que les agents du Directoire. Des empereurs d'opéra, des princesses de féerie commencent à reparaître sur la scène ; on prête ces mots à Bonaparte : s Je ne crains pas les rois régnants, moins encore ceux de théâtre[9]. Toutes les classes de la société vont au théâtre. L'ouvrier, lorsqu'il travaille, gagne assez gros pour se payer une place à l'Opéra et vivre pendant quelques heures dans l'enchantement des jardins d'Armide : La cherté de la main-d'œuvre, fruit du régime révolutionnaire, a répandu dans les dernières classes une aisance inconnue jusqu'alors, qui permet à l'artisan de satisfaire ses anciens penchants pour la débauche et l'espèce d'instinct qui l'entraîne vers des jouissances dont il ne se faisait autrefois aucune idée[10]. Par contre, les dames du beau monde fréquentent les petits théâtres, s'en vont rire chez Nicolet et se fourvoient chez la Montansier. On va plus au théâtre qu'autrefois parce qu'il y a moins de société, parce que les maisons ouvertes ou entrouvertes demeurent rares et clairsemées. On danse cependant, on danse toujours ; c'est encore la dansomanie, mais on clause hors de chez soi. A certains jours, il semble que tout Paris soit en bals publics. À passer dans les ruelles obscures, on voit filtrer, à travers les vitres des rez-de-chaussée, des lueurs rougeâtres ; on entend le trot des couples populaires s'ébattant sous les lampions : Le bruit d'un violon discordant appelle dans la taverne, convertie en salle de bal, l'artisan, le soldat, la grisette, le porteur d'eau[11]. Ailleurs, des hôtels de noble architecture demeurent établissements de plaisirs payants ; brillamment illuminés au dehors, ils ouvrent des salons publics, des salons qu'on croirait créés par la baguette des fées[12]. Là les jeunes gens à la mode, ceux qui ne manquent jamais une première et achèvent ensuite leur soirée chez Garchy qui a relevé le luxueux établissement de Frascati, chez Tortoni, au bal Longueville, viennent courtiser les beautés en renom. L'élégance des femmes est extrême : la taille toujours très haute, la robe du soir hardiment décolletée, très ornée ; les bras gantés ; un miroitement de bijoux à l'antique ; les cheveux ramenés sur le front et sur les tempes en mèches frisées, surmontés sur le haut de la tête d'un cercle de pierreries ou de perles. Comme couleur, le blanc toujours domine ; on aime aussi les tons chamois, serin et vert d'eau. On porte le schah nacarat, gros vert et jaune soufre, et c'est tout un art que de le faire ondoyer autour des épaules, autour des bras, et subitement s'abattre. Pendant l'hiver et sur l'indication discrète de Bonaparte, l'usage de la soie a repris généralement. Robes, schalls, spencers, tout a été de satin[13]. Vienne le printemps, viennent les beaux jours, et il y aura un retour offensif des gazes transparentes et des nudités à la grecque. La robe cependant s'allonge en demi-queue et prend un peu plus d'ampleur. Le visage, les épaules vont se nimber de tulles légers, vaporeux, estompant les traits et laissant à deviner les contours. Aux hardiesses provocantes des femmes du Directoire, on commence à préférer de moins plastiques beautés. A l'empire de la citoyenne Tallien va succéder le règne de Mme Récamier. Son hôtel charmant plutôt que luxueux va rassembler un public très divers, un peu de toutes les élégances[14]. Sa chambre à coucher est une merveille selon le goût du jour, un poème, une allégorie, l'une des curiosités de Paris ; il faut l'avoir vue. Une étrangère de passage la décrit ainsi : Tous les meubles sont élégants ; le lit est blanc et or avec des franges, les marches pour y monter sont d'un bois précieux ; des draperies de taffetas tapissent la chambre ; mais cc qui m'a le plus frappée, c'est une espèce de trépied en marbre blanc qui est au pied d'une des marches du lit, sur lequel est posée une lampe d'or, avec la figure d'un génie qui tient une urne dont il verse l'huile dans la lampe. De l'autre côté du lit, au chevet, est la statue du Silence ; elle est en marbre blanc ; un divan, un piano, une table à écrire complètent l'ameublement[15]. La déesse du lieu est toute de grâce plus encore que de beauté, avec son air candide, un peu effarouché, et la limpidité de ses veux. Si elle plait et ravit, la douce enchanteresse, c'est peut-être que la musique de sa voix et la cadence de ses gestes, l'ajustement parfait de sa toilette à sa taille et à son visage, le rythme délicieux de toute sa personne évoquent en cette société disloquée ce qui manque le plus : l'harmonie. Tout reste en effet confusion et heurt. Point de société pour donner le ton aux autres, pour les régler et les modérer. Les gens du gouvernement ne sont qu'un personnel ; il est plus difficile de recréer une société qu'un gouvernement, et le temps n'est pas venu où le Consul mieux établi se fera un grand monde é sa façon, stylé, dressé, tant bien que mal éduqué, superbement harnaché ; où ce monde donnera en un hiver des milliers de bals et où il y aura une explosion de magnificence réglée[16]. A présent, les seules maisons qui reçoivent un peu décemment et grandement, ce sont celles des banquiers, gens d'opulence relativement ancienne et qu'il ne faut pas confondre avec les nouveaux riches, avec les parvenus de la finance. Ce monde des banquiers est mêlé fortement d'éléments étrangers et surtout suisses ; il garde quelque chose de la raideur genevoise. Les banquiers ont des façons et du savoir-vivre ; il leur manque cette fleur de politesse, cette aisance qui donnait é la bonne compagnie d'autrefois un charme incomparable ; ils ont été un peu de l'ancien monde, sans en être tout è fait. Leurs femmes sont parfaitement mises, vivent bien, s'occupent utilement, organisent chez Frascati au profit des indigents des bals par souscription, remarquables par une élégante simplicité[17]. L'intérieur des banquiers s'ouvre assez largement, sans s'ouvrir à tout le monde. Dans les maisons de franche bourgeoisie, on reçoit moins qu'autrefois, parce qu'on ne peut plus recevoir aussi simplement, parce qu'on désespère de rivaliser avec le coûteux apparat et le train de folle dépense que les nouveaux riches ont mis à la mode. Chez ceux-là, chez les parvenus de la spéculation et des fournitures, c'est toujours une énorme flambée de luxe : un luxe hâtif, précaire, trop neuf ; une débauche de dorures, un décor dans le dernier style ; une profusion de bronzes, marbres, albâtres, trépieds, urnes, statues ; tout le pastiche Gréco-romain. À leur table, la conversation est nulle ; le Goût pour les choses de l'esprit a été remplacé par la passion de jouir au sens le plus brutal du mot, de manger et de bâfrer. Il semble qu'à Paris les salles à manger aient remplacé les salons ; on voit des déjeuners dînatoires, des goûters-soupatoires, des raffinements culinaires, des prouesses gastronomiques et des bombances. Le monde qui s'attable chez les nouveaux riches est une foule plutôt qu'une société. Autant qu'aux bals de barrière, c'est une cohue, mais différente de l'autre en ce qu'elle affecte maintenant des manières, prétend au grand genre et se fait contre-révolutionnaire par vanité : Dans la première de ces deux cohues, on conserve le ton, le langage, comme le costume de la sans-culotterie dans toute sa pureté. Dans les autres, au contraire, on écarte avec soin tout ce qui rappelle la forme républicaine, on s'efforce de singer l'ancienne cour, l'ancienne bonne compagnie[18]. Et les vrais nobles qui reviennent d'exil, les émigrés qui rentrent, trouvent dans ce monde-là leur propre caricature. II Ils revenaient tout doucement, un à un, désirant et craignant Paris. Ceux d'entre eux qui ne se sentent pas parfaitement en règle n'osent y entrer comme tout le monde, par la malle-poste ou la diligence. Ils s'arrêtent aux environs ; là un ami complaisant vient les prendre dans sa voiture, qui les dépose près de la barrière ; ils entrent à pied ; les voici dans Paris. En pages inoubliables, Chateaubriand a raconté ses impressions de rentrée. C'était un jour férié, à trois heures de l'après-midi ; conduit par Fontanes, il avait passé la barrière de l'Étoile et descendait l'avenue des Champs-Élysées. L'esprit possédé de récits et de descriptions sinistres, il allait vers la place de la Révolution, vers les lieux évocateurs ; il s'attendait à des visions, à des émotions qui ébranleraient profondément sa sensibilité d'artiste. Il avance. Ce qui lui annonce Paris, c'est un son de clarinette, de violon et de cor ; d'aigres musiques, des explosions de rire, des couples qui dansent, des bals installés sous les quinconces, et il lui faut passer entre deux rangées de bastringues pour arriver à la place de la Révolution. La place est banale, ordinaire, traversée de passants ; rien n'y rappelle à Chateaubriand les holocaustes où le sang des siens a coulé. Au delà de la place, le pavillon central des Tuileries lui apparaît tel qu'autrefois, dans l'enfoncement de ses deux grands massifs de marronniers[19]. Au Palais-Royal, il trouve plus de divertissements que jamais, mille montreurs de curiosités, des orchestres et des bals jusque dans les caves. Dans l'un de ces bals souterrains, un petit bossu, planté sur une table, raclait du violon et chantait un hymne à Bonaparte, en rimes ineptes ; On lui donnait un sou après la ritournelle[20]. Au milieu d'une foule oublieuse, Chateaubriand est seul à se souvenir, et il s'étonne à constater l'indifférence des hommes, l'indifférence des lieux. Chez tous les rentrants, l'impression est la même. Il leur semblait que la fureur des événements devait avoir créé nécessairement des aspects et des êtres tragiques. Ils trouvent lassitude et détente, insouciance surtout et frivolité ; avec cela, d'extraordinaires contrastes : un pêle-mêle de passé et de présent, bizarrement enchevêtrés ; des Français qui vivent ensemble et qui cependant ne semblent plus parler la même langue et s'intitulent entre eux de façon différente ; des gens qui se maintiennent en pose stoïque, d'autres qui papillonnent, battent des entrechats et font la révérence ; toute sorte de figures disparates, inattendues, fantasques ; une lanterne magique — c'est le mot qui leur vient à tous sur la langue ou sous la plume. Ils s'arrêtent à la regarder. Le spectacle de la rue leur donne parfois l'idée du monde renversé. Des femmes de leur condition vont à pied ; un virtuose de concert se prélasse dans une belle voiture[21]. Çà et là voici quelques figures de connaissance, mais usées, flétries, affreusement vieillies, car chaque année de révolution compte pour dix. A côté de ces mines ravagées, des militaires vigoureux, des officiers très beaux passaient d'un air assuré ; leur tenue voyante tranchait sur le fond terne de la foule. Mais des mendiants se serraient en haie le long des murs, et, parmi eux, des malheureux portant des restes de linge fin, d'habits soignés, imploraient la pitié sans rien dire, avec un air navrant[22]. Et dans la rue beaucoup de gens semblaient dormir debout, l'air hébété, abruti, comme au sortir d'une nuit de cauchemar ou d'ivresse, parce qu'ils avaient traversé les affres de la Terreur et l'énorme débauche qui avait suivi[23]. Sur les murailles, l'enluminure révolutionnaire subsiste : partout des bonnets phrygiens peints aux trois couleurs ; des emblèmes républicains, des devises fières, des invocations à la Liberté en lettres rouges, et l'on vous dit d'autre part que Bonaparte est plus obéi qu'un roi. A. la porte des restaurants se lit cette inscription : Ici on s'honore du titre de citoyen. A l'intérieur des mêmes restaurants, des consommateurs fort réactionnaires tournent en dérision le titre de citoyen en l'appliquant à des inférieurs : Citoyen Jean, décrottez mes souliers ; citoyenne Angot, ouvrez-moi des huitres[24]. Ces mêmes réactionnaires n'en ont pas moins adopté dans leur mise, dans leurs manières, le négligé et l'excentricité révolutionnaires. Quelques ci-devant
prennent les choses du bon côté et préfèrent en rire. Le comte de Moré écrit
: Moi qui ai toujours fait belle jambe et qui n'ai
jamais entendu raillerie sur les bas et les culottes courtes, je me disais : Est-ce
que la Révolution a rendu les jeunes gens cagneux ? Ce fut bien autre
chose quand je vis des conserves sur des nez de vingt ans, ou des jeunes gens
lorgnant avec un monocule (sic) ; je me dis : Cette malheureuse révolution les a
rendus myopes[25]. D'autres font de Paris une noire peinture. Ceux qui se sont habitués à la propreté anglaise supportent difficilement la saleté des rues, l'incommodité des maisons aux escaliers borgnes, où flottent de fétides relents[26]. Puis, quel affairement universel, quelle vie haletante et trépidante ! Pour ceux qui reviennent d'une petite ville d'Allemagne, dormante et figée, c'est un étourdissement. Ils se cherchent logement en quelque quartier retiré, discret : A l'île Saint-Louis où l'on se couche à neuf heures du soir[27], ou bien dans un coin du faubourg Saint-Germain, ce qui, pour les élégants de la Chaussée-d'Antin, est le bout du monde[28]. Ils trouvent à s'y loger assez agréablement A peu de frais. La journée se passe en courses obligées ; il faut aller à la police faire viser ou renouveler son permis de séjour, s'occuper de l'instance en radiation, visiter la personne qui se charge moyennant argent d'arranger des affaires d'émigrés[29], se chercher quelque accointance avec les puissants du jour, monter des escaliers, quêter des recommandations, essuyer des rebuffades, traiter avec des employés fripons on brutaux. Et le soir on rentre rompu, écœuré parfois et dégoûté. Cependant, chemin faisant, on a vu des boutiques bien achalandées, des devantures brillantes, des quartiers en train de se créer, des bâtisses neuves à côté de décombres, une ville dont on ne saurait dire si elle est en démolition ou en reconstruction ; des jardins que l'on répare et que l'on replante ; d'autres déjà très beaux, peuplés de statues ; des places on s'érigent en trophées les chefs-d'œuvre de l'art antique ; des perspectives largement dégagées. et il semble que Paris, tout de même, s'est plutôt embelli[30]. On se met à la recherche des amis d'autrefois, de ceux qui sont restés. Quand on les a retrouvés, c'est une douceur mélancolique que de se laisser aller avec eux à l'émotion des souvenirs. La société défunte fait l'objet des causeries : j'en parcours les ruines avec plaisir et peine, — écrit le prince de Léon, — car, de tous les côtés, on n'entend autre chose : Vous souvenez-vous ? C'était là. C'était ici[31]. Comme les distances sont énormes, comme on n'a pas de voiture pour s'aller voir les uns les autres, comme il n'y a pas de maison qui fasse centre, on se donne rendez-vous dans les endroits publics, dans les spectacles, à Idalie, à Tortoni, chez Frascati ; on se remet ainsi dans le mouvement parisien, et peu à peu le charme de la ville unique vous ressaisit. A quelques-uns des émigrés revenus, l'existence parait assez douce, encore que menacée et précaire. Dans cette société qui est comme une petite ville éparse dans l'autre, les jeunes générations ont grandi, au milieu de celles où la hache révolutionnaire a frappé : ainsi des pousses tendres parmi les ruines d'une forêt ravagée. Les jeunes filles se sont mariées. Comme il faut que jeunesse s'amuse, ces dames et leurs cavaliers vont bravement aux bals d'abonnement, aux bals par souscription. On y va selon ses moyens, à pied, en toilette très modeste, sans souci des anciennes convenances, et il est même de bon ton d'affecter une extrême simplicité, pour ne pas ressembler aux parvenus : Que de femmes charmantes — écrit Norvins[32] — nous avions le bonheur d'accompagner au bal, avec un parapluie sur leur tête et leurs souliers dans nos poches ! Dans les bals payants, on grimpe comme tout le monde sur les banquettes pour voir Trénis, l'incomparable Trénis, exécuter avec Mme Hamelin un duo chorégraphique. On danse ensuite entre soi, en s'isolant à quelques-uns dans la foule. On vit et on s'amuse comme en voyage, comme à l'étranger, sans s'occuper des gens qui vous coudoient. Puis, à mesure que le gouvernement laisse renaître certaines formes de l'ancienne vie française, on se sent un peu plus chez soi. III La Révolution avait hautement surexcité le sentiment national, mais elle avait prétendu en même temps transformer radicalement la France et la dépayser sur place. Il avait été enjoint aux Français de renoncer à leur foi, à leurs mœurs, à leurs usages, à leur façon même de compter les jours et les heures. Cette violence faite au sens traditionnel de la race avait peut-être plus préjudicié à la Révolution que la Terreur. Aujourd'hui que l'insupportable contrainte se desserre, la grande masse de la population revient spontanément aux observances abolies, aux accoutumances séculaires ; elle y revient avec délices. Au sortir de la grande folie novatrice, qu'il fait bon se reposer et se détendre dans les habitudes reprises ! On aime à refaire le geste des aïeux, à prier, à vivre, à s'égayer comme eux, et à Paris autant qu'ailleurs se ressent cette douceur qu'éprouve la France à redevenir française. Ainsi s'opèrent des résurrections successives, provoquées par l'opinion, combattues vivement par quelques groupes, tolérées par le gouvernement ; c'est à leur propos que les journaux se mettent aux prises. Quelques jours après l'installation des Consuls aux Tuileries, Paris se souvient que l'on est au temps du carnaval ; on voudrait qu'il revînt d'exil, ce joyeux ci-devant. Le gouvernement, par crainte de désordres, n'ose encore autoriser la promenade des masques dans les rues, mais il permet le bal de l'Opéra, supprimé depuis 1790, et voilà l'événement dont tout le monde s'occupe. La Gazette de France applaudit à ce retour au passé ; elle serait tentée d'y voir un retour aux bonnes mœurs. Pour justifier la mesure prise, le grave Moniteur émet des considérations de l'ordre le plus élevé, invoque des raisons d'économie politique : les commandes, les achats. les dépenses que l'on va faire pour le bal verseront quelque aisance dans la classe commerçante et ouvrière. Le premier bal, donné le mardi gras, fut un énorme succès d'argent. On s'y précipita, on s'y entassa ; on y alla tant qu'on ne s'y amusa guère ; la cohue fut affreuse, et cc fut une cohue figée. Dans l'atmosphère étouffante des couloirs, dans la salle et sur la scène, sous les constellations de lustres, au-dessous des loges pleines de dominos et d'habits de soirée, une masse bariolée ne pouvait ni avancer ni reculer. Seuls les propos, les on-dit circulaient ; on disait que Mme Bonaparte se cachait au fond d'une loge, et d'aucuns prétendaient avoir reconnu Barras en Turc. En somme, une curiosité intense, peu d'animation et de gaieté ; Paris, tel que la Révolution l'avait fait, avait perdu cette désinvolture de l'esprit, cette grâce d'ironie qui s'aiguise sous le masque, sémillante et légère. La Gazette de France veut néanmoins que la réussite ait été complète : Cet heureux début prouve combien a été sage et politique la détermination qui a rendu au goût français un genre de divertissement qui semble n'être fait que pour lui[33]. Le Journal des Hommes libres opposera bientôt cette description : Le dernier bal de l'Opéra a été encore plus populeux que les précédents. La chaleur insupportable d'une masse qui essaye en vain de se mouvoir et fait un pas par heure, une musique assourdissante, les propos connus de nombreux chiants-lits, tel est en deux mots le tableau fidèle des plaisirs que certains journalistes se félicitent d'avoir réhabilités[34]. Au reste, à chacun son goût, ajoute l'organe jacobin, qui n'en est pas moins d'exécrable humeur. Il lui semble, en effet, que le mardi gras remis en honneur va rappeler aux esprits son antique repoussoir, le mercredi des Gendres ; à ressusciter le carnaval, on risque d'évoquer le carême. Il y avait d'ailleurs bien autre chose. En ce temps de divertissements consacrés, certains ministres avaient cru devoir ouvrir leurs salons, donner des bals ; ils s'essayaient à refaire du gouvernement un centre de vie sociale. Cette initiative n'a pas le don de plaire dans les milieux jacobins : passe encore pour Lucien qui n'a invité que les fonctionnaires et les catégories officielles, mais le bruit se répand que Talleyrand, le ministre aux accointances suspectes, compte profiter de l'occasion pour attirer chez lui et présenter au Consul moins de républicains que de gens comme il faut, même des grands seigneurs, ce qui était noble et très noble[35], et voilà la République en péril à propos d'un bal. Pendant plusieurs jours, Talleyrand est poursuivi d'insinuations venimeuses. Le 6 ventôse, il donna sou bal ou plutôt sa fête. A l'entrée des salons de grand style, pleins d'une confusion de toilettes assez disparates, le maitre de la maison se tenait, tel de visage qu'il serait décrit trois ans plus tard par une étrangère, en des temps plus fastueux : Une figure qui me parut celle d'un mort habillé d'un habit de velours rouge avec une large broderie en or ; grande veste, manchettes, épée, grande coiffure... Sur ce visage de mort, on trouve pourtant la physionomie fine et spirituelle de l'évêque d'Autun[36]. Lorsque le premier Consul eut fait sou entrée et pris place, les divertissements commencèrent. La Harpe récita des vers, Garat chanta, Vestris et Mme Chameroy dansèrent un pas russe et une gavotte. Dans l'assistance, on se montrait, à côté du inonde officiel et fonctionnaire, des personnes d'un tout autre air, d'anciens députés fructidorisés tels que Portalis et Dumas, voire même des gens de l'ex-faubourg Saint-Germain et du plus pur : Mmes de Vergennes, de Castellane et d'Aiguillon, un Crillon, un Coigny qui s'étaient rendus à l'invitation de M. de Périgord. Ils ne seraient pas allés chez le maitre, aux Tuileries, et ils venaient chez le ministre, parce que Talleyrand, malgré tout, restait du monde et que Bonaparte n'en était point. Le lendemain, le Journal des Hommes libres n'ose blâmer Bonaparte d'avoir paru au bal, mais il veut absolument que le Consul y ait pris un ton rogue et défensif, attestant qu'il se sentait fourvoyé en compromettante compagnie. Dans l'assistance, il n'aurait honoré de sa conversation qu'un danseur de profession, le roi de la danse, Vestris : Bonaparte est arrivé tard, a salué les dames, n'a rien dit à la cour, et a causé avec le seul Vestris, qui en effet, dans un bal, est l'homme intéressant[37]. Désespérons de concilier cette version avec celle des Débats, d'après laquelle Bonaparte se fût fait un délicat plaisir d'annoncer aux fructidorisés présents le retour en France de deux de leurs compagnons d'infortune : Le premier Consul, qui honorait cette fête de sa présence, a mis un généreux empressement à annoncer lui-même à Portalis et à Dumas qu'il recevait à l'instant la nouvelle de l'arrivée à Brest, en bonne santé, de Barbé-Marbois et de Laffon-Ladebat[38]. Trois décades passent. Aux approches des ci-devant fêtes de Pâques, la célébration des jours saints reliait à son tour, mais il faut toujours que Paris mêle à ses dévotions quelque chose de profane et de frivole. On annonce que la promenade de Longchamp va reprendre son éclat traditionnel. Le premier jour, la pluie tombe sans discontinuer et met en déroute les promeneurs. Les autres jours, le ciel est un peu plus clément, et il y a vraiment beaucoup de monde aux Champs-Élysées et au bois de Boulogne pour voir le défilé des voitures, le concours des exhibitions diverses, l'éclosion des modes de la saison qui s'essaient et se lancent. Il se trouve de bonnes gens pour s'attendrir sur ce spectacle, qui rappelle le passé, et s'en sentir tout réconfortés ; des femmes disaient dans la foule : On renait ; sans Bonaparte, on ne verrait pas cela[39]. La Gazette de France ne se tient pas d'aise ; elle a soin de faire remarquer que tout Paris est allé à son ancien rendez-vous, que la file des équipages se prolongeait depuis le premier arbre des Champs-Élysées jusqu'au dernier du Bois[40]. Les Hommes libres haussent les épaules, puis exercent leur verve populacière aux dépens des théâtres qui ont cru devoir changer leur programme habituel, reprendre le vieil usage des concerts spirituels et annoncer le Stabat de Pergolèse. Que sera-ce quand les grandes fêtes de l'Église vont s'échelonner pendant toute la durée du printemps et que chacune de ces solennités provoquera un afflux de foule dans les églises, mie affirmation de vie religieuse ? Contre les prêtres et leurs momeries, contre les bourgeois qui croient se mettre à la mode en retournant à la messe, le journal jacobin n'a pas de sarcasmes assez gros. On le laissait dire, et les indifférents même et les sceptiques se plaisaient à la douceur des vieilles choses : ils aimaient à revoir ce qu'ils avaient vu enfants, les particularités touchantes, les usages symboliques, le dimanche des Rameaux_ et les vendeurs de buis bénit à la porte des églises, Pâques fleuries, Pagnes joyeuses ; plus tard, la blancheur des premières communiantes, l'Ascension, la Pentecôte, la Fête-Dieu, ces dates d'allégresse, ces fêtes claires qui ne figuraient plus dans le calendrier officiel et cependant rentraient d'elles-mêmes dans les mœurs, parce que pendant des siècles elles avaient parlé aux yeux et parlé aux cœurs., Remettre de l'autrefois en toutes choses, voilà la tendance dominante, et c'est de quoi le jacobinisme et ses journaux enragent. Parfois, le débat des gazettes s'élève et devient théorique. On voit nettement s'opposer les deux doctrines : celle qui voudrait une France datant de 89, toute reconstruite à neuf et posant sur le vide ; celle qui veut que la nation reprenne racine dans son passé et se replace sur ses assises tant de fois séculaires : Quand notre origine se perd dans la nuit des temps, pourquoi consentirions-nous à ne dater que d'hier ? L'antiquité pour les nations est un sujet d'orgueil, et cet orgueil-là est bon, car la raison l'approuve[41]. Sur les deux façons de concevoir la France, le monde de l'intelligence et de la pensée se divise. La controverse s'engage à propos de tout : s'agit-il d'un plan d'instruction publique, le Journal des Débats demande le retour aux études classiques, aux humanités, par réaction contre l'enseignement surtout scientifique dont la Révolution a voulu doter la France[42]. Les savants restent du côté de la philosophie et de la Révolution ; les littérateurs sont plutôt réactionnaires. Un groupe intellectuel de droite se reforme ; on y voit briller Fontanes, qui se fait le défenseur des bons principes et préconise la religion sans y croire. Contre l'Institut, grand corps savant, création révolutionnaire, il est question de recomposer l'Académie française. L'idée Hait autour d'Élisa Bacciochi, sœur du Consul, femme intelligente, ambitieuse, à qui Fontanes son ami compose une opinion et fait un salon. L'idée serait de reformer l'Académie avec ceux de ses anciens membres survivants et de la compléter par quelques adjonctions ; elle renaitrait dépourvue de toute attache officielle, mais reprendrait son titre et ses statuts[43]. Par Élisa, on s'assure de Lucien ; ce ministre de l'intérieur, qui est en même temps ministre des lettres et des arts, juge le projet digne de son génie, songe à en tirer profit et se voit déjà occupant une place parmi les Quarante. Cette tentative met en émoi le monde littéraire, inquiète Mme de Staël, et l'Institut se sent d'autant plus menacé que les journaux en vogue ne lui épargnent point les critiques et les épigrammes. On l'accuse d'avoir égard, dans ses choix, moins au talent des candidats qu'à leurs opinions, d'exiger d'eux une profession de foi philosophique ; on reproche à ses membres un pédantisme autoritaire, des prétentions à l'infaillibilité doctrinale et l'orgueil de l'esprit. De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, c'est le titre du livre que Mme de Staël oppose à ces attaques. Dans les premiers jours de floréal, avant de partir pour Coppet où elle va passer l'été, elle lance cet ouvrage attendu et voudrait en faire le grand livre de la saison. C'est un livre brave, généreux, tour à tour mélancolique et optimiste. En ce temps où les crimes des révolutionnaires avaient discrédité les principes de la Révolution, c'est un effort pour remonter le courant. Parce qu'il y a eu, depuis dix ans, trop d'insensés et de coupables, faut-il se venger des hommes sur les idées ? Faut-il que l'esprit humain se condamne pour jamais à réprimer son vol et à reployer ses ailes ? Mme de Staël ne le croit pas, et elle entreprend l'apologie de la littérature se vouant à exprimer les hautes spéculations de la pensée, se faisant propagatrice d'idées et organe social. En toutes choses, elle revendique l'indépendance et voudrait établir la suprématie de l'esprit. Le règne de la force lui est odieux ; elle hait l'obéissance passive, celle du soldat et du moine. Dans son livre, il n'est question nulle part de discipline et de règle ; il est partout question d'essor illimité de la pensée et de libre examen ; entre ceux qui obéissent ou qui croient et ceux qui veulent savoir, elle n'hésite pas à prendre parti. Le progrès des sciences, dont elle a été témoin, l'exalte et l'enivre : les sciences, dit-elle, sont aujourd'hui nos véritables richesses. Elle estime que dans l'ordre naturel la vérité absolue se laissera saisir, et elle ne juge pas impossible d'appliquer à la science de la politique et du bonheur humain les méthodes des sciences exactes. La raison éclairée par la science n'est pas d'ailleurs son seul dieu ; elle croit à la nécessité pour un peuple de sentir autant que de savoir ; de sentir fortement ce qui est grand, beau, juste et généreux. L'idée de séparer la justice de la politique et de tout sacrifier à la raison d'État lui apparait non seulement révoltante, mais profondément erronée ; c'est le sophisme sauvage au nom duquel les partis de violence ont immolé des milliers d'innocents, et elle trouve pour en faire justice des accents remarquables : Quand vous dévouez des innocents à ce que vous croyez l'avantage de la nation, c'est la nation que vous perdez. D'action en réaction, de vengeance en vengeance, les victimes qu'on avait immolées sous le prétexte du bien général renaissent de leurs cendres, se relèvent de leur exil, et tel qui restait obscur si l'on fût demeuré juste envers lui, reçoit un nom, une puissance, par les persécutions mêmes de ses ennemis. Il semble en somme à Mme de Staël qu'une morale enthousiaste, une passion de justice et de vertu doit être la flamme vitale des sociétés. Où place-t-elle le fondement de cette morale ? En réalité, elle ne le met nulle part. Elle croit à la morale instinctive, naturelle, spontanée, qui est à soi-même sa source et sa cause. Pour développer ce germe inné, elle fait appel à l'éducation, aux habitudes d'enfance et très subsidiairement à l'idée religieuse, prise dans son sens le plus vague ; elle rappelle ce mot de Sénèque : Dans le cœur de l'homme vertueux, je ne sais quel dieu, mais il existe un dieu. Il lui parait surtout que le progrès des lumières et celui de la sensibilité doivent se poursuivre concurremment, s'aider l'un par l'autre, et qu'ils suffiront à pousser l'humanité en avant. Fidèle au dogme essentiel de la Révolution, elle croit à la perfectibilité de l'espèce humaine, à son ascension indéfinie par le seul effort de la raison et du sentiment[44]. Cet idéal, on le connaissait ; c'était celui dont la France s'était frénétiquement éprise au début de la Révolution. La France alors avait fait un rêve impossible de félicité dans la vertu ; elle s'était réveillée dans le sang et dans l'ordure. Désabusée par d'effroyables expériences, elle n'écoutait plus ceux qui osaient lui parler de l'idéal déchu et elle attendait d'autres voix. Le livre de Mme de Staël fut plus lu qu'approuvé. A la même époque, dans un entresol de la rue de Lille, Chateaubriand remaniait sur épreuves le Génie du Christianisme. Opportuniste supérieur, il fera concorder l'apparition de son livre avec la restauration officielle du culte et le lancera trois jours avant l'entrée de Bonaparte à Notre-Dame, en avril 1802 ; selon sa propre expression, il embouchera la trompette à la porte du temple, fera retentir au loin le magique instrument, et l'air apaisé s'emplira de ces vastes sonorités. IV Au printemps de 1800, Bonaparte laissait simplement les croyances, les mœurs, les habitudes, comprimées par le dogmatisme révolutionnaire, reprendre peu à peu leur niveau. Il tolérait le conflit de doctrines qui cherchaient moins à le renverser qu'a se le disputer. Il ne se mêlait point de ce combat d'idées, sauf à limiter de temps en temps le mouvement de réaction. Le Consulat restait gouvernement de gauche, mais de gauche ouverte, généreuse, largement accueillante. Les Tuileries recevaient les visiteurs les plus divers. Le matin, des émigrés rentrés et des solliciteuses jadis haut titrées se faisaient introduire presque furtivement chez Joséphine, en s'autorisant auprès d'elle (l'anciennes et un peu vagues relations. Tandis qu'au rez-de-chaussée du palais Joséphine les accueillait avec grâce, apostillait d'un mot leurs demandes en radiation, écrivait en leur faveur aux ministres, s'employait pour eux diligemment, gentiment, et se sentait ravie d'obliger des personnes qui lui restaient socialement supérieures, Bonaparte, dans son salon du premier étage, recevait d'anciens Montagnards, des Girondins, des thermidoriens, des fructidoriseurs et des fructidorisés, des libéraux, des Constituants. Il semblait que tontes les phases de la Révolution revinssent défiler sous ses yeux et s'accorder sous sa Aux révolutionnaires, il recommandait la tolérance et la largeur d'esprit ; aux hommes de l'autre bord, aux modérés teintés de royalisme, trop pressés de voir s'accentuer les mesures réparatrices, il demandait du temps et conseillait la patience. A Mathieu Dumas, il disait : Si je donnais trop d'élan, trop d'influence à vos constitutionnels de 1791, à ceux que vous appelez exclusivement le parti des gens de bien, je ne tarderais pas à produire une réaction embarrassante. J'ai bientôt appris, en m'asseyant ici, qu'il faut bien se garder de vouloir tout le bien qu'on pourrait faire ; l'opinion me dépasserait ; le cheval amaigri bondirait bientôt dans la bonne pâture et deviendrait indomptable[45]. Suivant qu'il voyait les uns ou les autres, son habileté était de se donner l'air d'être au fond de leur avis ; il se disait seulement obligé à tenir compte des circonstances et des possibilités. A jours fixes, de midi à deux heures, il recevait les tribuns qui se présentaient individuellement, les membres du Corps législatif, les sénateurs et les généraux. Aux tribuns, il disait volontiers : On croit que je veux du pouvoir ; j'en ai trop de pouvoir, je n'en veux pas de pouvoir[46]. Parfois, retenant un tribun, restant à causer près d'une fenêtre, lui le genou sur un pliant et l'autre appuyant le coude sur la tablette de l'embrasure, il tâchait de le raisonner[47]. Le Sénat restait l'objet de grands égards ; ses membres pouvaient encore se croire et s'intituler entre eux la première autorité de la République[48]. L'Institut était toujours traité en puissance de l'État. Bonaparte aimait réellement les savants et les grands mathématiciens qui en faisaient partie. Avec les idéologues, avec les métaphysiciens qui, après l'avoir traité en Benjamin de l'Institut et de la philosophie, s'inquiétaient de ne plus l'avoir tout à eux, il avait soin de ne pas rompre. C'est parmi ces hommes que l'acte de Brumaire avait trouvé ses plus hauts interprètes ; ils l'avaient présenté comme l'avènement de la république véritable, fondée sur les principes et délivrée d'un empirisme grossier ; comme la revanche de 89 sur 93. A la révolution brutalement accomplie dans l'Orangerie de Saint-Cloud, ils avaient donné un idéal ; vis-à-vis du parti philosophe, il importait encore de se couvrir de leur autorité. Bonaparte gardait donc contact étroit avec les membres de l'Institut, pris individuellement ou en corps, et n'admettait pas qu'il fût touché prématurément à leur monopole de penseurs officiels. L'Institut renouvelait son bureau tous les trois mois, par roulement entre les différentes classes. Pour le troisième trimestre de l'an VIII, la présidence revenait à la classe des sciences, dont Bonaparte faisait partie dans la Section de mécanique. L'Institut l'élut pour président. Il prit au sérieux cette fonction, et l'on sut que le 15 germinal il présiderait la séance publique que l'Institut tenait une fois par trimestre, tontes classes réunies. En attendant, il présidait les séances privées, s'intéressait aux travaux en cours, faisait des propositions[49]. Parmi ses confrères, Laplace, Monge, Berthollet restaient ses amis personnels et ses préférés. Le soir, pour se délasser de l'absorbant travail du jour, il discutait avec eux des problèmes scientifiques. Contre ces représentants de l'orthodoxie rationaliste, il se donnait aussi beaucoup de peine pour défendre sa politique d'appel à tous les partis et le système de fusion[50]. Cabanis était toujours écouté avec une particulière déférence. Comme Bonaparte ne voulait pas encore se faire une cour et ne disposait point d'ailleurs des éléments nécessaires, les réceptions du soir aux Tuileries demeuraient restreintes. A défaut d'étiquette et de cérémonial, on y avait introduit un certain décorum ; le conseiller d'État Benezech y veillait, ayant été chargé de régler le service intérieur du palais. On n'était reçu que sur invitation écrite ou verbale, et pour accuser en tout le caractère transactionnel (lu régime, on conservait aux hommes la qualification de citoyen et on appelait les femmes : madame. Au reste, rien de fastueux ; à l'entrée des appartements, un huissier en noir et deux ou trois valets semblaient comme perdus dans les vastes vestibules ; les salles médiocrement éclairées, les lustres incomplètement garnis de leurs bougies, attestaient une stricte économie. La vie de ces réceptions se concentrait dans le salon jaune où Joséphine tenait cercle de dames, et où, allant et venant, Bonaparte causait. En fait de femmes, on trouvait là des éléments encore douteux, des femmes mitoyennes entre les divers mondes ; en hommes, l'élite politique, guerrière, scientifique ; des ménages de fonctionnaires ; d'anciens habitués de l'hôtel de la rue Chantereine ; quelques hommes du vrai monde, sans leurs femmes ; les dames de la famille s'occupant auprès de Joséphine à des ouvrages de femme ; des côtés (l'intérieur bourgeois et par certains côtés un milieu artiste. Des comédiens et des chanteurs, des virtuoses de la rampe, Laïs, Garat, étaient reçus sur un pied d'égalité. Hortense éprise d'art se servait d'eux pour organiser des comédies de salon et de jolis concerts. Molé, l'acteur de la Comédie-Française, qui excellait dans les rôles d'homme du monde, était particulièrement recherché[51]. On disait que les jeunes gens admis au château s'étudiaient à copier son ton, ses gestes, sa tenue, ce qui arrivait à leur donner un air d'acteur trop bien mis et une élégance postiche. Chaque décadi, Bonaparte allait passer à la Malmaison la journée et la soirée. Là en dehors des réceptions priées, les officiers de la maison militaire et les deux familles Beauharnais et Bonaparte faisaient le fonds de la société. Dans ce milieu étroit, où l'on vivait tassé, les heurts de caractère s'accusaient, et les affinités se recherchaient. Joséphine apparaissait comme étourdie des intrigues qui s'agitaient autour d'elle et n'arrivait pas — c'est elle-même qui le disait — à se reconnaitre dans ce chaos[52]. Hortense, charmante, avec l'affinement de l'ancienne France, était traitée très affectueusement par son beau-père, qui l'appelait sa petite Chouanne[53]. Eugène, cambrant sa fine taille d'officier aux guides, servait correctement, loyalement. Les Corses déjà encombrants, pourvus et insatiables, effrénés, prenaient l'air châtelain et seigneurial. Lucien arrivant du ministère ou de sa terre de Plessis-Chamant, affairé, indépendant, fastueux, supportait mal les taquineries de son frère. Joseph, conseiller d'État. et possesseur du domaine princier de Morfontaine, infatué de son ainesse, ne renonçait pas à revendiquer, en face de son frère chef d'État, ses droits de chef de famille. Tous deux détestaient Joséphine, qui représentait l'influence rivale. Caroline, mariée tout récemment à Murat, choyait au contraire Joséphine, pour l'avancement du ménage. Élisa, plus rare, faisait un peu bande à part, et Jérôme, collégien viveur, pommadé, musqué, friand de luxe et frôleur de jupes, trouvait le Consul indulgent à ses frasques. Dans le ménage Leclerc, le mari, bel officier blond, s'avantageait de ses services en Brumaire, et Pauline, dans tout l'épanouissement de sa beauté païenne, bornait son ambition à égaler de son luxe les femmes de la finance, qui passaient alors pour le type de l'élégance parisienne. Bonaparte, curieux et inquisiteur, s'intéressait aux affaires des ménages, aux brouilles, aux intrigues. Il connaissait les siens et ne s'illusionnait pas sur le dévouement de ses frères Néanmoins, comme il était Corse, comme ils étaient de son sang, il leur donnait des occasions de se produire, de se faire valoir, et tâchait de leur découvrir ou de leur faire des qualités hautes. Joséphine restait son affection fondamentale, son habitude. Il lui revenait toujours après des passades sans importance et des voluptés brusques. Lui si économe et rangé, qui ne dépenserait jamais plus de quinze cents francs par an pour son habillement[54], passait à sa femme un train de folle dépense, la manie d'acheter partout et toujours, le goût des confidents subalternes, parce qu'il la trouvait continuellement attentive à lui complaire ; elle servait ses goûts, respectait son travail ; elle lui ménageait une vie d'intérieur douce et moelleuse comme le toucher de ses doigts fins. Par ses soins, par son goût d'arrangement, elle lui ferait éprouver dans le domaine restauré et transformé l'impression du chez soi, cette impression que ne lui donnaient pas les mornes Tuileries. A la Malmaison, il trouverait un chez soi luxueux et joli, ni trop grand ni trop petit, où ses yeux de Latin aimeraient à se reposer sur le décor néo-classique, sur les meubles d'art, sur les luisants acajous aux incrustations d'or ou de pierres rares, sur le poli des marbres, sur la puissance des bronzes et la fine polychromie des murailles. Autour de la maison, c'est déjà en ce printemps de 1800, l'éveil de la nature, gazons tendres, lilas en fleurs, arbres saupoudrés de vert par germinal naissant, et par delà les pelouses, par delà les allées tournantes, comme pour continuer le beau parc, le verdoiement des coteaux. Pour Bonaparte, la Malmaison est lieu de repos moral et de distraction physique ; c'est le contact avec le grand air, avec la nature, avec l'espace. Là il pouvait se délivrer des contraintes de la grandeur, se montrer tout à son aise jeune, joueur, taquin, fougueux ; malgré son physique chétif, donner le branle à une bande enivrée de jeunesse et de printemps, mener eu casse-cou des attelages, organiser sur les pelouses des parties de barres, des jeux batailleurs qui lui rappelaient sa fruste enfance corse, dans les bois et les monts. Ainsi se dépensait le trop plein d'âpre sève qui bouillonnait en lui, et chacun s'étonnait devant cet extraordinaire sauvageon, greffé sur la tige révolutionnaire épuisée. A Paris, il se montrait peu dans les endroits publies et les promenades. Parfois, sur le boulevard, à l'heure élégante, parmi l'encombrement des équipages, la voiture consulaire passait rapidement, signalée par le Mamelouk de service qui galopait en tète. Le Consul se montrait parfois à l'Opéra. Il visitait encore des particuliers. Accompagné de Talleyrand, il alla voir Mme Helvétius près de s'éteindre, dans la petite maison d'Auteuil. On le vit chez Lucien à des réunions officielles ou intimes. C'est là qu'il rencontra pour la première fois et remarqua Mme Récamier. Elle était assise au coin de la cheminée ; lui tenait par la main la dernière fille de Lucien, âgée de quatre ans, et, comme il causait vivement avec plusieurs personnes sans lâcher la petite main, l'enfant un peu serrée se mit à pleurer : Pauvre petite, dit-il, je t'avais oubliée[55]. Après le dîner, on fit de la musique. Bonaparte était assis seul à côté du piano ; après avoir entendu Garat avec plaisir, d'antres chanteurs avec ennui, il se mit, impérieux et familier, à taper sur le piano en criant : Garat, Garat ! et réclama son chanteur favori. Il allait parfois chez ses aides de camp à des réunions données pour événements de famille, en appartement bourgeois. Là mis en contact avec des personnes de condition moyenne, il savait plaire, intéresser, étonner surtout et subjuguer. Il soignait encore plus sa popularité auprès des petites gens, des gens de boutique et d'humble négoce, qui avaient toujours exercé une action sensible sur les mouvements de Paris. Assez souvent, à cheval et presque seul, il parcourait la ville, où sa redingote grise commençait à devenir objet familier ; çà et là il s'arrêtait et questionnait les gens. Le soir, il demandait parfois à Bourrienne de l'accompagner pour faire incognito un tour à pied dans les quartiers voisins des Tuileries. C'était alors chose comique que de le voir se déguiser tant bien que mal en aimable du jour, enrouler gauchement autour de son cou et faire bouffer par devant les plis d'une grosse cravate à la mode. Ainsi affublé, méconnaissable, il courait les boutiques de la rue Honoré, sans pousser ses promenades plus loin que la rue de l'Arbre-Sec. Sous prétexte d'emplettes, il entrait en conversation avec les marchands et arrivait à les interroger sur ce qu'ils pensaient de ce farceur de Bonaparte[56]. Il ne fut jamais si content qu'un jour où s'étant hasardé dans une boutique à médire du premier Consul, la marchande le mit honteusement à la porte[57]. V Une fois par décade, régulièrement, ponctuellement, il se montrait à l'armée et au peuple. Dès les premiers jours de ventôse, l'ordre de la garnison avait porté : Par ordre du premier Consul, il y aura, les quintidis de chaque décade, grande parade de toute la garnison dans la cour des Tuileries[58]. Avant midi, dans la cour et au Carrousel, c'était la formation des troupes en bataille, face au château : la garde des Consuls en grande tenue ; derrière la garde, d'autres lignes d'infanterie, d'artillerie et de cavalerie ; plus loin, sur la place, au pied des bâtiments biscornus, parmi l'encombrement des échoppes, le fourmillement de la foule. A midi précis, heure militaire, Bonaparte monte à cheval ; les tambours battent aux champs, des sonneries éclatent sur le front des escadrons, les lignes se rectifient, un frémissement parcourt les rangs. Bonaparte portait la petite tenue consulaire : l'habit bleu boutonné jusqu'en haut, avec étroit collet et mince broderie d'or ; la culotte blanche et les demi-hottes ; avec cela, la redingote grise et le chapeau à cornes placé en bataille ou un peu de biais, à la Frédéric II. En tête de ses officiers et des généraux présents à Paris, on le voyait passer devant les rangs, commander lui-même des formations ci des exercices. Dans le milieu de la cour, autour des arbres de la Liberté, autour des deux peupliers dont le feuillage montait maintenant en mince jet de verdure, les compagnies exécutaient des changements de front et des voltes, manœuvraient et pirouettaient[59]. Parfois, s'approchant d'une compagnie, le Consul faisait ouvrir les rangs et inspectait les hommes un à un, avec une minutie sévère. Finalement, il se plaçait face au château, près de l'endroit où s'élève aujourd'hui l'arc de triomphe à colonnes roses, et en avant de l'état-major piaffant et caracolant, l'étroite silhouette Grise se campait, sous la barre du petit chapeau. t'A voici le défilé ; voici les tambours et les fifres ; le tambour-major de la garde, rehaussé par un immense panache, figure populaire à Paris et dont les journaux parlent ; le chef de musique marchant de côté en avant de sa bande et de ses bras étendus marquant la cadence ; les musiciens jouant une marche guerrière, les cuivres ronflants, les instruments contournés et bizarres ; un espace, puis les rangs d'infanterie, l'alignement des habits bleus à épaulettes rouges et fi buffleteries jaunes, l'alignement des bonnets à poil et des plumets pourprés, les jambes guêtrées marchant du même pas, les bataillons défilant en rangs serrés, les grands carrés mouvants, le hérissement des baïonnettes au-dessus desquelles palpitent les larges drapeaux et guidons aux trois couleurs. Par derrière, les escadrons divers se rapprochent, accélèrent l'allure, défilent au grand trot, jusqu'à ce que l'artillerie passe en tonnerre, dans un fracas de fers secoués et de rebondissants caissons. Tassée sur la place, serrée contre les grilles, la foule contemplait ce spectacle avec des veux de curiosité et d'extase. Des filous en grand nombre profitaient de la presse pour fouiller dans les bourses. Des agents secrets de la police, des gens à mine de fouine furetaient çà et là se coulaient dans les groupes, happaient des bouts de conversation. Leurs rapports nous font connaître quel sentiment dominait dans la foule ; d'autres renseignent sur les propos qui s'échangeaient entre officiers, entre soldats. La gravure a popularisé la parade du quintidi dans les moindres détails de son aspect les documents intimes de l'époque font parler ce tableau. Ce général qui commande la revue sous les ordres du premier Consul et lui présente les troupes, c'est Lefebvre, chef de la 17e division militaire. Celui-là n'entend rien à la politique et ne connaît que la consigne ; au reste, patriote convaincu, chaud républicain, il juge que le premier devoir civique est de sabrer les Autrichiens, les Russes et autres incroyables de cette espèce[60]. Les jeunes officiers qui entourent le Consul, ceux qui commandent la garde, ne rêvent que prouesses, aventures de guerre, avancement, honneurs ; en attendant, ils prennent du galon et du panache ; ils se dorent ou s'argentent sur toutes les coutures. Parmi les généraux d'un renom plus ancien, parmi les grands bicornes, plusieurs jalousent Bonaparte. Le raisonnement de ces hommes bien découplés, taillés en force, est de se dire : pourquoi lui, pourquoi ce chétif, ce rabougri ? Pourquoi lui et pas moi ? La veille, dans des sociétés particulières, dans l'échauffement des dîners, ils ont pris des attitudes de Brutus. A la parade, ils se tiennent fixes, immobiles, et se remettent à l'alignement. Le soldat reste en général féru de Bonaparte. Pour la troupe, c'est l'homme qui en sait plus long que tous les autres et avec lequel on irait au bout du monde. Les soldats néanmoins et surtout les anciens, ceux qui ont fait les premières campagnes de la Révolution, restent ou se croient républicains farouches. Il serait dangereux pour le Consul de Heurter trop tôt leur formalisme égalitaire ; certains l'accusent déjà de faire le roi[61]. Pour manier ces rudes hommes, il lui faut une solidité de poigne peu commune et d'extrêmes délicatesses de toucher. Avec quel art il sait les prendre ! II les fascine d'un regard et les exalte d'un mot. Avec eux, il est impérieux mais simple, familier, accessible. A la parade, tout militaire qui se juge en droit de se plaindre peut parler directement au Consul et lui raconter son affaire. Après la parade, il reçoit tous les officiers sans distinction de grade. Des soldats lui écrivent directement ; il répond toujours. Un sergent de grenadiers à la 32e demi-brigade, Léon Aune, lui a écrit de Toulon pour se rappeler à son dieu tutélaire[62] ce brave énumère en même temps les exploits surprenants par lesquels il s'est montré comme un républicain[63], cinq actions d'éclat, cinq blessures. Bonaparte répond : Au brave Léon. J'ai reçu votre lettre, mon brave camarade. Vous n'aviez pas besoin de me parler de vos actions. Vous êtes le plus brave grenadier de l'armée après la mort du brave Benezette. Vous avez un des cent sabres sur ceux que je distribue à l'armée. Tous les soldats étaient d'accord que vous étiez le modèle du régiment. Je désire beaucoup de vous voir ; le ministre de la guerre vous en envoie l'ordre. Je vous aime comme mon fils. Bonaparte[64]. Un brevet de sous-lieutenant dans la garde accompagnait l'envoi de cette lettre. Malgré ces merveilleuses précautions, les soldats républicains froncent un jour le sourcil, à la parade, et regardent de travers certains nouveaux venus. En faisant son appel de volontaires, Bonaparte avait décidé que divers avantages seraient assurés à ceux d'entre eux qui se monteraient et s'équiperaient à leurs frais. C'était une première invite aux privilégiés de la naissance et de la fortune. A Paris, quelques jeunes gens de famille, quelques fils de nobles s'enrôlèrent, malgré l'improbation de leur entourage. Obéissant à leur sang gaulois, à la gaillardise de leurs vingt ans, ils consentaient à devenir hussards de Bonaparte pour sortir d'un état de suspicion et de langueur. Afin de mieux les attirer, Bonaparte avait prescrit de leur composer un habillement très beau[65], tirant l'œil, car il savait que la séduction de l'uniforme est pour quelque chose dans la vocation militaire. Quand les volontaires parisiens lui furent présentés à la parade, leur vue suscita parmi les autres troupes une grosse jalousie. Pour les faire plus flambants, on n'avait rien imaginé de mieux que de leur donner, avec la pelisse en sautoir, avec le gilet et la culotte bleu de ciel, un dolman jaune canari. Contre les hussards jaunes, contre les serins, ce sera désormais un feu roulant de sarcasmes, auxquels les volontaires ne se priveront pas de riposter hardiment. Il existe d'ailleurs dans tous les régiments un esprit de corps endiablé ; entre eux, c'est une fureur d'émulation. Pour se surpasser en courage, on n'attend pas qu'on soit sur le champ de bataille ; pour un mot mal sonnant, pour un regard, pour rien, on se provoque et l'on s'en va dégainer au bois de Boulogne. Les duels entre officiers sont presque journaliers, les rixes de soldats très fréquentes. Voici qui est plus fort : en plein jour, un duel entre deux régiments. A propos d'histoires de femmes, le 12e hussards et le 15e chasseurs se déclarent la guerre, et l'on décide de vider la querelle au lieu ordinaire des rencontres, par le moyen de champions respectifs : La plupart des soldats composant ces deux régiments se sont portés au bois de Boulogne ; quatre hommes de chaque corps combattaient les uns contre les autres, tandis que la masse garnissait les avenues pour empêcher de séparer les combattants. On peut juger de l'effroi que cette scène occasionna aux femmes qui se promenaient. Le ministre de la police se trouvait alors au bois avec son épouse, mais vêtu en bourgeois, sans aucun signe pour se faire reconnaître, il a été obligé de renoncer à l'espoir de faire entendre la raison ou parler l'autorité au milieu de ce tumulte[66]. Pour finir l'esclandre, il fallut l'arrivée des officiers supérieurs ; on assurait qu'un mort et cinq blessés gisaient sur la place. Hussards, chasseurs, dragons, grenadiers, fantassins, artilleurs s'accordaient à mépriser souverainement le bourgeois, le civil, le pékin, et au besoin à le molester. A ces batailleurs, il semble que le port de l'uniforme donne tous les droits, droit en tous lieux à la meilleure place, droit aux jouissances, droit aux femmes. En dehors du service, la subordination n'est pas leur fort. A la parade, les voici qui marchent comme un seul homme et s'évertuent à manœuvrer impeccablement. La veille au soir, ils en ont fait de belles. Malgré la retraite sonnée, des dragons et des chasseurs en bande ont roulé sur les boulevards, troublé la tranquillité, bousculé les passants, envahi tel café, saccagé le mobilier et rossé le patron[67]. Ils font tapage dans les lieux de plaisir et les théâtres. Au Palais-Royal, un grenadier de la garde fend la tête à quelqu'un d'un coup de sabre. Le premier Consul envoya son propre chirurgien panser le blessé[68]. Il avait fort à faire pour réprimer les intempérances du sabre, pour donner l'impression qu'on n'était plus en ces temps où les vainqueurs de Fructidor lâchaient sur Paris et la France la terreur militaire. Il lui fallait à la fois contenir et électriser l'armée, tâche complexe dont il se tirait par un continu prodige d'habileté. La difficulté était de faire admettre aux soldats qu'il s'était servi d'eux précisément pour inaugurer une légalité civile, fortement réglementée, et que le 18 brumaire avait eu pour objet de clore militairement la série des coups d'État militaires. Le soldat, s'il vivait assez mal avec le bourgeois, vivait au mieux avec l'ouvrier. Les bourgeois eux-mêmes aimaient le militaire en corps, sous les armes, à la parade, parce qu'il incarnait à leurs yeux la force et la splendeur de la nation. Paris s'éprenait des beaux régiments. Tous les dix jours, des gens du quartier et de tous les quartiers venaient griser leurs yeux de l'éclat des couleurs et du scintillement de l'acier, s'exalter au bruit de la musique militaire qui les prenait aux entrailles, se donner le frémissement patriotique et l'émotion sacrée. Les rapports signalaient l'attention passionnée, le contentement de la foule. On se plaignait seulement que l'emplacement trop resserré ne permit pas à tout le monde de distinguer les détails du spectacle[69]. Bonaparte déplaça pour une fois et élargit le cadre. Dans la seconde moitié de ventôse, plusieurs demi-brigades rappelées de Normandie étaient de passage à Paris, où elles devaient se joindre à d'autres détachements pour former la 1" division de l'armée de réserve. Ces troupes étaient arrivées misérables et gueuses ; à Paris, on les rhabilla de pied en cap. Ainsi refaites, le Consul décida de les passer en revue au Champ de Mars, avec toute la garnison. Ce fut une véritable solennité militaire ; le peuple s'y porta en masse et y parut tout vibrant : On n'avait annoncé qu'une revue, et cette revue s'est trouvée une fête[70]. Lorsque le canon des Invalides annonça l'approche du Consul par le pont de la Concorde, lorsqu'on le vit poindre en grand uniforme rouge, au milieu de son état-major[71], quel empressement pour accourir sur son chemin, pour l'acclamer ! Joséphine passa en voiture pour se placer au balcon de l'École militaire, et l'enthousiasme se refroidit à sa vue, car Joséphine, adorée de ceux qui l'approchaient et éprouvaient sa bonne grâce, n'avait pas encore conquis la multitude. Dans le peuple, on lui reprochait son passé, ses dépenses surtout, ses toilettes de reine, ses falbalas, ses bijoux, ses dentelles, et de gaspiller tant d'argent en chiffons quand la République était si pauvre[72]. La revue fut superbe ; en aucun temps, Paris n'en avait vu d'aussi nombreuse et brillante. Sous un ciel lumineux, quoique un peu voilé, le Champ-de-Mars étincelait de baïonnettes. Au lieu des décors en toiles peintes et des vicies allégories que plantait là le Directoire, on avait devant soi une réalité vivante, pleine, solide. Après avoir vu manœuvrer et défiler environ trente mille hommes, le peuple s'en revint avec une joie salubre, une gaieté de plein air. En ce jour, les observateurs de la foule parisienne, gazetiers et policiers, remarquent en elle quelque chose de confiant et de dégagé qui ne s'est pas vu depuis longtemps, un air de santé morale. Dans l'atmosphère allégée, il semble qu'un souffle tonique circule. Les cœurs et les fronts se redressent. Par l'action stimulante de l'autorité, tout apparaît relevé, grandi, renforcé : On croirait, sacrebleu, disait un vieux soldat, que le canon tire plus fort aujourd'hui que l'année passée[73]. VI Parmi la masse des satisfaits, des groupes demeuraient hostiles. Les francs royalistes restaient en nombre dans toutes les classes ; ils formaient la grande majorité de l'ancienne classe supérieure. Parmi les privilégiés d'autrefois et leurs adhérents, parmi les nobles restés ou rentrés, si quelques-uns déjà se ralliaient effrontément ou timidement, la plupart profitaient des premières licences accordées tout en exécrant la main qui les octroyait. Chez eux, le souvenir des horribles souffrances subies ne pouvait s'effacer si tôt ; une honorable fidélité les rattachait au passé, et puis l'aspect des hommes et des choses en France choquait leur délicatesse. La vulgarité révolutionnaire leur était odieuse ; la force révolutionnaire leur était incompréhensible. Après l'effondrement de tout ce qui pour eux avait été la France, ils ne semblaient nullement s'apercevoir du puissant travail d'organisation en train de s'accomplir. Dans les intérieurs strictement royalistes, on détestait tout de la France nouvelle, y compris ses gloires, y compris son armée. L'uniforme était suspect en ces milieux et celui qui le portait mal vu. C'est ce que déplorait une royaliste exaltée, dans un accès de bon sens : Il n'y a peut-être qu'en France où l'on se pique d'affecter le mépris pour nos militaires. Si on les admet dans la société, le moins qui puisse leur arriver est de se voir toujours préférer le dernier royaliste qui s'y trouvera ; la plus légère humiliation est d'être forcés de désavouer leur habit, de faire une espèce d'apologie de leur conduite. Il porte l'uniforme, dit le maître ou la maîtresse, mais c'est un honnête homme ; il pense comme nous. C'est de mode, de bon ton, d'afficher l'opinion royaliste et de dire fi des bleus... Qu'en peuvent conclure les militaires, sinon que, si nous étions les maîtres, nous manifesterions ce mépris autrement que par des airs et des paroles ?[74] Ces exclusifs de droite influençaient une partie de l'opinion par le prestige de leur situation ancienne et de leurs manières. Des gens qui n'avaient pas les mêmes raisons qu'eux de regretter le passé adoptaient leur langage pour leur ressembler. Bonaparte avait toujours contre lui les préjugés sociaux et mondains. Ses vrais amis étaient dans les ateliers et les mansardes ; ils n'étaient nullement dans les endroits de plaisir élégant : L'esprit public est bon aux halles et marchés, disaient les rapports de police, détestable chez Garchy[75]. L'ancienne société parlait du grand petit homme, de la clique qui formait le monde des Tuileries et des espèces que l'on y rencontrait[76], exactement sur le ton que nous avons entendu employer depuis à l'égard des pouvoirs les plus bassement démagogues. Les royalistes ardents déclaraient le premier Consul un sombre tyran, assassin de l'héroïque Frotté ; les plus calmes l'admettaient par comparaison avec ses devanciers ; une lettre saisie à la poste disait de lui : On ne l'aime pas, mais on le préfère[77]. Les agents royalistes ne renonçaient pas à leurs desseins, mais n'arrivaient point à s'accorder. Très secrètement, le conseil royal, composé de Clermont-Gallerande, Montesquiou et Royer-Collard, s'était mis sur pied ; il avait reçu par l'abbé de La Marre les instructions de Mitau, pris en dépôt les lettres de Louis XVIII pour Bonaparte et Lebrun, niais il avait frémi d'horreur en apprenant qu'on voulait lui adjoindre l'un des membres de l'agence anglaise. Plutôt que de se commettre avec des conspirateurs de cette sorte, Clermont-Gallerande, Montesquiou et Royer-Collard se dessaisiraient des pouvoirs que le Roi leur avait conférés ; ils le firent savoir à Mitau en ternies respectueux, mais formels, et le premier acte de ce conseil fut de démissionner. On ne savait encore quel parti prendrait le Roi à propos de cette contrariété. Parmi les membres de l'agence, Hyde avait attiré par ses imprudences l'attention de la police ; se sachant dénoncé, épié, il avait brusquement décampé de son domicile ; caché quelque part dans Paris, il songeait aux moyens de s'abriter momentanément à Londres et d'y retourner prendre le mot d'ordre. Coigny et les autres continuaient à se voir, à se réunir. La police flairait un groupement dangereux, mais n'arrivait pas à mettre la main dessus. Elle l'entrevit d'abord dans l'une de ses ramifications, celle qui se prolongeait hors de Paris pour se relier aux organismes insurrectionnels toujours subsistants dans l'Ouest. Un volontaire de la police, nommé La Cornillière, signala les allures suspectes de deux inconnus que l'on voyait se promener tous les jours bras dessus bras dessous au Palais-Royal et fréquenter les restaurants et théâtres. Il sut se lier avec eux, et l'on fit partie d'aller ensemble au bal de l'Opéra. Là le policier trouva moyen de soutirer à l'un de ses deux compagnons une partie de leur secret. On sut qu'ils servaient d'intermédiaires entre les malintentionnés de Paris et deux agents ou commissaires anglo-royalistes postés à Rouen, c'est-à-dire à proximité des restes de la chouannerie normande[78]. La Cornillière s'insinua davantage dans la confiance des deux inséparables et fit si bien qu'ils l'adressèrent, comme homme utile, aux deux agents de Rouen. A Rouen, il se fit reconnaître de ceux-ci et releva leur signalement ; l'un était d'aspect franchement britannique. Comme La Cornillière avait décidément de l'habileté et du liant, il plut à l'un et à l'autre, noua avec eux des relations de camaraderie et de plaisir[79] ; il se faufila dans leur intimité et finalement se fit envoyer par eux en mission dans la basse Normandie, à l'effet de vérifier les moyens dont on disposait encore. Naturellement, il communiquait à la police toutes ses découvertes. Chacune de ses lettres, il est vrai, se terminait par une demande d'argent, et ce perpétuel quémandage, le côté louche du personnage, devaient mettre en garde contre l'absolue véracité de ses dires. Néanmoins, non seulement Desmarest et Fouché, mais Bonaparte lui-même, qui avait l'instinct policier, s'intéressaient à la chose et s'en promettaient quelque éclaircissement sur les menées royalistes[80]. A l'autre extrémité de l'opinion, les Jacobins dissidents et intransigeants restaient formés dans Paris en groupes obscurs. On les dénommait exclusifs ou anarchistes. Beaucoup de ces exclusifs étaient des exclus, c'est-à-dire des révolutionnaires non placés à raison de leur passé par trop horrible, ceux qui avaient massacré dans les prisons, ceux qui regrettaient 93 et le régime scélérat. D'autres férocement humanitaires rêvaient le bonheur commun par nivellement absolu ; ils formaient le parti de la révolution intégrale, isolé maintenant au milieu de la masse détrompée. D'autres regrettaient simplement les formes de l'an III et croyaient de bonne foi que Bonaparte immolait la liberté parce qu'il remplaçait par le despotisme d'un seul la tyrannie de plusieurs. Ces mécontents, ces exaspérés rôdaient dans les bas quartiers, se donnaient rendez-vous dans les cabarets, tenaient leurs conciliabules autour des tables tachées de vin, exhalaient leur haine en propos atroces ; des énergumènes parlaient d'assassiner le tyran, de tuer les Consuls et de leur arracher le cœur[81]. Ces groupes se tenaient en correspondance avec leurs congénères provinciaux, avec les révolutionnaires inapaisés qui maintenaient partout une association souterraine. Bonaparte pensait par moments à se débarrasser de ce détritus de la Révolution, à purger, à récurer Paris. Il trouvait aussi que le Journal des hommes libres, par son langage de club, encourageait les fauteurs d'anarchie et nuisait au bon renom, à la tenue du Paris consulaire. Il guettait les Jacobins et épiait le moment de les surprendre en flagrant délit d'agitation. Dans le courant de germinal, le bruit se répandit qu'un complot jacobin venait d'être découvert et que la police avait saisi quelques-uns de ses auteurs. D'autres arrestations firent également sensation. On disait que l'Angleterre, acharnée à nous nuire, ne travaillait pas seulement à diviser et à corrompre la France, mais à l'affamer ; qu'elle faisait extraire de notre territoire des quantités de grains, par achats et embarquements clandestins. Un nominé Boucherot fut arrêté sous l'inculpation d'avoir voulu monter une entreprise de ce genre. Il se disait Hollandais et venait d'arriver à Paris ; il avait fait le voyage en compagnie d'une femme qu'on arrêta en même temps que lui et en qui on reconnut Mme Orner Talon, dont le mari avait eu sa célébrité. Cet ancien procureur au Châtelet, mêlé à l'affaire Favras, l'une des plus ténébreuses de la Révolution, avait été ensuite membre de la Constituante, où il passait pour avoir pratiqué en grand et pour le compte de la cour la corruption des députés. Il tenait, disait-on, le tarif des consciences et savait ce que contait au plus juste prix un homme public. Il vivait maintenant en Angleterre, en quête d'affaires politiques ou financières. Son nom, remis subitement en vedette par l'arrestation de sa femme, parut évoquer un passé de dissensions et d'intrigues, précurseur des grands troubles[82]. Paris s'émut. Tous les partis de désordre en profitèrent pour se remuer, pour tâter et tenter l'opinion. Des crieurs de journaux et de libelles, se répandant à travers la ville, hurlaient des choses à faire frémir : Le passé m'a trompé, le présent me tourmente et l'avenir m'épouvante, voilà ce que les Parisiens entendaient crier sous leurs fenêtres ; ce titre terrifiant recouvrait une brochure assez inoffensive. Au coin des rues, quelques péroreurs de carrefour reparaissaient, hissés sur un tréteau dont ils se faisaient une tribune ; certains quartiers prirent un aspect houleux. Les spéculateurs augmentaient l'inquiétude, en l'exploitant, et jouaient effrontément à la baisse. Les 14 et 15 germinal, sans cause réelle ou du moins suffisante, une vaste panique se déclara. Le maigre complot dont il avait été question d'abord se transformait, dans l'imagination publique, en une conspiration tendant à détruire le gouvernement : on y mêlait des généraux, des ministres, an frère du Consul. Dans l'ordre établi, il parut que tout se remettait à osciller, à virer. Paris eut une reprise de vertige. Bonaparte resta très calme et n'interrompit pas un instant ses occupations ordinaires. Le 15 étant un quintidi, c'était jour de parade aux Tuileries ; elle eut lieu à l'heure accoutumée, et le premier Consul s'y montra. La foule était nombreuse, un peu nerveuse. Malgré des défenses réitérées, des curieux grimpaient sur le soubassement des grilles pour mieux voir ce qui se passait dans la cour ; les cavaliers chargés du service d'ordre les poussaient pour les faire sauter à terre, et, comme l'un des contrevenants résistait, un soldat le frappa durement sur la tête du plat de son sabre. Cet acte de brutalité révolta quelques spectateurs ; dans un groupe de populaire, on entendit des individus dire qu'ils avaient pu autrefois se réunir pour forcer cette barrière et qu'ils le pourraient encore s'ils l'entreprenaient[83]. Ce rappel d'autres temps n'éveilla d'ailleurs aucun écho ; cette mutinerie isolée n'aboutit même pas à un semblant de sédition. Bonaparte put tranquillement continuer la revue, et quand il passa devant les troupes, devant la foule immobilisée sous son regard dompteur, nul ne broncha. Ce même jour, à cinq heures, il devait présider la séance trimestrielle et publique de l'Institut. Cette assemblée continuait de siéger au Louvre, dans la salle des Cariatides ; ses séances publiques attiraient toujours le monde littéraire ou voulant le paraître, plus une quantité de gens simplement curieux de voir et de se faire voir. Ce jour-là malgré l'émoi ambiant, il y eut foule, chacun désirant voir Bonaparte dans sa double fonction de président de la République française et de président de la république des lettres[84]. Dès une heure, ou se pressait aux entrées qui conduisaient à la salle des séances. Cette salle s'emplit rapidement et l'assistance par elle-même était déjà un spectacle ; parmi les quinze cents à deux mille personnes qui la composaient, on se montrait des réapparitions impressionnantes, des voisinages inattendus, des personnages revenus tout récemment d'exil et d'autres qui les y avaient envoyés, Carnot assis non loin de Merlin, les proscrits et les proscripteurs, réconciliés ou au moins juxtaposés par le miracle de la politique consulaire[85]. A l'heure fixée, Bonaparte fit son entrée avec le bureau et prit place au fauteuil ; des applaudissements éclatèrent de toutes parts. Il était en costume civil, sans aucun signe distinctif, car les membres de l'Institut ne portaient pas encore l'habit à palmes vertes. Il ouvrit la séance. Des prix furent décernés, puis le président donna la parole aux orateurs chargés de faire des lectures. Imperturbablement, il soutint trois heures et demie de séance. Dans leur morceau, quelques orateurs firent allusion à une présence déjà auguste, à raison de quoi ils furent réprimandés par la sévère Décade philosophique : Deux des rapporteurs laissèrent échapper quelques grains d'encens, dont celui à qui ils étaient adressés eut le bon esprit de ne point paraître s'apercevoir[86]. On s'accorda généralement à trouver les lectures un peu longues et les sujets médiocres. Le grand intérêt de la séance fut d'observer avec quel tact Bonaparte soignait son attitude républicaine et remplissait très simplement l'office qu'il tenait de ses pairs : Point de gardes qui l'entouraient, point de distinction ; en un mot, le premier Consul a présidé comme un citoyen qui préside ses collègues[87]. Le soir, le bruit se répandit sur le boulevard qu'il irait aux Italiens. Par mesure de précaution ou de déférence, la garde fui aussitôt mandée. Les soldats venaient de se ranger à l'entrée du théâtre, lorsqu'un particulier en redingote grise survint et demanda la raison de cet appareil. On lui dit que le premier Consul est attendu : Voilà bien du bruit pour peu de chose ! répond-il. Quelques personnes aussitôt s'indignent, trouvent le propos irrévérencieux et demandent qu'ou arrête l'impertinent, puis s'arrêtent confondues de leur méprise en s'apercevant que l'auteur de la remarque n'est autre que Bonaparte lui-même, venu à pied, sans escorte, en simple bourgeois de Paris[88]. Il assista tranquillement au spectacle, dont faisait partie l'Enlèvement des Sabines, pièce inspirée par l'exposition récente du tableau de David ; un couplet y chantait les louanges du vainqueur de l'Italie et de l'Égypte. Après la représentation, il fit savoir qu'on lui serait agréable en supprimant le couplet[89]. Le lendemain, son arrivée impromptue au théâtre faisait la conversation de Paris, et chacun d'applaudir à ce gouvernant qui n'avait pas peur et qui communiquait aux autres sa confiance brave. Les journaux consulaires donnèrent avec ensemble contre les propagateurs de nouvelles alarmes, contre la crédulité qui accueillait leurs dires. Le thème des journaux était à ce propos d'opposer victorieusement le pouvoir consulaire à ses prédécesseurs et de faire ressortir la différence des temps. Sous le Directoire, pour justifier des mesures d'iniquité, le gouvernement annonçait périodiquement et au besoin inventait des complots, auxquels le public refusait d'ajouter foi. Maintenant, c'est l'inverse ; c'est Paris qui refuse de croire à son bonheur, à la sécurité retrouvée, et qui se forge des périls imaginaires ; c'est le gouvernement, conscient de sa force, qui dédaigne ces billevesées et n'admet pas qu'il puisse y avoir complot. Il n'en restait pas moins que les Jacobins avaient bougé et que Paris, ouvert encore à divers moyens d'agitation, s'était troublé. Pour Bonaparte, c'était l'occasion trouvée de sévir, de procéder dans les bas-fonds de la ville à une opération de curage, de soumettre en même temps tout Paris à une discipline plus sévère. D'urgence, les Consuls arrêtèrent les mesures suivantes : suppression du Journal des Hommes libres et de deux autres ; suppression de la liberté d'affichage ; interdiction de crier dans les rues aucun journal ou pamphlet sans permis de la police ; défense aux entrepreneurs de spectacles de mettre ou de remettre à la scène aucune pièce qui n'aurait pas été préalablement soumise au visa du ministère de l'intérieur ; étude des moyens propres à renvoyer de France les émigrés rentrés dans le département de la Seine sans s'être mis en instance régulière de radiation[90]. Enfin, par avis expédié des Tuileries, Fouché était invité à dresser une liste d'une cinquantaine d'individus accoutumés à vivre de mouvements révolutionnaires[91], agitateurs de métier, dont la main depuis dix ans se retrouvait dans tous les bouleversements. On ne parlait encore que d'éloigner de Paris ces individus ; en réalité, ils semblaient bien destinés à la déportation, à l'internement en lieu sûr et lointain. Pour la première fois, Bonaparte se préparait à écraser le jacobinisme rebelle. Fouché accourut aux Tuileries. Il trouva le Consul au milieu de ministres et de conseillers d'État, qui s'entretenaient avec vivacité des mesures convenues. Qu'on frappât les émigrés, Fouché n'y voyait aucun inconvénient, à condition que la chose se fît avec discernement ; quant à toucher aux Jacobins, à cette réserve de l'armée révolutionnaire, il jugeait la mesure impolitique et funeste ; il prit audacieusement la défense de ces hommes et se porta leur garant : Général, je vous réponds d'eux[92]. Bonaparte était très monté et Fouché eut à essuyer une bordée de paroles furibondes contre les septembriseurs ; tous les assistants faisaient violemment chorus. Fouché cria plus fort qu'eux, avec des f... et des b... qui scandalisaient Rœderer. Il eut une altercation avec Lucien. Le plus étonnant fut que, devant la révolte de l'étonnant personnage, devant les arguments très-adroits qu'il produisit en termes grossiers, Bonaparte se sentit ébranlé dans ses résolutions ; il en était encore à voir dans Fouché le ministre indispensable, quoique suspect : une mystérieuse et louche puissance qui disposait d'une espèce de sortilège pour tenir assoupi le monstre révolutionnaire. Fouché l'entreprenait en même temps par les rapports de police. Ces comptes rendus quotidiens étaient rédigés au ministère d'après les renseignements fournis par les agents en contact direct avec la population. Avant d'envoyer le rapport au Consul, Fouché le revoyait très soigneusement et au besoin en faisait modifier par Desmarest la teneur et l'esprit. Dans l'occurrence présente, ces retouches se multiplient ; leur but est évident ; c'est de déguiser autant que possible le péril de gauche et de grossir le péril de droite ; c'est de présenter. les Jacobins comme des patriotes ardents, coupables seulement (l'un républicanisme par trop ombrageux ; c'est de détourner la colère (lu Consul contre les réactionnaires et de montrer en eux les seuls adversaires véritablement dangereux. A cet égard, la comparaison des rapports en minute,
raturés et surchargés, avec les copies expédiées au Consul, est
significative. Par exemple, le 14 germinal, le texte primitif porte : ci Les
anarchistes forment des réunions et conspirent avec ardeur contre le
gouvernement ; ils veulent le détruire pour établir A sa place celui de 1793.
Desmarest a biffé ces mots et les a remplacés par ceux-ci : a Les
républicains sont inquiets. Les anarchistes sont travaillés par des
intrigants-qui jettent au milieu d'eux des terreurs, des bruits et des
pressentiments sinistres. Les royalistes poursuivent toujours leurs plans,
liés aux soulèvements de l'intérieur, aux secours et aux victoires de
l'étranger. Les indifférents se tiennent plus resserrés que jamais. Le 16,
voici le passage biffé : Des anarchistes excités et
soldés par l'ennemi perpétuel du repos de la France, avaient effectivement
formé un complot contre le gouvernement. La surveillance de la police avait
empêché qu'il ne pût être mis à exécution... Passage substitué : Des hommes avides de troubles et de divisions ont essayé
de remuer les partis... On a particulièrement
cherché à exaspérer une classe d'hommes signalés dans les troubles
précédents, afin d'appesantir sur eux le pouvoir du gouvernement, servir
quelque haine privée et, détourner l'attention et les moyens du gouvernement
de dessus les vrais conspirateurs royaux et étrangers...[93] Finalement, la main de Bonaparte levée pour frapper les Jacobins s'arrêta encore une fois. Par ménagement pour l'opinion républicaine, il épargna ses pires représentants, quitte à les ressaisir plus tard. Toute idée de mesure arbitraire et collective, de déportation en masse, fut éloignée. Même, l'interdit jeté sur les journaux révolutionnaires fut levé ; au bout de trois jours, le Journal des nommes libres reparut, ayant victorieusement traversé l'épreuve. Paris d'ailleurs se remettait de ses alarmes. L'agitation n'avait fait qu'effleurer les masses profondes. Dans les faubourgs, il y avait eu un peu d'émotion, nul mouvement. Les anciens meneurs, qui cherchaient encore à travailler l'ouvrier, s'étonnaient de le trouver si calme, si froid, détaché de la 'politique et n'aspirant qu'au travail. Les faubourgs se déclaraient eux-mêmes inébranlables ; dans leur langage imagé d'enfants de Paris, les ouvriers disaient qu'ils ne bougeraient pas plus que la Bastille avant sa démolition[94]. Si quelque chose vivait encore dans leurs âmes lassées et, pouvait les remuer, c'était la fibre patriotique, la fierté d'appartenir à la grande nation. Comme tous les Français, ils aspirent à la paix, mais sentent la nécessité de la conquérir sur un ennemi qui s'acharne à la refuser ; pour cette tâche, ils comptent sur Bonaparte et au besoin donneront le coup d'épaule. Gomme les proclamations du Consul sonnent l'appel aux frontières, comme les casernes des faubourgs ; s'emplissent d'un tumulte de mise en route, beaucoup de jeunes ouvriers demandent à s'enrôler dans les troupes en partance[95]. |
[1] Sur l'organisation de Paris, voyez LANZAC DE LABORIE, Paris sous Napoléon, Consulat provisoire et Consulat à temps, p. 33-68.
[2] Sur les incidents de cette lutte, voyez Mémorial de Norvins, II, p. 238-39.
[3] Tranquillité partout, liberté individuelle, oubli du passé, jouissance assurée de tous les plaisirs, tels sont les moyens employés pour engourdir les esprits... Bulletin des agents de Condé, 27 février 1800. Archives de Chantilly, Z.
[4] Rapport de police, 15 pluviôse. AULARD, I, 136.
[5] MATHIEZ, La théophilanthropie et le culte décadaire, p. 639-647.
[6] Rapport de police du 4 prairial : les sociétés de francs-maçons sont devenues depuis quelque temps le point de réunion des factieux de tous les partis. Au Pont-aux-Choux, il existe une loge d'exclusifs prononcés ; rue du Vieux-Colombier, une autre loge, composée de royalistes.
[7] Voyez le livre du Centenaire du Journal des Débats, p. 18-29.
[8] Exemple : Vive Paris, mon cher, vive Paris ! quelle ingénieuse variété dans les plaisirs, quelle diversité de fêtes, de spectacles... les Veillées de la Cité, Brunet dans Pourceaugnac, la Fantasmagorie de Robertson. Garat au concert Feydeau, les chevaux de Franconi dans les pantomimes de la Cité, le Panorama, le café des Aveugles, le bal de Garchy, les Sourds-et-Muets à la séance du Lycée des Arts, le ventriloque au Palais-Égalité, Gavaudan dans le Délire, la Femme invisible qui m'a soufflé dans la main, Mlle Contat aux Français, les bals brillants de Despréaux et de l'hôtel de Mercy, l'Âne qui parle, les Chevaux qui dansent, et qui mieux est, les élégants magasins de modes de Leroy et de Mme Deville, les sublimes découvertes en rouge, en blanc, en bleu et en toutes les couleurs, de l'ingénieuse Mme Dumas... mais tous ces êtres animés ont des moyens naturels, tontes ces espèces de miracles qui nous ravissent, ils ont un esprit, un instinct, une langue, des bras même pour les opérer. Ah ! je vous le demande, toutes ces merveilles valent-elles un geste de l'Automate... Un Automate jouer aux échecs et aux dames, etc. Nota. On voit cet Automate rue des Poulies, grande place du Louvre, vis-à-vis la colonnade, n° 211... 11 ventôse.
[9] Rapports d'agents secrets, 23 ventôse. Archives nationales, F7, 3701.
[10] Les Débats, 24 pluviôse.
[11] Journal des Débats, 24 pluviôse.
[12] Journal des Débats, 24 pluviôse.
[13] Voyez les articles de mode dans le feuilleton du Journal des Débats, pluviôse, ventôse, germinal an VIII.
[14] Journal de Mme CAZENOVE D'ARLENS, p. 28.
[15] Journal de Mme CAZENOVE D'ARLENS, p. 70.
[16] Mémoires de Mme D'ABRANTÈS, III, 403.
[17] Journal des Débats, 29 pluviôse.
[18] Journal des Débats, 29 pluviôse.
[19] Mémoires d'outre-tombe, édition Biré, II, p. 236.
[20] Mémoires d'outre-tombe, II, p. 240.
[21] Mémoires du comte de Moré, p. 187-188.
[22] Un hiver à Paris sous le Consulat, d'après les lettres de Reichard, par A. LAQUIANTE, p. 184.
[23] Un hiver à Paris sous le Consulat, par A. LAQUIANTE, p. 85.
[24] Rapports de police. AULARD, I, p. 89.
[25] Mémoires, p. 187.
[26] Mémoires d'outre-tombe, II, p. 238.
[27] Mémoires de Moré, p. 190-191.
[28] Journal de Mme DE CAZENOVE D'ARLENS, p. 13.
[29] Mémoires d'outre-tombe, II, p. 236.
[30] Lettre du prince de Léon citée par M. Charles BAILLE, Le cardinal de Rohan-Chabot, p. 73-74.
[31] Lettre du prince de Léon citée par M. Charles BAILLE, Le cardinal de Rohan-Chabot, p. 73-74.
[32] Mémorial de Norvins, II, p. 249.
[33] Numéro du 7 ventôse.
[34] Numéro du 33 ventôse.
[35] Journal des Hommes libres, 15 ventôse.
[36] Journal de Mme DE CAZENOVE, p. 22.
[37] Numéro du 8 ventôse.
[38] Numéro du 8 ventôse.
[39] Rapport de police, 22 germinal. AULARD, I, p. 263.
[40] Numéro du 23 germinal.
[41] Gazette de France, 27 ventôse.
[42] Voyez spécialement le numéro du 3 ventôse.
[43] Au sujet de cette tentative, voyez les lettres de Suard, Morellet et autres, publiées par Charles NISARD : Mémoires et correspondances historiques et littéraires, p. 269-286.
[44] Cf. GAUTIER, Napoléon et Mme de Staël, p. 51-58.
[45] Mathieu DUMAS, Souvenirs, III, p. 174-175.
[46] BAILLEUL, ouvrage cité, p. 550.
[47] BAILLEUL, ouvrage cité, p. 550.
[48] Papiers inédits de LEMERCIER, qui fut, en l'été de 1800, président du Sénat.
[49] Mémoires de Munier-Descloteaux (Réal), p. 16.
[50] Éclaircissements de CAMBACÉRÈS.
[51] Correspondance des agents de Condé, 6 juin 1800. Archives de Chantilly, série Z.
[52] Propos rappelé dans une lettre adressée à Joséphine et attribuée à l'agent Dossonville, 1er frimaire an XI. Archives nationales, F7, 6318.
[53] Mémoires de Dufort de Cheverny, II, p. 430.
[54] Mémoires manuscrits de FAIN.
[55] Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier, par Mme LENORMANT, I, p. 36-37.
[56] Mémoires de BOURRIENNE, VI, p. 37.
[57] Mémoires de BOURRIENNE, VI, p. 37.
[58] Publiciste du 10 ventôse.
[59] Les deux arbres de la Liberté figurent sur l'estampe dessinée par Desrais, la première en date de celles qui représentent la parade du quintidi.
[60] Lefebvre à Ernouf, 23 pluviôse an VII. Archives Bord.
[61] Notes de police du 24 ventôse : On a entendu des militaires de garde se dire entre eux, sur le cri Aux armes au passage des Consuls : Aux armes, voilà le Roi qui va passer. Archives nationales, F7, 3701.
[62] Lettre insérée dans la Correspondance, VI, 4529.
[63] Lettre insérée dans la Correspondance, VI, 4529.
[64] Lettre insérée dans la Correspondance, VI, 4529.
[65] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4644.
[66] Gazette de France, 27 ventôse. Cf. le rapport du même jour, AULARD, I, p. 217.
[67] Voyez spécialement les rapports de police pour germinal.
[68] Rapport du 7 germinal, AULARD, I, p. 240.
[69] Rapport de police, 17 ventôse. AULARD, I, p. 196.
[70] Journal de Paris, 26 ventôse.
[71] Publiciste, 26 ventôse.
[72] Notes d'agents secrets, 27 ventôse. Archives nationales, F7, 3701.
[73] Journal de Paris, 26 ventôse.
[74] Correspondance inédite de Mme Danjon avec d'Avaray.
[75] Rapport d'agents secrets, 4 floréal, F7, 3701.
[76] Correspondance des agents de Condé, juin 1800, archives de Chantilly, Z.
[77] Archives nationales, F7, 6244.
[78] Lettres de La Cornillière, ventôse et germinal. Archives nationales, F7, 6248 et 6692.
[79] Il écrivait le 2 germinal : Nous soupons demain soir avec un émigré de ce pays-ci et avec un ancien chef de Chouans normand ; ce sera une petite orgie, car on se propose de boire comme des Templiers ; il est même question de catins, afin de couvrir notre petit banquet.
[80] Lettre à Brune, 14 germinal. Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4705.
[81] Voyez les rapports de police, ventôse et germinal. Voyez aussi le rapport du 12 germinal où l'officier de paix, Spycquet, signalant un point de réunion et citant des noms, ajoute : Si d'un côté les royalistes se remuent et cherchent à culbuter le gouvernement, il est démontré que les anarchistes visent au même but par des moyens beaucoup plus expéditifs. Archives nationales, F7, 6267.
[82] Il existe aux Archives nationales, F7, 6244, l'analyse de plusieurs lettres de Mme Talon datant de cette époque ; elles semblent uniquement relatives des affaires privées. — Sur Boucherot, voyez F7, 6243.
[83] Rapport de police, 16 germinal. AULARD, I, p. 252.
[84] Gazette de France, 18 germinal.
[85] Décade philosophique, 20 germinal.
[86] Décade philosophique, 20 germinal.
[87] Gazette de France, 17 germinal.
[88] Journal de Paris, 17 germinal. — Cf. RŒDERER, VI, p. 405.
[89] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4706.
[90] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4706 et 4707.
[91] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 4707.
[92] RŒDERER, III, p. 369.
[93] Archives nationales, F7, 3701.
[94] Rapport du 10 prairial. AULARD, I, p. 375.
[95] Rapport de police du 27 ventôse, AULARD, I, p. 217.