PARISI Le Consulat provisoire était en somme plus reconnu qu'obéi, plus acclamé qu'écouté. A Paris pourtant, les turbulences réactionnaires cessèrent assez vite, la population restant incapable de transports véhéments et prolongés. Après avoir rétabli le calme à la surface, Bonaparte va-t-il gouverner et administrer Paris, commencer la réorganisation de la France en rendant à la capitale un aspect décent et réglé ? A cet égard, tout était à faire, car les classes même les plus hostiles à la Révolution avaient pris à son contact des habitudes de vie débridée ; à côté des anarchistes d'opinion, combien de gens devenus anarchistes d'habitude ![1] Il en était résulté un laisser aller, un débraillé, un relâchement universels. Ce chaos grouillant offusque Bonaparte, choque son prodigieux instinct d'ordre et sa passion de rangement. Seulement, s'il essaye trop tôt de discipliner la cité, s'il brusque les Parisiens, ceux-ci pourront se rebiffer. Il ne leur fera que très progressivement sentir l'autorité. Sans abuser, sans user même des pouvoirs arbitraires qu'il a hérités des gouvernements antérieurs, il donne à Paris l'illusion de la liberté et ose à peine toucher à la licence. Étrange et disparate, ce Paris des premières semaines consulaires, ce Paris de transition, où l'ancienne société s'essayait très timidement à revivre, à côte d'une société brusquement surgie, flambante, toute en dehors. Dans l'aspect matériel de la ville, ce n'est qu'incohérence, amalgame confus de laideurs et de beautés, germes-poussant sur des débris. L'étranger qui arrive, le proscrit qui se hasarde à reparaître, hanté par les récits de la Terreur, croit trouver Paris tout en sang et tout en ruines ; il croit voir de hideux stigmates, du sang, des têtes ; s'il en parle, on lui répond : Oh ! cela est vieux[2]. S'il arrive par l'Ouest, les Champs-Élysées, plus animés qu'autrefois, quoique d'aspect encore forestier, le conduisent au plus bel aspect que présente une capitale. Le Directoire avait voulu que la place de la Concorde, la sanglante place de la Révolution, entourée désormais d'édifices et de jardins réparés, mît au devant de Paris un imposant parvis. Le pont, les Tuileries, les Champs-Élysées, les quais, le Palais-Bourbon, forment un ensemble fort remarquable[3]. A gauche des Champs-Élysées, par delà le faubourg Honoré et le Roule, une ville neuve pousse, claire et luxueuse : quartier d'Anjou, quartiers de la Chaussée-d'Antin, quartiers du Rocher, quartiers montant vers les Porcherons et Montmartre ; ville d'enrichis, de fournisseurs, de généraux qui ont fait leur main en Italie, d'artistes et de comédiennes. Tous ceux que la Révolution a mis en relief et en vedette aiment à s'y loger ; dans leurs jolis hôtels à fronton grec et à colonnade, dans le décor d'un mobilier qui commence à se raidir en formes antiques, parmi les acajous et les ors, parmi les fresques, les moulures corinthiennes et l'harmonie des étoffes rayées à fond tendre, ils font assez gauchement apprentissage d'élégance. Passé le boulevard, l'ancienne ville se retrouve, mais toute bouleversée et sens dessus dessous. Le Paris royal, qui se tassait sur les deux rives du fleuve, était déjà fait de contrastes, de luxe raffiné et de misère ; les contrastes se sont accentués, car la Révolution n'a fait que déplacer le luxe et accroitre la misère. Certains endroits ont embelli. Les Tuileries sont mieux soignées qu'autrefois, avec leurs hémicycles de marbre, leurs rectangles de verdure, leur peuple de statues ; la façade du château opposée au jardin, celle qui regarde le Carrousel et l'entassement de ses constructions, reste écorniflée par les balles du 10 août ; le bas disparaît à demi sous des plantations, car la République a voulu pudiquement masquer de verdure la demeure des rois. A l'autre bout de la ville, le Jardin des Plantes s'est enrichi, auprès du Muséum créé par l'effort louable de la Révolution pour organiser la science. Mais le Luxembourg, ses parterres, ses ombrages ne sont qu'une ruine de jardin, l'esplanade des Invalides est toute en excavations et fondrières, le jardin du Palais-Royal est à tel point ravagé qu'il faudra le fermer pendant plusieurs mois pour le réparer. Saccagés et menaçant ruine, l'es monuments, y compris ceux que la Révolution s'est appropriés et où elle a installé le désordre des services publics ; saccagées, violées, découronnées de leur flèche, vidées de leurs tombeaux et de leurs statues, les innombrables églises, les abbayes puissantes, réceptables d'art et de richesse. Certaines églises devenues temples servent aux cérémonies décadaires, tandis qu'à d'autres heures les cultes rivaux, catholique, constitutionnel, théophilanthropique, voisinent haineusement. Celles-là même ont perdu leurs trésors, et le Musée des monuments français, quai des Augustins, n'a pu que recueillir les épaves de cet immense naufrage. En revanche, le Louvre s'emplit des dépouilles de l'Italie ; là, c'est un arrivage de chefs-d'œuvre, un déballage de merveilles, l'Apollon du Belvédère, la Vénus Capitoline, le Laocoon encore encaissés, émergeant à demi du plâtre où on les a noyés pour le voyage. Le quadrige de bronze attribué à Phidias et ravi à Venise demeure entreposé dans le jardin de l'Infante ; on parle de l'atteler sur la place des Victoires à un char de triomphe. Sur les places, des piédestaux se dressent veufs de leurs statues ; des allégories de bois et de plâtre, débris des apothéoses révolutionnaires, s'effritent sous la pluie. Place des Victoires, place Vendôme, place Royale, dans les quartiers d'imposante architecture, des enseignes criardes bariolent les façades, rompent l'harmonie des lignes et détruisent l'ordonnance. Les demeures de noblesse et de haute vie, hôtels du faubourg Germain, hôtels du Marais, sauf ceux que la finance a sauvés en les accaparant, appartiennent aux industries de plaisir, aux ventes à l'encan, aux agences, au Paris spéculateur, charlatan, entremetteur. Toute chose est en dehors de sa place ; la Bourse se tient dans l'église des Petits-Pères, un bal public — le bal des Zéphyrs — s'est installé dans le cimetière attenant à Saint-Sulpice. On voit des établissements bizarres, des noms accolés qui jurent d'être ensemble ; là-bas, dans la rue Antoine, on va créer une maison de refuge pour les victimes des faillites d'État, un hospice pour rentiers. Les hôpitaux placés sous l'invocation de vertus laïques manquent de ressources, et pourtant l'admirable institut de Valentin Haüy se soutient, l'œuvre de l'abbé Sicard a survécu à la proscription de son auteur ; à Beaujon, l'étranger s'étonne de trouver réunies toutes les ressources de la science, un progrès de bienfaisance, dû à cet élan d'humanité et à ce branle-bas d'activité généreuse que la Révolution a d'abord imprimés aux esprits[4]. Mais les quartiers de cléricature et d'hospitalisation religieuse, la ligne de couvents qui s'adossait à la terrasse des Feuillants, la cité religieuse qui se blottissait à l'ombre de Notre-Dame, la Sorbonne, ses collèges, ses foyers de science ecclésiastique, et au delà des quartiers vivants de la rive gauche, les grands domaines de communauté, tout cela est livré à la spéculation, à la démolition, aux fournitures militaires, aux entreprises de lucre hâtif et véreux, ou simplement au trop-plein de Paris, de ses sentines, de ses cloaques et de ses décombres ; des quartiers entiers se transforment en cités de brocanteurs ou en magasins de débarras. Restons au centre. Sous le ciel de brumaire et de frimaire, sous le ciel de suie, les rues mal pavées, dépourvues de trottoirs, sillonnées en leur milieu par un ruisseau fétide, se faufilent tortueuses entre les maisons à façades d'un jaune sale, à toits inégaux, à caprices d'architecture qui feraient la joie de nos yeux amateurs de pittoresque. Sur les places difformes, des bonnets de liberté apparaissent encore au bout de hampes déteintes, des arbres de liberté où pendent des loques tricolores ; à tous les coins de rue, des inscriptions remaniées ou tronquées, la suppression du mot de saint décapitant une quantité de noms ; le bas des maisons tout tapissé d'affiches, des murailles de papier ; la liberté de l'affichage illimitée ; les citoyens, les voisins s'injuriant sur les murs, en, grossiers placards ; les affiches déshonorant les monuments et peinturlurant les fontaines ; sur la chaussée, peu d'équipages imposants et soignés, plus de carrosses à panneaux armoriés ; 1.162 fiacres, dont certains ne sont numérotés qu'à la craie et dont beaucoup sont conduits par des femmes ; rue du Mail, rue Denis, des voitures de place stationnant tout le jour, au mépris des ordonnances, et créant un encombrement continu ; 2.691 cabriolets lancés à toute vitesse, filant d'un train fou, effarant, bousculant, écrasant les passants, et se faisant, malgré les réclamations des journaux, instrument de mort[5] ; à pied, dans le tumulte des affairés et le trottinement des Parisiennes, toute sorte de figures incertaines et minables, rentiers sans rente, ouvriers sans ouvrage, employés sans salaire, suspects craignant toujours d'être suivis et jetant derrière eux un regard d'angoisse ; par contraste, des impudences de tenue et d'allure, une femme bien mise se troussant jusqu'aux genoux, une jeune femme habillée en homme[6] ; un mort dans son cercueil transporté comme un ballot, sans pompe ni décence ; le heurt des modes anciennes et des modes nouvelles, des hommes à cheveux poudrés et à catogan, le tricorne sur les yeux, d'autres tondus, couvrant du feutre évasé leur coiffure à la Coriolan, des hommes à redingote et à pèlerine, à redingote bleue avec boutons blancs, à redingote couleur isabelle, des gens en carmagnole des militaires, des défenseurs de la patrie courant après leur solde et portant haut tout de même leur plumet effiloché ; beaucoup de jeunes gens revenus de la guerre éclopés, portant le bras en écharpe ou se traînant sur des béquilles, et dans cet extraordinaire pêle-mêle de types et de costumes, quelques ressouvenirs du grand carnaval gréco-romain qui pendant huit ans a traversé Paris : sur le Pont-Royal, par un temps affreux, des élèves du peintre David vêtus complètement à la manière des élèves d'Apelle, tête nue, jambes nues, chaussés d'un cothurne, et n'ayant d'autre vêtement même nécessaire que les plis ondoyants d'une double tunique[7] ; des passants complaisants et narquois leur offraient des parapluies. Sur les ponts, sur les places, dans les rues, c'est un envahissement d'étalages mobiles, d'échoppes en plein vent, de jeux et de lotos, de tréteaux et d'éventaires, rétrécissant le passage, gênant la circulation. Cette profusion d'industries parasites, cette usurpation permanente de la chaussée, est l'un des traits caractéristiques du Paris d'alors ; elle donne à toute la ville un aspect forain. Le Pont-Neuf, la Grève, le quai du Louvre, le boulevard du Temple, parade continue de bateleurs, saltimbanques, pitres, montreurs de curiosités, faiseurs de tours et chanteurs ambulants ! Que de petits métiers, que de vendeurs de choses innomées et étranges, quelle exhibition de débris divers, quel débordement de bric-à-brac, que de ferraille, que de bouquins et d'estampes ! On vend sous le manteau des gravures représentant l'ex-famille royale, des emblèmes proscrits et des colifichets dynastiques. La police les pourchasse et favorise d'autres exhibitions. Bientôt, les passants vont s'attrouper devant une estampe représentant le premier Consul Bonaparte au milieu des sectateurs des cultes divers et les rappelant tous à une tolérance mutuelle[8]. Promeneurs, errants de tout genre, désœuvrés et désheurés, s'entassent à certains moments dans les endroits où l'on mange. La Révolution, qui a jeté sur le pavé une population de déracinés, a fait la fortune des restaurants. Sans parler des rois de la bonne chère, Méot, Véry, Robert, Saivres, Rose et leurs prodigieux émules, le nombre des traiteurs, cabaretiers, limonadiers, débitants de vins et de liqueurs, s'est énormément accru. Partout se lit cette annonce : Déjeuners froids. On s'attable dès le matin, car la vie commence de bonne heure. Ensuite, beaucoup de Parisiens traînent leur journée dans les cafés et y pérorent interminablement ; chaque parti, chaque coterie a le sien, s'en fait une manière de club et y lit ses journaux, sans croire aux nouvelles qu'ils débitent. Le beau monde lui-même vit en général hors de chez soi. Qu'est ce beau monde ? Les jeunes gens qui ont remplacé les marquis, les pages, les mousquetaires, etc., sont des fournisseurs, des agioteurs, des clercs de procureurs[9]. Ils montent à cheval, conduisent leur phaéton, exhibent leur maîtresse. Le parc de Vousseaux est réservé aux promenades matinales. Dans l'après-midi, on s'en va au bois de Boulogne faire une partie de barres ou fortifier sa musculature par des exercices renouvelés de l'antique, car on vise à l'athlétisme par grécomanie, comme on y visera plus tard par anglomanie. Les gens qui se piquent de goûts plus relevés s'en vont bâiller aux conférences organisées par le Lycée des arts, par le Portique républicain, ou aspirent après la réouverture des concerts donnés par la Société des amateurs, rue de Cléry. Les trente-cinq banques de jeux publics et patentés, les innombrables tripots s'emplissent, et les heures s'y écoulent fiévreuses. Pardessus un fond terne de bourgeois déprimés et d'honnêtes gens aspirant confusément à une existence mieux réglée, une société de parvenus et de déclassés s'agite toujours, brille, s'ébat, fait des mots, tranche et déraisonne sur tout ; chez elle, nul effort de réflexion, nul souci de l'avenir, nulle préoccupation de fonder. Si la folie d'agiotage sur les assignats et de spéculation universelle est passée, combien de gens emploient encore leur journée à courir au coup de bourse ou au coup de dés, au lucre immédiat, au plaisir d'un moment, à l'aventure d'argent ou d'amour ! Dans les rues passagères et marchandes, les femmes, dès le matin, sont venues à pied faire leurs emplettes, le léger réticule pendant à leur ceinture. Les magasins s'enjolivent à miracle, avec leurs devantures avenantes, leur luxe de moulures et de colonnettes. Les boutiques qui prospèrent, ce sont celles qui tiennent débit de frivolités, plumes, rubans, dentelles et fanfreluches. Les femmes y cherchent de quoi faire le décor miroitant et non le fond de leur toilette, car elles continuent à ne porter par-dessous leurs fourrures qu'un extrait de vêtement aussi diaphane que possible[10] et le reçoivent de l'étranger, en gazes et mousselines d'Angleterre. L'ancienne industrie française, celle qui pourvoyait au luxe étoffé d'autrefois, languit et chôme. Pourtant, depuis quelques jours, un curieux phénomène s'opère. Dans les rues de vieux commerce, rue des Bourbonnais, rue Boucher, des maisons à enseigne jadis réputée, des magasins de soierie, longtemps délaissés, retrouvent des clients ; on fait queue à leur porte. C'est qu'une anecdote circule, portant avertissement de Bonaparte, et la mode, avant la politique, le reconnaît dictateur. On raconte qu'il se trouvait un soir au Luxembourg, en compagnie de Joséphine et d'autres dames exhibant une élégance par trop athénienne ; lui, faisait bourrer la cheminée, chauffer à force, à outrance ; on lui objecte qu'il va mettre le feu ; il ordonne de continuer, et se retournant : Ne voyez-vous pas, dit-il, que ces dames sont nues ? Le bruit que Bonaparte rappelle les modes à la décence avec l'arrière-pensée de raviver l'industrie nationale se répand dans les journaux ; démenti par quelques-uns, d'autres le confirment, et aussitôt nos dames patriotes de commander robes, jupons, spencers, schalls, douillettes pour l'hiver, le tout de soie[11]. Tout ce monde dîne entre quatre et cinq heures. Parmi les gens d'opulence relativement assise, il n'y a que des banquiers et négociants, quelques-uns étrangers, dont la maison cosmopolite est une puissance[12], pour essayer de reprendre les traditions d'hospitalité et les réceptions fastueuses d'autrefois, sans y réussir pleinement. Je ne sais si un appartement orné, un dîner fin, des toilettes recherchées, des révérences et des calembours constituent effectivement la bonne il compagnie ? Les hommes dînent beaucoup au restaurant ; les brumairiens, les députés et fonctionnaires qui ont participé au coup d'État, pour ne pas perdre le contact, se réunissent toujours chez le restaurateur Rose ; là, ils édifient en imagination le gouvernement futur, distribuent des grâces, attirent, rallient, concourent à l'apaisement. Dans les temps qui ont précédé Brumaire, la division des esprits était telle qu'il était impossible de réunir à la même table un certain nombre de personnes sans que la politique s'introduisit parmi les convives et fit dégénérer la conversation en un bruit tumultueux[13]. Mercier s'en était plaint dans son Nouveau Tableau de Paris. A présent, on commence à perdre l'habitude de se disputera pour des opinions ; on ne crie qu'aux cabarets et dans les tabagies[14]. Les journaux vont signaler comme l'un des effets du mot d'ordre consulaire la pacification des dîners. Quelques salons officiels s'ouvraient à jour fixe. Mme de Staël s'y donnait beaucoup de mouvement ; elle tournait comme une toupie autour des personnes marquantes[15]. Tenant à établir son influence, à placer ses amis, elle travaillait aussi à soulager des infortunes, à obtenir des mises en liberté, des radiations d'émigrés, et s'employait impétueusement à la justice. Au commencement de la soirée, elle-même rouvrait son salon et ressuscitait cette puissance ; on s'occupait chez elle à dresser la liste des légiférants futurs et à lancer des noms. Parmi les membres de l'ancienne société, quelques-uns se jettent déjà en solliciteurs au travers du monde nouveau ; d'autres se tiennent à l'écart et se contentent de vivre. Rue Honoré, dans une maison de modeste apparence, la princesse de Beauvau, voltairienne impénitente, n'a jamais cessé un seul jour de recevoir ; elle habite un petit appartement meublé des restes élégants de son ancien mobilier. — Du moment qu'on quittait l'escalier crotté, commua à tous les habitants, on se sentait transporté dans un monde à part ; tout était noble et soigné dans ces petites chambres. Le peu de domestiques qu'on y voyait étaient vieux et quelque peu impotents ; on sentait constamment qu'ils avaient vu si bonne compagnie que leur jugement était quelque chose[16]. Dans ce lieu discret, des hommes politiques, des philosophes se faisaient voir ; en y venant, ils croyaient se donner un air d'ancien régime[17]. Cinq heures ; les théâtres s'ouvrent. La police n'obtient jamais qu'ils ferment à l'heure réglementaire, neuf heures pour ceux du boulevard, neuf heures et demie pour ceux de l'intérieur. Le théâtre, c'est l'universel rendez-vous, lieu de réunion, de manifestation et de licencieux plaisirs. En pleine Révolution, un prospectus de théâtre annonçait, pour mieux attirer le public, que toutes les loges seraient munies d'un lit. Les acteurs occupent beaucoup Paris de leurs prétentions, de leurs démêlés, et se posent en personnages d'importance ; ils sont reçus dans toutes les sociétés. Après le 18 brumaire, les artistes de l'Opéra-Comique ont cru devoir envoyer à Bonaparte une adresse de félicitations. Sur les grandes scènes, la mise en scène est très soignée, les ballets et les décors superbes, les artistes supérieurs aux œuvres qu'ils interprètent. En fait de littérature dramatique, la production est incessante et médiocre : froides tragédies, plats vaudevilles ou drames noirs. Le public reste de tendances réactionnaires. Les grands mots dont toute la France s'est jadis enivrée et qui, dans la bouche des révolutionnaires, ont été surtout effet oratoire, patrie, liberté, vertu, n'ont plus le don d'émouvoir. Dans certains théâtres, sur le devant des loges, des toilettes éblouissantes s'étalent, des femmes moins habillées que costumées, des Flores, des Hébés, des Grecques, des Orientales ; un soir, à l'Opéra, Mme Tallien en Diane chasseresse, carquois à l'épaule, peau de tigre en sautoir, croissant de diamants dans les cheveux, vêtue surtout de pierreries, va exhiber une dernière fois sa triomphante nudité[18]. Joséphine inaugure un luxe de meilleur ton : 19 frimaire : Bonaparte était hier à l'Opéra avec son épouse ; celle-ci était en satin blanc et non point en linon, sans diamants, mais avec beaucoup de camées antiques à ses doigts et à ses bracelets. La loge était remplie de femmes charmantes et parées[19]. Le public des autres places est en général de tenue fort négligée. Il faudra que deux mois s'écoulent pour que les observateurs de la police signalent une amélioration ; en nivôse, ils écriront, dans leur style prétentieux : On a remarqué que depuis quelque temps la parure était plus générale parmi les spectateurs. On s'aperçoit que la masse est visiblement ramenée aux habitudes et aux formes qui firent passer dans l'Europe les Français pour le plus poli et le plus aimable des peuples[20]. A partir de huit heures du soir, il est hasardeux de sortir à pied. Sur les milliers de réverbères allumés, il en est un très grand nombre qui clignotent rapidement et s'éteignent ; de louches figures se glissent dans l'ombre et partout s'éveillent des grouillements suspects. Des voleurs en nombre incalculable opèrent isolément ou par bandes, s'attaquent aux passants, s'introduisent dans les maisons qui ont l'imprudence de rester ouvertes. Dans ces mois d'hiver où nous sommes, l'afflux de foule a cessé aux grands rendez-vous nocturnes de plaisir en plein air ; les jardins de danse et d'amour ont éteint leurs feux. Le plaisir se resserre à l'intérieur et se calfeutre, mais s'annonce par de flamboyants signaux. L'extérieur de l'Opéra est éclairé d'une manière aussi neuve qu'éclatante[21]. A la sortie des théâtres, chez Garchy, rue de Richelieu, des lumières et du bruit ; des femmes en grande toilette viennent y prendre des glaces. A six heures, les bals payants ont donné le premier coup d'archet. On n'offre plus guère à danser chez soi, on préfère donner des thés, réunions de moindre apparat, quoique renforcées par de solides victuailles, mais on s'en va par coteries danser aux bals d'abonnement. Les plus beaux se sont établis par entreprise à l'ex-hôtel d'Uzès, rue Montmartre, et aux salons d'Apollon, près l'enclos des Capucines ; on danse dans deux ou trois cents endroits, langoureusement ou follement. Ailleurs, dans un grand nombre de rues, dans les impasses et les culs-de-sac, le sommeil des bourgeois paisibles est troublé par des voix éraillées, par d'orduriers appels ; les habitants se plaignent que des rixes de filles font de scandaleux tapages. La prostitution est l'une des plaies qui s'étalent. Partout elle déborde, envahit ; au Palais-Royal, l'armée des filles, la prostitution à perruque blonde et à falbalas, tenant marché au foyer du théâtre de la Montansier, que Bonaparte n'osera fermer par crainte de mettre contre soi, tous les vieux garçons de Paris ; les galeries inabordables même pendant le jour aux honnêtes femmes, des filles habitant les entresols du palais, se montrant aux fenêtres et appelant les passants ; sur le boulevard Italien, des filles ; sous le péristyle de l'Opéra-Comique, des nymphes vagabondes, outrageusement décolletées malgré la froidure ; sur le boulevard du Temple, des créatures de huit à seize ans s'offrant à la corruption publique ; au Carrousel, dans le pâté de maisons borgnes qui empiètent sur la place, des filles occupant presque tous les logis et exerçant leur commerce ; aux Tuileries, au Luxembourg, aux abords de tous les spectacles, des filles. Le soir, au marché des Grands-Augustins et sur le quai voisin, des racoleuses attirent les passants et les satisfont en plein air, entre les boutiques des marchandes de volailles. Il en est qui se prostituent dans les cloîtres de l'ancienne Abbaye[22]. Que d'autres éléments impurs, interlopes, dangereux, pullulent dans Paris : des refugiés italiens, des révolutionnaires d'outremonts chassés de chez eux par les victoires de Souvorof et la chute des républiques cisalpines, cherchant dans Paris un asile et du pain, toujours prêts à jouer du couteau et à prêter main-forte aux perturbateurs ; une colonie de dangereux étrangers, l'un des éléments de désordre qui préoccupent le plus les Consuls ; des réfugiés irlandais, des Vendéens fuyant la désolation de leur pays, des voleurs de grands chemins et des chauffeurs du Midi qui ont renoncé au métier, qui se sont jetés dans ce grand Paris où tout s'absorbe et se perd ; une population de réfractaires ; parfois, sous l'escalier d'une maison, une trappe qui se lève et une dure figure de Chouan qui sort de sa cache, comme en pleine Bretagne, pour prendre un mot d'ordre ou quérir un autre asile ; sur le haut des boulevards, dans les faubourgs, des flottements d'ouvriers sans travail. Le dépérissement de la grande industrie est si profond qu'en nivôse la police signalera, comme fait consolant, un rappel d'ouvriers dans l'une des manufactures. Pour avoir de quoi vivre, les faubourgs ne recourent plus aux émeutes, aux descentes tumultueuses et hurlantes, mais beaucoup d'ouvriers se jettent aux métiers inavouables et s'enrôlent dans les bandes employées à frauder les droits d'entrée. La fraude se fait en grand ; c'est l'une des principales industries de la population parisienne ; elle a son organisation, ses chefs, son armée, perfectionne ses procédés, pousse contre Paris des travaux d'approche et de cheminement. Des conduits souterrains, de mystérieuses rigoles, partant de la banlieue, s'emplissent de vins et de spiritueux, passent sous le mur d'enceinte et aboutissent à l'intérieur dans des maisons complices. Des bourgeois d'aspect honorable prennent intérêt dans cette industrie et la commanditent. La fraude se fait aussi à main armée, par effractions violentes, par irruptions nocturnes ; aux barrières, de véritables combats se livrent entre gardes et fraudeurs, et ceux-ci ont souvent le dessus. Pendant plusieurs mois, ce désordre ne fera que s'accroître. Les fraudeurs enrégimentés se dispersent le jour dans les villages suburbains, dans les terrains vagues, préparent leurs coups, menacent de mort les habitants qui oseraient s'opposer à leurs entreprises nocturnes ou les dénoncer. La nuit venue, ils se remettent à l'œuvre. Sur le pourtour oriental de l'enceinte, Paris est littéralement investi de ces hordes, de ces tribus de nomades et de barbares. On évalue le nombre des fraudeurs à plus de dix mille, tous armés, courageux, commandés par des chefs hardis et entreprenants : on les dit ennemis prononcés du gouvernement... On compte environ 2.500 fraudeurs du port de la Râpée à la Villette ; leurs chefs ont des habitations dehors et non loin des murs ; ils y tiennent des magasins considérables. Plusieurs de ces hommes qui sont à la tête des fraudeurs se sont flattés que, s'il y avait un mouvement, ils sauraient diriger et conduire tous leurs subalternes[23]... Il est instant de prendre des mesures, sans quoi bientôt l'impôt sera réduit absolument à rien, et les fraudeurs devenus si nombreux qu'ils pourraient occasionner de grands troubles et servir aux factieux[24]. Cette armée du brigandage pourrait au besoin se transformer en armée de l'émeute. II Par quel bout prendre cet amas d'immondices pour le pousser à l'égout ou le dissoudre et nettoyer Paris ? La police du Consulat hésitait à entreprendre et d'ailleurs manquait des moyens nécessaires. L'armée se montrait peu propre aux besognes de vigilance intérieure et d'épuration ; parmi les gardes nationaux, deux sur cinq se faisaient remplacer dans leur service par des hommes recrutés à prix d'argent et peu sûrs ; quelques brigades de gendarmerie, casernées au Temple, ne fournissaient qu'un renfort insuffisant. On se plaignait généralement qu'il n'y eût point une véritable troupe de police, un corps soldé, une garde urbaine, apte à surveiller Paris et à fouiller ses profondeurs. Il faut, disait un journal[25], des individus qui connaissent Paris jusque dans ses détails les plus honteux et les plus minutieux. Rien que pour contenir l'audace des fraudeurs, les autorités signalent la nécessité d'une force armée toujours active et dont l'institution n'aura que ce seul et unique objet[26]. Mais où trouver de l'argent pour organiser ces forces, alors que la police n'avait pas de quoi payer ses inspecteurs, ses commissaires, ses vingt-quatre officiers de paix, ses agents secrets ? Après neuf mois de gouvernement consulaire, tout le personnel en sera encore à renouveler presque quotidiennement ses doléances, à réclamer six mois de traitement dû, sans qu'il reste un sou dans les caisses pour solder cet arriéré. Avec de tels éléments, il était difficile de procéder par effort méthodique et suivi. Fouché se borna d'abord à faire la guerre aux filles. Le 12 frimaire, des détachements d'infanterie et de cavalerie cernèrent le Palais-Royal, bloquèrent les issues ; plusieurs centaines de malheureuses furent enlevées. La rafle se poursuivit dans les quartiers voisins, où elle donna lieu à des rixes entre soldats et forts de la halle[27]. Que ferait-on de toutes les captives ? La loi ne permettait de les poursuivre judiciairement que dans le cas où elles étaient convaincues d'outrage patent aux mœurs. Le public dans ses conjectures leur assigna une destination lointaine. On savait que Bonaparte s'intéressait beaucoup à l'armée d'Égypte, à ces compagnons, à ces fidèles laissés en souffrance ; comme pour se faire pardonner d'eux, il s'occupait de pourvoir à leurs distractions et à leurs plaisirs, en attendant qu'il pût leur expédier d'effectifs secours. Il avait invité le ministre de l'intérieur, le grave Laplace, à recruter une troupe de comédiens pour l'Égypte : Il serait bon qu'il y eût quelques danseuses[28]. On se figura que le gouvernement, restant dans le même ordre d'idées, venait de faire au Palais-Royal la presse des filles pour l'usage de nos Égyptiens et qu'il allait déporter au delà des mers toutes ces Manons. Le procédé parut fort, excessif, arbitraire, attentatoire à la liberté individuelle ; on trouva qu'il sentait le despotisme. Bonaparte voulut immédiatement faire tomber ces bruits ; il s'en expliqua dans une conversation intime, mais s'y prit de façon que ses paroles retentissent au dehors. La scène se passe au Luxembourg, un matin, à déjeuner ; il n'y a d'autres étrangers que Rœderer et Volney. BONAPARTE. — Où diable a-t-on pris que je voulusse faire déporter les filles arrêtées au Palais-Royal en Égypte ? Mme BONAPARTE. — Le ministre de la police m'a dit, ces jours passés, qu'elles étaient, destinées pour l'Égypte. BONAPARTE. — C'est une horreur ! Diable, on ne déporte pas ainsi. RŒDERER. — Hier, Regnauld m'a dit aussi que le ministre de la police avait décidé leur déportation. BONAPARTE. — Et où a-t-il pris cela ? Citoyen Rœderer, je vous prie de
faire un bon article pour détruire ce bruit-là, mais un article bien fait,
pas de deux lignes, afin que la chose reste. On peut bien vouloir réprimer la
licence du Palais-Royal, mais on ne déporte pas ainsi. Ici, Volney lâche une plaisanterie obscène. BONAPARTE, riant. — Citoyen Volney, oh ! c'est un peu fort ; vous parlez là comme un vieux garçon. Nos troupes n'ont pas besoin des filles de Paris en Égypte ; elles en ont, et de belles ; elles ont des Circassiennes. (Le Mamelouk qui était derrière Mme Bonaparte sourit.) BONAPARTE, en le regardant. — Ah ! il m'entend bien ; n'est-ce pas, tu m'entends ? (Riant.) N'est-ce pas, il y a des filles en Égypte ? (Il se retourne vers son Mamelouk, qui le servait.) N'est-ce pas, Roustan, il y a de belles sultanes en Égypte ? (Il se lève de table, répète sa question à Roustan, et ajoute :) Tu entends le français à cette heure, n'est-ce pas ? (Il lui prend la tête dans ses deux mains et la balance deux ou trois fois de droite à gauche.) On passe dans le salon. Le général se promène, et brusquement, à Volney et à Rœderer : Y a-t-il eu une faction d'Orléans ?[29] Après que l'entretien se fut prolongé sur cet objet, Rœderer rédigea l'article et le fit paraître dans le Journal de Paris. On sut ainsi que Bonaparte n'entendait pas expatrier sans jugement même les plus misérables créatures. Fouché se le tint pour dit, se contenta de garder quelque temps en lieu sûr et d'éloigner de la circulation celles que l'on appelait par antinomie les femmes du monde. L'audace du libertinage public fut un peu réprimée. Même, dans un beau mouvement de vertu, Fouché fit savoir que, rompant avec une tradition de ses prédécesseurs, il n'emploierait plus de filles aux besognes de police secrète, et qu'il aimait mieux renoncer à ce Moyen d'information. Mais il s'abstint encore de toute mesure contre l'encombrement et la pestilence des rues, contre le train désordonné des voitures, contre les exhibitions diverses qui salissaient la voie publique et faisaient l'amusement des badauds, contre les industries interlopes dont vivaient tant de gens ; la police semblait même renoncer à exercer sur les opinions une surveillance tracassière et trop curieuse[30]. Les Consuls continuaient à la fois de ménager et de soigner extrêmement Paris ; veillant de près à son approvisionnement et à l'arrivage des vivres[31], ils évitaient toujours de trop réglementer. Les journaux s'égayaient aux dépens du bureau central, qui, devant mille abus, se bornait à corriger l'orthographe vicieuse des enseignes de boutique et croyait devoir, avec un purisme pédant, proscrire les barbarismes. Pareillement, Fouché ne touche pas à la presse, aux soixante ou quatre-vingts journaux qui paraissent quotidiennement. Plus de saisies brutales et vaines, plus de ces appositions de scellés qui obligeaient seulement, sous le Directoire, le journal frappé à changer de nom, à changer de local, et qui laissaient se poursuivre la lutte d'une presse furibonde contre un gouvernement à la fois persécuteur et faible. Après Brumaire, les rigueurs cessèrent presque complètement. Pendant les six semaines que dura le Consulat provisoire, un seul journal, l'Aristarque, notoirement royaliste, fut l'objet d'un commencement de poursuites. Le rédacteur et l'imprimeur avaient été même arrêtés, mais le bureau central, avant reçu contre-ordre, les fit relaxer et se contenta d'une réprimande[32]. En matière de presse, Fouché fit néanmoins un coup de maître. L'organe attitré des Jacobins extrêmes, l'ex-Journal des hommes libres, réduit dans les derniers temps à s'appeler successivement l'Ennemi des oppresseurs de tous les temps, puis le Journal des hommes, puis le Journal des républicains, continuait à mener une existence précaire, mais restait en faveur auprès des groupes avancés. Au lieu de détruire cette espèce de puissance, Fouché l'absorba. Achetant le journal pour le compte de la police, il lui imposa comme principal rédacteur l'un des plus équivoques pamphlétaires de la presse jacobine, Méhée de La Touche, homme à vendre, qui reçut mission de louer Bonaparte et surtout son ministre sur le ton du Père Duchêne. Le 10 frimaire, le journal reprit son ancien titre, les Hommes libres, — et cette résurrection d'un nom parut à elle seule donner un gage aux démocrates exaltés. Le journal reparaissait enragé contre la réaction et ses suppôts, mais en même temps, avec un cynisme discret, il évoluait vers Bonaparte, auquel il accordait des éloges bourrus. Fouché rendait ainsi une voix à l'opinion, sinon à l'opposition jacobine. Il s'en servirait pour appuyer sa politique personnelle. Fouché jugeait que la Révolution avait rempli son but et devait s'arrêter, puisqu'il était ministre ; il la voulait désormais fortement conservatrice d'elle-même, solidement établie, assagie même et pacificatrice ; il reculait moins que personne devant certaines audaces de libéralisme et de pardon, mais à condition que les places et le pouvoir demeurassent l'apanage exclusif des révolutionnaires, y compris les plus affreusement compromis, dont la fortune s'identifiait avec la sienne. Or, il sentait que le mouvement des esprits, quoique réprimé dans ses premières effervescences, continuait de porter à droite. Autour de Bonaparte, un parti de droite se formait ; composé de Rœderer, Talleyrand et autres, il essaierait de pousser à l'établissement d'un principat entouré de formes et d'institutions monarchiques, et Fouché craignait que la réaction, si on la laissait s'opérer dans les choses, ne finît par tourner contre les personnes. Donc, en face des éléments et des influences de droite, il s'institue hardiment le ministre de la défense révolutionnaire. La résurrection du violent et hargneux Journal des hommes libres est l'un des moyens qu'il emploie. Ce dogue jacobin, que Fouché tient en laisse, sans le tenir de trop court, fera bonne garde autour des institutions et des formes révolutionnaires. Grondant et au besoin jouant des crocs, il défendra Bonaparte contre des amis compromettants ; en meule temps, ses grossiers éclats de voix mettront en confiance les républicains extrêmes. Ceux-ci, à entendre répéter chaque jour des invectives quasi officielles contre la religion et les prêtres, contre les bourgeois dévots, les nobles, les muscadins et toutes les variétés de réacteurs, se croiront encore sous une république de leur choix. Malgré ces précautions pour accaparer et canaliser les divers courants de l'opinion, Paris dans son ensemble semblait un peu revenu de son premier enchantement[33]. Il restait dominé par Bonaparte, mais se demandait où Bonaparte conduisait la France et ne voyait pas l'avenir se débrouiller clairement. Paris était d'ailleurs hors d'état de prêter à un gouvernement quelconque l'appui d'une adhésion persévérante et soutenue. Sur toute autre question que celle de paix ou de guerre, il n'existe encore dans la masse aucun esprit public. Abandon et curiosité plutôt que confiance, espoirs fugaces, découragements immédiats ; dans les classes frivoles et brillantes, une obéissance frondeuse, un scepticisme gouailleur, une folie de jouissances qui porte à gaspiller le présent sans s'inquiéter du lendemain ; dans les autres classes, une somnolence douloureuse, des murmures sans révolte, une houle morne de plaintes et de désirs, quelque chose d'inconsistant et de mou qui se dérobe plutôt qu'il ne résiste à la prise gouvernementale ; voilà ce qu'était Paris avant Brumaire, voilà ce qu'il redevient très vite après la crise, car il n'appartient à personne de supprimer brusquement les causes qui entretiennent cet état d'esprit, c'est-à-dire le souvenir des déceptions passées, des déceptions atroces, et l'accablement des misères présentes. C'est seulement comme premier Consul, investi d'un pouvoir plus personnel, que Bonaparte fera ce miracle de substituer, surtout dans le peuple, à l'enthousiasme précaire des premières heures, à la tranquillité apathique[34] des jours suivants, une adhésion active, un acquiescement progressif, une vibration continue, une obéissance passionnée. Il poursuivra cette œuvre patiemment, avec d'infinies habiletés, avec des prudences et des audaces, jusqu'au jour où un retentissant coup d'éclat, une victoire annonciatrice de la paix, viendra consommer le succès et achever la conquête de Paris. LES DÉPARTEMENTSI En province, l'action gouvernante et administrante des Consuls provisoires se réduisit également à peu de chose. A lire le registre de leurs délibérations et de leurs arrêtés, on ne trouve guère que mesures individuelles ou rudimentaires. Ils se sont décidés à révoquer quelques fonctionnaires, ceux qui ont fait acte d'hostilité ouverte au coup d'État, ceux contre lesquels réclame trop violemment l'indignation publique. A plusieurs reprises, nous relevons des destitutions ainsi motivées : hommes mal famés et ennemis de tout ordre social, — partisans de l'anarchie, — prévenus de concussion et d'exaction, — prévenus de faux, — ayant prévariqué dans l'exercice de leurs fonctions[35]. Écarter de tels hommes, c'était faire œuvre d'assainissement et de réparation, supprimer quelques tyrannies locales. Mais aucune des haineuses lois de Fructidor ne fut franchement abrogée ; on se bornait à les adoucir un peu dans l'exécution. L'esprit de tolérance des Consuls se communiquait aux autorités militaires. Les conseils de guerre chargés de juger les prévenus d'émigration prononçaient plus d'acquittements. Un arrêté consulaire affranchit de la déportation les prêtres appartenant aux trois catégories suivantes : 1° ceux qui avaient prêté tous les serments successivement imposés par la Révolution ; 2° les prêtres mariés ; 3° ceux qui n'ayant jamais exercé ou ayant cessé d'exercer n'étaient plus assujettis à aucun serment. Cette mesure profitait aux constitutionnels ; parmi les catholiques, elle ne s'appliquait qu'à ceux qui avaient renoncé à remplir leur ministère. Ce n'était nullement émanciper le culte, rendre cours à la vie religieuse, donner satisfaction aux grands intérêts moraux qui restaient en souffrance. Matériellement, la France tombait en ruines. Le premier obstacle à la reprise de la vie économique, à la circulation des personnes, des espèces et des denrées, était l'état affreux des chemins. On voyait le moment où, la mauvaise saison aidant, la viabilité en certains pays cesserait complètement, où les localités se sentiraient prisonnières chez elles, sans communication avec leurs voisines et le reste du pays. Une loi ouvrit au ministre de l'intérieur un crédit de quatre millions à l'effet de pourvoir à l'entretien des routes. Un gémissement universel s'élevait des hôpitaux, des hospices, des établissements de bienfaisance ; on essaya de pourvoir à leurs plus urgents besoins. Pour faire plus et mieux, l'argent manquait. Les centimes additionnels aux contributions de l'an VII, établis en remplacement de l'impôt progressif, ne procuraient que des ressources lentes et successives. Il était impossible de percevoir un sou sur les contributions de l'année courante, les administrations locales n'ayant pas encore réussi à dresser un seul rôle. L'arriéré sur les années antérieures se levait très péniblement ; une forte partie en était saisie au passage par les fournisseurs délégataires. Pour assurer dans l'avenir la répartition plus équitable et le recouvrement de l'impôt, le gouvernement de Brumaire prit une mesure excellente : création d'une administration des contributions directes, c'est-à-dire d'un personnel d'agents nommés par l'État et dépendant de lui exclusivement, procédant avec plus d'impartialité et. de méthode que les anarchiques municipalités. Cette institution qui depuis lors s'est maintenue intacte n'était susceptible d'alimenter le Trésor qu'à échéance assez longue ; il en était de même d'autres moyens financiers adoptés par le Consulat provisoire, obligations à fournir dans un certain délai par les receveurs généraux et anticipant sur la rentrée des impôts, cautionnements à verser par les mêmes receveurs généraux dans une caisse d'amortissement et de garantie. En attendant, Bonaparte se voyait réduit à faire littéralement argent de tout. Le général Marmont dit dans ses Mémoires qu'on l'envoya négocier un emprunt en Hollande, en l'autorisant à offrir en nantissement des traites de coupes de bois et même à mettre en gage le Régent ; malgré ce brocantage, l'opération ne réussit point[36]. Bonaparte se fit autoriser à vendre des terrains et maisons de rapport sises à Paris et appartenant à l'État ; il songea même à une nouvelle émission de papier-monnaie, gagé sur les biens nationaux ; c'eût été recommencer l'expérience désastreuse des assignats. La commission des Anciens arrêta fort sagement au passage ce malencontreux projet. Les mesures prises pour activer le payement des sommes restant dues sur la vente des biens nationaux, pour obtenir l'acquit des innombrables débets restés à la charge des comptables, paraissent avoir grossi à peine les maigres ressources dont vécut le Consulat provisoire. Ce qui manquait non moins que l'argent, c'étaient les hommes, un personnel dévoué, vigilant et probe. Les Consuls devaient se servir presque partout de l'administration directoriale, et celle-ci succombait sous le poids de l'animadversion publique. De plus, elle répugnait maintenant à toute besogne, se sentant moins que jamais assurée du lendemain. Les administrateurs de département et de canton, les commissaires du pouvoir exécutif ignoraient quel serait leur sort, s'ils seraient maintenus ou congédiés, s'ils trouveraient place ou non dans le régime qui s'élaborait loin d'eux. Passés à l'état d'occupants provisoires, déconcertés, désemparés, ils se désintéressaient de leur fonction et, se croisant les bras, laissaient aller la machine[37]. Les ressorts de l'action publique, loin de se retremper et de se roidir, achevaient de se détendre. Il est vrai que cette défaillance des autorités locales produisait parfois d'heureux résultats. Si les agents de la République ne faisaient rien de bon et d'utile, ils ne faisaient plus autant de mal. Ils n'administraient pas, mais tyrannisaient un peu moins. Des régions entières, la Belgique surtout, en éprouvèrent un soulagement, et la population, presque abandonnée à elle-même, commença de rentrer dans le calme. Les administrations n'administrent presque plus, écrira bientôt un agent du ministre de l'intérieur, et je suis forcé de dire que tout n'en est que plus tranquille[38]. Cette espèce d'interrègne administratif laissait par contre toutes les parties de la chose publique dans l'anarchie et. le chaos. Les vingt-quatre légats des Consuls s'acheminaient assez péniblement vers les chefs-lieux des divisions militaires. Fallait-il compter sur eux pour remonter la machine, pour la faire fonctionner dans le sens de l'ordre et de la paix ? Chacun d'eux, arrivé au point central de sa circonscription, tâcha de s'orienter et commença ses tournées. Autant qu'on en peut juger par les rares documents qui témoignent de leurs opérations, ils ne surent y mettre unité et méthode. A mesure qu'ils parcouraient un département ou visitaient une ville, tombés dans le tumulte des passions locales, ils n'arrivaient pas à s'y reconnaître ; assaillis de doléances et de récriminations en sens contraire, ils ne savaient à qui entendre. Plusieurs d'entre eux cédèrent au cri de la population, qui s'élevait contre des fonctionnaires chargés d'un ignoble passé. Comme ils avaient pouvoir de prononcer des révocations, ils firent des hécatombes. Les frères et amis de l'endroit se plaignaient à Paris et affirmaient que la République était perdue, puisqu'on écartait ses meilleurs amis[39]. A Bordeaux, le délégué fit table rase et institua de nouvelles autorités ; on prétendit qu'à Évreux le délégué avait trop écouté les réclamations contre-révolutionnaires et s'était jeté à droite ; un démenti fut inséré dans les journaux. Ailleurs, les délégués laissaient toutes choses en l'état, se bornant à lancer des proclamations, à tenir des assemblées de citoyens, à commente' les paroles consulaires, à parler d'or, c'est-à-dire de paix à l'extérieur et au dedans ; ils servaient de leur mieux la cause de la concorde, mais ne donnaient pas l'impression de l'autorité. La sécurité matérielle ne faisait point de progrès. Dans la majorité des départements, l'Ouest restant à part, c'est toujours même spectacle : les villes assez calmes ; dans les campagnes, des bouillonnements épars, des vengeances, des assassinats, des mutineries de paysans contre la levée de l'impôt et la levée des hommes ; les bataillons auxiliaires fondant par la désertion ; des malfaiteurs de profession et des malfaiteurs d'occasion rôdant sous bois, rôdant autour des lieux habités, désolant le pays à la façon des routiers du moyen âge. Le banditisme infestait les principales voies de communication, coupait ou du moins meurtrissait à tout instant ces artères vitales. A la fin de brumaire et en frimaire, la diligence de Clermont à Paris, celle d'Orléans, celle de Bordeaux, celle de Lyon à Besançon, étaient successivement pillées. La région du Rhône, le Sud-Est, le Midi, demeuraient particulièrement troublés. A Lyon, on avait ôté le commandement militaire au général Dauvergne qui maintenait par la terreur un semblant d'ordre. A présent, la seule chose qui s'organisât, c'était le brigandage en dehors et au dedans de la ville. Les rapports vont signaler l'effrayante multiplication des vols : Les voleurs sont organisés en trois bandes ; l'une arrête sur les grandes routes les courriers et les diligences, une autre enlève les ballots derrière les voitures et jusque dans l'intérieur des cours, la troisième vole dans les magasins, dans let boutiques, dans les appartements, au moyen d'effractions et de fausses clefs[40]. Les autorités départementales formaient une quatrième variété de brigands. Comme on avait laissé à la tête de la cité des hommes dont la présence semblait un défi à la morale publique, la population bourgeoise se dérobait à tout concours et ne prenait pas confiance[41]. D'accord avec les autorités, le délégué des Consuls Vezin demanda au commerce un emprunt de trois cent mille francs pour les besoins de la chose publique ; l'argent se refusa[42]. Au-dessous de Lyon et sur les deux versants de la chaîne cévenole, le brigandage plus ou moins politique est toujours la plaie du pays ; des bandes vont s'attaquer au département du Puy-de-Dôme, jusqu'alors épargné[43]. Le Vivarais entier reste un repaire. Dans les Bouches-du-Rhône et les départements voisins, les rapports du commencement de brumaire avaient signalé l'ubiquité du brigandage. Ces monstres (les brigands) se trouvent au même instant partout, tellement ils sont nombreux. Ils volent les royalistes comme les républicains, mais ils n'assassinent que ces derniers. Ils ont des listes de proscription qu'ils examinent après avoir dévalisé les voyageurs, et, s'il y est inscrit, il est fusillé ou massacré. La battue n'a rien produit, vu les avis qui furent donnés deux jours à l'avance par les amis des rois[44]. A la même époque, le commissaire du gouvernement n'osait bouger d'Aix alors chef-lieu pour se rendre à Marseille, par crainte d'être enlevé en route. Deux mois plus tard, à la fin de frimaire, rien n'indique que la situation se soit améliorée, malgré la présence du délégué Fabre de l'Aube. Le commissaire écrit que la tranquillité régnerait dans le pays si nous pouvions nous défaire des brigands royaux qui commettent toujours de nouvelles horreurs... Le 22 frimaire, dix-sept brigands habillés très proprement, ayant de faux visages, arrêtèrent au passage de la Geneste une quarantaine de voyageurs[45]. Marseille était comme investie de bandes assez bien organisées qui pillaient en un jour quatre voitures publiques, interceptaient les communications, terrorisaient les campagnes et parfois insultaient la ville. II existait dans le Midi une cause particulière de désordre, c'était le contact avec l'armée d'Italie, qui déversait continuellement sur le pays une populace de déserteurs, prêts à s'unir aux bandes de pillards et de révoltés. Cette malheureuse armée, vaincue, refoulée, établie sous Championnet mi-partie dans l'Apennin, mi-partie sur le rebord oriental des Alpes françaises, chargée de couvrir Gênes et la Ligurie, Nice, le Var et les Alpes-Maritimes, tombait littéralement en dissolution. L'état matériel des troupes était affreux ; pour cantonnements, des sites âpres ou des villes ruinées ; devant elles, les Autrichiens harcelant nos avant-postes ; derrière elles, autour d'elles, partout, des barbets et des partisans embusqués ; le froid, la neige, et point de pain pour se soutenir ; pour comble de misère, une maladie qui ressemblait à la peste ravageait le littoral. Dans cette armée se jugeant délaissée, ulcérée de corps et d'âme, il n'y avait point unanimité en faveur du coup d'État, à peine adhésion, nul enthousiasme. Certains corps approuvaient, parce que tout changement
leur donnait de l'espoir, mais ils eussent bien mieux aimé que Bonaparte, au
lieu d'imprimer à l'État une nouvelle secousse, fût venu ressusciter sa
vieille armée d'Italie. Un doute, un regret, une espèce de rancune percent
dans cette lettre d'un capitaine de la division Vatrin. 2 frimaire. Nous avons reçu hier la nouvelle des
événements de Paris ; les soldats l'ont vu arec plaisir ; ils espèrent que
Bonaparte changera leur position ; j'en ai entendu faire des réflexions
étonnantes par leur profondeur. Sans doute, ceux qui ont dirigé ce changement
le croyaient nécessaire ; sans doute aussi ils le croyaient l'infaillible
remède des maux de la patrie. S'il en est ainsi, j'admirerai le dévouement
qui les a portés à l'effectuer et à se charger du gouvernement, mais Bonaparte
eût été si utile à l'armée ![46] D'autres corps prirent une attitude presque ouvertement séditieuse. Près de Gènes, la 3e demi-brigade montra de telles dispositions que le colonel Mouton, malgré les ordres formels de Championnet, n'osa lui demander le serment exigé par les Consuls. De l'avis de tous les chefs, les soldats se seraient refusés à le prêter[47]. Trois demi-brigades de la garnison de Gênes, les 3e, 17e et 55e, crièrent leur intention de rentrer en France, emportant leurs drapeaux ; comme les officiers leur rappelaient ce qu'elles devaient à leur glorieux passé : Nous étions alors des patriotes, répondaient les hommes ; aujourd'hui, nous sommes des soldats français qui ne veulent pas rester sans vêtements ni chaussures, ni mourir de faim loin de la patrie. — Soit, leur répliqua le général Saint-Cyr, partez avec vos drapeaux ; je reste avec vos officiers[48]. Cette voix calme parut celle même de l'honneur, et il n'est pas de soldats français pour y résister longtemps ; les trois demi-brigades s'apaisèrent. Mais les divisions Lemoine et Victor désertaient en corps, refluaient tumultueusement vers la frontière, encouragées par le mauvais vouloir des chefs, par l'indiscipline et l'hostilité de leurs propos. Un peu plus tard, quand Masséna viendra prendre le
commandement, il écrira de Nice à Bonaparte : L'esprit
de l'armée n'est pas du tout en faveur des journées des 18 et 19 brumaire.
Dans les divisions Victor et Lemoine, l'opinion se prononce fortement contre
elles. On tient hautement des propos injurieux contre le gouvernement ; ces
deux chefs en donnent publiquement l'exemple. C'est ainsi qu'ils disent que
les soldats n'ont pas tort de quitter leur poste, puisqu'on ne leur donne pas
de pain. Je ferai exercer dorénavant une police sévère et les séditieux
seront arrêtés. Ce que je viens de dire se lie d'une manière assez directe
aux dernières insurrections de l'armée...[49] Les autres armées n'étaient pas totalement acquises. Celle d'Helvétie, la grande victorieuse, avait cessé de former une unité distincte, depuis qu'il n'existait plus devant elle d'ennemi debout ; ses principaux éléments s'amalgamaient avec les débris de nos armées du Danube et du Rhin. Maintenant, depuis Constance jusqu'à Strasbourg, en face des Autrichiens de Bavière et de Souabe, une ligne de troupes se formait le long du Rhin, destinée à se mouvoir sous une seule main, et ce vaste commandement, le plus tentant pour un militaire français, fut confié à Moreau, qui reçut ordre d'en prendre possession le 25 frimaire. Cette nouvelle et grande armée du Rhin, composée dans son fond des mêmes éléments que l'ancienne, comptait les plus nobles troupes de la France ; elle était énergiquement révolutionnaire, beaucoup moins dévouée à Bonaparte qu'à la Liberté. Un grand nombre d'officiers et d'hommes n'y séparaient pas le devoir militaire du devoir civique. A raison même de ses vertus et de ses passions, cette armée n'était pas aisément maniable ; de plus, malgré son stoïcisme, la misère et les privations la faisaient crier de souffrance. Moreau lui-même, mécontent du rôle subalterne et presque humiliant qu'il s'était laissé donner en Brumaire, se prêtait avec quelque hauteur et un peu de mauvaise grâce aux cajoleries de Bonaparte. L'armée de Batavie, cantonnée en territoire allié, moins mal pourvue que les autres, fière de ses succès, se montrait ombrageuse Officiers et soldats admettaient que Bonaparte fût constitutionnellement investi de la puissance exécutive ; ils n'entendaient point que la France et l'année eussent un maître. Pas de dictature, c'était leur vœu très prononcé ; sans se rendre bien compte de la chose, ils avaient horreur du mot. Le général Marmont, se trouvant en Hollande quand s'établit la constitution nouvelle, recueillit un trait caractéristique. Le vieux divisionnaire Macors, commandant de l'artillerie, l'entretint non sans inquiétude des changements survenus et de la révolution du 18 brumaire. Il finit par lui dire : Imaginez-vous, général, qu'on avait fait courir le bruit que le général Bonaparte avait été nommé dictateur. A cette nouvelle, tout le monde avait été au désespoir ; il n'en eût pas fallu davantage pour causer un soulèvement. Mais enfin le télégraphe vint à notre secours ; il nous fit connaître que le général Bonaparte était premier Consul, et nous respirâmes à l'aise[50]. Indépendamment de nos armées et en face d'elles, toute une partie de la France restait hors de France. C'était d'abord la classe émigrée, cette population de nobles fuyant et se rapprochant à mesure qu'avançaient ou que reculaient nos armées, éparse en Allemagne, en Italie, en Autriche, en Russie et en Angleterre, chassée par les souffles divers de la tempête. Ils traînaient à l'aventure, ces milliers d'émigrés, leur vie d'expédients ou d'intrigues, leur bravoure inutile et leur frivolité ; ils reniaient la France et l'adoraient quand même, et quoi de plus français au fond que ces âmes légères ! Chez ces malheureux, ce qui domine maintenant, c'est la lassitude de l'exil, le dégoût et la nausée du pain quêté à l'étranger. Qu'on leur entrebâille la porte, ils se presseront pour rentrer, ne demandant qu'un coin de terre française pour appuyer leur tête, pour reposer leurs membres endoloris par la longueur du chemin. En attendant, ils vivaient de conjectures, ne sachant qu'espérer et que croire ; à propos de l'événement de Brumaire, les augures les plus contradictoires, des horoscopes fous avaient cours. Beaucoup d'émigrés n'y voyaient qu'un nouvel accident de la Révolution, qui s'en allait de secousse en secousse vers la catastrophe finale ; pour ceux-là, Bonaparte était toujours l'homme de Vendémiaire, un terroriste plus intelligent que les autres, qui s'en irait rejoindre ses devanciers dans la fosse commune où gisaient pêle-mêle les débris des gouvernements révolutionnaires. D'autres émigrés s'imaginaient que Bonaparte, sentant l'impossibilité de se soutenir, cherchait un roi à qui faire présent de la France ; leur crainte était seulement que son choix s'égarât en dehors de la branche légitime. Saint-Priest savait à n'en pas douter que l'on offrait la couronne à un infant d'Espagne ; la cour de Berlin prêtait les mains à la chose[51]. Mais un grand nombre de fidèles, hantés par la folie des rapprochements historiques, affirmaient sans hésiter que Monk allait revivre en Bonaparte ; ils annonçaient chaque jour pour le lendemain la restauration. Dans la petite ville de Schöngau, en Bavière, où avait reflué l'armée de Condé après les désastres de Suisse, officiers et soldats chansonnaient les députés en fuite. Là, dans l'un de ces salons nomades que l'émigration créait autour d'elle, tout le monde se félicitait de l'événement d'heureux présage, quand une femme d'esprit dit le mot juste : Bonheur peut-être pour la France, mais pas pour nous. La France n'aura plus besoin du Roi, puisque Bonaparte va lui donner le repos[52]. Et Mallet du Pan malade, revenu de ses erreurs célèbres sur le compte de Bonaparte, perçait l'avenir de son regard de mourant ; il voyait place pour César entre la Révolution aux abois et la contre-révolution impuissante[53]. Sans frayer avec les émigrés, d'autres proscrits erraient toujours en dehors des frontières ; c'étaient les hommes de bonne foi qui avaient mis en train la Révolution et qu'elle avait dépassés les uns après les autres, qu'elle avait piétinés et durement rejetés : les ex-constituants du genre de Malouet et de son école, ceux qui n'avaient jamais voulu aller au delà d'une royauté à l'anglaise et du système des deux chambres ; La Fayette, les Lameth et leurs amis, proscrits lors du 10 août, après avoir cru trouver dans la constitution de 1791 le terme définitif de la Révolution et la liberté intégrale ; les fructidorisés enfin, frappés en 1797 pour avoir voulu modérer la République ou n'en faire qu'un régime de transition. La plupart de ces groupes s'incorporeraient bientôt au gouvernement consulaire ; ils différaient encore d'avis et de tendances. Les fructidorisés attendaient leur rappel, mais trouvaient que cet acte de justice tardait à venir. La Fayette et ses pareils, partageant les illusions de. Mme de Staël, se montraient ravis ; ils se figuraient que Bonaparte avait vaincu pour eux, que les baïonnettes avaient rouvert le chemin aux principes, et que dans l'après-midi du 19 brumaire, au milieu de la bagarre de Saint-Cloud, la liberté proscrite était rentrée par effraction. De Hambourg, Alexandre de Lameth écrivait à Mme de Staël : J'attendais pour vous répondre de vous savoir à Paris, mais les papiers publics nous annoncent que vous y êtes arrivée le jour du triomphe de Bonaparte, que nous croyons être aussi celui de la liberté. Si le rétablissement d'un gouvernement légal est son ouvrage, il aura mérité, plus encore que Fabius, qu'on mette au bas de sa statue : Tu maximus ille es Unus qui nabis... restituas rem. ... Nous sommes ici dans
l'attente des grands changements qui vont avoir lieu en France, et ne doutant
pas qu'on ne ramène la République à des principes de modération et de
justice, nous conservons l'espoir de voir bientôt se réaliser votre souhait
pour le partage des bons et des mauvais. Buonaparte est trop grand pour
vouloir et pouvoir se soutenir sur un autre terrain que celui de la justice,
et il n'aura pas dit en vain que le temps était venu où les premiers amis de
la liberté lie devaient plus être confondus avec ses ennemis. Puisse luire
enfin cet heureux jour, que mon cœur se flatte que vous trouverez tel, et que
vous avancerez s'il est en votre pouvoir ! Huit ans de captivité ou d'exil
sont une terrible lacune dans la vie, ou plutôt un supplice bien prolongé ;
mais si nous pouvons revoir notre patrie, nos amis, notre famille, la trace
du malheur sera bientôt effacée[54]. On a vu que La Fayette aspirait impatiemment à rentrer en France. A la première nouvelle des événements, il n'y tint plus, passa la frontière et poussa droit à Paris. Il s'étonna d'y trouver d'abord un accueil méfiant et presque sévère, la recommandation de se révéler le moins possible. Bonaparte craignait-il que cette vieille popularité ne nuisît à sa jeune gloire ? Il est à croire surtout que le Consul, désirant rappeler les proscrits, n'admettait point qu'ils rentrassent d'eux-mêmes et par rupture de ban ; ces démarches intempestives le gêneraient dans sa politique de temporisation à l'égard des proscripteurs et l'obligeraient, comme il le disait lui-même, à serrer le vent[55]. Pour les révolutionnaires authentiques qui formaient toujours l'escorte consulaire, La Fayette était trop libéral et pas assez républicain. A se reporter dans l'intérieur et à considérer l'état des partis, on doit constater que le Consulat provisoire, par sa précaution de rester à gauche, réussissait à se rallier la grande majorité des républicains. Les sages du parti et les assagis, les républicains restés ou redevenus hommes d'ordre, les modérés de gauche, avaient lieu de se réjouir ; c'était en leur nom et en se plaçant sur le terrain de leurs intérêts que Bonaparte avait agi. A la vérité, tous les gens de cette espèce, en province autant qu'à Paris, n'étaient pas uniquement d'âpres conservateurs de leur situation et de leurs biens. Il y avait parmi eux des esprits désintéressés et sincères, désireux de concilier avec l'ordre la liberté, le système représentatif, le progrès philosophique. Ceux-là, dégottés du Directoire et de ses hontes, appelant une réforme, s'étaient d'abord offusqués du procédé réformateur et avaient trouvé qu'à Saint-Cloud le sabre s'était par trop mis en évidence. Cependant, les députés de leur parti, leurs représentants naturels, avaient participé ou adhéré à l'acte péremptoire, et quelques-uns de ces députés croyaient devoir aujourd'hui des explications à leurs commettants ; ils envoyaient dans les départements des lettres publiques, des manifestes, où ils faisaient l'apologie du coup d'État et se justifiaient d'y avoir concouru. La situation antérieure, disaient-ils, était intolérable ; il n'y avait plus de constitution ni de liberté ; la République mourait de la gangrène. S'associer à ce qui avait été fait, c'était la seule chance qui restât de sauver la Révolution et de la remettre en meilleure voie. Quant au résultat final, on devait espérer qu'il tournerait à l'avantage des principes, que la constitution future donnerait à cet égard toutes garanties, qu'on allait avoir enfin la vraie république. Sur ces conséquences, les députés et hommes publics se livrant au jugement de leurs concitoyens se montraient pourtant un peu moins affirmatifs. Ils ne garantissaient que leurs intentions et paraissaient prêts, suivant que l'avenir leur donnerait raison ou tort, à se glorifier ou à se frapper la poitrine. Le Couteulx de Canteleu, président de l'administration parisienne, avait dit le premier dans un discours public, après avoir hautement loué Bonaparte et auguré favorablement de l'avenir : Si les événements trompaient mes intentions et mes efforts, je dépose ici d'avance en vos mains, mes concitoyens, mon acte d'accusation et l'arrêt de ma honte et de ma mort. Laussat (des Basses-Pyrénées), Lapotaire (du Morbihan), Armand (de la Meuse) exprimaient les mêmes réserves, mais se hâtaient de les écarter[56]. Non, Bonaparte ne sera pas un tyran ; son passé, sa pure gloire, son excellent entourage, répondent de lui ; il ne s'est affranchi de formes pseudo-légales que pour créer une légalité véritable, définitive, à la place d'institutions qui se sont détruites d'elles-mêmes. Et comme depuis Brumaire le gouvernement se recommandait de promesses et de pratiques libérales, comme rien ne ressemblait moins en somme au triomphe net et brutal du principe d'autorité que ce lendemain de coup d'État, comme d'ailleurs personne, par ce temps d'universelle lassitude, n'était fort exigeant en fait de garanties, il n'en fallait pas davantage pour rassurer en province l'opinion républicaine modérée et le rationalisme bourgeois. C'était contre l'autre moitié du parti républicain, contre les Jacobins et démagogues, que le coup de force s'était accompli ; mais Bonaparte, au lendemain de sa victoire, avait déclaré qu'il n'y avait point de vaincus, qu'il n'en voulait pas connaitre. Aux députés exclus, aux Jacobins qui manifestaient le moindre repentir[57], il accordait très volontiers des compensations, des emplois profitables et obscurs ; il laissait rentrer par cette porte basse ceux qu'il avait jetés par les fenêtres. Cette façon de les amnistier avait de quoi calmer l'irritation, panser la plaie d'hier, et l'épée de Bonaparte prenait un air de ressemblance avec la lance d'Achille, douée du merveilleux pouvoir de guérir les blessures qu'elle avait faites. Comme parti, les Jacobins se rendaient compte que leur règne était fini, mais s'apercevant que le Consulat s'obstinait moins contre leurs personnes que ne l'avait parfois fait le Directoire, ils espéraient que la culbute de Saint-Cloud les laisserait individuellement retomber sur leurs pieds. Contenu à la fois et ménagés, se voyant en face d'un homme qui traiterait militairement toute tentative de résistance et qui d'autre part n'excluait personne, ils ne lui tenaient pas rigueur. San doute, les fonctionnaires révoqués, certains clubs de province, les membres des affiliations babouvistes hurlaient en sourdine. Quelques démocrates plus marquants, convaincus et perspicaces, plaignaient le sort de la République tombée aux mains d'un ambitieux, mais ils gémissaient obscurément, semblaient surtout se désintéresser des affaires publiques et se retirer sous leur tente[58] ; d'autres se bornaient à exprimer des doutes et s'en remettaient à cette justice qui a toujours atteint les ambitieux et les traîtres[59]. La masse des cupides ne demandait qu'à se précipiter sous le joug, pourvu qu'on ne le rendit pas tout de suite trop apparent et rigide. Il y avait ainsi, au profit du Consulat naissant, comme une concentration de républicains très différents qui acceptaient le fait accompli dans ses conséquences premières. Les royalistes, par contre, se sentaient déçus par leur impatience réactionnaire. Les sévérités surtout verbales exercées contre eux, le soin pris par les Consuls de maintenir en principe les lois révolutionnaires et de déclarer ce bloc intangible, leur ôtaient l'impression d'un changement très appréciable ; ils disaient tristement : C'est encore la république de la Révolution et non une république nationale[60]. La plupart continuaient cependant d'espérer ; ils jugeaient que le pouvoir nouveau, né d'un mouvement antijacobin, finirait tôt ou tard par céder à l'impulsion de ses origines, et que, malgré tout, la réaction était en marche. Pour le moment, ils restaient en observation devant Bonaparte, devant la grande énigme ; que fallait-il penser de cet être extraordinaire et hybride ? Un correspondant de Condé le décomposait ainsi : Un tiers de philosophe, un tiers de Jacobin, un tiers d'aristocrate[61]. Il ajoutait : Pas un atome de royaliste, et il pensait cependant que l'usurpation préparerait le retour du souverain légitime en rendant aux Français l'habitude d'obéir à un maitre. D'autres s'imaginaient que Bonaparte cachait son jeu, s'acheminait vers une restauration par voies obliques et détournées. Chacun faisait sur lui son roman. Ce doute universel sur ses intentions le servait, en laissant subsister les espoirs les plus opposés. En dehors des royalistes francs, il y avait ce que nous nommons aujourd'hui les simples conservateurs, les modérés de droite, rattachés au passé par leur origine et leurs mœurs, mais ne répudiant pas l'œuvre entière de la Révolution, assez libéraux, peu républicains, disposés néanmoins à se contenter de tout gouvernement qui replacerait la société sur ses véritables bases. Ceux-là, après un premier moment d'épanouissement et de détente, suspendaient leur jugement. Ils discutaient entre eux, supputaient les chances futures. Traités depuis longtemps en vaincus et en suspects, écartés des affaires, ils n'étaient jamais arrivés à s'en désintéresser totalement, à ne plus parler de politique. Maintenant, dans les milieux de province, dans les salons de petites villes, dans les domaines ruraux où ces demi-royalistes abritaient leur existence rétrécie et précaire, on ne causait que de Bonaparte ; il détenait les imaginations, mais ne maîtrisait pas encore les i convictions. Si les optimistes affirmaient qu'il avait reçu par attribut du génie la faculté de remédier à tout, d'autres se refusaient à reconnaître en lui l'homme de la solution. Puisque à peine élevé au pouvoir il prenait à tâche de se rallier surtout les républicains et venait de donner un coup de barre à gauche, n'allait-il pas se réconcilier quelque jour avec les francs Jacobins, retomber dans l'ornière. Puis, pour avoir reçu en partage le génie militaire et le don de victoire, était-on en même temps grand homme d'État ? Bonaparte appelé à débrouiller le terrible héritage de la Révolution, à liquider cette immense succession, ne succomberait-il pas sous les difficultés de la tâche ? Voilà ce que se demandaient des hommes d'esprit et de valeur, ceux qui entreraient plus tard clans le gouvernement consulaire et feraient le meilleur de sa substance. L'accord avec cette portion importante des forces conservatrices n'était nullement opéré M. de Barante, futur préfet du premier Consul, écrivait d'Auvergne à son fils, élève à l'École polytechnique, cette lettre toute d'objections et de réserves : ... On n'est pas héros pour avoir fait sauter par les fenêtres un troupeau de représentants et pour avoir, avec des baïonnettes, usurpé le pouvoir sur des hommes qui n'avaient aucune force militaire et que l'opinion ne protégeait pas... Lorsqu'on a, comme Cromwell, chassé les orateurs et les démagogues, il faut savoir ou pouvoir régner comme lui. Cromwell prenait les rênes d'un gouvernement que personne n'inquiétait et ne pouvait inquiéter au dehors. Il n'y avait pas même un germe possible de guerre étrangère. Il avait beaucoup de connaissances et d'habitude des factions intérieures. L'armée entière était à lui, et l'armée depuis quatre ans avait joué le principal rôle de la Révolution. Ici, pas une circonstance n'est la même, et si la paix n'est pas faite avant un mois... toutes les adulations n'empêcheront pas que le héros ne tombe, et ne tombe chargé de ridicule tout au moins. On se venge des espérances
trompées par la haine, le mépris, le dénigrement. Cela est arrivé sans cesse
depuis six ans. Tous les faiseurs de révolutions ont été encensés tant qu'on
a cru que le changement opéré tournerait à profit à tout le monde. Que de
louanges données à ce vil Tallien tout dégouttant des meurtres de Septembre,
tant qu'on a cru que son 9 thermidor amènerait l'ordre, la paix, la justice,
et comme on s'en est dédommagé ensuite ! Merlin lui-même, après le 18
fructidor, n'a-t-il pas eu ses partisans de très bonne foi ? Dans notre
révolution, il a toujours suffi de chasser ceux qui étaient en place pour
bien mériter de tout le monde au moins pendant quinze jours. La grande
affaire est de se conserver, de dénouer le drame avec gloire et profit pour
soi et à la satisfaction de tous. Le problème est encore à résoudre, et je
souhaite que B..., entouré de métaphysiciens
politiques et de savants de l'Institut, nous en donne la solution tant
désirée et si longtemps attendue. Je ne l'ai jamais autant espéré que
d'autres que je sais, soit parce que j'ai mesuré les difficultés, soit parce
que je n'estimais l'homme tout à fait à si haut prix que ses enthousiastes
admirateurs...[62] M. de Barante, il est vrai, à la fin de ce qu'il appelle lui-même une furieuse tirade, semble s'accuser d'un peu trop de pessimisme ; il reconnaît que les hommes du jour valent mieux que leurs devanciers : au moins a-t-on écarté des bêtes bien venimeuses, et les illustres compagnons qui vont régner à leur place sont d'une espèce plus noble et d'une nature meilleure. Nous avons toujours gagné cela. Mais il avait écrit auparavant : Je ne vois malheureusement encore dans tout ce qui se fait qu'un changement d'acteurs et non un progrès d'action. L'adhésion venait surtout d'en bas ; elle venait des couches profondes de la population et allait à Bonaparte personnellement, sans se préoccuper de ses collègues et de ses entours. Son parti à lui, parti en formation, c'est toute la France dégoûtée de politique et aspirant à n'en plus faire, la France des laborieux et des simples, l'innombrable masse des petits propriétaires, les gens de demi-bourgeoisie, les gens d'industrie et de culture, le vrai peuple qu'il ne faut confondre ni avec la tourbe jacobine ni avec la démagogie de droite. La force de Bonaparte, ce sera de devenir l'opinion de ceux qui n'en ont pas ou qui n'en ont plus. Ces gens de travail et de paix n'ont encore obtenu de lui aucune satisfaction bien positive ; ils l'aiment néanmoins, parce qu'ils aiment en lui leur espoir ; ils lui sont reconnaissants de ce qu'ils en attendent ; à défaut de réels moyens d'action, sa colossale réputation le soutient et inspire quelque confiance dans les œuvres futures. Confiance fragile encore, confiance craintive, car on a été trop souvent dupé par des apparences de salut pour ne pas redouter de nouvelles déconvenues ! Aussi ne voit-on rien du débordement d'enthousiasme qui suivra les grandes réalisations, et ce n'est plus le délire d'espérance qui avait accueilli le début de la Révolution et ses premiers prestiges. Le peuple sent pourtant qu'au milieu de l'universelle décomposition, dans le désarroi des idées et la déroute des théories, on a chance maintenant de pouvoir se reprendre à quelque chose de concret et de fort. Les raisonneurs, les politiques, les fonctionnaires, les littérateurs, se figurent volontiers que Sieyès est la tête et la pensée du gouvernement, qu'il va savamment combiner l'avenir ; certaines administrations locales, dans les actes publics, nomment Sieyès avant Bonaparte[63]. L'instinct populaire ne s'y trompe point ; il pressent et discerne le véritable chef, celui qui saura commander. Le général Lannes, après avoir achevé sa tournée dans le Sud-Ouest et interrogé toutes les classes de la population, écrivait à Bonaparte : Quel que soit le mérite de ceux qui ont partagé le péril et la gloire, dans tous les pays que j'ai parcourus, on ne crie ni Vive Moreau ! ni Vive Sieyès ! mais Vive Bonaparte ! Ceux qui vous aiment de cœur, hommes qui vous idolâtreront si vous donnez la paix, sont les paisibles, les propriétaires, la masse de la nation, tous victimes des mouvements politiques excités par les ambitieux[64]. Au Sud, à l'Est, au Nord, dans l'immensité des campagnes toujours agitées de sourds frémissements, dans l'infinité des villes encore mal protégées contre les vexations jacobines ou les menaces contre-révolutionnaires, un sentiment de rassurance renaît cependant, parce qu'un point de lumière brille du côté de Paris et qu'il est de partout visible ; dans la nuit de misère où la France reste plongée, des millions de regards se tournent vers le phare d'espérance qui se lève au centre. II A l'Ouest, l'horizon s'éclaircissait. C'est pendant les jours immédiatement antérieurs à Brumaire que la révolte royaliste avait battu son plein. Il est nécessaire de revenir sur cette crise pour montrer quelle situation les Consuls provisoires avaient trouvée devant eux, quelle part revient à leurs prédécesseurs et à eux-mêmes dans l'œuvre d'apaisement. Lorsque la révolte organisée eut éclaté, les républicains connurent dans l'Ouest des revers qu'ils n'avaient pas essuyés depuis la grande guerre de Vendée. Au lieu de simples bandes multipliées et renforcées, maîtrisant les campagnes, on vit surgir de grosses masses qui se ruaient sur les villes, moins pour s'y établir à demeure que pour s'y ravitailler en munitions et en armes, pour répandre la panique et tout désorganiser. Au centre du Maine, Bourmont fut le premier sur pied avec son monde. Pendant la nuit du 22 au 23 vendémiaire, la fusillade éclate dans les rues du Mans ; trois colonnes de Chouans ont forcé les portes et se jettent à plein dans la ville ; ils envahissent la maison commune, les casernes, l'arsenal, prenant les canons, enlevant ou brisant les armes, bouleversant les papiers, délivrant les détenus. Les soldats de la garnison, surpris, tiraillent au hasard ; fusillés dans les rues, fusillés par les fenêtres, ils ne peuvent que se faire jour, sauver le drapeau et sortir de la ville, laissant derrière eux le général Simon blessé à mort. Bourmont eut trois jours le Mans à sa merci et y passa la revue de son armée. Dans la région de la basse Loire, Châtillon et ses hommes faisaient irruption. Le 27 vendémiaire, par une nuit sans lune et un épais brouillard, ils se lancent dans Nantes et se poussent jusqu'aux places centrales, s'entraînant les uns les autres, criant : Vive le Roi ! Rendez-vous ! Rendez-vous ! En avant, les gars, en avant !...[65] Les soldats républicains, les fonctionnaires, les bourgeois éveillés par le tumulte et sortant j éperdument, se mêlent à la lueur des coups de feu. Avant le jour, les Chouans se tirèrent de la bagarre et sortirent de la ville, n'avant fait que commettre des dégâts et délivrer quelques prisonniers. Mais leur coup d'audace retentit au loin ; tout le pays entre la basse Loire et la Vilaine leur appartint désormais. Plus haut sur la Vilaine, autour de Fougères, La Prévalaye ranimait un grand foyer d'insurrection, sans réussir à soutenir le mouvement sur le Mans et Nantes par l'attaque de Rennes. Dans le Morbihan, Cadoudal et ses divisions préparées de longue main opéraient. La tactique nouvelle de ces Chouans était la même qu'ailleurs : foncer en masse. Ils tentèrent l'attaque de Vannes et la manquèrent ; un millier d'entre eux se rabattit sur Saint-Brieuc et y domina toute une nuit. Plus loin, Dinan, Saint-Servan, Saint-Malo tremblaient, se resserraient dans leurs murs. Redon capitula devant un corps de Chouans ; la Roche-Sauveur, Nozay, Bain, Locminé, furent forcés et momentanément occupés ; les cantonnements, les postes républicains se voyaient noyés dans un flot d'insurgés. Aux deux extrémités de la ligne des hostilités, en Vendée et en Normandie, les armes de la République étaient un peu moins malheureuses. En Vendée, Autichamp commandait au nom du Roi à six ou huit mille hommes ; s'apercevant qu'en ces districts le mouvement était tout de surface, ne retrouvant plus l'enthousiasme d'autrefois, il se battait surtout par obéissance ; le 11 brumaire, un gros d'insurgés fut mis en déroute par Travot au combat de Saint-Aubin-du-Cormier. Le bas Poitou fourmillait cependant de bandes qui se reliaient aux corps du Maine, de l'Anjou et de la Bretagne. En Normandie, Frotté débarqué près de Bayeux avait fait une convocation générale et passé la revue de ses hommes immédiatement disponibles, mais il ne guerroyait encore que par détachements. L'un de ces groupes échouait devant Vire, d'autres menaçaient Mortain, Villedieu, Avranches, Falaise ; Alençon et le département de l'Orne restaient à découvert, la Manche entamée, le Calvados sourdement miné. Le caractère de cette vaste prise d'armes, ce qui la différencie des précédentes, c'est un effort des chefs pour organiser leurs troupes, pour faire une guerre réglée. La chouannerie est autre chose maintenant qu'au temps de la Convention et de Hoche ; au lieu d'un pullulement de paysans en armes, agissant sous des chefs anonymes, grossiers et incultes comme eux, c'est une guerre de gentilshommes, d'émigrés rentrés, menant au combat des formations d'enrôlés ; comme telle, elle présente plus d'aspect et moins de fonds. Sur presque toute l'étendue de la zone insurgée, on voit des réquisitions et des levées régulières, quelques tentatives pour empêcher les excès par trop odieux, le maintien des autorités campagnardes sous la condition d'obéir aveuglément, la perception de l'impôt royal et de la dîme, un vaste réseau d'espionnage enlaçant le pays ; çà et là, des états-majors à panaches blancs et à croix de Saint-Louis, des troupes se déployant en ligne, des corps en uniforme, avec fifres et tambours, avec un peu de cavalerie. Ce n'est pas que les armées catholiques-royalistes soient continuellement sur pied et en action ; s'il y a des rassemblements permanents, la plupart se forment et se dissolvent selon les circonstances, d'après un ordre méthodique. Par un système de mobilisations instantanées, chacun des principaux chefs se trouvait disposer au moment voulu d'une véritable armée, réunie en vue d'une opération spéciale ; c'est ainsi qu'ils avaient pu s'attaquer aux villes et frapper de grands coups. Malgré la puissance d'élan dont ils venaient de faire preuve, ces chefs sentaient qu'ils avaient mal. choisi leur moment ; les affaires de la République s'étant brillamment rétablies au dehors, la révolte auxiliaire de la coalition restait hasardée et en l'air. Après Zurich et Bergen, quand un souffle de modération et un désir d'apaisement avaient traversé à Paris les milieux politiques, le Directoire avait nommé dans l'Ouest un nouveau général en chef, auquel Sieyès avait glissé à demi mot l'autorisation de négocier ; ce général était Hédouville, officier de l'ancienne armée, très conciliant, trop conciliant peut-être, gardant au fond pour les gentilshommes insurgés des sympathies d'homme de leur monde[66]. Il avait reçu des instructions officielles rigoureuses et en même temps des pouvoirs très larges[67]. Dès qu'il se fut établi à Angers, où il transféra le quartier général, il se chercha des intermédiaires auprès de Châtillon, qui guerroyait sur la basse Loire. Une dame Turpin de Crissé avait joué un rôle dans les pacifications antérieures. Pour échapper à la loi des otages, elle venait de fuir Angers et s'était cachée dans un château au fond des bois. Hédouville la fit rechercher ; entre cette royaliste désabusée et ce républicain fort tiède, le contact s'établit facilement. Mme Turpin de Crissé déclara que le soulèvement actuel s'était fait surtout en haine de la loi des otages et de la persécution religieuse ; elle promit de s'employer. Sur ces entrefaites arriva la nouvelle des événements de Brumaire. Dans les villes, dans les bourgs encore occupés, les autorités lui donnèrent toute la publicité possible. L'effet fut double. L'armée de la République succombait alors de misère et de découragement ; les soldats désertaient en foule, passaient aux Chouans, et beaucoup d'officiers, dégoûtés de servir un pouvoir en dissolution, pactisaient à demi mot avec les rebelles ou combattaient très mollement. Lorsqu'ils virent la République se revivifier par l'infusion d'un sang jeune et tout guerrier, quand ils surent Bonaparte consul et Berthier ministre, quelque chose de l'ancienne ardeur revécut en eux[68] ; l'entrée de Bonaparte au pouvoir les refit plus républicains, arrêta le courant des défections et des compromissions. Sur l'habitant des campagnes, insurgé et royaliste, le nom de Bonaparte produisit également son effet ; c'était un adversaire que cet insigne capitaine, c'était le roi des bleus, mais tout de même un chef sous lequel on eût aimé à marcher pour faire triompher la bonne cause : la réputation du général Bonaparte est singulièrement admirée dans ces contrées. Un paysan de la Vendée disait hier, au marché de Nantes, à deux citoyens : Si nous avions eu un Bonaparte... nous aurions été les maîtres[69]. L'abrogation de la loi des otages, bientôt connue, disposa beaucoup d'esprits à la conciliation ; puisqu'un nouveau gouvernement s'instituait sous les auspices de la tolérance et de la justice, il semblait qu'on devait lui faire quelque crédit et l'attendre à ses actes. Parmi les chefs, quelques-uns obéissaient à une vue plus profonde. Partageant l'erreur fort répandue dans le parti, ils n'étaient pas éloignés de croire que Bonaparte travaillait pour le Roi ; ils jugeaient qu'on devait au moins gagner le temps de pénétrer ses intentions, et il paraît bien que le Consul, fort républicain à Paris, se garda de décourager dans l'Ouest des illusions qui le servaient infiniment. D'autres chefs, moins confiants, inclinaient seulement à se ménager un répit. Pourvu qu'on les laissât sur pied et en armes, maîtres de leurs moyens, ils ne refusaient pas d'arrêter l'effusion du sang et d'interrompre une guerre qui commençait à faire horreur à tant de monde. Aux portes d'Angers, les pourparlers continuaient entre Hédouville et Châtillon, par l'entremise de Mme Turpin de Crissé. Hédouville les poussait jusqu'à des démarches fort hasardées, jusqu'à des entrevues directes dont le secret fut surpris par d'autres officiers républicains et qui les firent crier à la trahison[70]. Les conditions de la paix n'en furent pas moins agitées ; liberté des cultes, remise d'impôts, sécurité promise à un certain nombre d'émigrés et de prêtres qui faisaient partie des bandes, voilà quelles pourraient être les bases, au dire de Châtillon. Devant ces exigences, le Consulat provisoire ne se montrait fier qu'en paroles ; il se résoudrait très difficilement, disait-il dans ses instructions à Hédouville, à traiter avec des rebelles, mais ne voyait pas d'inconvénient à leur faire de son propre mouvement quelques concessions, par mesure spontanée et bénévole[71]. Encore fallait-il savoir à quoi leurs demandes se réduiraient au juste, accueillir par conséquent des émissaires, discuter avec eux, et l'on arrivait à traiter avec les insurgés de puissance à puissance, à leur reconnaître en fait la qualité de belligérants. Pour convenir de bases précises, Châtillon, auquel s'étaient joints Autichamp et Bourmont, demandait à s'autoriser des autres commandants ; il fallait qu'une grande réunion de chefs se tint, que ceux de la Vendée, de la Bretagne et de la Normandie pussent venir conférer dans le pays de Loire-Inférieure, principal centre des hostilités et des négociations. La chose fut jugée naturelle ; les autorités républicaines ne s'y opposeraient point. En attendant, Hédouville et Châtillon convinrent le 2 frimaire-23 novembre d'une suspension d'armes ; entre le 11 et le 19, elle fut étendue successivement à toutes les fractions du pays insurgé, depuis les Deux-Sèvres jusqu'aux domaines de Frotté. Les deux partis étaient tellement mêlés, enchevêtrés, qu'il était impossible d'établir une ligne de démarcation et d'assigner des zones respectives. On décida seulement de s'abstenir respectivement de toutes marches et mouvements hostiles. On s'entendrait pour assurer la liberté des communications, la sécurité des routes. La question de savoir si les Chouans pourraient à leur aise faire des réquisitions d'hommes et d'argent fut laissée dans l'obscur. Dans cette trêve mal observée d'ailleurs, violée continuellement par des attentats et des pillages, chaque parti trouvait son avantage. Si Bonaparte y gagnait le temps de faire refluer plus de troupes vers l'Ouest et d'augmenter les moyens de répression, les rebelles obtenaient toute facilité pour recevoir par mer des subsides et des armes, pour perfectionner leur organisation et leur recrutement, pour se fortifier dans la possession des campagnes. Mais Bonaparte, tenant beaucoup à l'effet moral que devait produire sur toute la France ce commencement ou cette apparence de paix, désireux de gagner ou au moins d'amadouer tous les partis, laissait faire Hédouville. Il l'avertissait cependant de ne point se laisser amuser[72], de se mettre en mesure de conclure la paix ou de reprendre vigoureusement la guerre, de pénétrer les intentions des rebelles, et il n'admettait pas que le gros de l'hiver se passât sans que tout fût terminé dans un sens ou dans l'autre. La cessation des hostilités ne pouvait que produire à Paris une impression favorable ; elle ferait perdre de vue quelque temps le grand incendie rallumé à l'Occident et semblait éloigner la fournaise. L'heureuse nouvelle ne suffisait pas pourtant à fixer les incertitudes et les mobilités de l'opinion. Un autre objet préoccupait Paris maintenant. Une constitution avait été promise à bref délai et devait fixer les destins de la République ; pourquoi tardait-elle à paraître ? Insouciance, impatience, on a dit que le tempérament des Parisiens peut se définir par ces deux termes contradictoires ; peu leur importait ce que serait la constitution, pourvu qu'elle fût. Les journaux signalaient une faction nouvelle, celle des impatients. L'adhésion totale des intérêts demeurait en suspens ; l'ascension des fonds publics, d'abord très rapide, s'arrêtait ; le tiers consolidé, qui après Brumaire s'était élevé par bons quotidiens de quinze à vingt francs, oscillait autour de ce dernier chiffre. Observant ces symptômes, remarquant une lassitude générale du provisoire, Bonaparte voulait donner le plus tôt possible l'impression du définitif ; ce fut une des raisons qui le déterminèrent à brusquer l'œuvre constituante. |
[1] MALLET DU PAN, la Révolution française vue de l'étranger, p. 538.
[2] Archives de Chantilly, lettre du 1er jour complémentaire de l'an VIII.
[3] Lettres de Charles de Constant, p. 25.
[4] Charles DE CONSTANT, 67.
[5] Ami des lois, 13 frimaire.
[6] Charles DE CONSTANT, p. 32.
[7] Mémorial de Norvins, II, 250.
[8] Publiciste du 30 ventôse.
[9] Lettres de Charles de Constant, 63.
[10] Archives de Chantilly, lettre du 1er jour complémentaire an VIII.
[11] Journal des hommes libres, 13 frimaire.
[12] Lettres de Charles de Constant, 19.
[13] Gazette de France du 19 ventôse.
[14] Gazette de France du 19 ventôse.
[15] Lettres de madame Reinhard, 99.
[16] Vie de la princesse de Poix, née Beauvau, par la vicomtesse DE NOAILLES (non mis dans le commerce).
[17] Vie de la princesse de Poix, née Beauvau, par la vicomtesse DE NOAILLES.
[18] NORVINS, II, 250-251.
[19] Le Diplomate, 19 frimaire.
[20] Rapport publié par SCHMIDT, Tableaux de la Révolution française, III, 486.
[21] Ami des lois, 3 frimaire.
[22] Rapport de police du 28 brumaire. Archives nationales, AF, IV, 1329.
[23] Rapport de police du 15 thermidor an VIII. Archives nationales, AF, IV, 1329.
[24] Rapport du 13 thermidor.
[25] Ami des lois du 20 frimaire.
[26] Rapport de police, 15 thermidor an VII. Archives nationales, AF, IV, 1329.
[27] Voyez notamment l'Ami des lois, 13 et 20 frimaire.
[28] Correspondance de Napoléon, VI, 4394.
[29] Œuvres de Rœderer, III, 304-305.
[30] L'envoyé prussien écrivait : Nulle surveillance et nulle perquisition inquisitoriale ne se font sentir. Preuzen und Frankreich, II, 347. Les bulletins des agents de Condé reconnaissent que la police qu'on peut appeler police politique est en ce moment assez nulle. 4 nivôse. Archives de Chantilly.
[31] Voyez le Registre de leurs délibérations, publié par M. Aulard, séance du 4 frimaire.
[32] Compte rendu pour frimaire. Archives nationales, AF, IV, 1329.
[33] Lettres de madame Reinhard, 27 brumaire, 99.
[34] Rapport de police, 12 pluviôse an VIII. Archives nationales, AF, IV, 1329.
[35] Registre des délibérations du Consulat provisoire, AULARD, 22-25, 54, 61, 74.
[36] Mémoires du duc de Raguse, II, 107-108. Cf. STOURM, 53-105.
[37] Rapport cité par M. LANZAC DE LABORIE, la Domination française en Belgique, I, 311.
[38] M. LANZAC DE LABORIE, la Domination française en Belgique, I, 311.
[39] Voyez quelques-uns des rapports conservés à la Bibliothèque nationale, fonds français, 11361.
[40] Rapport de police du 24 pluviôse. Archives nationales, AF, IV, 1329.
[41] Voyez les rapports du nouveau commandant militaire, Moncey, dans l'ouvrage de M. le duc DE CONEGLIANO, le Maréchal Moncey, 102, 109.
[42] M. le duc DE CONEGLIANO, le Maréchal Moncey, 109.
[43] BONNEFOY, Histoire de l'administration civile dans le département du Puy de-Dôme, II.
[44] Archives des Bouches-du-Rhône, série L, registre 558.
[45] Archives des Bouches-du-Rhône, série L, registre 558.
[46] Archives de M. le prince d'Essling, lettre du 2 frimaire an VIII.
[47] BOURGUE, Historique du 3e régiment d'infanterie, 222.
[48] BOURGUE, Historique du 3e régiment d'infanterie, 222.
[49] Archives de M. le prince d'Essling.
[50] Mémoires du duc de Raguse, II, 108.
[51] Archives des affaires étrangères, lettres de Saint-Priest, 13 et 15 décembre 1799.
[52] Marquis COSTA DE BEAUREGARD, Souvenirs tirés du comte A. de Le Ferronnays, 97.
[53] La Révolution vue de l'étranger, 552-553.
[54] 21 novembre 1799. Archives de Coppet.
[55] Mémoires et correspondance de La Fayette, V, 156.
[56] Voyez leurs lettres citées par M. AULARD, le Lendemain du 18 Brumaire, 239. Cf. le Moniteur du 25 brumaire.
[57] Bulletin des agents de Condé, 20 novembre. Archives de Chantilly.
[58] Voyez par exemple la lettre de Robert Lindet du 3 nivôse, Amand MONTIER, 383.
[59] Voyez la lettre du conventionnel Guillemardet, ambassadeur en Espagne ; la Révolution française, numéro du 14 juin 1902.
[60] Bulletin des agents de Condé, 20 novembre. Archives de Chantilly.
[61] Bulletin des agents de Condé, 16 novembre.
[62] Archives de Barante. Nous devons la communication de cette lettre à l'obligeance de M. le baron de Barante.
[63] LANZAC DE LABORIE, la Domination française en Belgique, I, 306.
[64] Le Maréchal Lannes, par le duc DE MONTEBELLO, p. 37. A la même époque, un journal de Paris écrivait : On mande d'une petite commune du département de Seine-et-Oise qu'une bonne vieille femme de campagne a tiré de sa petite bourse jusqu'au dernier centime, l'a offert à son curé en le priant, les larmes à l'œil, de vouloir bien dire une messe pour la conservation des jours de Bonaparte. Journal l'Ange Gabriel, 26 frimaire.
[65] Rapport municipal cité par CHASSIN, III, 396.
[66] Voyez l'étude de M. Paul Robiquet, parue d'abord dans la Revue historique, sur le Général Hédouville. Cette intéressante étude est faite surtout d'après les notes inédites du général, conservées aux. Archives de la guerre. On y trouve les paroles de Sieyès à Hédouville, p. 12.
[67] Archives de la guerre, armée d'Angleterre.
[68] Voyez la lettre enthousiaste du général Grigny, citée par CHASSIN, III, 441.
[69] Lettre de Grigny, CHASSIN, III, 441.
[70] ROBIQUET, p. 15-16.
[71] Instructions du 29 brumaire. Archives de la guerre, armée d'Angleterre.
[72] Correspondance de Napoléon, VI, 4477.