L'AVÈNEMENT DE BONAPARTE

LA GENÈSE DU CONSULAT - BRUMAIRE - LA CONSTITUTION DE L'AN VIII

 

CHAPITRE V. — VICTOIRES RÉPUBLICAINES - RETOUR DE BONAPARTE.

 

 

I

Dans ce trouble général, dans cette confuse misère, que pense et où va la France ? Gouvernants discrédités, députés, fonctionnaires, membres des comités jacobins, émigrés en rupture de ban, Chouans de Vendée et de Normandie, gars bretons, chauffeurs du Midi, conscrits en révolte, quel que soit leur nombre, ce n'est pas là toute la France ; ce n'en est après tout qu'une minime partie. L'immense majorité de la population se compose de ceux qui voudraient seulement vivre et travailler, de ceux qui souffrent de cet abominable désordre sans y participer. Chez ces millions d'êtres, voit-on se former un courant d'opinion, une aspiration définie vers un principe d'ordre et d'autorité ? un état d'esprit césarien ? D'un dessein prémédité, la France cherche-t-elle l'homme, le sauveur, le maitre, le dieu, qui sera chargé de la pacifier despotiquement et de remettre toutes choses en leur place ?

Certes, jamais pays ne fut plus mûr pour la dictature que ne l'était alors la France ; elle y allait toutefois inconsciemment, par la force des circonstances plutôt que par l'accord raisonné des volontés. Depuis longtemps, des observateurs perspicaces, des témoins placés en dehors de la tourmente, ceux qui regardaient de haut et pouvaient voir de loin, annonçaient le dictateur et, sans le distinguer encore, apercevaient son ombre montant sur l'horizon. Avant de mourir, Catherine II l'avait prédit, par intuition géniale ; dès 1792, le pamphlétaire Suleau, enrôlé dans l'armée de Condé, invoquait g. un superbe et éclatant cromwélisme ; Je répète froidement que le dieu tutélaire que j'invoque pour ma patrie, c'est le despote, pourvu qu'il soit d'ailleurs homme de génie[1]. Dans le monde politique, chaque chef de parti voulait se fortifier d'un général, s'adjoindre une épée, niais il entendait rester la main qui dirigerait cette arme et subordonner le pouvoir militaire à une faction civile. Parmi ces groupes raisonneurs, à demi lettrés, hantés de souvenirs historiques, on savait que les révolutions en démence aboutissent à César, aboutissent à Cromwell, mais on repoussait avec horreur ces spectres détestés. L'idée d'un despote unique, sorti de la masse et s'appuyant sur elle, restait communément odieuse.

Ceux mêmes qui eussent accepté le despote, qui le souhaitaient peut-être, eussent rougi d'avouer ce sentiment. Le 27 fructidor, à la tribune des Cinq-Cents, Lucien avait parlé de resserrer et de concentrer le pouvoir... La dictature ! s'était écrié ironiquement quelqu'un. Et devant l'image évoquée, la réprobation avait été telle que Lucien avait dû s'expliquer, crier plus fort que les autres contre toute idée de dictature et renchérir sur la protestation unanime[2]. Paroles vaines, déclamations creuses, dira-t-on ; soit, mais nul ne comprendra la Révolution s'il ne tient compte de l'extraordinaire empire exercé à cette époque par les mots et les formules.

Dans les masses profondes et populaires, où l'on n'avait pas lu l'histoire, on ignorait ce qu'avait été Cromwell, ce qu'avait été César. La pensée de s'en remettre à un seul du salut de tous était pourtant inhérente à notre esprit latin ; huit siècles de monarchie à la romaine l'avaient développée en nous, mais en l'accaparant, en la régularisant au profit d'une race ; de chercher en dehors d'elle le despote réorganisateur demeurait très vague ; c'était un instinct qui ne s'était point formulé en doctrine, converti en passion. On peut consulter les innombrables témoignages, rapports de fonctionnaires, rapports de policiers, rapports d'agents civils et militaires, qui renseignent alors sur l'état des esprits. On ne trouvera dans aucun l'écho de ce cri si souvent répété depuis : Un homme, il nous faut un homme, c'est-à-dire un chef non pourvu nécessairement du prestige héréditaire, un citoyen issu de la masse et assez fort pour s'élever au-dessus d'elle, pour la dominer et la rassembler.

La raison en est simple. C'est Bonaparte consul et empereur qui a fait plus tard, par la magnificence tragique de son règne, par sa prise formidable sur l'esprit du siècle, l'éducation césarienne de la France. Le remède du césarisme, ce remède des grands jours d'angoisse, ce spécifique terrible, qui sauve et qui tue, c'est un legs de Bonaparte. Il l'a si profondément infusé dans les moelles de la nation que l'effet s'en fait sentir depuis un siècle par intermittences, au profit de ses héritiers ou de ses contrefacteurs. Des générations ont vécu, elles vivent encore dans l'hallucination de son souvenir ; du fond de son tombeau, il continue de susciter des Césars.

Avant son avènement, en 1'799, il était difficile à beaucoup de Français de concevoir le retour à l'ordre autrement que sous forme de restauration monarchique. Le royalisme faisait incontestablement des progrès. Tous les témoignages en conviennent. Les révoltés, les séditieux, ceux qui ne veulent point aller à la guerre, les femmes qui veulent aller à la procession malgré les gendarmes, tout ce monde crie : Vive le Roi ! C'est le cri d'opposition, sinon de conviction. Par horreur du présent, on invoque le passé. Qu'on donne à cette France une république appropriée à ses besoins, respectueuse de celles de ses traditions restées vivantes et conforme à ses tendances nouvelles, à son instinct devenu foncièrement égalitaire, elle l'acclamera ; mais on a donné le nom de république aux institutions, aux mesures, aux hommes qu'elle abhorre. Le contraire de république, c'est royauté ; le Directoire ne peut être chassé que par un roi ; ayons donc un roi...[3] Puis, dans beaucoup de cervelles populaires, par un raisonnement naturel, l'idée de royauté se lie à l'idée de paix, à la cessation de l'état de guerre avec l'Europe monarchique. La République avait tout conquis, sauf la paix ; elle était en train de tout reperdre, et l'on n'apercevait plus avec elle le terme de cet effort pénible, harassé, dont se mourait la France. Accepter un roi, ce serait tout de même une façon d'en finir ; on se faisait à cette idée.

Dans certains pays, on dit : Tout va finir, nous allons avoir un roi, ce n'est pas la peine de faire partir les conscrits[4]. Dans l'Yonne, l'Allier, les conscrits refusent de partir, en criant : Vive le Roi ![5] C'est au même cri qu'éclate à Châlons une mutinerie dans le bataillon auxiliaire[6]. Dans le Midi, les soldats des dépôts disent que nous ne pouvions plus nous passer d'un roy[7]. On vient d'apprendre qu'à Tarascon les chasseurs du 13e régiment ont fait entendre des cris séditieux la veille du jour correspondant à la Saint-Louis[8]. A Paris même, la contre-révolution travaille les faubourgs ; dès messidor, une adresse des Français au priée de Condé a circulé clans le faubourg Marceau. Quelques ouvriers, dans les tavernes sur le chemin de Belleville, attendent la suppression de toutes les institutions républicaines ; ailleurs, les marchands se disaient confidentiellement que c'était pour la Saint-Louis le rétablissement de la royauté et se promettaient à cette époque meilleure chance pour le commerce. Jusqu'en des groupes militaires, entre dragons et chasseurs attablés le décadi dans les guinguettes et buvant, des propos contre-révolutionnaires se tiennent, et dans les rues de Paris les marchandes de fleurs crient : Qui veut cinq bouquets pour un louis[9].

Le Directoire s'aperçoit du péril ; le 17 fructidor, il lance une proclamation dirigée exclusivement contre le péril de droite. Faisant appel aux sentiments bas, exploitant la peur, il dit, répète qu'une solidarité existe entre tous les Français avant participé à un degré quelconque aux actes de la Révolution, qu'ils seront tous exposés, en cas de réaction, aux mêmes représailles, aux mêmes vengeances ; pour caractériser ces supplices, il trouve des mots forts, des expressions effrayantes, et l'insistance de son langage donne la mesure de ses craintes.

Faut-il en conclure que la France fût alors en majorité royaliste ? Tout au plus peut-on dire qu'elle était en train de le devenir. Si l'anarchie directoriale et les victoires de l'étranger se fussent prolongées, il est possible que la plus grande partie de la France eût tourné au royalisme, quitte à redevenir violemment révolutionnaire dès qu'elle aurait revu la royauté blanche et ses excès. A la fin de l'an VII, elle eût vraisemblablement accepté la royauté ; certainement, elle ne se fût pas levée en masse pour la rétablir.

En dehors de minorités acharnées, chez les royalistes mêmes, chez ceux qui le sont d'inclination et de tendance, l'égoïsme individuel domine, l'esprit d'entreprise et de sacrifice fait défaut ; suivant le mot d'un général républicain commandant au Havre, le parti opposé ne ferait pas la dépense de trois francs pour opérer une réaction[10]. A Paris, pour toute entreprise violente, on n'aurait pas trouvé, sur six cent mille bienveillants, six coopérateurs[11]. Le peuple est inerte et prostré. Stagnation des esprits, dépérissement des volontés, disparition du (c civisme, délaissement de la chose publique, indifférence pour le sort des institutions, insouciance, apathie, voilà les mots qui reparaissent incessamment, comme une plainte invariable et monotone, dans les rapports d'agents. La masse subira les événements et ne cherche plus à les faire ; incapable de vouloir et même d'espérer, tombée à une sorte d'hébétude, elle n'attend plus le salut de nulle part ni de personne. Pourtant, un être extraordinaire a traversé l'espace, fulgurant météore, et a fasciné les imaginations ; il a rempli un instant le vide immense qui s'est fait dans la pensée française. Cet homme a disparu ensuite ; son souvenir est resté. Il n'existe qu'une réputation vraiment hors de pair, incomparable, colossale, celle de Bonaparte. Les bulletins de ses victoires sont encore affichés sur les murs de toutes les communes. Son nom a pénétré jusqu'aux plus humbles chaumières des plus ignorants villages. On le connait surtout comme grand capitaine, mais on sent confusément que tout irait mieux si cet homme était là. Que n'est-il là ! L'écrivain Fiévée, retiré aux environs de Reims, causait souvent avec les paysans. Tous lui demandaient si on avait des nouvelles du général Bonaparte et pourquoi il ne revenait pas en France ; jamais aucun ne s'informait du Directoire[12].

L'ennemi du dehors avançait toujours. En Hollande, l'armée anglo-russe gagnait du terrain, refoulant nos forces ; elle poussait sa pointe par l'étroite province qui s'étend entre le Zuyderzée et la mer, par la Nord-Hollande, et s'approchait d'Amsterdam. En avant du Rhin, un retour offensif des Français avait échoué. L'armée de l'archiduc Charles remontait le fleuve par la rive droite, s'emparait de Manheim, tête de pont française au delà du Rhin, et menaçait Mayence. En Italie, les Autrichiens de Mêlas, tout en guerroyant contre notre armée de Ligurie, commençaient à peser sur le département des Alpes-Maritimes, inondé de révoltés et de barbets. Plus haut, ils reconnaissaient, tâtaient les passages des Alpes.

Cependant, notre situation ne serait irrémédiablement compromise que si les républicains perdaient la Suisse, ce massif de cimes et de glaciers inséré entre l'Allemagne et l'Italie, ce bastion proéminent, cette grande place d'armes d'où nos soldats pourraient toujours paralyser les deux invasions imminentes, en inquiétant leurs flancs. Les coalisés avaient fini par le sentir. Après beaucoup de tergiversations et de discordes, ils s'étaient décidés à un grand effort en Suisse. Les trente mille Russes de Korsakof, les vingt-cinq mille Autrichiens de Hotze et de Jellachich pressaient Masséna entre Zurich et Lucerne ; Souvorof, remontant de Milan vers le Nord, se jetait dans les Alpes avec vingt mille hommes et essayait de tomber sur les derrières de notre armée. S'il réussissait à prendre Masséna entre deux feux, à l'écraser, à opérer sa jonction avec Korsakof et Hotze, nul obstacle n'arrêterait plus sa marche entreprenante ; entré vainqueur à Lucerne, il serait le lendemain à Bâle, le surlendemain au seuil de l'Alsace, et par la trouée de Belfort, par cette fissure de nos frontières, se coulerait en Franche-Comté, où le parti royaliste était nombreux, organisé, impatient.

Nos départements frontières sentaient le péril. L'Alsace, le Dauphiné, la Provence, commençaient à craindre. Souvorof et ses Russes occupaient terriblement l'imagination populaire ; on se les figurait des géants barbares, invincibles, irrésistibles, la grande réserve du Nord s'abattant sur la France. Nos paysans comprenaient que l'invasion étrangère serait pour eux la calamité suprême, mais où étaient la confiance, l'ardeur nécessaires pour la repousser ? Çà et là, quelques restes d'énergie se manifestaient[13] ; nulle part un mouvement d'ensemble, rien de cet élan de 1792 et de 1793 qui avait fait de la France en furie, dressée contre l'étranger, une chose épouvantable et grande. Et pourtant des réserves profondes de vitalité, des trésors de vigueur cachée subsistaient en ce peuple de France ; mais ces forces somnolaient, sans direction, sans commandement, sous un régime déprimant et honni. Les classes jadis riches ou aisées, odieusement traitées, attendaient l'étranger, l'appelaient peut-être ; à Marseille, il était de mode chez les femmes de porter des parures à la Souvorof, des rubans et bonnets à la Charlotte, en l'honneur de l'archiduc Charles[14] ; un orateur des Cinq-Cents dénonçait à la tribune les Marseillais qui apprenaient le russe pour converser plus facilement avec leurs libérateurs.

A Paris, où l'on était plus loin de l'ennemi, on craignait surtout que la violation des frontières n'amenât une recrudescence du péril intérieur et des jours affreux. Les vaincus des 27 et 28 fructidor, c'est-à-dire les Jacobins, n'étaient nullement anéantis et ne se résignaient pas à leur défaite. Les expulsés du Manège, les anarchistes de faubourg s'acharnaient toujours à l'idée d'une tentative violente. Le bruit courait qu'ils faisaient appel à leurs affidés des départements, qu'ils avaient convoqué le ban et l'arrière-ban du parti. Bien qu'il fût défendu de franchir les barrières sans passeport, des arrivants à mine sinistre parvenaient à se faufiler dans la ville. On les rencontrait le soir, rôdant par les rues ; ils se réunissaient, disait-on, en conciliabules secrets, avec signes convenus, mots de passe et rites mystérieux : C'étaient des espèces de loges maçonniques[15]. Paris tremblait chaque soir de se réveiller le lendemain sous le coup d'une surprise affolante, d'un massacre dans les prisons, d'un envahissement des barbares[16].

Dans leur Luxembourg, les Directeurs étaient entre eux doms un état de méfiance réciproque ; ils voyaient la machine se détraquer de toutes parts et n'osaient en convenir[17]. Le inonde politique et parlementaire reste un fouillis d'intrigues ; à toute heure, des trames occultes se nouent, se frôlent, s'emmêlent, se déforment et se rompent. Le projet d'hier est abandonné aujourd'hui : Dans une décade, les gens influents changent deux ou trois fois d'avis[18]. Parfois, il semble que la solution va surgir ; dans l'obscure mêlée, l'éclair d'une épée luit, un profil énergique de général se dessine, puis l'apparition se dissipe et tout se recouvre d'ombre. Défaillances, compétitions subalternes, trahisons, voilà ce qui empêchait tout projet de se pousser à fond et d'aboutir ; les hommes, les partis s'épuisaient en velléités.

Dans le Conseil des Cinq-Cents, les députés jacobins ressaisissaient par moments l'avantage ; ils venaient de prendre contre Sieyès et les modérés une sorte de revanche de leur échec en fructidor. Comme l'idée fixe des républicains exaltés était toujours que Sieyès négociait sous main avec l'étranger une paix qui obligerait la France de rentrer dans ses limites et d'accepter une royauté importée sournoisement du dehors, une royauté de contrebande, les Jacobins avaient fait voter par les Cinq-Cents la résolution suivante : Sont déclarés traîtres à la patrie et seront punis de mort tous négociateurs, généraux, ministres, Directeurs, représentants du peuple ou tels autres que ce soit citoyens français, qui pourraient recevoir ou :proposer et appuyer des conditions de paix tendant à modifier ou à changer en tout ou en partie la constitution française ou à altérer l'intégrité du territoire actuel de la République française[19]. La menace visait essentiellement Sieyès. Les Anciens, appelés à la sanctionner, soulevaient des objections, opposaient l'impossibilité qu'il y aurait pour le gouvernement à négocier si on lui interdisait jusqu'à la cession d'une parcelle de territoire, traînaient le débat en longueur et finiraient par repousser la motion. Les députés jacobins, sentant leur impuissance à dominer complètement le terrain parlementaire, rentraient alors en compromission avec leurs auxiliaires d'en bas et rêvaient d'un coup de main.

En face d'eux, Sieyès et ses amis méditaient toujours leur coup d'État à échéance indéterminée, tenaient des conciliabules, cherchaient vainement le moyen, cherchaient l'homme. Ils étaient arrivés à préciser un plan, qui supposait la connivence et même l'initiative des Anciens[20] ; c'était celui qu'on verrait éclore en Brumaire. Le plan était tout tracé, mais le nom du général qui recevrait mandat de l'exécuter restait en blanc. Macdonald avait été tâté et se refusait[21] ; on attendait Moreau, sans compter beaucoup sur lui. Un fait assez important venait de se produire[22]. Lucien Bonaparte s'était rapproché très intimement de Sieyès et entrait dans la conjuration ; il participait aux colloques, coopérait ardemment, sans renoncer à ses arrière-pensées personnelles et sans vouloir se faire simplement une carte dans le jeu de Sieyès ; s'il consentait à s'allier, sa nature d'indiscipliné ne lui permettait jamais de se subordonner. Barras passait au contraire pour retourner à ses pires accointances et pour favoriser les menées jacobines[23].

Fouché s'acharnait contre la presse, frappait tour à tour les gazettes qui vociféraient pour le compte des Jacobins et celles qui bavaient sur eux ; point de décade où la police ne supprimât illégalement un journal et ne fit apposer les scellés sur ses presses ; le journal émigrait dans une autre imprimerie, reparaissait aussi violent sous un nouveau titre, qui n'était parfois que l'ancien titre retourné ; exemple : l'Ami des lois, par Poultier, devenant le Journal de Poultier, ami des lois. Le Journal des hommes libres en était à sa troisième transformation et s'appelait maintenant le Journal des hommes, tout court ; c'était même rédaction, même style, avec une épithète en moins. Le gouvernement se donnait ainsi l'odieux de l'arbitraire et n'arrivait pas à convaincre de sa force, â rassurer Paris, à lui rendre un peu de vie.

Paris sans luxe véritable, sans équipages de maîtres, sans mouvement d'affaires, se mourait de consomption et d'inquiétude. Dans les classes moyennes et plus ou moins pensantes, c'est un alanguissement général, mêlé de soubresauts convulsifs, une torpeur troublée, le dégoût du présent, l'effroi de l'avenir, la sensation que cela ne peut plus durer et l'impuissance à faire quelque chose. Dans la rue, point d'émeutes, mais des groupes d'ouvriers sans travail stationnant journellement autour de la porte Martin, anxieux et hagards. Le Palais-Égalité, les innombrables cafés pérorent, tandis que des crieurs de journaux hurlent des nouvelles à sensation, malgré la loi qui défend d'annoncer les gazettes autrement que par leur titre. En vain la police veut verbaliser contre les délinquants : Il est presque impossible de constater par témoins les contraventions parce que les citoyens s'éloignent ou refusent de signer le procès-verbal[24].

Dans les spectacles, dans les grands cafés, le royalisme donne le ton. Au jardin des Tuileries, la foule trahie son ennui, ressasse des propos vains ; des parleurs circulant dans les groupes annoncent, sans en rien savoir, la contre-révolution ou la Terreur ; faute de données précises, l'imagination des Parisiens fonctionne à vide. Parfois, dans un carrefour, un individu prophétise publiquement la royauté et se fait déporter ; on voit beaucoup de suicides, des crimes, des arrestations en grand nombre ; à chaque instant, la police et la troupe cernant le Palais-Égalité ou d'autres endroits publics pour faire rafle de réfractaires ; à deux pas de là, dès que la nuit tombe, les filous et les coupe-bourses prenant possession de la rue. Pourtant, ces rues mal éclairées, peu sûres, s'égayent çà et là d'un bruit d'orchestres et d'un flonflon de ritournelles ; des portiques lumineux, des verroteries de couleur, des musiques appellent à la danse. Par intervalles, le pas lourd des patrouilles retentit ; des qui-vive, des garde-à-vous se répondent ; des patrouilles de soldats de ligne et de gardes nationaux se croisent, arrêtent les passants inoffensifs et les forcent à exhiber leur carte de sûreté, mais laissent circuler les voleurs et les filles, laissent sans surveillance les endroits de débauche et de plaisir ; dans Paris nocturne, c'est un mélange d'état de siège et de bal public[25].

La vie de plaisirs publics et payants, qui avait été celle de Paris depuis Thermidor, continuait son train. Pour les Parisiens, le théâtre reste un besoin ; afin d'échapper à la réalité, ils se réfugient dans la fiction. L'Opéra en détresse vient de fermer ses portes, mais on annonce une combinaison qui lui permettra de renaître brillamment de ses cendres. Les autres théâtres attirent plus de spectateurs qu'ils n'en peuvent contenir, regorgent d'un public mal mis et houleux. II y a encore des pièces nouvelles, des vaudevilles à succès, des exhibitions variées, Franconi et son cirque, des endroits à la mode, des expositions, l'ouverture du salon de peinture qui se fait en fructidor au Louvre[26] ; il y a même, à certains jours, dîners d'apparat dans les ministères, visites cérémonieuses, réceptions d'ambassadeurs par Barras dans son château de Grosbois. La série des fêtes révolutionnaires se prolonge, mais on craint que chacune d'elle devienne occasion de troubles ; le 18 fructidor, on n'a pas même osé faire de petite guerre ; les troupes ont évolué au Champ de Mars fusils et canons chargés[27]. On va célébrer le 1er vendémiaire, le renouvellement de l'année républicaine, mais la partie officielle de ces fêtes n'attire plus au Champ de Mars que les personnes appelées par le programme[28].

Les plaisirs d'été, qui ne furent jamais si nombreux, si variés, si étincelants que sous le Directoire, s'offraient toujours aux Parisiens. Tivoli illuminait ses bosquets, multipliait les attractions : pantomimes pyrotechniques, ascensions d'aérostats, promenades en ballon captif, départ d'une flotte aérienne ; Marbeuf, Biron, faisaient concurrence. A Marbeuf, le charlatanisme d'un inventeur qui prétend s'élever dans l'air à l'aide d'un appareil occupe un instant Paris. Le public vient à ces spectacles par habitude, par désœuvrement, mais manque d'entrain. On a l'air triste ici ; les spectacles, les lieux de réunion sont aussi nombreux et aussi fréquentés que par le passé, mais on n'y retrouve plus la gaieté, l'insouciance, qui caractérisaient l'esprit parisien, écrit Mme Reinhard qui arrive de l'étranger et que son mari, tout ministre qu'il soit, conduit pour la distraire à Tivoli et à Frascati[29].

Le soir, aux Champs-Élysées débordant de foule, scintillant de mille feux et retentissant du bourdonnement des musiques, des femmes assises en rangs pressés le long de la grande avenue, enrubannées, empanachées, à peu près nues cous de claires mousselines, regardent passer et monter le flot des voitures. Des femmes de bourgeoisie s'en vont à Tivoli bras nus, gorge nue, se sentent surprises par la fraîcheur du soir, rentrent transies et meurent en peu de jours[30]. Dans le dérèglement des modes et des mœurs, dans le déséquilibre des esprits, l'effort pour s'étourdir n'arrive plus à vaincre l'écœurement d'une société lasse de tout et dégoûtée d'elle-même. D'ailleurs, la pluie tombait à chaque instant, noyait les préparatifs de fête, avachissait les décors, ajoutait sa tristesse à la mélancolie des circonstances. Dans ce pluvieux été de 1799, lourd d'orages, entrecoupé d'averses, quand les émotions de la rue et les agitations jacobines faisaient trêve, une grande stupeur morne pesait sur la ville.

 

II

Paris s'était déshabitué des bulletins de victoire. Pourtant, le 1er vendémiaire, au jour anniversaire de la République, on apprit un beau fait d'armes : en Hollande, Brune attaqué par les Anglo-Russes, auprès de Bergen, les avait vivement repoussés et leur avait infligé de grandes pertes. Ce succès cependant ne décidait de rien ; l'armée du duc d'York, quoique très éprouvée, se maintenait en face de nous dans ses retranchements, derrière les digues, et même Brune victorieux se verrait obligé au bout de quelques jours de se reporter en arrière, d'évacuer Alkmaër et de ramener ses troupes sur des positions plus rapprochées d'Amsterdam.

Chacun sent d'ailleurs que la grosse partie va s'engager en Suisse. Que fait donc Masséna, avec les renforts qu'il a reçus, avec la nombreuse armée dont il dispose ? que n'a-t-il hâte de refouler Korsakof et Hotze avant que Souvorof soit venu par le Gothard le tourner et l'étreindre ? Bernadotte l'a en vain stimulé, aiguillonné ; les Directeurs ont fini par décider sa destitution, en retardant de quelques jours la publication de cette mesure. Soudain, le 7 vendémiaire, un courrier arrive, annonçant la reprise de Zurich et le gain d'une bataille : une grande bataille cette fois, une grande victoire, l'une des plus insignes et des plus fructueuses que présente l'histoire de nos guerres ; la Limmat impétueusement franchie, les Russes rejetés et enveloppés dans la ville, sauvant à grand'peine leur infanterie, perdant leur cavalerie, leur artillerie, leurs bagages ; douze mille ennemis tués ou pris, des drapeaux, cent cinquante canons, tout un matériel de guerre enlevé ; un désastre pour l'armée de Korsakof. Le même jour, sur la Linth, Hotze était tué, et ses troupes, sous l'effort de Soult, reculaient en désordre.

L'effet dans le public fut assez grand. Paris ressentit pour la première fois depuis bien longtemps une émotion saine. Aux Cinq-Cents, quand la nouvelle fut officiellement annoncée, la salle et les tribunes retentirent d'acclamations, tandis que la musique attaquait l'air fameux de la Carmagnole[31]. Aux amis sincères de la Révolution, l'avenir apparaît un peu moins noir ; quelque espoir rentre en eux ; il est donc vrai que la République peut se sauver encore par ses vertus militaires, par l'intrépidité de ses soldats et le talent de ses capitaines.

Les jours suivants, comme si l'exploit de Masséna avait rompu la malchance, des bulletins heureux arrivent sans discontinuer ; il en vient de toutes parts ; de quelque côté que l'on regarde, l'horizon s'éclaircit. En Suisse, Souvorof a débouché du Saint-Gothard, mais s'est trouvé en face de nos troupes, qui n'ont plus rien à craindre du côté de Zurich ; après avoir péniblement refoulé Lecourbe, il s'est heurté à Molitor dans des combats de géants. Schwitz, où il doit se réunir à Jellachich, lui est fermé par Masséna ; fermée, la route de Glaritz ; sur le lac de Lucerne, point de flottille autrichienne pour transporter ses troupes. Déçu, contenu, traqué, il erre maintenant dans un chaos de montagnes, aux prises avec une formidable nature. Paris haletant suit de loin les détails de cette agonie. Les transmissions télégraphiques, incomplètes, interrompues souvent par l'état de l'atmosphère, suscitent d'anxieux espoirs. Les journaux publient ce tronçon de dépêche attribuée à Masséna : Il se défend comme un dogue, mais je le tiens[32]. La perte totale de Souvorof est un jour annoncée, démentie le lendemain. La vérité est que Souvorof lutte en désespéré et finira par s'échapper ; il trouvera refuge à Coire, mais n'y amènera que six mille hommes sur vingt-quatre mille, un débris d'armée, et l'Helvétie sera tout de même le tombeau de sa gloire.

En Hollande, le succès de Bergen apparaît considérable par son effet moral ; la fougue des républicains dans cette rencontre a déconcerté les Russes, qui ont surtout souffert de nos attaques et qui se plaignent d'avoir été mal soutenus par les Anglais ; la désunion semble se mettre dans la double armée, dont la marche se ralentit, hésite. Voici des signes palpables de victoire, des trophées : un chef de brigade envoyé par Brune venant présenter au Directoire cinq drapeaux ennemis ; on les voit passer dans les rues, solennellement portés au Luxembourg. Sur le Rhin, les Impériaux se montrent moins entreprenants contre nos postes, l'armée de l'archiduc Charles s'immobilise le long de la rive droite. L'ennemi recule partout ou s'arrête ; encore une fois, l'armée a sauvé au dehors la Révolution ; elle en a sauvé l'existence, elle en a sauvé l'honneur, et la délivrance des frontières soulage d'autant plus Paris qu'elle ôte aux revendications des partis extrêmes beaucoup de leur force ; en frappant à grands coups sur les Russes, les Autrichiens et les Anglais, Masséna et Brune ont indirectement battu les Jacobins.

Et la série continue ; le 13, un messager du Directoire est introduit dans le conseil des Cinq-Cents : Victoire ! crie-t-on à sa vue, comme s'il ne pouvait plus être question que de victoires. La nouvelle qu'il apporte est bien faite pour surprendre et ravir l'imagination publique.

Un secrétaire ouvre le message et lit à haute voix : Le Directoire exécutif vous transmet copie d'une dépêche qu'il vient de recevoir du général Bonaparte... Un tonnerre d'applaudissements interrompt le lecteur. Il reprend sa communication ; c'est bien Bonaparte qui recommence à faire parler de lui et qui se remet en scène, pour ainsi dire, par un bulletin de sa façon. Rentré en Égypte avec ses troupes, il a culbuté une armée de dix-huit mille Turcs, mise à terre par une flotte anglaise dans la presqu'île d'Aboukir, et il en a fait un grand carnage. Ce nom désastreux d'Aboukir, fatal à la marine française, il le transforme en nom de victoire ; par une lettre déjà vieille de deux mois, apportée sur le bâtiment l'Osiris qui s'est glissé à travers les flottes ennemies, il promet à son tour une moisson de drapeaux conquis. — Vive la République ! crient les députés en se levant de leurs sièges et en agitant leurs toques ; la musique joue l'air du Ça ira, les tribunes acclament, et chacun d'admirer cet étonnant retour de fortune, Souvorof tenu en échec au plus profond des Alpes et Bonaparte comme ressuscité[33].

Le 18, nouveau coup de théâtre ; vers deux heures, le canon retentit dans Paris, tirant en plusieurs endroits, et à entendre le roulement profond des salves, la population tressaille[34]. Qu'est-ce encore ? C'est l'annonce de trois succès à la fois, accroissant nos avantages.

Par une dépêche donnant suite à la première, Bonaparte a fait savoir que le fort d'Aboukir est repris et qu'il n'existe plus un seul Turc en armes sur le rivage d'Égypte. D'autre part, la retraite de Souvorof dans le pays des Grisons est officiellement confirmée ; enfin, Brune attaqué de nouveau par les Anglo-Russes les a franchement battus près de Castricum ; il leur a pris onze canons et fait quinze cents prisonniers ; victoire au Sud, à l'Est, au Nord ; ce n'est partout que victoires.

Les Conseils enthousiasmés décrètent que les armées d'Helvétie, de Batavie et d'Orient ne cessent de bien mériter de la patrie. Les orateurs des Cinq-Cents ne trouvent pas de mots assez lyriques pour célébrer nos braves. Quel heureux changement ! s'écrient les journaux, quelle brillante fin de campagne ![35] Ils s'emplissent de rapports, de relations circonstanciées ; ils donnent des détails, citent des traits d'héroïsme rappelant les plus beaux temps des guerres de la liberté : après Bergen, le commandant du corps expéditionnaire russe, le général Hesse, fait prisonnier par un de nos grenadiers, offrait une grosse somme à cet homme pour se libérer : Je ne me bats pas pour l'argent, a répondu le Français, mais pour la gloire, et il n'a pas voulu qu'on le fit officier : Après avoir déposé l'épée, je reprendrai la charrue[36]. Du côté de la Suisse, le nombre connu des trophées va sans cesse grossissant ; la catastrophe des Austro-Russes apparait plus complète qu'on ne l'a cru d'abord ; on parle maintenant de trente mille hommes mis hors de combat ; on a vu passer à Bâle des colonnes entières de prisonniers russes ; ils n'ont pas l'air d'anthropophages[37]. On a vu défiler captifs leurs grenadiers, dont le bonnet porte en avant une plaque de métal recourbée, des hussards blancs très beaux, des Cosaques à longue barbe tombant jusqu'à la ceinture. A Castricum, c'est le pas de charge qui a décidé de la victoire ; l'armée d'York démoralisée, enlisée dans un pays de marécages et décimée par les fièvres, va se rembarquer par capitulation. Sur le Rhin, le général Ney a dégagé par de vigoureux combats les approches de Mayence. Et Paris, à chacun de ces bulletins qui arrivent coup sur coup, sort un peu plus de son indifférence, s'éveille de son assoupissement. Paris s'émeut, s'exalte, renaît aux sentiments hauts. Enfin, comme si la fortune tenait à ménager ses effets et à procéder par gradation savante, à tant de merveilleuses nouvelles succède la plus extraordinaire de toutes, la plus inattendue, aussi funeste à la coalition que la perte de trois autres batailles[38] : Bonaparte en France.

Le 17 vendémiaire-9 octobre, il a débarqué à Saint-Raphaël, près de Fréjus, ayant devancé l'appel du Directoire et quitté l'Égypte sur la frégate Muiron depuis quarante-sept jours, ayant touché à Ajaccio et échappé miraculeusement à une flotte anglaise qui rasait le littoral de Provence. Il a débarqué avec deux savants et cinq généraux, avec Monge, Berthollet, Berthier, Lannes, Murat, Marmont, Andréossy, avec un détachement de ses Mamelouks et de ses guides. Les gens de la côte, pour le voir plus tôt, se sont jetés vers son bâtiment qu'ils ont comme pris à l'abordage, en lui fournissant ainsi prétexte pour se dispenser de la quarantaine. Il est maintenant sur la route de Paris, il approche, il vient, soulevant sur son passage un ouragan d'acclamations. Voilà ce que l'on commence à se répéter dans Paris le soir du 21 vendémiaire ; la nouvelle encore vague circule dans les endroits publics, fait sensation dans les théâtres, rencontre des croyants et des incrédules, répand une indicible émotion.

Une scène étrange se passait alors au Luxembourg. Sieyès attendait dans son cabinet Moreau, arrivé d'Italie le matin même. En le prenant au débotté, Sieyès espérait vaincre ses hésitations et le déterminer à faire le coup. Sur ces entrefaites, l'avis du débarquement à Fréjus est apporté au Directeur ; il attendait Moreau, c'est Bonaparte qui arrive.

Il fit prier l'un de ses intimes confidents, Baudin des Ardennes, membre du Conseil des Anciens, de passer chez lui. Patriote ardent, républicain sincère, Baudin croyait à la nécessité du remède héroïque pour sauver la Révolution en détresse et réformer l'État ; il connaissait les projets de Sieyès et y concourait avec zèle. Il entra dans le cabinet directorial en même temps que Moreau. Sieyès leur communiqua la grande nouvelle. Une surprise affolante, une joie intense, se peignirent sur les traits de Baudin et parurent bouleverser tout son être ; pour lui, c'était le régénérateur de la République, c'était l'homme grâce auquel l'œuvre de salut ne pouvait plus manquer, qui reparaissait à l'improviste. Il entendit Moreau dire à Sieyès, en parlant de Bonaparte : Voilà votre homme ; il fera votre coup d'État bien mieux que moi[39]. Baudin sortit ensuite ivre de bonheur, presque hors de sens, pour rejoindre les siens et leur communiquer son ravissement. Le lendemain matin, au saut du lit[40], il s'affaissa subitement et mourut ; le bruit se répandit qu'il était mort de joie. Au même moment, la nouvelle du retour miraculeux se précise, s'affirme, devient certitude, se propage dans tous les quartiers, et l'enthousiasme éclate formidable.

Le Directoire, fâché que Bonaparte ait devancé ses ordres aujourd'hui que la frontière est sauve, se résigne à notifier le fait aux Conseils en post-scriptum d'un message où il est sur- tout parlé de Castricum et de nos succès en Hollande. Quand les messagers d'État chargés de cette communication arrivent au Palais-Bourbon, une foule de citoyens et de militaires font irruption derrière eux dans la salle[41]. On écoute en silence le message assez long, et puis arrive enfin cette circonlocution pénible : Le Directoire vous annonce avec plaisir, citoyens représentants, qu'il a aussi reçu des nouvelles de l'armée d'Égypte. Le général Berthier, débarqué le 17 de ce mois à Fréjus avec le général en chef Bonaparte (les cris de : Vive la République ! interrompent, l'assemblée entière est debout) et les généraux Lannes, Marmont, Murat et Andréossy, les citoyens Monge et Berthollet, mandent qu'ils ont laissé l'armée française dans la position la plus satisfaisante. C'est alors dans le public un délire d'enthousiasme, auquel répondent les acclamations des députés.

L'assemblée reste ensuite suffoquée d'émotion, incapable de délibérer. Quelques orateurs et notamment Briot, qui ne manque jamais une occasion de parler, entament des dithyrambes patriotiques ; mais lorsque le représentant Trois-œufs veut à son tour placer une harangue, on ne l'écoute plus ; sa voix se perd au milieu de l'agitation générale ; Garreau réclame l'ajournement, la séance est levée aux cris de : Vive la République ! et au son des airs chéris de la liberté[42].

Au dehors, Paris entier est debout et en mouvement. Le général Thiébault a raconté ses impressions de ce jour. Entré au Palais-Royal, il voit au bout du jardin des groupes se former à tout instant et se dissoudre, piétiner haletants autour de quelqu'un d'informé, puis se pulvériser en individus courant à toutes jambes, pour répandre la nouvelle. L'un d'eux lui jette ces mots : Le général Bonaparte a débarqué à Fréjus[43]. Se portant ailleurs, Thiébault lit la nouvelle sur tous les visages, se heurte à des poussées et à des remous de foule. Les musiques des régiments de la garnison parcourent les rues en signe d'allégresse, dans un fracas d'instruments ; une masse grossissante de citoyens les escorte, emboîte le pas militairement, et en avant les petits tambours de la République, des enfants, battent la caisse. Sur le boulevard, c'est un autre spectacle ; voici que s'avance, entre des soldats, une colonne de prisonniers russes, les premiers que Paris voit. On les fait passer sur le boulevard, défiler aux Champs-Élysées, pour les conduire aux casernements de Rueil[44]. Le peuple bon enfant les entoure, offre à ces malheureux des friandises, regarde avec satisfaction ces trophées vivants, et il semble que tout se réunisse aujourd'hui pour monter les âmes, pour les combler d'une joie exaltatrice. Le soir, dans les théâtres, la nouvelle du retour, annoncée sur la scène, est accueillie par des bravos, des trépignements fous : on boit à ce retour jusque dans les cabarets, on le chante dans les rues[45]. Le retour est devenu la pensée, la conversation, l'émotion, la joie de tous ; les yeux se mouillent, les mains se cherchent et se joignent ; c'est un ensemble d'effusions comparables à celles qui ont signalé les débuts de la Révolution, un élan des cœurs, un épanouissement des âmes. Le matin, Béranger très jeune, ignorant la nouvelle, était entré dans un cabinet de lecture ; trente personnes y étaient assises ; la nouvelle se répand ; d'un mouvement spontané, tous les lecteurs se lèvent en poussant un cri de joie[46].

D'un bout à l'autre de la France, le frisson se communique, la vibration s'étend. Aux ivresses du Midi, au sursaut de Paris, répondent des fêtes improvisées dans les principales villes. On célèbre les victoires d'hier et l'insigne événement qui en promet d'autres ; en dehors de l'Ouest tout à ses discordes, l'unanimité nationale semble pour un instant se refaire sur un espoir, sur un nom.

Quel est donc le sens vrai de cet extraordinaire mouvement ? Est-ce enfin la poussée césarienne qui se fait, qui se prononce irrésistiblement et va tout emporter ? A considérer les choses de plus près, à se plonger dans l'air ambiant de l'époque, à en pénétrer les passions et les besoins, il semble que l'élan de la nation porte plus haut et plus loin. On restait en pleine guerre, à peine sorti d'un pressant danger. L'ennemi était contenu, non réduit. L'homme qui revient, c'est le plus grand vainqueur qui soit apparu depuis des siècles. Certes, les généraux habiles et entreprenants ne manquent pas dans nos armées. Masséna vient de remporter une belle victoire, Soult a gagné une bataille, Brune en a gagné deux, mais Bonaparte en avait gagné vingt, il en avait gagné cent ! Surtout, réussissant où nul avant lui ne s'était même essayé, il avait vaincu assez pour terminer la guerre, pour imposer à notre principal ennemi sur le continent un traité dicté presque en vue de Vienne, un traité qui était apparu comme le prélude de la pacification générale. Leoben et Campo-Formio avaient fait pour sa réputation autant qu'Arcole et Rivoli. S'il revient aujourd'hui, c'est pour reprendre son œuvre indignement compromise, pour réparer les fautes et consolider les succès ; seul, il parait capable d'achever la victoire, de la pousser à fond et de la porter à sa fin naturelle : la paix.

Or, le peuple se rend compte que la prolongation de la guerre est la source première des maux dont la recrudescence l'accable. C'est la guerre qui a suscité la loi des otages, l'impôt progressif ; c'est elle qui donne prétexte aux Jacobins pour relever leur hideux drapeau ; c'est elle qui encourage les complots et les soulèvements royalistes ; c'est elle, la maudite, qui multiplie les levées, qui prend au paysan son cheval et son fils, qui jette aux bois, aux montagnes, ces milliers de réfractaires dont les bandes s'unissent aux brigands pour tourmenter la France. Depuis neuf ans, la crise extérieure complique affreusement la Révolution ; elle en a augmenté les malheurs et aggravé les forfaits. Aux yeux du peuple, le moyen de finir la Révolution est de finir la guerre[47]. Bonaparte semble l'homme de cette tâche ; le bienfait qu'il ne donnera jamais aux Français, ils l'attendent de lui très promptement ; l'éternel guerroyeur qu'il sera, on l'acclame, suivant l'expression d'un journal, comme le précurseur de la paix[48].

Sans doute, les partis voient surgir leur arbitre ; pour eux, Bonaparte, c'est l'imprévu dominateur qui se lève ; d'après le facteur nouveau et surprenant qui entre en scène, toutes leurs combinaisons sont à refaire ; les politiciens s'agitent affolés, sous le coup qui frappe en plein dans leur basse fourmilière. Pour la masse du peuple, la question intérieure reste au second plan, sa solution dépendant de celle qui sera donnée à l'autre et que Bonaparte l'Italique, Bonaparte l'Égyptiaque, va imposer glorieuse et grande. Jourdan écrit très justement : Les personnes éclairées prévoyaient qu'il ne tarderait pas à s'emparer du gouvernement ; mais il écrit en même temps : Le peuple ne voyait en lui qu'un général toujours victorieux destiné à rétablir l'honneur des armes de la République[49], destiné ensuite à lui faire goûter un victorieux repos. C'est pour cela qu'on applaudit plus à son retour en vendémiaire qu'on n'applaudira en brumaire à son rapt du pouvoir ; la nation lui défère moins le pouvoir que le commandement, sauf à souffrir ensuite que l'autorité civile devienne un simple attribut de l'épée. Qu'il soit avant tout l'épée tournée contre l'étranger, protectrice, tutélaire, infaillible, à l'abri de laquelle on pourra enfin ne plus craindre et revivre, c'est à quoi tend l'immense ovation plébiscitaire.

Si les paysans des Basses-Alpes, à flots pressés, l'escortent pendant la nuit avec des torches, pour le préserver des brigands ; si les villes illuminent sur son passage ; si Lyon, dès qu'il parait, se lève dans un transport de joie ; si le peuple danse dans les rues, déroule des rondes folles, assiège de cris et de vivats l'hôtel où il est descendu[50] ; s'il faut en son honneur improviser au théâtre des Célestins une pièce de circonstance, où les acteurs lisent ou bredouillent leur rôle, n'ayant pas eu le temps de l'apprendre ; si plus loin la foule roule en torrent autour de sa voiture et semble la porter ; s'il suffit de son approche pour que dix lieues à l'avance les villes, les villages, les maisons isolées, les relais de poste se pavoisent, pour que les citadins, les paysans arborent les couleurs nationales et prolongent sur les deux côtés de la route une bordure tricolore[51] ; si ces populations du Midi et du Sud-Est se serrent éperdument contre lui, c'est qu'elles voient dans sa présence leur sauvegarde contre l'étranger posté tout près d'elles, derrière les montagnes, se disposant à franchir les cols et à déborder des Alpes, accompagné de proscriptions et de représailles. A Fréjus, quand les habitants ont accosté son bâtiment et grimpé à bord, ils ont répondu à ceux qui leur opposaient les prescriptions sanitaires, le danger de la contagion : Nous aimons mieux la peste que les Autrichiens[52]. Sans doute, ce peuple n'ignore pas que pour écarter définitivement l'ennemi et conquérir la paix, il faudra fournir un suprême effort, mais on le donnera de bon cœur, puisque Bonaparte est là pour commander. Le tempérament national semble avoir subitement repris son nerf ; à Nevers, un bataillon de conscrits recrutés pour la cavalerie refusait de partir, n'avant point de chevaux ; on leur dit que Bonaparte est en France ; ils demandent à partir tout de suite, sans chevaux, tels qu'ils se trouvent ; ce sont d'autres Français. A Fontainebleau, des officiers naguère mous et découragés n'ont plus qu'une idée, faire reprendre à leur troupe tenue martiale et bel aspect, pour la lui présenter : Nos officiers en devenaient fous, parce que le chef de bataillon le connaissait[53]. Tel reparaît le ressort caché de ce peuple et telle est la vertu stimulante de cet homme. Qu'il rassemble toutes ces bonnes volontés, qu'il s'élance à leur tête en Italie, en Allemagne ou ailleurs, pour asséner le coup final, voilà ce qu'on attend de lui d'abord ; après, il fera ce qu'il voudra de la France. Dans le Midi, un orateur de club l'a harangué en ces termes : Allez, général, allez battre et chasser l'ennemi, et après nous vous ferons roi[54].

Cette parole, contre laquelle Bonaparte proteste avec une pudique indignation, demeure d'ailleurs sans écho. L'opinion commune est qu'il va vaincre au profit de la République et la revivifier. L'effet de son retour est même de ramener beaucoup de Français à ce régime, en leur persuadant que la République, triomphant au dehors par la main d'un grand homme, pourra s'assagir et se fixer au dedans, procurer enfin le soulagement des peuples et tenir ses promesses. A ces gens qui ont cru naguère à la Révolution, qui ont été déçus par elle, qui souffrent cruellement de ses sévices, qui l'exècrent dans ses représentants actuels, il semble un instant que l'ancien idéal, obscurci, voilé, souillé, se découvre à nouveau et resplendisse, s'incarnant en un homme. Parmi les contre-révolutionnaires, il en est qui s'imaginent, dans leurs illusions incorrigibles, que Bonaparte va travailler au profit de leurs princes ; les plus perspicaces comprennent qu'un grand obstacle se dresse en travers de leur chemin ; ils disent : Nous voilà pour longtemps en République[55], et ils pressentent l'homme qui va réconcilier la France avec la Révolution.

Les plus contents se trouvent parmi les républicains convaincus, sincères ; ils n'ont pas encore appris à séparer Bonaparte de la République tels qu'ils la conçoivent, saine, virile et fière. Le transport de joie auquel Baudin a succombé reste commun à bien d'autres. Aux Cinq-Cents même, les députés des deux partis, modérés et jacobins, tous révolutionnaires, ont cédé d'abord à l'ivresse générale ; le 30 vendémiaire, ils éliront Lucien pour président. Tous les rapports constatent la renaissance de l'esprit public, c'est-à-dire, en langage officiel de l'époque, un renouveau de foi en la Révolution et en ses destinées. Au théâtre, les airs patriotiques sont maintenant applaudis et redemandés[56].

Les armées n'interprètent pas le retour autrement que les républicains civils ; c'est pourquoi elles exultent. L'armée d'Italie apprend la nouvelle aux ennemis par des hourras, des acclamations prolongées, s'élevant de nos cantonnements. A l'armée d'Helvétie, sur le Rhin à sa naissance, un dialogue significatif s'engage d'une rive à l'autre entre une sentinelle française et une sentinelle autrichienne. — L'Autrichien : Eh bien, Français, votre roi est donc arrivé ?Le Français : Nous n'en avons point et n'en voulons. — L'Autrichien : Mais Bonaparte n'est-il pas votre roi ?Le Français : Non, il est notre général. — L'Autrichien : Eh bien, vous le verrez roi. Il sera tout de même un brave homme, s'il nous donne la paix[57]. — Arbitre pacificateur entre les nations autant qu'irrésistible chef de guerre, c'est sous ces traits qu'il apparait partout aux peuples et ressuscite en eux l'espérance.

Il semble que les victoires de Masséna et de Brune, en rendant sa venue moins nécessaire à la patrie, eussent dû en atténuer l'effet ; elles l'ont augmenté au contraire, car elles ont secoué la torpeur générale ; elles ont relevé progressivement les cœurs ; elles ont refait aux Français une âme vibrante, frémissante, disposée à recevoir le choc décisif. Elles sont venues, ces victoires avant-courières, pour dissiper la brume qui s'appesantissait sur la France ; elles ont mis au ciel une lueur d'aurore, et voici que l'astre lui-même se lève, surgit des flots, versant la vie, rallumant les ferveurs d'autrefois. L'accueil sans exemple que reçoit Bonaparte n'est pas l'acte d'une nation qui s'abat consciemment aux pieds d'un maitre, pour s'absorber et s'anéantir en lui. On doit y voir plutôt un réveil de zèle révolutionnaire et de patriotisme, les deux passions se confondant depuis dix ans dans l'âme du peuple, périclitant et se ranimant ensemble. La France patriote et révolutionnaire ne réclamait pas un maitre ; elle n'avait que de bas tyrans, elle voit s'élever un chef. Pour le peuple, cet homme qui passe, c'est le génie et la fortune de la Révolution qui reviennent ; c'est plus encore : c'est le gage et le symbole de la résurrection nationale.

 

 

 



[1] Journal de Suleau, cité par GONCOURT, la Société française sous le Directoire, 431-432.

[2] Voyez le compte rendu de la séance dans le Publiciste.

[3] LA FAYETTE, V, 107-108.

[4] Archives de la guerre, correspondance générale.

[5] Bulletin de la police générale de la République pour le mois de vendémiaire an VIII. AULARD, 22.

[6] AULARD, 23.

[7] Archives de la guerre, correspondance générale, 13 thermidor.

[8] Publiciste du 26 fructidor. Le fait est confirmé par les rapports administratifs.

[9] Rapport de l'état-major, 9-10 fructidor. Archives nationales, AF, III, 168.

[10] Archives de la guerre, correspondance générale, 16 messidor.

[11] LA FAYETTE, V, 101.

[12] Correspondance de Fiévée, introduction, CLXI.

[13] Dans son rapport sur la situation générale de la République remis le 12 vendémiaire, Fouché dit, en parlant des paysans des Hautes-Alpes : Au premier bruit de rapproche des ennemis, ils se sont armés spontanément, bien déterminés à le combattre. AULARD, État de la France en l'an VIII et en l'an IX, p. 9.

[14] Archives de la guerre, correspondance générale, lettre du commissaire de Marseille en date du 14 thermidor.

[15] Le Surveillant, 21 vendémiaire.

[16] Que d'épouvantables projets couvassent dans certaines têtes, c'est ce que laissent apercevoir les confidences faites à Norvins, alors détenu à la Force, par un nommé Metge, que noua retrouverons sous le Consulat. Mémorial de Norvins, II, 197, 203-205.

[17] CAMBACÉRÈS, Éclaircissements inédits.

[18] LA FAYETTE, V, 124.

[19] Séance du jour complémentaire an VII, Moniteur.

[20] Lucien BONAPARTE, Révolution de Brumaire, 14-19.

[21] Souvenirs du maréchal Macdonald, 114 ; cf. LA FAYETTE, V, 124.

[22] Mémoires de Lucien, I, 388-389.

[23] LA FAYETTE, V, 124.

[24] Rapport du bureau central pour vendémiaire an VII. Archives nationales, AF, IV, 1329. AULARD, Paris pendant la réaction thermidorienne, etc., V, 707.

[25] Voyez les journaux parisiens, passim ; les comptes rendus du bureau central publiés pas SCHMIDT, III, et les rapports de police conservés aux Archives nationales, AF, IV, 1329.

[26] Et tout Paris d'aller vérifier l'aventure de Mlle Lange, que Girodet, pour se venger du refus d'un portrait, a peinte sous les traits de Danaé recevant la pluie d'or.

[27] BRINKMAN, 324-325.

[28] SCHMIDT, Tableaux de la Révolution, III, 426.

[29] Lettres de madame Reinhard, 86 ; cf. THIÉBAULT, Mémoires, III, 27-28.

[30] Voyez dans le Publiciste du 20 fructidor le cas cité par le médecin Angrand pour détourner les femmes de la fureur de paraitre presque nues dans nos jardins.

[31] Moniteur, séance du 7 vendémiaire.

[32] Le Publiciste, 16 vendémiaire.

[33] Compte rendu du Moniteur.

[34] Journaux parisiens, passim. Lettre de Mme Delessert à Reybaz, en date du 11 octobre 1799, communiquée par M. Georges Bertin.

[35] Le Surveillant, 22 vendémiaire. Le Publiciste, même date.

[36] Moniteur, 15 vendémiaire

[37] Le Publiciste, 15 vendémiaire.

[38] Moniteur du 23.

[39] Renseignements particuliers, conservés par tradition de famille.

[40] Renseignements particuliers.

[41] Nous suivons ici le texte même du compte rendu du Moniteur du 23 vendémiaire.

[42] Moniteur du 23 vendémiaire.

[43] Mémoires de Thiébault, III, 56-57.

[44] Journaux du 23 ; cf. Lettres de madame Reinhard, 90.

[45] Publiciste du 25.

[46] Ma Biographie, par Béranger, p. 70.

[47] Lettres de madame Reinhard, 84, après son voyage de Toulon à Paris. Combien j'aurais voulu que tous les ministres eussent entendu le cri qui sortait de toutes les bouches, le long de notre route, depuis le port de Marseille jusqu'aux portes de Paris ! Les artisans, les paysans, en apprenant les hautes fonctions de Charles (Reinhard), s'écriaient tous : Donnez-nous la paix, citoyen ministre ; dites qu'il nous faut la paix. Ce mot était sur toutes les lèvres, et il retentit encore dans mon cœur.

[48] Publiciste du 23 Les rapports de l'état-major disent, en parlant de l'effet produit par nos victoires et par le retour de Bonaparte : Chacun en conjecturait des résultats heureux pour la République et précurseurs d'une paix générale. Bulletin du 21-22 vendémiaire. Archives nationales, AF, III, 168.

[49] Notice sur le 18 Brumaire.

[50] Mémoires de Marbot, I, 46.

[51] Mémoires de Marbot, I, 45.

[52] Mémoires de Bourrienne, III, 19.

[53] Les Cahiers du capitaine Coignet, p. 74.

[54] Mémoires du duc de Raguse, II, 51.

[55] Cité par Albert SOREL, la Révolution de Brumaire. (Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1898.)

[56] Rapports de police pour vendémiaire. Archives nationales, AF, IV, 1329.

[57] Lettre du général de brigade Brunet à Soult, 10 brumaire. Archives de la guerre, armée du Danube, carton de novembre 1799.