Après avoir établi sur des preuves que je crois irrécusables l’histoire de cette mémorable expédition, il me reste à reproduire et à peser les témoignages de ceux qui m’ont précédé dans la même carrière ; j’essaierai de donner une nouvelle force à l’opinion que j’ai mise en discutant les passages qui lui sont contraires et en réfutant les différentes objections qu’on pourrait lui opposer. De tous ceux qui ont raconté l’invasion d’Attila et la catastrophe par laquelle elle s’est terminée, il paraît qu’aucun n’avait vu les lieux qu’il décrivait ; presque tous étaient étrangers à l’art de la guerre, et le plus grand nombre parmi eux se présente à nous plutôt comme copistes que homme historiens. Des bruits lointains, des traditions vagues, des récits confus, tronqués, exagérés par la jactance ou par la peur, telles sont les sources où la plupart ont puisé les matériaux de leurs récits. Parmi les anciens un seul, Jornandès, est entré dans des détails qui paraissent puisés à une bonne source. Quant aux modernes, (et je range dans cette classe tous les écrivains postérieurs au 15e siècle,) j’ose dire que la plupart n’ont bâti que des fables ineptes et ridicules, ou du moins sans vraisemblance, avec des matériaux choisis sans goût et sans discernement. Grosley lui-même, Grosley, le plus accrédité, à juste titre, parmi eux, au lieu de redresser les erreurs de ses devanciers, et de chercher à faire concorder les faits, la tradition et l’histoire, en étudiant les lieux et les monuments dont il était comme entouré, a préféré bâtir un système dans lequel rapetissant la majesté de l’histoire, aux dimensions étroites de l’esprit de localité, loin d’éclaircir ce qui était obscur et d’expliquer en, juge impartial et intègre ce qui paraissait douteux ou mal interprété, il n’a fait que rendre les anciennes ténèbres en quelque sorte plus épaisses, et qu’ajouter de nouvelles erreurs à celles qu’il s’était proposé de réfuter. Je commencerai par rapporter les témoignages des anciens historiens, me bornant aux points les plus saillants de leurs récits, à ceux surtout qui tendent à préciser le lieu où la bataille de Mauriac s’est donnée. IDACE IDACE, né à Lamégo, en Galice, vers la fin du quatrième siècle, est le plus ancien de tous ces historiens. Placé en 427 sur le siège épiscopal de Lamégo, il avait été, député en 431 près d’Ætius, dans les Gaules, à l’effet de solliciter des secours contre les Barbares qui ravageaient alors l’Espagne. Il vivait encore en 468, il avait donc vu en quelque sorte lui-même ou du moins entendu de témoins oculaires le récit des événements qui a racontés. Ses chroniques portent d’ailleurs le caractère de la candeur et de la sincérité. Voici ce qu’il dit de la guerre des Huns : Gens Hunnorum, pace ruptâ, depredatur provincias Galliarum. Plurimæ civitates effractæ. In campis Catalaunicis, haud longè de civitate, quam effregerant, Mettis, Ætio duci, et regi Theodori, quibus erat in pace societas, aperto marte confligens, divino cæsu superatur auxilio : bellum nox intempesta diremit. Rex illic Theodorus prostratus occubuit : 300 fermè millia hominum in eo certamine occidisse memorantur. (Chronique, page 28, édition de 1619). Les Huns, après avoir rompu la paix, pillent les provinces des Gaules et ruinent un grand nombre de villes. Attaquant, en rase campagne, le roi Théodoric et le génial Ætius, déjà alliés durant la paix, dans les champs catalauniens, non loin de la ville de Metz, qu’ils avaient détruite, ils sont vaincus avec le secours de Dieu. La nuit trop prompte fait cesser le combat. Là mourut le roi Théodoric, et l’on rapporte qu’il y périt environ trois cent mille hommes. Ce récit cadre de tout point avec celui que j’ai adopté. Écrivant au fond de l’Espagne, à 400 lieues du théâtre de l’événement, uniquement occupé de rapporter les traits les plus saillants de l’invasion, Idace doit considérer Metz et Châlons comme deux villes voisines, l’une ruinée par les Huns, l’autre témoin de leur défaite ; on voit l’alliance d’Ætius et de Théodoric, la mort de ce dernier sur le champ de bataille, et le trait caractéristique des plaines Catalauniques, dont la nudité est dépeinte par ces mots aperto marte (bataille rangée en un lieu découvert), que l’historien emploie à dessein ; le nombre des morts seul est évidemment exagéré, mais il n’est pas de grande bataille racontée par les témoins oculaires, même dans les temps modernes, qui n’ait donné lieu aux mêmes exagérations. Vingt mille hommes étendus sur le carreau présentent une affreuse boucherie ; toujours le vaincu dissimule ses pertes, et le vainqueur les exagère. En supposant qu’Ætius ait eu la faiblesse de céder à cette puérile ostentation et de porter le nombre des morts du côté des Huns à deux cent mille hommes, Attila en a certainement rabattu plus des trois quarts s’il a fait son bulletin. JORNANDÈS JORNANDÈS, Goth de nation et notaire du Roi des Alains, ayant embrassé le christianisme, monta sur le siège de Ravenne vers l’an 552. Son histoire des Goths qui parut pour la première fois en 1515, écrite un siècle après l’événement dont nous parlons, contient le récit le plus circonstancié qui soit venu jusqu’à nous de l’invasion d’Attila et de la bataille de Mauriac, par laquelle elle s’est terminée. Jornandès est l’historien de la cour de Ravenne. On sent qu’il a dû puiser aux sources originales, c’est-à-dire dans les mémoires même d’Ætius, qui avait dû rendre à Valentinien un compte détaillé du succès des opérations militaires dont il lui avait confié la direction. Je me bornerai à le traduire par extrait : Les deux armées s’assemblent dans
les champs Catalauniens que l’on nomme aussi Mauriciens (Mauricii), lesquels ont cent lieues gauloises en longueur et
soixante-dix en largeur, la lieue gauloise étant de 1500 pas. Cette portion
de la terre devient donc l’arène de peuples innombrables ; deux armées très braves
sont en présence, rien ne doit se passer furtivement : c’est dans un combat à
découvert qu’elles vont se mesurer (apertum martem certantur.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mais avant de décrire le combat, il convient de rapporter les événements qui le précédèrent, car ils sont aussi nombreux et aussi compliqués que la bataille elle-même est importante. Sangiban, roi des Alains, craignant l’issue de cette guerre, avait promis à Attila de se livrer à lui et de mettre en son pouvoir Orléans, ville des Gaules, dont il était le maître. Théodoric et Ætius l’ayant appris, mirent cette ville, avant l’arrivée d’Attila, sur un pied respectable de défense. Ils placent au milieu d’eux Sangiban, dont ils se défient, avec ses troupes. Attila, déconcerté par ces mesures, se méfiant de ses propres soldats, craignant d’en venir aux mains et méditant une retraite ; résolut de s’adresser aux aruspices pour connaître l’avenir.......... (Ils lui font de sinistres
prédictions, mais lui promettent la mort d’un des généraux ennemis.) Inquiet de ces présages, Attila songeait cependant que, dût-elle être achetée par quelque perte, la mort d’Ætius, qui s’opposait à ses progrès était pour lui d’une extrême importance ; aussi le combat fut-il résolu ; mais son habileté ne le lui fit engager que sur la 9° heure du jour, affin que s’il ne lui était pas favorable, il pût, à l’aide de la nuit qui approchait, se retirer, comme nous l’avons dit, à travers les champs Catalauniens (ou dans les champs Catalauniens). Circa nonam diei horam prælium committit, ut si non secus cederet, nox imminens subveniret, converteret partes, ut diximus, in campos Catalaunicos. Le terrain sur lequel on devait combattre, était légèrement incliné, et s’élevait en forme de colline, à une faible hauteur. Chaque armée désirait de s’en emparer : l’avantage de la position n’étant pas de peu d’importance pour le gain de la bataille. Les Huns occupaient la droite de la colline avec leurs alliés, les Romains, les Visigoths et leurs auxiliaires s’étaient établis sur la gauche. Renonçant à se disputer le sommet de la colline, Théodoric se rangea à l’aile droite avec ses Visigoths, Ætius à la gauche avec les Romains ; Sangiban fut placé au centre, et on poussa la précaution jusqu’à envelopper par derrière, de troupes fidèles, celui sur la fidélité duquel on ne pouvait compter.......... En face, l’armée des Huns fut disposée de manière qu’Attila occupait lui-même le centre avec ses troupes les plus braves..... Ses ailes étaient composées de la foule des nations qu’il avait soumises. Parmi celles-ci se faisait remarquer le peuple Ostrogoth, commandé par Walamir, Théodemir et Widemir, frères d’extraction plus noble que le roi auquel ils obéissaient..... Le célèbre Ardaric commandait des légions innombrables de Gépides. Les armées ainsi disposées, la position avantageuse que nous avons décrite, devient le théâtre du combat. Attila dirige les siens vers le sommet de la colline ; mais il est prévenu par Thorismond et Ætius, qui, gravissant avec effort la hauteur, s’en emparent les premiers, et de là portent facilement le trouble parmi les Huns, qui se présentent trop tard pour les en déloger.......... On en vint aux mains, et alors commence une mêlée atroce, épouvantable, telle que l’antiquité n’en vit jamais ; car s’il est permis d’ajouter foi aux vieillards, un faible ruisseau qui parcourait le terrain dont nous parlons, gonflé, non comme à l’ordinaire par l’eau des pluies, mais par le sang qui s’échappait des blessures, devint tout à coup un torrent..... Là, Théodoric, tandis qu’il parcourait les rangs de ses soldats qu’il exhortait à faire leur devoir, fut précipité de cheval, foulé aux pieds des siens, et atteint d’une mort prématurée.......... Alors les Visigoths se séparant des Alains, se précipitent sur les bandes des Huns, et auraient massacré Attila s’il ne se fût promptement réfugié avec les siens dans le camp qu’il avait entouré de retranchements formés avec ses chariots de guerre.......... — Thorismond va se jeter la nuit dans le camp ennemi, est démonté, puis s’échappe. Ætius, égalé de même, revient dans son camp. Le lendemain, Attila, loin d’être abattu, fait sonner les trompettes pour le combat. Les Romains prennent la résolution de l’assiéger dans son camp. Attila fait dresser un bûcher avec les selles de ses chevaux, prêt à s’y jeter, lorsque Ætius, craignant qu’après la destruction des Huns, les Visigoths n’accablent les Romains, conseille à Thorismond de se retirer, en lui faisant appréhender les entreprises de ses frères contre sa couronne, une fois qu’ils seraient instruits de la mort de leur père. — Dans cette célèbre journée, on dit que, des deux parts, il resta cent soixante-deux mille hommes sur la place.......... — Attila croit d’abord que la retraite de Thorismond est une feinte ; enfin il se rassure, puis se retire. — Thorismond, après la mort de son père, promu sur le moment même à la dignité royale dans ces champs Catalauniens (in campis Catalaunicis) où il avait vaincu, retourne à Toulouse. Malgré l’incohérence et l’obscurité de la première partie de ce récit, malgré la confusion des dates, des lieux et des événements, on y reconnaît toutes les circonstances importantes de la bataille de ?Mauriac ; ainsi, la configuration du terrain, la position des deux armées, leurs chefs, l’heure de la bataille, le passage de la Noblette, la mort de Théodoric, le blocus du camp d’Attila, la convention par laquelle il parvient à se tirer des mains d’Ætius ; tous ces détails se lient, s’enchaînent et conviennent parfaitement au champ de bataille que j’ai indiqué. D’autres détails sont de pure invention ; ainsi, le motif d’Ætius, pour laisser échapper Attila, est, selon moi, on ne peut pas plus mal imaginé. Sangiban est représenté comme un traître, et cependant on lui confie un commandement important le jour de la bataille : il est plus naturel de supposer, comme je l’ai fait, qu’Ætius était animé de préventions injustes contre lui ; préventions motivées sur les négociations que ce chef avait entamées avec Attila, sans son aveu, dans les derniers jours du siége d’Orléans. Du reste, l’épisode le plus important de cette guerre, le siége d’Orléans et la poursuite si vive et si meurtrière des Huns depuis la Loire jusqu’au-delà de la Marne, sont passés sous silence, ou du moins sont à peine entrevus par l’historien. Les dimensions que Jornandès assigne aux champs Catalauniens, où il dit que s’est donnée la bataille, ont fourni un texte d’objections contre lui. Mais il est évident que ne pouvant pas désigner sous un nom propre le lieu précis de la bacille, il a confondu à dessein le tout avec sa partie, disant la bataille des champs Catalauniens, c’est-à-dire la bataille qui s’est donnée en Champagne, comme il aurait pu dire, dans une autre occasion, la bataille donnée sur le Rhin, ou au-delà du Danube, ou dans la Mésopotamie, si aucune ville connue, importante, ne lui eût permis de la désigner sous un nom particulier. Mauriacus, était probablement le nom propre employé dans le récit Ætius ; mais Jornandès n’aura vu dans ce nom obscur qu’une épithète appliquée aux champs Catalauniens (campi Catalaunici, qui et Mauricii vocantur) ; il a fait plus, il a cru devoir altérer le met Mauriacus, pour le remplacer par celui de Mauricius, qui lui a semblé plus significatif, comme s’il eût voulu désigner par là un pays placé sous l’invocation de Saint-Maurice. Il serait par trop absurde de supposer que Jornandès a entendu que les deux armées se seraient mesurées sur un champ de bataille de cent lieues d’étendue. Les Champs Catalauniens, tels qu’il les désigne, comprennent donc cette plaine immense, de tout temps nue et aride, qui, a donné son nom à la Champagne. Il résulte des mesures qu’il rapporte que le pas gaulois serait de trois pieds, et la lieue gauloise d’un tiers de lieue commune de France ; à peu près comme le mille anglais et germanique. En effet, en mesurant la longueur de la Champagne, à partir de la rivière d’Aisne, prise à Vouziers, jusqu’à deux lieues au-delà de Troyes, limites de la formation crayeuse, on trouve trente-trois lieues de 2.250 toises. Quant à la largeur, il faut, pour trouver les 23 lieues de France, qui donnent les 70 lieues gauloises de Jornandès, la prendre à partir d’Ariola, près de la rivière de Chée, jusqu’à la rivière d’Aisne à Berry-au-bac, ce qui excède un peu les limites de la Champagne proprement dite. Danville, dans son traité des mesures itinéraires des Romains, fixe la longueur de la lieue gauloise à 1.133 toises un quart, ce qui fait juste la moitié en sus de celle qui se déduit de l’énoncé de Jornandès. Pour concilier ces deux versions, il faudrait supposer que les limites de la Champagne ne sont pas celles que je viens d’assigner, et alors je ne sais plus où il faudrait les prendre pour trouver 50 lieues ordinaires de France dans un sens, et 35 dans l’autre ; car, pour obtenir la première mesure dans la direction nord et sud, il faut aller de la Meuse à l’Yonne, et si l’on part de Saint-Dizier, où commence le pays plat, on ne s’arrête qu’à Soissons, dans la direction de l’est à l’ouest, pour compléter la seconde. On est donc fondé, à croire que Danville a confondu, dans cette occasion, le mille romain que j’ai prouvé à la 14e note du chapitre Ier, être de 1.290 toises ou quelqu’autre mesure en usage dans les pays soumis à la domination romaine, avec la lieue gauloise de 1.500 pas, employée ici par Jornandès, et qui n’est que de 750 toises. Un autre fait, que je tire de la statistique du département de l’Aisne, me porte à admettre qu’il y avait deux sortes de lieues gauloises, ou du moins usitées par les Romains dans les Gaules à cette époque ; l’une, qui est représentée aujourd’hui par le mille anglais et germanique, et l’autre à laquelle répond le mille italique, lequel équivaut à une demi-lieue commune de France. En effet, on a trouvé, d’après cette statistique, à Vic-sur-Aisne, distant de 8.000 toises de Soissons, une borne milliaire dont l’inscription porte qu’elle a été placée à sept lieues de Soissons sous l’empire de Caracalla ; nous aurions donc ici la lieue de 1.143 toises qui est à peu près celle de Danville, importée par les Romains dans les Gaules, et la lieue de Jornandès serait celle des Gaules, proprement dite, devenue seule en usage aussitôt que le pays aurait cessé d’appartenir aux Romains. Au surplus, il est possible qu’il n’y ait rien de bien précis dans l’énoncé de Jornandès, et que cet historien n’ait voulu désigner qu’approximativement les limites de la Champagne, sans attacher aucune importance à vérifier les dimensions qu’il leur assignait. GRÉGOIRE DE TOURS (Liv. 2. chap. 6.)GRÉGOIRE DE TOURS se présente le troisième dans l’ordre chronologique parmi les historiens de l’invasion. Né en 531 et mort en 595, il a laissé une histoire France qui embrasse une période de 174 ans, à partir de l’établissement des Francs dans les Gaules jusqu’à sa mort. Il est très laconique sur ce qui regarde Attila, cependant son témoignage n’est pas sans importance pour fixer le lieu de la bataille. Voici ses expressions : Ætius et Theodoricus.......... Attilam fugant, Mauriacum campum adiens, se prœcingit ad bellum. Ætius et Théodoric mettent Attila en fuite, lequel se retire dans le camp de Mauriac (ou dans la plaine de Mauriac), et s’y prépare à une bataille. On peut inférer de ces expressions qu’Attila avait choisi lui-même son champ de bataille, et qu’il avait mis un certain nombre de jours à se préparer au combat. Du reste, rien ne s’oppose à ce que Mauriacus ne soit considéré comme un nom propre et à ce que campus Mauriacus ne désigne les bords de la Noblette ou s’élevait une bourgade inconnue jusqu’alors, portant le nom de Mauriacus. ISIDORE DE SÉVILLE ISIDORE DE SÉVILLE, né en 570, était contemporain de Grégoire de Tours, et ami de Saint Grégoire, qui se consultait souvent. Fils d’un gouverneur de Carthagène, il avait reçu une éducation distinguée ; son érudition était immense : il savait le grec, le latin, l’hébreu..... mais il manquait de goût et parfois même de jugement. Comme écrivain, il mérite les plus grands égards, et avant la renaissance de la critique historique, il occupait parmi les historiens un des rangs les plus distingués. Il rapporte que la bataille s’est donnée dans la plaine de Mauriac, ubi Mauriacus campus tribus leucis Catalauno abest. Rien de plus positif que cette expression. Peut-on supposer que la distance de trois lieues, qui précise si bien le lieu, de la bataille, soit un jeu de l’imagination de l’historien ; est-ce par hasard que la topographie s’accorde si exactement avec l’histoire ? Cette distance de trois lieues justes, qui se trouve depuis Chalons jusqu’au camp d’Attila, a-t-elle été intercalée après coup par une main infidèle, ou n’est-elle pas plutôt l’énoncé exact d’un fait généralement connu, qui est venu se placer tout naturellement sous la plume de l’écrivain. FRÉDÉGAIRE (Chronique, Liv. 3.)Après Isidore de Séville, vient FRÉDÉGAIRE, né français, (probablement en Bourgogne,) auteur estimé d’une chronique qu’il paraît avoir composée en partie d’après Saint-Jérôme, Eusèbe et Idace. Il vivait encore en 658. Voici ce qu’il rapporte de la bataille : Hunni repedentes Tricassis, in Mauriacensi consident campania.......... Thorismundus cum Attila, Mauriaci confligit certamine ; ibique tribus diebus utrœque phalanges invicem preliantur et innumerabilis gentium multitudo occubuit. Les Huns repassant par Troyes, prennent position dans la plaine de Mauriacus.......... Thorismond livre bande à Attila dans un lieu nommé Mauriacus. La bataille dure trois jours ; une multitude innombrable périt. C’est par erreur que Frédégaire attribue tout l’honneur de la bataille à Thorismond ; à cela près, son récit nous révèle deux circonstances importantes : la première, que le bataille a dû se donner sur la rive droite de la Seine puisque les Huns ne s’arrêtent qu’après avoir repassé par Troyes ; la seconde que l’on se battit pendant trois jours, c’est-à-dire qu’Attila, renfermé des le second jour de la bataille dans son camp, ayant en avant de ses lignes des forces imposantes, et au loin des corps détachés encore très nombreux, courut plusieurs jours de suite la chance des combats, et que ce n’est qu’après de longs efforts et une lutte opiniâtre qu’il se décida à capituler. Il paraît au reste que Frédégaire avait emprunté cette première circonstance à Idace, car il dit absolument dans les mêmes termes : que les Huns, après avoir repassé par Troyes, (repedentes Tricassis,) prennent position dans la plaine de Mauriac. EGINHARD EGINHARD, secrétaire et gendre de Charlemagne, qui mourut en 839, se sert des mêmes expressions que Frédégaire. Il dit que la bataille eut lieu in Mauriacensi campania, dans la plaine de Mauriac. SAINT AIGNAN L’auteur de la vie de SAINT AIGNAN, évêque d’Orléans à l’époque du siège, rapporte qu’après la levée du siège, où Attila fut battu par Ætius, le Hun chercha avec les débris de son armée un refuge dans la fuite jusqu’à ce que cette armée, digne de périr par le glaive, trouva, par le jugement du seigneur, sa sentence de mort dans un lieu nommé Mauriac. Reliqua pars Hunnorum fugœ prœsidium expetit ; donec, judicante Domino, in loco qui vocatur Mauriacus, tracidanda gladiis, mortis sententiam expectaret. Bataille devant Orléans, retraite précipitée, nouvelle bataille dans la plaine de Mauriac, tous ces faits cadrent parfaitement avec le système que j’ai suivi, et l’on peut même dire qu’ils ne se prêtent à aucune autre interprétation. Il me parait clairement établi par les témoignages que je viens de rapporter : 1° Qu’Attila a été défait devant Orléans. 2° Qu’il a battu en retraite vers les plaines de la Champagne. 3° Qu’après avoir repassé la Seine, il a livré une seconde bataille qui a mis fin à son invasion. 4° Que cette bataille s’est donnée dans les champs Catalauniens, près d’un lieu nommé Mauriacus, distant de trois lieues de la ville de Châlons. Les auteurs modernes renferment plus d’erreurs, ou sont moins d’accord entre eux et exigent par conséquent une plus longue réfutation que les anciens. Cependant je n’entrerai dans des développements de quelqu’étendue qu’à l’égard de Grosley, celui de tous qui a le plus contribué à faire perdre le fil de la vérité historique. Son nom est d’une telle autorité en cette matière, qu’on ne saurait trop se hâter de lui enlever le bénéfice de la prescription. Sans m’attacher rigoureusement à l’ordre des dates qui est ici sans intérêt, le passerai d’abord en revue les témoignages les moins importants. NOGUIER ANTOINE NOGUIER, dans son histoire Tolosaine, prétend qu’Attila descendit d’abord en Suisse, qu’il prit Constance, Bâle et Strasbourg, et de là conduisit son armée à Reims..... que les forces combinées des Romains et des Visigoths l’attendirent à Toulouse, et que la bataille fut donnée en un champ qui se nomme les Cathalens, ou selon d’autres les Cathaires, distant de Toulouse d’environ sept lieues, dans la direction de Carcassonne. Il ajoute qu’Attila fit sa retraite par Reims d’abord, ensuite par Troyes où Saint Loup l’adoucit. Il fixe la bataille à l’an 444 de notre ère, de la fondation de Toulouse 1727, de Rome 1159, du monde 5613. Le récit trop peu circonstancié de Paul Diacre est sans doute la source où l’auteur a puisé l’indication de la route suivie par Attila pour se rendre à Reims, et sous ce rapport on n’a qu’une demi-erreur à lui reprocher. Car si l’on veut concilier tous les historiens et tic pas regarder comme une fable le témoignage de Paul Diacre, il faut admettre qu’un corps de Huns a passé le Rhin à Basle et a occupé, l’Alsace après avoir battu les Bourguignons. Mais les plus simples notions de la géographie et de l’histoire, je dirai même du bon sens, suffisent pour repousser comme invraisemblables, comme impertinentes et absurdes les autres parties de cette narration. Une sorte de consonance entre le mot Cathalens et les campi Catalaunici de Jornandès a pu seule servir de base à ce système qui ne soutient pas l’examen. MARIANA Dans son histoire d’Espagne, traduite en français par le père Charenton, MARIANA, raconte que la bataille s’est donnée dans les plaines Catalauniques ; mais le traducteur, qui était probablement Bourguignon, rend le mot Catalaunis par la Bourgogne, autre bévue qui ne mérite pas de réfutation. PAPIRE MASSON PAPIRE MASSON, dans son livre des Calamités des Gaules, après avoir disserté longuement sur la bataille, ajoute qu’il n’est pas possible de déterminer au juste l’endroit où elle s’est donnée, ce qui lui fait dire que quelque devin ou quelque fée en a voulu dérober la connaissance à la postérité. Campi Mauriaci peculiari et proprio nomine sunt distincti, in quibus contra Hunnos fortissime dimicatum est, quod loci nomen Divas aliquis aut Diva forsitan ignotum reddidit. Il n’a pas fallu à l’auteur un grand effort d’imagination pour trousser cette singulière explication de l’obscurité ou des contradictions qu’il avait pu remarqu dans les récits de ses devanciers. Cependant on se permettra de lui reprocher d’appeler trop facilement la machine épique à son secours ; il a oublié que le poète recommande de la tenir en réserve et de ne l’employer que dans les grandes occasions. Nec
Deus intersit, nisi dignus vindice nodus Inciderit.......... ADRIEN DE VALOIS ADRIEN DE VALOIS a extrait des écrits de Grégoire de Tours, de Frédégaire et autres, une histoire des Gaulois et des Francs ou une notice des Gaules, qui s’étend depuis l’année 254 jusqu’en 752, Il assure que la bataille s’est donnée dans la plaine de Méry-sur-Seine, d’où il conclut que Jornandès a confondu les plaines de la Champagne avec la plaine de Méry, prenant le tout pour sa partie. Cette assertion n’étant appuyée d’aucune preuve, n’a d’autre mérite que d’être personnelle à l’auteur, et ne peut dès lors être d’aucun poids dans la discussion. BURET DE LONGCHAMP ET DE GUIGNES BURET DE LONGCHAMP, dans ses fastes universels, DE GUIGNES dans son histoire des Huns, ont adopté à peu prés la même opinion qu’Adrien de Valois. Je ne les cite que pour compléter la liste de ceux qui ont fait des recherches sur Attila ou du moins qui en ont parlé. TRASSE TRASSE, chanoine de Troyes, qui a donné dans le Mercure, d’avril et de mai 1753, une dissertation sur la bataille d’Attila, avait été longtemps curé de Romilly-sur-Seine, village situé entre Pont et Méry. La vue d’une belle plaine, le nom de Mauriacus qu’il appliquait à la ville de Méry, les traditions populaires qui avaient conservé le nom d’Attila dans ces contrées, quelques accidents de terrain qui cadraient assez bien avec le récit de Jornandès, lui firent naître l’idée que la bataille avait dû se donner dans la plaine qu’il avait sous les yeux. Il se livra a de nom Buses recherches, fit un examen détaillé des localités, et plein de conviction dans la bonté de son système ; il composa sa dissertation qu’il est inutile de rapporter ici, attendu qu’elle diffère peu de celle de Grosley, que je vais bientôt analyser. SABBATHIER SABBATHIER, secrétaire perpétuel de l’académie de Châlons, affecté de cette prétention nouvelle de l’abbé Trasse, qui enlevait aux champs Catalauniens la gloire dont ils étaient en possession depuis tant de siècles, d’avoir été le théâtre de cette fameuse bataille, lut, le 5 septembre 1764, à cette société, un mémoire sur le lieu où Attila fut défait. Ce mémoire, inséré dans le Mercure d’avril 1765, ne renferme rien d’absolument de neuf, et laisse toujours dans le vague la grande question qu’il s’agissait de décider. GROSLEY J’arrive au plus redoutable de mes adversaires, au savant et ingénieux GROSLEY. Je lui dois d’autant plus de ménagements et d’égards, que l’académie de Châlons le comptait au nombre de ses associés libres, dès l’année 1754, c’est donc en quelque sorte un concitoyen, un confrère avec lequel je vais avoir le regret de me trouver en opposition. Né à Troyes, en 1718, Grosley entreprit, dès 1758, de donner à sa ville natale une preuve éclatante de son patriotisme et de son zèle, en se livrant à des recherches profondes sur son histoire, sur ses usages, ses mœurs, ses établissements, ses grands personnages, son industrie et ses monuments. Le résultat de ces recherches, publié sous le titre d’éphémérides, parut périodiquement jusqu’en 1768. Lié d’amitié avec M. Trasse, qui avait été longtemps, comme je viens de le dire, curé de Romilly-sur-Seine, les recherches auxquelles celui-ci s’était livré sur la bataille d’Attila, fixèrent l’attention de Grosley. Passionné pour ce genre d’études, Grosley vit d’abord, dans un évènement de cette importance, un titre de plus à la célébrité qu’il s’efforçait d’attirer sur son pays. Partageant bientôt l’opinion de son ami, il employa toutes les richesses de son érudition à la répandre et à l’accréditer. Cette solution inattendue d’une question si longtemps agitée et toujours indécise, le flattait comme citoyen et comme érudit, et il s’attachait avec d’autant plus d’ardeur à la propager, qu’il trouvait, dans ce nouveau point de vue historique, matière à une double satisfaction. Les matériaux qu’il a rassemblés sont importants ; il a compulsé tous les historiens, et ne trouvant dans les travaux de ses devanciers aucun fait absolument contraire à son système, il s’est efforcé d’y adapter toutes les circonstances de leurs récits. Il a dû quelquefois faire violence au sens naturel de l’auteur qu’il consultait, négliger même quelques expressions ou quelques passages qui ne cadraient, pas entièrement avec ses idées ; mais, s’il a cédé à cette tentation, c’est évidemment parce qu’il n’y avait que ce seul moyen de donner toute la vraisemblance désirable à l’opinion qu’il avait adoptée. Le mémoire de Grosley a trop d’étendue pour que je puisse le rapporter ici en entier. Il me suffira d’en donner l’analyse, et d’en extraire les points les plus saillants, pour faire connaître la marche et l’esprit de cette composition. Ce mémoire, en 25 pages, est intitulé Recherches qui fixent près de Troyes, le lieu de la bataille d’Attila en 451. Attila passa, en 451, de la Pannonie dans les Gaules, à la tête de 500.000 hommes ; son dessein était de faire la guerre à Théodoric, qui régnait entre la Loire, l’Océan et la Méditerranée. Il prit Metz, la veille de Pâques, qui tombait le 17 avril, et la saccagea. Il se montra au mois de mai sur le territoire de Reims, qui eut le même sort. Au lieu de marcher immédiatement sur Paris, il résolut se porter directement sur la Loire. Il y a lieu de croire qu’il passa la Seine à Pont... Il se porta ensuite, sur l’Yonne et ravagea Auxerre[1], partie de son armée passa l’Yonne à Auxerre, l’autre à Pont-sur-Seine. Il arriva sur la Loire, à la vue d’Orléans, le 24 juin. Les Français sous la conduite de Mérovée, les Bourguignons, les Gaulois de la Belgique et de la Celtique, les Saxons auxiliaires viennent joindre Ætius, qui se trouve ainsi à la tête de 200.000 hommes. Il s’était réuni à Théodoric avant que d’arriver à la vue d’Orléans. Aussitôt qu’Ætius et Théodoric s’aperçurent qu’Attila levait le siége[2], ils se mirent à sa poursuite. Il y eut une affaire d’arrière-garde prés d’Orléans. Ce qui a fait dire à Idace et à Jornandès[3], qu’il y eut une grande bataille sur la Loire, près d’Orléans, où Théodoric perdit la vie avec 200.000 Goths. Erreur évidente, car Jornandès ajoute que cette bataille se donna dans les plaines de Châlons. Grégoire de Tours dit qu’Attila s’étant retiré dans la plaine de Mauriac, s’y prépare au combat, et que voyant son armée prête à périr, il se retire avec précipitation, Théodoric est tué dans cette action. Il s’est donc passé deux actions l’une lors de la levée, du siège d’Orléans[4] ; l’autre à Mauriacum. Ce sentiment est appuyé par les actes de saint Anien, évêque d’Orléans, où on lit qu’Attila, forcé de lever le siège, prit la fuite et qu’étant arrivé à Mauriacum[5], il y livra bataille et que son armée fût presque entièrement défaite. Ætius avait prévenu Attila dans sa retraite et avait fait rompre les ponts sur la Seine, et il le suivait dans le dessein de le combattre dès qu’il l’aurait joint. Presque tous les historiens conviennent que cette bataille s’est donnée dans les plaines de Châlons-sur-Marne, in campis Catalaunicis, que Jornandès désigné, ensuite d’une manière plus particulière par ces mots campi Mauriaci ; c’est-à-dire qu’elle a été donnée dans la plaine de Mauriacum. Grégoire de Tours dit qu’Attila se retira dans les plaines de Mauriacum. Les actes de la vie de St Anien disent qu’Attila fut défait in loco qui vocatur Mauriacus. Idace dit positivement que les Huns dirigèrent leur marche vers la ville de Troyes, à dessein de camper dans les champs Mauriariens, Hunni repedentes Tricassis, in Mauriacensi consident campania. Or, la petite ville de Méry s’appelait autrefois Mauriacum, et ce nom s’est étendu à la plaine qui l’environne, campus Mauriacus et campania Mauriacensis. Cette identité se démontre par ce qu’on lit dans Aimoin, que la reine Brunehault, chassée du royaume d’Austrasie, arriva dans cette partie de la Champagne appelée Mauriacensis, où elle fut obligée de prendre un guide pour la conduire en bourgogne. Ce sentiment est appuyé de l’autorité de M. de Valois, qui, dans sa notice des Gaules, assure que la bataille s’est donnée dans la plaine de Méry, qui est celle désignée par Mauriacum, campus Mauriacus et campania Mauriacensis. Une dernière preuve se tire des actes de la vie de St Loup, qui assurent que les Huns s’étant répandus dans les Gaules, l’alarme devint générale ; que St Loup, persuadé de l’inutilité et de l’impossibilité de défendre une ville ouverte, envoya complimenter Attila qui était campé vers le village de Brolium[6], à présent Saint-Mesmin, distant de cinq lieues de. Troyes, que sept clercs et un diacre se présentèrent à lui précédés de la croix, qu’Attila les reçut bien, mais qu’ensuite il les fit massacrer. Ainsi Attila était alors campé, à cinq lieues de Troyes, dans la plaine voisine de Méry ; c’est donc là qu’on doit trouver ce champ de bataille si souvent appelé campus Mauriacus. DESCRIPTION DU
CHAMP DE BATAILLE 1° La plaine de Méry, à gauche de la Seine, a plus de quatre lieues de longueur et de deux lieues de largeur jusque vers les hameaux de Echemines et d’Ocey ; elle a donc pu contenir deux armées de 500.000 combattants[7] environ chacune. Attila a pu camper entre Savière et Saint-Mesmin, ayant devant lui le petit ruisseau de Fontaine, à cheval sur la route de Troyes à Pont. Ætius a pu camper vers le village de Chatres, qui s’appelle en latin Castrum, peut-être à cause du camp de ce général. Il a dû placer ses équipages qui étaient considérables, pour leur sûreté, entre Romilly et le ruisseau de Pars, prés d’une hauteur appelée les Hauts-Buissons d’où l’on pouvait aisément découvrir les mouvements des Huns. On voit à la tête des marais, vers Pars, deux ou trois petites élévations appelées Temels[8], qui paraissent avoir servi pour y poster des sentinelles. 2° Entre ces deux camps, l’espace est convenable et suffisant pour ranger les deux armées en bataille. Ætius commandait l’aile gauche placée entre Chatres et Saint-Georges, à cheval sur la route. Théodoric à l’aile droite était posté vers Orvilliers. Sangiban occupait le centre. Attila[9] avait sa droite sur Saint-Mesmin, sa gauche vers Echemines, lui-même commandait le centre afin d’être à portée de tout. 3° Entre ces deux armées il y avait une petite colline[10] importante par sa situation, en sorte que les deux armées avaient dessein de s’en emparer. Or cette colline se trouve dans la plaine de Méry, on l’appelle la hauteur de Saint-Georges. 4° Il devait se trouver là un petit ruisseau avec des bords peu élevés. On voit ce ruisseau au bas de la colline du côté du campement d’Attila ; il prend sa source vers le prieuré de Saint-Georges[11]. D’après toutes ces observations, il parait démontré que cette fameuse bataille a été réellement décidée dans la plaine de Méry. Ici Grosley réfute les opinions contraires à son système. L’opinion des auteurs qui placent la bataille vers la ville de Châlons, est en contradiction avec tous les monuments, et ne peut se concilier, dit-il : 1° Avec le campement[12] d’Attila dans le voisinage de Troyes ; l’envoi d’une députation à ce prince par saint Loup, et le martyre des députés vers Saint-Mesmin. 2° Avec le passage d’Attila par la ville de Troyes, et la sûreté que lui donne Saint Loup en l’accompagnant en qualité d’otage, dans sa retraite. Si Attila eût perdu la bataille au-delà de Châlons, comment peut-on supposer qu’il eût rétrogradé pour venir à Troyes, en s’éloignant de son véritable chemin, puisque suivant le traité fait avec Ætius, il était obligé de regagner le Rhin. L’auteur reprend ensuite son récit : Attila arriva en Champagne vers la fin d’août ou au commencement de septembre. Ayant choisi la plaine de Méry pour y camper, il laissa devant lui le ruisseau de Saint-Georges et la petite colline si importante par se situation. Les armées s’étant mises en ordre de bataille dès le matin[13] du 9 au 10 septembre, Attila fit sonner la charge..... Au premier signal, son aile droite passe le ruisseau[14] en bon ordre et s’avance pour s’emparer de la colline. Ils y trouvent les Romains : un combat opiniâtre s’engage sur toute la ligne..... Enfin les Huns, poussés de toutes parts, commencent à plier..... Ils furent enfoncés partout. On vit alors le ruisseau abandonné rouler le sang à pleins bords avec la rapidité d’un torrent..... Attila faisait manœuvrer sa cavalerie pour assurer sa retraite. Il était tard, le jour unissait. Théodoric s’étant trop avancé, eut son cheval tué sous lui. Il tomba et mourut foulé aux pieds des chevaux. Attila se retira précipitamment dans son camp où il recueillit les débris de son armée. Il fit travailler toute la nuit à renforcer ses retranchements[15]..... (Et plus loin,) il fit faire au milieu de son camp un retranchement où il rassembla ses effets précieux, son trésor, etc. Il est vraisemblable que Théodoric fut enterré à la vue du camp ennemi, en signe de triomphe, sur la colline même[16], dans l’endroit où existe encore une chapelle dédiée à Saint-Georges, patron des vainqueurs et protecteur des guerriers. Thorismond, après avoir rendit les derniers devoirs à son père[17], brûlait du désir de venger sa mort..... On insulta le camp ennemi... Cette petite guerre dura quelques jours... Enfin ce prince si fier fit proposer à Ætius une somme de dix mille sols d’or, avec promesse d’évacuer les Gaules et de s’en retourner au-delà du Rhin..... Ætius redoutait l’ambition de Thorismond ; il traita avec Attila..... On croit qu’il souhaitait de parvenir à l’empire. Le soupçon qu’en eut par la suite la cour de Ravenne, lui coûta la vie..... Vers le 20 du mois de septembre, dix jours environ après la bataille, Attila décampa.... Il alla à Troyes, promit d’épargner la ville, à condition que Saint Loup l’accompagnerait jusqu’au Rhin[18]. Maintenant il me parait suffisamment établi que la bataille ne s’est pas donnée à Méry. Le champ de bataille eût été on ne peut pas plus mal choisi ; coupé de sa ligne d’opération, Attila aurait commis la faute grave de ne pas attirer à lui tous ses renforts avant de se mesurer avec son ennemi ; battu, il ne lui restait aucune possibilité de se retirer sur le Rhin. Ætius lui-même aurait commis une faute semblable, car il avait besoin de toutes ses forces pour porter un coup décisif, et c’est seulement au-delà de la Marne, dans la plaine de Reims, qu’il fut rejoint par les Belges, par les Saxons, par les Bourguignons, eu qu’il put rallier à lui tous ses détachements. GRANGIER Je me reprocherais de passer sous silence le travail obscur et peut-être trop dédaigné de l’un de nos compatriotes, du simple et modeste GRANGIER, lequel a donné en 1641 une dissertation latine sur le lieu où Attila fut défait. Jean Grangier, professeur de l’université de Paris, et principal du collège de Beauvais, était né à Châlons vers l’an 1576. C’est à l’aide des renseignements que lui fournit son ami, Nicolas Copitet, aussi de Châlons, qu’il a composé sa dissertation. Il est évident qu’il se proposait de consacrer, par cet écrit, l’existence d’une tradition populaire très répandue dans le pays, sur le lieu où la bataille d’Attila s’était livrée ; tradition qui était peut-être alors controversée dans le monde savant, mais qu’il a étayée de si pauvres arguments, que son ouvrage, loin de la remettre en honneur, dut plutôt l’affaiblir et la discréditer. Voici en quels termes Grosley juge le travail de Grangier : Il prétend, dit-il, qu’Attila fut battu dans le voisinage de Châlons, prés le village de Cuperly, où il existe encore un de ces camps retranchés, que tenaient les troupes romaines, destinées à la garde des frontières de l’empire ; le peuple l’appelle camp à Attila, mais le peuple se trompe bien souvent en matière de cette espèce. Le dédain que Grosley témoigne ici pour les traditions populaires, est sans doute la cause des erreurs graves où il est tombé lui-même clans sa dissertation. Il eût été de son devoir de venir vérifier sur place ce que Grangier affirmait du lieu de la bataille : il a préféré un autre système ; ce en quoi il est d’autant moins excusable que, de tous les chroniqueurs, lui seul peut-être était à portée de faire jaillir la lumière du choc des opinions et de débrouiller le chaos des anciens historiens. Il rappelle ironiquement que Grangier est le même à qui Cyrano a donné le premier rôle dans son pédant joué, et il le croit suffisamment réfuté par cette mordante observation. La dissertation de Grangier, écrite d’un style emphatique, est une brochure en 37 pages, que les libraires de Leipsick ont eu le courage de réimprimer en 1746. Elle est dédiée au cardinal de Richelieu, alors abbé de Saint-Pierre de Châlon. Après uni assez long préambule, qui n’a aucun rapport avec la question ; après un éloge pompeux des vertus de son éminence, et quelques généralités triviales sur l’histoire, l’auteur divise les historiens qui ont parlé de la bataille en moi dames. Il n’a pas de peine à prouver l’absurdité de ceux qui disent que les champs Catalauniens ne sont distants de Toulouse que de trois lieues ; qui nomment Montesch, le lieu de la bataille, et qui font dériver ce nom de celui d’Ætius. Il lie combat pas avec moins de succès ceux qui placent ce champ de bataille dans les montagnes de l’Auvergne, parce qu’il s’y trouve, disent-ils, quelque part une colline, au haut de laquelle est une croix nommée Croix des batailles. Arrivant ensuite à ceux qui admettent que la bataille s’est donnée dans les plaines de la Champagne, il se propose de revendiquer cet honneur pour les environs de Châlons. Chemin faisant, il attribue la mort de Saint-Nicaise et la ruine de Reims à Attila, (ce qui est un anachronisme de 43 ans,) et le salut de Châlons aux prières de Saint Alpin. Après avoir mis, à la manière antique, un très long discours dans la bouche d’Attila avant la bataille, il cite une note manuscrite d’un livre du chapitre de la cathédrale de Châlons, contenant l’histoire du divin Antonin, à l’endroit où se trouve le récit de la défaite d’Attila, laquelle est ainsi conçue. Bellum hoc apud Campam-Villam agri Catalaunensis, ubi adhuc vestigia restant, gesium est. Est enim ibi ager, seu campus magnus, fossatis conclusus, in pede cujus est fluvius ille de quo dicitur in textu. Grangier ajoute que ce lieu ubi Attila ab adversariis victus se noctis beneficio recepit, tutavit, munivit, se nomme encore le vieux Châlons. Il cite en outre un passage de Nicéphore, au 14e livre de l’histoire de Mérovée, lequel attribue, comme de raison, une très grande part aux Francs dans le gain de la bataille, et ajoute même une observation peu bienveillante pour les Romains. Romani prestinœ virtutis memorec, acriter instabant, sed male afficiebantur a Hunnis arcu pollentibus, cum essent nudati.... usque adeo ut de fuga non de pugna cogitare viderentur, nisi subvenisset Ætius..... Grangier s’attache beaucoup à l’étymologie du nom de Mauriac, mais il n’est pas heureux dans ses déductions. Il prétend que ce sont les villages de Maurupt et d’Heitz-le-Maurupt, distants du camp d’Attila de dix lieues, et séparés de la Champagne, l’un par une vallée marécageuse, l’autre par deux grandes rivières, la Saulx et l’Ornain, ainsi que par plusieurs autres villages, qui ont donne leur nom à la bataille, et il appuie cette singulière opinion sur titi extrait de l’index des cures de l’évêché de Châlons ; au reste, écoutons-le lui-même. Redeo ad fluvium quem illa ipsa pugna permista cœde tepefecit. Is de nomine vici quem irrigat Meletes vocatur ; et propter vicos qui Moru et Elmoru appellantur in illo tractu, quique agro Moriaco et Moriacensi nomen dedere, pugnœ cognominem celebrant. Horum alterum et quidem posteriorem index curiarum episcopii hœsum Almarici latine vocitat, qua de causa non ita scire laboro ; priorem vero de malo vivo indigetat, quem non solum ille ipse rivulus, verum etiam alii sic aquosum efficiunt, ut non nisi per grallatores obiri possit hyberna tempestate. Après une discussion aussi lumineuse, étayée de preuves aussi convaincantes, Grangier, pour ne rien laisser à désirer à son Mécène, enrichit son travail du portrait d’Attila, portrait dont la ressemblance est d’autant plus frappante qu’il lui donne avec des traits, d’ailleurs assez réguliers, un air impitoyable et féroce, et que, pour caractériser sa méchanceté diabolique, il lui implante deux cornes de bélier sur le front. AppendiceSi Mauriacus ne désigne pas Méry-sur-Seine, quel lieu peut-il désigner ? Jornandès dit que les champs Catalauniens se nomment aussi les champs Mauriciens. Cette expression est trop vague pour s’appliquer à un lieu déterminé ; d’ailleurs Mauricius, si ce n’est pas une faute de copiste, est différent de Mauriacus. Grégoire de Tours s’exprime plus clairement. Selon lui Attila Mautiacum campum adiens, se prœcigint ad bellum. Ainsi Attila se prépare au combat dans les champs de Mauriac. Selon Frédégaire, Thorismondus cum Attila, Mauriaci confligit certamine. Enfin la vie de Saint-Aignan dit en propres termes, que la bataille s’est donnée dans un lieu nommé Mauriacus, in loco qui vocatur, Mauriacus. Au lieu où est Lacheppe, existait nécessairement du temps des Romains un endroit habité. La rencontre d’une des principales voies militaires avec un ruisseau pur et abondant, au sein d’une plaine aride et d’une immense étendue, ne permet pas de douter que là ne se trouvât un lieu de repos, une mansion pour les troupes, un relais pour les voyageurs ; je crois pouvoir avancer que cet endroit se nommait Mauriacus. Si l’on objecte que Mauriac n’offre pas la plus légère consonance avec Lacheppe, je ferai observer que la différence entre ces deux noms n’est pas plus grande qu’entre Caturigas et Bar-le-Duc, Axuenna et Vienne-la-Ville, Bibé et le Mont-Aimé, et je demanderai par quelle transformation Meaux est venu de Latinum, Metz de Divodurum, Orléans de Genabum, Amiens de Somarobriva, Arras de Nemetacum, Reims de Durocortorum, et tant d’autres dont l’identité n’est cependant pas contestée. Mauriac donna son nom à la grande redoute ou au camp retranché d’Attila, et comme c’est là qu’étaient ses bagages, son quartier général, ses trésors, et qu’il fut réduit à capituler, Ætius désigna la bataille par le lieu où s’était passé cet événement important : elle fut donc nommée bataille de Mauriacus. A la vérité un autre village pouvait exister sur l’emplacement de Bussy, et comme ce point était le centre de la seconde position d’Attila, celui où les Romains avaient eu tant de peine à forcer le passage du ruisseau, il ne serait pas impossible que ce village n’eût aussi donné son nom à la bataille. Enfin, au lieu où est le bourg de Suippe, a dû exister dès les temps les plus reculés une ville ou un village dont le nom pouvait s’étendre à toute la plaine qui fut le théâtre de cette grande action. Quoique j’adopte exclusivement la première version, le choix est libre entre celle que je regarde comme la plus vraisemblable ou pour mieux dire comme la seule vraisemblable, et les deux autres que je viens d’indiquer. FIN |
[1] Le gros de l’armée dut se porter directement sur Orléans, en passant l’Yonne à Sens, à Pont et à Montereau.
Un détachement put remonter l’Yonne, avec ordre d’observer les Bourguignons, et de mettre Auxerre à contribution.
[2] Un homme de la trempe d’Attila, ne lève pas un siége aussi avancé et qui lui a déjà coûté tant de sacrifices, sans livrer bataille, et une bataille sanglante à l’ennemi qui vient l’attaquer.
[3] Le récit de Jornandès est obscur et incomplet ; car, sans parler en aucune manière de la levée du siége ni de la retraite, il vous transporte au même instant à Orléans, et dans les champs Catalauniens. Mais on ne peut pas en inférer que la bataille se soit donnée sur la Loire ; on doit interpréter par ce qui est clair, ce qui est obscur ; or il est clairement exprimé par Jornandès que l’action se passa dans les champs Catalauniens, nommés aussi Mauriciens.
[4] Il s’en est passé trois, l’une lors de la levée du siège, l’autre lors du passage de la Seine, où Attila avait été prévenu par Ætius, comme vous le dites vous même un peu plus loin, et la troisième dans les plaines de Châlons.
[5] La question se réduit à savoir quelle est la véritable dénomination de Méry en latin, et si les expressions employées par les différents auteurs lui sont applicables où ne peuvent pas désigner un autre lieu.
Le seul auteur ancien qui ait eu évidemment l’intention de désigner Méry, est Aimoin, parlant de la fuite de la reine Brunehault ; or voici ses propres expressions citées en note par Grosley :
Brunechildis ab Austrasiis ejecta est, et in Mairciacensi campania à quodam homine paupere reperitur.
Il suit de là que Méry ne doit pas se dire Mauriacris, comme il résulterait des textes d’Idace, de Grégoire de Tours et de St Aignan, s’ils lui étaient appliqués ; mais Mauriacus, qui est le mot latin employé par Aimoin, dont l’autorité n’est pas moins grande pour l’éclaircissement de ce fait que celle des autres écrivains que nous venons de citer.
J’ajoute qu’il n’est aucun de ces auteurs qui ne puisse se concilier avec notre interprétation. Et d’abord, quoique Jornandès désigne la Champagne tout entière, il restreint cependant de suite son expression en ajoutant que la partie des champs Catalauniens où la bataille s’est donnée, se nomme aussi les champs Mauriciens, campi Mauricii. Il est même à observer que cette expression diffère de celles des autres auteurs, en ce qu’elle semble appliquer au champ de bataille un nom propre, celui d’un lieu qui aurait été placé sous l’invocation de St Maurice.
Grégoire de Tours dit qu’Attila se retire in campum Mauriacum ; la vie de Saint-Aignan qu’il est défait in loco qui vocatur Mauriacus. Idace, que les Huns, repassant par Troyes, repedentes Tricassis, vont prendre position, consident, dans les champs Mauriaciens. Si les premiers auteurs ne sont pas contraires à mon opinion ; celui-ci lui est entièrement favorable ; car il résulte de son récit que la bataille s’est donnée après et non avant le passage de la Seine par Attila, c’est-à-dire évidemment près de Châlons, et non prés de Méry.
Grosley confond ici trois expressions bien différentes. Celle de Jornandès, campi Mauricii ; celle d’Idace, de Grégoire de Tours et de la vie de St Aignan, campas Mauriacus, et celle d’Aimoin, Campania Marciacensis ; est-ce à dessein ou par erreur qu’il a fait cette confusion ?
[6] On lit dans la vie de Saint Loup, Hunni, ad Tricassim infesto agmine venere civitatem, patentibus campas sitam, et nec armis munitam, nec mœris. Il est plus naturel de supposer qu’Attila venait de passer la Seine, et qu’avant de marcher sur Orléans, son armée prenait quelques jours de repos, lorsque St Loup lui envoya une députation.
Troyes étant une ville ouverte, nul doute qu’Attila ne l’eût déjà fait occuper par un détachement et que les habitants n’eussent cherché à se le rendre favorable par une prompte soumission. Comment Attila aurait-il négligé de s’emparer d’une ville importante qu’il avait sous la main, lorsque Grosley dit lui-même qu’il fit occuper Auxerre, qui était à douze lieues au-delà. Ainsi, Attila marchait alors sur Orléans. Il est plus que probable que, pendant son séjour sur la Seine, il visita Troyes, où St Loup lui fut présenté, et que c’est dans cette première entrevue qu’il conçut pour les vertus du saint prélat une si grande vénération. Dans sa retraite, il dut également repasser par Troyes, une partie du moins de son armée prit cette direction, et peut-être est-ce alors, qu’Attila persuada à Saint Loup de l’accompagner. En se mettant sous sa protection, il faisait un acte de prudence ; encore plus que de respect. St Loup resta sans doute à Châlons pendant les préparatifs et le jour même de la bataille : mais l’une des clauses du traité qui la suivit, permit à Attila de l’emmener jusqu’au Rhin.
[7] De deux choses l’une, ou les armées étaient moins nombreuses, ou elles ont combattu dans une plaine plus vaste que celle de Méry. Une plaine de deux lieues de largeur admet tout au plus quinze à dix-huit mille hommes de front ; ainsi, chaque armée aurait dû être rangée sur 25 à 30 de profondeur pour que tous les corps prissent part au combat ; or, on sait que le corps le plus renommé pour la force qu’il tirait de son ordre de bataille, la phalange, ne se rangeait que sur seize de hauteur. Le fait est que le nombre des combattants était loin du chiffre supposé par Grosley.
[8] Ces temels sont les monuments du violent combat d’arrière-garde, qu’Attila dut soutenir contre Ætius, pour donner le temps à son armée de se couvrir par la Seine et de gagner les champs Catalauniens, où son projet était dès lors de livrer une grande bataille, après y avoir rassemblé toutes ses forces.
[9] Si telle était la position d’Attila, il était perdu sans ressources. Coupé de sa ligne d’opération, séparé des forces, qu’il avait laissées sur ses derrières, à Châlons, à Reims, sur l’Aisne et sur la Meuse, il ne pouvait plus effectuer sa retraite cers le Rhin. Ætius, maître des ponts de Méry, plus prés qu’Attila d’Arcis et de Châlons, n’avait pas besoin de lui livrer bataille pour assurer sa défaite, il pouvait le détruire sans combat. Attila aurait fait une faute impardonnable en ne s’arrêtant pas en avant de Méry, pour combattre Ætius et pour conserver sa ligne d’opérations. Mais dans ce cas là même, il aurait encore fait un mauvais choix, car un bon général ne l’ivre jamais bataille ayant un défilé soi- ses derrières et adossé à une forêt ou à un pont. (C’est la faute de Wellington à Waterloo, faute qui fut si heureusement réparée par celle de Grouchy,) puisque, s’il est battu, toute retraite lui est impossible, et qu’il se trouve réduit à mettre bas les armes. Telle fut la position de Melas, le soir de la bataille de Marengo.
Attila, comme nous l’avons déjà vu, se battit à Méry, mais uniquement pour donner le temps à son armée de défiler, et il repassa le dernier sur la rive droite de la Seine, en couvrant sa retraite par la rupture des ponts.
Il est inutile d’ajouter que, dans l’ordre de bataille indiqué par Grosley, l’aile gauche d’Attila, de même que l’aile droite d’Ætius, auraient été tout à fait en l’air, sans points d’appui, et exposées à des attaques de flanc, toujours très dangereuses lorsqu’elles sont faites à propos ; et qu’il est encore de règle, dans le choix d’un champ de bataille, d’avoir ses lignes bien appuyés soit par des obstacles naturels, soit par des ouvrages qui donnent à la position adoptée la force qu’elle ne possède pas mutuellement.
Enfin Attila, dans cette position, eût commis une très grande faute en engageant le combat à trois heures après midi, car Jornandès donne à entendre qu’il choisit cette heure avancée par-ce qu’il avait sur ses derrières une vaste plaine pour opérer ?a retraite s’il était battu ; or, en avant de Méry, les Barbares auraient eu un défilé, un pont, une rivière, des marais à traverser pour échapper à l’ennemi, et en arrière, toujours sur la rive gauche de la Seine, ils se trouvaient tellement débordés, que toute retraite vers le Rhin leur était absolument interdite.
[10] Jornandès ne dit pas qu’il y avait une petite colline entre les deux armées, mais que le terrain qui les séparait, s’élevait en forme d’une colline légèrement inclinée :
Erat autem positio loci declivi tamore in modum collis excrescens.
De quelle importance pouvait être pour une armée de 500 mille hommes la possession d’un mamelon comme celui de Saint-Georges, sur lequel peut-être on pouvait à peiné ranger un bataillon de 500 hommes. La colline dont il s’agit, s’étendait, comme on l’a vu dans le premier chapitre, sur plus de la moitié du champ de bataille, et elle donnait effectivement un grand avantage à celui qui en occupait le sommet.
[11] Si Attila avait le projet d’attaquer Ætius, il ne devait pas ranger son armée derrière le ruisseau, c’eût été se créer à plaisir une difficulté très grave, car le passage de ce ruisseau suffisait pour mettre son armée en désordre. Il devait former sa ligne de bataille en ava ut et au haut, de la colline, et il le pouvait d’autant mieux qu’il avait déjà occupé cette colline dans sa retraite, et que, selon Grosley, il avait eu le choir de sa position.
[12] Le campement d’Attila dans le voisinage de Troyes, ne contredit nullement les auteurs, qui placent la bataille dans les plaines de Châlons. Ce campement, ainsi que tout ce qui s’y rapporte, avait eu lien dans la marche d’Attila vers la Loire, et non dans sa retraite après la levée du siège d’Orléans.
Les autres objections sont d’une telle faiblesse qu’on se croit dispensé de les réfuter.
[13] On ne voit pas pourquoi Grosley se met ici en contradiction avec Jornandès, d’après lequel l’action ne commença qu’à trois heures de l’après midi.
[14] Avoir un ruisseau devant soi, lorsqu’on se propose d’attaquer, est une mauvaise position qu’on peut se trouver force d’adopter, mais la choisir librement est une faute capitale qu’Attila ne dut pas commettre.
[15] Ces retranchements où sont-ils, qui les a vus, n’en reste-t-il pas de vestiges ? Approchez-vous de Châlons, venez et voyez : ubi Mauriacus campas tribus leucis Catalamno abest. Isidore de Séville.
[16] Le tombeau d’un roi puissant qui trouve une mort glorieuse sur un champ de bataille aussi fameux, doit offrir quelque chose de remarquable. Ses vestiges doivent traverser les âges, le temps lui-même doit être impuissant pour les effacer ; nul doute que le tumulus de Poix ne soit le tombeau de Théodoric.
[17] Il n’est pas vraisemblable qu’Ætius ait laisse distraire une partie de l’armée des combats qu’elle avait encore à soutenir, pour rendre les honneurs militaires à Théodoric. Il fallait d’abord en finir avec Attila, le forcer dans son camp, et le chasser ou traiter avec lui. C’est donc seulement après le départ des barbares que l’armée tout entière se livra à ce soin pieux, et qu’elle consacra par de nombreux monuments le souvenir de la victoire qu’elle venait de remporter. Six tombeaux (tumuli), quatre pyramides immenses, indépendamment des vastes retranchements qu’Attila avait fait élever, subsistent encore aujourd’hui, ils sont sous nos yeux et transmettront à la postérité la plus reculée la mémoire de ce glorieux événement.
[18] Attila, après le traité d’évacuation, dut retourner sur le Rhin, par journées d’étapes et par le plus court chemin. Il n’était plus en position de promettre ses bonnes grâces aux villes qui se trouveraient sur son passage. L’une des conditions du traité portait qu’il ne se permettrait aucun acte de violence, qu’il se bornerait à demander des vivres aux habitants, et qu’il s’interdirait, à leur égard, toute exaction et tout mauvais traitement. Il ne passa pas à Troyes après la bataille, mais y eût-il passé, étant alors dans l’attitude d’un vaincu, il aurait épargné cette grande ville malgré lui.