L'HOMME AU MASQUE DE FER

 

CHAPITRE VI.

 

 

Le comte de Vermandois. — Son portrait. — Mademoiselle de la Vallière sa mère. — Anecdote tirée des Mémoires secrets pour servir à l'histoire de Perse. — Le P. Griffet en adopte les conclusions. — Arguments qu'il invoque. — Motifs qui rendent suspectes certaines appréciations de mademoiselle de Montpensier. — Invraisemblance du récit des Mémoires de Perse. — Maladie du comte de Vermandois. — Réalité de sa mort attestée par les dépêches les plus authentiques. — Magnificence de ses obsèques. — Fondations pieuses à Arras.

 

Ceux dont l'esprit est naturellement portil.au romanesque, mais qu'un examen, même superficiel, de la question de l'Homme au masque de fer a déterminés à écarter l'hypothèse qui en a fait un fils d'Anne d'Autriche[1], voient volontiers en lui le comte de Vermandois, fils naturel de Louis XIV et de mademoiselle de la Vallière. Cette opinion est une sorte de transaction entre l'impossibilité d'accepter pour héros un être imaginaire et le désir de voir dans le mystérieux prisonnier un très-haut personnage. Après avoir fait à la vérité le sacrifice de cet infortuné frère de Louis XIV, appelé au trône par son origine et qu'une perpétuelle détention en aurait tenu écarté, on se réfugie dans un système intermédiaire, sans doute moins séduisant, mais dont l'attrait est fort vif aussi, et qui, dans une certaine mesure, concilie les exigences du vrai avec le goût du romanesque.

Il ne s'agit plus maintenant d'un prince dont on ignore même la naissance. Celui-ci a existé, et quel intérêt il inspire dès l'instant où il vient au monde, et grâce à celle qui lui a donné le jour ! C'est le fils de cette la Vallière également touchante dans ses efforts héroïques contre le penchant qui l'entraîne vers Louis XIV, et dans ses défaillances, que l'on estime même quand elle succombe et que l'on admire lorsqu'elle se relève pour fuir le péril ; qui, longtemps vertueuse, toujours honnête et désintéressée, vit renfermée tout entière dans sa passion, puis se réfugie dans la pénitence, et qui, puissante sans l'avoir désiré, ignorante ou insoucieuse de son crédit, forte de sa faiblesse même, subjugue sans art et sans étude le plus impérieux des rois, et, après avoir charmé tous ses contemporains par sa grâce douce et naïve, passé des tourments d'un amour sans cesse combattu aux rigueurs volontaires d'une expiation courageusement subie durant trente années, est restée la figure la plus suave, la plus attachante du grand règne, et séduira jusqu'à la postérité la plus reculée !

Louis de Bourbon, comte de Vermandois, avait les grâces de sa mère. Il était grand, bien fait, et il possédait instinctivement comme elle ce don de plaire qui n'a jamais tant de puissance que lorsque tout y est nature et que rien ne paraît art. Bon, libéral, il avait des façons d'obliger qui lui étaient particulières[2], et les plus chatouilleux des hommes ne pouvaient s'offusquer de ses bienfaits. Avec eux, quand il voulait venir à leur secours, il faisait des paris qu'il était certain de perdre, ou bien il envoyait de l'argent par une main qui restait inconnue. On le soupçonnait de générosités dont il ne s'avouait jamais l'auteur, et ses obligés étaient tirés du besoin en même temps que dispensés de témoigner leur gratitude. Sa fière prestance, la distinction suprême qu'il tenait de son royal père, appelaient sur lui l'attention, plus encore que sa haute origine. A ces agréments extérieurs, à ces sentiments de délicatesse exquise et de naturelle bonté, qui lui attachaient le soldat comme l'officier, Vermandois joignait un esprit prompt, un courage à toute épreuve, un vil désir de se signaler et de mériter par des actions d'éclat la dignité éminente[3] où, dès l'âge de deux ans l'avaient élevé l'affection et l'orgueil de Louis XIV. Encore fort jeune, et déjà au milieu de l'armée de Flandre, il avait dissimulé une grave maladie pour ne pas manquer au noble rendez-vous d'une attaque[4]. Comme beaucoup de ceux qui doivent mourir prématurément, et qui paraissent le pressentir, Vermandois se hâtait dans la vie, et semblait s'efforcer, en voulant s'illustrer de bonne heure, de prévenir le coup qui allait le frapper. Mais le temps devait lui manquer pour atteindre la gloire, et il était dans sa destinée de ne laisser après lui que le souvenir touchant qui s'attache aux belles espérances soudainement brisées par la mort.

Un dédommagement imprévu était néanmoins réservé à sa mémoire. Soixante ans après sa triste fin, on imagina tout à coup d'ajouter à sa courte existence vingt années de captivité, et de rendre sa destinée plus lamentable encore en le présentant comme la mystérieuse victime des rigueurs de Louis XIV.

En 1745, parurent à Amsterdam des Mémoires secrets pour servir à l'histoire de Perse[5] qui, sous des noms imaginaires, renfermaient l'histoire anecdotique de la cour de France. Ce livre, qui eut un succès prodigieux et dont les éditions se multiplièrent rapidement, dut en grande partie sa prompte célébrité au récit suivant : Cha-abas (Louis XIV) avait un fils légitime Sephi-Mirza (Louis, dauphin de France), et un fils naturel, Giafer (Louis de Bourbon, comte de Vermandois). A peu près du même âge, ils étaient de caractère opposé. Celui-ci ne laissait échapper aucune occasion de dire qu'il plaignait les Français d'être destinés à obéir un jour à un prince sans esprit et si peu digne de les commander. Cha-abas, à qui on rendait compte d'une pareille conduite, en sentait toute l'irrégularité. Mais l'autorité cédait à l'amour paternel, et ce monarque si absolu n'avait pas la force d'en imposer à un fils qui abusait de sa tendresse. Enfin Giafer s'oublia un jour au point de donner un soufflet à Sephi-Mirza. Cha-abas en est aussitôt informé. Il tremble pour le coupable, mais, quelque envie qu'il ait de feindre d'ignorer cet attentat, ce qu'il se doit à lui-même et à sa couronne, et l'éclat que cette action avait fait à la cour, ne lui permettent pas d'écouter sa tendresse. Il assemble, non sans se faire violence, ses confidents les plus intimes, il leur laisse voir toute sa douleur et leur demande conseil. Attendu la grandeur du crime, et conformément aux lois de l'État, tous opinèrent à la mort. Quel coup pour un père si tendre ! Cependant un des ministres, plus sensible que les autres à l'affliction de Cha-abas, lui dit qu'il y avait un moyen de punir Giafer sans lui ôter la vie ; qu'il fallait l'envoyer à l'armée qui était pour lors sur les frontières du Feldran (la Flandre) ; que, peu après son arrivée, on sèmerait le bruit qu'il était attaqué de la peste, afin d'effrayer et d'écarter de lui tous ceux qui auraient envie de le voir ; qu'au bout de quelques jours de cette feinte maladie, on le ferait passer pour mort, et que, tandis qu'aux yeux de toute l'armée, on lui ferait des obsèques dignes de àa naissance, on le transférerait de nuit avec un grand secret à la citadelle de l'isle d'Ormus (île Sainte-Marguerite). Cet avis fut généralement approuvé, et surtout par un père affligé. On choisit des gens fidèles et discrets pour la conduite de cette affaire. Giafer part pour l'armée avec un équipage magnifique. Tout s'exécute ainsi qu'on l'avait projeté, et pendant qu'on pleure au camp la mort de cet infortuné prince, on le conduisit par des chemins détournés à l'île d'Ormus, et on le remet entre les mains du commandant qui avait reçu d'avance l'ordre de Cha-abas de ne laisser voir son prisonnier à qui que ce fût. Un seul domestique, qui était du secret, transféré avec le prince. Mais, étant mort en chemin, les chefs de l'escorte lui défigurèrent le visage à coups de poignard afin d'empêcher qu'il ne fût reconnu, le laissèrent étendu dans le chemin, après l'avoir fait dépouiller pour plus grande précaution, et continuèrent leur route. Giafer fut transféré dans la citadelle d'Ispahan (la Bastille), lorsque Cha-abas en donna le gouvernement au gouverneur de l'île d'Ormus pour récompenser sa fidélité. On prenait la précaution à l'île d'Ormus, comme à la citadelle d'Ispahan, de faire mettre un masque à Giafer, lorsque, pour cause de maladie, ou pour quelque autre sujet, on était obligé de l'exposer à la vue de quelqu'un[6].

Ce récit, qui offrait pour la première fois à la curiosité publique l'anecdote de l'Homme au masque de fer, alimenta aussitôt toutes les conversations et devint le sujet des plus vives controverses. Plusieurs critiques distingués s'empressèrent d'adopter l'opinion qui y était émise ; d'autres la combattirent, et pendant longtemps l'Année littéraire de Fréron fut le théâtre d'un débat qui eut pour témoins attentifs les savants et les curieux du monde entier. Voltaire lui-même, en y introduisant le premier l'hypothèse qui fait du Masque de fer un frère de Louis XIV, ne parvint pas à étouffer une opinion qui venait du reste de conquérir un habile défenseur. Le P. Griffet, continuateur patient du P. Daniel et auteur très-remarqué d'une excellente Histoire de Louis XIII, publia, en 1765, dans son beau Traité des différentes sortes de preuves qui servent à établir la vérité dans l'histoire, une longue dissertation sur l'Homme au masque de fer, et s'y prononça résolument en faveur du comte de Vermandois. Quelles preuves, ou du moins quelles probabilités invoquait-il ?

Il se fondait sur les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, dans lesquels on lit que lorsque Vermandois partit pour le siège de Courtray, il y avait peu de temps qu'il était revenu à la cour ; que le roi n'avait pas été content de sa conduite et ne voulait point le voir ; qu'il s'était trouvé dans des parties de débauche ; que, depuis ce temps-là, il était fort retiré ; qu'il ne sortait que pour aller à l'Académie et le matin à la messe ; que ceux qui avaient été avec lui n'étaient pas agréables au roi ; que cela donna beaucoup de chagrin à mademoiselle de la Vallière, et qu'il fut bien prêché[7]. Le P. Griffet ajoutait que, bien avant la publication des Mémoires secrets de Perse, le bruit s'était répandu que le comte de Vermandois se rendit coupable, avant son départ pour l'armée, d'un grand attentat, tel qu'un soufflet donné au dauphin. On en avait parlé, dit-il, sur une de ces traditions qui ont, à la vérité, besoin d'être prouvées, mais qui ne sont pas toujours fausses ; le souvenir de celle-ci s'était toujours conservé, quoiqu'on n'en fit pas beaucoup de bruit du temps du feu roi, par la crainte de lui déplaire : c'est de quoi beaucoup de gens, qui ont vécu sous son règne, pouvaient rendre témoignage. Le savant historien trouvait un autre argument dans le nom même sous lequel a été inscrit, à l'église Saint-Paul, le prisonnier de Saint-Mars, les lettres qui composent ce nom de Marchiali étant celle des deux mots hic amiral et désignant ainsi, par une anagramme, la haute dignité du fils, de mademoiselle de la Vallière. Enfin il fit raconter, dans l'Année littéraire, une seconde tradition, d'après laquelle, le jour même où le corps du comte de Vermandois dut être transporté à Arras, il sortit du camp une litière qui prit un chemin détourné et dans laquelle on crut qu'il y avait un prisonnier d'importance, quoiqu'on répandît le bruit que la caisse militaire y était renfermée.

De toutes ces allégations la seule qui mérite d'être discutée est celle qui, reposant sur un document certain, les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, montre le comte de Vermandois tombé dans la disgrâce de Louis XIV pour quelques parties de débauche, et partant presque aussitôt pour Courtray où il devait trouver la mort. Sans doute, dans ce passage, on ne voit aucune allusion à un grand attentat commis par Vermandois sui-la personne de son frère légitime, et ce silence même suffirait pour infirmer la prétendue tradition invoquée par le P. Griffet. Mais comme, à un autre point de vue, ces Mémoires fournissent une espèce de base à son argumentation, qu'ils révèlent une tache dans l'existence de Vermandois, qu'ils indiquent une époque où cet attentat aurait été possible, il est essentiel d'apprécier la valeur de ce témoignage.

Dans son Traité des différentes sortes de preuves qui servent à établir la vérité dans l'histoire, le P. Griffet, lui-même fait très-judicieusement remarquer qu'avant d'adopter l'opinion d'un écrivain sur un personnage dont il a été le contemporain, il convient d'examiner s'il n'avait point un puissant intérêt à louer ou à blâmer. Le P. Griffet a eu plus de prudente sagacité quand il a donné cet excellent précepte que lorsqu'il a négligé de l'appliquer aux Mémoires de mademoiselle de Montpensier. Il aurait dû montrer sous son véritable jour cette princesse romanesque et d'une imagination trop ardente, que son amour-propre rendait très-accessible aux influences d'autrui et peu capable de se défendre contre des suggestions intéressées ; que madame de Montespan et madame de Maintenon, par des prévenances incessantes et des soins délicats et habiles, gagnèrent aisément à leur cause longtemps commune, en un mot, dont l'esprit crédule tomba dans tous les pièges que lui tendait madame de Maintenon en faveur des enfants dont elle était la gouvernante et que madame de Montespan avait eus de Louis XIV. Or, aimer ceux-ci, et surtout le disgracieux duc du Maine, conduisait presque infailliblement à repousser le fils si bien doué de mademoiselle de la Vallière. Tandis que ce dernier avait pour mère la moins intrigante et la plus désintéressée des favorites, son frère, mieux secondé, recevait de son entourage les conseils les plus propres à lui gagner le cœur et peut-être à lui assurer un jour l'immense fortune[8] de l'opulente cousine de Louis XIV. Pour atteindre ce but, pour la passionner, comme on le fit, en faveur d'un enfant dépourvu de qualités séduisantes, on ne se contenta pas de dicter au duc du Maine, et pour elle, les billets les plus affectueux, de lui indiquer les démarches de nature à plaire, de lui suggérer des sentiments filiaux pour une princesse à qui on finit par inspirer un véritable amour maternel. De cet amour, mademoiselle de Montpensier eut la vivacité, aussi la jalousie, provoquée d'abord, spontanée ensuite, et qui l'amena à détester le brillant rival du très-insignifiant, mais très-prévenant duc du Maine. Ce sentiment éclate dans plusieurs parties de ses Mémoires : Il me semblait, dit-elle, que c'était pour dépriser M. du Maine de dire que personne n'égalerait jamais M. de Vermandois. Et ailleurs : Je ne fus pas fâchée de la mort de M. de Vermandois ; j'étais bien aise que M. du Maine n'eût aucune de ses affaires devant lui[9]. Comment dès lors ajouter foi à un témoignage aussi suspect ? Que Vermandois se soit laissé entraîner par son jeune âge à assister à quelque partie de plaisir cachée au roi ; qu'il ait encouru pour ce fait les reproches de Louis XIV, rien ne le prouve et rien ne l'infirme. Mais sa disgrâce et les causes dont on la fait dépendre, son départ précipité, son père refusant de le revoir et le bannissant de sa présence, mademoiselle de la Vallière désolée, toutes ces circonstances, que l'on trouve seulement dans les Mémoires de la mère adoptive du duc du Maine, devons-nous les accepter quand des témoins impartiaux[10] adressent au comte de Vermandois des éloges sans restriction et ne relatent rien qui puisse entacher sa mémoire ? Devons-nous les accepter quand, quelques jours après cette prétendue disgrâce, et, à la première nouvelle de ce qu'on ne croit être qu'une indisposition, Louis XIV mande au marquis de Montchevreuil[11] de faire revenir aussitôt Vermandois à la cour, afin que plus de soins l'entourent et qu'il se rétablisse plus complètement ?

Est-il besoin de faire ressortir l'impossibilité d'admettre que, de deux fils de Louis XIV, l'un, le grand-dauphin, l'héritier de la couronne, ait pu recevoir de l'autre la plus grave des insultes, au milieu de la cour et à la suite d'un violent débat, sans qu'aucun écrivain contemporain n'ait parlé d'un événement qui aurait eu un retentissement inévitable ? Pour faire paraître moins invraisemblable cet événement, les Mémoires de Perse montrent Vermandois emporté, hautain, insoumis à un frère qui devait être un jour son roi, quand les témoignages les plus irrécusables[12] établissent qu'il était doux, affable, plein de déférence et uniquement préoccupé d'acquérir la gloire. L'auteur de ces Mémoires affirme, en outre, afin de rendre plus plausible une dispute entre eux, que les deux frères étaient du même âge, lorsque six années les séparaient et qu'à l'époque où on lui attribue cet acte d'emportement, Vermandois avait à peine seize ans et le dauphin était déjà père du duc de Bourgogne.

Reste sa mort prématurée. Tacite a dit que, quand les princes ou les hommes extraordinaires meurent jeunes, on a de la peine à croire qu'ils aient été enlevés par une mort naturelle. Cette remarque est juste pour toutes les époques, et, dans nos annales, combien de crimes, imaginés par la passion populaire, accrédités grâce à l'ignorance du temps, et dont une saine critique, aidée des progrès de la science médicale[13], a de nos jours acquitté les prétendus auteurs ! Y a-t-il, dans les derniers moments de Vermandois et dans le transport de ses dépouilles à Arras, où il a été enterré, la moindre circonstance qui puisse permettre à l'esprit le plus crédule, le plus accessible aux choses merveilleuses, de conserver un seul doute et de supposer qu'il soit sorti vivant du camp de Courtrai pour être confié à la garde de Saint-Mars ?

Le 6 novembre 4683, le comte de Vermandois s'alite à Courtrai. Malade depuis plusieurs jours, il a dissimulé son état afin de ne pas s'éloigner de l'armée et de pouvoir assister à l'attaque du faubourg de Menin, où il a donné les marques du plus grand courage.

Dévoré par la fièvre, il est enfin contraint de se séparer du premier corps d'armée, qui va former le camp d'Harlebeck. Le maréchal d'Humières avait eu l'intention de le faire transporter à Lille et avait déjà pris, à cet effet, des dispositions avec le marquis de Montchevreuil[14]. Mais une prompte aggravation, dans l'état du malade les empêche d'exécuter ce projet. Le 8, une saignée le soulage[15] ; mais, le 12, le maréchal d'Humières écrit à Louvois qu'il y a lieu de concevoir beaucoup d'inquiétude[16]. Le 13, Boufflers mande à la cour que, la tête de Vermandois commençant à s'embarrasser, une saignée aux pieds a été nécessaire[17]. Le 14, le maréchal d'Humières qui, du camp de Rousselaer, dont il est le commandant, s'est transporté à Courtrai, trouve Vermandois au plus mal, les médecins fort indécis et n'osant se résoudre aux grands remèdes. Ils s'y déterminent cependant, mais sans doute trop tard, car, après une journée assez heureuse, pendant laquelle là fièvre a semblé s'apaiser et la tête se dégager, le mal redouble, une violente agitation se manifeste, d'abondantes sueurs épuisent le malade[18], et, le 16, Boufflers annonce que Vermandois vient de recevoir la communion[19] et que l'on n'espère plus que dans sa jeunesse Au moment où il écrivait cette lettre, madame de Maintenon mandait à madame de Brinon[20] : M. de Vermandois est très-mal ; faites prier notre grand saint pour lui. Fragile espoir ! prières inefficaces ! Le 18 novembre, le fils de la Vallière mourait d'une fièvre maligne, entouré du maréchal d'Humières, qu'il avait supplié de demeurer auprès de lui, du marquis de Montchevreuil et du lieutenant général Boufflers[21]. Au camp, la désolation fut générale, et les troupes le pleurèrent pour ce qu'il avait fait de bon, pour tout ce qu'il promettait de grand. A la cour, les impressions furent diverses. L'Hôtel de Condé regretta vivement cette mort, parce que le prince était fiancé avec mademoiselle de Bourbon. La princesse de Conti, sœur de Vermandois, fut inconsolable[22].

Louis XIV, beaucoup plus sensible que tendre, et dont les douleurs se répandaient d'un seul coup en abondantes larmes, mais étaient de très-courte durée, avait d'ailleurs déjà montré, en faveur des enfants qu'il avait eus de madame de Montespan, un sentiment de prédilection qui devait survivre à la disgrâce de leur mère, et qu'entretenait avec soin madame de Maintenon, leur ancienne gouvernante. Quant à mademoiselle de la Vallière, Voltaire a dit[23], et l'on a souvent répété après lui, qu'elle se serait écriée en apprenant la funeste nouvelle : Ce n'est pas sa mort que je dois pleurer, mais sa naissance. Ce mot n'est pas vrai ; il n'est pas d'une mère. Que la pieuse carmélite ait offert en sacrifice ce nouveau coup qui la frappait, qu'elle l'ait accepté comme une expiation de plus pour ses fautes, on peut l'admettre. Mais que ses pleurs aient seulement coulé parce qu'elle avait mis Vermandois au monde, qu'à l'annonce de la plus poignante des douleurs, elle en ait été assez peu accablée pour prononcer une telle parole, c'est ce qu'aucune mère ne croira. Combien plus acceptable est ce témoignage que lui rend madame de Sévigné disant qu'elle assaisonnait parfaitement sa tendresse maternelle avec celle d'épouse de Jésus-Christ. — Mademoiselle de la Vallière est tout le jour aux pieds du crucifix, dit d'elle, le 22 décembre, la présidente d'Osembray[24]. Voilà le vrai langage de deux mères parlant d'une autre mère qui vient de perdre son fils.

De pompeuses obsèques furent faites au fils de Louis XIV. Le 21 novembre, le roi manda au chapitre d'Arras que le corps du comte de Vermandois serait transporté dans cette ville et inhumé dans le chœur de son église cathédrale[25]. Le 24, les maïeur et échevins, portant des flambeaux de cire blanche, se rendent à la porte de Méaulens, où se trouvent déjà les gouverneurs de la ville et de la citadelle, tous les officiers de l'état-major, le clergé des diverses paroisses et les religieux des ordres mendiants. L'infanterie fait la haie depuis l'entrée de la ville jusqu'à la cathédrale[26]. A midi, le bruit du canon et le son des cloches annoncent l'arrivée des dépouilles, que contient un carrosse drapé et qu'escorte la cavalerie de la garnison. L'évêque d'Arras, revêtu de ses habits pontificaux, et son chapitre, s'avancent processionnellement et viennent recevoir le corps, qui, descendu du carrosse, est porté par des chanoines, suivis des officiers du conseil d'Artois, de ceux du bailliage, et de tous les autres dignitaires du comté. Jusqu'au samedi 27, jour fixé pour le service solennel, des messes furent dites sans interruption depuis six heures jusqu'à midi, dans la chapelle de Saint-Vaast, où le corps avait été déposé, et les chanoines, ainsi que les chapelains, s'y succédèrent pour y prier, les premiers durant la journée, les autres pendant la nuit[27]. On choisit au milieu du chœur de la cathédrale, au lieu dit de l'ange, la place qui parut la plus distinguée pour l'inhumation, car, cinq cents ans auparavant, elle avait servi à la sépulture d'Isabelle[28] de Vermandois, femme de Philippe d'Alsace, comte de Flandre, et descendant en ligne directe du roi de France Henri La cérémonie suprême fut digne, par sa pompe et par son éclat, du roi qui l'avait ordonnée et du prince en l'honneur de qui elle était faite. Le chœur et la nef de la cathédrale, entièrement tendus d'un velours noir, sur lequel brillent des écussons d'argent aux armes de Vermandois, l'harmonie lugubre des chants, la funèbre lueur des cierges, les troupes mornes et silencieuses, tous les assistant portant des habits de deuil, et, bien plus que ces signes extérieurs, une douleur sincère se manifestant, surtout chez les gentilshommes de la suite, par des larmes et des sanglots, tel est le spectacle qu'offre, le 27 novembre 1685, l'intérieur de l'église cathédrale d'Arras.

Là ne se bornèrent pas les témoignages de la piété du roi, et de l'empressement du chapitre à le satisfaire. Le 24 janvier 1684, M. de Chauvelin, intendant de la province, rédigea avec ce chapitre, au nom de Louis XIV, un acte[29] dans lequel il était stipulé que les prélat, doyen et chanoines diraient tous les jours, chacun à son tour, et pendant l'année de l'inhumation, une messe basse de requiem dans la chapelle ardente[30], préparée et tendue de deuil à cet effet ; que, le 18 novembre de chaque année, ou autre jour prochain, en cas d'empêchement, il serait célébré à perpétuité dans leur église un service solennel, précédé de vigiles à neuf psaumes et neuf leçons ; que le chapitre ferait distribuer annuellement à cinquante pauvres, qui devront assister à ces offices, 5 sols à chacun et un pain de 8 livres ; qu'il serait aussi donné tous les ans par le chapitre, le jour du service, une somme de 6 livres aux pauvres Clairisses de la cité d'Arras, afin que leur communauté prie pour le salut du comte de Vermandois ; et que toutes les cloches seraient sonnées le jour et la veille, comme il est d'usage aux obits des évêques. Afin de dédommager le chapitre des dépenses qu'il lui imposait, Louis XIV lui donna, outre des présents magnifiques, une somme de 10.000 livres, qui servit à acquérir au village de la Coutaie près de Béthune, une ferme depuis lors, et pour cette cause, nommée ferme de Vermandois. Jusqu'à l'année 1789[31], les stipulations de cet acte ont été fidèlement exécutées, et durant plus d'un siècle, le 25 novembre voyait se renouveler les aumônes du chapitre, les prières du clergé, le concours de tous les magistrats et officiers municipaux, et aussi le souvenir du fils de la Vallière.

En supposant que Vermandois ait pu se livrer envers le dauphin à un acte violent et emporté, sans que la preuve en soit venue jusqu'à nous ; que Louis XIV ait été assez cruel pour condamner un fils aimé à une détention perpétuelle ; enfin qu'il ait été possible de tenir secret son enlèvement du milieu des troupes, comment admettre que des cérémonies, que le pieux monarque a toujours considérées comme sacrées, aient été ordonnées par lui pour tromper ses sujets et abuser de leur crédulité ? Comment admettre que cette maladie, dont nous avons suivi toutes les phases, ait été feinte ; que ces dépêches qui viennent d'être analysées soient menteuses ; que Louis XIV ait eu pour complices de son stratagème des hommes tels que le lieutenant général Boufflers, le maréchal d'Humières, le marquis de Mont-chevreuil ; que, ne se contentant pas de leur faire agréer un projet si singulier, il ait abusé de la religion pour mieux le dissimuler ? Comment admettre que cette bière, autour de laquelle s'élèvent des prières et coulent des larmes, soit vide[32], et que le prince dont de pompeuses épitaphes vantent les qualités, soit alors rigoureusement détenu à Pignerol ? Comment enfin s'expliquer, s'il n'est pas le témoignage de sa piété sincère et de son affection, ce service solennel fondé à perpétuité par Louis XIV, et qui aurait aggravé, en la prolongeant, une dérision impie, et perpétué le souvenir d'une supercherie et d'une profanation ?

 

 

 



[1] Parmi les lettres que nous avons reçues pendant là publication de cet ouvrage dans le Correspondant, et dont nous remercions les auteurs, il en est une dans laquelle on nous a demandé pourquoi, dans les chapitres précédents, nous n'avions pas fait mention d'un Mémoire de M. de Saint-Mars sur la naissance de l'Homme au masque de fer, publié dans le t. III des Mémoires de tous (Levasseur, 1835, in-8°). Suivant ce document, copié par M. Billiard aux archives du ministère des affaires étrangères, M. de Saint-Mars avait été le gouverneur du fils mystérieux d'Anne d'Autriche, à qui l'on cachait soigneusement sa haute origine. Mais ce frère de Louis XIV l'ayant devinée, on l'aurait envoyé aux îles Sainte-Marguerite, dont le commandement fut alors (en 1687) confié à son gouverneur. — Si nous n'avons pas parié de ce document, c'est qu'on a' déjà victorieusement combattu son authenticité. Cette pièce n'est pas autre chose qu'une copie de la relation apocryphe de Soulavie que nous avons transcrite et réfutée dans la première partie de notre étude. L'auteur de cette copie s'est contenté de substituer le nom de Saint-Mars au gouverneur anonyme du prince infortuné. Il n'a pas songé qu'il ajoutait ainsi une impossibilité de plus à toutes celles que renfermait la relation de Soulavie. Car comment Saint-Mars, avant f687, aurait-il pu être le gouverneur d'un frère de Louis XIV, lorsque cent dépêches établissent que, depuis 1684, il a été successivement commandant du donjon de Pignerol, puis gouverneur d'Exiles ? — Quant à la présence de ce document dans les archives des affaires étrangères, il n'y a point lieu de s'en étonner. Elle s'explique, comme la présence dans nos archives de tant d'autres documents, par la saisie de papiers de grands personnages faite après leur mort, ou, plus ordinairement encore, par l'envoi d'un des ambassadeurs français habitant le pays ou circulaient librement ces pièces apocryphes. Mais le lieu où elles se trouvent ne leur donne aucune authenticité. De tout temps et aujourd'hui encore, les ambassadeurs envoient à leur gouvernement la copie de mémoires anonymes, de pamphlets, de pièces diverses, qui t'est, jointe à leurs dépêches, mais à laquelle on ne saurait attribuer aucune valeur historique. Il en a été de même pour ce prétendu Mémoire de Saint-Mars, dont, au surplus, la seule lecture démontre la fausseté à qui tonnait le style habituel du gouverneur très-peu lettré des îles Sainte-Marguerite. — On entend quelquefois raconter, et ce fait nous a été répété à nous-même, qu'un grand personnage d'un gouvernement précédent introduisit avec beaucoup de précaution un de ses amis dans les galeries des archives du ministère des affaires étrangères et lui fit lire une piète qui renfermait le secret de l'Homme au masque de fer. C'est sans doute de ce document attribué à Saint-Mars qu'il s'agit dans cette anecdote. — Nous ne saurions trop prémunir nos lecteurs contre de telles erreurs et assez leur répéter qu'il n'existe nulle part de dossier de l'Homme au masque de fer, et que seuls le dépouillement et la comparaison d'une multitude de dépêches peuvent conduire à une conclusion certaine.

[2] Lettre de madame la présidente d'Osembray à Bussy-Rabutin, du 22 décembre 1683. Lettres de Roger de Rabutin, comte de Bussy, t. VI, p. 135, éd. de 1716. Témoignage de Lauzun dans les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, t. VII, p. 90 et 92.

[3] Celle de grand amiral. Voyez dans les papiers de Colbert, manuscrits de la Bibliothèque impériale, un curieux mémoire dressé par lui pour savoir quel nom et quel titre il est besoin de donner à M. le comte de Vermandois. — Vermandois fut pourvu le 12 novembre 1669, à l'âge de vingt-deux mois, de cette charge de grand amiral de France, qui, supprimée en 1626 par Richelieu, et changée par lui en office de grand maitre, chef et surintendant général de la navigation et du commerce de France, avait eu successivement pour titulaires le cardinal lui-même, son neveu Armand de Maillé-Brézé, duc de Fronsac ; Anne d'Autriche ; César, duc de Vendôme, et son fils François de Vendôme, duc de Beaufort.

[4] Lettre de la présidente d'Osembray, déjà citée.

[5] Publiés par la Compagnie des libraires associés ; in-12.

[6] Mémoires secrets pour servir à l'histoire de Perse.

[7] Mémoires de mademoiselle de Montpensier, t. VII, p. 91.

[8] Nous verrons dans la suite de cette étude que l'on y parvint au moins pour une partie de cette énorme fortune, grâce à la détention de Lauzun, devenu le mari de la princesse de Montpensier.

[9] Mémoires déjà cités, t. VII, p. 92.

[10] Tels que Lauzun, qui a assisté au siège de Courtray, et la présidente d'Osembray. (Voyez Lettres de Bussy-Rabutin, déjà citées, t. VI, p. 13.)

[11] Du 4 novembre 1683. Le roi au marquis de Montchevreuil. Monsieur le marquis de Montchevreuil, j'ay reçu la lettre que vous m'avez écrite du camp de Courtray. Je suis très-satisfait de ce que vous me mandez de mon fils le comte de Vermandois. Mais je ne suis pas moins en peine de ce que le sieur d'Aquin m'a dit que la fièvre était tournée en continue. Vous avez pris le bon parti de le mener à Lille — nous verrons tout à l'heure qu'on n'eut pas le temps de le conduire à Lille — ; il y peut demeurer autant qu'il sera besoin pour sa santé ; mais, aussitôt qu'elle lui permettra de se mettre en chemin, je serai bien aise qu'il revienne ici. N'ayant autre chose à ajouter, sinon que je suis toujours fort content de votre conduite, je prie Dieu qu'il vous ait, monsieur le marquis de Montchevreuil, en sa sainte garde. Louis.

[12] Voyez plus haut.

[13] Voyez, entre autres, l'excellent ouvrage de N. Jules Loiseleur, Problèmes historiques ; la revue la Philosophie positive, de M. Littré ; le quatrième volume de l'Histoire de Louvois, de M. Camille Rousset, déjà citée ; les très-curieux appendices donnés par M. Chéruel à la suite de chaque volume de sa belle édition des Mémoires de Saint-Simon, etc., etc.

[14] Archives du ministère de la guerre. Lettre du maréchal d'Humières à Louvois. Du camp de Courtray, 7 novembre 1683. — M. de Vermandois a un peu de fièvre. Il y a deux ou trois jours qu'il a commencé à se trouver mal sans en vouloir rien dire. Il a esté obligé de coucher hyer à Courtray, où il est encore, et, comme il n'est point du tout en estat de marcher avec l'armée, je suis convenu avec M. de Montchevreuil de l'envoyer à Lille. Je crois qu'il sera plus commodément à mon logis qu'en aucun autre endroit.

[15] Archives du ministère de la guerre. Le maréchal d'Humières à Louvois. Du camp d'Harlebeck, 8 novembre 1683. — La fièvre continue toujours à N. de Vermandois, sans aucun des accidents qui l'accompagnent ordinairement. Il avait quelque petite répugnance à la saignée. J'ay esté ce matin à Courtray pour l'y résoudre. Il l'a esté un moment après et il s'en porte beaucoup mieux. S'il avait voulu déclarer son mal dans le temps qu'il a commencé, il aurait apparemment évité de tomber dans l'estat où il est, mais aussi il n'aurait pas donné les marques du courage qu'il a témoigné lorsqu'on attaqua le fauxbourg de Menin et dans le reste du siège, aussy bien que MM. les princes de Conty et de la Rocheguyon.

[16] Archives du ministère de la guerre. D'Humières à Louvois. Du 12 novembre 1683. Au camp de Rousselaer. — J'espère que je partiray demain avec les dernières troupes. J'iray passer à Courtray pour voir N. de Vermandois et sçavoir l'estat de sa santé qui me donne beaucoup d'inquiétude, quoyqu'aparemment il n'y ait jusqu'à cette heure rien à craindre.

[17] Archives du ministère de la guerre. De Boufflers à Louvois. Courtray, ce 13 novembre 1643. — M. l'admiral est resté icy malade assez dangereusement, ayant depuis plusieurs jours la fièvre continue avec des redoublements. On a mesme esté obligé cette nuict de le seigner du pied pour dégager sa teste quy compensait s'embarrasser.

[18] Archives du ministère de la guerre. D'Humières à Louvois. A Courtray, ce 14 novembre 1883, à onze heures du soir. — Quoy qu'il y ait beaucoup de gens qui rendent compte de la santé de M. de Vermandois, je crois pourtant vous en devoir mander des nouvelles. Je le trouvay hyer en arrivant icy très-mal, et si ce n'estait pas le jour de son grand redoublement. Les médecins estaient fort irrésolus et n'osaient se déterminer aux grands remèdes, bien qu'ils convinssent tous que le besoin estait pressant. On luy a donné ce matin l'émétique qui a produit tous les effets qu'on en pouvait attendre, tant par les évacuations que par les vomissements, à quoy la nature paraissait tout à faict portée par le peu d'effort qu'il a faict. Il est présentement selon toutes les apparences beaucoup mieux. La fièvre est tout à faict diminuée, quoyque ce soit aujourd'huy son meschant jour. Sa poitrine est aussi fort dégagée, mais je le trouve un peu assoupy et il n'a pas la teste aussy libre qu'il serait à souhaiter ; il m'a parlé un moment ce soir de fort bon sens. Comme je n'ay pas grande chose à faire présentement, j'ay creu que le roy ne trouverait pas mauvais que je restasse ici quelques jours, M. de Vermandois m'ayant faict l'honneur de m'en prier hyer avec beaucoup d'empressement. Je suis toujours plus que personne du monde absolument à vous. — Humières.

Le 15 novembre, à huit heures du matin. — M. Dodart entre dans ma chambre pour me dire que la fièvre de M. de Vermandois a esté petitte durant toutte la nuict jusques vers le jour, mais que la resverie a esté considérable et mesme avec agitation. La teste est plus libre présentement, mais il est survenu une augmentation de fièvre qui est comme un redoublement hors d'œuvre, durant lequel il ne laisse pas d'avoir la teste au moins aussy libre que ce matin, un sommeil tranquille et la respiration aisée. — Cette lettre et son post-scriptum sont émargés d'un long trait destiné à appeler l'attention de Louis XIV.

De Boufflers à Louvois. A Courtray, ce 15 novembre 1683. — M. le mareschal d'Humières est resté icy depuis avant-hyer et doit, je crois, y demeurer jusques à ce qu'il voye M. l'admirai hors de tout danger. Il prist hier de l'émétique quy l'a un peu souslagé, mais il a toujours la fièvre avec des redoublements et des resveries : ainsi il ne se peut qu'il n'y ait encore beaucoup à craindre.

[19] Archives du ministère de la guerre. De Boufflers à Louvois. A Courtray, ce 16 novembre 1683. — M. l'admiral est toujours en fort grand danger et il vient mesme de recevoir Nostre Seigneur. Cependant sa grande jeunesse fait toujours espérer et on n'oublie rien pour tascher de le souslager et de le sauver.

[20] Lettre de madame de Maintenon à madame de Brinon, du 15 novembre 1683.

[21] Archives du ministère de la guerre. Boufflers à Louvois : A Courtray, ce 19 novembre 1683. — M. le mareschal d'Humières partit hier matin d'icy pour s'en retourner à Lille après la funeste destinée de M. l'admiral dont tout le monde est doublement affligé par toutes les bonnes qualités que l'on avait reconnues en luy dans cette dernière campagne.

[22] Lettre de madame d'Osembray du 22 décembre 1683.

[23] Siècle de Louis XIV.

[24] Lettres de Bussy-Rabutin, t. VI, p. 135.

[25] Voici cette lettre que nous extrayons d'un savant mémoire de M. le baron de Hautecloque, ancien maire d'Arras, publié dans les Chroniques artésiennes, de M. P. Roger, membre de la société des antiquaires de Picardie ; de M. le comte d'Allonville, conseiller d'État, et de N. Duse-Tel, inspecteur des monuments historiques de la Somme : Très-chers et bien-aimés : Ayant appris avec un très sensible déplaisir que nostre très cher et très aimé fils, le duc de Vermandois, amiral de France, est décédé depuis peu en ville de Courtray, en Flandre, et désirant qu'il soit mis dans l'église cathédrale de notre ville d'Arras, nous mandons au sieur évêque d'Arras de recevoir le corps de nostre dit fils, lorsqu'il sera porté dans ladite église, et de le faire inhumer dans le chœur de ladite église avec les cérémonies qui s'observent dans l'enterrement des personnes de sa naissance.

Ce que nous avons bien voulu vous faire savoir par cette lettre et vous dire que notre intention est que ayez à vous conformer à ce qui est en cela de nostre volonté et assister en corps à cette cérémonie, ainsi qu'il est d'usage en pareille occasion ; et nous assurant que vous y satisferez, nous ne vous faisons la présente plus longue ni plus expresse ; n'y faites donc faute : car tel est notre plaisir.

Donné à Versailles, le XIX * novembre 1683.

Signé : LOUIS ; et plus bas : LE TELLIER.

* Nous pensons, avec M. de Hautecloque, qu'il y a erreur dans cette date et que l'on doit lire le 21. Sur les registres capitulaires, cette date était exprimée en chiffres romains, et il est à supposer qu'un copiste maladroit aura interverti l'ordre des lettres et aura mis XIX au lieu de XXI. La concordance des époques et les expressions mêmes de la lettre du roi l'indiquent suffisamment.

[26] Registre de l'hôtel de ville d'Arras et du chapitre.

[27] Registre de l'hôtel de ville d'Arras et du chapitre.

[28] Et non Élisabeth, comme le dit M. de Hautecloque. (Voyez Art de vérifier les dates, t. XII, p. 198.)

[29] Cet acte portait qu'informé des témoignages publics de zèle qu'a donnés le chapitre, tant par la pompe des obsèques que par le choix du lieu de la sépulture, dont Sa Majesté a été très-satisfaite ; désirant donner des preuves de son affection pour son fils et voulant que les chanoines et leurs successeurs puissent continuer à jamais leurs prières pour le repos de son âme, le roi a résolu de leur procurer les moyens d'y subvenir.

[30] La cathédrale dans laquelle Vermandois fut inhumé n'existe plus. Fort mutilée et dévastée pendant les temps révolutionnaires, elle menaçait ruine et a été plus tard complètement démolie. C'est l'église de Saint-Nicolas qui a été construite sur l'emplacement qu'elle occupait dans la partie de la ville d'Arras dite la Cité, autrefois complètement distincte de la ville proprement dite — La chapelle de Saint-Vaast, où tut d'abord déposé le corps de Vermandois, faisait partie de l'abbaye de Saint-Vaast. C'est cette chapelle qui est la cathédrale actuelle d'Arras.

[31] Mémoire déjà cité.

[32] En 1786, Louis XVI, ému du bruit qui s'était fait à propos de cette supposition, ordonna l'ouverture du cercueil. Un procès-verbal, dressé le 16 décembre 1786, en présence de l'évêque d'Arras, du prévôt de la cathédrale, du chef de la fabrique et du procureur général, constata l'existence d'un corps entier et bien conformé. Voyez la très-intéressante Vie de madame Élisabeth de M. de Beauchesne, t. I, p. 543. À cette preuve décisive, nous avons tenu à en ajouter d'autres pour ceux qui pourraient être tentés de croire qu'on avait enfermé dans le cercueil un autre corps que celui de Vermandois.