Douleur de Louis XIII à la mort de. Richelieu. — Le roi continue la politique du cardinal. — Il promet sa protection aux parents de Richelieu. — Déclaration contre Monsieur. — Louis XIII, suivant la recommandation de Richelieu mourant, appelle Mazarin au conseil. — Dissemblances de caractère, mais similitude de vues entre Richelieu et Mazarin. — Continuation de la guerre. — Souffrances morales ressenties par Louis XIII. — Causes diverses du délabrement de sa santé. — Son abnégation. Des deux grands esprits, intimement associés l'un à l'autre pendant tout le règne, l'un avait disparu. Louis XIII demeurait seul. Si, comme on l'a dit tant de fois et jusqu'à nos jours, le roi avait subi la lourde domination d'un ministre exécré, la mort de Richelieu eût été un affranchissement, et Louis XIII, délivré du joug, aurait fait librement incliner sa politique dans un sens opposé à celui où l'avait maintenue le cardinal. En ce cas la mort de Richelieu eût été la fin d'un règne. Mais si tous les ennemis du ministre — et ils étaient nombreux — donnèrent à sa mort cette signification favorable à leurs intérêts et conforme à leurs espérances, en réalité rien ne fut changé, rien ne fut modifié ; les mêmes instruments servirent la même politique, les mêmes moyens furent employés avec des perspectives semblables, on demeura exactement dans la même voie ; loin de dévier ni de reculer, on continua à s'avancer grâce au même système vers le même but. Il n'y eut qu'un très-grand homme de moins. Dès que Louis XIII apprit la fatale nouvelle, ses yeux se mouillèrent de larmes[1] ; mais, dominant sa douleur : Les ennemis de la France, dit-il, n'en tireront aucun avantage ; tout ce qui est commencé se continuera[2]. Cette parole nous vient d'un témoin peu suspect ; nous la trouvons, en effet, dans les lettres jusqu'à ce jour inédites d'Henri Arnauld s'adressant à un ami exilé, dont il doit par conséquent s'efforcer d'encourager les espérances. Le 10 décembre, Henri Arnauld lui écrit : Je ne vois pas que la sortie des prisonniers ni le rappel des éloignés soient sy prests que l'on le croyoit. Et le 14, il achève de dissiper les illusions de son ami par ces mots non moins significatifs : Il ne paroît encore icy nul changement dans la conduite du gouvernement Le roi témoigne être importuné de ce grand grand monde qui va maintenant à St-Germain et a dit il y a deux jours qu'il ne voyoit pas pourquoi on s'y pressoit tant, qu'il n'y avoit rien à gagner pour ceux qui y alloient et qui s'imaginoient que la mort de M. le cardinal avoit apporté du changement, mais qu'il en avoit point. — Le roy agit extresmement et est très-intelligent dans ses affaires, lisons-nous dans une autre lettre d'Henri Arnauld et un peu plus tard : Le roy passe le tiers de sa journée dans son conseil[3]. Ce témoignage irrécusable de la volonté bien ferme qu'avait Louis XIII de persister dans les vues de Richelieu et d'agir lui-même et lui seul, ce témoignage qui achève de prouver que le fils d'Henri IV a été le collaborateur dévoué de Richelieu, puisqu'il l'est resté après la mort du ministre, est absolument corroboré par les faits. Les contemporains ont pu exhaler leurs ressentiments dans leurs mémoires et égarer l'histoire par leurs appréciations, mais ils ont été impuissants à supprimer les faits. Or les faits suffisent à casser d'une façon définitive ce premier jugement rendu à la légère et selon lequel le père de Louis XIV serait une espèce de roi fainéant tremblant sous un joug qu'il abhorre, trop mou pour le briser, trop nul pour en apprécier les avantages, et, le jour où la mort rompt le lien qui l'attache à Richelieu, incapable de gouverner par lui-même et ne sachant plus que se traîner en hâte vers la tombe au fond de laquelle l'attire, en le fascinant encore, son irrésistible et persistant dominateur. Non-seulement, en effet, les dernières volontés de Richelieu sont exécutées en ce qui concerne ses proches ; non-seulement le roi, recevant la : visite des maréchaux de la Meilleraye et de Brézé qui viennent se jeter à ses pieds et lui demander sa protection, les relève, et, les embrassant tendrement, leur promet la continuation de ses bienfaits et distribue toutes les dignités du cardinal aux membres de sa famille[4], mais rien n'est changé dans la politique générale pas plus quant aux choses que quant aux personnes[5]. Dès que mademoiselle de Montpensier apprend la mort du cardinal, elle court implorer le roi en faveur de Gaston, son père. Louis XIII demeure inflexible et oppose un opiniâtre refus[6]. Lorsque, le surlendemain, il va se rendre, au parlement, afin de faire enregistrer la déclaration qui prive son frère de ses droits et accorde à ses fautes un pardon flétrissant[7], on lui fait connaître que mademoiselle de Montpensier a formé le projet d'aller l'attendre à la porte afin de se jeter aux pieds du souverain et d'essayer de vaincre son obstination. Le roi, averti, lui fait défendre d'exécuter ce projet, et la déclaration est enregistrée[8]. Madame de Vendôme, ayant tenté une démarche analogue et étant venue à Saint-Germain sans qu'on le sût, chargea le duc d'Angoulême d'instruire le roi de son arrivée. Louis XIII répondit : Qu'elle s'en retourne bien vite au lieu d'où elle vient. Puis il fait défendre à la reine de la recevoir, et le soir, dans le cercle de la cour, il dit que si un homme disgracié avait eu une semblable audace, il l'aurait fait arrêter et enfermer à la Bastille[9]. Au même moment, le duc de Beaufort, qui s'était empressé aussi de rentrer en France, était exilé à Anet ; on envoyait sur toutes les côtes de France l'ordre de ne laisser aborder aucun des réfugiés venant d'Angleterre, et l'évêque de Toulon, conseiller d'État, ayant dans le conseil blâmé la condamnation de Cinq-Mars et de de Thou, recevait une lettre de cachet qui l'exilait dans son diocèse[10]. Plus tard, sans doute, quelques adoucissements seront admis en ce qui touche aux personnes dont on diminuera les peines sans faire cesser leur disgrâce. Les maréchaux de Vitry et de Bassompierre, ainsi que le coite de Cramail, sortiront de la Bastille à la condition d'aller jouir de leur liberté dans des lieux désignés[11]. L'approche de la mort fera un peu fléchir la sévérité du roi, et on atténuera ce qu'il y avait eu de trop rigoureux dans la politique de Richelieu. Mais le système demeurera le même, et le grand cardinal continuera après sa mort à partager le pouvoir avec Louis XIII. Sans hésitation, et dès le 5 décembre, le roi appelle au conseil Mazarin dont Richelieu a, pendant plusieurs années, sollicité, exigé la promotion au cardinalat, Mazarin qui, longtemps avant de venir demeurer en France, a été employé par Richelieu à l'étranger et nommé ambassadeur extraordinaire en Italie, Mazarin qui, depuis une année, n'a pas quitté le cabinet de Richelieu, lequel l'a initié aux moindres secrets de sa politique, l'a éclairé sur ses actes, sur ses mobiles, sur tous les ressorts du gouvernement, Mazarin depuis si longtemps entremetteur, agent secret, ambassadeur de Richelieu[12], son ami dévoué, son collaborateur pour le testament, le témoin de sa mort, Mazarin sa créature, son instrument le plus souple et le plus docile, son disciple le mieux instruit, le plus précieux et le plus habile. C'est parce que Richelieu a voulu que ce qui avait été commencé se poursuivit, qu'il a désigné en mourant l'homme de son choix[13]. C'est parce que Louis XIII a été le constant approbateur d'une politique dont il appréciait les avantages, qu'il a accepté des mains de Richelieu celui qui devait achever l'œuvre. Que Mazarin ait ensuite incliné vers la modération, qu'il se soit efforcé de regagner dans la suite tant d'intérêts blessés, tant d'ambitions et de vanités violemment froissées par Richelieu, qu'il ait voulu corriger la rudesse de son prédécesseur par des égards envers les personnes et ait trouvé ainsi l'exercice naturel de son habileté insinuante et de sa merveilleuse souplesse, c'est incontestable. Quand un système a été porté à ses derniers excès et que les ressorts du pouvoir ont été trop tendus, il est nécessaire d'user de tempérament et d'adoucir les moyens de gouverner. C'est ce que fit Mazarin. Mais s'il y eut un peu de détente, il se garda avec soin de toute réaction. Sa prudence fut extrême, son adresse prodigieuse. Ce que Retz a dit d'Anne d'Autriche, devenue régente de France, qui ne donnait rien à force de ne rien refuser[14], on peut l'appliquer à Mazarin, mais dans le sens véritable du mot. Il n'accorda rien à force de tout promettre. Il laissa entrevoir des concessions graduées, un prochain relâchement dans les rigueurs, une prompte transition conduisant sans secousses à un ordre de choses plus tranquille. Mais, au fond, il maintint absolument les actes de son prédécesseur et il poursuivit exactement la même politique. Il se contenta de mettre beaucoup d'huile dans les rouages du gouvernement. Il faut tenir compte d'ailleurs de la différence des caractères de Richelieu et de Mazarin, et de la disproportion des obstacles qu'ils rencontrèrent devant eux. Tandis que Richelieu ressentait profondément toute contradiction qu'il considérait comme une injure personnelle, ce qui le faisait implacable dans ses ressentiments, le scepticisme de Mazarin le rendait indépendant de toute inclination comme de toute haine. Richelieu ne céda jamais, bien qu'il ait été souvent abattu par un vif découragement. Mazarin cédait sans honte quand il se voyait le plus faible, parce qu'il prévoyait sûrement une prompte et décisive revanche. Il cédait pour reprendre, il tombait pour se relever, il partait pour revenir. Il préféra tourner les obstacles que Richelieu brisait impitoyablement, et s'il ne se servit jamais de l'échafaud contre ses adversaires, mais bien de la Bastille, c'est qu'il n'était jamais assuré de ne pas avoir un jour en eux des alliés dévoués. Richelieu tua parce que ses adversaires étaient à ses yeux des ennemis éternels. D'autre part, la lutte, qui s'annonçait prochaine pour Mazarin, était loin d'avoir le même caractère que Celle dont Richelieu et Louis XIII venaient de sortir victorieux. Les anciens intérêts de l'aristocratie n'étaient plus aussi forts. La noblesse remuante, qui avait un moment paralysé les forces de la monarchie, avait été soumise au joug. Ni Retz ne pourra refaire la Ligue, ni Condé être un duc de Guise, ni le parlement se substituer à la royauté. On se donnera l'amusement d'une guerre civile, mais sans suite dans les idées, sans constance dans les projets, sans unité dans la conduite. Les liaisons seront aussi éphémères et changeantes que l'humeur inconstante et les intérêts mobiles qui les auront fait naître. A. aucun moment de la Fronde il n'y aura contre la couronne une de ces résistances menaçantes qui feront regretter la main de fer de Richelieu. Une intrigue de ruelle fera prendre feu autant qu'une pensée d'ambition. Ce seront des caprices, des agitations, des querelles commencées dans la rue avec l'aide d'écoliers turbulents et finissant dans les salons sous l'influence des femmes, où le pamphlet sera une arme plus sérieuse que l'émeute, où le sourire d'une belle duchesse armera et désarmera tour à tour le même bras, et où la victoire définitive appartiendra non au plus intrépide, mais au plus habile. Les hommes façonnent leur caractère au rôle que les circonstances leur imposent. Outre que celui qui comptait le temps pour son principal allié[15] était naturellement adroit et insinuant, il mit une incomparable souplesse à tourner ses aptitudes au mieux des intérêts qu'il avait à défendre. Son naturel l'y aida sans nul doute ; mais ses adversaires y contribuèrent aussi. C'eût été trop qu'un Richelieu pour les aimables et inconsistants héros de la Fronde. La dextérité du cardinal italien suffit pour avoir raison du vaniteux roi des halles, de la frivole duchesse de Longueville, de l'inconsidéré coadjuteur, et de ce la Rochefoucauld qui devait finir par accepter une place dans le carrosse de Mazarin en lui disant en souriant : Tout arrive en France. Si, d'ailleurs, Mazarin accommodera plus tard sa conduite aux circonstances et ses moyens de lutte à ses adversaires, si, dans la suite, il sera amené à faire à de petits opposants une petite guerre, il a suivi, en tout ce qui concerne la marche des grandes affaires, la voie de Richelieu. On a dit que, dès son avènement au pouvoir, Mazarin a eu soif de la paix, que là était sa vocation, son unique pensée, sa destinée[16]. Assurément il a montré dans la direction des négociations de Münster et d'Osnabrück, et plus tard dans la préparation du traité des Pyrénées, de merveilleuses aptitudes. Mais on aurait tort d'oublier tout ce qui, après la mort de Richelieu, a été accompli pour continuer la guerre. Partout les hostilités furent entretenues ; partout des recrues étaient dirigées sur les armées. Le maréchal de Guiche était envoyé en Picardie, Turenne dans le Piémont, et le maréchal de la Mothe recevait des renforts en Catalogne. Enfin, sur la nouvelle que, don Francisco de Mello réunissait dans les Pays-Bas ses meilleures troupes afin de reprendre les places conquises par les Français, on choisit pour lui être opposé un neveu par alliance de Richelieu, son protégé, un brillant volontaire des sièges d'Arras, d'Aire et de Perpignan, celui qui va bientôt .s'appeler le grand Condé. Il est vrai qu'en même temps on désignait les plénipotentiaires qui allaient représenter la France à Münster et à Osnabrück. Mais, en pourvoyant à cette nécessité, on continuait un dessein de Richelieu, puisque, dès la fin de 1640 ; la diète de Ratisbonne avait choisi ces deux villes comme devant être le siège d'un congrès ; et que, par les préliminaires d'Hambourg, on avait établi la liberté de circulation entre les deux villes et la suspension des hostilités autour d'elles. Or ces préliminaires remontent au 25 décembre 1641, c'est-à-dire à une époque antérieure d'une année à la mort de Richelieu. Ainsi donc, soit en donnant suite aux projets de négociations, soit en fortifiant les armées, afin de rendre par de nouveaux succès la paix plus prompte et plus avantageuse à la France, Louis XIII et Mazarin continuaient l'œuvre de Richelieu. Mais le moment approchait où Mazarin seul serait chargé de cette laborieuse tâche. La santé du roi, ruinée de bonne heure par le régime débilitant auquel le soumettait la médecine du temps, déclinait visiblement. Ce corps, régulièrement affaibli par des purgations répétées et par des saignées périodiques, était depuis longtemps hors d'état de résister à une maladie un peu grave. Non-seulement la médecine de l'époque avait exercé sur lui ses effets désastreux, mais des causes morales avaient contribué aussi à affaiblir une constitution naturellement vigoureuse et saine. En quelque sorte dès le berceau, ce prince avait comprimé ses sentiments naturels et réussi à refouler au fond du cœur ses inclinations comme ses répugnances. Son aversion pour les bâtards se heurtant contre la volonté d'Henri IV, qui l'obligeait à vivre avec des frères instinctivement détestés ; sa haine pour Concini se heurtant contre la volonté de Marie de Médicis, qui confiait le pouvoir à un favori abhorré de Louis XIII ; certaines défiances conçues à l'endroit d'Anne d'Autriche, qu'il soupçonnait d'être demeurée Espagnole de cœur et qu'il voyait avec peine couvrant de sa protection plusieurs ennemis de Richelieu ; les rigueurs qu'il fut contraint d'exercer contre sa mère dont tous les torts ne suffisent pas à justifier le triste abandon dans lequel on la laissa mourir ; son vif penchant pour madame de Hautefort et mademoiselle de la Fayette, penchant qu'il se crut obligé de combattre et dont il triompha ; son affection pour tant de favoris dont il dut se séparer parce que tous aspiraient à renverser Richelieu ; la conduite de Gaston, chef de toutes les conspirations contre la royauté, et qu'on accusa de vouloir le remplacer un jour comme second époux d'Anne d'Autriche, ce furent là autant de souffrances cruelles qui déchirèrent le cœur de Louis XIII et firent de sa vie une longue et incessante immolation au devoir. Il fut torturé dans ses sentiments de fils, d'époux, d'ami et de frère. Il se vit condamné pour le bien de l'État à combattre les affections les plus naturelles à l'homme. Et pourtant il était né et il resta aimant et bon. Avide d'aimer, les déceptions qu'il subit ne le rendirent ni sec ni égoïste. Il se soumit à son sort sans rien témoigner de ses amertumes, car il était fier et il plaçait très-haut la dignité du souverain. Ses afflictions, qu'il garda pour lui seul, donnèrent à son visage cet aspect mélancolique qui le caractérise. Contenues, rarement épanchées, elles contribuèrent certainement à miner le corps et à tarir de bonne heure les sources de l'existence. Jamais en Louis XIII la vie ne s'est épanouie dans tout son éclat. On cherche en vain dans son âge mûr un de ces points culminants où l'homme, parvenu à la plénitude de ses forces, semble braver la mort, et qui sont si brillamment visibles chez Henri IV et chez Louis XIV. D'une maturité d'esprit extraordinairement précoce, Louis XIII a été prématurément vieux. Il n'y eut pas en lui une période de décroissance physique succédant à une période ascensionnelle. L'affaissement fut long, mais continu. Dès qu'ont commencé ses souffrances morales — et elles ont commencé dès qu'il a pu observer, comparer et juger —, l'infortuné prince s'est alangui. Il a sans cesse incliné vers la tombe dont il semblait toujours avoir l'image présente à ses yeux. On peut dire que, lorsqu'il est mort, il a achevé de mourir. |
[1] Cette nouvelle, portée aux oreilles de Sa Majesté, tira des larmes de ses yeux, lisons-nous dans le Journal de ce qui s'est fait et passé, etc., p. 7.
[2] Lettres d'Henri Arnauld, déjà relatées. Bibliothèque nationale, fonds français, t. 20635. Copies. Lettre du 6 décembre 1642.
[3] Lettres d'Henri Arnauld. Bibliothèque nationale, fonds français, t. 20635. Lettres des 14, 21 décembre 1642 et 11 janvier 1643.
[4] Mémoires de Montglat, p. 194. — Mémoires de la Châtre, p. 273. — Mémoires de Pontis, p. 631.
[5] Dès le 5 décembre, le lendemain de la mort de Richelieu, Louis XIII adressait la lettre suivante aux parlements, aux gouverneurs des provinces et aux ambassadeurs : — Nos amer et feaux, Dieu ayant voulu retirer à lui nostre très-cher et très-amé cousin le cardinal duc de Richelieu, lorsqu'après une longue maladie nous avions plutost lieu d'espérer sa guérison, cette lettre est pour vous en donner avis, avec un très-sensible regret d'une perte si considérable et pour vous dire qu'ayant depuis tant d'années receu des effects si advantageux des conseils et des services de nostre dit cousin, nous sommes résolus de conserver et entretenir tous les établissements que nous avons ordonnés durant son ministère et de suivre tous les projets que nous avons arrestés avec luy pour les affaires du dehors et du dedans de nostre royaume, en sorte qu'il n'y aura aucun changement et que, continuant dans nos conseils les mêmes personnes qui nous y servent si dignement, nous avons voulu y appeler nostre très-cher cousin le cardinal Mazarin, de qui nous avons eaprouvé la capacité et l'affection à notre service dans les divers employa que nous luy avons donnez, et qui nous a rendu des services si fidèles et si considérables, que nous n'en sommes pas moins asseurés que s'il estoit né nostre subject. A ces causes, nous vous mandons et ordonnons que dans la rencontre des affaires qui se pourront offrir vous ayez à vous conformer entièrement à ce qui est en cela de nos intentions et empécher que, sur cet accident, il n arrive aucune altération aux choses qui regardent nostre service et la tranquillité publique, mais qu'elles soient toutes maintenues au bon estat où elles se trouvent, selon que nous l'attendons de vostre fidélité et affection. Si n'y faites faute : car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le 5 décembre 1642. Signé : Louis, et plus bas : de Loménie. (Collection des documents inédits sur l'histoire de France. Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère, publiées par M. Chéruel, t. I, p. 20.)
A cette lettre, d'un caractère général, il convient d'ajouter la lettre inédite suivante, écrite par le roi au marquis de Fontenay-Mareuil, le 8 décembre 1642 : Monsieur le marquis de Fontenay, chacun sachant les grands et signalés services que mon cousin le cardinal duc de Richelieu rn'a rendus et de combien d'advantageux succès il a pieu à Dieu de bénir les conseils qu'il m'a donnés, personne ne peut doubler que je ne ressente tout autant que je dois la perte d'un si bon et ai fidèle ministre, aussi veux-je que tout le monde cognoisse quel est mon desplaisir et combien sa mémoire m'est chère par les tesmoignages que j'en veux rendre en toutes occasions. Mais la cognoissance que jay que les sentiments que je dois auasy pour le gouvernement de mon estat et le bien de mes affaires doivent marcher devant tous les aultres moblige a en prendre plus de soing que jamais et à m'y appliquer de telle sorte que je puisse maintenir les grands advantages que j'ay à prenant jusques à ce qu'il ayt pleu à Dieu me donner la paix qui a esté tousjours le seul et unique but de toutes mea entreprises et pour l'accomplissement de laquelle je n'espargneroy pas mesme ma propre vie. Pour cet effect jay pris résolution de continuer les mesmes personnes dans mea conseils qui my ont servi pendant l'administration de mon cousin le cardinal de Richelieu, et d'y appeler mon cousin le cardinal Mazarin qui ma donné tant de preuves de son affection, de sa fidélité et de sa capacité dans les diverses occasions où je l'ay employé dans lesquelles il m'a rendu des services très-considérables que je n en suis pas moins asseuré que s'il estoit né mon subject. Ma principale pensée sera tousjours de maintenir la bonne correspondance qui a esté entre moi et mes alliés, d'user de la mesme rigueur et fermeté dans mes affaires que j'y ay gardée autant que la justice et la raison me le pourront permettre, et de continuer la guerre avec la même application et les mêmes efforts que j'ay faict depuis que mes ennemis m'ont contraint de m'y porter, jusques à ce que Dieu leur ayant touché le cœur, je puisse contribuer avec tous mes allies à l'establissement du repos général de la chrétienté, mais en sorte qu'il soit fait si solidement que rien ne les puisse plus trancher à l'avenir. Vous donnerez part de tout ce qui est dessus à Nostre Très-Saint Père le Pape et à tous les aultres que vous estimerez à propos par delà, affin que l'on puisse juger que les affaires de ce royaume suivront le même traint qu'elles ont pris il y a longtemps et qu'il ne manquera rien à la conduite que l'on continue d'y tenir pour donner lieu d'espérer qu'elles succéderont toujours heureusement. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ayt, monsieur le marquis de Fontenay, en sa saincte garde, escript à Paris le 6 décembre 1642. Signé : Louis, et plus bas : Bouthillier. (Bibliothèque nationale, manuscrits, fonds Dupuy, t. 590, f. 312.) Il est superflu d'insister sur l'importance de ce dernier document, qui prouve d'une façon péremptoire le ferme dessein où l'on était de suivre la politique de Richelieu.
[6] Mémoires de Mlle de Montpensier, p. 18.
[7] Déclaration du roi Louis XIII, par laquelle, en cas qu'il vienne à décéder, ses enfants estant en minorité, il déclare Monsieur le duc d'Orléans, son frère, incapable de l'administration du royaume ny d'en estre régent. (Bibliothèque nationale, manuscrits, fonds Dupuy, t. 672, fol. 170.)
[8] Lettre d'Henri Arnauld du 7 décembre 1642.
[9] Lettre d'Henri Arnauld du 14 décembre 1642.
[10] Lettres d'Henri Arnauld, passim. Le P. Griffet, t. III, p. 591.
[11] Le P. Griffet, t. III, p. 591.
[12] Voir, sur l'ancienneté et l'importance des relations de Richelieu et de Mazarin, quatre excellents articles publiés par Cousin, dans le Journal des Savants d'août, septembre, octobre et décembre 1864, sous le titre de Nouvelles relations de Mazarin et de Richelieu pendant l'année 1630, d'après des documents inédits. Ce sont ces articles qui ont formé plus tard le fond du livre de Cousin, lequel a pour titre la Jeunesse de Mazarin.
[13] Le 13 décembre 1642, Mazarin écrivait au prince Maurice de Savoie : Oui, je le dis hautement, j'ai tout perdu ; je n'aurai pas grand'peine à le persuader ; elles sont trop connues les grandes obligations que j'avois à Son Eminence, qui, en mourant, a voulu encore me tesmoigner son affection en priant le roy de m'accorder une de ses meilleures abbayes, et a représenté à Sa Majesté que, outre ma fidélité et le zèle que j'avois pour son service, je n'étois pas incapable de la servir. Aussi quand je croyoia avoir la permission de m'en retourner à Rome, je reçus l'ordre de rester ici, et je fus appelé au Conseil ; mais, comme je ne suis pas assez fort pour porter un aussi grand fardeau, j'espère Sa Majesté voudra bien m'employer ailleurs, je ne cesserai de l'en prier... Deux jours après, le 15 décembre, Mazarin écrivait au prince Thomas de Savoie : Vostre Altesse sait les obligations que j'avois au susdit cardinal, qui, en mourant, a voulu donner de nouvelles marques de l'amitié et de l'estime dont il m'honoroit, en suppliant le roy d'employer ma personne, et en ayant la bonté de lui assurer que je ne serois pas incapable de bien servir Sa Majesté. Aussi quand je pensois avoir permission de m'en retourner à Rome pour servir dans cette cour la couronne de France, Sa Majesté m'a ordonné de la servir ici ; mais j'ai lieu de croire que mon insuffisance aura bientôt déterminé Sa Majesté à m'accorder la faveur qu'elle me refuse à présent... La même affirmation se retrouve dans une lettre à Oxenstiern, datée du 8 janvier 1643. Monsieur, dit Mazarin, le roy ayant voulu rendre à feu Monsieur le cardinal cette dernière preuve de l'estime qu'il faisoit de ses conseils que de se servir de moy en la conduite de ses affaires, j'ai creu estre obligé d'en donner part à Vostre Excellence, comme à une personne qui tient le rang que vous tenez au gouvernement d'une couronne si liée d'intérêts et d'amitié avec la France... Le même jour, Mazarin écrivant à M. de Saint-Romain, résident de Francs à Hambourg, lui disait : ... Je me porterai avec un zèle particulier à l'accomplissement des desseins de Sa Majesté, tant à cause des grands bienfaits dont je lui suis redevable, que pour tascher de ne démentir point le jugement favorable que fit M. le cardinal de ma personne lorsqu'il pria le roi de se servir de moy dans la conduite de ses affaires... Le 9 janvier, le cardinal écrivait au prince d'Orange : ... La perte de ce grand homme qui m'estant commune avec tous les bons François a fait sur moi une impression particulière, m'avoit fait résoudre de me retirer à Rome pour m'esloigner des objets dont la vue m'en pourroit continuellement rairaischir le desplaisir ; mais le roy, par le conseil de Son Eminence, m'ayant commandé de demeurer auprès de luy pour le servir dans ses affaires, j'ai cru d'estre obligé d'en donner part à Vostre Altesse... A ces lettres, qui ont un certain caractère diplomatique pouvant diminuer la valeur de l'affirmation de Mazarin, il convient d'ajouter ce que le nouveau ministre écrivait à son frère, Michel Mazarin, le 23 décembre 1642. Aucun intérêt politique ne pouvait porter Mazarin à tromper son frère sur la question qui nous occupe : Sa Majesté, écrivait Mazarin, poussée par sa bonté et par le cas qu'elle a toujours fait des conseils de ce grand cardinal, ne me croit pas incapable de la servir ; car il a plu à Son Eminence, dans sa maladie, de donner les assurances les plus advantageuses de ma suffisance et de luy représenter que si elle m'employoit je la servirois fidèlement et advantageusement... (On trouvera toutes ces lettres dans le recueil publié par M. Chéruel, Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère, t. I, pp. 2, 4, 10, 12, 13 et 17.) Au témoignage du principal intéressé, nous aurions voulu joindre les affirmations des, contemporains, mais seul Montglat relate le conseil donné à Louis XIII par Richelieu de se servir de Mazarin ; les autres auteurs de mémoires sont muets sur ce point. (Mémoires de Monglat, p. 134, col. 1.)
Il nous est impossible d'ajouter à toutes ces preuves de notre affirmation une lettre que Richelieu aurait écrite à Mazarin pour le charger de continuer l'œuvre que sa mort allait interrompre. M. Avenel, à la fin de son septième volume, a exposé toutes les raisons matérielles qui lui ont fait repousser cette lettre comme l'œuvre de Richelieu ; nous partageons absolument son opinion sur ce point. Jusqu'à ce que nous ayons vu l'original de Bette lettre, dont on n'a pu jusqu'alors trouver qu'une copie, nous ne croirons pas qu'elle ait été écrite par Richelieu, malgré l'avis contraire de M. Chéruel. (V. Papiers de Richelieu, t. VII, p. 915, et le texte de la prétendue lettre de Richelieu dans l'Introduction des Lettres du cardinal Mazarin, p. XIX.)
[14] Mémoires du cardinal de Retz, p. 40, col. 1.
[15] Le temps et moi, avait coutume de dire Mazarin.
[16] Bazin, Histoire de France sous Louis XIII et sous le ministère du cardinal de Mazarin, t. III, p. 203. Édition de 1848.