1642. — Louis XIII en Roussillon. — Maladie du roi et du cardinal. — Bataille de Honnecourt. — Affaire de Cinq-Mars. — Derniers projets de campagne formés par Lotis XIII et Richelieu. — Dernière lettre connue de Louis XIII au cardinal. De St Germain, ce 23 janvier 1642[1]. Je trouve bon que le parlement et les autres compnies me viennent dire adieu samedy[2] ils pouront partir de Paris sur les onze heures du matin et ariver a St Germain entre deux et trois après midy autrement il les faudroit traiter qui est une dépence superflue[3] je me porte bien je vous dône le bon soir. — LOUIS. — (Ibid., fol. 318.) — (Original.) De Rosiers, ce 9 mars 1642[4]. Vous saurés par M. de Noyiers les résolutions que jay prises aujourduy avec M. le Grand maistre[5] lequel s'en est retourné a Narbone[6] pour marcher mercredy jespère avec layde du bon Dieu que tout ira bien songés seulement a vostre persone[7] je vous dône le bon soir. — LOUIS. — (Ibid., fol. 319.) — (Original.) Le 21 avril 1642, Louis XIII quittait Narbonne pour aller prendre la direction du siège de Perpignan. Il laissait Richelieu dans un fâcheux état de santé. Arrivé à Narbonne le 12 mars, le cardinal avait eu, le 18, un premier accès de fièvre ; puis, un abcès s'étant formé à son bras droit, il s'était vu dans l'impossibilité d'écrire. A ses souffrances physiques venaient se joindre de vives préoccupations morales. Il connaissait toutes les intrigues de Cinq-Mars, qui, ne quittant pas le roi, ne cessait de poursuivre auprès de lui la perte du cardinal. Il savait la présomption et les folles visées du frivole favori, et, s'abandonnant à ses terreurs ordinaires, il craignait que Cinq-Mars ne réussît à profiter de son absence. Richelieu n'ignorait point que le grand écuyer serait infailliblement perdu s'il était convaincu de conspiration contre l'Etat. Les intrigues du jeune favori, son caractère inconsidéré et enclin aux aventures, sa correspondance active avec Monsieur, les nombreux courriers qu'il adressait à Paris, avaient d'abord éveillé l'attention du cardinal, puis lui avaient fourni la preuve morale de la culpabilité de Cinq-Mars. Mais, pour convaincre le roi, une preuve matérielle était nécessaire, et Richelieu n'en avait pas. Il dut attendre. La situation d'esprit où se trouvait le cardinal n'était pas de nature à lui faire recouvrer la santé. Son mal empira. Les médecins, dans l'impossibilité où ils se trouvaient de faire cesser les tortures morales qui déchiraient l'esprit de Richelieu, lui conseillèrent de quitter Narbonne, dont le climat était pernicieux, et d'aller respirer l'air salubre de la Provence. Richelieu hésitait à mettre une si grande distance entre le roi et lui dans un moment que ses craintes lui faisaient paraître critique pour sa fortune ; mais Louis XIII lui-même lui conseilla vivement un départ que la gravité du mal rendait nécessaire. Le 23 mai Richelieu faisait son testament, et le 27 il quittait Narbonne. Je pars, écrivait-il le même jour au roi, je pars en suivant le conseil de V. M. dont je ne pense pas pouvoir me mal trouver venant d'un si bon maître[8]. Nous trouvons un nouveau témoignage de la sollicitude royale dans cette lettre de Richelieu du 4 juin 1642 : Je recevray avec contentement les tesmoignages de l'affection de V. M. par qui que ce puisse estre, mais je n'en ay pas besoin pour m'en tenir assuré en ayant toujours reçu des effets pour le passé en toutes les occasions où on tasche le plus puissamment de l'ébranler[9]. A la même époque, où Richelieu écrivait cette lettre il en recevait une de Louis XIII encore plus affectueuse que les précédentes. Du camp devant Perpignan, le 3 juin 1642. Jenvoye monsieur de Chavigny vous trouver sur le malheur arrivé au mareschal de Guiche, nous avons fait un mémoire des choses qui se peuvent faire la dessus, sur quoy me remettant je finiroy en vous asseurant que quelque faux bruit qu'on fasse courre je vous ayme plus que jamais et quil y a trop longtemps que nous sommes ensemble pour nous jamais séparer ce que je veux bien que tout le monde sache[10]. — LOUIS. — (Recueil d'Aubéry, t. II, p 841.) — (Histoire de Louis XIII, par le Père Griffet, t. III, p. 458.) En quittant Narbonne, Richelieu se dirigea vers Tarascon. Malgré d'intolérables souffrances, il ne continuait pas moins à rechercher activement une preuve matérielle de la trahison dont il soupçonnait Cinq-Mars. Les espions du cardinal, partout en campagne, lui adressaient chaque jour de nouveaux renseignements qui fortifiaient la conviction morale de Richelieu, sans lui permettre néanmoins de présenter au roi un document certain et irréfutable. C'est à Arles qu'il reçut, le 9 juin, un premier avis de l'existence du traité conclu avec l'Espagne au nom de Monsieur, du duc de Bouillon et de Cinq-Mars. Aussitôt Richelieu rédigea un mémoire dans lequel il instruisait longuement Louis XIII des actes du grand écuyer. Chavigni, porteur de ce mémoire, arriva le 42 à Narbonne, où se trouvait alors le roi. L'arrestation de Cinq-Mars résolue et exécutée, Louis XIII se mit en route pour aller rejoindre son ministre à Tarascon et préparer avec lui le procès des coupables. Le roi et Richelieu étaient également malades. Ce fut le souverain qui, après un long voyage accompli avec de grands ménagements, se fit transporter, le 28 juin, dans la chambre du ministre. Là, dans un état de santé déjà fort grave, tous deux couchés dans leur lit, ils condamnèrent les conspirateurs avant même la réunion du tribunal. Après cette visite du roi, Richelieu, un peu plus confiant en sa fortune, écrivait le lendemain à Louis XIII : J'envoie savoir comment S. M. se porta hier de son voyage, priant Dieu de tout mon cœur qu'il luy ayt produit un aussi bon effect que jen ay receu de l'honneur de sa visite, qui me soulagea tellement qu'en me faisant panser à six heures, je levay mon bras tout seul à la veue de toute la faculté[11]... Le roi, toujours aussi affectueux pour son ministre, lui répondit aussitôt : 29 juin 1642. Je ne me trouve jamais que bien de vous voir je me porte beaucoup mieux depuis hier et ensuite de la prise de M. de Bouillon qui est un coup de partie[12], jespère avec layde de Dieu que tout ira bien et quil me clonera la parfaite santé test de quoy je le prie de tout mon cœur. — LOUIS. — (Histoire de Louis XIII, par le Père Griffet, t. III, p. 473.) Le même jour, Louis XIII se mettait en route pour retourner à Fontainebleau. Arrivé le lendemain à Bagnols, il écrivait de nouveau à Richelieu pour lui donner les pouvoirs les plus étendus sur les provinces du midi. De Bagnols, ce dernier juin 1642. Mon cousin, estant contraint par la considération de mes affaires et par l'estat auquel est vostre santé de vous laisser en ce pays avec très grand regret, je vous escrit cette lettre pour vous dire que ayant une confiance entière en vous mon intention est que vous y fassiez les choses qui regarderont mon service avec la mesme authorité que si jy estois que les ordres que vous envoyerez soit dans les provinces de deça soit au dehors du royaume, a mes lieutenans généraux darmée ou a mes ministres soient aussi ponctuellement exécutés que les miens propres et que vous pourvoyez aux choses pressées sans men doner avis, je suis asseuré que je ne saurois jamais mettre mes affaires en meilleure main et quelles ne vous sont pas moins a cœur qua moy, je vous conjure seulement de les faire sans altérer vostre santé qui mest chère au dernier point, je finiroy en priant Dieu quil vous la redone telle que je la désire. — LOUIS. — (Arch. des aff. étrang., France, t. 101, fol. 146 et 143.) — (Copies.) — (Recueil d'Aubéry, t. II, p. 841.) — (Histoire de Louis XIII, par le Père Griffet, t. III, p. 481.) De Monceaux, ce 10 septembre 1642. Je vous envoye un projet que jay dressé des armées pour lannée qui vient vous le trouverés disposé pour aler de tous les costés ou on peut entreprendre a mon avis qui sont ou continuer[13]... ou attaquer... ou aler vers la... ce que je trouve très difficile si vous trouvés ledit projet bien je feroy les logements du cartier diver sur iceluy je loge les troupes qui sont présentement avec le Halier, dans la Loraine Barois et Champagne du costé de Bourgogne et le reste des regts qui ne sont de larmée du halier en Bourgogne il y a cette heure cinq regts dinfanterie que je loge au milieu de tout — come vous verrés dans le controole — pour tourner de quel costé que on voudra faire la grande ataque avec 3 regts de cavaleries et 4 compnies de gens darmes de quel costés que ce corps aille larmée sera considérable. Larmée de picardie je la logeroy depuis la rivière doise jusques derrière la seine et quelques regts dans le boulonois la 3eme qui est celle présentement du maral de Guiche entre boise et laine. — LOUIS. Pour ce qui est de la séparation des troupes qui sont maintenant en Rousillon et catalogne je men remets a vous. Je nay rien adjouté a mon mémoire depuis que courteille est revenu que larticle ci dessus[14]. Mrs de Chavigny et de noyiers exécuteront de point les 2 derniers mémoires que vous avés envoyés. — A Livry, ce 20 septembre 1642[15]. — LOUIS. — (Arch. des. aff. étrang., France, t. V, fol. 320.) 9 octobre 1642[16]. ..... Ma santé va grâces a Dieu fort bien il est vroy que tous les mois il me faut 6 ou 7 médecines de suite pour nettoyer le logis..... je men vas courre 4 loups je voudrois que vous fusiés en estat daler a cette chasse..... — LOUIS. Telle est la dernière lettre de Louis XIII à Richelieu, dont nous connaissions quelques fragments. Nous l'avons ajoutée à celles qui précèdent, parce qu'elle prouve.que, jusque dans les derniers temps de la vie de Richelieu, les sentiments de Louis XIII à l'égard de son ministre sont restés ce qu'ils avaient toujours été. Moins de deux mois après que cette lettre était écrite, Richelieu mourait laissant la France calme au dedans et respectée au dehors, et ayant fait de son maitre, selon l'expression de Mme de Motteville : l'un des plus grands rois de la terre. |
[1] Cette lettre est écrite au crayon.
[2] Louis XIII partit de Saint-Germain, pour aller prendre la direction des opérations militaires dans le Roussillon, le lundi 27 janvier.
[3] Cette tendance de Louis XIII à épargner au trésor public des dépenses inutiles est à noter chez un prince, dont le règne est remarquable par les énormes déboursés que nécessitèrent les grandes entreprises de la France à cette époque.
[4] Le voyage de Louis XIII s'était accompli par petites journées, car il n'était arrivé à Lyon que le 17 février et à Montpellier que le 7 mars. Parti le même jour de cette dernière ville, il avait couché le 8 à Pézenas et était arrivé le 9 à Béziers.
[5] Le maréchal de la Meilleraye. On sait qu'un mois plus tard, le 13 avril, il reprenait Collioure sur les Espagnols.
[6] Louis XIII arriva dans cette ville le 11 mars.
[7] C'est dans le même temps où Louis XIII écrivait ceci que Cinq-Mars s'alliait à l'Espagne dans l'espoir de renverser Richelieu, et qu'il comptait, pour atteindre ce but, sur l'aide de Louis XIII lui-même. On ne peut que s'étonner que des historiens judicieux d'ordinaire aient partagé la folie de ce jeune homme, et nous aient représenté Louis XIII comme complice de ses complots antipatriotiques.
[8] Papiers de Richelieu, t. VI. p. 921.
[9] Papiers de Richelieu, t. VI. p. 925.
[10] Antoine de Gramont, comte de Guiche, maréchal de France depuis le mois de septembre 1641, et parent de Richelieu, dont il avait épousé une cousine, s'était laissé battre à Honnecourt, près de Cambrai. Cette défaite ayant répandu aussitôt la terreur dans tout le nord de la France ; on redouta une nouvelle invasion ; on crut que l'année 1642 serait une nouvelle année de Corbie, et les ennemis de Richelieu ne manquèrent pas d'exploiter ce fâcheux événement contre le ministre. Ils allèrent jusqu'à prétendre que le maréchal de Guiche avait reçu du cardinal le conseil de se laisser battre à dessein, afin de faire naître pour la France un grave péril dont le grand ministre seul était capable de la tirer. La lettre de Louis XIII prouve que, non-seulement le roi n'a point partagé d'aussi ridicules soupçons, mais encore qu'après avoir donné par écrit à Richelieu les plus réels témoignages de confiance, il a chargé Chavigni de lui renouveler verbalement ces témoignages. Il résulte, en outre, de cette lettre qu'aussitôt la défaite connue, Louis XIII s'est lui-même occupé des moyens de la réparer. Du reste, le danger était peu sérieux, car les Espagnols, n'osant s'avancer dans le cœur du pays, se bornèrent à faire quelques reconnaissances du côté de la frontière française.
[11] Papiers de Richelieu, t. VI, p. 951.
[12] Le duc de Bouillon avait été arrêté à Casal le 23 juin.
[13] Cette lettre contient trois portions de phrases chiffrées, que nous n'ayons pas traduites, n'ayant pu, malgré toutes nos recherches, trouver la clef du chiffre dont Louis XIII s'est servi ici.
[14] Pendant tout le mois de septembre, Louis XIII et son ministre s'occupèrent de préparer tout ce qui était nécessaire pour la campagne suivante. C'est une chose étonnante de voir ces deux hommes, si près de la mort, s'occuper encore de l'accomplissement de leurs grands .projets. (V. les lettres de Richelieu au roi, à Chavigni et à de Noyers, Papiers de Richelieu, t. VII, pp. 132, 133, 135, 137, 138, 139, 142. 143, etc.)
[15] Ce mémoire, comme on le voit, a été écrit en deux fois et à un très-long intervalle. C'est, sans doute, en réponse à cette lettre que Richelieu répondait au roi le 26 septembre : J'ai veu les projets qu'il a pieu au roy de faire pour ses armées des frontières proches de Paris, sur quoy je n'ay rien a dire qu'à louer la vigilance et la prudence de S. M. Ensuite de quoy j'oserois bien luy respondre que si elle a des troupes telles qu'elle se les propose, il ne luy peut rien arriver qui ne la contente... (Idem, p. 143.) Pour admettre le long intervalle entre la lettre et la réponse, il ne faut pas oublier que Richelieu habitait Bourbon-Lancy à ce moment.
[16] Nous avons puisé les fragments de cette lettre, dont nous ne connaissons pas le possesseur actuel, dans le catalogue de lettres autographes ayant appartenu au célèbre collectionneur, M. Fossé Darcosse, catalogue publié chez Techener, en 1861, par M. Charles Asselineau. La lettre se trouve à l'article : Louis XIII, p. 254.