Après avoir écrit une Vie de César, que nous connaissons seulement par les courtes paroles que Retz lui consacre dans ses Mémoires, et qui dut fortifier son ambition naissante dans le commerce de ce grand ambitieux, dont il ne craignit pas de se rapprocher en quelques rencontres[1], Gondi s'occupa d'un personnage qui avait enflammé son imagination par ses brillantes qualités, le retentissement qu'avait eu son nom depuis moins d'un siècle, le but extraordinaire qu'il s'était donné, la manière audacieuse dont il l'avait poursuivi, et sa mort étrange au milieu même de son triomphe, qui se changea ainsi en un irréparable désastre. Déjà, trois ans auparavant[2], l'Italien Mascardi avait raconté la vie du comte Jean-Louis de Fiesque et la conjuration formée par lui, en 1547, contre les Doria et le gouvernement de Gênes. Le jeune Retz[3] s'est-il contenté de traduire le récit de Mascardi, ou bien l'a-t-il paraphrasé et développé à sa guise ? C'est ce qui n'a pas encore été déterminé d'une manière complète et ce qu'il n'est pas sans intérêt de connaître pour mesurer la portée de récrit du futur coadjuteur. Dans le premier cas, en effet, il n'y aurait de significatif que le choix du sujet. Dans le second, les changements apportes à l'œuvre première, ici une réflexion ajoutée, là un discours retranché, ailleurs un jugement réformé ou un fait présenté sous un jour nouveau, indiqueraient, par les pensées de l'écrivain, les tendances de l'homme. Retz a choisi évidemment Mascardi pour guide : c'est, dans les deux récits, le même plan général et bien souvent chez l'auteur français une traduction littérale de l'auteur italien. Mais quelle complète transformation des personnages, et avec quelle précoce et audacieuse habileté le jeune Gondi a pu, d'une histoire impartiale dans laquelle est sainement appréciée une entreprise qu'on ne saurait louer, faire tout à la fois l'apologie éclatante d'un conspirateur, un savant traité des conjurations, et une attaque indirecte contre le puissant ministre qui gouvernait alors la France ! Tandis que Mascardi montre la république de Gênes parvenue à une complète prospérité qu'allait sérieusement compromettre une conjuration odieuse[4], Retz dépeint la noblesse dominant avec orgueil, le peuple obéissant avec rage et la Providence permettant un événement dont la mauvaise réussite allait par malheur confirmer les uns dans le commandement, les autres dans la servitude. Puis, au lieu de suivre l'historien de bonne foi qui expose longuement la manière dont André Doria sut délivrer sa patrie de l'influence dominatrice de François Ier, et la placer dans une position glorieusement indépendante, l'écrivain passionné se contente d'attribuer à la nouveauté de ce spectacle[5] la joie et les acclamations avec lesquelles fut accueilli le restaurateur de la liberté de son pays, et, par un procédé habile en ce qu'il empêche le lecteur de s'attacher a une situation heureuse, bientôt ébranlée, il se hâte de mettre en scène le personnage principal de son récit, celui qui l'intéresse par dessus tout, le comte de Fiesque. Les portraits que tracent de lui Mascardi et Retz sont presque une continuelle antithèse. Quand l'un[6], tenant le langage de l'histoire, dépeint l'inquiète turbulence et la précoce perversité de ce remuant seigneur, qui avait de bonne heure formé de chimériques projets en se nourrissant de la lecture de Machiavel et de la vie de Catilina[7], Gondi se plaît à décrire l'ambition légitime, les intrépides aspirations de cet esprit qui lui paraît être un des plus beaux et des plus élevés qui soient au monde, sa générosité inépuisable, sa bravoure et son amour passionné pour la gloire. Au charme qu'il éprouve à faire cette description, on reconnaît que l'écrivain se mire en quelque sorte dans une image avec laquelle il se trouve bien des points de ressemblance. Il traduit assez fidèlement Mascardi quand celui-ci, imitant Tite-Live, fait prononcer aux amis de Fiesque divers discours pour combattre ou pour soutenir le projet de conspiration. Mais avec combien plus d'ardeur et plus de force le futur frondeur fait parler ceux qui conseillent la révolte et, lorsqu'il rencontre, dans les discours écrits par Mascardi, quelque audacieux argument que son timide devancier indique à peine, avec quel empressement il s'en empare et avec quelle complaisance il le développe[8] ! Les partisans du complot, ayant pour complice l'ambition de Fiesque, l'emportent sans peine. On voit alors, chez Mascardi, ce caractère dissimulé se révéler tout entier ; on assiste à ces honteuses scènes dans lesquelles le conjuré trompe par des témoignages d'affection et de dévouement les Doria qui l'aiment et le protègent, et les empêche de s'apercevoir de tous les préparatifs de la révolte. Gondi glisse rapidement sur ces détails et il ne parle de cette dissimulation que pour l'excuser. Le moment où doit éclater le complot arrive enfin. Fiesque invite à un festin la plus grande partie de la jeunesse de Gênes, et, après avoir fermé les portes de son palais, il annonce ses projets avec une fierté noble et assurée, dit Retz[9], qui ajoute que cette remuante noblesse fut entraînée à la suite de l'orateur par l'affection qu'elle lui portait et par les hautes espérances qu'elle nourrissait, quand Mascardi dit avec l'histoire[10] que les invités du comte, placés dans l'alternative de lui obéir ou d'être assassinés par des soldats apostés, obéirent à la crainte et non à l'enthousiasme. Mascardi montre alors, dans une scène touchante, la femme de Fiesque se jetant à ses pieds et le suppliant, au nom de ses enfants, de ne pas entrer dans une révolte où il perdra ses biens, sa vie et son honneur. Retz, omettant le récit de cette entrevue, dangereux pour son héros, se précipite dans la description des différents projets d'attaque. Il les expose à la suite les uns des autres, les apprécie, indique le plus souvent avec justesse, toujours avec une lucidité parfaite, les défauts et les avantages de chacune des combinaisons, démontre par où celle-ci a échoué et celle-là aurait pu réussir plus complètement encore sans telle ou telle faute commise. Ici les rôles sont étrangement intervertis : c'est le vieil historien plein d'expérience qui garde un silence prudent sur ces discussions épineuses, et c'est l'écrivain de vingt ans qui entre sans hésiter dans l'examen de questions ardues, sème son récit de réflexions rarement prétentieuses, quelquefois d'une haute portée, et, après avoir discuté avec netteté, ne craint pas de se prononcer avec résolution. Mais les faits ont leur éloquence, et, quoique Retz raconte sans aucune observation la mort du comte de Fiesque[11] qui, au moment même où le fils adoptif de Doria est assassiné, où Doria lui-même va prendre la fuite, où les conjures sont victorieux, se transportant sur une galère, tombe dans la mer et est retenu au fond de l'eau par la pesanteur de ses armes, sans que ses cris puissent être entendus au milieu du tumulte, cette fin, qui détruit la conspiration d'une manière si providentielle et si inattendue, n'en a pas moins sa signification. Gondi ne se contente pas de montrer dans ce récit ce qu'il est capable de faire ; en même temps qu'il fait voir combien les coups qu'il pourrait porter seraient sûrs, il indique contre qui il serait bien aise de les diriger, et ce premier ouvrage, fécond en ingénieuses allusions, révèle tout aussi bien ses antipathies que son caractère. Comment en effet ne pas reconnaître Richelieu, tel qu'il
apparaissait à la plupart de ses contemporains, dans le portrait, si
contraire d'ailleurs à celui de Mascardi[12], que Retz trace
de Jeannetin Doria, représenté par lui comme un ambitieux, gouvernant en
réalité la ville de Gênes sous le nom d'André Doria ; jaloux de son autorité
; voulant attirer à lui seul toute la réputation et
toutes les forces de la république ; gardant une extrême défiance
envers tous les hommes de quelque mérite et capables de s'élever, ayant hâte
de les réduire à néant ; pratiquant cette maxime qui
enseigne que la rudesse et la fierté sont les plus sûrs moyens de régner et qu'il
est inutile de ménager par la douceur ceux
que l'on peut retenir dans le devoir par la crainte et par l'intérêt, et
parvenu à une élévation extraordinaire qui donne à tous les États,
ajoute-t-il, l'exemple de ne souffrir jamais dans
leur corps un personnage si éminent, que son autorité puisse faire naître le
dessein de l'abattre et le prétexte de l'entreprendre ? Comment ne pas
saisir l'intention qu'a eue l'écrivain en faisant si longuement ressortir
l'aveuglement des Doria, qui, dit-il, prétendent pouvoir démêler les replis du cœur humain,
présomption qu'ont tous les grands génies, et ne voient pas la conjuration
ourdie contre eux ? Et ces longues réflexions sur le soin qu'à la
Providence de confondre souvent la prudence humaine, n'eût-il pas été plus
naturel de les exposer après avoir raconté le coup qui frappa si soudainement
Fiesque au moment de son succès, au lieu de les appliquer à Doria, dont la
conduite ne les justifie nullement, et de leur donner ainsi tout le caractère
d'un sévère avertissement adressé aux puissances du jour ? Mais Retz ne tenait à être ni philosophe ni historien dans son livre. Il voulait faire du bruit, et ce premier but fut atteint, car Richelieu s'écria, après cette lecture : Voilà un dangereux esprit. Il voulait aussi s'inspirer et, pour ainsi dire, se façonner dans la société d'un factieux, sur les traces duquel il se sentait déjà capable de marcher. Il réussit encore, et cette étude fut pour lui le plus brillant et le plus utile apprentissage. Plus heureux que son héros, qu'il n'imita que dans ses commencements, une longue vie allait s'ouvrir devant lui, tellement remplie d'événements que nous ne saurions nous arrêter plus longtemps sur son seuil, ni tarder davantage de l'étudier dans l'admirable récit que lui seul pouvait nous en faire. II Se placer devant le public et lui dire : Je vais vous raconter ma vie ; tout dans mon récit se rapportera plus ou moins directement à moi, est en général un acte d'une personnalité si complète, qu'il est rare de s'engager dans cette orgueilleuse entreprise sans développer les motifs qui paraissent la justifier. L'amour-propre a sa pudeur. Retz ne manque pas à cet usage, et si, en exposant ces motifs, il est moins prolixe qu'on ne l'est d'ordinaire en pareille circonstance, il n'est guère plus sincère, et il attribue à un ordre de madame de Caumartin un acte auquel il ne se résigne, dit-il, qu'avec répugnance. Dès ce premier mot, il ne tient pas la promesse qu'il va solennellement faire de nous instruire nûment et sans détour des ce plus petites particularités[13]. Le jour de ma naissance, dit-il ensuite, ce on prit un esturgeon monstrueux dans une petite rivière qui passe sur la terre de Montmirail-en-Brie, où ma mère accoucha de moi. Et il ajoute : Les libelles qui ont depuis été faits contre moi en ont parlé ce comme d'un présage de l'agitation dont ils ce ont voulu me faire l'auteur. Ce trait me semble trop caractéristique pour que je l'omette, malgré son apparente puérilité. N'est-ce pas, en effet, avec intention et, dans tous les cas, avec plaisir, que Retz mentionne ce fait ? Il est vrai qu'il dit ensuite qu'il ne se croit pas un homme à augure ; il n'en est pas moins enchanté du rapprochement que cette coïncidence a amené. On n'affirmerait même pas qu'il ne soit point de l'avis des libellistes, surtout quand on se rappelle la persuasion dans laquelle il s'est toujours trouvé qu'il était né conspirateur et homme d'action. Si, en réalité, ce sont ses ennemis qui ont signalé ce rapprochement, c'étaient des ennemis complaisants, car assurément ils ne pouvaient pas lui plaire davantage. Le premier trait du caractère de Gondi est, en effet, la manie d'être un homme d'action, un conspirateur, un chef de parti. Je dis la manie, car, dans le principe, ce n'était que cela ; plus tard il intriguera pour le plaisir d'intriguer. Maintenant son imagination seule est séduite par les brillantes perspectives qu'offre à certains esprits une conjuration. Aussi l'avons-nous vu se rendant compte des ressorts des anciens complots, sachant par où tel a réussi, tel a échoué, et fixant de bonne heure son attention sur le comte de Fiesque, qui devient son héros. Ses vives sympathies ne sont altérées ni par l'âge, ni par les déceptions qu'il a éprouvées, et, pour le vieillard de Commercy comme pour le jeune abbé de Paris, rien n'égale la jouissance que procure la pensée d'être redoutable. Avec quelle satisfaction intérieure il cite chacun des mots de Richelieu qui lui laisseraient croire qu'il a pu un moment se faire craindre du premier ministre ! Avec quelle complaisance il raconte que ce dernier a dit de lui : Voilà un dangereux esprit ; et, plus tard : C'est un téméraire. Il appelle ces mots des éloges, et aucune des circonstances qui s'y rattachent ne lui a échappé : l'époque où ils ont été prononcés, le nom de ceux qui les ont entendus et de ceux qui les lui ont répétés, la manière dont ils ont été dits, tout y est, tout s'est gravé profondément dans son esprit. Rien ne se fixe mieux dans la mémoire que ce qui nous flatte. Ce n'est pas tout. Non-seulement il décèle ses goûts malgré lui, mais il ne tarde pas à les exposer ouvertement. Il se demande s'il y a une action plus grande au monde que la conduite d'un parti, et il ne craint pas d'affirmer qu'il faut plus de grandes qualités pour former un bon chef de parti que pour être un bon empereur de l'univers. Cette respectueuse admiration pour ce rôle, il la trahit à chaque mot. Avant d'entrer dans une conspiration, il fait remarquer qu'il embrasse le crime qui lui paraît consacré par de grands exemples, justifié et honoré par les grands périls, et, lorsqu'il veut apprécier une folle entreprise formée contre Richelieu, et que l'évidence le force à la qualifier de folie, il ne peut s'empêcher de s'écrier : L'ancienne Rome l'aurait enviée ! Plus tard, dans la belle scène qui précède sa rupture avec la cour, et où son admirable talent nous fera presque croire à la lutte qu'il dit s'être livrée dans son esprit au moment d'ordonner les barricades, il se peindra sacrifiant les idées les plus douces et les plus brillantes que les conjurations passées lui présentent en foule, rejetant ces pensées, quoique, à dire vrai, il s'y soit nourri dès son enfance ; et enfin permettant à ses sens de se laisser chatouiller par le titre de chef de parti, qu'il a toujours honoré dans les Vies de Plutarque. Ces termes pompeux ne sont pas, comme on pourrait le croire, destinés à aveugler le lecteur ; ils expriment la réelle opinion de Gondi, et l'on trouve une preuve de sa sincérité dans les traits qu'il laisse échapper en peignant La Rochefoucauld et Turenne. Du premier il dit, non sans dédain : Il n'a jamais été ce un bon homme de parti, quoique toute sa vie il y ait été engagé ; et, du second, avec la même fierté : On l'a cru moins capable d'être à la tête d'un parti que d'une armée, et je le crois aussi. Enfin une dernière citation donne, ce me semble, plus encore la mesure du respect qu'a Retz pour un chef de parti. Après qu'il a parlé de ce titre et des qualités qu'il exige, il ajoute : M. le Prince — le grand Condé — n'étudiait pas avec assez d'application les principes d'une science dans laquelle l'amiral de Coligny disait que l'on ne pouvait jamais être docteur. Avec ces dispositions d'esprit et une telle inclination de caractère, Retz ne pouvait et ne devait se complaire que dans la faction. Une remarquable tendance à la contradiction et à la lutte, tel est, en effet, le second trait du caractère que nous avons à étudier. Condamné par sa naissance tardive à la carrière des cadets, Retz fait tous ses efforts pour se dérobera la profession ecclésiastique. Mais ni ses duels ni ses galanteries ne peuvent ébranler la volonté paternelle. Il continue à résister, et il ne se soumettra à sa profession que lorsque, la santé de Richelieu s'affaiblissant, l'archevêché de Paris s'offrira en perspective à son ambition. Dès son plus jeune âge il entre en lutte avec la cour. Quand Richelieu lui fait témoigner un obligeant étonnement de ne l'avoir pas vu encore, Retz feint une maladie, va à la campagne et s'éloigne. Lorsque vient le moment de prendre en Sorbonne le bonnet de docteur, il dédie ses thèses à des saints pour n'être point obligé de les dédier aux grands de la terre[14]. Sachant que Richelieu a recommandé à la Sorbonne l'abbé de La Motte-Houdancourt, afin qu'il obtienne dans les examens la première place, Retz refuse de céder le rang qui lui appartient, et fait si bien, soit par ses actes, soit par ses discours, qu'il l'emporte même sur le protégé du puissant ministre. Ce n'est pas qu'on puisse blâmer cette fière indépendance. Ici ce sont moins les faits en eux mêmes, qui sont significatifs, que l'intérêt que leur attache Retz dans sa vieillesse. Agir ainsi était tout naturel chez un jeune homme, mais le raconter avec complaisance, voilà le trait de caractère. Il ne suffit bientôt plus au remuant Gondi de combattre et de vaincre Richelieu en Sorbonne et même auprès de madame de La Meilleraye, et Ton est d'autant plus disposé à avoir confiance dans la véracité du galant abbé, qu'il attribue précisément à une aussi illustre et aussi dangereuse rivalité sa persistance dans la poursuite d'une femme peu spirituelle, et qu'en cela on reconnaît Retz. Il entre dans la conspiration ourdie pour assassiner Richelieu sur les marches de l'autel au baptême de Mademoiselle. Nous dit-il ce qui l'a déterminé à en faire partie et à y jouer le principal rôle ? cherche-t-il à s'en justifier ? Nullement. Il se contente de faire connaître le scrupule qui lui est venu d'assassiner un prêtre, un cardinal — notez la gradation —, et d'ajouter que, sur ce simple mot de La Rochepot : Mais que feriez-vous à la guerre ? il a eu honte de sa réflexion. Ici non plus nous n'avons pas à apprécier sa conduite ; nous nous occupons seulement de ses Mémoires, le révélant malgré lui tel qu'il a été, et l'absence de toute explication, qu'il semble ainsi juger oiseuse et inutile, est un trait de caractère. N'en trouverait-on pas un plus saillant encore dans le savant intérêt qu'il attache au récit de la conspiration du comte de Soissons ? Elle forme, dans les Mémoires de Gondi, un tout complet, serré, intéressant. Elle n'est liée ni à ce qui précède, ni à ce qui suit. Retz ne la raconte pas pour éclairer tel ou tel point de sa vie ; il la raconte pour elle-même au point de vue de l'art du conspirateur. Puis, quand il a décrit tous les ressorts de la machine, ses puissants rouages, la manière dont lui surtout les a mis en mouvement, l'habileté du constructeur, l'adresse des ouvriers, d'un mot il signale l'évènement qui l'a réduite à néant : la mort étrange du comte de Soissons. Et puis c'est tout. Vous voulez en connaître les suites, les conséquences : à quoi bon ? La conspiration a manque. Tout est fini : l'intérêt n'était que là. Cependant un grand changement s'opère tout à coup dans la conduite de Retz. Il vit retiré, il se livre à l'étude, et il transforme son logis en académie ; il ne fait pas le dévot, parce qu'il ne peut pas s'assurer qu'il pourra durer à le contrefaire, mais il estime les dévots et, à leur égard, c'est un des plus grands points de la piété. Il limite le cercle de ses galanteries et les restreint à madame de Pommereux. Il ne laisse plus aucun doute sur le choix de sa profession. Il assiste aux conférences de saint Vincent de Paul, qu'il trompe au point de se faire dire par lui : Vous n'avez pas assez de piété, mais vous n'êtes point éloigné du royaume de Dieu ; et, lorsqu'il raconte que, sur l'indication de Louis XIII mourant, Anne d'Autriche l'a nommé coadjuteur, il attribue uniquement cette recommandation à deux anciennes aventures de sa jeunesse qui, ayant fixé l'attention du roi, ne sont pas sorties de son esprit. Mensonge que tout cela, et il le sait bien lui-même ! C'est en vain que, pour nous donner confiance en sa bonne fortune et par un singulier raffinement d'amour-propre, il s'écrie : Quel rapport de ces deux bagatelles à l'archevêché de Paris ! et voilà comment la plupart des choses se font ![15] Non, il n'a pas été choisi par Louis XIII pour deux aventures insignifiantes, mais parce que, depuis longtemps, ayant vu la santé de Richelieu s'affaiblir et comprenant la grande importance donnée alors aux gens de l'Église dans l'État, il s'est précipité dans cette profession dont il ne voulait pas d'abord. Il a été nommé coadjuteur parce que, depuis que cette pensée a percé dans son esprit, tous ses actes, tous ses gestes ont tendu a la faire réussir ; parce qu'au lieu de commencer à prêcher dans les petits couvents, comme le lui conseillaient ses timides amis qui ne le connaissaient pas, il a, du premier coup, débute avec éclat aux Carmélites devant toute la cour ; parce qu'il a pu faire retentir au loin le succès obtenu dans ses discussions avec le protestant Mestrezat ; parce qu'ayant su mettre à profit l'influence qu'avait une sainte femme, sa parente, sur les pauvres de Paris, il a pénétré avec elle, non chez les mendiants, car il avoue qu'ils ne pouvaient en rien lui être utiles, mais chez les demi-pauvres, qui peuvent bien plus, et il a répandu parmi eux, pour se populariser, une somme énorme empruntée à un de ses amis ; il a été nommé coadjuteur parce que, ses ennemis désirant l'éloigner de Paris et le faire appeler au siège d'Agde, il fut assez adroit pour détourner le coup, en représentant au roi que son âge et son inexpérience avaient besoin d'avis et de conseils qui ne se rencontrent jamais que fort imparfaitement dans la province ; il a été nommé coadjuteur non fatalement, comme il l'insinue, et parce qu'il était appelé à de grandes choses, mais parce qu'il l'a voulu, et qu'avec les facultés merveilleuses dont il était doué, il a pu neutraliser l'effet des antipathies de Richelieu et de la jalousie de son oncle, vaincre l'incertitude de Louis XIII et faire commettre à la cour, par sa nomination, une faute qu'elle regrettera bientôt amèrement, et dont le puissant Louis XIV lui-même aura de la peine à réparer les conséquences. Il avait hâte en effet d'arriver au premier rang. Jusqu'ici, malgré tous ses efforts, il n'a figuré qu'à la seconde ligne. C'est en vain qu'il cherchait à se glisser plus avant ; c'est en vain qu'il animait ses complices, et que, ne se contentant pas de son rôle modeste, il tâchait d'empiéter sur celui de ses supérieurs. Il n'était pas parvenu à attirer sur lui seul l'attention. Jusqu'ici, eu un mot, pour lui emprunter celle ligure qu'il affectionne — et ce n'est pas le trait le moins piquant de son langage —, il n'a été que dans le parterre, à jouer et à badiner avec les violons : il va monter sur le théâtre et le remplir tout entier de sa remuante personne. III Et d'abord quelle est la pièce ? Est-ce un drame ? est-ce une comédie ? Est-elle sérieuse ? est-elle burlesque ? Si, pour nous former une opinion, nous avons recours à celle des juges compétents, les éclaircissements ne nous manqueront pas, car aucune époque de noire histoire, sauf le grand règne qui va suivre, n'a été plus profondément étudiée. Mais quelle variété dans les jugements et quelle foule d'opinions diverses ! La Fronde est dans nos annales une véritable cause qui a eu ses avocats comme ses accusateurs. D'un côté, je vois une extrême indulgence pour une lutte dont les conséquences ont été nulles ; de l'autre, une excessive sévérité pour une entreprise qui s'est d'abord étayée sur un principe équitable. Les uns, ne considérant, à propos de la Fronde, que le despotisme qui l'a précédée et le despotisme plus grand encore qui l'a suivie, en font comme une dernière halte du peuple marchant vers la liberté et une espèce de tentative avortée de la Révolution française. Les autres, ne tenant compte que de l'ambition et des intrigues des chefs, de l'égoïsme de leurs projets et des intérêts particuliers qui les agitaient, n'y voient qu'un dernier effort de la féodalité expirante. Les premiers, négligeant tout à fait ce dont ceux-ci se préoccupent trop, se refusent à y voir le ridicule et l'insuffisance des moyens, l'inutilité du sang verse, la singulière disproportion des résultats et des efforts, l'alliance avec l'étranger, l'influence désastreuse exercée par les femmes, la multiplicité des cabales et la suspension de l'élan national contre l'Espagnol, qui, commencé à Rocroy, fut sitôt interrompu après Lens. Les seconds, ne considérant que les résultats, et entraînés par leur légitime indignation, oublient l'importance des réformes demandées dans le principe, les dangers courus, pour les obtenir, par Mole et quelques membres du parlement, l'arrêt d'union, la prise de la Bastille et la déclaration du 24 octobre 1648, germe informe de charte et qui, réunissant quelques garanties civiles et politiques, donnait au prisonnier le droit d'être entendu avant trois jours, subordonnait la levée des impôts à l'approbation des assemblées, et, laissant au parlement la faculté de se réunir sans y être autorisé, lui confiait le contrôle des finances de l'État. Si je ne craignais de m'être pendant trop longtemps déjà séparé du cardinal de Retz, je me permettrais de faire dans la Fronde une distinction qui me paraît importante, en ce qu'elle me semble amener une juste distribution des éloges et des blâmes. D'un côté, on pourrait placer le peuple, non pas la populace que soulevait tour à tour for de tel ou tel parti, mais le peuple qui paie, le peuple épuisé par les longues guerres précédentes et par l'augmentation des impôts, leur conséquence inévitable, le peuple qui, irrité du désordre apporté dans les finances et du long despotisme de Richelieu, voyait avec répugnance un prêtre remplacer un prêtre au pouvoir, et, dans ce prêtre, retrouvait un étranger dont l'influence sur la reine rappelait celle du maréchal d'Ancre, dont les manières, les habitudes, le langage n'étaient pas français, et qui, capable de continuer l'œuvre de son prédécesseur à l'extérieur, était bien au dessous de sa lâche pour l'organisation intérieure. Or le peuple, qui n'était pas comme aujourd'hui initié aux secrets de la politique de son pays, n'avait pas pu apprécier les grandes choses faites trop au dessus de lui par l'habile ministre pour qu'il pût les voir. Laissé entièrement en dehors du gouvernement et réduit au rôle de payeur d'impôts, loin d'admirer les avantages de la supériorité acquise sur la maison d'Autriche et d'Espagne, et, dans la suite, les traités de Westphalie et des Pyrénées, et les magnifiques espérances que devait plus tard ouvrir à la France le mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, il n'était sensible qu'aux résultats si onéreux pour lui, et, en les subissant, il se plaignait : on ne saurait l'en blâmer. D'un autre côté, on placerait Anne d'Autriche, que la mort de Louis XIII et l'extrême jeunesse de Louis XIV appelaient pour longtemps au pouvoir, après un isolement et presque un exil de vingt années, et qui puisa dans son amour maternel l'admirable inspiration et la force d'immoler ses anciennes affections aux véritables intérêts de son fils, de se séparer de ses amis de la veille et de choisir, pour premier ministre, Mazarin qu'elle n'aimait pas encore, Mazarin le continuateur de la politique acharnée de son maître contre la maison d'Espagne, et, en considérant les grandes choses que la puissance de l'une, unie au génie de l'autre, vont obtenir au dehors, en considérant les immenses obstacles qu'ils vont rencontrer au dedans et qui ne les arrêteront pas, on est en quelque sorte tenté d'oublier leurs fautes ; les défauts mêmes de Mazarin, ces artifices continuels, cette ruse italienne, le peu de solidité de ses promesses, la duplicité de sa conduite, se transforment presque en qualités, tant on se réjouit qu'il les possède, au moment où ils vont lui être indispensables pour le plus grand bien de la France. Mais quand, entre le peuple et la cour, on trouve une classe qui, mécontente de n'être pas au pouvoir, se sert, pour nuire à la cour, du peuple, l'irrite en paraissant prendre sa défense, exagère ses griefs contre la monarchie et le met en mouvement pour s'élever ; quand on songe que cette aristocratie, placée de manière à comprendre les grandes choses qui se font au dehors, les méconnaît à dessein pour ne paraître sensible qu'à des maux qui ne la touchent nullement ; quand on la voit, sous le prétexte du bien public, s'agiter et faire la guerre civile pour obtenir, celui-ci un gouvernement, celui-là une dignité, l'un un titre, l'autre une alliance, qui une ville, qui de l'argent, alors on conçoit le mépris universel, alors on s'explique les chansons et les épigrammes dont la Fronde a été bafouée ; on comprend alors le ridicule et l'odieux qui sont à jamais attachés à cette époque, et qui atteignent surtout l'aristocratie, et on ne peut s'empêcher d'admirer l'équitable et souveraine sagesse qui a placé dans le sein même de cette aristocratie son juge le plus sévère et le plus rigoureux. Lorsqu'on lit, en effet, les Maximes, ce code de l'égoïsme et de la vanité, lorsqu'on pénètre avec La Rochefoucauld dans les moindres replis du cœur humain, et qu'on voit à des actes si grands en apparence de si petites et si mesquines causes, effrayé par l'amertume de ces observations, on se demande quels étaient donc ces contemporains et ces grands seigneurs qui ont posé pour un tel portrait ; et si, devant tant de petitesse, on est parfois tenté de douter, le peintre cruel vous trace tout à coup un trait si vrai, si éclatant et tellement pris au vif, que vous vous reprenez à croire, et alors vous vous écriez : Oh ! la triste noblesse au milieu de laquelle a vécu un si pénétrant et si impitoyable génie ! Mais il faut revenir au cardinal de Retz, que nous n'aurions peut-être pas dû quitter. Parvenu au récit des événements qui ont suivi sa nomination à la coadjutorerie, Gondi, avec tout son génie, s'est trouvé sans doute dans un embarras extrême. Malgré sa grande jeunesse et les folies par lesquelles il s'est signalé, la régente et Mazarin, qui en avaient reçu l'ordre de Louis XIII, il est vrai, mais qui auraient pu ne pas le suivre, comme ils l'avaient fait pour bien d'autres, ont assuré à Gondi la succession de son oncle, dont l'incapacité et la conduite font immédiatement du neveu le véritable archevêque de Paris. Le voilà lié par la reconnaissance à la cour. Cinq ans après il ordonne, lors de l'enlèvement de Blancménil et de Broussel, de dresser les premières barricades. Entre ces deux faits nous ne remarquons cependant rien, de la part de la cour à son égard, qui le justifie de s'être déclaré contre elle, si ce n'est un refroidissement de plus en plus grand, conséquence de la position prise par le coadjuteur auprès du peuple, et qui d'ailleurs n'était pas de nature à excuser une aussi grande révolte. Comment donc va-t-il passer dans son récit de l'un à l'autre fait ? En traversant ce pas difficile, ne se trahira-t-il pas malgré lui ? Gondi commence par expliquer longuement la formation de la
cabale des Importants. Ce n'est certes pas afin de ne rien omettre des
événements qui ont rempli la régence, car son but n'est pas d'écrire de
l'histoire, mais des mémoires. Ce n'est pas non plus qu'il trouve dans cette
exposition une satisfaction personnelle, puisqu'il n'était pas entré dans
cette cabale, mais c'est précisément afin d'avoir le droit de nous dire qu'il
n'en faisait point partie, retenu par la reconnaissance qui le liait à la
cour. C'est afin de pouvoir répondre à Montrésor, qui, à ce mot de
reconnaissance, lui objectait qu'elle était inutile, puisque
la reine ne donnait rien à force de ne rien refuser, ces paroles qu'on
est étonné de voir si merveilleusement fixées dans la mémoire de Retz : Vous me permettrez d'oublier tout ce qui pourrait diminuer
ma reconnaissance et de ne me ressouvenir que de ce qui la doit augmenter. Ce premier sacrifice à la reconnaissance, qui sera le dernier, solennellement exposé, Retz se jette aussitôt avec le lecteur dans une suite d'anecdotes toutes personnelles. Dans chacune, on le voit entrer en opposition avec la cour pour diverses questions d'étiquette, avoir constamment le bon droit de son côté et finir toujours par l'emporter. Il habitue ainsi à ses luttes le lecteur, qui est tout disposé à s'éloigner instinctivement de la cour. Puis, sans tarder davantage, l'habile narrateur, passant des détails à l'ensemble, commence ce majestueux exposé : Il y a plus de douze cents ans que la France a des rois, etc., dans lequel il trace la rapide histoire du pouvoir royal, et qu'il termine si heureusement par le parallèle de Richelieu et de Mazarin. Ces portraits, quoique contenant tous les deux des traits fort justes, sont naturellement placés l'un à côté de l'autre pour se faire ressortir mutuellement ; puis, quand il a développé cette idée, que Mazarin, qu'on avait érigé et qui s'était érigé en Richelieu, n'en a eu que l'impudence de l'imitation[16], il décrit avec une exactitude et une justesse parfaites les débuts de la Fronde ; il nous fait toucher du doigt toutes les misères de l'époque ; il met au service de sa narration l'esprit le plus fin et le plus adroit ; non pas qu'il paraisse vouloir éblouir le lecteur, ici il s'en garde bien : il a trop beau jeu, il est dans le vrai. Aussi se complaît-il dans cette description ; il s'y insinue en quelque sorte dans la confiance du lecteur, dont il aura besoin tout à l'heure. Use cache derrière les griefs légitimes du peuple, et s'en sert pour frapper à coups surs le ministre envie dont il s'est rendu l'adversaire..... Et voilà que nous avons déjà parcouru une grande partie de la route et que nous sommes bien loin de la nomination à la coadjutorerie. Survient la victoire de Lens. Retz expose que, ses amis lui ayant inspiré la crainte de voir la cour profiter de ce grand succès pour achever d'asseoir sa puissance, il s'est rendu auprès de Mazarin pour vérifier l'exactitude de cette crainte, et qu'il a vu chez ce dernier une telle douceur, un tel désir de conciliation, qu'il en a été dupe. Cet aveu est un des traits les plus habilement trouvés de sa justification. Il a été dupe ; on l'a trompé ; on ne lui a pas donné le mot du coup d'État qu'on prépare. Il vient surveiller, scruter la cour, et on ne l'a pas mis dans le secret de l'arrestation de Broussel. Quelle hypocrite dissimulation d'un coté, et quelle naïve confiance de l'autre ! Comme cet aveu de son manque de pénétration lui donne un air d'innocence ingénue ! Mais l'heure des barricades approche : le voici parvenu au pas dangereux. Comment va-t-il le franchir ? Le peuple se soulève après l'arrestation de Blancménil et de Broussel. Aussitôt Gondi, qui connaît ses devoirs, se transporte à la cour, et, comme il n'ignore pas quelle est la puissance irrésistible du ridicule, il le jette à pleines-mains sur tous les personnages qu'il met en scène. Il montre d'abord Mazarin lui donnant avec un extrême embarras et dans un singulier galimatias des explications sur l'arrestation de Broussel. Le coadjuteur s'offre alors à Anne d'Autriche pour aller apaiser le peuple, mais, comme auprès des princes, dit-il, il est aussi ce dangereux et presque aussi criminel de pouvoir le bien que de vouloir le mal, la reine s'emporte avec violence et s'écrie : Il y a de la révolte à s'imaginer que l'on se puisse révolter. Cependant, avertie par un regard de son adroit ministre, elle devient tout à coup maîtresse de sa passion et accable de prévenances Retz, qui feint d'en être la dupe. Aussi, dit-il dans son récit avec un art exquis et une vivacité qui n'appartient qu'à lui, tout ce qui était alors dans le cabinet jouait la comédie. Je faisais l'innocent, et je ne l'étais pas, au moins en ce fait. Le cardinal faisait l'assuré, et il ne l'était pas si fort qu'il le paraissait. Il y eut quelques moments où la reine contrefit la douce, et elle ne fut jamais plus aigre. M. de Longueville témoignait de la tristesse, et il était dans une joie sensible, parce que c'était l'homme du monde qui aimait le mieux les commencements de toutes affaires. M. le duc d'Orléans faisait l'empressé et le passionné en parlant à la reine, et je ne l'ai jamais vu siffler avec plus d'indolence qu'il siffla une demi-heure, en entretenant Guerchi dans la petite chambre grise. Le maréchal de Villeroy faisait le gai pour faire sa cour au ministre, et il m'avouait en particulier, les larmes aux yeux, que l'État était sur le bord d'un précipice. Beautru et Nogent bouffonnaient et représentaient, pour plaire à la reine, la nourrice du vieux Broussel — remarquez qu'il avait quatre-vingts ans —, qui animait le peuple à la sédition, quoiqu'ils connussent très-bien l'un et l'autre que la tragédie ne serait peut-être pas fort éloignée de la farce. Cela dit, et après qu'il a fait sourire son lecteur aux dépens de la cour, l'habile écrivain, qui sait trouver le chemin du cœur aussi bien que celui de l'esprit, cherche, par un heureux contraste, à émouvoir. Le lieutenant civil entre dans le cabinet, pâle, bouleversé, terrifié par les scènes de la rue, auxquelles il vient d'assister. Gondi se montre entouré aussitôt des sollicitations de tous, pressé par Mazarin et la reine, tendrement prié par Monsieur, qui lui serre les mains, en lui disant : Rendez le repos à l'État ! entraîne par les seigneurs et amoureusement porté sur les bras des gardes du corps, qui s'écrient : Il n'y a que vous qui puissiez remédier au mal ! Il sort alors avec son rochet et son camail, donne des bénédictions à droite, à gauche, tire le maréchal de La Meilleraye des mains du peuple, est tout à coup renversé par un coup de pierre, et, comme un inconnu le vise avec son mousqueton, Retz, feignant de le connaître, l'apostrophe de ces mots : Ah ! malheureux, si ton père te voyait ! et le mousqueton se baisse. Loin de s'arrêter avec complaisance sur ce trait d'admirable présence d'esprit qui lui a sauvé la vie, il l'indique à peine, sachant bien que, raconté avec concision, il frappera davantage encore le lecteur ; puis, continuant son habile récit, il se montre parcourant les rues, traversant les barricades, séparant les combattants, flattant, caressant la populace, enfin apaisant le tumulte, et quand, accompagné du maréchal de La Meilleraye, qui rend témoignage des bons services rendus par le coadjuteur, il retourne auprès de la reine, celle-ci lui dit ces seuls mots ironiques : Allez vous reposer, monsieur, vous avez bien travaillé ! Nous le voyons alors rentrer chez lui sans avoir dit en route un mot qui puisse aigrir le peuple, et se faire saigner à cause de la blessure qu'il a reçue. Loin d'obéir, dès ce moment, aux suggestions de sa colère et de son dépit, Gondi résiste. Montrésor, son ami, se présente, et cherchant à l'entraîner, lui fait observer que son héros, Jean de Fiesque, n'imiterait pas sa mansuétude. Gondi résiste. Laigues arrive à son tour. Il vient d'assister au souper de la reine, et il y a entendu Beautru, Larivière et Nogent, se permettre, à la plus grande joie d'Anne d'Autriche, les plus amères plaisanteries sur la prétendue blessure de Retz et sur le double rôle qu'il a joué dans la journée. Gondi, quoique ému, résiste encore. Vient Argenteuil. Vous êtes perdu, lui crie-t-il du plus loin qu'il le voit ; le maréchal de La Meilleraye m'envoie vous le dire. La cour fera demain un grand exemple sur vous. On parle de vous exiler à Quimper-Corentin. Aussitôt le chœur des tentateurs, reprenant à l'unisson les mêmes arguments, entoure Retz. Montrésor, Laigues, Argenteuil, le serrent et l'enlacent. Gondi résiste et demande à demeurer seul, et ce n'est qu'après de longues et sérieuses réflexions, ce n'est qu'après une lutte terrible, que, minuit sonnant il rappelle ses conseillers et leur dit : On veut perdre le public, et c'est à moi de le défendre de l'oppression. Je serai demain, avant midi, maître de Paris ! On ne saurait trop admirer les merveilleuses combinaisons de ce long récit, cette gradation ascendante qui nous conduit peu à peu au point qu'on désire, cette mise en scène qui éblouit et surprend, cette lutte à la Corneille entre ces deux sentiments contraires qui paraissent se disputer le cœur de Retz, et l'immense talent avec lequel il a ainsi amené aux barricades, tout naturellement et sans secousses, le lecteur captivé. Mais c'est en vain qu'avec un art incomparable Retz explique sa conduite. Il n'en est pas moins incontestable que, dès sa nomination, il avait pris vis-à-vis de la cour une position telle qu'il devait lui faire ombrage ; qu'il avait répandu des aumônes non secrètement et aux véritables nécessiteux, mais au grand jour et afin de se rendre populaire ; il n'en est pas moins incontestable que si Mazarin, ne tardant pas à déplorer la faute commise, avait cherché de bonne heure à amoindrir le pouvoir si malencontreusement donné à Gondi, ce dernier avait tout fait pour se défendre, et, allant bien au delà de sa défense, n'avait négligé aucune occasion de prendre l'offensive. Il n'est donc pas étonnant qu'Anne d'Autriche, dont le sang impétueux se soulevait de fureur à la pensée de céder devant le peuple, conseil une lui donnait Retz, et voyant ce dernier intérieurement enchanté de ce qui était à ses yeux un échec à l'autorité de Mazarin, son rival, Tait cru l'auteur des troubles en renvoyant si satisfait, et qu'elle ait fait tomber sur lui sa colère de souveraine outragée. Son instinct ne la trompait pas : elle avait raison de croire à la satisfaction intérieure de Gondi, et d'ailleurs ce dernier n'avait qu'un moyen de prouver à Anne d'Autriche qu'elle s'était trompée à son égard lorsqu'elle l'avait accusé d'avoir contribué à l'émeute, c'était de ne pas faire dresser le lendemain les barricades. Mais qu'est-il besoin du témoignage des contemporains pour nous représenter Retz tel qu'il a été ? Ce récit lui-même, quelque habilement qu'il soit fait, laisse encore échapper quelques révélations involontaires. Gondi a dénoncé sinon le rôle qu'il devait jouer bientôt, du moins l'intention de s'y préparer de bonne heure en s'emparant de l'imagination du peuple de Paris pour acquérir sur lui une grande influence. Le secret de ceux qui entrent dans les emplois, dit-il en effet aussitôt après sa nourrice nation, est de saisir d'abord l'imagination des hommes par une action que quelques circonstances particulières leur rendent singulière. Je fis une retraite à Saint-Lazare. Plus tard, soit lorsque les Importants l'invitent à se réunir à eux contre la cour, soit lorsque, aux débuts de la Fronde, la chaleur de Paris ce et l'ignorance du médecin — Mazarin — lui font penser que la fièvre sera difficilement prévenue, il parle si longuement de la reconnaissance qui le lie à la cour, il développe avec une telle insistance cette même pensée, pourtant si naturelle, qu'on est presque tenté de croire que la renonciation qui lui est imposée par les circonstances est le plus grand sacrifice qu'il puisse faire. Quand on le voit ensuite, pour
s'attirer, ou plutôt se conserver l'amitié des peuples, dépensant,
depuis le 28 mars jusqu'au 25 août, 36.000 écus en aumônes et en libéralités,
et expliquant cet acte par la certitude dans laquelle il est que son innocence et sa ce droiture le brouilleront dans la
suite avec la cour presque autant que pourrait le faire le contraire,
on ne peut que douter de sa sincérité et remarquer que le fait des
libéralités est étrangement placé après la solennelle déclaration
d'abstention ; que cet acte justifie tout à la fois les artifices de Mazarin,
les soupçons, la colère d'Anne d'Autriche, et décèle clairement chez Retz
l'intention de ne pas demeurer longtemps encore du côté de la cour et de ne
pas tarder à prendre en quelque sorte un dédommagement de sa trop longue et
trop lourde fidélité. Quelque propension qu'il ait pour la lutte, Gondi a eu certains scrupules à la commencer. Aussi quel embarras il a éprouvé à raconter ce début ! quels efforts admirables mais pénibles il a déployés pour traverser ce pas difficile ! Mais lorsqu'il Ta franchi, lorsque, l'attaque étant commencée, il se trouve dans sa voie, celle de la cabale, alors il redevient lui-même. Ce n'est plus avec Anne d'Autriche qu'il lutte, mais bien avec Mazarin, adversaire digne de lui. Dès ce moment il marche le front haut et la plume alerte ! C'en est fait, il a décidé dans son esprit la formation des barricades : comme il est aussitôt prêt à la lutte ! Que la rapidité de ses décisions prouve combien ses projets sont depuis longtemps mûris et combinés ! Il appelle Miron, colonel du quartier, place les bourgeois les plus considérables dans les lieux où il a appris qu'on se dispose à mettre des gens de guerre, ordonne d'espionner les officiers des gardes, aposte l'Espinai pour se saisir de la barrière des Sergents, fait garder la porte de Nesle, s'endort pour quelques heures, comme les plus illustres généraux à la veille d'une grande bataille, envoie dès son réveil quelques nouvelles instructions, reçoit le rapport des espions apostés ; puis, quand, les gardes suisses s'approchant, l'heure fatale arrive, il donne en deux paroles ses derniers ordres, qui sont exécutés en deux moments. Son récit court, vole, impétueux et entraînant ; l'écrivain fait passer dans son style toute la vigueur qui l'anime de nouveau ; il n'a plus à ménager les bienséances : le Rubicon est habilement traversé ; les champs de l'intrigue lui sont maintenant ouverts. Avec quelle fébrile activité il s'y précipite ! comment ne pas reconnaître, en le lisant, qu'il s'y trouve dans son élément et qu'il n'est réellement lui-même que là ! et qu'était-il besoin tout à l'heure de chercher et de saisir la réalité de ses desseins dans les détours de son langage, quand un instant après il allait les révéler de la manière la plus éclatante par les enivrantes satisfactions qu'il éprouve à les exposer ! IV Il n'entre pas dans notre plan de suivre Retz dans le développement de chacune de ses intrigues. Ce serait d'ailleurs singulièrement étendre le cadre de cette étude, et nous condamner sûrement à un défaut presque certain en pareille matière, l'obscurité. Seul Gondi pouvait l'éviter. Celui-là seul qui avait eu une pareille vie pouvait la redire. Toutefois, et quelque hâte que j'aie d'étudier et d'admirer l'écrivain, je voudrais avant de détourner mon attention de l'homme, non pas répéter froidement et sans utilité ce qui a été raconté par lui avec tant de feu et ce que chacun a lu, mais montrer, par quelques épisodes de cette vie si remplie, en quoi le rôle du coadjuteur a été tel que l'annonçait la conduite du jeune abbé. Ici d'ailleurs Gondi est plus saisissable qu'il ne l'a été auparavant ; si naguère il se dérobait à ses lecteurs avec un art infini, se servant de tout pour dissimuler sa véritable route et faisant de chacun son complice involontaire pour se défigurer, maintenant sa marche est plus découverte ; ce n'est plus dans l'obscurité qu'il se trouve, c'est au grand jour qu'il agit. Quelquefois encore cependant, oubliant les aveux passés, oubliant qu'il s'est longuement laissé examiner, il se couvre tout à coup d'un masque, c'est ainsi que, lorsque, après avoir fait dresser les barricades, il a, dans une longue conversation avec Condé, compris que celui-ci lui fera défaut, et qu'il est alors contraint d'avoir recours à Conti, que sa sœur dirige, il dit : J'allai le jour même et par un pur hasard, chez madame de Longueville[17]. Mais ces grossiers subterfuges ne sauraient tromper le lecteur, auquel il a déjà donné le temps de le connaître dans de longues et fréquentes confidences. Ces accès de réelle sincérité, nous les remarquons surtout chaque fois que Gondi est directement aux prises avec Mazarin. C'est qu'ici toute considération, même le désir si naturel de se justifier, cède devant l'amour-propre du combattant. Retz vaincu, exilé et racontant sa lutte avec Mazarin, avouerait un crime s'il l'avait commis plutôt que de paraître avoir été en reste avec le premier ministre. Au surplus, nuls adversaires ne sont plus complètement dignes l'un de l'autre. Aussi rusé pour comprendre les artifices de la cour que Mazarin l'est pour les concevoir, Gondi excelle surtout à déjouer les projets de son adversaire, Mazarin à attaquer. Quand le coadjuteur porte des coups, c'est presque toujours en face et directement ; Mazarin, qui souvent combat seul, pour lui-même, et quelquefois sépare de la cour, au moins en apparence, est obligé de tendre des pièges, et sa politique est nécessairement plus artificieuse que celle de Gondi, qui sait toujours s'appuyer sur les frondeurs. Ils ne sont ni l'un ni l'autre éloquents ; mais l'un, doué d'une admirable présence d'esprit et parlant avec adresse une langue étrangère à l'autre, dont l'esprit acéré est souvent ainsi compromis par ses paroles, l'emporte toujours dans la discussion sur son adversaire, qui est alors contraint de prendre sa revanche dans de secrètes et souterraines manœuvres. L'un a un courage à l'épreuve, une générosité inépuisable, une situation mieux dessinée, une grande popularité ; l'autre, d'un courage moins audacieux, peu prodigue, étranger et détesté, finit pourtant par l'emporter, parce que, de plus que son mobile et aventureux rival, il possède un sens droit, parce qu'aussi peu scrupuleux que Gondi sur le choix des moyens, il sait bien mieux que lui en tirer tout le parti possible, parce qu'il voit beaucoup plus loin, et qu'au lieu de se laisser détourner de sa route, comme le fait souvent Retz, par les conseils de son amour-propre et des considérations d'intérêt personnel, il poursuit avec une volonté inébranlable un but déterminé dès le principe, et que, l'ayant toujours en vue, il se sert de tout pour l'atteindre. Nulle part le spectacle de la lutte des deux adversaires n'offre plus d'intérêt que dans les Mémoires de Retz ; nulle part il n'est présenté avec plus de détails, plus de soins, et n'excite davantage la curiosité. Dès le début, le premier ministre et le coadjuteur commencent à s'observer et à s'épier. Ils ne s'attaquent pas encore, mais ils se surveillent. Le premier croit voir dans l'autre un aspirant perpétuel et dangereux au ministériat, et apparaît au second comme un rival envié pour la puissance et un adversaire naturel pour la lutte qu'il a hâte de commencer. Aussi tous les deux emploient-ils les premières années de la régence à se fortifier, l'un dans le cœur de la reine, où il sait bien que réside sa principale force ; l'autre dans l'amour du clergé et du peuple, sur lesquels il s'appuiera toujours. Tous les deux réussissent, l'un en secret, mais l'autre si ouvertement que l'attention de Mazarin est éveillée et qu'il commence l'attaque du côté même où son ennemi achève de se fortifier. Il cherche a brouiller le coadjuteur avec le clergé de la province. Retz se baisse et se contente de parer le coup. Mazarin, voyant alors Gondi, pour se donner de l'importance, se faire auprès de lui l'interprète empressé des mécontents, répand habilement que le coadjuteur est en réalité dévoué à la cour, même au détriment du peuple, et qu'il est assez intimement lié avec elle pour lui rapporter les actes de ses prétendus amis. Retz ne se contente pas d'éviter le coup ; il riposte, en ayant soin de ne porter à Mazarin les plaintes générales que lorsqu'il est entouré de membres nombreux du parlement, qui peuvent ainsi témoigner de son réel amour du bien public. Plus tard le premier ministre, attaquant plus directement Gondi, lui fait offrir, de la part de la reine, la somme de 40.000 écus pour le payement de ses dettes, espérant affaiblir la popularité de son adversaire. Celui-ci refuse très-ostensiblement, tournant ainsi cette offre dangereuse au profit de sa réputation de désintéressement. Au moment où le maréchal d'Estrées est sur le point d'obtenir le gouvernement de Paris, Mazarin l'engage à paraître renoncer au but qu'il poursuit, pour le montrer à l'ambitieux Gondi. Cette fois il réussit mieux. L'orgueilleux coadjuteur se laisse éblouir par la perspective de croiser sur ses armes la crosse du prélat et le bâton du gouverneur, et il entre en négociations. Mazarin les rompt sous un prétexte futile, fait nommer le maréchal et se réjouit d'avoir atteint l'incorruptible Retz. Gondi, furieux d'avoir été joué, mais entraîné par le sentiment de l'art à reconnaître, dans ses Mémoires, la beauté du coup qui vient de lui être porté, trouve bientôt une occasion de se dédommager. La reine conduit tout à coup le roi hors de Paris, et, l'emmenant à Saint-Germain, elle donne l'ordre de la suivre au coadjuteur, qu'elle ne veut pas laisser derrière elle. Gondi, éprouvant encore un certain scrupule, et voulant d'ailleurs que le premier pas, au moins public, de désobéissance vienne du parlement qui justifiera celle des particuliers, obéit à la reine, mais en ayant soin de se faire arrêter au moment de son départ par la populace qu'il a apostée. Franchissons prudemment l'époque qui suit, et pendant laquelle il fut l'âme de la Fronde, pour n'avoir pas à peindre cette incroyable activité avec laquelle il savait être partout pour tout animer de sa présence, excitant le peuple, rassurant la bourgeoisie effrayée du siège de Paris et réchauffant le parlement timide ; cette adresse et cette dextérité qui lui permettaient de gouverner les pauvres par des aumônes, les grands par de séduisantes perspectives, les plaisants par des couplets, les femmes par des sermons, la populace par des harangues et tous par son merveilleux ascendant ; cette profonde connaissance du cœur humain à l'aide de laquelle il savait ménager tous les amours-propres, tenir compte de tous les travers, se servir des vertus et des vices et, les combinant habilement, les tourner à son profit, faire des femmes ses espions, tirer parti des cheveux blonds et du langage des halles du duc de Beaufort, employer au service de ses cabales un prince du sang, et, vivant à la fois au milieu des généraux, des membres du Parlement et du peuple, dominer celui-ci, se dérober dans le palais à la haute influence de Mesmes et de Molé, et, dans les camps, armer un régiment, porter un poignard en guise de bréviaire et discuter les plans de bataille sans se couvrir de ridicule. Ce spectacle, on ne peut le voir et le comprendre que dans les Mémoires de Retz ; on ne peut apprécier que là les ressources inépuisables de ce génie si merveilleusement doué. N'ayons donc pas la témérité de reproduire des scènes qu'une seule plume a pu décrire, et continuons à mettre en présence l'un de l'autre les deux grands habiles de l'époque, Gondi et Mazarin, en nous transportant au moment où la cour étant retournée à Paris, Condé n'estimant pas suffisante la reconnaissance qu'elle lui témoigne, mais retenu encore dans ses devoirs par un certain respect pour le rang qu'il occupe, flotte indécis entre la reine et les frondeurs. Mazarin, pour le séparer d'eux, fait tirer sur le carrosse du prince et il accuse de ce complot Gondi, Beaufort et Broussel. Condé se laisse persuader, et toute la noblesse prend le parti du vainqueur de Rocroy. Gondi, qui, dans ses Mémoires, aurait le droit de reprochera son adversaire cet odieux procédé, se contente de dire que ce fut là une des meilleures inspirations de Mazarin, et qu'elle mit ses affaires dans un prodigieux décréditement. Cependant il ne perd pas courage ; son activité croît devant le danger. Il commence par ranimer le zèle des curés de Paris, à l'aide desquels il tient le peuple. L'un d'eux lui écrit : Vous remontez, ce monseigneur, vous remontez ; avant qu'il soit ce huit jours, vous serez plus fort que vos ennemis. Puis, quand tous ses préparatifs sont terminés, il annonce qu'il veut lui-même répondre dans le parlement à l'étrange accusation dont il est l'objet. Mazarin ordonne alors à l'oncle de Gondi, enseveli dans un de ses bénéfices depuis que son neveu est coadjuteur, de venir immédiatement occuper au parlement la place qui y est réservée à l'archevêque de Paris, afin que Gondi ne puisse pas y pénétrer. Celui-ci, averti par un de ses nombreux espions, accourt aussitôt auprès de son oncle ; il le conjure de ne point se rendre au palais et de lui laisser ainsi la possibilité de se défendre. Le vieil archevêque, faible et jaloux de son neveu, se refuse à prendre une détermination qui servirait mal ses antipathies et le compromettrait auprès de la reine, et les supplications du coadjuteur viennent échouer devant l'inébranlable obstination du vieillard. Gondi n'abandonne pas la partie. Il voit et gagne le médecin de son oncle. Ici commence la comédie : seul Retz peut nous y faire assister. Le médecin, dit-il[18], vint me trouver un quart d'heure après avec de bonnes nouvelles.
Il me dit qu'aussitôt que j'étais sorti de la chambre de M. de Paris, il y
était entré, qu'il l'avait beaucoup loué de la fermeté avec laquelle il avait
su résister à son neveu qui le voulait enterrer tout vif ; qu'il l'avait
exhorté ensuite de se lever en diligence pour aller au palais ; qu'aussitôt qu'il
fut hors du lit, il lui avait demandé d'un ton effaré comme il se portait ;
que M. de Paris lui avait répondu qu'il se portait fort bien ; qu'il lui
avait dit : Cela ne se peut, vous avez trop mauvais visage ; qu'il lui avait
tâté le pouls, qu'il l'avait assuré qu'il avait la fièvre et d'autant plus à
craindre qu'elle paraissait moins ; que M. de Paris l'avait cru, qu'il
s'était remis au lit, et que tous les rois et toutes les reines ne l'en
feraient sortir de quinze jours. Cette scène, que Molière n'aurait pas refusée dans son Malade imaginaire, est significative, et elle n'aurait point été citée ici, si elle ne démontrait que dans les Mémoires de Retz comme dans la Fronde dont ils sont une fidèle image, les plus bizarres aventures accompagnent souvent les événements les plus sérieux, et qu'une partie au moins de cette époque, sinon la Fronde entière comme l'aurait voulu un de ses principaux acteurs[19], devrait être chantée en vers burlesques. Le coadjuteur se rend donc au parlement, mais auparavant
il dépeint avec complaisance la gravité de la situation dans laquelle il se
trouvait alors, afin d'augmenter l'importance de sa prochaine victoire. Son
adversaire triomphe ; la plus grande partie du parlement s'est déjà prononcée
contre Retz, et les princes, entourés de plus de mille gentilshommes,
assistent avec toute la cour à la séance où il va être mis en accusation. Il
se présente, non pas suivi, comme il le sera désormais, d'une nombreuse
escorte, mais seulement accompagné de deux de ses parents. Comme toujours, il
porte le rochet et le camail, et, tenant son bonnet à la main, il adresse à
tous ceux qu'il rencontre un salut qui ne lui est pas rendu : c'est à ses
yeux un dernier indice du danger qu'il court. Cependant sa hardiesse même ne
laisse pas que de produire une certaine impression, et, entendant un petit ce bruit sourd pareil à celui qu'on
remarque quelquefois à des sermons à la fin d'une période qui a plu, il en
augure bien. Le président de Mesmes prend la parole, et, en ordonnant
le commencement des informations, il compare cette affaire à la conjuration
d'Amboise. Après que des témoins achetés par le cardinal ont été entendus,
Retz se lève, et, se servant très-adroitement du malencontreux rapprochement
de Mesmes, il termine un très-habile discours par ces mots qui achèvent de
lui donner l'avantage : Est-il possible, messieurs,
qu'un petit-fils d'Henri le Grand, qu'un sénateur de l'âge et de la probité
de M. de Broussel, qu'un coadjuteur de Paris soient seulement soupçonnés
d'une sédition où l'on n'a vu qu'un écervelé à la tête de quinze misérables
de la lie du peuple ? Je suis persuadé qu'il vous serait honteux de me voir
m'étendre sur ce sujet. Voilà, messieurs, ce que je pense de la moderne
conjuration d'Amboise[20]. Mais le coadjuteur ne se contente pas de cette victoire remportée dans le parlement ; il veut qu'elle lui serve à gagner encore davantage le peuple. Afin d'obtenir ce résultat, il choisit pour sujet d'un sermon prêché dans une des églises les plus fréquentées de Paris la charité chrétienne, et se garde bien d'y toucher en rien à l'accusation dont il vient d'être l'objet. Toutes les bonnes femmes pleurèrent, dit Gondi, en faisant réflexion sur l'injustice de la persécution que l'on faisait à un archevêque qui n'avait que de la tendresse pour ses propres ennemis. Un plus long développement de la lutte de Gondi et de Mazarin me forcerait à sortir du cadre de cette étude. Je ne dirai donc pas l'arrestation des princes, leur mise en liberté, deux faits contraires qui furent tous les deux le résultat de la politique de Retz ; l'admirable présence d'esprit avec laquelle il sut, déjouant les projets de son adversaire, répondre à une nouvelle accusation, portée contre lui devant le parlement, par une phrase[21] si bien construite et qui avait une telle odeur de parfaite latinité, qu'il put, en la mettant sur le compte de Cicéron, aveugler ses accusateurs ; le départ de Mazarin de la cour et l'habileté qu'il eut de la diriger encore du fond de son exil, laissant à son plus grand avantage le parti de Condé et celui de Retz s'affaiblir mutuellement par des rixes journalières, des pamphlets et des épigrammes, et des attaques à main armée ; l'adresse que déploya Gondi pour faire confirmer à Rome sa nomination au cardinalat arrachée à la reine dans un moment où elle avait besoin de lui contre Condé, et cela lorsque Mazarin cherchait déjà à susciter près du pape des obstacles à cette promotion ; l'immense influence exercée par Retz sur le faible duc d'Orléans qu'il maniait et menait à sa guise, tout en paraissant obéir lui-même à la volonté de l'ombrageux Gaston ; la rapidité avec laquelle le premier ministre vint se placer à la tête de la cour sortie de Paris et poursuivant Condé dans la Guienne ; le triomphe de la royauté, la position menaçante conservée par le coadjuteur après ce triomphe, son arrestation, les rigueurs de sa prison, son évasion de Nantes admirablement combinée et qui aurait causé de funestes embarras à la cour., si Retz ne s'était pas démis l'épaule dans sa fuite ; et enfin les courses dans l'étranger du remuant prélat dont les intrépides regards et les artificieuses manœuvres poursuivent sans cesse son vainqueur, qu'il hait au point de sacrifier à cette haine son repos, sa fortune, ses affections, et, afin de ne pas donner à son adversaire le spectacle de son humiliation, d'attendre la mort de Mazarin pour se soumettre à Louis XIV. Tel est le grand tableau qui se déroule dans les Mémoires du cardinal de Retz. Telle est la lutte dans la description de laquelle Gondi excelle. Il est pourtant d'autres parties de sa vie qu'il se complaît davantage encore à exposer. Ce sont celles où il se fait voir au milieu du feu, du tumulte, du danger et de la populace. Ce n'est plus alors seulement son amour-propre qui est en jeu, c'est son être tout entier qui se ranime, et cette entraînante impétuosité qu'il a montrée dans l'action, il sait la conserver dans le récit[22]. Ayant appris que Condé, revenu de la Guienne et irrité des cabales que Retz forme contre lui, veut le faire enlever, il s'enferme dans les tours de Notre-Dame et s'y barricade. Avec quelle animation et quelle complaisance il nous parle des dangers courus et nous expose dans leurs moindres détails les précautions prises et les préparatifs de défense, et à l'intérêt qu'il y attache dans sa description, comment ne pas reconnaître à quel point l'exilé de Commercy se réjouit encore au souvenir de cette lutte périlleuse ! Ailleurs, nous le voyons se préparer à une rencontre dans le parlement avec Condé qui doit l'y attaquer, et on trouve dans cette narration saisissante la même vigueur de ton et les mêmes satisfactions. Il se hâte dans son récit à en perdre haleine et à fatiguer le lecteur qui a peine à le suivre ; il presse ses gens, ses valets, ses soldats pour être plus tôt là où l'attend le danger, par conséquent la gloire. Il arrive enfin avec une nombreuse escorte que soutiendra la populace, postée par lui dans les tribunes. Condé et ceux de son parti se présentent à leur tour et achèvent de remplir l'enceinte. Le temple de la justice est devenu un camp ; ses vestibules sont encombrés, ses portes obstruées ; des mots et des signes de ralliement sont transmis ; on en viendrait aux mains sans l'intervention de l'intrépide Mole, et Retz, s'étant rendu dans une salle voisine, est sur le point d'être assassiné[23] par La Rochefoucauld et Coligny. Le lendemain, le coadjuteur, présidant la grande procession des cordeliers, se croise dans la rue avec Condé et ce même parti qui a failli l'égorger la veille ; l'escorte s'arrête ; Condé descend de son carrosse, s'agenouille devant le prélat, et celui ci lui donne gravement sa bénédiction. Ô la singulière époque et qu'elle serait burlesque si la guerre civile pouvait jamais avoir ce caractère ! Ô le singulier prélat et quel dégoût il inspirerait souvent par ses actes, s'il n'avait pas Fart d'exciter tant d'intérêt par ses récits ! Toutefois, et malgré le prestige d'un immense talent, on détourne involontairement la tête ; après avoir vu ce prélat passant de la dissipation à l'autel, de la borne du carrefour à la chaire sacrée, grotesquement porté en triomphe par les femmes de la halle, et tachant de sang et de boue ses habits pontificaux sous lesquels il cache des armes, on éprouve le besoin de fixer sa pensée sur d'autres souvenirs. Malgré soi on s'avance alors de deux siècles, et, se transportant à une époque rapprochée, l'on aperçoit un archevêque de Paris, comme Retz, venir comme Retz sur les barricades, au milieu du feu et de l'émeute, mais, lui, touché des malheurs de la guerre civile qu'il n'a pas allumée, aller simplement et sans bruit au danger, et pour le bien de tous offrir sa vie en holocauste ! V Par un singulier et remarquable privilège, qui en fait une œuvre unique et incomparable, les Mémoires du cardinal de Retz sont, dans le long débat auquel la Fronde a donné lieu, à la fois cités et invoqués en témoignage par les accusateurs et par les avocats de cette grande cause. Les uns comme les autres puisent dans le même livre leurs arguments et leurs preuves, et, chose merveilleuse, les uns comme les autres n'en ont pas de meilleurs. Tandis, en effet, que les premiers y trouvent à chaque pas la trace de fausses démarches, d'actes inavouables, de mobiles honteux, de scènes grotesques, et qu'ils emportent de cette lecture de tristes et pénibles impressions d'où sortira un jugement sévère, les seconds, ravis d'y découvrir de profonds aperçus politiques, de hautes et judicieuses vues, des conseils sages et modérés de réforme et une expérience précoce et inattendue, ne cherchent pas ailleurs les causes de leur indulgente opinion pour la Fronde, car c'est en voyant son principal acteur développer avec une telle netteté des théories qu'on ne retrouve exposées de nouveau que dans le siècle des philosophes, qu'ils se sont décidés à considérer cette tentative comme une espèce d'avant-coureur de la Révolution française. Peu de livres ont eu une pareille fortune ; peu d'écrivains ont pu avec un aussi grand bonheur reproduire à la fois dans leur œuvre le majestueux ensemble et les infimes détails, les graves commencements et les fins burlesques, les grands et les petits côtés de leur époque. Ces grands côtés, Retz a su les voir et les comprendre. S'il en a peu tenu compte dans la pratique, ils lui ont apparu dans sa retraite brillants et lumineux, et cet inimitable maître, capable d'apprécier et de deviner les révolutions tout aussi bien qu'il comprend les cabales et les émeutes, et plus heureux dans ses paroles que dans ses actes, se montre à nous dans son œuvre aussi judicieux historien, aussi profond philosophe, qu'il a été dans l'action aventureux frondeur et factieux remuant. Cet important problème de la forme du gouvernement des peuples, Retz ne tarde pas à l'exposer. Dès le début de son livre, il indique ses opinions à cet égard. Son idéal en politique est ce juste et sage milieu entre un pouvoir trop absolu et une liberté illimitée, entre les excès du despotisme et les dérèglements de la licence, but si vainement poursuivi dans tous les temps et qui apparaît comme un bien plus doux à désirer que facile à obtenir, dans cette France fougueuse et mobile, où l'on se précipite tour à tour dans les extrémités les plus opposées, où les réactions sont aussi violentes qu'ont été exagérés les actes contraires, où le despotisme fait amèrement regretter la liberté, et où la liberté est si souvent l'anarchie qu'on y regretterait la servitude, si la servitude pouvait jamais être regrettée. Afin d'obtenir ce sage milieu, Retz prouve l'intérêt qu'ont les souverains à apporter eux-mêmes ce qu'il appelle un tempérament à leur pouvoir. Les bons et sages princes, dit-il avec grand bonheur d'expression, ont considéré ce tempérament comme un assaisonnement de leur pouvoir très-utile pour le faire goûter aux sujets, et ce n'est que par les malhabiles et les malintentionnés qu'il a été regardé comme un obstacle à leur dérèglement et à leur caprice. Les rois, dit-il ailleurs,
qui ont connu leurs véritables intérêts, ont rendu
les parlements dépositaires de leurs ordonnances pour se décharger d'une
partie de l'envie et de la haine que l'exécution des plus saintes et même des
plus nécessaires produit quelquefois. Ils n'ont pas cru s'abaisser en s'y
liant eux-mêmes, semblables à Dieu qui obéit toujours à ce qu'il commande une
fois[24]. Les monarchies les plus établies et les monarques les
plus autorisés ne se soutiennent que par l'assemblage des armes et des lois.
Il n'y a que Dieu qui puisse subsister par lui seul. Les lois désarmées
tombent dans le mépris ; les armes qui ne sont pas modérées par les lois
tombent bientôt dans l'anarchie. Après avoir cité, à l'appui de sa thèse, l'exemple de saint Louis, de Charles V, de Louis XIT et d'Henri IV, qui tous, dit-il, ont placé leur puissance au-dessous des lois, il montre Richelieu formant dans la plus légitime des monarchies la plus scandaleuse et la plus dangereuse tyrannie qui ait jamais asservi un État. Il ne méconnaît certes pas les grandes choses faites par le puissant ministre ; il déclare que Richelieu a conçu et exécuté deux desseins qui lui paraissent presque aussi vastes ce que ceux des César et des Alexandre, celui de faire cesser les guerres de religion et celui d'abattre la formidable maison d'Autriche ; mais il ne lui pardonne point son despotisme, et il fait remarquer non sans raison que, si le destin lui avait donné un successeur de son mérite, la qualité de premier ministre aurait rappelé en France celle si odieuse des maires du palais ou des comtes de Paris. On ne saurait s'étonner de rencontrer ces sentiments chez une des victimes de ce despotisme. On doit même féliciter Gondi d'avoir été équitable et clairvoyant au point de ne s'être pas laissé influencer par la répulsion qu'inspirait aux contemporains de Richelieu l'odieux des moyens employés, et d'avoir su reconnaître, tout en réprouvant la voie choisie pour l'atteindre, la grandeur du but poursuivi. Ce n'est pas en effet ce qui arrive d'habitude. Le despotisme, quand il est nécessaire pour asseoir un pouvoir peu respecté et pour obtenir de grands résultats — et le despotisme de Richelieu à cette double justification —, n'est d'ordinaire sainement appréciée qu'à une certaine distance. Ceux qui le voient de trop près le subissent et, ne le jugeant que par les coups rigoureux qu'il porte, l'ont en aversion. La postérité, qui embrasse l'ensemble de l'œuvre, qui n'a pas à souffrir des moyens employés pour la faire réussir, est presque toujours tentée d'oublier ces moyens passagers, quand ils ne sont pas trop iniques, pour ne tenir compte que des résultats durables et en faire la gloire de celui qui les a obtenus. Aussi Retz doit-il être loué d'avoir compris Richelieu, tout en le condamnant, et excusé d'avoir entièrement méconnu Mazarin, si toutefois il l'a méconnu, car, Mazarin étant son adversaire, Gondi avait intérêt à le présenter dans son livre sous un jour défavorable. Mais qu'à l'égard de son rival heureux la sagacité ordinaire de Retz ait été réellement mise en défaut par sa haine ou à dessein méconnue par sa rancune, elle reparaît clairvoyante et complète, quand il s'agit d'exposer les débuts de la Fronde. Lui seul sait les justifier ; lui seul sait exprimer les véritables griefs du parlement et du peuple, lui seul sait nous développer les craintes légitimes que devaient nécessairement faire naître l'absence de tout contrôle et de tout contrepoids dans l'État, supportée jusque-là en silence par les victimes de Richelieu, à qui la mort du redoutable ministre redonnait pour longtemps la parole ; la nomination d'un étranger, son influence de jour en jour plus saisissable, quoique très-habilement dissimulée ; une volonté unique, et dont on ne soupçonnait pas encore les grands desseins, se substituant à la volonté de la reine ; le même envahissement de tous les pouvoirs non par la force et l'arbitraire comme sous Richelieu, mais par la séduction et par la ruse, moyens plus antipathiques, quoique moins iniques, parce qu'ils accusent la faiblesse de celui qui les emploie. Et d'ailleurs, comme le fait observer avec raison Gondi,
le mal qui allait éclater avait depuis longtemps montré ses symptômes. Le renversement des anciennes lois, l'anéantissement de ce
milieu qu'elles ont posé entre les peuples et les rois, l'établissement de
l'autorité purement et absolument despotique sont, dit Retz, les motifs qui ont jeté tout d'abord la France dans les
convulsions dans lesquelles nos pères l'ont vue. Le cardinal de Richelieu la
vint traiter comme un empirique avec des remèdes violents qui lui firent
paraître de la force, mais une force d'agitation qui en épuisa le corps et
les parties. Le cardinal Mazarin, comme un médecin très-inexpérimenté, ne connut
point son abattement. Il ne le soutint point par les secrets chimiques de son
prédécesseur ; il continua de l'affaiblir par des saignées ; elle tomba en
léthargie et il fut assez mal habile pour
prendre ce faux repos pour une véritable santé. Les provinces abandonnées à
la rapine des surintendants demeuraient abattues et assoupies sous la
pesanteur de leurs maux, que les secousses qu'elles s'étaient données de
temps en temps sous le cardinal de Richelieu n'avaient fait qu'augmenter et qu'aigrir.
Les parlements, qui avaient tout fraîchement gémi sous sa tyrannie, étaient comme
insensibles aux mesures présentes par la mémoire encore trop vive et trop
récente des passées. Les grands, qui pour la plupart avaient été chassés du
royaume, s'endormaient paresseusement dans leurs lits, qu'ils avaient été
ravis de retrouver. Si cette indolence générale eût été ménagée, l'assoupissement
eût peut-être duré plus longtemps. Mais, comme le médecin ne le prenait que
pour un doux sommeil, il n'y fit aucun remède. Le mal s'aigrit ; la tête
s'éveilla, Paris se sentit, il poussa des soupirs, l'on n'en fit point de cas : il tomba en frénésie. Puis, quand il a expliqué avec quelle rapidité les esprits
passent d'un complet découragement qui leur fait croire que le mal présent ne
finira jamais, à l'extrémité toute contraire, et qu'alors, loin de considérer
les révolutions comme impossibles, ils les jugent naturelles et faciles, Retz
indique quel fut ce moment de changement soudain pendant la régence. Le parlement gronda sur l'édit du tarif, et aussitôt qu'il
eut seulement remué, tout le monde s'éveilla. L'on chercha en s'éveillant
comme à tâtons les lois : on ne les trouva plus, on s'effara, on cria, on se
les demanda, et dans cette agitation les questions que leurs explications
firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur obscurité,
devinrent problématiques et, à l'égard de la moitié du monde, odieuses. Le
peuple entra dans le sanctuaire ; il leva le voile qui doit toujours couvrir
tout ce que l'on peut dire, tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois qui ne s'accordent
jamais si bien ensemble que dans le silence. Que cette exposition, admirable de netteté et de force, soit chez Retz un effet de l'art amené par le désir de se justifier, et que les hautes et profondes vues qu'il laisse apercevoir dans son récit ne lui aient apparu que dans sa retraite, il n'en est pas moins incontestable que l'élément constitutionnel de la Fronde se dégage clairement dans ses Mémoires, et que, si nous voyons ensuite avec tristesse le but principal oublié, mille chemins de traverse se former vers des intérêts privés et aller aboutir à un échec général et ridicule, la voie première est tout d'abord dessinée par lui belle, droite et grande, et on la suit en croyant marcher vers une heureuse réforme. Mais le moment n'était pas encore venu d'atteindre ce grand but. Il aurait fallu d'autres acteurs, des besoins plus pressants de changement, une entente plus complète entre les partis, un intérêt général plus distinct, et il entrait d'ailleurs dans l'admirable économie de notre histoire, de faire, auparavant, aboutir l'anarchie des temps de la Fronde à un pouvoir absolu qui, par la force fatale des choses, abusera de sa puissance, et, d'excès en excès, de faute en faute, en viendra au point de produire une tendance universelle vers la liberté, qui seule pourra engendrer une révolution irrésistible et féconde. Sans avoir deviné ce qu'il était alors impossible de prévoir, il est certain que Retz a eu une perception confuse, sinon des grandes choses qui devaient être réalisées dans le siècle suivant, au moins des ressorts qui devaient les mettre en mouvement. Je sais, dit-il dans une de ses conversations soit avec Condé, soit avec le duc de Bouillon, véritables morceaux d'éloquence qu'il prétend reproduire dans toute leur exactitude, ayant eu le soin de les noter immédiatement, mais qui sont trop étudiés pour n'être pas le résultat d'un long travail fait à Commercy, et qui n'en sont d'ailleurs pas moins significatifs, quelle que soit leur origine ; je sais que vous comptez les peuples pour rien parce que la cour est armée ; mais permettez-moi de vous dire qu'on les doit compter pour beaucoup toutes les fois qu'ils se comptent eux-mêmes pour tout. Ils en sont là. Ils commencent eux-mêmes à compter vos armées pour rien ; le malheur est que leur force est dans leur imagination, et l'on peut dire avec vérité que, à la différence de toutes les autres sortes de puissances, ils peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu'ils croient pouvoir. Et plus loin : Les grandes affaires consistent encore plus dans l'imagination que les petites. Celle des peuples fait quelquefois toute seule la guerre civile. Les actions extraordinaires, dit-il ailleurs, ressemblent au coup de foudre : le tonnerre ne fait jamais de violents éclats, ni des effets dangereux, que quand les exhalaisons dont il se forme se sont longtemps combattues. Il en est ainsi des révolutions dans les grandes affaires : si elles n'ont pas été méditées longtemps, leur effet est presque nul. Ne croit-on pas, en lisant ces fortes maximes, qu'elles sont extraites d'une histoire de la révolution française, et, pour retrouver une pareille opinion ainsi exprimée sur le peuple, ne faut-il pas franchir tout le règne de Louis XIV, pendant lequel on est étonné de la voir exprimée, et, s'avançant d'un siècle, arriver jusqu'au tiers-état de l'abbé Sieyès ? Retz n'est-il pas encore ici prophète, et, dans sa
prudente sagacité, ne prévoit-il pas déjà ce qui devait plus tard être
réalisé sur une si grande échelle, quand, après avoir parlé des rentes de
l'hôtel de ville qui sont, dit-il, le patrimoine de tous ceux
qui ont peu de bien, il ajoute : ce qui, bien
entendu et bien ménagé, pourrait être très-avantageux au service du roi,
parce que ce serait un moyen sûr, et d'autant plus efficace qu'il serait
imperceptible, d'attacher à sa personne un nombre infini de face milles
médiocres, qui sont toujours les plus redoutables dans les révolutions ? Qu'est donc Retz ? Quel est ce singulier génie, qui sait à si peu d'intervalle être grand et petit, profond et léger, et qui, nous donnant dans son œuvre une fidèle image de l'inégalité de sa conduite, y fait succéder les plus hautes vues aux récits les plus grotesques et les plus dévergondés ? Comment pouvoir réunir en un seul portrait des traits si divers, et, devant une telle mobilité, comment ne pas hésiter à peindre un personnage qui se dérobe à nous sous tant de formes et nous déconcerte par tant de qualités et de vices contraires ? D'un côté, nous voyons ce courage audacieux et chevaleresque qui cent fois lui fait exposer sa vie et qui le porte à déchirer les sauf-conduits que lui envoie la reine en l'appelant à elle, afin de se rendre seul et sans défense dans une Cour où il se sait détesté ; cette générosité inépuisable avec laquelle il vient au secours de Charles II, réfugié en France, et d'Henriette d'Angleterre, qui ne se lève pas faute de feu dans le pays de sa mère ; cette grandeur d'âme, grâce à laquelle il s'oppose de toutes ses forces à la vente publique de la bibliothèque de Mazarin, et défend les jours d'un officier envoyé par ses ennemis pour l'assassiner et que la populace menace de sa colère ; cette admirable présence d'esprit qui, au moment de son évasion du château de Nantes, lui permet de crier à la sentinelle préparant déjà son arme contre lui : Je te ferai pendre si tu tires ! et, lui inspirant ainsi l'idée que cette évasion est autorisée par le maréchal de La Meilleraye devenu son complice, sauve la vie de Gondi du plus grand danger qu'elle ait jamais connu ; cette force tellement surhumaine qu'elle arrache un cri d'admiration à Guy Joly lui même, et avec laquelle Retz, s'étant un moment après son évasion démis l'épaule, se déchire lui-même la chair pour ne pas succomber à l'évanouissement dont le menacent ses intolérables souffrances et qui le rejetterait entre les mains de ses ennemis ; cette familiarité qui le faisait descendre jusqu'aux plus petits et que rendait plus frappante la noblesse de ses rapports avec les plus grands ; cette inaltérable fidélité envers ses amis dont il se préoccupa autant que de lui-même, au moment de sa soumission ; cette éloquence insinuante et persuasive qui, avec sa merveilleuse vivacité d'impressions, lui assurait un incontestable avantage dans les luttes du parlement ; ce haut sentiment de patriotisme qui lui fit constamment refuser, dans ses courses à travers l'étranger, les offres des ennemis de la France, et qui le poussa à soutenir jusque dans le conclave et en présence des ambassadeurs français qui gardaient le silence, l'honneur de son pays outragé[25] ; enfin cette hauteur de vues, cette profondeur dans les jugements, cette rapide justesse dans le coup d'œil qui lui permet de lier sûrement les effets aux causes et de pénétrer presque au fond des destinées d'un grand peuple. Mais, d'un autre côté, apparaissent dans toute leur triste réalité cet orgueil indomptable par lequel Gondi, exagérant l'importance des grandes facultés dont il se sait doué, les croit aptes à toute chose, traite d'égal à égal avec toutes les puissances, et se met sans hésiter, à la hauteur de Cromwell[26] ; cet étrange cynisme, car ici ce n'est plus de la sincérité, qui le fait s'étendre complaisamment sur tous ses succès de galanterie, raconter comment il s'est consolé des infidélités de mademoiselle de Chevreuse avec sa suivante, et donner, sur les conséquences de ses honteuses débauches, des détails d'une crudité révoltante ; cette singulière morale, au moyen de laquelle la prétendue grandeur du but poursuivi justifie à ses yeux les crimes même commis pour l'atteindre ; cet amour de la cabale et de la faction qui l'a retenu au milieu de la lutte, quand mille portes lui ont été ouvertes pour en quitter avec honneur le théâtre où avait pu l'appeler sa rancune, mais d'où devait l'éloigner aussitôt le caractère sacré dont il était revêtu ; et, enfin, cette ambition démesurée qui, dès ses plus jeunes années, a enflammé son imagination, et, quoi qu'il en dise, a dévoré toute son existence ; qui, une fois le chapeau de cardinal arraché à la reine, après une longue suite de ruses et d'intrigues, lui a fait porter ses vues sur le ministère, et, afin de l'obtenir, l'a déterminé, à sa honte éternelle, à prolonger pour son seul intérêt personnel une lutte sanglante, et pour cela à affaiblir l'un par l'autre Mazarin et Condé, à soutenir le parti le plus faible et qui allait céder contre le plus fort dont il retardait ainsi la victoire, à armer contre le roi Gaston lui-même son protecteur naturel, et à rompre, par des dissensions sans cesse renaissantes, les paix récemment conclues ; tactique habile mais désastreuse pour la France, en ce qu'elle a détourné de la poursuite d'un grand but, et a empêché le succès de justes demandes, tactique qui a été d'ailleurs celle de presque tous les grands de l'époque, mais qui chez eux était moins dangereuse, parce que leurs moyens d'action étaient moins étendus que ceux de l'archevêque de Paris, et qui présente Gondi à la postérité comme le mauvais génie de la Fronde ! Tel Retz se montre à nous dans ses Mémoires. Seule, la poursuite du ministériat n'y est pas clairement indiquée ; mais le silence même que garde le prudent Retz à cet égard est révélateur, car il laisse entre bien des actes et bien des démarches une lacune si visible, que le lecteur la comble involontairement. Pourquoi Gondi contribue-t-il successivement à l'emprisonnement et à la mise en liberté de Condé ? Pourquoi se lie-t-il avec la cour contre le parti des princes, quand celui-ci est redoutable ? Pourquoi répond-il à Bertet, qui lui expose l'embarras de Mazarin : Donnez-moi le roi de mon côté deux jours, et vous verrez si je serai embarrassé ? Pourquoi enfin, pensant, mais trop tard, qu'avant d'obtenir de la reine le ministère, il faut d'abord plaire à la femme, et ayant appris qu'Anne d'Autriche a dit de lui : Non, il n'est pas laid ; il a les dents fort belles, et un homme n'est jamais laid avec cela, s'est-il rendu pendant plusieurs jours chez elle, et sous des prétextes futiles, y laissant à dessein tomber la conversation, paraissant préoccupé, s'emportant tout à coup avec violence contre Mazarin, faisant succéder à ces habiles accès de jalousie une distraction aussi calculée, et tenant les yeux fixés avec une admiration et une persistance flatteuses sur les mains de la reine, qui sont fort belles ? Mais si, dans les Mémoires du cardinal de Retz, on assiste à l'artificieuse exposition d'une conduite coupable, on voit ensuite survenir par une équitable compensation les conséquences de cette conduite, et ce spectacle triste mais saisissant offre un enseignement d'autant plus persuasif, qu'il n'est pas indiqué et qu'il ressort avec force des actes mêmes. Avec quelle amertume, en effet, Gondi, qui avait tenu dans
ses mains puissantes les fils qui agitèrent un moment tout Paris, arrivé au
récit de son arrestation et de son emprisonnement à Vincennes, a dû écrire
ces mots : Le marquis ce de Chateaurenaud, qui se donna
bien du mouvement ce jour-là pour émouvoir le
peuple, n'y trouva pas jour. Rien ne branla dans la ville ![27] Nous trouvons ensuite Gondi, après son évasion de Nantes, à chargea ses amis ; oblige de demander à ses parents une hospitalité qui leur paraît dangereuse, et qu'ils ne tardent pas à refuser ; parcourant l'Espagne, exposé aux plus grands périls au milieu d'une révolte, traversant la mer, y sauvant avec peine sa vie de deux naufrages ; abordant enfin en Italie, s'y trouvant en butte aux tracasseries des représentants de la France et en présence d'un pape faible[28], et qui craint de se compromettre auprès de Louis XIV en soutenant son ennemi ; contraint de quitter Rome, puis l'Italie, réduit a vivre des dons qui lui sont secrètement envoyés de la France ; exposé à l'ingratitude de ses domestiques, dont l'un[29], le poursuivant partout de sa haine, note, en les commentant, tous les actes de son maître pour en dresser la plus odieuse et la plus terrible accusation. Puis, parvenu à cette partie de sa vie qu'il avait cependant bien le temps encore de raconter, Retz interrompt tout à coup et sans motif apparent sa narration comme s'il avait reculé devant le récit des cinq années qui précédèrent sa soumission, et pendant lesquelles, errant à travers la Hollande, l'Angleterre et les Pays-Bas, courant de ville en ville, ne s'arrêtant ni dans une résidence ni dans une demeure déterminées, habitant les auberges et les mansardes, ne recherchant qu'une société indigne de lui et de son rang, il se laissa envahir par de lâches découragements, et, cédant à de dégradantes défaillances, oublia les merveilleuses facultés qui lui avaient été données en partage. Quel spectacle pénible, mais instructif ! Comme cet admirable livre, aussi complet que les œuvres antiques, nous montre les châtiments après les fautes et les plus déréglés desseins suivis des plus rudes mécomptes ! Cependant Gondi n'a point été transformé par les épreuves qu'il a subies et les événements qu'il a traversés ; dans sa retraite, il est encore lui-même, et la vaine gloire est toujours ce qui le séduit le plus. Seule, sa prodigalité, qui d'ailleurs lui est maintenant inutile, a disparu pour faire place à l'honorable austérité qui lui permet de payer ses dettes. Mais sa passion principale couve encore sous le feu mal éteint qui a brûlé sa vie tout entière, et, quand il la remue en l'exposant, elle le domine et l'entraîne tout comme par le passé. Aussi Retz, fidèle jusqu'à la fin à son vain système de fatalisme et attribuant son revers, comme nous l'avons vu attribuer son élévation, à un futile accident, s'écrie-t-il que sans la chute de cheval qu'il fit en sortant de Nantes, son évasion se serait tournée à le rendre maître de la capitale du royaume. Dernière illusion qu'il se fait à lui-même, et qui laisse une suprême et chère consolation à l'orgueil de ce superbe vaincu ! |
[1] Un jour que M. de Morangis le blâmait sur ses énormes dépenses, J'ai bien supputé, répondit de Retz, César à mon âge devait six fois plus que moi.
[2] Roma, 1629. La Congiura del conte Gio-Luigi de Fieschi, descritta da Agostino Mascardi.
[3] Il était âgé de dix-huit ans, en 1632.
[4] Questa fù l'horribile congiura del conte Luigi de Fieschi. (Page 2.)
[5] Mascardi avait dit, page 11 : Ricevuto con segni di allegrezza incredibile da Genovezi... Obligata la citta di Genova per tanti e si segnalati beneficii al Doria. (Page 3.)
[6] Gio-Luigi de Fieschi, giovane di grand' animo e di pensieri turbulenti, stava all'hora farneticando, come potesse migliorare di riputazione e di grado. Non contento non dimeno della conditione honoratissima ricevuta in heredità da maggiori, si lasciava rapire dall'impeto dell'età e dall'ambizione (male ordinario de'nobili) a speranze pericolose. Fin da giovanetto diede manifesti segni d'una immatura ferocia ; da i quali ritraevano gli huomini sani, che egli cresceva al disturbo della tranquillità della patria. A cosi perniciosi stimoli della natura s'aggiunge una pessima educazione, peste insanabile dell'età giovanile, perché quantunque gli fusse dato per maestro nelle buon'arti Paolo Pansa, huomo dottissimo, e di costumi honorati, coloro perô che più domesticamente tratavan con lui erano scelerati. (Page 16.)
[7] Si diede Gio-Luigi, per consiglio de suoi amici, a legger diligentemente la vita di Nerone, la congiura di Catilina, e l'operetta del Principe da Nicolo Machiavello. (Page 17.)
[8] Après que Mascardi a fait dire à Verrina répondant à son adversaire : Vous qualifiez cette conjuration de crime, il ajoute : Ma che di io sceleratezza ? Questo vocabolo è vostro, o Vincenzo, e voi l'avete appreso nella scuola del vulgo, che non fa la dottrina del principato. Con questi nomi si chiamano le attioni delle persone private, non l'impresse de'grandi. (Page 43.)
Retz traduit ainsi ce passage : Cependant ces fantômes d'infamie, que l'opinion publique a formés pour épouvanter les âmes du vulgaire, ne causent jamais de honte à ceux qui les portent pour des actions éclatantes, quand le succès en est heureux. Les scrupules et la grandeur ont été de tout temps incompatibles, et ces faibles préceptes d'une prudence ordinaire sont plus propres à débiter à l'école du peuple qu'à celle des grands seigneurs. Le crime d'usurper une couronne est si illustre qu'il peut passer pour une vertu. Chaque condition des hommes a sa réputation particulière ; on doit estimer les petits par la modération, et les grands par l'ambition et le courage.
[9] Mascardi (page 71) avait dit : Gio-Luigi tutto cangiato nel volto (non so se per l'honore del vicino parricidio, o per la rabbia contro di Giannetino), appoggiato ad una tavola, percotendola con la manu, cosi parlo.....
[10] Voir Sismondi. — Mascardi, page 77 : A cosi spaventose parole, attoniti gli ascoltanti e atterriti dal vedersi cinti da tutti i lati da gente minac e iosa e armata, stettero per un poco senza parlare.....
[11] Cosi la Providenza, s'écrie éloquemment Mascardi après le récit de la mort de Fiesque, non errante di Dio si prende giuco délia stolta prudenza de gl'infelici mortali, etc., etc. (Page 83.)
[12] Teneva (André Doria) in sua compagnia Giannetino, fîgliulo di Tomasi Doria, suo cugino, giovane spiritoso et di conosciuta virtu : il quale adoprato in molte fattioni sotto la condotta di Andrea, haveva meritato col suo valore d'esser adottato per figliulo da lui..... (Page 12.)
[13] Mémoires du cardinal de Retz, page 15 de l'édition Michaud et Poujoulat.
[14] Tallemant des Réaux, tome VII, chapitre CCXX.
[15] Page 37 des Mémoires de Retz.
[16] Page 53 des Mémoires de Retz.
[17] Page 83 des Mémoires de Retz.
[18] Page 178 des Mémoires de Retz.
[19] Condé.
[20] Ce trait caractérise l'éloquence de Retz, qui est presque toujours de l'adresse et un merveilleux esprit d'à-propos prompt à mettre à profit les fautes de l'adversaire. Il indique d'ailleurs lui-même quelles sont ses théories en éloquence, quand il dit que le talent d'insinuer est plus d'usage que celui de persuader, parce que l'on peut insinuer à tout le monde et que l'on ne persuade presque jamais personne.
[21] In difficillimis reipublicœ temporibus, urbem non deserui ; in prosperis, nihil de publico delibavi ; in desperatis, nihil timui.
[22] Eodem animo scripsit quo bellavit.
[23] Retz n'est pas le seul qui donne avec précision tous les détails de cette tentative. Joly, qui d'ordinaire lui est peu favorable, relate ce fait, ainsi que madame de Motteville, toujours exacte quand, Anne d'Autriche sa maîtresse n'étant pas en jeu, son affection ne l'aveugle point. Seul, La Rochefoucauld nie ce fait dans ses Mémoires, mais il avait plus d'intérêt encore à le nier que Retz à l'inventer. Il le fait d'ailleurs dans des termes qui mettent en doute sa véracité, bien plus que celle de Gondi.
[24] Sénèque avait dit de la Divinité : semel jussit, semper pare.
[25] Au conclave où fut élu Alexandre VII, le duc de Ferentina, ambassadeur d'Espagne, donna à son souverain le titre de fils aine de l'Église. Retz s'opposa avec la plus grande énergie à ce que cette qualification, réservée aux rois de France, fût maintenue à un autre prince, et il finit par l'emporter.
[26] Mazarin, dit Retz (p. 234 de ses Mémoires), parla à Monsieur dans la petite chambre grise de la reine, du parlement, de M. de Beaufort et de moi, comme de la chambre basse de Londres, de Fairfax et de Cromwell.
[27] Page 418 des Mémoires de Retz.
[28] Alexandre VII.
[29] Guy Joly.