Vains efforts de Condé
pour obtenir l'adhésion des cours souveraines. Assemblée de l'Hôtel-de-Ville.
- Marche de l'armée royale vers Paris. -Négociations des princes avec la
cour. - Progrès du tiers-parti. - Efforts de Condé et des seigneurs pour
soulever la multitude. - Réaction contre le parlement. - Anarchie dans Paris.
- Combat près d'Étampes. - Désastres du parti de Condé. - Agitation dans la
capitale. - Siège d'Étampes. - Le duc de Lorraine en France. - Misère autour
de Paris. - Combat du faubourg Saint-Antoine. - Mademoiselle fait ouvrir les
portes de la ville aux troupes de Condé. - Incendie et massacre de
l'Hôtel-de-Ville. - Broussel, prévôt des marchands. - Le duc d'Orléans
déclaré par le parlement lieutenant général de l'État. - La cour quitte
Saint-Denis. - Arrêts du conseil. - Le parlement transféré à Pontoise. - Duel
entre le duc de Nemours et le duc de Beaufort. -Réaction contre les princes. -
Seconde retraite de Mazarin. - Condé se réunit au duc de Lorraine. -
Députation du clergé à Compiègne. - Condé quitte Paris. - Embarras de Gaston.
- Retour du roi dans Paris. - Retraite de Gaston à Blois et de Mademoiselle à
Saint-Fargeau. - Lit de justice. - Le cardinal de Retz arrêté. - Retour de
Mazarin à Paris. - Soumission de Bordeaux. - Fin de la Fronde.
Toute
la guerre dépendait de l'attitude que prendrait Paris ; mais le parlement et
le conseil municipal, auxquels Condé voulait faire agréer ses services contre
Mazarin, lui reprochèrent son alliance avec les étrangers. Le lendemain de
son arrivée, le prince, accompagné de Gaston, se présenta au parlement et
protesta n'avoir jamais eu d'autres pensées que d'employer sa vie pour le
bien du royaume. Mais Bailleul, qui présidait en l'absence de Matthieu Molé,
lui répondit avec une sévérité digne d'éloges que la compagnie « ne pouvait
voir d'un bon œil un prince du sang criminel de lèse-majesté, en alliance
déclarée avec les ennemis de l'État, et siégeant sur les fleurs de lis, les
mains encore tachées du sang des troupes royales. » Malgré ces paroles
vigoureuses, les magistrats décidèrent que les déclarations du duc d'Orléans
et du prince de Condé sur leurs bonnes intentions seraient envoyées au roi
avec d'itératives remontrances pour l'éloignement du cardinal Mazarin et la
paix générale. L'arrêt porta encore que les cours souveraines de Paris,
l'hôtel de ville et tous les parlements du royaume seraient conviés d'en
faire autant, et qu'il serait convoqué une assemblée générale de la ville, à
laquelle on inviterait les deux princes. Conformément
à cet arrêt, l'assemblée, où se trouvèrent des députés du parlement, de la
chambre des comptes, de la cour des aides, de chaque chapitre et communauté
et de la bourgeoisie, s'ouvrit le 19 avril, et fut continuée les 20 et 22,
malgré une lettre de cachet qui défendait toute réunion de ce genre sous
peine de rébellion. Le duc d'Orléans et le prince de Condé y protestèrent
encore, comme ils avaient fait au parlement, qu'ils n'avaient pris les armes
que pour l'exclusion du cardinal Mazarin, et qu'ils les déposeraient dès
qu'il aurait quitté le royaume. Les efforts de Condé pour obtenir l'autorisation
de lever de l'argent et des troupes échouèrent au grand mécontentement de ses
adhérents, et l'assemblée rejeta aussi la proposition d'écrire aux bonnes
villes de France, afin de les engager à suivre l'exemple de la capitale. Elle
se contenta d'ordonner qu'une députation serait envoyée au roi pour le
supplier de revenir dans Paris, éloigner de sa personne le cardinal et donner
la paix à son peuple. Condé,
toujours accompagné du faible Gaston qui cessait de prêter une oreille docile
aux conseils du coadjuteur, se présenta également à la chambre des comptes et
à la cour des aides. Ces compagnies, d'accord avec le parlement, arrêtèrent
des remontrances contre le cardinal ; mais tous les présidents de la première
se levèrent de leurs sièges et quittèrent la salle à l'arrivée du prince
rebelle, et le premier président de la seconde, Jacques Amelot, ne craignit
pas de lui adresser en face une réprimande des plus sévères. « En la place où
je suis, s'écria avec indignation cet intrépide défenseur des droits de la
couronne, je ne puis dissimuler qu'il y a sujet de s'étonner que M. le prince
revienne dans Paris, non-seulement sans avoir obtenu des lettres d'abolition
et de rémission, mais encore qu'il paraisse dans les compagnies souveraines
comme triomphant du roi notre maître ; et, ce qui est le comble de l'audace,
qu'il ose faire battre le tambour dans la ville la plus fidèle du royaume,
pour lever des soldats contre Sa Majesté avec des deniers venus d'Espagne. » Les
démarches de Condé pour obtenir l'adhésion des cours souveraines étaient
infructueuses ; si elles rendaient contre le cardinal des arrêts aggravants,
elles les accompagnaient d'autres arrêts qui flétrissaient la révolte armée
et l'alliance avec l'Espagne. Le prince comprit alors la faute qu'il avait
commise en s'éloignant de son armée, quand un ennemi comme Turenne commandait
les troupes royales. Pendant qu'il travaillait à décorer son parti de
quelques suffrages extorqués à Paris, Turenne et d'Hocquincourt, dans un
mouvement rapide, avaient devancé ses lieutenants et s'étaient établis aux
environs de Châtres et de Linas, et couvraient à la fois la capitale et la
cour, arrivée à Corbeil par Sens et Melun. Tavannes, Vallon et Clinchamp,
déconcertés, avaient rassemblé leurs forces autour d'Étampes, dans des
quartiers de rafraîchissements. Turenne voulait conduire le roi droit à Paris
et épouvanter les rebelles par ce coup audacieux. Mazarin n'osa pas le
tenter, et la cour se transporta au château de Saint-Germain. Ainsi les deux
armées violaient sans scrupule la transaction suivant laquelle les environs
de Paris devaient être respectés à dix lieues à la ronde. Les princes, de
leur côté, firent rompre tous les ponts de la banlieue. Les
deux armées étaient en présence, et chaque jour en s'attendait à une bataille
; une négociation fut entamée. Le jeune Charles Stuart, fils aîné de Charles
Ier revenu en France après une malheureuse tentative de restauration, alla
voir le roi à Saint-Germain et proposa, dans l'intention de terminer les
discordes, une conférence que les princes acceptèrent. Leurs députés, le duc
de Rohan, le comte de Chavigni et le sieur de Goulas, réclamèrent
l'éloignement de Mazarin. Celui-ci savait se plier aux circonstances ; il
affecta de s'immoler au bien public, et sollicita du roi la permission de
quitter le royaume. Anne d'Autriche ne permit pas que l'autorité royale
souffrît une pareille atteinte. De retour à Paris, les députés annoncèrent qu'ils
avaient échoué dans leurs négociations à cause de l'obstination de la reine à
garder Mazarin. Mais ils trompaient indignement le peuple, qui ne cherchait point
à pénétrer tous les mystères de leurs intrigues. Car les prétentions
exorbitantes de Coudé avaient été l'obstacle le plus sérieux pour la paix.
Ils n'avouaient pas à ce peuple abusé, et dont ils voulaient faire tourner k
mécontentement à leur profit qu'ils avaient conféré pendant quatre heures
avec le cardinal lui-même et sans témoin, et que Condé continuait de négocier
secrètement pour lui et pour Gaston. Malgré
les efforts de M. le prince pour séduire les magistrats et se concilier la
bourgeoisie, le tiers-parti faisait chaque jour des progrès. Livré aux suites
de sa nouvelle alliance avec Condé, sans cesser entièrement pour cela de
prêter l'oreille aux conseils de Gondi, le duc d'Orléans n'était appuyé dans
le parlement que par un petit nombre de conseillers, et le duc de Beaufort,
cet ancien roi des halles, n'exerçait sa puissance que parmi les artisans et
les gens de la lie du peuple. Il avait perdu toute son influence sur les
esprits des bourgeois depuis qu'il avait abandonné le drapeau du coadjuteur. Quanta
ce dernier, comme il n'avait pas encore reçu le chapeau rouge des mains du
roi, il se conformait aux règles sévères de l'étiquette et ne se montrait
plus aux séances du parlement ni dans aucune assemblée publique. Il ne
s'était cependant pas résigné à l'inaction : il allait assidûment au
Luxembourg, où il ne voyait que Gaston, et sa seule présence causait de grandes
inquiétudes à son ancien ennemi et contenait l'impétuosité de son caractère.
Souvent, du fond de l'archevêché, il faisait mouvoir avec habileté les
ressorts ordinaires de sa puissance, et entretenait par ses amis et par des
pamphlets la défiance des Parisiens contre un ancien ennemi qui voulait se
servir d'eux afin de réaliser ses rêves ambitieux. Ses intrigues actives et
efficaces, tout en déjouant les desseins de la cour et ceux des princes,
maintenaient dans la capitale son ancienne' popularité et enfantaient des
prosélytes à son système politique. La
situation désespérée de Condé lui inspira une funeste résolution, celle
d'entraîner dans sa cause par la violente intervention du peuple les
magistrats et les bourgeois sur lesquels la persuasion était impuissante. Il
eut donc recours à toutes sortes d'expédients pour soulever la multitude, que
les fréquentes délibérations de tous les corps qui gouvernaient la ville
avaient rendue plus ardente et plus passionnée. On avait déjà vu des
attroupements populaires parcourir les rues en poussant d'horribles clameurs,
frapper des citoyens inoffensifs, assiéger des maisons, briser des bureaux de
recettes et assommer des archers. Mais, avec le secours du prince, l'émeute
allait prendre des proportions hideuses et effrayantes. Le menu
peuple et les artisans que la cessation de tout commerce laissait sans
travail, reçurent chaque jour des distributions de vin et d'argent : chaque
jour des écrits incendiaires excitèrent dans Paris une sourde inquiétude et
une émotion profonde. Un infatigable libelliste, du Boscq-Montandré, aux
gages du prince de Condé, déchaînait toutes les passions et jetait
l'insurrection dans les idées. « Lâchons hardiment la bride,
s'écriait-il avec une farouche éloquence ; faisons carnage, sans respecter ni
les grands ni les petits, ni les jeunes ni les vieux, ni les mâles ni les
femelles. Sortons de nos gîtes, de nos tanières, quittons nos foyers. Faisons
voltiger nos vieux drapeaux. Battons nos caisses. Alarmons tous les quartiers
; tendons nos chaînes. Renouvelons les barricades. Mettons nos épées au vent,
tuons, saccageons, brisons, sacrifions à notre juste vengeance tout ce qui ne
se croisera pas pour le véritable parti du roi et de la liberté. » La
plupart des seigneurs ne se faisaient pas scrupule de tremper dans les
criminels complots de cette époque. Ils n'avaient pas honte de se déguiser et
de se mêler à la populace ; ils désignaient à sa fureur les magistrats entichés
de mazarinisme, qu'elle poursuivait de ses clameurs et de ses huées dans les
rues et jusque dans le palais, C'était ce que Gaston appelait égayer le
parlement. Beaufort parcourait souvent la ville entouré de cent vingt
malfaiteurs délivrés des cachots de la conciergerie. L'oncle du roi lui-même
ne se montrait qu'avec un hideux cortége de quatre à cinq mille bandits, et
ne craignait pas de fomenter ou d'autoriser l'émeute. Le prévôt des marchands
et les- échevins, auxquels on reprochait d'être hostiles aux princes, furent
méchamment appelés au Luxembourg, et, au sortir, ils se virent assaillis par
la canaille qu'il avait, dit-on, soudoyée, - et coururent le danger d'être
massacrés. Parmi
cette populace qu'agitait une espèce de fièvre brûlante, parmi ces bourgeois
qui, tout en conservant pour le roi une respectueuse obéissance, exigeaient
le renvoi de son ministre, grandissait la réaction contre l'aristocratie de
robe, dont l'incapacité et l'impuissance bien reconnues alors précipitaient
dans un abîme de malheurs le royaume qu'elles aspiraient à gouverner. Paris,
en voyant périr une à une les espérances fondées sur le corps de la
magistrature, passait de la consternation à la fureur. La paix était le vœu
le plus ardent d'une grande partie de sa population ; elle aurait volontiers
tout subi, même Mazarin, pour l'obtenir. : une autre s'élevait avec force
contre les auteurs présumés de ses maux et voulait en tirer une éclatante
vengeance. La portion énergique, ennemie du parlement., qui n'avait pas
répondu à son attente, ennemie de toutes les autorités légales, surtout du
ministre, traité de concussionnaire et de pirate par une déclaration royale,
demandait l'union avec les seigneurs. C'était dans cette dernière portion que
les passions démocratiques s'agitaient avec une violence sans égale ; on y
parlait d'abolir la royauté, d'imiter les Anglais et de proclamer la
république. Si les grands eussent triomphé, ils n'auraient pu arrêter le
torrent dont ils avaient rompu les digues. Au milieu de la confusion des
esprits, ils auraient été entraînés par ce peuple que leurs efforts
excitaient à la révolte et qui, du fond de ses entrailles, laissait échapper
ce cri terrible : « Les grands ne sont grands que parce que nous les portons
sur nos épaules ; nous n'avons qu'à les secouer pour en joncher la terre ! » Tandis
que l'anarchie désolait Paris, les troupes des deux partis incendiaient et
pillaient tous les environs. Un grand combat fut cependant livré le 4 mai, et
fournit à l'armée royale une glorieuse revanche de Bléneau. Avertis que Mile
de Montpensier, ennuyée du séjour d'Orléans, devait traverser Étampes pour se
rendre à Paris, et que les généraux des princes se préparaient à la recevoir
avec de grands honneurs, Turenne et d'Hocquincourt résolurent de surprendre
l'ennemi. Ils partirent donc de Châtres la nuit, et parurent sur les hauteurs
qui dominent Étampes au moment où les rebelles sortaient d'une joyeuse revue.
Ceux-ci, attaqués auprès de leurs retranchements dans le désordre de cette
fête militaire, éprouvèrent une déroute complète et perdirent près de trois
mille hommes. La plaine tut bientôt couverte de soldats qui fuyaient vers la
ville. Revenues de leur surprise, les vieilles troupes se formèrent sous les
ordres de MM. de Tavannes et de Vallon, soutinrent le choc avec fermeté et
empêchèrent les royalistes d'entrer pêle-mêle dans la place avec les vaincus.
Comme Turenne manquait de canons et de munitions, il regagna son poste, où le
quitta d'Hocquincourt, envoyé dans son gouvernement de Péronne. Resté seul
chef de l'armée royale, Turenne se rapprocha de Paris jusqu'à Palaiseau et
Antony, afin de couper plus sûrement les communications de la capitale avec
Étampes, et fit occuper Saint-Denis par un faible détachement de Suisses (7 mai). Les
nouvelles que Condé recevait à cette époque des différents points de la
France, lui annonçaient les désastres de son parti. En Guienne, l'intrépide
et vigilant comte d'Harcourt ne laissait aucun repos au général Marsin, sur
lequel il obtenait chaque jour des avantages. Conti ne se maintenait à
Bordeaux qu'avec le secours d'une foule de séditieux, les ormistes,
qui tiraient leur nom d'une armée ou esplanade voisine du château de Hâ, et
plantée de grands ormes sous lesquels ils se rassemblaient. Ces forcenés
agissaient avec violence, proscrivaient, massacraient ; et, sous la conduite
de Lorteste, boucher de profession, ils répandaient partout la terreur. Le
brave marquis de Persan se voyait réduit à capituler dans Montrond ; et la
Ferté, après l'expulsion des Espagnols de la Champagne, revenait sur la
capitale pour se joindre à l'armée royale ; enfin tous les parlements,
excepté celui de Bordeaux, suivaient l'exemple du parlement de Paris. Réduit
à cette extrémité M. le, prince sollicitait plus vivement que jamais le
secours des Espagnols, ses alliés. Le 11
mai, le canon retentit au point du jour dans les environs de la capitale, et
vint arracher Condé à toutes ses inquiétudes. Les troupes royales avaient
entrepris de forcer le pont de Saint-Cloud. Le prince se rendit au parlement
pour informer la compagnie qu'il allait se battre, et sortit aussitôt. Mais
il ne laissa point échapper l'occasion : il parcourut les quartiers les plus
fréquentés de la ville, accompagné du duc de Beaufort, en appelant les
citoyens aux armes. Il fut suivi d'une foule d'ouvriers et de gens du peuple,
auxquels se réunirent plusieurs milliers d'hommes levés sans le secours des
magistrats par un certain Peny, trésorier de France à Limoges, homme fort
accrédité parmi les séditieux et qui avait épousé la nièce de Broussel., Le
vainqueur de Lens et de Rocroi forma en bataillon, le mieux qu'il put, cette
nombreuse cohue, et plaça en tête de la colonne le peu qu'il avait de soldats
réguliers. Sur la nouvelle que les assaillants du pont de Saint-Cloud
s'étaient retirés, il tourna vers Saint-Denis et emporta -d'assaut cette ville,
défendue par une faible garnison de Suisses. Dès le lendemain, Saint-Denis
retomba au pouvoir des troupes royales. Après
cette courte expédition, dans laquelle la présence de quelques milliers de
misérables sous lés drapeaux de Condé put faire croire que la ville s'était
déclarée en sa faveur, on rentra dans la voie ordinaire des négociations, et
l'émeute reprit toute sa violence. Le parlement fut exposé à de nouvelles
insultes, et des compagnies de bourgeois, envoyées à la garde du palais,
refusèrent ce service, disant qu'elles ne voulaient point garder des
mazarins. Plusieurs des magistrats et leurs présidents n'échappèrent qu'avec
peine aux outrages et aux violences d'un grand nombre de séditieux aux gages
de Peny. Le duc d'Orléans profita de tous ces incidents pour se faire prier
de prendre le commandement dans Paris. La compagnie se contenta de le remercier,
mais éluda sa proposition de lui donner plein pouvoir afin de rétablir
l'ordre (14
mai). Cependant
les gens du roi allèrent à Saint-Germain demander l'éloignement des troupes à
dix lieues de la capitale, et la cour consentit au rétablissement de la
première convention. Elle reconnut donc la neutralité de Saint-Denis, et se
transporta de Saint-Germain à Corbeil, puis à Melun, tandis que les princes
rappelaient leurs troupes de Saint-Cloud, de Neuilly, de Charenton et de
Saint-Maur Turenne méditait d'ailleurs un projet plus glorieux que la
dévastation des environs de Paris. Renforcé par des troupes arrivées de la
frontière de Flandre, il entreprit le siège d'Étampes, où les principales
forces des princes étaient renfermées. Il poussa ses attaques avec la plus
grande vigueur, et, malgré le courage déployé dans la défense par Tavannes,
lieutenant de Condé, le maréchal ne pouvait manquer de s'en rendre maître, si
les assiégés ne recevaient de prompts secours. Le prince en avait demandé aux
Espagnols ; ils lui envoyèrent Charles IV, duc de Lorraine, dépouillé de ses
États par Louis XIII, et qui cependant avait encore une armée, ou plutôt une
bande de dix mille brigands que la licence et le pillage avaient attirés sous
ses étendards. Le
Lorrain, que l'or de l'Espagne avait décidé à une intervention en faveur des
rebelles, et avec lequel la cour de France avait aussi entamé des
négociations, entra en Champagne sans être inquiété par les gouverneurs
royaux. Chacun des deux partis espérait trouver en lui un auxiliaire. Il
parcourut la province plus d'un mois et la pilla tranquillement. Enfin il
sembla se déclarer pour les princes, laissa ses troupes à Lagny-sur-Marne, se
rendit à Paris, où il eut des conférences avec son beau-frère Gaston et
Condé, et reprit en même temps ses négociations avec la cour. Le duc Charles,
ayant vainement réclamé à Condé la ville de Stenai, qui lui avait jadis
appartenu, promit seulement à Gaston de faire lever le siège d'Étampes. Peu
de temps, après, séduit par les promesses de Mazarin, il traita avec la cour
et consentit à s'en retourner, pourvu qu'elle abandonnât le siège, dont
l'heureux succès aurait ruiné toutes les espérances des rebelles. Sur l'ordre
du roi, Turenne s'éloigna d'Étampes et prit position à Étréchy ; de là il
surveilla toutes les démarches du Lorrain, dont il connaissait la perfidie. Les
princes firent les derniers efforts dans l'espoir d'amener le Lorrain à
manquer de foi à la cour. Honteux du traité qu'il venait de signer, Charles
s'engagea, dit-on, à rester jusqu'à ce que Gaston et Condé eussent reçu des
secours de l'Espagne, et même à se joindre aux soldats qui sortiraient
d'Étampes, afin de poursuivre les troupes du roi avec les deux armées
réunies. De retour à son-camp de Villeneuve-Saint-Georges, il jeta sur la
Seine un pont de bateaux que lui avaient préparé les princes peur traverser
la rivière. Turenne pressentit ses projets, se porta sur Corbeil, passa le
fleuve, vint se placer devant le duc, et lui signifia qu'il fallait décamper
sur-le-champ et lui livrer son pont, ou se préparer au combat. Étonné de
cette brusque apparition, et d'ailleurs peu décidé à risquer son armée, le
seul bien qui 'lui restât, le duc céda et partit en stipulant que les troupes
sorties d'Étampes, afin de se joindre à lui, continueraient leur route en
sûreté jusqu'au poste désigné par Condé. Ces troupes gagnèrent la banlieue de
Paris au moment où les Lorrains abandonnaient Villeneuve-Saint-Georges et
reprenaient la route des Pays-Bas. Ces
étrangers avaient étalé aux yeux des Parisiens les dépouilles de la France.
Leur camp ressemblait assez à un vaste bazar, et les habitants de la capitale
y couraient en foule pour acheter des habits, des meubles, des objets
précieux, fruits de leurs brigandages. Leurs officiers y donnaient des fêtes
brillantes aux dames et venaient souvent à Paris, où ils étaient reçus avec
une rare magnificence. Les bals, les revues,' les festins se succédaient, pendant
que le laboureur désespéré voyait fouler aux pieds des chevaux ses riches
moissons, qu'il pleurait sur le sort de sa femme et de ses enfants, errants
et dispersés, et que les paysans, chassés de leurs foyers, de leurs
campagnes, dont l'ennemi avait fait un désert, cherchaient inutilement un
asile dans les villes voisines, que désolaient déjà la misère et la disette.
Ils y demeuraient exposés aux injures de l'air, au milieu des rues et des
places publiques. La Porte assure dans ses Mémoires 'qu'il a vu sur le pont
de Melun trois enfants sur leur mère privée de la vie, dont l'un, encore
attaché à la mamelle, disputait quelques gouttes de lait à la mort. Après
le départ du duc de Lorraine, Condé, sur le refus de la milice bourgeoise et
du bureau de la ville d'accorder pour ses troupes le passage à travers Paris,
les conduisit à Saint-Cloud par Bourg-la-Reine et y établit son camp, violant
ainsi la neutralité de la banlieue. De son côté, Turenne franchit la Marne à
Lagny et s'avança jusqu'à Dammartin, afin de surveiller la retraite du duc de
Lorraine et d'opérer sa jonction avec le maréchal de la Ferté, qui avait quitté
la frontière de Champagne, où il tenait les Espagnols en échec, et lui
amenait des renforts. Enfin
de nouvelles négociations pour la paix furent rompues par les intrigues des
princes, et l'anarchie à laquelle Paris était en proie alla toujours
croissant. Condé et Gaston exercèrent le plus insolent despotisme, et leurs
ignobles satellites allèrent jusqu'à charger à coups de bâton et même à coups
de fusil les magistrats et les chefs de la bourgeoisie qui résistaient à
leurs volontés. Ces affreux désordres, au milieu desquels le parlement,
obligé de suspendre ses séances, voyait expirer son rôle politique,
semblèrent offrir à la cour une chance de succès. Aussi prit-elle la
résolution d'agir avec vigueur par les armes. Dans les derniers jours de
juin, elle abandonna Melun et vint s'établit à Saint-Denis avec toutes ses
troupes, renforcées par les trois mille hommes du maréchal de la Ferté. Turenne,
décidé à tourner la position de. Condé pat Épinai et Argenteuil, ordonna au
corps de la Ferté de passer la Seine. A. la nouvelle 'de ce mouvement, le
prince, jugeant impossible de se maintenir à Saint-Cloud avec six mille
hommes contre l'ennemi, qui 'pouvait lui en opposer environ douze mille, fit
repasser le pont de cette ville à son armée, dans l'intention de gagner
Charenton, d'y passer la Marne et de choisir un poste plus 'facile à défendre
entre les deux rivières. Il se flattait qu'avec un peu de diligence il
échapperait à Turenne. Il se mit en marche la nuit du 1er au 2 juillet,
traversa rapidement le bois de Boulogne, gagna la porte Saint-Honoré et
tourna l'enceinte extérieure des faubourgs du nord et de l'est. Informé
de la retraite des rebelles, le maréchal de Turenne rappela la Ferté, et,
sans attendre son artillerie, il partit de Saint-Denis par la plaine avec les
troupes qui n'avaient pas traversé la Seine, et se porta rapidement sur
l'arrière-garde de Condé, qu'il atteignit à la hauteur du faubourg
Saint-Martin et dont il culbuta plusieurs escadrons. Le prince, n'espérant
plus gagner Charenton sans combattre, se retourna, délogea sas troupe et prit
position à la tête du faubourg Saint-Antoine, derrière des retranchements qui
s'appuyaient d'un côté aux collines de Charouua.et de l'autre à la Seine, et
que les Parisiens avaient fait élever afin de, se protéger contre les bandes
pillardes du duc de Lorraine. Il construisit à la hâte une seconde ligne de
barricades, fit percer de meurtrières les murs des maisons voisines et
attendit son ennemi. Dès le
matin, le jeune roi avait écrit de sa propre main au prévôt des marchands
pour lui ordonner de tenir les portes de Paris fermées à ses ennemis ; Le
maréchal de L'Hôpital, gouverneur de cette ville, les échevins et le conseil,
alors assemblé, étaient bien résolus à obéir et avaient ha défense à la
milice bourgeoise d'ouvrir les-portes. Toute la cour s'était portée avec le
roi et le cardinal sur les collines de Charonne, afin de contempler, comme
d'un amphithéâtre l'action sanglante « qui devait être selon les apparences
la perte de M. le prince, et la ruine du parti rebelle avec la fin de la
guerre. » Anne d'Autriche, retirée chez les carmélites du couvent de
Saint-Denis, y passa le jour en prières au pied des' autels. Turenne ne
voulait point engager la lutte avant l’arrivée de son artillerie et des
troupes du maréchal de la Ferté. Mais les vives instances du jeune Louis,
impatient de la victoire, et la défiance de Mazarin, autour duquel on
murmurait le mot de trahison, l'obligèrent à donner aussitôt le signal. Alors
commença entre les deux plus grands tapi_ laines de l'époque un combat fameux
dans nos annales par le lieu où il se livra, l'importance de la cause et la
renommée des généraux. On vit Condé et Turenne déployer sur un terrain
resserré, coupé de rues étroites, divisé par des champs, des enclos, des
maisons de plaisance, le plus grand courage et les plus rares talents, toute
la science des combats, tout l'art des retraites. Une triple attaque, dirigée
-par Turenne contre la rue de Charonne, la grand'rue du faubourg et la rue de
Charenton, obtint d'abord un plein succès. Tavannes, qui commandait
l'avant-garde des rebelles, ne put résister à son impétuosité, et laissa
emporter en ad instant le retranchement et la barricade de la rue de
Charonne. Déjà Saint-Mégrin commandant de l'aile droite des royalistes, avait
pénétré au cœur du faubourg à la tête des gendarmes et des chevau-légers,
lorsque Condé, se précipitant sur lui comme la foudre ouvrit une nouvelle et
terrible lutté. Bientôt Saint-Mégrin, le marquis de Rambouillet, le jeune
Paul Mancini, neveu de Mazarin, l'espoir de sa famille, et plusieurs autres
officiers tombèrent mortellement frappés. Les
gendarmes et les chevau-légers, rompus, prirent alors la fuite, et un grand
nombre de gardes françaises périrent sous les coups des mousquetaires du
prince Une barrière, un pan de murailles suffisait à ses braves soldats pour
soutenir les efforts des bataillons nombreux du roi, qui les prenaient en
tête et en flanc. On combattait de maison en maison, de jardin en jardin ;
chaque pas était disputé avec une obstination acharnée. Condé se trouvait
partout ; son courage le multipliait. Aussi Turenne disait-il après la
bataille : « Je n'ai pas vu un Condé, j'en ai vu plus de douze. ». Lorsque
ses soldats pliaient, le prince les rappelait, les conduisait lui-même à la
charge et portait la terreur et la mort dans les troupes- ennemies. De son côté
Turenne, dont l'intrépide sang-froid contrastait avec la fureur martiale de
son digne adversaire, renversait tout ce qui se trouvait à sa rencontre. Son-
artillerie ; qui venait de le joindre avec les-troupes du maréchal de la
Ferté, foudroyait la barricade de la grand'rue et les maisons voisines ; mais
les rebelles ne résistaient pas avec moins de valeur. Ils reprirent même
l'offensive à l'arrivée du duc de Beaufort. Ce roi
des halles, l'ancienne idole de la population, n'était suivi que d'un petit
nombre de volontaires parisiens, quoiqu'il eût passé la matinée à parcourir
la ville afin de soulever les bourgeois. Alors Condé essaya, mais en vain,
d'emporter d'assaut la barricade occupée par la gauche des royalistes. En cet
endroit, L'attaque et la défense furent terribles ; toute la, brave noblesse
de l'armée frondeuse fit des prodiges de valeur sans pouvoir reconquérir la
barricade. En cet endroit, le duc de Nemours reçut de nombreux coups dans ses
armes, deux à la main, et fut ramené tout sanglant ; la Rochefoucault,
frappé. au visage d'un coup de mousquet dont il faillit perdre la vue, tomba
privé de connaissance dans les bras du prince de Marsillac, qui l'emporta en
chancelant MM. de Montmorency, d'Escars, de Tarente, de Flamarins et beaucoup
d'autres furent renversés au milieu de leurs amis. Vers le
milieu du jour la chaleur devenait excessive : la plupart des chefs étaient
couverts de blessures ; les deux partis succombaient à la fatigue ; le combat
demeura un instant suspendu. Turenne et la Ferté profitèrent de ce repos pour
disposer autrement leurs forces, envelopper les rebelles entre eux et Paris,
et faire des efforts décisifs. Tandis que deux colonnes de cavalerie défilent
à droite et à gauche par. Conflans et Popincourt, afin de prendre l'ennemi en
flanc et en queue, les deux maréchaux poussent de front par la grand'rue avec
des troupes fraîches et nombreuses. Vainement Condé, qui vient de rallier ses
troupes à l'extrémité du faubourg vers la ville, déploie une valeur désespérée ;
vainement ses intrépides amis font d'héroïques efforts pour soutenir
dignement la lutte ; foudroyés par des batteries placées dans les trois rues
principales du faubourg, leurs rangs s'éclaircissent. La mort décime leurs
faibles débris serrés entre l'armée royale et les murailles de Paris ; le
carnage est effroyable. Déjà la victoire semble se déclarer pour Turenne,
lorsqu'une volée de canon, partie tout à coup des tours de la Bastille, jette
le désordre dans l'armée royale et « annonce, dit Saint-Aulaire, un
grand changement dans la fortune des partis. » Un écuyer vint au même instant
avertir le prince que Mlle de Montpensier, dont ce dénouement imprévu était
l'œuvre, l'attendait dans une maison voisine des remparts de la ville. Condé abandonna
aussitôt le théâtre du carnage, et se présenta devant la princesse l'épée nue
à la main. « Il était, dit-elle, tout couvert de poussière et de sang,
quoiqu'il n'eût pas été blessé ; et sa cuirasse était pleine de coups. » Le
héros se jeta sur un siège, et fondant en larmes : « Pardonnez, lui dit-il,
ma cousine, pardonnez la douleur où je suis ; vous voyez un homme au
désespoir. J'ai perdu tous mes amis ; MM. de la Rochefoucault, de Nemours, de
Vallon, de Clinchamp, de Guitaut sont, blessés à mort. » Mademoiselle lui
répondit que leurs blessures n'étaient pas dangereuses, et se hâta de lui
annoncer qu'elle apportait l'ordre d'ouvrir à ses troupes la porte
Saint-Antoine, et que les compagnies bourgeoises protégeraient leur 'entrée
dans la ville. Cette bonne nouvelle lui donna de meilleures espérances ; il
remercia Mademoiselle avec affection, la pria d'assurer le passage des
bagages et des blessés, et retourna à son armée. La princesse cherchait à lui
persuader de rester auprès d'elle, mais il la quitta précipitamment. « Je ne
rentrerai, dit-il, qu'à la dernière extrémité, et il ne me sera jamais
reproché que j'aie fui en plein jour devant les mazarins. » De
retour sur le champ de bataille, Condé ranime l'ardeur de ses soldats
vivement pressés par Turenne, qui croyait toucher au terme de ses efforts, et
ne songe plus- qu'a les 'mettre en sûreté. A la tête de ses escadrons, il
charge de nouveau l'ennemi et le repousse jusqu'au-delà des barrières du
faubourg. Il opère alors sa retraite, toujours protégé par les canons de la
Bastille, laisse défiler son infanterie dans la ville, où il entre des
derniers avec sa cavalerie. Aussitôt les portes se referment ; l'artillerie
redouble son feu, et des bandes de Parisiens en armes, sur les remparts,
arrêtent les royalistes qui veulent approcher. Les
glorieux débris de l'armée des princes passèrent tout sanglants devant
Mademoiselle, dont ils chantaient les louanges, et traversèrent Paris pour
aller se reformer dans les faubourgs Saint-Victor et Saint -Marceau, tandis
que Turenne, indigné de se voir arracher son ennemi vaincu, retournait
lentement avec la cour auprès de Saint-Denis. Anne d'Autriche et Mazarin se
refusèrent quelque temps à croire que la ville se fût déclarée en faveur de
-Condé. Lorsque le ministre eut connu toute la vérité, et que Mademoiselle
avait fait ce coup hardi, il dit froidement : « Elle a tué son mari ; »
faisant allusion au désir qu'elle montrait d'épouser le roi ou de former un
autre établissement digne de sa naissance. C'était
en effet la fille de Gaston qui avait rejeté la cour dans une nouvelle
carrière d'embarras et de périls. Son père, retenu au Luxembourg par les
intrigues du coadjuteur, qui avait repris sur lui tout son ascendant, et
pausa- propre lâcheté, avait fait le malade, afin de n'être pas obligé de
prendre les armes. Pendant ce temps-là les bourgeois, accourus sur les
remparts, et d’abord tranquilles spectateurs du combat, se sentirent -émus
d'un sentiment de pitié à la vue des soldats du prince couverts de sang,
mutilés et expirants, que les gardes de la porte Saint- Antoine laissaient
par compassion rapporter dans la ville. Bientôt ils s'ameutèrent, demandèrent
des armes et sommèrent le conseil d'ouvrir les, portes. Sollicité par les
amis du prince de faire armer le peuple et de voler au secours de ses
troupes, Gaston avait résisté à toutes leurs instances. Mais sa fille était
revenue à la charge, et lui avait enfin arraché un blanc-seing pour le bureau
de la ville. Munie
de ce précieux écrit, Mademoiselle courut à l'hôtel de ville, suivie d'une
foule immense qui demandait à grands cris' qu'on sauvât Condé et son armée.
Le maréchal de L'Hôpital et les officiers de la ville, épouvantés des menaces
de l’impétueuse princesse, donnèrent l'ordre d'envoyer deux mille hommes de
milice bourgeoise au secours de M. le prince et d'ouvrir.la porte
Saint-Antoine. Alors elle traversa -les rues un bouquet de paille à la main,
en criant : « Que ceux qui ne sont 'pas du parti de Mazarin prennent la paille,
sinon ils seront saccagés comme tels. » Le peuple se précipita sur ses pas ;
on laissa l'entrée libre aux bagages et aux blessés de Condé, et la ville se
trouva ainsi avoir embrassé le parti des rebelles. Après avoir harangué la
milice bourgeoise, Mademoiselle se jeta dans la Bastille et en fit tourner le
canon contre les troupes de Turenne, tandis que le duc d'Orléans, vaincu par
les sollicitations des amis du prince, montait à cheval, faisait prendre les
armes au peuple afin de favoriser sa retraite[1]. Le
danger que Condé avait couru de tomber entre les mains de Mazarin, si le
peuple n'eût forcé les chefs de l'hôtel de ville d'ouvrir les portes, lui
inspira- la résolution de se rendre tout-puissant dans Paris et d'en obtenir
les ressources d'hommes et d'argent nécessaires pour continuer la guerre. Il
se décida aussi à se débarrasser par la force de quelques personnes qui lui
portaient ombrage, entre autres du maréchal de L'Hôpital et de Lefebvre de
Labarre, prévôt des marchands. Il ne voulut pas que la violence 'parût venir
de lui, mais du peuple, qui montrait plus de zèle que jamais pour sa cause.
En effet, depuis sa rentrée dans la capitale, tous les partisans de la guerre
civile- se rangeaient autour de lui ; les bourgeois, saisis tout à la - fois
d'admiration et de pitié généreuse, élevaient jusqu'au ciel son héroïque
valeur, et le parti modéré s'était effacé. Une
assemblée avait été convoquée à l'hôtel de ville pour le 4 juillet. Les
princes se proposaient d'y faire déclarer ouvertement Paris contre le roi.
Mais dans la crainte que leur projet ne passât pas sans difficulté, ils ordonnèrent
à des soldats, choisis parmi les plus intrépides, de se déguiser en artisans,
de se mêler à la populace et de l'ameuter, afin d'épouvanter les chefs, de la
ville s'ils refusaient de les seconder. L'assemblée s'ouvrit au jour fixé ;
les magistrats municipaux, les députés des cours souveraines et de
l'université, les curés des paroisses et les capitaines des quartiers, des
délégués choisis parmi les bourgeois et notables marchands s'y rendirent
malgré les avis donnés à quelques-uns d'entre eux sur le danger qui les
menaçait : Dès le matin de nombreux rassemblements parcoururent les rues et
se dirigèrent vers la place de Grève. Malheur à quiconque s'offrait sur le
passage de ces bandes d'hommes à mine farouche sans avoir attaché -à son'
chapeau ou à sa boutonnière le signe de ralliement adopté par les princes, mi
bouquet de paille ! Il était insulté, poursuivi d'outrages et souvent accablé
de coups. Condé,
Gaston et un grand nombre de seigneurs se présentèrent à l'assemblée avec
l'insigne séditieux de la paille, pour faire décider l'union de la capitale
avec les princes. Mais le procureur du roi de la ville conclut à supplier
Louis de revenir à Paris -sans le cardinal- Mazarin, et de rendre la paix à
ses sujets. Les princes, jugeant à l'attitude de l'assemblée que. la majorité
adopterait ses conclusions, se retirèrent, comme pour ne pas gêner la
liberté' des suffrages, -et ne contenant qu'avec peine leur mécontentement. Arrivé sur le perron de
l'hôtel de ville, Condé cria, dit-on, au peuple entassé sur la plaœ de Grève :
« Ces gens ne veulent rien faire pour nous, ils ne cherchent qu'à gagner
du temps : ce sont des mazarins ; faits-en ce que vous voudrez. » Condé et
Gaston, s'éloignant alors rapidement, retournèrent au Luxembourg ; Beaufort
et quelques autres seigneurs du parti s'installèrent dans la boutique d'un
mercier, au coin de la Grève et de la rue de la Vannerie. A peine
les princes du sang furent -ils partis que, du sein de cette foule immense
qui couvrait la place, et à laquelle s'étaient mêlés plusieurs centaines de
soldats déguisés, s'élevèrent ces-cris mille fois répétés : « L'union !
l'union ! bas les mazarins ! » Aussitôt des gens armés débouchèrent de
tontes les rues voisines, et aux cris d'union, se joignit une fusillade bien
nourrie et dirigée contre les fenêtres de l'hôtel de ville. Les compagnies
bourgeoises stationnées sur la place, loin de chercher à contenir l'émeute,
prirent la fuite. Les archers qui formaient la garde de l'hôtel de ville
fermèrent les portes de l'hôtel, et répondirent à l'attaque des séditieux par
des coups de mousquets. Les assaillants allèrent alors prendre du bois sur le
port, en formèrent des amas devant toutes les portes et y mirent le feu avec
des torches. Les flammes s'élevèrent rapidement, et l'assemblée, saisie
d'effroi, s'empressa de signer un acte d'union et d'en jeter des copies par
les fenêtres. La populace, dont la rage devenait à chaque instant plus
violente, ne voulait pas traiter, mais vaincre. Bientôt
les portes tombèrent en charbons, et les forcenés, poussant un cri de joie
féroce, se précipitaient dans le vestibule, quand ils furent arrêtés par un
obstacle inattendu. Décidés à vendre chèrement leur Vie, les archers avaient
construit à la hâte des barricades au pied des degrés intérieurs. Là
s'engagea un combat furieux : les archers, retranchés derrière ces
barricades, opposèrent une résistance désespérée, et un grand nombre de
séditieux, périrent sous les coups des assiégés. Pendant ce combat, les membres
de l’assemblée cherchaient à fuir ou à se cacher sous les combles et dans les
réduits les plus obscurs. Le maréchal de L'Hôpital, plus menacé que les
autres, se retira dans une chambre, « donna à un de ses pages sa croix du
Saint-Esprit, » changea de chapeau et de justaucorps, et fut assez heureux
pour échapper aux assaillants et gagner une auberge voisine. A toutes les
issues veillaient des hommes altérés de sang, et qui massacraient, sans
distinction de mazarins ou de frondeurs, tous ceux qui se présentaient pour
sortir. C'est ainsi que furent égorgés plus de trente notables bourgeois,
parmi lesquels plusieurs membres des cours souveraines. Beaucoup d'autres
furent dépouillés, reçurent les plus sanglants outrages ou des blessures,
dont ils moururent plus tard. Cependant
les archers qui défendaient les barricades, ayant été obligés de les
abandonner faute dei munitions, se dispersèrent, et les bandes des assaillants
pénétrèrent plus nombreuses dans l'hôtel par toutes les issues. Ceux qui s'y
tenaient cachés semblaient tous destinés à la mort. Mais la plupart rachetèrent
leur vie à prix d'argent, car les forcenés jugèrent plus utile et plus humain
de rançonner des gens désarmés et suppliants que de les égorger. Répandus
dans les vastes salles de l'édifice, ils brisèrent les armoires et les
coffres, prirent le linge et la vaisselle d'argent, et le saccagèrent dans
toutes ses parties. Les tapisseries les plus riches arrachées des murs et votées,
la figure de Henri le Grand, représenté à cheval au-dessus de la porte
principale, endommagée' par les balles, les précieux tableaux de la
grand'salle, ceux des bureaux et chambre de la reine percés en divers
endroits de coups d'arquebuse, toutes ces dévastations « devaient tirer des
larmes de sang à tous les bons bourgeois et habitants de Paris, intéressés
qu'ils étaient à la conservation de l'hôtel de ville[2]. » Ces
scènes de meurtre et de pillage se prolongèrent depuis six heures du soir
jusqu'à minuit, sans que les assiégés reçussent le moindre secours du dehors.
Un maître des requêtes, colonel de son quartier, l'intrépide Miron, échappé
par bonheur au massacre, allait réunir sa compagnie pour voler au secours de
ses confrères, lorsqu'il fut assailli par les séditieux et laissé sur la
place, couvert de blessures. Quelques ecclésiastiques déployèrent aussi un
courage animé de la plus ardente charité. Le curé de Saint-Jean, étant
parvenu à sortir, de l'hôtel de ville, se précipita dans soin église, prit le
saint sacrement sur l'autel et le promena plusieurs fois sur la Grève, sans
pouvoir réussir à dissiper la multitude toujours furieuse. Pen-, duit ce
temps-là, Gaston et Condé, enfermés au Luxembourg, écoutaient avec
indifférence le récit de ces tristes événements. Ils refusèrent de retourner
à l'hôtel de ville pour apaiser ce tumulte sanglant, et donnèrent au duc de Beaufort
la charge de travailler au rétablissement de l'ordre. Mlle de Montpensier,
laquelle ce nouveau désastre avait inspiré un mouvement de compassion, se
joignit à Beaufort, afin de réprimer les derniers excès de la populace dont
il avait d'abord excité la fureur. Le duc
et la princesse arrivèrent tard sur le théâtre de ces affreux désordres. La
foule se dispersait par les Tues voisines de la place de Clive, presque
déserte. A la lueur des feux qui brûlaient encore, on distinguait quelques
hommes occupés à reconnaitre et à enlever les morts. La même solitude régnait
dans l'hôtel de ville. Beaufort et Mademoiselle firent éteindre le feu, qui
attaquait déjà les voûtes de l'édifice, et sortir plusieurs membres de
l'assemblée, ecclésiastiques et autres, que les forcenés n'avaient pu
découvrir dans leurs retraites. Le prévôt des marchands parut tranquille et
serein devant la princesse, qui exigea de lui la démission de sa charge et
lui donna une escorte pour le conduire jusqu'à si maison avec son frère ;
maître des comptes, et Labarre, son fils. Les cadavres dont la place était
couverte furent jetés dans la Seine ; les dégâts les plus apparents réparés à
la bâte, et le lendemain le calme matériel sembla rétabli dans la ville ;
quoiqu'il y régnât une consternation générale[3]. La
responsabilité des massacres de-l'hôtel de ville retomba entièrement sur le
prince de Condé. Il avait sans doute réussi au-delà de ses espérances. Mais
il voulut tirer de cette sanglante journée-tons les résultats politiques. Il
se rendit maitre absolu dans la capitale ; où la terreur, inspirée par des
menaces de pillage et par des émeutes sans cesse renaissantes, étouffa toute
résistance. Le 6 juillet, les princes convoquèrent une nouvelle assemblée de
notables, dans l'élection desquels avaient dominé la violence et la fraude.
Aussi les rebelles ne trouvèrent-ils point d'opposition à leurs volontés. Le
vieux Broussel, ce patriarche de la fronde, dont le caractère, mélange
d'activité ardente et de pusillanimité inquiète, n'était pas à la hauteur des
circonstances, fut élu prévôt des marchands, et proclama aussitôt l'union de
la ville avec MM. les princes. Le
surlendemain, Gaston et Condé, fiers de ce nouveau triomphe, se transportèrent
au parlement, dont les bancs étaient à moitié vides, et renouvelèrent la
prétention de se faire déclarer par la compagnie, le premier, lieutenant
général du royaume, et le second, commandant des armées. sous l'autorité du lieutenant général. Mais ils rencontrèrent
une opposition à laquelle ils ne s'attendaient pas. La délibération se
continua quinze jours, 'pendant lesquels ils employèrent les 'promesses' et
les menaces afin de se concilier des partisans. Ils y réussirent, et le 20 un
arrêt du parlement, rendu à la majorité de soixante-quatorze voix contre
soixante-œuf, les investit de l'autorité que leur ambition avait sollicitée
avec ardeur. Au
parlement, les princes se rendirent à la chambre des comptes et à la cour :
des aides, qui reconnurent leurs pouvoirs. Quelques jours après, dans
l'impatience d'exploiter leur brevet d'usurpation ils firent ordonner par le
parlement la convocation d'une assemblée de notables bourgeois. Ils en
obtinrent, l'autorisation de lever jusqu'à la somme de huit cent mille
livres, pour être employée à fortifier les troupes de Son Altesse Royale et à
faire de nouveaux enrôlements dans Paris. Le lieutenant général nomma ensuite
le duc de Beaufort gouverneur de la ville, et se donna les honneurs d'un
conseil composé de princes, de ducs et pairs, de quelques membres du
parlement, de la Chambre des comptes, de la cour des aides et du corps de
Aillai, Le chancelier Séguier accepta la présidence de- ce conseil. La
fronde cherchait ainsi' à se donner une forma régulière, à organiser un
gouvernement prononcé contre l'autorité royale, ayant son centre commun, se
police, ses finances, afin de marcher avec plus d'ordre, de force et de
succès dans les voies de la résistance légale. Mais ce gouvernement de
gentilshommes et de peuple n'avait point de bases solides, et il ne pouvait exister
longtemps. Cette lutte de l'aristocratie contre la royauté qui avait jeté de
profondes racines en France, cette lutte si indigne des grandes guerres
féodales du Moyen âge, était arrivée à son plus bas degré. « L'unique
résultat de la fronde allait être de faire l'éducation politique de Louis
XIV, de balayer les dernières avenues de la monarchie absolue, et
d'introduire la France dans un gouvernement despotique, mais majes0 n'eux
d'ordre, d'harinonie.et d'unité[4]. » Cependant
les Espagnols, obéissant aux pressantes sollicitations des princes, s'étaient
jetés sur la Picardie, et le duc de Lorraine, sorti de France pour remplir
ses promesses, y était rentré au bout de vingt-quatre heures. La cour, effrayée,
avait d'abord songé à se retirer en Normandie et ensuite à Lyon. Turenne,
aussi sage politique, que grand capitaine, l'avait, détournée de ce projet,
et, sur sa proposition, elle avait quitté le poste de Saint-Denis pour aller
s'établir à Pontoise. Le maréchal avait conduit l'armée royale à Compiègne ;
afin d'arrêter les Espagnols dans leur marche surie capitale du royaume. A la
nouvelle du massacre de l'hôtel de ville, la cour entama fies négociations
secrètes avec les bourgeois ; dont les idées. se tournaient vers une
transaction ; et s'efforça de perpétuer l'anarchie parmi les frondeurs. Le
meilleur moyen d'y parvenir était de
frapper de nullité tous les actes de son gouvernement et de rendre ainsi
douteuse l'obéissance à la rébellion. Un arrêt du conseil cassa l'élection du
duc d'Orléans, de Broussel et de Beaufort, et annula toutes délibérations
prises ou à prendre tant au parlement qu'à l'hôtel de ville. Enfin line
déclaration du roi, datée du 31 juillet, transféra le parlement de Paris à
Pontoise, sous la présidence de Molé. Le ô août, le parlement refusa
d'entendre lecture de cette déclaration tant que le cardinal Mazarin serait
en France. Pendant ce temps, quinze des principaux magistrats, animés d'un
vrai zèle pour le salut du royaume et obéissant à la déclaration, se
réunissaient à Pontoise autour du garde des sceaux et enregistraient Pacte
souverain par lequel la justice y était établie (7 août). Cette déclaration porta un
coup terrible à 'la fronde. A la
même époque ; la cour recevait des provinces du royaume des nouvelles plus
satisfaisantes. La sanglante tragédie de l'hôtel de ville n'avait excité dans
les esprits que' des sentiments d'indignation et d'horreur. Tous les
parlements, excepté celui de Bordeaux, presque tous les gouverneurs, dont
Gaston espérait l'appui, refusaient de reconnaitre les pouvoirs que lui avaient
conférés les magistrats de la capitale. De toutes les villes au nord de la
Loire, il n'y avait guère que celles de Paris et d'Orléans qui eussent
accepté l'union avec les princes, et encore leur autorité n'y reposait-elle
que sur la violence. Cette autorité était chaque jour compromise par
l'anarchie, et chaque jour elle perdait de sa force et de sa puissance
d'opinion. Car le parti de M. le prince, composé d'éléments essentiellement
réfractaires, n'était pas un véritable parti politique. Le chef et son
conseil n'étaient guidés par aucune idée générale, et comme la révolte y
égalait tout le monde, Condé ne trouvait pas dans les gentilshommes qui
l'entouraient, dans ses officiers et ses soldats la discipline dont un chef a
toujours besoin. L'orgueil, le plaisir et la cupidité étaient les mobiles des
seigneurs de ce parti, et souvent leurs prétentions rivales causaient
d'affreux scandales. Ainsi, des le premier jour de l’organisation du conseil,
Une querelle s'éleva pour une question de préséance entre les ducs de
Beaufort et de Nemours. Ces deux beaux-frères, depuis longtemps ennemis, et
dans le cœur desquels vivait encore le souvenir des outrages faits et reçus
au faubourg d'Orléans, voulurent en finir par un duel au pistolet, et
Beaufort tua Nemours sur la place : Le lendemain, Condé lui-même, indigné de
l'insolence da comte de Rieux, fils cadet du duc d'Elbeuf, qui osait aussi
disputer la préséance au prince de Tarente, lui donna un soufflet, et le
comte e en fut tellement irrité qu'il, le frappa violemment au visage. Rieux
fut puni par quelques jours de Bastille d'un outrage dont le prince, en toute
autre circonstance, aurait tiré une vengeance plus éclatante. Pendant
que les seigneurs se livraient à des querelles déplorables, que l'anarchie
grandissait au sein de la fronde, la réaction contre les princes et leurs
adhérents s'opérait dans le peuple de Paris, où la ruine du commerce et la
cherté des vivres portaient la misère au -comble. Plus de cinquante mille
habitants avaient abandonné cette ville ; les bourgeois ne sortaient plus de
leurs maisons. Il n'y avait plus ni police, ni frein, ni subordination : les
soldats des princes ravageaient tous les villages de la banlieue et vendaient
publiquement le butin dans leur camp. A l'estime et à l'affection dont le
prince avait joui succédait la haine. Paris, se dégoûtait d'une alliance qui
ne faisait -qu'accroître ses charges et diminuer ses ressources. Le parti de
la modération reprenait le dessus, et ceux qui avaient- d'abord approuvé les
funestes événements du 4 juillet ne trouvaient plus d'expressions assez
fortes pour en flétrir les auteurs. Informé
de l'état de Paris, et convaincu que- sa retraite précipiterait la ruine de
ses ennemis en épargnant à la royauté un traité avec les rebelles et des
concessions trop avantageuses à la bourgeoisie, le cardinal Mazarin pria
instamment le roi de lui permettre de sortir du royaume. Louis ne consentit
qu'avec peine à l'éloignement de son fidèle ministre. Le cardinal partit le
19 août, après avoir reçu les adieux du conseil, s'achemina lentement vers la
frontière et s'arrêta à Bouillon, d'où H continua de gouverner le royaume. Le
même jour, la cour se rendit à Compiègne, et l'armée royale se porta sur
Dammartin, afin d'observer le duc de Lorraine, qui était alors en Champagne. A la
nouvelle du départ de Mazarin, la satisfaction fut grande à Patis ; la
continuation de la guerre sembla désormais sans prétexte, et tous les
habitants parlèrent ouvertement de soumission au roi. Le chancelier abandonna
la présidence du conseil des princes et courut à Compiègne. Le parlement et
l'assemblée générale de la ville, n'aspirant qu’à la paix, décidèrent d'envoyer
des députés au roi. Condé tenta un dernier effort malgré la vigilance de
Turenne, il joignit près d'Ablon le duc de Lorraine, qui s'avançait à marches
forcées, et les deux armées réunies formèrent vingt --mille hommes, avec
lesquels il voulut essayer de frapper un coup décisif. Mais le maréchal
s'établit dans une position si favorable à Villeneuve-Saint-Georges, que les
ennemis n'osèrent l'assaillir, et qu'il les tint en échec plus d'un mois.
Pendant ce temps-là, on continua les négociations déjà entamées pour obtenir
la paix. Depuis
la retraite du ministre, -les vœux les plus empressés des Parisiens étaient
de voir leur jeune monarque revenir au milieu d'eux. Témoin de ces
dispositions, le coadjuteur, depuis trois mois étranger aux affaires et
détestant les violences des partisans de Condé, crut qu'il pouvait se donner
l'honneur du retour, et que cet éclatant service effacerait ses fautes
passées et adoucirait les ressentiments de la cour. Dans une conférence avec
Gaston, l'archevêque lui fit connaître la décadence de son parti ; il lui dit
qu'il n'y avait plus rien à espérer, malgré les secours du- duc de Lorraine,
et lui conseilla de faire sa soumission an roi. Le duc d'Orléans, excédé de
travail et de soucis, et découragé par la mort récente de son fils unique,
résolut d'abandonner son rôle d'usurpateur malgré lui, et remit-ses intérêts
entre les mains du coadjuteur, qui partit à la tête d'une nombreuse
députation du clergé parisien (12 septembre). Arrivé à Compiègne, il y reçut
d'abord des mains du roi le chapeau rouge, depuis si longtemps l'objet de son
ambition. Ensuite, admis en présence de Leurs Majestés, il prononça une
harangue pleine de sentiments élevés, parla des malheurs et des fautes de la
ville de Paris, et supplia le roi de la pacifier par sa présence. La cour
accueillit convenablement le clergé et son orateur ; mais le nouveau cardinal
échoua dans la négociation secrète dont l'avait chargé Gaston, et il ne put
lui rapporter une réponse favorable : Louis ne voulait plus ni ménagements,
ni concessions. Pendant
les négociations, les agents de la cour essayaient d'attacher à ses intérêts
le peuple et les bourgeois. Leurs efforts obtinrent un succès toujours
croissant. Les artisans attroupés dans les places publiques demandèrent à
grands cris le retour. du -roi, Bientôt les royalistes ne craignirent point
de se montrer, et d'arborer comme insigne un papier blanc au chapeau, pour
défier la paille, marque distinctive des partisans des princes. Les frondeurs
perdirent courage : Broussel donna sa démission de la prévôté des marchands,
et quelques jours après le duc de Beaufort, à la prière du parlement, déposa
la charge de gouverneur de Paris. Quant à Condé, que Turenne avait empêché de
frapper le coup qu'il méditait, il s'efforça encore de traiter avec la cour.
Ses tentatives fuient inutiles : il voulut réveiller l'ardeur des Parisiens ;
mais il n'en reçut que des injures et des insultes. Chaque jour il craignait
d'être livré à ses ennemis ou de se voir forcé de mettre la ville en feu pour
se défendre. Alors, le désespoir dans le cœur, il se jeta aux bras des
Espagnols pour échapper aux vengeances royales, et suivit le duc de Lorraine
en Champagne (13 octobre). Le
départ de Condé faisait disparaître tous les obstacles sérieux qui pouvaient
encore exister entre la cour et Paris : le roi, devant lequel n'avaient point
été admises les députations du parlement et du corps de ville, reçut avec
bienveillance à Saint-Germain, où il venait d'arriver, les syndics des six
corps des marchands et les nombreux députés de la milice parisienne (18 octobre). Après les avoir comblés de
caresses, il leur annonça qu'il prenait en pitié l'impatience de ses fidèles
sujets, et que dans trois jours il serait au Louvre. Ils revinrent pleins de
joie, ramenant en triomphe le maréchal, de L'Hôpital et les magistrats
réintégrés, et proclamant la nouvelle du prochain retour de Leurs Majestés
dans la capitale. On fit alors tous les préparatifs nécessaires pour leur
réception solennelle. Au milieu de l'enthousiasme général, le duc -d'Orléans,
effrayé du silence du roi à son égard, ne put, cependant se décider ni à lui
disputer l'entrée de Paris, ni à sortir de cette ville où sa dictature,
quelque temps souveraine et maintenant brisée, inspirait plus de pitié que de
crainte ; il resta dans le Luxembourg. Le 21
octobre, le roi et la reine partirent de Saint-Germain le matin, escortés par
le maréchal de Turenne. Ils s'arrêtèrent au bois de Boulogne, d'où le jeune
monarque envoya un, gentilhomme à son oncle, qui se flattait encore que la
cour lui témoignerait des égards, pour lui signifier l'ordre de quitter la
capitale. Il n'obtint qu'avec peine la permission de passer encore une nuit
au Luxembourg. Le soir était venu quand Leurs Majestés, suivies d'une cour
brillante, entrèrent 'à Paris, au milieu des acclamations du peuple, dont la
joie éclatait en transports difficiles à dépeindre. Elles descendirent au
Louvre, moins exposé que le Palais-Royal aux orages populaires. Elles y
reçurent les hommages d'un grand nombre de seigneurs qui, peu de jours
auparavant, prodiguaient leur encens aux princes rebelles, et les
félicitations du cardinal de Retz, à la tête de son clergé. La reine
accueillit le prélat avec plaisir ; elle dit à son fils de l'embrasser «
comme celui à qui il devait particulièrement son retour à Paris. » Ce
qui ne l'empêcha pas, selon Joly, d'aller au sortir du Louvre conseiller à
Gaston de se mettre en défense, et de ne pas se laisser opprimer par la
puissance royale. Le soir même Louvières, fils du conseiller Broussel, rendit
la Bastille, sur la menace qu'on le ferait pendre dans les fossés s'il se
laissait assiéger. Le duc
d'Orléans obéit le lendemain matin aux ordres du roi ; il abandonna Paris
avec les ducs de Beaufort, de Rohan et quelques autres seigneurs de son
parti, et s'arrêta quelques jours à Limoux. Le duc d'Anville, envoyé du roi,
et tous les ministres s'y rendirent pour faire quelque accord avec lui. Comme
on voulait y comprendre le cardinal Mazarin, il s'y refusa. Il fut donc
simplement arrêté qu'il se retirerait à Blois, et qu'il rappellerait ses
troupes de l'armée de Condé, afin de les unir à celles du roi, à condition
toutefois qu'elles ne serviraient pas aussitôt contre le prince-, dont il
avait longtemps partagé la fortune. Il partit ensuite pour Blois, où il se
reposa de ses fâcheuses sollicitudes, et fut bientôt désabusé des vaines
fantaisies de la grandeur et de l'ambition., Mademoiselle demeura cachée un
jour dans Paris, puis elle en sortit pour aller à Saint-Fargeau regretter
toutes ses peines, aussi mal payées qu'elles avaient été peu méritoires, et
peu agréables à celui qui en avait été la cause[5]. » Le duc
d'Orléans avait à peine quitté la capitale, que le roi tint au Louvre un lit
de justice où il parut environné de tout l'éclat de la majesté royale. A ses
côtés marchaient le duc de Vendôme et le duc Henri de Guise, le héros de
Naples et le prisonnier de Madrid ; il était précédé d'une garde formidable
et suivi d'un brillant cortége d'autres ducs, pairs, maréchaux de France et
officiers de la couronne. Les membres du parlement restés à Paris avaient été
convoqués individuellement au Louvre, à l'exception du vieux Broussel et de
dix autres magistrats, que leur rôle pendant les troubles désignait à la
vengeance royale. lis y trouvèrent leurs collègues de Pontoise, contre
lesquels ils avaient souvent guerroyé à coups d'arrêts, et tous ensemble
prirent séance pour enregistrer l'édit d'amnistie. Après
la vérification des lettres patentes qui transféraient de nouveau le
parlement à Paris, le chancelier lut au milieu d'un morne silence une
déclaration nouvelle qui dérogeait à l'édit d'amnistie. Elle bannissait de
Paris avec défense expresse d'y rentrer sans permission de Sa Majesté ; les
ducs de Beaufort, de la Rochefoucault et de Rohan, les onze membres du parlement
que le roi n'avait point appelés au lit de justice, le président Perault, de
la chambre des comptes, les serviteurs des princes et princesses de Condé, de
Conti, de Longueville ; les femmes, les enfants, les domestiques des
officiers employés dans les troupes du prince de Condé ou dans les places qui
tenaient pour lui en Guienne, en Bourgogne et ailleurs. Défenses étaient
faites à. tous officiers des cours souveraines « d'avoir désormais
habitude ni fréquentation avec les princes et les grands de l'État, d'en
recevoir pension et de prendre soin de leurs affaires. » Enfin la déclaration
interdisait au parlement, à peine de désobéissance, toute délibération sur
les affaires générales de l'État et la direction des finances, et toute
entreprise contre ceux qui en auraient l'administration. La compagnie n'osa
point élever la voix contre cette déclaration ; les bannis obéirent sans que
leur châtiment excitât la moindre émotion parmi le peuple. La monarchie
absolue avait donné son règlement : Mazarin pouvait revenir. La
ruine politique du parlement de Paris, dit M. H. Martin, fut consommée
l'anniversaire même du jour où, quatre ans auparavant, avait été rédigée la
fameuse déclaration publiée le 24 octobre 1648. La déclaration d'octobre, que
les historiens modernes ont présentée comme une espèce de charte
constitutionnelle, avait si peu explicitement défini les droits du parlement,
que la cour n'eut pas besoin de la révoquer. - Dans
cet intervalle de quatre années, la capitale et les trois quarts du royaume
avaient été désolés par la guerre civile. La France avait reçu de profondes blessures,
et son affaiblissement- accidentel avait inspiré à l'Espagne l'idée 'de
rassembler les débris 'de' SM ancienne vigueur pour accabler sa rivale. La
France, devenue si forte et si grande sous la main de Richelieu ; avait perdu
son unité au dedans et soif influence au dehors. Au milieu de ces dissensions
intestines, de la ruine du commerce 'et de l'épuisement des ressources.
publiques, la misère des particuliers avait fait des progrès effrayants. «
Dans ce chaos stérile de Mutineries obstinées, de préventions aveugles ;
d'ambitions tracassières et de spéculations à courte vue, tous le corps
avaient été abaissés, tous les hommes
s'étaient amoindris, le peu qu'on avait de maximes et 'd'exemples pour
remplacer ce que nous appelons des institutions était tombé en discrédit, et,
de la funeste expérience- qu'on avait faite, de cette vaine tentative qui
avait causé-tant de ruines, on était ramené tout naturelle.- ment à chercher
son salut dans la seule royauté, restée debout malgré tant de meurtrissures[6]. » Au
milieu de la soumission générale, le cardinal de Retz, le seul personnage des
'derniers troubles qui n'eût point quitté Paris, causait encore de vives
inquiétudes à la cour par ses nombreuses 'liaisons de plaisir et d'intrigues.
Anne d'Autriche comprit après diverses tentatives qu'il lui serait impossible
de rappeler Mazarin et d'assurer la tranquillité -de son ministère, tant que
l'ancien chef de la fronde resterait sur le théâtre si longtemps rempli de
son nom. Elle lui offrit la direction des affaires de. France à Rome pendant
trois ans, cent mille écus, pour' le paiement de ses dettes y cinquante mille
autre pour ameublement et le revenu nécessaire au rang qu'il devait occuper.
Le coadjuteur ne rejeta pas positivement cette proposition ; mais, sous
prétexte de fidélité à l'égard de ses amis, il voulut qu'on les satisfît tous
en même temps, et demanda pour celui-ci un gouvernement, pour celui-là un
brevet de duc et pair, pour d'autres encore des places 'et des abbayes. Comme
la cour, paraissait peu disposée à se laisser imposer des conditions, il se
crut en état de l'intimider et de se faire acheter plus chèrement. Il reprit
ses anciennes allures, et se fit accompagner d'une escorte nombreuse de
gentilshommes. Allait-il au Louvre ? il y portait un orgueil démesuré, un air
d'insolence insupportable. Il cessa bientôt tonte visite, chez la reine, et
se mit à négocier avec Condé. Ses prédications, ses parties de plaisir, ses
prétentions et son attitude hostile réveillèrent les sentiments de vengeance
de la cour. Le conseil donna l'ordre de l'arrêter, et même de l'attaquer à
main armée en cas de résistance, Un jour
qu'il s'était relâché de ses précautions, il vint au Louvre pour rendre ses
devoirs à Leurs Majestés. Averti de son arrivée par l'abbé Fouquet, le roi
descendit chez la reine sa mère, et rencontrant un prélat, il sut se
contenir, lui fit bon visage, et lui demanda s'il avait vu la reine. Sur la
repense négative du cardinal, il l'engagea amicalement à le suivre, et donna
en même temps de nouveaux ordres au marquis de Villequier, capitaine de ses
gardes, pour se saisir de sa personne : Il fut arrêté aussitôt qu'il sortit
de chez Anne d'Autriche, dans l'antichambre même, et conduit le soir au
château de Vincennes, sans que le peuple fût ému de cet étrange dénouement (19 décembre). Le chapitre de Notre-Dame et
les curés de la ville, sur lesquels il exerçait une immense influence,
l'université, les évêques alors présents à Paris et le nonce du pape,
adressèrent au roi d'inutiles remontrances. Retz demeura prisonnier. La
carrière politique du 'principal auteur de la fronde était finie[7] ! Pendant
que le turbulent Gondi était en proie dans la solitude de Vincennes à tous
les tourments que peut souffrir un ambitieux enchaîné par son rival,
l'heureux Mazarin se promenait sur la frontière au milieu des armées
françaises encouragées par sa présence, et jouissait de l'honneur du succès
que les généraux s'empressaient de lui déférer. Il était resté peu de jours à
Bouillon, s'était ensuite réfugié à Sedan, sur terre française,. tandis que
ses agents levaient pour lui des soldats dans le pays de Liège. Le jour où
Condé recevait au nom de Philippe IV le bâton de généralissime des armées
espagnoles, Mazarin passait la Meuse « à la tête de quatre mille hommes les
mieux faits, » et le 17 décembre il rejoignait Turenne devant Bar. Après
avoir été deux fois témoin de la retraite du prince transfuge, avoir
bravement achevé la campagne sous la bannière de son redoutable adversaire,
et s'être ainsi préparé un glorieux retour, le ministre partit de Laon pour
se rendre à Paris. Il était accompagné du maréchal de Turenne et des principaux
officiers de l'armée. Le roi, par une des plus rudes journées de l'hiver,
alla au-devant de lui jusqu'au Bourget, et le ramena dans son carrosse au
Louvre (3
février 1653) : Il
y fut logé et traité avec une magnificence royale, ainsi que nos trois
nièces, accompagnées à leur rentrée dans la ville par la princesse de
Carignan. Le soir, un feu d'artifice illumina les rives de la Seine en son
honneur et excita les acclamations du peuple. Sa rentrée victorieuse dans la
capitale, après deux ans d'exil, n'excita contre lui aucun murmure. Au milieu
de l'affaissement politique, il n'y eut que des honneurs et des servilités
pour le ministre autrefois déchiré par de sanglants libelles et proscrit par
d'atroces mesures. Le passé semblait avoir fui avec la rapidité d'un songe ;
la France entière tomba aux genoux de Mazarin. Les Parisiens rivalisèrent de
zèle avec les principaux personnages de la cour, afin de lui' faire oublier
leurs insultes excessives. Ils lui offrirent un banquet magnifique dans ce
même hôtel de- ville qui avait servi de théâtre aux horribles exploits de ses
ennemis, et lui prodiguèrent presque tous les honneurs réservés jusque alors
au souverain[8]. Dès les
premiers jours Mazarin parut d'ailleurs plus soigneux qu'autrefois de se
concilier l'opinion publique. L'historien Aubery dit qu'il rétablit les
pensions des gens de lettres, auxquels on paya sur-le-champ ce qui leur était
dû, et qu'il fit solder aux rentiers les deux quartiers et demi qui leur
avaient été promis. Il s'occupa ensuite de pourvoir à l'administration des
finances, dont le vieux surintendant, le marquis de la Vieuville, récemment
nommé duc, était mort le 2 janvier. Il confia cette charge en commun au comte
Servien et au procureur-général Nicolas Fouquet, dont le frère, l'abbé
Fouquet, avait été son principal agent pendant ces dernières années. Le sieur
de Lionne fut rappelé à la cour, et le duc de Guise entra au conseil d'État
avec le maréchal de Grammont et le vicomte de Turenne, à qui ses importants
services donnaient une influence qui allait toujours croissant. Les édits
burgaux que le ministre présenta ensuite au parlement sous le prétexte de
fournir aux dépenses de la guerre, furent enregistrés sans aucune difficulté,
malgré la déclaration da 24 octobre 1648. On dit que Mazarin, voyant cette
inconstance de la nation, se confirma dans le mépris qu'il avait déjà conçu
pour elle. La docilité dont elle fit preuve lui inspira l'idée de la piller'
sans scrupule, de refaire. sa maison entièrement dépouillée par une
imprévoyante ostentation de magnificence et par ses deux années d'exil, et d'entasser
des richesses afin de se préparer un avenir assuré contre les coups de la
mauvaise fortuné. Depuis
la soumission de la capitale du royaume, le foyer des troubles" s'était
concentré à Bordeaux ; mais déjà il commençait à manquer d'aliments et
d'hommes capables d'attiser le feu et de propagé l'incendie. La faction qui
dominait dans cette ville perdait toutes ses forces par la mésintelligence du
prince de Conti et de la duchesse de Longueville mésintelligence que
fomentaient leurs conseillers et leurs serviteurs intéressés à traiter avec
la cour et Mazarin lui-même, disposé à accorder des préférences. La discorde
et le découragement finirent par se glisser dans le sein de l'Ormée, contre
laquelle s'élevaient le parlement de Bordeaux et la jeunesse bourgeoise.
Enfin la grande cité, pressée par l'armée royale aux ordres du duc de
Caudale, que secondait l'escadre de l'amiral duc de Vendôme, entrée dans la
rivière, et dont faisait partie l'intrépide Duquesne, fit sa soumission après
la prise des forts de Bourg et de Libourne. La cour
imposa les conditions qu'elle voulut. La princesse de Condé et le petit duc
d'Enghien durent recevoir des passeports pour aller rejoindre le prince
rebelle sur la terre étrangère avec Lenet, Marsin et une partie de leurs
troupes. Conti et Mme de Longueville restèrent en France ; mais on leur
assigna des retraites paisibles et éloignées de la cour, jusqu'à ce que leur
bonne conduite permît de les y rappeler. Les généraux du roi promirent une
amnistie générale et la confirmation des privilèges de la ville. Le lendemain
du départ de Conti, des princesses et de leurs adhérents, les ducs de Vendôme
et de Caudale y firent leur entrée (3 août 1653). Plus de trois cents Ormistes
furent exilés de Bordeaux, qu'ils avaient jadis rempli de terreur, et le roi
excepta de l'amnistie six bourgeois qui s'étaient signalés dans les troubles.
Parmi eux se trouvaient les deux chefs des séditieux, Villars et Dureteste. Le
dernier mourut sur l'échafaud ; il fut roué vif, et ensuite sa tête fut
exposée au haut des arbres de l'Ormée[9]. Cet
heureux résultat mettait fin aux troubles intérieurs ; la fronde avait joué
son rôle. La France était pacifiée. La
vengeance royale ne crut pas non plus devoir laisser impunie, à la face de
l'univers, la rébellion de Condé, Ce même parlement de Paris, dont beaucoup
de membres s'étaient rendus ses complices dans la guerre civile, travailla au
procès du prince ennemi-de son pays, procès de haute trahison que les
déclarations royales tenaient depuis quelque temps suspendu sur hl tête du
coupable. Le jeune monarque y assista avec un grand nombre de ducs et paire ;
et le 27 mais, dans un lit de justice, Condé fut déclaré « convaincu dei
crimes de lèse-majesté et félonie ; comme tel, déchu du nom de Bourbon, et
condamné à recevoir la mort en la forme qu'il plairait au roi. » Privé
de tout point d'appui dans le royaume et abandonné de tous ses amis, le
prince 'persista dans la révolte et ses implacables vengeances ; il ne rentra
en France qu'après lapais des Pyrénées, qui- désarma son courroux. Par les
importants et glorieux services qu'il rendit depuis à la France et par sa
fidélité désormais inviolable à l'égard de son roi, le-prince fit oublier ses
anciennes fautes. Entre tous les personnages qui figurèrent dans cette
bizarre guerre de- la fronde, il fut presque le seul qui conservât l'estime
publique. Le duc d'Orléans termina sa carrière à Blois dans l'inertie et
l'obscurité pour laquelle il semblait né. Mlle de Montpensier, sa fille, mena
longtemps une vie errante _dans ses châteaux. Après avoir aspiré à la main de
presque tous les souverains de l'Europe, elle se trouvera heureuse d'acheter
par le sacrifice d'une partie de ses grands, biens là permission d'épouser un
simple gentilhomme, le comte de Lauzun, capitaine des gardes du corps et
colonel général des dragons, qu'elle trouvera indiscret, infidèle, ingrat, et
qui méprisera en elle une femme bizarre emportée et jalouse. Le
prince de Conti fit sa paix en épousant une des nièces du ministre. Anne-Marie
Martinozzi, qui joignait à l'éclat de la fortune et de la beauté une grande
douceur de caractère, beaucoup d'esprit et de raison, qualités embellies chez
elle par une rare piété. Dans cotte union et dans la vie privée, il trouva le
bonheur qu'il avait inutilement cherché au milieu du tumulte de la vie
politique. La fameuse duchesse de Longueville, retirée à Moulins, dans le
couvent des filles de Sainte-Marie, auprès de Mme de Montmorency sa tante,
édifia par les pratiques de plus haute vertu la France qu'elle avait
autrefois scandalisée par ses intrigues, de. tout genre. Mais, pour avoir le
plaisir de n'être pas du même parti que la cour, elle embrassa la querelle
des jansénistes contre les jésuites. Le duc
de la Rochefoucault, dans lequel les contemporains reconnaissaient une raison
supérieure, une probité sévère, un esprit conciliant et observateur, renonça
pour toujours à des intrigues où le bien public n'était tout au plus qu'un
prétexte ; où chaque individu ne portait que ses passions et ses vues
particulières, sans donner une pensée à l'intérêt général. Ramené par son caractère
à la vie privée, il sut jouir des charmes de l'esprit et des plaisirs de l’amitié.
S'il faut en croire Mme de Sévigné, sa maison devint le rendez-vous de tout
ce qu'il y avait de plus distingué à la cour et à la ville par le nom,
l'esprit, les talents et la politesse. C'est au milieu de cette société d'élite
qu'il composa ses Mémoires et ses Réflexions morales. Le duc de
Beaufort a renoncé de bonne foi à la royauté des halles et à la souveraineté
de la rue Quincampoix. Désormais sujet soumis, courtisan docile et vaillant animal
de Louis XIV, il châtiera les pirates de la Méditerranée, conduira une troupe
de volontaires au secours de Candie, le dernier boulevard maritime de la
chrétienté contre les Ottomans, et trouvera une mort honorable sur la brèche
de la Canée. Le
cardinal de Retz, dont la prison de Vincennes n'avait pas brisé le caractère,
fut transféré au château de Nantes, d'où il s'évada. Après avoir traîné une
vie errante dans les pays étrangers, il rentra en France, et refusa â la
toute - puissance du ministre et aux sollicitations du roi la démission de
l'archevêché de Paris, que lui avait laissé la mort de son "oncle. Mais
après la mort de Mazarin, que, suivant l'expression de Bossuet, il avait.
toujours menacé dans son exil de ses tristes et intrépides regards, il
échangera son archevêché pour' l'abbaye de Saint- Denis. Dans cette
tranquille retraite il tâchera d'expier les erreurs de sa vie passée, soit en
payant, à l'aide d'une sage économie, les dettes immenses qu'il avait
contractées pendant les troubles, soit en passant le reste de ses jours au
milieu des exercices d'une piété sincère. Son humeur paisible, sa modération,
son exactitude à tous ses devoirs lui mériteront plus d'une fois, comme au
duc de la Rochefoucault, les éloges de Mme de Sévigné, et il mourra, regretté
de ses amis, de ses serviteurs et des pauvres. Quant à
Mazarin, que les héros et les héroïnes de la fronde' avaient poursuivi de
toute leur haine, après avoir triomphé des obstacles intérieurs, il dirigea
son infatigable activité vers la politique étrangère. Il empêcha une alliance
dangereuse entre l'Angleterre et l'Espagne, et continua avec une nouvelle
vigueur contre cette dernière puissance la guerre que le génie de Condé lui
permit de soutenir quelques- années encore. Cette guerre fut néanmoins
heureuse pour la France ; jamais ses succès ne furent plus rapides, ni ses
victoires plus nombreuses. Effrayée de ses défaites et de ses pertes,
l'Espagne demanda enfin à traiter avec sa rivale, et le ministre lui imposa
la paix des Pyrénées, qui plaça la France à !a tête des nations de l'Europe
et acheva de réaliser les projets de ses deux grands génies politiques, Henri
1V et Richelieu. Cette paix, le chef-d'œuvre du cardinal italien, ferma
glorieusement sa carrière : il mourut trois ans après, au comble des honneurs
et dans la maturité de la puissance humaine, mais épuisé par ses derniers
travaux, et avec la conscience d'avoir justifié cette parole, que « si son
langage n'était pas français, son cœur l'était. » Comme Richelieu, son maitre
et son protecteur, il avait régné dix-huit ans ; et jusqu'à la fin il avait
exercé sur le jeune monarque un ascendant paternel. Il
laissa des trésors immenses, environ cent millions de notre monnaie, qu'il
amassa pendant une administration traversée par deux proscriptions. Cette
énorme fortune le retenait à la vie par des attaches plus fortes que celles
des grands cœurs, par les nombreux liens du possesseur vulgaire. On peut donc
lui reprocher avec raison un peu de faiblesse dans quelques circonstances, et
surtout sa honteuse avidité ; mais il ne faut pas regarder comme un homme
médiocre et un ministre inhabile celui qui, au milieu des dissensions civiles
et des conspirations de tous les partis contre sa puissance, assura la paix
de l'Europe et la grandeur de la France, qui prévit ce que serait le grand
rot' et devina Colbert. Après
avoir anéanti l'influence politique des héros de la fronde, Mazarin s'efforça
d'enlever à Paris ses moyens de résistance. Les milices bourgeoises furent
abolies et ses chaînes brisées ; on lui imposa une garnison royale, et
magistrats royaux remplacèrent les magistrats élus par l'autorité populaire.
Le gouvernement de la Bastille, ce grand symbole de l'obéissance el de
l'autorité dans cette turbulente cité, fut confié à un officier de la maison
du roi. Louis XIV, dont l'autorité alla toujours croissant, considéra
toujours l'époque de la fronde comme une époque de sinistre mémoire. Pendant
toute sa vie il en poursuivit les auteurs et les souvenirs avec une
implacable rigueur. Paris, le parlement, Condé et les pamphlétaires ne
trouvèrent point grâce devant le grand roi ; tous se ressentirent des effets
de sa vengeance. Les registres du parlement ainsi que ceux de l'hôtel de
ville furent lacérés et brûlés ignominieusement par la main du bourreau. Ainsi
se terminèrent les désordres de la fronde. Sans but déterminé, elle avait eu
pour prétexte le mauvais gouvernement de Mazarin ; elle eut pour résultat
immédiat d'étendre la puissance de ce ministre, et pour résultat éloigné,
l'établissement de l'autorité royale absolue. « Cette autorité, dit Ancillon,
ne fut pas toujours tutélaire et protectrice, et prévint, brisa ou punit les
résistances sages, utiles et légales qu'elle rencontra dans sa marche. Il
faut en accuser la fronde. Louis XIV fut frappé, dans sa première jeunesse,
d'une résistance illégale qui avait tous les caractères de l'insurrection, et
qui menaçait la France des plus grands malheurs : les impressions profondes
que ce spectacle fit sur son jeune cœur ardent et fier, y développèrent un penchant
secret au despotisme ; et ce fut la vue de la licence du peuple qui lui fit
craindre la liberté. » FIN DE L'OUVRAGE
|
[1]
Mémoires de Mlle de Montpensier. — Mémoires de Courart. — Mémoires
de Mme de Motteville.
[2]
Registres de l'Hôtel-de-Ville, col. n° XXXVII.
[3]
Registres de l'Hôtel-de-Ville. — Mémoires de Courart. — Mémoires
de Talon — Mémoires de Mlle de Montpensier.
[4]
Théophile Lavallée, Histoire des Français, t. III.
[5]
Mémoire de Mme de Motteville.
[6]
Basin, Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin.
[7]
Mémoires de Joly. — Mémoires de Retz.
[8]
Omer Talon, t. VIII, IIe partie.
[9]
Mémoire de Montglat. — Lenet, t. I, p. 560. — Nemours, p. 140.