Louis XIV déclaré
majeur. - Nouvelle composition du conseil. - Condé se retire à Bordeaux et
commence la guerre civile. - La cour quitte Paris, marche sur Bourges et
s'établit ensuite à Poitiers. - Opérations militaires du comte d'Harcourt. -
Déclaration contre les princes. - Émeute à Paris. - Préparatifs de Mazarin
pour son retour. - Arrêts du parlement contre le cardinal. - Position du
coadjuteur. - Tiers parti. - Entrée de Mazarin en France. - Sa tête est mise
à prix. - Conseiller du parlement pris par le maréchal d'Hocquincourt. -
Nouveaux 'arrêts. - Alliance de Gaston avec Condé. - Le coadjuteur cardinal.
- Mazarin arrive à Poitiers. - Châteauneuf quitte le ministère. - Turenne
offre ses services au roi. - Capitulation du duc de Rohan-Chabot. Mlle de
Montpensier entre dans Orléans. - Combat de Gergeau. - Querelle entre les
ducs de Nemours et de Beaufort. - Condé arrive de Guienne. - Combat de
Bléneau. - Condé à Paris.
Parvenu
au premier jour de sa quatorzième année, le 5 septembre 1641, Louis XIV,
d'après l'ordonnance de Charles V, passait de la tutelle de sa mère au plein
exercice de l'autorité souveraine. Aussi Anne d'Autriche s'empressa-t-elle
d'annoncer que désormais son fils gouvernerait par lui-même. Elle prit toutes
les dispositions nécessaires afin de proclamer la majorité avec toute la
magnificence propre à concilier au jeune monarque le respect et l'obéissance
de ses sujets, Le 7 du même mois, le royal adolescent se rendit au parlement
pour y tenir son lit de justice, au milieu d'un brillant cortége de princes
et de seigneurs, des officiers de la couronne et des maréchaux de France. Le
peuple répandu sur son passage l'accueillit par des acclamations unanimes, et
ne put se lasser d'admirer l'adresse avec laquelle il manœuvrait son cheval
et la dignité qui régnait dans toute sa personne. Il annonça de lui-même aux
magistrats que, suivant les lois de son État, il en voulait prendre lui-même
le gouvernement, et espérait de la bonté de Dieu que ce serait avec piété et
justice. Le
chancelier Séguier fit ensuite connaître plus particulièrement les intentions
de Sa Majesté. Dans sa harangue, il rappela les vertus et les exploits du feu
roi Louis XIII, dont le souvenir avait été effacé par les exploits et les
vertus plus grandes de la régente, et annonça les futures merveilles du
nouveau règne. Anne d'Autriche, s'approchant ensuite du trône, remit à son
fils la puissance royale, et le roi, après l'avoir remerciée des soins
qu'elle avait donnés à son éducation ainsi qu'à l'administration de son
royaume, la pria de lui continuer ses bons avis. Lorsque
les princes du sang, les autres princes, les pairs laïques 'et
ecclésiastiques, tous les officiers de la couronne et les autres seigneurs
eurent rendu leur hommage au roi, le premier président prononça un discours
dans lequel il combla d'éloges « la sage conduite de la reine pendant sa
régence et ses royales 'vertus, dont elle avait composé un auguste modèle à
Sa Majesté. » Puis, sur l'ordre du chancelier, on ouvrit les portes, afin de
laisser entrer le peuple ; et pour inaugurer pieusement la majorité, le
greffier lut deux édits, l'un contre les blasphémateurs, l'autre contre les
duels, le plus violent qu'on eût encore vu. Dans ce lit de justice, Louis
XIV, par une déclaration revêtue de toutes les formes, reconnut
solennellement l'innocence du prince de Condé. Le soir
même, le roi distribua des grâces aux seigneurs de son parti et annonça aux
courtisans la nouvelle composition de son conseil. Le patriarche des
frondeurs, le marquis de Châteauneuf, qu'il paraissait important de rattacher
aux intérêts de la cour, était appelé à la principale direction des affaires
; les sceaux étaient rendus au premier président, assez ferme pour soutenir
l'autorité royale contre M. le prince ; à la prière de la princesse palatine,
on avait donné la surintendance des finances au vieux marquis de la
Vieuville, qui, vingt-sept ans auparavant, avait introduit dans le cabinet le
cardinal de Richelieu, par lequel il avait été ensuite dépossédé et enfin
proscrit. Ce dernier ministre payait largement sa rentrée aux affaires en
fournissant au cardinal de Mazarin, alors dans la détresse à Brühl, une somme
de quatre cent mille livres dont une partie fut laissée à la reine. La cour
attendait avec anxiété ce qu'allait faire Condé, qui n'était point venu
rendre ses devoirs au roi et qui, dans une lettre remise par Conti à la
reine, avait présenté comme motif de son absence les calomnies de ses
ennemis. Le prince ne revint pas. En quittant Paris, il était allé joindre le
duc de Longueville à Trie. Après l'avoir vainement sollicité de se déclarer
en sa faveur, il était revenu à Chantilly, où, dans un conseil auquel
assistèrent ses principaux adhérents, la guerre civile fut résolue. Condé
partit ensuite pour le Berri, un de ses gouvernements, avec tous ceux qui
consentaient à suivre sa fortune, c'est-à-dire son frère et les ducs de
Nemours et de la Rochefoucault. Il espérait trouver des alliés nouveaux au
midi de la Loire ; il en avait besoin, car plusieurs des anciens lui
faisaient défaut. Outre le duc de Longueville, le maréchal de Turenne et le
duc de Bouillon, son frère, refusaient d'embrasser son Le
prince s'arrêta un jour entier au château du président Pérault, â
Augerville-la-Rivière en Gâtinais. Là, il attendit impatiemment une lettre de
Gaston, entre les mains duquel il avait remis ses intérêts, et qui pouvait le
ramener en lui annonçant de la part du conseil des conditions raisonnables.
Le courrier chargé du message, se trompant d'adresse, alla chercher le prince
à Angerville près d'Étampes. S'il faut ajouter foi au récit du coadjuteur, le
duc d'Orléans, « ravi de lui voir prendre le parti de l'éloignement, aurait
dépêché le courrier, trop tard. » Quoi qu'il en soit, Condé, fort irrité de
la négligence de son cousin, continua sa route jusqu'à Bourges. Il y fut
atteint par l'envoyé de Gaston, le sieur de Croissy, conseiller au parlement,
qui lui exposa les conditions dont il était porteur. La reine lui proposait
de demeurer en repos dans son gouvernement de Guienne, jusqu'à ce qu'on eût
assemblé dans un lieu voisin de la capitale les états généraux ajournés par
le fait. Condé
ne voulut point donner une réponse décisive sans avoir consulté les chefs de
son parti. Il se rendit aussitôt à Montrond, et l'affaire fut librement
débattue dans un conseil où se trouvèrent la princesse son épouse, la
duchesse de Longueville, les ducs de Nemours, de la Rochefoucault et le
président Viole. Ses amis, dont le plus grand nombre désirait la guerre par
des vues particulières, l'excitèrent à ne pas se laisser amuser et à
rechercher le pouvoir uniquement dans l'épée des gentilshommes dévoués à sa
cause. Ils lui montrèrent les provinces méridionales-de la France prêtes à se
déclarer en sa faveur, et les Espagnols envoyant à son secours des armements
considérables. Parmi les conseillers qui le poussaient dans l'abîme, aucun ne
fut assez sincère pour% lui représentai' les inquiétudes, les chagrins et les
remords auxquels il allait se dévouer en déchirant le sein de sa patrie et en
sapant un trône qu'il devait soutenir. Les souvenirs d'un temps meilleur et
d'une gloire plus pure lui causèrent cependant un moment d'hésitation ; mais
la funeste influence de sa sœur et les instances de ses partisans en
triomphèrent facilement, et Condé, mal inspiré, refusa les offres de la
reine. « Vous le voulez, dit-il à ses amis avec le cœur serré de douleur,
vous le voulez ! Eh bien ! je ferai la guerre ; mais souvenez-vous que
c'est malgré moi que je tire l'épée, et que je serai peut-être le dernier à
la remettre dans le fourreau[1]. » Après
avoir rejeté l'officieuse intervention du duc d'Orléans, le prince hâta les
préparatifs de la guerre civile. Il envoya Lenet à Madrid, afin d'obtenir
l'appui de ces mêmes Espagnols dont il avait été la terreur, ordonna des
levées d'hommes et d'argent, puis, confiant à son frère et au duc de Nemours
le commandement du Berri, il se mit en route avec le duc de la Rochefoucault
pour Bordeaux, où il entra au milieu des acclamations et des transports
d'allégresse de tons les habitants (22 septembre). A la nouvelle de son
arrivée dans la capitale de la Guienne, toute la noblesse et la plupart des
villes du midi se soulevèrent ; l'Espagne, espérant profiter de nos
dissensions, arma par terre et par mer, fit avec le prince tous les traités
qu'il voulut, et lui promit de puissants secours d'hommes et d'argent. Le
général Marsin, que la cour avait envoyé en Catalogne, abandonna sa propre
fortune et vint le joindre à Bordeaux avec douze ou quinze cents hommes de
ses meilleurs soldats. La Rochefoucault et la Trémoille excitèrent le Poitou
à la révolte et s'emparèrent de Saintes. Condé, non content de négocier avec
les Espagnols, s'efforça de réveiller le parti protestant, et ne craignit pas
de rechercher l'appui du fameux Olivier Cromwell[2]. Son
plan de campagne, savamment combiné, était de revenir de la Garonne sur la
Loire et la Seine à la tête de forces redoutables, pendant que ses troupes de
la frontière du nord, réunies à un corps d'armée espagnol, envahiraient la
Champagne, sous les ordres de Turenne, pour le venir joindre devant les murs
de Paris. Mais la défection de Turenne et de Bouillon, qui firent accord avec
la reine, déconcerta ses mesures. Anne
d'Autriche avait facilement rattaché à la cause royale ces deux illustres
personnages, dont l'exemple fit rentrer beaucoup d'autres seigneurs dans
l'obéissance. La révolte du prince lui fournit un motif spécieux pour la
dispenser de convoquer les états généraux, dont les députés étaient élus dans
les bailliages et sénéchaussées, et l'occasion de s'éloigner de la capitale,
où les frondeurs surveillaient toujours ses démarches avec inquiétude. Elle
forma donc la résolution de montrer le jeune roi aux provinces soulevées,
afin d'affermir dans le devoir ceux qui chancelaient et d'inspirer plus de
confiance aux sujets rebelles. Avant de partir, elle remit au coadjuteur
l'acte officiel qui le désignait pour le cardinalat, et dont Mazarin se
réservait, dit-on, d'annuler l'effet à la cour de Rome par de secrètes
intrigues. La reine n'oublia pas non plus le ministre exilé ; pour adoucir la
douleur profonde qu'il avait dû ressentir en lisant la déclaration publiée
contre lui dans toutes les justices du royaume, et dont il se plaignit en
termes nobles et touchants, elle lui envoya le pouvoir de négocier la paix
avec les ministres d'Espagne. Le 2 octobre, elle prit la route du Berri,
après avoir laissé en son absence la conduite des affaires au duc d'Orléans,
assisté de Gondi et du garde des sceaux, premier président, et confié la
défense de la frontière du nord aux maréchaux Villequier-Aumont et de la
Ferté-Senneterre. L'armée du midi fut placée sous la conduite du comte
d'Harcourt. La
cour, suivie d'un petit nombre de soldats, marcha rapidement sur Bourges par
Montargis et Gien, travers des populations empressées de montrer leur zèle
pour Leurs Majestés. A la nouvelle de l'approche du roi, la ville de Bourges
cessa toute résistance-et chassa Conti et la duchesse de Longueville, qui Se
retirèrent à Montrond ; ne s'y croyant pas en sûreté, ils se hâtèrent d'aller
joindre leur frère à Bordeaux, ou s'était déjà réfugiée la princesse de
Condé-, accompagnée de son fils, le duc d'Enghien. Louis récompensa la
fidélité des habitants de Bourges en autorisant la démolition de la grosse
tour de leur ville, antique donjon bâti par Philippe-Auguste, monument odieux
à la bourgeoisie, qui le regardait comme le témoin toujours vivant de son
ancienne servitude. Le même jour, il envoya au parlement de Paris un édit par
lequel Condé et ses adhérents étaient déclarés rebelles, criminels de
lèse-majesté et déchus de tous honneurs, offices et gouvernements, si, dans
le délai d'un mois après la déclaration publiée, ils ne rentraient pas dans
le devoir (8 octobre).
Les affaires du Berri terminées, la cour laissa deux mille hommes, sous le
commandement du comte de Palluau, devant le fort château de Montrond qui
servait de place d'armes aux gentilshommes du parti des princes, et continua
sa route jusqu'à Poitiers. C'est là que vint la joindre le comte d'Harcourt,
à la tête de quatre mille soldats détachés de l'armée du nord, et que l'oncle
de la Rochefoucault, le baron d'Estissac, suivi de mille gentilshommes de l'Angoumois,
offrit ses services à Leurs Majestés. Le
comte d'Harcourt arrivait à temps, car le parti de Condé faisait des progrès
dans les provinces du sud-ouest. L'influence des puissantes maisons de la Trémoille
et de La Force, qui s'étaient données à lui, avait entraîné une grande partie
du Périgord, de l'Angoumois et de la Saintonge. Le duc de Richelieu lui avait
amené des levées faites dans le pays d'Aunis, et le comte du Doignon,
gouverneur de Brouage, était venu se ranger sous sa bannière. Ce dernier,
ancien Confident et lieutenant du jeune amiral de Brézé, grâce à la faiblesse
du pouvoir royal, avait usurpé une portion de l'héritage de son maître, et
avait étendu sur la Rochelle et les îles de Ré et d'Oléron une autorité dont
il s'inquiétait peu de justifier les titres. Il s'était donné une petite
armée et une escadre avec le produit des impôts et des riches salines de
Brouage. En un mot, il se comportait presque en roi de l’Aunis, et se faisait
respecter depuis Nantes jusqu'à Bordeaux. L'habile et fidèle agent du prince
avait aussi obtenu à Madrid un traité fort avantageux, et quelques jours
après, treize vaisseaux espagnols et six brûlots, partis du Passage,
remontaient la Gironde avec des 'munitions et de l'argent[3]. Après
avoir rassemblé ses troupes à Niort, le comte d'Harcourt marcha vers
Surgères, et, sur la nouvelle que le duc de la Rochefoucault et le prince de
Tarente, fils du duc' de la Trémoille, pressaient vivement Cognac, place
forte sur la Charente, il se porta rapidement' au secours de cette ville.
Arrivé à temps ; il battit sous les yeux de Condé lui-même, accouru de
Bordeaux afin de conduire le siège, un régiment de son armée séparé du reste
par la rivière, et força les assiégeants de lever le siège. De là il se
rendit sous les murs de la Rochelle, qui s'était déclarée pour le roi, mais
dont- les tours défendant le port avaient été garnies de 'soldats suisses
appartenant au comte du Doignon. Les habitants, aidés du baron d'Estissac, à
la tête d'un détachement royaliste, 'en avaient' déjà repris deux. Le comte
d'Harcourt fit attaquer par la sape et par le canon la troisième et la plus
forte, la tour de Saint-Nicolas. Les assiégés furent saisis d'une telle
frayeur qu'ils crièrent Vive le roi ! et demandèrent quartier du haut de
leurs remparts. D'Harcourt consentit à leur accorder la vie, s'ils jetaient
leur commandant par-dessus les murailles. Cet officier exclu du pardon menaça
de mettre le feu aux poudres ; ses soldats le saisirent et, l'ayant
poignardé, le précipitèrent du haut de son bastion au milieu des assiégeants,
qui eurent la dureté de l'achever. Condé
n'arriva devant la Rochelle que pour être témoin de ce désastre. Les troupes
royales marchèrent contre lui, le combattirent avec avantage et le forcèrent
de quitter le poste de Tonnay-Charente, dont il s'était emparé ; et de
repasser la rivière. Après -avoir laissé des garnisons dans Saintes et dans
Taillebourg, le prince se replia sur la ligne de la Gironde et de la
Dordogne, s'assura de Périgueux et livra aux Espagnols ses alliés le port et
la place de Bourg, qui lui paraissait plus sûre que celle de Talmont, qu'il
leur avait d'abord abandonnée en exécution du traité de Madrid. Mais ce fut
avec la plus vive indignation qu'un grand nombre des habitants de Bordeaux,
même parmi les plus ardents frondeurs, virent le pavillon de Castille flotter
sans obstacle sur la Gironde. Une opposition énergique ne tarda pas à se
manifester, et trente présidents ou conseillers du parlement quittèrent la
ville désormais en proie à la discorde[4]. Cependant
les négociations entreprises par le duc d'Orléans avec Condé, de l'aveu de la
cour, avaient empêché le parlement d'enregistrer la déclaration de
lèse-majesté rendue par le roi contre les princes. Après la Saint-Martin, la
compagnie, sur la proposition du garde des sceaux, s'assembla pour délibérer
sur cet enregistrement. Tous les magistrats condamnaient l'alliance de M. le
prince avec l'Espagne et sou mépris de l'autorité royale. Mais Gaston
sollicita un nouveau délai, pendant lequel des personnes de qualité seraient
envoyées à Condé pour connaître sa dernière résolution. H ne craignit pas
d'annoncer, sur des avis dignes de foi, le retour imminent du cardinal
Mazarin ; et ajouta que ce retour était la chose urgente dont le parlement
devait s'occuper. Le débat se prolongea dix jours avec une grande solennité.
Une lettre du roi prescrivit enfin l'enregistrement immédiat, qui passa à. la
majorité de cent vingt voix contre quarante, et le jour suivant la
déclaration fut lue et publiée (5 décembre). Désespérés
de n'avoir pas été soutenus par les magie-trais, les partisans des princes et
Gaston cherchèrent les inerte de se venger. La populace, excitée par loura
agents, se réunit le lendemain eu troupe nombreuse dans la rue de Tournon, et
se porta au Luxembourg en poussant des vociférations et chargeant
d'imprécations Mazarin et ses adhérents, Le duc d'Orléans parut aux fenêtres
de son palais, et fut accueilli par des clameurs qui n'étaient pas
menaçantes. Les séditieux s'écriant qu'ils voulaient la paix et qu'on ne
laissât pas rentrer Mazarin en Fiance, Gaston, sans s'inquiéter de les
calmer, les renvoya vers ceux dont l'autorité était plus grande que la
sienne. Ils le comprirent, quittèrent le Luxembourg, parcoururent les rues
avec une fureur que le tumulte exaltait encore, et arrivèrent dans le plus
effrayant désordre devant l'hôtel de Matthieu Molé. Leurs cris redoublés,
leurs menaces de pillage et d'incendie épouvantèrent les serviteurs, qui
barricadèrent l'entrée. Le premier président travaillait alors dans son
cabinet ; il ordonna d'ouvrir toutes les portes aux mutins. Ceux-ci se
répandirent dans les appartements ; Molé s'avança vers ces misérables, leur
montra un front intrépide, et leur dit qu'il les ferait tous pendre s'ils ne
se retiraient à l'instant. A ces paroles, les plus furieux prirent la fuite,
comme s'ils avaient eu devant eux cent canons prêts à les foudroyer, et se
dispersèrent dans les 'rues voisines. Molé reprit tranquillement son travail. Afin
d'empêcher l'émeute de troubler les citoyens paisibles, le parlement rendit
un nouvel arrêt par lequel il « intima au procureur général d'informer de ces
désordres, défendit à toutes personnes, de quelque qualité et condition
qu'elles fussent, de s'attrouper et d'exciter sédition à peine de la vie. »
Mais les mutins atteignirent leur but : deux jours après, compagnie
s'assembla pour délibérer sur le projet de rappeler en France le ministre
banni par une déclaration royale. Mazarin
pressait en effet ses préparatifs de retour. La guerre civile lui fournissant
une occasion favorable pour rentrer dans le royaume, il n'avait' pas négligé
de la saisir. Depuis longtemps il était en correspondance avec la plupart
'des commandants des provinces et des places fortes du nord de la France,
dont il avait créé la fortune et qui voulaient lui témoigner leur
reconnaissance. Au sein de l'exil, il s'était assuré l'appui du duc de
Vendôme par le mariage de sa nièce, Laure-Victoire Mancini, avec le duc de
Mercœur. De plus, la princesse palatine, désormais fidèle au parti de la
reine, le servait contre ses ennemis. Sa confiance, devenue chaque jour plus
grande, loi inspira le dessein de veiller lui-même à ses intérêts. Il quitta
donc Brühl et s'établit d'abord à Huy, entre Liège et Namur, puis s'avança
jusqu'à Dinant, petite ville située sur la Meuse et voisine de Namur.
Quoiqu'il fût certain de trouver des amis puissants et dévoués à son entrée
sur le territoire 'français, il voulut y paraître dans une attitude
belliqueuse, et avec des forces qui n'appartinssent qu'à lui : cinquante
mille écus ; reste des débris de sa fortune, et l'argent envoyé par le
surintendant la Vieuville, lui procurèrent les moyens de faire des levées de
soldats dans l'évêché de Liège et sur les bords du Rhin. Après
avoir travaillé sans relâche à rendre plus facile au cardinal le chemin de la
France ; Anne d'Autriche fut en proie à la plus grande perplexité. Elle
craignit d'exposer au risque -de tomber entre les mains de ses ennemis cet
ancien ministre chargé d'arrêts de proscription ; et de soulever tout le
royaume contre elle. On prétend qu'au milieu de cette hésitation, augmentée
par les conseils du marquis de Châteauneuf, elle fit insinuer -à Mazarin de
se retirer à Rome. Si la reine eut cette velléité, elle ne fut pas de longue
durée : sans attendre, comme le conseillait la prudence, que les succès de
l'armée royale sur le prince rebelle fussent moins balancés, elle lui envoya
le 17 novembre l'invitation formelle de revenir au secours du roi. Secondé
par des agents actifs et habiles, surtout par Colbert, que ses talents et ses
services devaient élever un jour aux plus hautes dignités de l'État, il
acheva heureusement ses levées. Bientôt il eut sous ses ordres une armée de
huit mille de ces mercenaires qu'avait licencié la paix de Westphalie, et il
s'empressa de les faire avancer vers la frontière de France. Pendant
ce temps, le parlement délibérait et décidait à l'unanimité des suffrages que
le roi serait prié d'éloigner.de sa personne ceux qui adhéraient au cardinal,
c'est-à-dire Le Tellier, que la reine avait rappelé au conseil. En même
temps„ défense fut faite à tous gouverneurs de donner passage ni retraite au
cardinal (13
décembre). Puis, à
l'occasion d'une lettre du ministre reçue par le duc d'Elbeuf, gouverneur de
Picardie, auquel il demandait passage à travers les places de sa province,
les magistrats laissèrent éclater un ressentiment furieux, et rendirent un
nouvel arrêt à peu près conforme au précédent. Le
rappel de Mazarin fit comprendre au coadjuteur toute l'étendue de la faute
qu'il avait commise en laissant sortir la cour de Paris. Il avoue, avec confusion
d'un homme honteux d'avoir été joué, qu'elle était impardonnable. Il
semblait qu'en bonne politique il ne lui restât plus d'autre parti à prendre que
de se dévouer entièrement à la cour ou d'embrasser la cause du prime de
Condé. Dans la position incertaine.et peu solide que les événements venaient
de lui faire, sa conduite fut pleine d'habileté. Il résolut de se maintenir
entre les deux factions armées avec l'aide du parlement, du peuple de Paris
et de buttes les bennes villes en état.de fiers-parti qui, ne tirant aucun
secours de l'étranger et n'ayant aucune liaison avec Condé, comme rebelle, se
montrerait Ail contraire très-fidèle au roi, mais ennemi acharné du ministre. Les
foudres parlementaires n'arrêtèrent point le cardinal. Ses préparatifs
achevés, il quitta Dinant, eut le bonheur d'échapper aux cavaliers du prince
et aux Croates postés sur sa route, et, le 24 décembre franchit la frontière
avec un corps de troupes portant l'écharpe verte, couleur de sa livrée, comme
les soldats de Condé la portaient de couleur isabelle. Il fut reçu à Sedan
avec les honneurs ordinaires par le marquis de Fabert, passa la Meuse, gagna Rethel
et pénétra on Champagne renforcé par les comtes de Broglie et de Navailles,
les deux maréchaux de France Hocquincourt et la Ferté-Senneterre qui lui
amenèrent quelques troupes -et auxquels il confia le commandement des
différents corps de son armée. Tandis
que Mazarin hâtait sa marche afin de rejoindre la cour, le marquis de la
Vieuville, surintendant des finances, et le premier président, garde des sceaux,
étaient rappelés auprès du roi ; le champ devenait ainsi plus libre aux
agitateurs. Privé des lumières tie l'homme qui s'éloignait de Paris avec
l'intention de dire la vérité à la cour, puis d'obéir à son souverain, le
-parleraient devait bientôt voir la confusion s'introduire dans ses
délibérations. A la nouvelle positive que le cardinal avait mis le pied sur
le territoire français, il se rassembla en tumulte, et le même jour (29 décembre) un arrêt inouï et furibond le
déclara perturbateur du repos public et criminel de lèse-majesté, enjoignit
aux communes de lui courir sus, ordonna de procéder à la vente de ses meubles
et de sa bibliothèque et mit sa tête à prix. Sur le produit de cette vente il
serait prélevé une somme de cent cinquante mille livres, pour être délivrée de
celui qui représenterait ledit cardinal mort ou vif. Le duc d'Orléans était prié
d'employer l'autorité du roi et la sienne pour l'exécution de cet arrêt. Loin de
s'effrayer d'une sentence de mort rendue par une compagnie qui semblait prise
de délire, Mazarin continuait sa route à travers la Champagne. Après avoir
franchi la Marne, l'Aube et la Seine, sans que le petit corps d'armée de
Gaston, aux ordres du duc de Beaufort, eût tenté de s'opposer à son passage,
les conseillers Bitaut et Géniers, envoyés par le parlement pour s'enquérir
de sa marche et ameuter contre lui les communes, furent plus hardis et
entreprirent d'arrêter son avant-garde à Pont-sur-Yonne. Un piquet de
cavalerie attaqua leur faible escorte, et le pont de la ville fut bientôt
forcé. Géniers, blessé et renversé, monta sur le cheval de son clerc et se
sauva du côté de Sens. Bitaut, fait prisonnier, parut devant MM.
d'Hocquincourt, de Broglie et de Navailles, qui lui reprochèrent l'imprudence
de son procédé et voulurent le conduire à Mazarin. Mais le conseiller refusa
de les suivre, et leur dit en sénateur romain « qu'il ne le verrait que sur
la sellette pour le condamner à mort. » Cet
attentat d'un maréchal de France contre deux conseillers frappa d'horreur le
parlement. Son indignation « n'aurait pu être plus grande quand il se serait
agi de l'assassinat du monde le plus noir et le plus horrible ; médité et
exécuté en pleine paix. » Parmi les magistrats, les uns demandaient qu'on
décrétât le maréchal de prise de corps, les autres qu'on le déclarât sans
délai criminel de lèse-majesté. « Je vais, dit tout bas au coadjuteur le
conseiller Bachaumont connu par son esprit enjoué, « je vais acquérir une
merveilleuse réputation, car j'opinerai à-écarteler M. d'Hocquincourt, qui a
été assez insolent pour charger des gens qui armaient les communes contre
lui. » On se contenta cependant d'ordonner qu'il ne serait pas reconnu
commandant des troupes du roi, mais fauteur et défenseur du cardinal[5]. Jusque alors le parlement
avait refusé de recevoir les lettres de Condé. Il accueillit néanmoins ce
même jour une requête du prince, arrêta qu'elle serait envoyée au roi pour
lui en remontrer l'importance, et qu'il serait sursis à l'exécution de la déclaration
portée contre lui jusqu'à ce que Mazarin eût été expulsé du royaume (12 janvier
1652). Peu de
jours après arrivèrent de Poitiers les députés expédiés au roi, suivant les
arrêts des 13 et 20 décembre. Ils annoncèrent au parlement que le cardinal
n'était rentré en France avec des troupes que par ordre exprès de Sa Majesté,
qui engageait la compagnie à joindre ses forces aux siennes pour ramener la
paix dans le royaume. Cette réponse du roi, si peu conforme aux paroles
solennelles que sa mère leur avait souvent réitérées, ne laissait plus aux
magistrats d'équivoque possible. La lecture des arrêts des parlements de
Rouen et de Toulouse, rendus contre Mazarin, sembla les enflammer d'une haine
plus ardente à son égard, et quelques-uns, se ralliant à l'avis du maréchal
d'Étampes, serviteur particulier du duc d'Orléans, proposèrent de s'unir avec
ce prince pour chasser l'ennemi commun. Entraînée par les présidents de
Novion et.de Mesmes, dévoués aux intérêts de la cour, et qui s'élevèrent avec
force contre ce mot d'union, la parole du monde la plus criminelle, la
majorité rejeta cette demande comme ne tendant qu'à une guerre civile. Elle
se contenta de voter de nouvelles remontrances sur le retour du ministre et
des informations contre le désordre des troupes du maréchal d'Hocquincourt (25 janvier). Gaston, qui avait assisté à la
délibération, sortit atterré ; car il voulait faire adopter à la compagnie
des mesures plus violentes. Du reste, jugeant qu'il n'y avait rien à espérer
de la magistrature et renonçant au tiers-parti, dont il pouvait être le chef,
il s'était jeté dans la faction de Condé, et dès le jour précédent il avait
signé une alliance secrète avec le rebellé. Le duc
d'Orléans avait traité avec M. le prince en dépit de tous les efforts du
coadjuteur. Le prélat ne vit pas sans un vif déplaisir l'oncle du roi et le
parlement lui échapper ; mais il resta fidèle à sa politique, et se console
de ses revers par le chapeau rouge. En effet, le 19 février le pape Innocent
X, malveillant pour Mazarin, que peu de personnes estimaient à Home, le
préconisa dans un consistoire dont il cacha la connaissance à l'ambassadeur
français, chargé par la reine de retirer la nomination du prélat infidèle aux
engagements contractés avec elle. La chose était saris remède ; la cour prit
le parti d'en paraître contente, et Mazarin lui-même félicita bientôt son
nouveau collègue. Le
ministre, peu effrayé des nombreux arrêts du parlement, avait poursuivi sa
route sans trouver nulle part d'obstacle sérieux. Il arriva, le 28 janvier, à
Poitiers, où il fut reçu avec des honneurs extraordinaires ; le roi,
accompagné des seigneurs les plus illustres et de plusieurs ministres, alla à
sa rencontre jusqu'à une lieue de la ville ; le reste des courtisans l'attendit
avec la reine, qui ne pouvait contenir la joie et son impatience. Dès le
lendemain il reprit la conduite des affaires, et, par l'aisance qu'il montra
dans leur décision, on put juger que son absence ne lui avait dérobé aucun
secret. Si la guerre
de Guienne marchait lentement, elle était avantageuse dans son ensemble à la
Cause royale ; malgré les efforts de Condé. Le prince avait trouvé dan§ lé
comte d'Harcourt un digne rival dont la diligence et les talents lui
laissaient peu de repos. La bourgeoisie était en général peu favorable à sa
cause, et l'Espagne ne tenait pas scrupuleusement à ses promesses. Mais le
retour de Mazarin causait de l'autre côté de la Loire une assez vive
agitation parmi les populations, et décidait à la révolte le duc de Rehan
-Chabot, depuis deux ans gouverneur de l'Anjou. Le duc de Nemours était allé
chercher en Flandre les vieux régiments de Condé et demander des troupes
auxiliaires à l’archiduc. On
délibéra dans le conseil 'sur la résolution qu'il fallait prendre. Mazarin
proposa de marcher avec toute la cour et l'armée sur Angers, afin d'assiéger
Chabot dans la capitale de son gouvernement et de se rapprocher de Paris. Le
marquis de Châteauneuf insista au contraire pour qu'on s'avançât vers Angoulême
et qu'on disputât vivement la Guienne à Condé. Anne d'Autriche suivit l'avis
du Cardinal, et Châteauneuf ; dégoûté de se voir inutile et ne voulant pas de
la seconde place au conseil, quitta le ministère. Le vieux courtisan, trompé
dans ses ambitieuses espérances, se retira d'abord à Tours, puis dans sa
maison de Montrouge, où il mourut bientôt après, « chargé d'années et
d'intrigues, qui sont, dit Mme de Motteville, des œuvres bien vides devant
Dieu. » Alors
même que la reine voyait s'éloigner de la cour un odieux conseiller, le
maréchal de Turenne, rentré dans la voie que lui traçait son caractère, et
s'éloignant de Paris, où Gaston avait voulu le faire arrêter, vint offrir ses
services au roi et au cardinal. Leurs Majestés le reçurent avec beaucoup de
marques de bienveillance. Les
troupes amenées par Mazarin reprirent le chemin de la Loire, et la cour alla
s'établir à Saumur, sous la garde du vicomte de Turenne, pendant que
d'Hocquincourt assiégeait Angers. Le maréchal s'empara sans difficulté du
port de Sorges et des faubourgs de la ville, qu'il bloqua étroitement jusqu'à
l'arrivée de l'artillerie dont il était dépourvu. Le gouverneur de Bretagne,
la Meilleraye, s'empressa d'en faire partir de. Nantes par la Loire. Avec ce
secours, il battit en brèche les murailles d'Angers ; Rohan, que les
habitants secondaient faiblement, ne chercha point à se maintenir dans le
château, et, après une résistance de trois semaines, il fit sa capitulation
pour cette place et ensuite pour le Pont-de-Cé ; au moment où de Paris on
arrivait à son aide (28 février). En effet le duc de Nemours, rentré en France par
la Picardie à la tête des troupes espagnoles, avait passé la Seine sur le
pont de Mantes, que lui avait livré le duc de Sully. Puis il avait opéré sa
jonction dans les environs de Chartres avec son beau-frère, le duc de
Beaufort, qui commandait les troupes de Gaston. Mais il était trop tard pour
secourir Angers, et -les deux généraux concentrèrent entre Seine et Loire
leurs opérations contre l'armée royale. A peine
les troupes étrangères conduites par Nemours avaient-elles franchi la
frontière, qu'un cri général s'était élevé dans le parlement contre une
alliance si manifeste avec les ennemis de l'État, et le roi avait écrit deux
lettres à la compagnie, afin qu'elle informât contre lui et ses adhérents.
Gaston avoua Nemours comme son lieutenant et soutint que ces troupes,
auxquelles il venait de joindre les siennes, n'étaient point espagnoles, mais
allemandes et à sa solde. Après de longues et confuses délibérations, le
parlement ne rendit point d'arrêt. Mais sur ses instances le duc d'Orléans et
le maréchal de L'Hôpital, gouverneur de Paris, interdirent aux années des
deux partis d'approcher de la capitale dans un rayon de dix lieues. Il était
impossible que cette convention fût longtemps observée[6]. Après
la soumission d'Angers, la cour partit pour Tours, d'où elle se rendit à
Blois. C'est de là que Servien reçut l'ordre de la rejoindre. Toutes les
places situées sur le cours de la Loire jusqu'à Orléans avaient ouvert leurs
portes. Les habitants de cette dernière ville chef-lieu de l'apanage de
Gaston, semblaient disposés à prendre le parti de leur seigneur. Menacés par
l'armée royale, dont le vicomte de Turenne partageait le commandement avec le
maréchal d'Hocquincourt, ils avaient besoin d'être affermis par la présence
du prince. Ses amis, surtout Nemours et Beaufort, lui conseillaient de s'y
transporter ; mais il n'aimait pu les hasards, et beaucoup de raisons
l'engageaient à ne point quitter Paris. Il jugea plus à propos d'y envoyer sa
fille giflée, Mlle de Montpensier, que. les mémoires de cette époque
appellent la grande Mademoiselle. Amie-Marie
de Bourbon, duchesse de Montpensier,' née de la première femme du duc
d'Orléans, et âgée de vingt-cinq ans, était généreuse, spirituelle et hardie,
mais fantasque et orgueilleuse. Cette princesse, au cœur fier, à la
résolution énergique et populaire après avoir vu désigner pour elle tous les
hommes de batailles, tous les grands noms, se nourrissait de l'idée d'épouser
Louis XIV plus jeune qu'elle de onze ans. Son peu de jugement lui avait
persuadé que le meilleur moyen d'y réussir était de rendre quelque service
important à M. le prince, et de faire ensuite sentir à la cour le besoin
d'acheter sen appui. Son caractère qui contrastait avec les irrésolutions de
son père, n'hésita point à se charger de l'expédition d'Orléans. Elle
partit tout émerveillée de jouer enfin un rôle, avec l'assurance du succès,
fondée principalement sur la prédiction du « marquis de Vilette, homme
d'esprit et de savoir, qui passait pour un des habiles astrologues de ce
temps. » Les comtesses de Fiesque et de Fonterie, qu'on appelait en
riant ses maréchales de camp, habillées en amazones, le comte de Fiesque, le
duc de Rohan et deux conseillers au parlement suivaient cette romanesque
héroïne, cette princesse jalouse d'imiter les exploits de Mme de Longueville.
Lorsqu'elle parut Sous les murs de la Ville, elle y trouva le garde des
sceaux qui demandait passage au nom du roi. Les Orléanais, auxquels les
perplexités de Gaston avaient laissé le temps de réfléchir, s'étaient décidés
à tenir leurs portes fermées pour tout le monde. Les magistrats municipaux
que Mademoiselle fit avertir délibérèrent 4uigtemps et s'excusèrent de lui
donner entrée. Dans
son impatience elle tournait miteux des remparts, suivie seulement de ses
dames, quand elle arriva devant une ancienne porte qui donnait sur la rivière
et n'était pas gardée. Excités perde fortes récompenses, des bateliers
entreprirent de lui pratiquer par là un passage, et soutenus des partisans
que le prince apanagiste avait dans la ville y les uns brisèrent les ais, les
autres écartèrent les immondices, et Mademoiselle passa courageusement à
travers la brèche. Le peuple, touché, de sa confiance, la reçut avec respect,
la plaça sur un vieux fauteuil de bois et la porta eu triomphe à l'hôtel de
ville, Son entrée imprévue mit fin à la délibération des bourgeois et des
magistrats. Ils promirent de ne pas recevoir le garde de sceaux, et Mademoiselle
devint bientôt toute-puissante dans Orléans où elle ne put cependant
introduire une garnison-. Les habitants consentirent à recevoir son escorte,
à l'exception du duc de. Rohan[7]. La
cour, ayant perdu l'espoir de se faire ouvrir les portes d'Orléans, remonta
la Loire et se dirigea, le long de la rive méridionale, vers Jargeau et
Sully, avec l'armée royale, forte seulement de huit à neuf mille hommes. Celle
des princes, supérieure en nombre depuis la jonction des ducs de Nemours et
de Beaufort, s'était portée à quelques lieues •en avant dans l'intention
d'occuper le pont de Jargeau. Averti de la marche des ennemis, Turenne usa de
la plus grande diligence, et arriva sur le pont avec deux cents hommes au
moment où l'avant-garde du duc de Beaufort se disposait à le franchir. Il
l'arrêta par une barricade dressée à la bâte et qu'il défendit avec succès
jusqu'à l'arrivée de ses régiments. Alors il attaqua vivement les
assaillants, les chasse de la ville et les repoussa avec perte sur le rivage
opposé (28
mars). C'est là que
tomba blessé Mortellement le baron de Sirot, l'un des plus braves capitaines
du parti de Condé, soldat hardi et' déterminé, dont la valeur à la journée de
Rocroi avait été digne des plus grands éloges. La conduite de Turenne dans
-cette circonstance périlleuse -dissipa tous les doutes que la reine avait
conservés jusqu'à ce-jour sur sa fidélité. Dans les transports de sa
reconnaissance, elle assura en présence de toute la cour qu'il avait empêché
la ruine de Pelat. En effet, dit le maréchal du Plessis, « jamais la
France n'avait été dans un péril plus grand ; car, si Jargeau avait été pris,
jamais on n'aurait pu sauver Leurs Majestés. » Après avoir rompu le pont,
l'armée royale marcha rapidement sur Gien et s'empara de ce poste important. Cette
défaite, imputée à l'impéritie de Beaufort, augmenta encore la
mésintelligence qui régnait depuis longtemps entre les deux chefs rebelles.
De fausses confidences dans quelques affaires communes aux deux beaux-frères,
des défiances et des mépris avaient donné naissance à une mutuelle et funeste
antipathie. Ils allèrent cependant tenir conseil- dans un faubourg d'Orléans
sur leur plan de campagne, -en présence de Mlle de Montpensier. Là, Nemours
prétendit que l'armée devait passer la Loire et marcher au secours de
Montrond et de la Guienne ; Beaufort, pour se conformer aux ordres de Gaston,
s'y opposa de toutes ses forces et voulut qu'elle restât au nord du fleuve.
Celui-ci, accusé par son beau-frère de n'être pas sincèrement attaché aux
intérêts de M. le prince, répondit avec aigreur. Bientôt les deux beaux-frères,
malgré les efforts de la princesse, en vinrent des paroles aux plus
grossières injures et même aux coups. Ils osèrent mettre l'épée à la main, et
il fallut se jeter entre eux pour les empêcher de s'égorger. Cédant enfin aux
douces paroles de Mademoiselle, ils consentirent à s'embrasser, et tous
'deux, allèrent rejoindre leur armée pour la diriger vers Montargis. La
discorde dont Mademoiselle venait de suspendre les effets eut une fâcheuse
influence sur les affaires publiques. Elle passa des généraux aux officiers,
de ceux-ci ait soldats ; et plus d'une fois les troupes de Monsieur et celles
du prince furent prêtes à se charger, au grand scandale des chefs étrangers,
souvent obligés d'interposer leurs bons offices. Heureusement pour ces
troupes, il leur arrivait en- ce moment un général supérieur à tous les autres
: c'était Condé, que• ses amis sollicitaient depuis quelque temps d'accourir
au nord de la Loire. Dégoûté de la guerre de Guienne, où ses nouvelles levées
ne pouvaient résister avec avantage aux vieux soldats du comte d'Harcourt, et
voyant d'ailleurs que les grands coups allaient' se décider à Paris, le
prince résolut de quitter les contrées méridionales, pour aller prendre le commandement
de -l'armée aux ordres de Nemours et de Beaufort désunis. Condé
laissa donc te gouvernement de la Guienne déjà refroidie pour sa cause, à son
frère et à sa sœur, souvent divisés par de honteuses querelles, leur recommanda
la paix, et partit d'Agen, à moitié révolté contre lui. Déguisé en simple
cavalier, et accompagné de huit personnes parmi lesquelles étaient le duc de
la Rochefoucault et le prince de Marsillac, son fils, il franchit en sept
jours tout le pays entre la Guienne et la Loire, passa en dernier fleuve à la
Charité, échappa vingt fois à ses ennemis, et, à travers mille dangers,
arriva dans l'armée de Nemours, arrêtée eux environs de Lorris eu Gâtinais. Les
soldats le reçurent avec grands transports de joie, et, sous un tel général,
ils se montrèrent animés d'une nouvelle ardeur. Condé profita de leurs bonnes
dispositions, marcha vers Montargis dont il se rendit maître, puis sur
Château-Renard, où il apprit que la cour était à Gien, Turenne à Briare, et
que d'Hocquincourt avait distribué sa cavalerie autour de Bléneau. A la puit
tombante, il tourna tout à coup vers le dernier, et fondit avec la rapidité
de la foudre sur ses quartiers, trop éloignés les uns des autres pour rendre
la défense heureuse. Attaqués sur plusieurs points avec un admirable
ensemble, cinq de ces quartiers furent enlevés, incendiés et pillés, et la
cavalerie du maréchal mise en pleine déroute. Aussitôt l'alarme devint
générale, et la plaine se couvrit de fuyards poursuivis par les détachements
du prince, à la lueur des feux allumés de tous côtés. Cependant
d'Hocquincourt, revenu de sa surprise, rassembla tout ce qu'il put des siens,
et, s'efforçant de réparer son imprudence, prit position derrière un ruisseau
profond et marécageux dans l'espoir d'arrêter les progrès de son ennemi. Mais
Condé, soutenu des ducs de Nemours, de Beaufort, de la Rochefoucault et d'une
brave noblesse, attaqua de nouveau le maréchal avec sa promptitude ordinaire,
et, malgré ses efforts et son courage, enfonça ses troupes, les dispersa et
assura la victoire (7 avril). Les
nouvelles du désastre de la nuit répandirent la consternation à la cour. Dans
la crainte que le prince n'arrivât à Gien avec ses troupes victorieuses et ne
s'emparât du roi, on conseillait à la reine de rompre le pont et de s'enfuir
à Bourges. Mais l'illustre capitaine qui avait déjà tiré la cour d'un grand
péril, la sauva encore dans cette circonstance difficile. Informé pendant la nuit de la défaite du maréchal d'Hocquincourt, Turenne, décidé à vaincre ou à périr, s'était dirigé à la hâte vers Bléneau avec les quatre mille hommes placés sous ses ordres. Au point du jour, il occupa une position tellement avantageuse entre un bois, un étang et des collines, que Condé, à la tête d'une armée triple, désespéra d'accabler son rival. Après une légère attaque, il se contenta de faire avancer son artillerie, et le reste de la journée se passa en coups de canon. A l'approche de la nuit, les deux généraux replièrent leurs postes, laissant indécis le sort du combat, pendant lequel les régiments d'Hocquincourt avaient eu le temps de se rallier. Turenne, de retour à Gien, fut accueilli par la reine comme le sauveur de l'État. Sans lui, en effet, il n'y eût pas eu une ville qui n'eût fermé ses portes à la cour. Rassurée par le succès de cet illustre capitaine, elle se retira tranquillement à Sens, d'où elle gagna les environs de Paris. Quant à Condé, il confia le commandement de son armée à MM. de Tavannes et de Vallon, et partit aussi pour la capitale, par une autre route, avec les ducs de Beaufort, de Nemours et de la Rochefoucault (11 avril). Il lui importait de s'assurer de cette ville, des compagnies souveraines et du duc d'Orléans[8]. |
[1]
Mémoires de Mine de Motteville.
[2]
Burnet, Histoire de mon temps.
[3]
Lenet, p. 585-586. — Mémoires de Montglat. — Mémoires de Mme
Motteville.
[4]
Lenet, p. 531-538. — Mémoires de Montglat. — Mémoires de Mme
Motteville.
[5]
Mémoires de Retz.
[6]
Journal du Temps présent, p. 165-228. — Montglat. — Mémoires de Mme
de Motteville.
[7]
Mémoires de Mlle de Montpensier, t. II, p. 1.
[8]
Mémoires de Turenne. — Mémoires de Lenet. — Mémoires de Mlle
de Montpensier. — Mémoires de Mme de Motteville.