LA FRONDE ET MAZARIN

 

CHAPITRE IX. — INSURRECTION NOBILIAIRE. - GUERRE DE LA PRINCESSE DE CONDÉ.

 

 

Le peuple se réjouit de l'arrestation des princes. - Déclaration de la reine. - Beaufort et Gondi acquittés par le parlement. - Disgrâce de l'abbé de la Rivière. - La noblesse prend la défense des princes. - La duchesse de Longueville en Normandie. - Soumission de cette province. - Retour de la cour à Paris. - Le marquis de Châteauneuf, garde des sceaux. - Expédition de Bourgogne. - Prise de Bellegarde. - Les princesses de Condé à Chantilly. - Clémence de Brézé et le duc d'Enghien se retirent à Montrond. - Requête de la princesse douairière au parlement. - Déclaration contre le maréchal de Turenne et les seigneurs du parti de Condé. - Les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault appellent aux armes la noblesse du midi. - La princesse de Condé reçue à Bordeaux. - L'ennemi entre en Picardie. - Prise du Catelet par les Espagnols. - Siège de Bordeaux par les troupes royales. - Prise du fort de Vayres. - Supplice de Bichon. - Cruelles représailles des Bordelais. - Soumission des assiégés. - Entrevue de la princesse de Condé avec la reine. - Conférences de Mazarin avec les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault. - Entrée de la cour à Bordeaux. - Hostilités reprises par les Espagnols dans le nord de la France. - Les princes transférés à Marcoussis. - Vains efforts des ennemis pour exciter une sédition dans Paris. - Retour de la cour vers la capitale. - Gondi demande le chapeau de cardinal. - Translation des princes au Havre. - La cour rentre à Paris. - Union des deux frondes.

 

La voiture qui conduisait les illustres prisonniers au donjon de Vincennes était déjà loin de Paris, lorsque la régente envoya le comte de Brienne ordonner à la princesse douairière de Condé de se retirer à Chantilly et d'y mener sa belle-fille et son petit-fils le duc d'Enghien. La duchesse de Longueville, qu'on avait aussi l'intention de faire arrêter, fut mandée au Palais-Royal. Après avoir pris conseil de sa mère, elle feignit de vouloir obéir, et se sauva ensuite chez la princesse palatine, sa meilleure amie, « pour aviser avec elle ce qu'elle avait à faire. » Au même moment, d'autres ordres furent expédiés à divers officiers pour s'emparer du duc de Bouillon, du vicomte de Turenne et du prince de Marsillac, qui se dérobèrent à leurs poursuites.

Malgré l'alliance de la cour avec les chefs des frondeurs, peu s'en fallut que la ville ne devînt le théâtre d'une nouvelle sédition ; en effet, vers la nuit tombante, des gentilshommes dévoués aux princes répandirent le bruit qu'on venait d'arrêter le duc de Beaufort. Des groupes nombreux se formèrent aussitôt par les Tues. Déjà se faisaient entendre des cris menaçants ; déjà le peuple se préparait à prendre les armes et à tendre les chaînes, lorsque son héros se montra dans les quartiers les plus habités, suivi de laquais portant des flambeaux, et calma cette agitation naissante. Aux alarmes succéda la gaieté, et des feux de joie furent allumés dans tous les carrefours, quand on sut que le prisonnier emmené à Vincennes était seulement le vainqueur de l'Espagne et de l'Autriche.

Sur l'invitation de la reine, les grands du royaume, le parlement et les autres cours souveraines se rendirent le lendemain au Palais-Royal. Le chancelier leur donna lecture d'une déclaration où Sa Majesté leur exposait les motifs qui l'avaient déterminée à faire arrêter les princes. Parmi les magistrats, aucune voix ne s'éleva contre cette arrestation, sans formes de justice, et pour réclamer l'exécution de l'article de la sûreté publique, renfermé dans la déclaration du 24 octobre. « Ce silence, dit M. Henri Martin, attesta le peu de logique et de profondeur du mouvement parlementaire, et annonça le prochain avortement de la révolution commencée par l'aristocratie de robe. »

L'accusation criminelle intentée contre le duc de Beaufort et le coadjuteur tomba d'elle-même : à peine se permit-on de faire précéder par les formalités d'usage l'arrêt qui prononça leur acquittement (22 janvier). Le soir même, le duc d'Orléans les conduisit au Palais-Royal, où ils étalèrent leur triomphe au milieu des courtisans étonnés et s'abandonnèrent avec leurs partisans aux démonstrations du zèle le plus vif, jurant d'être les défenseurs de la reine et la force du gouvernement. Mais Anne d'Autriche témoigna une vraie douleur d'avoir été forcée d'employer la rigueur à l'égard d'un prince qu'elle estimait, et de causer tant de chagrin à la douairière de Condé, dont elle avait souvent reçu des consolations dans ses peines. Quant au peuple, il vit d'abord avec surprise la réconciliation des frondeurs et de la cour ; puis il s'en consola bientôt et confessa « qu'il ne fallait plus haïr le cardinal, puisqu'il avait cessé d'être Mazarin. »

Enfin l'abbé de la Rivière, après avoir inutilement sollicité le duc d'Orléans de lui accorder un entretien pour entendre sa justification, comprit qu'il ne devait plus compter sur les bonnes grâces de son maître. Il lui fit demander, par le marquis de Termes, la permission d'aller passer quelques jours à la campagne. Il rassembla ensuite dans un festin un grand nombre de ses amis, et leur parla avec tant de gaieté que plusieurs crurent qu'il était rentré en faveur auprès de Gaston. Le lendemain matin, il quitta la cour sans montrer ni trouble ni chagrin, et se retira dans sa belle maison de Petitbourg, voisine de Corbeil. Il perdit ainsi l'espérance du chapeau de cardinal, qui lui avait fait imaginer tant d'intrigues.

« La vieille fronde abdiquait en s'associant au pouvoir : une nouvelle fronde essaya de recueillir son héritage[1]. » En effet un grand nombre de seigneurs, restés fidèles au parti des princes, s'enfuirent de. Paris pour faire un appel aux populations et ramener la situation dominante de la noblesse avant Richelieu. Turenne, reçu en grâce par l'intermédiaire de Condé après sa révolte coutre la cour, se crut enchaîné au prisonnier de Vincennes par la reconnaissance, et courut se renfermer dans Stenai, place forte de M. le prince, où il prit « la qualité de lieutenant général de l'armée du roi, pour la liberté des princes. » Le duc de Bouillon gagna le Limousin, berceau de sa maison ; le duc de la Force, ses terres de Périgord. Le maréchal de Brézé se réfugia dans son gouvernement d'Anjou. Le comte de Boutteville demeura encore plusieurs jours à Paris, y défia vainement le duc de Beaufort, et alla se jeter dans Bellegarde, place de Bourgogne. D'autres vaillants seigneurs et gentilshommes, amis des princes, s'efforcèrent de soulever cette province dont Condé avait le gouvernement, ou se retirèrent dans le midi de la France, encore tout plein des souvenirs des guerres religieuses.

Quant à la duchesse de Longueville, elle avait échappé à l'officier chargé de l'arrêter et avait trouvé un asile chez la princesse palatine, où elle s'était cachée pendant quelques heures. Puis, rêvant la délivrance de ses frères et de son époux et déployant l'activité la plus héroïque, elle était sortie de Paris à l'entrée de la, nuit avec le prince de Marsillac et une escorte de quarante hommes bien déterminés, pour se rendre en Normandie. Elle usa de la plus grande diligence, arriva le lendemain à Rouen et fut reçue dans la citadelle par le marquis de Beuvron, commandant pour le duc de Longueville.

Cette princesse aux allures populaires fit alors un appel au parlement et aux communes des puissantes villes de la province ; mais elle perdit bientôt l'espoir de la faire révolter. Le peuple de Rouen se souleva en faveur de la cause royale, et le marquis de Beuvron, resté fidèle à son devoir, lui déclara qu'il ne pouvait la servir. Réduite à prendre la fuite, elle demanda vainement assistance et asile au duc de Richelieu, qui n'osa pas la recevoir dans le Hâvre, dont les principaux officiers étaient dévoués à Mme d'Aiguillon. -Elle ne trouva de refuge que dans le château de Dieppe, qu'elle résolut de défendre jusqu'à la dernière extrémité. La duchesse y fut visitée par un grand nombre de gentilshommes du pays ; les uns lui amenèrent quelques soldats, et les autres lui fournirent des secours d'argent. C'est là que le prince de Marsillac la quitta pour aller en Poitou, où la mort de son père lui laissa une riche succession, le gouvernement de la province, dont il avait la survivance, et le titre de duc de la Rochefoucault. Saint-Ibal, Tracy et Barrière furent les seuls personnages importants qui demeurèrent auprès d'elle, « avec un certain Saint- André, fort habile pour les fortifications. » Mais la cour ne laissa pas à la duchesse le temps de terminer ses préparatifs de résistance[2].

Persuadée que l'activité seconderait le retour de sa bonne fortune, Anne d'Autriche forma le projet de poursuivre ses ennemis. Elle réunit en grande hâte quelques troupes, dont elle confia le commandement au comte d'Harcourt. Le 1er février, elle sortit de Paris, accompagnée de ses deux enfants et de Mazarin, après, avoir annoncé qu'elle allait maintenir dans l'obéissance la province de Normandie, et prit le chemin de Rouen. Leurs Majestés y furent reçues aux acclamations des habitants avides de voir leur jeune roi. Sur l'ordre de la reine, le marquis de Beuvron, dans lequel une conduite incertaine ne permettait pas d'avoir confiance, rendit le vieux palais, qui fut donné par commission à Fourille, capitaine du régiment des gardes. Anne établit ensuite le comte d'Harcourt gouverneur de la province ; et de Rouen, où tous les commandants des villes et places fortes s'étaient empressés de lui adresser leur soumission, elle envoya contre Dieppe Du Plessis-Bellière à la tête de quelques troupes.

Conserver la Normandie aux princes était leur rendre le plus grand des services. La duchesse le savait ; aussi essaya-t-elle de décider M. de Montigny, gouverneur du château, à la résistance la plus opiniâtre. Mais cet officier ne pouvait seul, sans argent et sans troupes, faire ce qu'elle souhaitait. Il lui représenta donc la difficulté de l'entreprise, et lui conseilla de fuir par mer, et d'aller eu Flandre attendre une occasion favorable. Alors elle tenta un dernier effort auprès -des bourgeois ; elle leur parla avec énergie, puis recourut aux prières les plus douces et les plus humbles afin de les exciter à prendre sa défense. Tout fut inutile : à l'approche de l'armée royale, le peuple se souleva contre la duchesse et la menaça brutalement de la livrer. Privée de tout espoir de se maintenir en Normandie, Mme de Longueville quitta le château, suivie des plus courageuses de ses femmes et de quelques gentilshommes, gagna à pied, pendant la nuit, le petit port de Pourville, où elle faillit se noyer en voulant se jeter dans une barque de pécheur, malgré le vent et la marée, se rendit à cheval dans le pays de Caux, y demeura cachée environ quinze jours chez un gentilhomme plein d'affection et de, bonté, et parvint à s'embarquer sur un vaisseau anglais qui la conduisit en Hollande. De là elle alla par la Belgique joindre à Stenai le maréchal de Turenne, que sa funeste influence sut retenir dans la faction[3].

Le parti des princes fut aussi malheureux sur les confins de la Champagne. Bécherelle, ayant entretenu des intelligences avec les vieux sergents de la garnison de Damvilliers, dont il avait été lieutenant jusqu'à la paix de Ruel, surprit dans cette place le chevalier de la Rochefoucault, qui y commandait pour son frère. Le maréchal de la Ferté se saisit de Clermont-en Argonne sans coup férir, et les habitants de Monzon chassèrent le comte de Grampré, leur gouverneur, qui leur proposait de se révolter contre le roi[4].

La Normandie pacifiée, la cour revint triomphante à Paris (22 février). L'heureux succès de ce voyage décida la reine à se remettre en chemin pour la Bourgogne. Toutefois, avant de quitter la capitale, elle résolut de rendre plus intime son alliance avec les chefs de la fronde. Elle confirma dans le gouvernement de la Bastille le fils du vieux Broussel, et confia les principaux emplois de l'administration aux magistrats les plus accrédités dans les cours souveraines. Enfin elle ôta les sceaux au chancelier Séguier, homme capable, mais que son humeur timide et servile exposait au mépris, et les rendit au marquis de Châteauneuf, alors âgé de soixante-dix ans, du reste plein de santé, de courage et d'ambition. Mazarin, dont la faveur auprès d'Anne d'Autriche ne craignait plus de rivaux, avait cru devoir accorder cette satisfaction à ses anciens adversaires. Il espérait d'ailleurs se servir de son nouveau collègue dans le ministère pour modérer l'ardeur impétueuse de la fronde, et neutraliser l'influence que Gondi exerçait sur le caractère du faible Gaston depuis la disgrâce de la Rivière.

Il semblait imprudent de laisser les soins du gouvernement au duc d'Orléans pendant l'absence de la cour. On lui donna donc pour conseils Châteauneuf et Le Tellier. Ce dernier, confident intime du cardinal, et le comte de Servien, employé aussi par la reine dans le secret des affaires, devaient servir la cause royale et défendre Mazarin contre ses mauvais ennemis. Les politiques remarquèrent d'ailleurs qu'au moment du départ le ministre plein de finesse avait témoigné beaucoup de bonne volonté aux serviteurs des princes, afin d'inspirer sans doute quelque crainte à la cabale d'Orléans. A cette même époque le cardinal, en parlant de Condé, avait dit publiquement de lui qu'il aurait été le plus grand homme du monde et le plus heureux, s'il avait pu croire que la reine était capable de faire ce qu'elle avait fait.

L'expédition de Bourgogne justifia les espérances de la reine et (le son ministre. Là étaient le gouvernement et les plus fidèles serviteurs de Condé, et tout faisait présager une sérieuse résistance : il n'en fut pas ainsi. Les troupes royales, sous la conduite du duc de Vendôme, nommé par commission gouverneur de cette province, étaient entrées dans Dijon sans coup férir. Le château avait été remis par des officiers manquant de fidélité ou de courage ; les places de Saint-Jean-de-Losne et de Verdun -sur-Saône s'étaient également soumises. A l'arrivée de la cour, Bellegarde ou Seurre, ville forte et bien approvisionnée, que défendait le baron de la Moussaye à la tête de soldats d'élite et de nombreux gentilshommes, restait seule fidèle à l'ancien gouverneur.

La reine envoya le comte de Comminges sommer la Moussaye d'ouvrir les portes au roi. Comme il n'en voulut rien faire, le siège de la place fut résolu. La crue des eaux s'opposa pendant quelques jours à cette entreprise ; enfin, la circonvallation commencée, le ministre voulut la visiter en personne. Il s'en approcha de trop près et courut un grand danger, car un de ses serviteurs fut blessé à ses côtés. Le jeune roi lui-même fit plusieurs fois à cheval le tour de la place et se montra souvent à son armée, dont il enflammait le courage. Au bout de quelques jours, les soldats assiégés obligèrent leurs chefs à capituler, à la condition qu'ils ne rendraient la ville que douze jours après, s'ils ne recevaient aucun secours de Stenai (9 avril). Au jour fixé, les troupes royales entrèrent dans Bellegarde, et la cour repartit triomphante. Saumur, n'ayant pas voulu seconder la résistance de son château, était également retourné au devoir, et Comminges en avait pris possession. La reine lui avait donné le gouvernement de cette ville, devenu vacant par la mort du maréchal de Maillé.

La cause des princes semblait désespérée, lorsqu'elle fut rétablie par d'autres ennemis qui n'inspiraient aucune défiance. Anne d'Autriche, comme nous l'avons dit, avait relégué au château de Chantilly, confisqué naguère sur l'infortuné Montmorency, la princesse douairière de Condé, la jeune princesse avec son fils le duc d'Enghien, alors âgé de sept ans, et les enfants de la duchesse de Longueville. La princesse mère avait perdu toute sa force d'âme, et sa belle-fille, Clémence de Brézé, ne jouissait pas d'une grande considération dans la famille et n'avait point donné jusque-là des preuves d'un grand mérite. Le prince avait eu le tort non-seulement de négliger, mais d'humilier cette femme sous le prétexte qu'il ne l'avait épousée que par obéissance pour son père et pour le cardinal de Richelieu, dont elle était nièce. Les nobles exilés trouvaient des consolations dans le dévouement de leur parente, la belle Angélique de Montmorency, veuve du duc de Châtillon, tendrement aimée de la famille de Condé, et dans les soins du jeune Charles Amédée, duc de Nemours, de la maison de Savoie. Autour d'elles il y avait encore une nombreuse compagnie de femmes de qualité, non moins disposées que Nemours à servir la cause des princes. Dans cette brillante société, que réunissait un des plus beaux lieux du monde, on recevait des visites, des messages et des bulletins de nouvelles ; on tenait conseil sur l'état des affaires ; on se divertissait assez souvent, et de temps en temps quelques regrets étaient accordés aux malheureux prisonniers, qu'on se promettait de venger.

Les habitudes de la cour de Chantilly, la légèreté et l'insouciance qui semblaient y régner, étaient bien capables de rassurer le ministre. Mais pendant le voyage de Bourgogne, il fut averti qu'elle devenait un foyer d'intrigues et de complots. L'âme de tous les desseins sérieux qu'on y formait alors était un homme initié depuis longtemps aux menées politiques, Pierre Lenet, _conseiller au parlement de Dijon. Comme il n'avait pu rien faire en Bourgogne, il était revenu à Chantilly et avait pris la résolution de relever le parti. Il combina ses moyens avec habileté ; et bientôt des intelligences, partant de ce lieu d'exil, furent entretenues avec le duc de Bouillon en Limousin, le maréchal de Turenne à Sienai, le duc de la Rochefoucault en Poitou, et un grand nombre de partisans des princes dans le Périgord, l'Angoumois, à Bordeaux et à Paris.

Comme le château de Chantilly n'offrait pas assez de sûreté contre une entreprise ou une insulte de la cour, Lenet conçut le projet d'enlever le duc d'Enghien, et de conduire cet enfant au lieu où les amis de son père se rassemblaient pour demander à main armée sa liberté, et d'en faire le drapeau du parti. La jeune princesse embrassa ce projet avec ardeur, et déploya dans cette circonstance un courage tout à fait inattendu. Douée d'un noble cœur, elle déclara qu'elle ne céderait à personne l'honneur de suivre partout son fils, même au milieu des rudes épreuves de la guerre civile, et qu'elle était prête à braver tous les périls pour le service de l'époux dont elle portait le nom glorieux. Sur ces entrefaites arriva de Dijon le sieur du Vouldy, gentilhomme chargé de remettre une lettre de cachet à la princesse douairière (11 avril). La reine, instruite en Bourgogne des correspondances établies avec la petite cour de Chantilly, lui enjoignait de quitter aussitôt ce lieu et de se retirer avec la princesse, sa belle-fille, le duc d'Enghien et les enfants du duc de Longueville, à Montrond, place très-forte de la maison de Condé, située sur la rivière du Cher et voisine de Saint-Amand, en Berri. Cette nouvelle demeure était précisément celle que Lenet, les ducs de Bouillon, de la Force, de la Rochefoucault et les autres seigneurs du parti avaient choisie d'avance p9ur asile au fils du vainqueur de Rocroi. Son heureuse position au centre de la France pouvait favoriser leurs nombreuses correspondances avec la plupart des provinces.

Lorsque l'envoyé du roi entra dans l'appartement des princesses, celles-ci, instruites de son arrivée depuis deux heures seulement, s'étaient préparées à le recevoir. La douairière était au lit et feignait une indisposition. Elle prétendit que son âge et son état de santé ne lui permettaient pas de quitter Chantilly aussi brusquement que Sa Majesté l'ordonnait. La jeune princesse reçut également au lit le message du roi. La faiblesse de sa voix, ses plaintes entrecoupées de soupirs et accompagnées de larmes attestaient de vives souffrances. Quant au duc d'Enghien, il se livrait à des jeux d'enfant avec sa gouvernante au milieu de ses femmes et des serviteurs empressés autour de lui, et paraissait jouir d'une bonne santé. Tous les personnages qu'il devait conduire sous bonne escorte et garder à Montrond se trouvant réunis, le gentilhomme crut sans danger d'accorder le délai que semblait exiger l'indisposition 'des princesses. Il écrivait encore à la cour les motifs qui l'empêchaient d'exécuter aussitôt ses ordres, que déjà une des exilées lui échappait. En effet, il avait été trompé le jour de son arrivée par une ruse adroite, et les jours suivants il fut trompé encore. Il n'avait vu ni l'épouse ni le fils de Condé, mais seulement sa mère. C'était une fille d'honneur, Mlle Gerbier, qui, dans la chambre obscure où il avait été introduit, gémissait sur l'oreiller de sa maîtresse, dont elle avait parfaitement contrefait la voix, le ton, les gestes, les reproches et les plaintes. Cet enfant qu'il avait pris pour le duc d'Enghien n'était autre que-le fils d'un jardinier, du même âge que le jeune prince et revêtu de ses habits.

Le soir même du Il avril, à l'entrée de la nuit, Clémence de Brézé partait de Chantilly avec son fils, deux de ses femmes, son fidèle serviteur Lenet, quelques gentilshommes et un petit nombre de valets dévoués. Après trois jours d'une marche paisible, elle arriva au lieu que la reine lui avait assigné pour résidence, à Montrond, et de là elle écrivit au secrétaire d'État, Le Tellier, afin de protester de son obéissance. La noblesse du Berri et des provinces voisines accourut auprès d'elle et lui offrit ses services, que la princesse ne refusa point ; et, au lieu d'être placée sous la surveillance des agents du cardinal, elle fut gardée par les amis de son mari.

Pendant ce temps, la princesse douairière de Condé, reprenant à propos ses forces pour échapper au sieur du Vouldy,, avait quitté son agréable demeure, et, malgré la défense de la reine, s'était réfugiée à Paris même, avec la duchesse de Châtillon. Elle y demeura cachée quelques jours, et le 27 avril, accompagnée de sa fidèle amie et du marquis de Saint-Simon, frère aîné du duc, elle parut en posture de suppliante dans le parquet des huissiers) à l'heure où les magistrats venaient prendre leurs places. La mère du héros de Rocroi et de Lens tenait en main une requête dont le conseiller Deslandes-Payen osa seul se charger. Elle demandait à la compagnie justice de la détention de ses fils et de son gendre, et que, conformément à la déclaration du 24 octobre 1648, « on fit leur procès, s'ils avaient failli contre le service du roi, » et, sinon, qu'ils fussent remis en liberté.

Cette démarche éclatante et pathétique de la veuve d'un premier prince du sang embarrassa fort le parlement, qui ne pouvait rejeter sa requête sans se mettre en contradiction formelle avec lui-même. Il prit l'illustre exilée sous sa protection en attendant la réponse du duc d'Orléans. Gaston, le duc de Beaufort et Gondi, qu'elle avait humblement priés de lui accorder leur protection, et les autres frondeurs restèrent fidèles à Mazarin et empêchèrent qu'on ouvrît la délibération. Sur les instances du premier président, on permit seulement à la princesse de se retirer dans les environs de Paris, pour y attendre le retour d'Anne d'Autriche. Elle espérait ne pas implorer en vain sa clémence pour la liberté des prisonniers de Vincennes. Dès le soir même, elle partit pour le Bourg-la-Reine, d'où elle reçut ensuite l'ordre de se rendre à Valery.

La cour rentra dans Paris le 2 mai ; Mazarin, voulant s'acquitter envers les frondeurs « de l'opposition qu'ils avaient faite à Mme la princesse, » publia une amnistie pour tous les actes qui avaient précédé l'arrestation des princes. Cette amnistie, longtemps contestée, remise, éludée avant les voyages de Normandie et de Bourgogne, fut enregistrée par le parlement. Le ministre n'aurait sans doute pas été si facile, sans l'intention manifestée par le coadjuteur, « de poursuivre à toute rigueur la justice contre les brevets. » Le duc de Vendôme reçut ensuite l'investiture de la charge de grand maître, chef et surintendant général de la navigation, avec survivance au profit du duc de Beaufort, mais au grand mécontentement du duc de Mercœur, son frère aîné.

Comme le duc de Bouillon, le maréchal de Turenne et le duc de la Rochefoucault persistaient dans leur révolte contre la reine, le parlement enregistra également sans difficulté une déclaration de lèse-majesté contre eux et contre Mme de Longueville. Turenne et la duchesse avaient en effet traité à Stenai avec les Espagnols, habitués depuis Philippe II à jouer un rôle dans toutes les discordes de la France. Pour obtenir des secours d'hommes et d'argent, ils s'étaient engagés à « ne se point accommoder que M. le prince ne fût hors de prison, et que l'on n'eût offert une paix juste, égale et raisonnable à l'Espagne. » Ainsi le vertueux Turenne, confondant le devoir avec la passion, le droit avec l'intérêt, s'était laissé entraîner par le torrent des partis et avait passé de la révolte à la trahison.

Quant aux ducs de Bouillon et de la Rochefoucault, après s'être réunis vers le Poitou et le Limousin, ils avaient appelé sous leur bannière une foule de gentilshommes qui s'empressèrent de répondre à leur voix. Ils ralliaient en même temps à la cause des princes les autres grandes maisons du sud-ouest, en Poitou, le duc de la Trémoille, qui promettait l'autorité de son nom et la place de Taillebourg ; en Périgord, le maréchal de la Force, ancien chef du parti protestant dans le midi, assez puissant pour mettre sur pied six mille hommes de borines troupes, si toutefois on lui fournissait quelque argent. Lenet, renfermé dans Montrond, dont il hâtait activement les préparatifs de défense, négociait avec le marquis de Bourdeille, dont l'influence sur toute la noblesse catholique du Périgord pouvait balancer celle de la maison de la Force sur les huguenots, entre les mains desquels la princesse douairière lui avait fait jurer de ne jamais livrer son petit-fils.

Tandis qu'une grande partie de la noblesse du midi, entraînée par les instances et les promesses de Bouillon et de la Rochefoucault, prenait les armes en faveur des princes, le premier de ces ducs rebelles cherchait à leur fournir d'autres alliés plus puissants encore. Ainsi il envoyait à Bordeaux son secrétaire Langlade, homme à l'esprit vif et plein de lumières. La haine que cette ville portait au duc d'Épernon, pétri de vices et de travers, l'avait déjà excitée deux fois à la révolte, sans que Mazarin, dans un intérêt de famille, donnât à la province de Guienne un autre gouverneur. Au mépris de l'exaspération des esprits, il protégeait le père de son futur neveu. Aussi Langlade trouva-t-il la plupart des Bordelais tout préparés par leurs propres ressentiments à recevoir ses propositions d'alliance. Il travailla d'ailleurs avec tant d'habileté, qu'ils consentirent à entrer dans les intérêts des nouveaux frondeurs. Malgré le mauvais succès de ses tentatives auprès des parlements de Paris, de Rouen et de Dijon, Lenet persuada également au parlement de Bordeaux de se montrer reconnaissant envers Condé, son ancien protecteur. Les magistrats et les bourgeois s'engagèrent donc à recevoir dans leurs murs le jeune duc d'Enghien et sa mère, pourvu qu'ils ne fussent pas accompagnés d'une suite nombreuse.

Sur la foi des paroles et des promesses de la princesse, la cour ne l'avait point inquiétée dans Montrond, et s'était contentée d'envoyer le vieux maréchal de la Meilleraye en Poitou, afin de prendre le commandement des troupes. Mais les rapports de ses agents lui inspirèrent bientôt de vives alarmes, et Clémence se voyait menacée d'y être investie, lorsqu'elle résolut d'abandonner cette retraite pour se mettre avec son fils à la tête du parti armé. Avant d'en sortir, elle fit remplir la place de provisions de guerre et de bouche, et y laissa une garnison d'élite sous les ordres du marquis de Persan, gentilhomme d'une valeur éprouvée. Puis elle rassembla tous les officiers et gentilshommes, les harangua avec courage, et ne se sépara d'eux qu'après les avoir payés de caresses, « monnaie qui passe partout, » dit Lenet. « Les sots s'en paient et les honnêtes gens les souhaitent. » La princesse, il est vrai, possédait supérieurement l'art de donner cours à cette monnaie. Agréable sans être belle, d'un caractère doux et affable, prévenante, accessible, elle s'exprimait avec grâce et facilité, et se montrait avantageusement dans toutes les occasions qui exigeaient de la présence d'esprit et de la vigueur.

L'épouse de Condé quitta le château de Montrond au milieu de la nuit. Elle était suivie d'une troupe composée de cinquante hommes, y compris les gardes et les valets. Elle fit la plus grande diligence, et, après deux jours d'une marche heureuse, elle rejoignit les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault à Mauriac, en Auvergne (14 mai). Ils la conduisirent à Turenne, en Limousin, sur les terres de Bouillon, où elle devait s'arrêter quelques jours avant de continuer sa route pour la capitale de la Guienne. Elle y fut reçue avec la plus grande magnificence, et le temps s'y passa au milieu de longs repas, de fêtes brillantes et de divertissements de tous genres. Mais le séjour de la princesse au château de Turenne refroidit un peu le zèle des magistrats et des bourgeois de Bordeaux qui, en consentant à lui accorder un asile, n'avaient pas voulu s'engager à recevoir dans leur ville les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault, accusés par la voix publique d'intelligence avec l'Espagne.

A cette nouvelle, Clémence de Brézé sentit renaître sa courageuse impatience de se rendre à Bordeaux. Elle partit de Turenne le 22 mai avec les ducs et une armée forte de quinze cents hommes à cheval et de deux mille quatre cents fantassins. La princesse et son fils descendirent la Dordogne en bateau jusqu'à Limeuil, pendant que l'armée suivait le rivage. Le chevalier de La Valette, parent d'Épernon, voulut en vain les arrêter avec quelques troupes, et leur livra un petit combat dans lequel il perdit la cassette qui contenait sa correspondance, et fut poursuivi jusqu'aux portes de Bergerac. La princesse et l'armée, reprenant ensemble leur route, traversèrent le Périgord sans obstacle et arrivèrent à Coutras, où ils se reposèrent vingt-quatre heures. Là, ils apprirent encore que les bourgeois de Bordeaux, fidèles à leur promesse, étaient prêts à ouvrir leurs portes à l'épouse et au fils de Condé, mais non à la puissante escorte dont ils étaient accompagnés. La princesse sortit donc de Coutras avec le duc d'Enghien et les dames de sa suite, passa la Dordogne et s'embarqua sur la Garonne (31 mai).

Une violente sédition venait d'éclater dans Bordeaux. Le colonel d'Alvimar s'y était présenté la veille avec des lettres de la cour qui défendaient au parlement et aux jurats de recevoir aucuns adhérents des princes. La ville s'était alors divisée : une partie des magistrats et des bourgeois voulait obéir à l'autorité royale et conserver la paix publique ; l'antre persistait dans le dessein contraire. Le lendemain, les jurats donnèrent l'ordre de tenir les portes fermées ; mais le peuple se souleva, et l'on se battait dans les rues lorsque, du haut des remparts, les amis de la princesse aperçurent la frêle nacelle qui la portait. A cette vue, ils redoublèrent d'efforts, brisèrent les portes à coups de hache, et Clémence de Brézé entra seule avec son fils, accueillie par les bénédictions de ses partisans et aux cris mille fois répétés de vivent les princes et point de Mazarin ! Elle eut beaucoup de peine à sauver des mains de la Multitude l'envoyé de la cour, que sa loyale persistance à demander l'exécution des ordres du roi exposait au danger d'être mis en pièces.

Le 1er juin, la princesse se présenta en suppliante au parlement avec le duc d'Enghien, porté devant elle par un écuyer. Elle implora.la protection et la pitié des magistrats, et leur remit une requête dans laquelle étaient rappelées les souffrances et les persécutions que le cardinal Mazarin avait fait subir à elle et à sa famille, au mépris de la déclaration du 24 octobre. Appuyée au dehors par les menaces de trente mille voix t cette requête excita de longs et violents débats dans la compagnie. Malgré les efforts du parti des princes, l'influence de l'avocat général La Vie, soutenu du premier président Pontac, allait déterminer la majorité à requérir l'exécution des ordres du roi, lorsque l'épouse de Condé, prenant son fils par la main, tomba aux pieds des magistrats et les conjura, les larmes aux yeux, de recevoir cet enfant sous leur protection. Le jeune duc lui- même, posant un genou en terre, s'écria « Servez-moi de père, Messieurs ; le cardinal Mazarin m'a ôté le mien. »

Les larmes de la mère et les paroles du fils causèrent dans l'assemblée une vive émotion. Elle exigea néanmoins de la princesse l'assurance qu'elle n'entreprendrait rien contre le service du roi, puis délibéra sur sa demande. Entraînés par le mouvement populaire, les magistrats rendirent enfin un arrêt portant que le roi serait supplié de renvoyer les princes prisonniers à leurs juges naturels, et d'agréer que la princesse de Condé et le duc d'Enghien demeurassent en sûreté et obéissance dans la ville, sous la sauvegarde de la justice. Le jour suivant, les dues de Bouillon et de la Rochefoucault, ayant passé la Dordogne, entrèrent à leur tour, et le parlement, admettant leur opposition à la déclaration rendue contre eux, les autorisa à rester aussi provisoirement. Leurs troupes s'établirent aux environs de Bordeaux. La princesse et ses partisans furent bientôt les maîtres dans la ville, d'où ils chassèrent les magistrats qui leur étaient contraires, firent des levées et envoyèrent des agents en Espagne, afin d'en obtenir des secours d'hommes et d'argent. Le parlement lui-même ne put résister au mouvement. Il se mit en rapport avec celui de Paris pour lui demander assistance, et, sur quelques démonstrations hostiles du duc d'Épernon, prescrivit l'armement des citoyens. Quelques jours après, il refusa de recevoir un trompette envoyé par le maréchal de la Meilleraye, sous le prétexte qu'on ne s'adressait ainsi qu'à des ennemis, et lança, en forme d'arrêt, une déclaration de guerre contre Épernon, ses fauteurs et adhérents[5].

Lorsque les nouvelles de tous ces événements arrivèrent à la cour, on apprit en même temps que le vicomte de Turenne, sorti de Stenai à la tête d'un petit corps d'armée, venait d'opérer sa jonction avec l'archiduc Léopold. Les circonstances devenaient plus difficiles, la situation plus menaçante. On manquait toujours d'argent, et c'était la plaie du moment. Tout récemment, les Suisses au service de France s'étaient révoltés faute de paiement ; et, comme les coffres du roi étaient vides, Anne d'Autriche, pour les satisfaire, avait mis le reste de ses pierreries en gage. D'Émeri étant mort sans avoir restauré les finances, le cardinal lui avait donné pour successeur le président Longueil de Maisons, frère du conseiller Longueil, un des plus ardents frondeurs. Le nouveau surintendant ne fut pas plus heureux que son prédécesseur.

Sur le bruit de la marche des Espagnols, Mazarin avait réuni une armée à la hâte, et confié la défense du territoire contre l'ennemi extérieur au brave et habile maréchal du Plessis-Praslin. La cour s'était ensuite établie à Compiègne, afin de se trouver dans le voisinage des opérations militaires. Le général français, voyant l'ennemi entré en Picardie, s'efforça de couvrir les places de l'Oise et de la Somme. Il ne put cependant l'empêcher de prendre le Catelet, petite ville du Vermandois. Attaqué avec la plus grande impétuosité, Vandi, son commandant, se défendit avec une rare intrépidité. Il tua de sa main les deux premiers qui lui proposèrent de se rendre. Mais sa résistance ayant irrité les soldats de la garnison et les paysans réfugiés dans le Catelet, ils s'emparèrent de ce brave officier, le chargèrent de liens et livrèrent la place aux assiégeants (15 juin). Les Espagnols et Turenne allèrent aussitôt mettre le siège devant Guise, dont Bridieu était gouverneur[6].

Les nouvelles venues de Bordeaux vers cette époque jetèrent le ministre dans les plus cruelles anxiétés. Après de longues hésitations, il se résolut à laisser le soin de la guerre étrangère à du Plessis, afin d'aller en Guienne étouffer la révolte et forcer Bordeaux à la soumission. Il donna les ordres nécessaires à la défense de Guise et ramena le roi de Compiègne à Paris, où il s'empressa de tout disposer pour le prompt départ de la reine et du jeune monarque. Au milieu de ses préparatifs, il apprit que l'ennemi avait emporté d'assaut la vile de Guise, malgré la généreuse résistance du gouverneur et des habitants. Mais la garnison et le vaillant Bridieu s'étaient retirés dans le château qui commandait la ville, et s'y étaient défendus avec une heureuse opiniâtreté, tandis que le maréchal du Pies-sis, posté sur la rive nord de l'Oise, interceptait les convois des Espagnols et leurs communications avec le Cambrésis et le Hainaut. Il les incommoda tellement qu'au bout de quinze jours l'archiduc et son allié furent obligés de lever le siège et de se rapprocher des Pays-Bas (2 juillet).

Avant de quitter la capitale, Anne d'Autriche et Mazarin mirent tout en œuvre pour se concilier les frondeurs et surtout Gaston, dans la conduite duquel ils avaient cru voir des tergiversations politiques, suggérées par le coadjuteur. Le duc d'Orléans eut le gouvernement du pays au nord de la Loire, en l'absence de la régence. Le secrétaire d'État de la guerre Le Tellier et le garde des sceaux Châteauneuf restèrent à Paris, afin de l'assister de leurs conseils.

Le 4 juillet, la reine se mit en route avec le roi, le duc d'Anjou et Mlle de Montpensier, en annonçant que le duc d'Épernon avait été mandé devant le roi, pour rendre compte de sa conduite envers les Bordelais. Ce jour-là, un député du parlement de Guienne se présentait à la cour suprême de Paris, afin de solliciter son intervention. Cette circonstance n'apporta point d'obstacle au départ, Leurs Majestés ayant laissé à la prudence de leurs fidèles magistrats le soin de faire justice de ce message. Mais ce voyage ne se fit pas avec la même promptitude que ceux de Normandie et de Bourgogne. Alarmé des symptômes d'opposition qu'il avait remarqués et qui commençaient à gêner ses mouvements, Mazarin était obligé de regarder souvent derrière lui. Pendant la route, il s'arrêtait, communiquait plus avec Paris qu'avec Bordeaux et conduisait une foule d'intrigues. Il fallait son astuce, sa pénétration d'esprit pour ne pas éprouver un profond dégoût et ne pas se perdre dans ce labyrinthe. En effet, outre l'attention qu'exigeait du ministre la substance des affaires, il avait à fixer l'éternelle irrésolution du duc d'Orléans, la légèreté de la duchesse de Chevreuse, les caprices de Mine de Montbazon ; à découvrir la malice secrète de Gondi, auquel il avait en vain offert une place au conseil ; à se précautionner contre les saccades du duc de Beaufort.

Sous les murs de Bordeaux, de nouvelles difficultés assaillirent le cardinal, sans cesse occupé à démêler le bon du mauvais, le vrai du faux, dans les offres insidieuses de Lenet, des ducs de Bouillon et de la Rochefoucault et des autres chefs de la révolte, qui ne proposaient souvent la paix que pour mieux se préparer à la guerre. Sa situation était d'autant plus triste, qu'il avait très-peu d'amis auxquels il pût véritablement se fier. Excepte Servien, Le Tellier et Lionne, nommés depuis les sous-ministres, et les abbés Fouquet et Zongo Ondedey, trop servilement dévoués à ses intérêts, toute la cour lui était opposée. Les troupes mêmes, auxquelles on avait persuadé qu'elles soutenaient la cause du ministre, semblaient ne servir qu'à regret. Mais la présence du jeune roi les retenait dans le devoir.

Cependant la princesse de Condé s'était fortifiée dans Bordeaux et mise en rapport avec. Madrid, dont elle avait reçu quelque argent et des promesses, et les hostilités avaient continué entre les habitants et le maréchal de la Meilleraye, -depuis que le duc d'Épernon avait été appelé à la cour. Le parlement lui - même, embrassant avec- plus d'ardeur la cause défendue par Bouillon et la Rochefoucault, avait décrété des remontrances contre Mazarin, et interdit l'entrée de la ville au cardinal et aux troupes du roi. Malgré ces dispositions à la guerre, le retour des députés chargés de porter ces remontrances à la régente, établie dans Libourne, avait produit une réaction pacifique, lorsque la pétulance ordinaire de la Meilleraye entraîna les Bordelais dans un sentiment de fureur et de désespoir.

Le 5 août, on apprit que le maréchal avait emporté d'assaut le fort de Vayres, dont l'heureuse position sur la Dordogne défendait les approches de Bordeaux. Le brave Bichon, commandant du château, avait eu l'audace de soutenir plusieurs attaques de l'armée royale avec trois cents hommes de milice. Conduit à Libourne, il fut condamné à être pendu, et aussitôt attaché à une potence dressée sous la halle, en dépit des efforts de M"` de Montpensier et du marquis de Biron pour obtenir sa grâce.

A la nouvelle du supplice de Bichon, de la cruauté exercée par la Meilleraye, les habitants de Bordeaux se levèrent en furie, et les généraux exigèrent une satisfaction sanglante afin de compromettre la ville. Parmi les royalistes que le sort des armes avait fait tomber en leurs mains, ils choisirent pour victime le baron de Canolles, major du régiment de Navailles, pris cinq semaines auparavant dans une attaque contre l'île Saint-Georges. Depuis ce temps, cet officier demeurait librement à Bordeaux, sur sa parole. Par son humeur facile et sociable, il était parvenu à se créer des relations de plaisirs. Les archers envoyés pour l'arrêter le trouvèrent dans une maison où il s'égayait à table avec ses amis. Après une courte délibération, un conseil formé des députés du parlement, des jurais et des capitaines de la milice bourgeoise, le condamna également à la potence, et le fit exécuter, sans plus de retard, sur le port de Bordeaux, à la vue d'un peuple immense qui applaudissait à cet acte de barbarie. Aussi compatissante qu'intrépide, la princesse de Condé avait imploré vainement le conseil en faveur du malheureux prisonnier.

Ces cruelles représailles imprimèrent une nouvelle vigueur à la résistance des Bordelais, et le parlement adressa une demande d'union à toutes les compagnies souveraines du royaume. Les négociations furent cependant reprises quelque temps après, et se prolongèrent au milieu des hostilités. Enfin, épuisés par leurs efforts et ne comptant plus sur les magnifiques promesses de l'Espagne, qui n'envoyait à leur secours ni flotte ni argent, les assiégés demandèrent à capituler, et la reine consentit à recevoir leur soumission. Elle accorda à tous les habitants de Bordeaux une amnistie générale, dans laquelle furent compris les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault. Les troupes qui avaient soutenu le siège purent aller joindre en sûreté l'armée de M. de Turenne à Stenai. La princesse de Condé eut permission de se retirer avec son fils dans celle de ses maisons d'Anjou qu'il lui conviendrait de choisir. Si le séjour de Montrond lui était plus agréable, elle pourrait y tenir une garnison de deux cents hommes de pied et de cinquante gardes à cheval. Ces troupes, choisies par elle et commandées par des officiers à sa nomination, seraient entretenues aux dépens du roi. Un acte à part contenait la révocation du duc d'Épernon. Mais il ne fut pas question de la liberté des princes, dont la détention avait allumé cette guerre (1er octobre).

Aussitôt après cet accommodement, la princesse fit ses préparatifs de départ pour Coutras, où elle pouvait s'arrêter quelques jours. Sur l'assurance du maréchal de la Meilleraye qu'elle serait bien reçue de la reine, et conseillée par les ducs et par Lenet, elle alla trouver Anne d'Autriche à Bourg, dans l'espoir que ses prières obtiendraient ce que n'avait pu arracher la violence. Clémence parut devant elle avec une contenance noble et respectueuse, se jeta à ses genoux, tenant son fils par la main, et la supplia d'ouvrir les portes de la prison à son époux, au prince qui avait tant de fois prodigué son sang pour le service du roi et pour celui de l'État. La reine sut résister aux larmes d'une femme et d'un enfant, et se montra doucement inflexible. Les ducs et Lenet eurent ensuite avec le cardinal des conférences secrètes qui causèrent beaucoup de jalousie aux frondeurs, et irritèrent toutes les défiances du duc d'Orléans, à qui Mlle de Montpensier rendait compte de tout ce qu'elle voyait et entendait. Bouillon et la Rochefoucault pressèrent vivement le ministre de se réconcilier avec la maison de Condé, et tirent valoir auprès de lui des considérations politiques. Il les écouta d'un air de bienveillance, en discuta fort au long avec eux les avantages et les inconvénients, et ne leur donna que des réponses évasives. Les ducs et Lenet quittèrent ensuite la cour et rejoignirent la princesse de Condé à Coutras. Après y avoir pris toutes les mesures nécessaires pour établir des relations sûres et faciles entre les chefs du parti, ils se séparèrent. Le duc de la Rochefoucault se retira en Poitou, et le duc de Bouillon se dirigea vers Turenne. Quant à la princesse, elle partit pour Milly, château de la maison de Maillé, en Anjou, d'où elle devait se rendre à Montrond.

Le roi et la reine entrèrent à Bordeaux le 5 octobre, avec toute la cour et une partie de l'armée. Ils y furent accueillis avec respect, mais sans la joie publique qui accompagne pour l'ordinaire les visites de cette nature. Les Bordelais témoignèrent cependant beaucoup d'affection à Mlle de Montpensier, dont l'importance depuis cette époque alla toujours croissant. Ils n'adressèrent point au premier ministre les compliments d'usage en pareille occasion ; et la reine le sentit comme un outrage fait à sa personne. Pressé de se soustraire aux regards d'une populace triste et parfois menaçante, le cardinal rétablit dans leurs fonctions les magistrats chassés pendant le siège pour leur dévouement à la cause royale ; puis il se hâta de reprendre la route de Paris, où le rappelaient de graves intérêts.

Pendant le voyage de la cour en Guienne, le parti des princes avait fait des progrès dans la capitale, et les anciens frondeurs avaient causé de grandes inquiétudes au ministre. Tout ce qui se passa à Paris dans cet intervalle n'est qu'un enchaînement d'intérêts, de vues, de résolutions, de projets disparates qui montrent clairement l'embarras de tous les acteurs. Le parlement s'était trouvé de nouveau engagé dans les affaires d'État, pour avoir prêté une oreille trop complaisante aux instances de celui de Bordeaux, qui espérait obtenir par sa médiation des conditions de paix plus avantageuses. Flatté d'avoir trouvé l'occasion de s'entremettre dans la querelle d'une province possédant aussi sa justice souveraine, il avait envoyé des présidents et conseillers de la compagnie négocier en Guienne. La cour les avait amusés de belles paroles, tandis que les troupes royales serraient la ville rebelle. Gaston lui-même, poussé par les frondeurs, et voulant imposer la paix, avait député à la reine un gentilhomme chargé d'importantes propositions de sa part, et les magistrats s'étaient adjoints au duc d'Orléans, après une discussion dans laquelle les partisans des princes avaient réclamé de nouveau leur liberté et s'étaient élevés avec violence contre la tyrannie de Mazarin (9 août).

Dans le même temps, les nouvelles du nord de la France étaient devenues plus alarmantes. L'archiduc Léopold, entré en France par la Picardie, s'était emparé de la Capelle et de Vervins, et le maréchal de Turenne, s'avançant vers la Champagne, avait occupé Château - Porcien et Rhétel, conduit les Espagnols jusqu'à Neufchâtel-sur-l'Aisne et forcé le passage de la Vesle à Fismes. De là, il avait poussé jusqu'à la Ferté-Milon, et le chemin de Paris lui était ouvert pour tenter un grand coup de main. Mazarin apprit sous les murs de Bordeaux la course victorieuse de l'ennemi en Champagne. Attentif et adroit à profiter de toutes les circonstances, il s'en montra fort alarmé, et fit répandre le bruit que M. de Turenne devait se détacher de l'armée espagnole avec un corps nombreux de cavalerie, et se diriger sur k château de Vincennes pour enlever les princes. Ce projet avait sans doute été formé ; mais il paraissait impossible dans l'exécution, quand même il y aurait eu dans Paris, comme on le disait, quelque infanterie prête à les seconder. Cependant les émissaires du cardinal inspirèrent si habilement la terreur, que le duc d'Orléans et son conseil résolurent de faire conduire ailleurs les illustres captifs. Les partisans de Mazarin proposaient le Hâvre- de-Grâce, où il pouvait confier leur garde à un commandant affidé. Les frondeurs et surtout Gondi insistaient pour la Bastille, prison sous leur main en quelque sorte, et qui les laissait arbitres du sort des prisonniers, avec lesquels on craignait leur réconciliation. Enfin, après de vifs débats, le duc d'Orléans trouva un terme de conciliation, qui fut de les transférer à Marcoussis, château du comte d'Entragues, situé à six lieues au sud de Paris, couvert par la Seine et la Marne. Ils y furent en effet conduits sous bonne escorte.

Perdant alors l'espoir de délivrer les princes, Turenne et l'archiduc essayèrent d'exciter des troubles dans Paris, où les paysans des villages voisins se réfugiaient en foule et où régnait déjà une grande confusion. L'archiduc publia sur son passage qu'il ne faisait la guerre que pour obtenir la paix, à laquelle le ministre de la reine mettait seul obstacle. Il envoya même au duc d'Orléans un trompette porteur d'une lettre où il lui offrait de traiter ensemble de la paix. De son côté, Turenne fit afficher par les agents du parti, sur les places les plus fréquentées de la capitale, des placards séditieux avec cette inscription en tête : Le maréchal de Turenne aux bons bourgeois de Paris. Ces placards engageaient le brave et invincible peuple de Paris à se mettre à l'abri de l'oppression que lui préparait le cardinal, et à ne chercher son salut que dans celui des trois princes que son tyran voulait sacrifier à ses terreurs paniques. Ils attaquaient aussi particulièrement le duc de Beaufort et le coadjuteur, tout en excitant le peuple par promesses et par menaces à se soulever contre « ces faux tribuns devenus pensionnaires et protecteurs du cardinal Mazarin, qui se jouaient depuis si longtemps de sa fortune et de son repos. » Les efforts des ennemis pour soulever Paris furent inutiles, et l'archiduc, voyant cette ville immobile et le but de son expédition manqué, éluda la conférence qu'il avait lui - même proposée et à laquelle, sur des ordres de la cour, le duc d'Orléans avait envoyé le nonce du pape, l'ambassadeur de Venise et le comte d'Avaux. On put juger bientôt du peu de sincérité des démonstrations pacifiques de l'Espagnol par les ravages qu'il exerça dans le pays, et par le besoin où l'on se trouva de pourvoir aux frais de la guerre.

La capitale était agitée ; le parlement, le duc d'Orléans et les frondeurs n'étaient pas favorablement disposés à l'égard du ministre, lorsque la cour, retardée par une grave indisposition survenue à la reine, arriva enfin à Fontainebleau (7 novembre). Anne d'Autriche-écrivit aussitôt à Gaston de s'y rendre. Elle désirait obtenir son consentement pour la translation des princes au Hâvre-de-Grâce. Elle espérait d'ailleurs qu'en le tenant éloigné de ses conseillers, elle pourrait plus facilement détruire les préjugés qu'il montrait contre son administration, et surtout son aversion contre Mazarin, qu'elle soupçonnait lui être inspirée par Gondi et les autres chefs des frondeurs. Ceux-ci, craignant que le duc ne pût résister aux insinuations de sa belle-sœur, s'efforcèrent de rompre ce voyage. Mais les instances de la reine devinrent si pressantes, qu'ils durent consentir au départ de Gaston, après avoir exigé de lui la parole qu'il s'opposerait à la translation des prisonniers de Marcoussis au Havre. Ses conseillers le chargèrent en même temps de solliciter le chapeau de cardinal pour le coadjuteur. Le prélat avait jadis refusé cette dignité, qu'il ne voulait point devoir aux besoins et aux malheurs de l'État. Les circonstances n'étant plus les mêmes, ses idées s'étaient modifiées, et il ne voyait que la nomination au cardinalat qui pût le sauver de la vengeance du ministre. Car il la redoutait depuis que, ne cachant plus ses dispositions à son égard, Mazarin s'élevait avec force contre la conduite tenue par lui et les frondeurs pendant l'absence de la cour.

Le duc d'Orléans arriva le 10 novembre à Fontainebleau, où il était attendu depuis trois jours. Le roi, accompagné du ministre, alla au-devant de lui, et la reine lui fit le meilleur accueil. Lorsqu'elle lui parla de son, projet de tirer les princes de Marcoussis pour les transporter dans la citadelle du Havre, où leur garde serait plus sûre et moins onéreuse à l'État, il résista quelques moments ; puis, touché des prières et des menaces de la régente, il accorda son consentement, et des ordres furent aussitôt expédiés pour l'exécution. Il fut ensuite question de la nomination royale du coadjuteur au cardinalat, dont la reine avait repoussé fièrement les premières propositions que lui avait faites la duchesse de Chevreuse. Sur les nouvelles instances du duc d'Orléans, Anne s'adoucit et promit de soumettre la demande à la délibération de son conseil. On le convoqua. Le ministre parla en faveur de l'archevêque de Corinthe ; mais le comte Servien et le secrétaire d'État Le Tellier, ses ennemis déclarés, et le vieux Châteauneuf, qui aurait vu avec orgueil le chapeau rouge ombrager ses cheveux blancs, s'élevèrent contre son opinion « avec une hauteur et une fermeté qu'on ne trouve pas dans les conseils, quand il s'agit de combattre les avis du premier ministre[7]. » La présentation du coadjuteur fut donc repoussée, et Gaston s'en retourna peu satisfait à Paris, où les frondeurs l'attendaient avec impatience.

A cette même époque, la cour quitta Fontainebleau pour rentrer aussi dans cette ville, dont elle connaissait les dispositions peu bienveillantes à l'égard du ministre. En effet, peu de jours auparavant, « il y avait été pendu en effigie dans tous les carrefours, avec des vers infâmes, » et les exempts du lieutenant civil n'avaient fait disparaître qu'avec beaucoup de peine des tableaux peints à l'huile, représentant un cardinal en rochet et en camail, avec la corde au cou. Lorsque le cortége royal s'approchait de la capitale, les trois princes, auxquels des entreprises formées pour leur évasion, malgré l'attention minutieuse de leur infatigable geôlier, avaient donné l'espoir d'une prochaine délivrance, quittaient Marcoussis et s'acheminaient à petites journées vers le Hâvre. Le comte d'Harcourt, gouverneur de Normandie, dirigeait la marche de l'escorte chargée de leur garde.

La reine, descendue au Palais - Royal, « y trouva toute la fronde, tant en gros qu'en détail. » Elle reçut froidement le duc de Beaufort, et fit au coadjuteur de grands reproches sur sa conduite. Le mécontentement de la régente n'empêcha pas la duchesse de Chevreuse de réclamer pour le coadjuteur le chapeau de cardinal, comme gage d'alliance. Mazarin, qui se croyait hors de péril par la translation des princes au Hâvre, ne prit aucun ménagement et prononça un refus positif.

Dans un conseil tenu par les frondeurs, Gondi avait présenté la tentative faite auprès du ministre comme une espèce de pierre de touche capable de faire connaître la confiance que pouvaient inspirer ses promesses. Il avait ensuite déclaré qu'il n'y avait pas de milieu pour lui entre la dignité de cardinal et l'emploi de chef de parti. Ce refus lui parut donc un défi porté par son adversaire ; il n'hésita plus à se prononcer contre lui, résolut d'employer à briser les fers de Condé les mêmes mains qui les avaient forgés et de renverser l'odieux Mazarin. Il lui fallait pour cela réunir les anciens et les nouveaux frondeurs, déjà d'accord sur un point, l'expulsion du ministre, et, par conséquent, traiter secrètement avec le parti des princes.

Anne de Gonzague, appelée princesse palatine depuis son mariage avec Édouard de Bavière, fils de l'électeur Frédéric V, roi de Bohême, se chargea de cette affaire importante. Afin d'inspirer aux personnages qu'elle voulait rapprocher les dispositions dont elle avait besoin, cette femme, d'une capacité étonnante pour l'intrigue, d'un esprit éclairé au-dessus du commun, et toute dévouée à Condé, sut employer heureusement la duchesse de Chevreuse et sa fille, Mme de Guéménée, de Rhodes et de Montbazon. Comme « elle avait alors la confiance entière des desseins des princes et des frondeurs, » un prompt succès couronna ses négociations avec les seigneurs et le parlement : les deux frondes se réunirent. Les bases de la réconciliation furent le mariage du duc d'Enghien avec Mite d'Alençon, fille du duc d'Orléans, qui, gouverné par le coadjuteur, avait été entraîné après lui, tout hésitant, dans le complot ; celui du prince de Conti avec Mlle de Chevreuse ; le chapeau de cardinal pour Gondi ; l'amirauté confirmée au duc de Beaufort ; enfin une somme de cent mille écus pour Mme de Montbazon.

 

 

 



[1] Henri Martin.

[2] Mémoires de Mme de Motteville.

[3] Mémoires de Mme de Motteville.

[4] Mémoires de Retz.

[5] Mémoires de Lenet.

[6] Mémoires de Mme de Motteville.

[7] Mémoires de Retz.