Le peuple se réjouit
de l'arrestation des princes. - Déclaration de la reine. - Beaufort et Gondi
acquittés par le parlement. - Disgrâce de l'abbé de la Rivière. - La noblesse
prend la défense des princes. - La duchesse de Longueville en Normandie. -
Soumission de cette province. - Retour de la cour à Paris. - Le marquis de
Châteauneuf, garde des sceaux. - Expédition de Bourgogne. - Prise de
Bellegarde. - Les princesses de Condé à Chantilly. - Clémence de Brézé et le
duc d'Enghien se retirent à Montrond. - Requête de la princesse douairière au
parlement. - Déclaration contre le maréchal de Turenne et les seigneurs du
parti de Condé. - Les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault appellent aux
armes la noblesse du midi. - La princesse de Condé reçue à Bordeaux. -
L'ennemi entre en Picardie. - Prise du Catelet par les Espagnols. - Siège de
Bordeaux par les troupes royales. - Prise du fort de Vayres. - Supplice de
Bichon. - Cruelles représailles des Bordelais. - Soumission des assiégés. -
Entrevue de la princesse de Condé avec la reine. - Conférences de Mazarin
avec les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault. - Entrée de la cour à
Bordeaux. - Hostilités reprises par les Espagnols dans le nord de la France.
- Les princes transférés à Marcoussis. - Vains efforts des ennemis pour
exciter une sédition dans Paris. - Retour de la cour vers la capitale. -
Gondi demande le chapeau de cardinal. - Translation des princes au Havre. -
La cour rentre à Paris. - Union des deux frondes.
La
voiture qui conduisait les illustres prisonniers au donjon de Vincennes était
déjà loin de Paris, lorsque la régente envoya le comte de Brienne ordonner à
la princesse douairière de Condé de se retirer à Chantilly et d'y mener sa
belle-fille et son petit-fils le duc d'Enghien. La duchesse de Longueville,
qu'on avait aussi l'intention de faire arrêter, fut mandée au Palais-Royal.
Après avoir pris conseil de sa mère, elle feignit de vouloir obéir, et se
sauva ensuite chez la princesse palatine, sa meilleure amie, « pour aviser
avec elle ce qu'elle avait à faire. » Au même moment, d'autres ordres furent
expédiés à divers officiers pour s'emparer du duc de Bouillon, du vicomte de
Turenne et du prince de Marsillac, qui se dérobèrent à leurs poursuites. Malgré
l'alliance de la cour avec les chefs des frondeurs, peu s'en fallut que la
ville ne devînt le théâtre d'une nouvelle sédition ; en effet, vers la nuit
tombante, des gentilshommes dévoués aux princes répandirent le bruit qu'on
venait d'arrêter le duc de Beaufort. Des groupes nombreux se formèrent
aussitôt par les Tues. Déjà se faisaient entendre des cris menaçants ; déjà
le peuple se préparait à prendre les armes et à tendre les chaînes, lorsque
son héros se montra dans les quartiers les plus habités, suivi de laquais
portant des flambeaux, et calma cette agitation naissante. Aux alarmes
succéda la gaieté, et des feux de joie furent allumés dans tous les
carrefours, quand on sut que le prisonnier emmené à Vincennes était seulement
le vainqueur de l'Espagne et de l'Autriche. Sur
l'invitation de la reine, les grands du royaume, le parlement et les autres
cours souveraines se rendirent le lendemain au Palais-Royal. Le chancelier leur
donna lecture d'une déclaration où Sa Majesté leur exposait les motifs qui
l'avaient déterminée à faire arrêter les princes. Parmi les magistrats,
aucune voix ne s'éleva contre cette arrestation, sans formes de justice, et
pour réclamer l'exécution de l'article de la sûreté publique, renfermé dans
la déclaration du 24 octobre. « Ce silence, dit M. Henri Martin, attesta
le peu de logique et de profondeur du mouvement parlementaire, et annonça le
prochain avortement de la révolution commencée par l'aristocratie de robe. » L'accusation
criminelle intentée contre le duc de Beaufort et le coadjuteur tomba
d'elle-même : à peine se permit-on de faire précéder par les formalités
d'usage l'arrêt qui prononça leur acquittement (22 janvier). Le soir même, le duc d'Orléans
les conduisit au Palais-Royal, où ils étalèrent leur triomphe au milieu des
courtisans étonnés et s'abandonnèrent avec leurs partisans aux démonstrations
du zèle le plus vif, jurant d'être les défenseurs de la reine et la force du
gouvernement. Mais Anne d'Autriche témoigna une vraie douleur d'avoir été
forcée d'employer la rigueur à l'égard d'un prince qu'elle estimait, et de
causer tant de chagrin à la douairière de Condé, dont elle avait souvent reçu
des consolations dans ses peines. Quant au peuple, il vit d'abord avec
surprise la réconciliation des frondeurs et de la cour ; puis il s'en consola
bientôt et confessa « qu'il ne fallait plus haïr le cardinal, puisqu'il avait
cessé d'être Mazarin. » Enfin
l'abbé de la Rivière, après avoir inutilement sollicité le duc d'Orléans de
lui accorder un entretien pour entendre sa justification, comprit qu'il ne
devait plus compter sur les bonnes grâces de son maître. Il lui fit demander,
par le marquis de Termes, la permission d'aller passer quelques jours à la
campagne. Il rassembla ensuite dans un festin un grand nombre de ses amis, et
leur parla avec tant de gaieté que plusieurs crurent qu'il était rentré en
faveur auprès de Gaston. Le lendemain matin, il quitta la cour sans montrer
ni trouble ni chagrin, et se retira dans sa belle maison de Petitbourg,
voisine de Corbeil. Il perdit ainsi l'espérance du chapeau de cardinal, qui
lui avait fait imaginer tant d'intrigues. « La vieille
fronde abdiquait en s'associant au pouvoir : une nouvelle fronde
essaya de recueillir son héritage[1]. » En effet un grand nombre de
seigneurs, restés fidèles au parti des princes, s'enfuirent de. Paris pour
faire un appel aux populations et ramener la situation dominante de la
noblesse avant Richelieu. Turenne, reçu en grâce par l'intermédiaire de Condé
après sa révolte coutre la cour, se crut enchaîné au prisonnier de Vincennes
par la reconnaissance, et courut se renfermer dans Stenai, place forte de M.
le prince, où il prit « la qualité de lieutenant général de l'armée du roi,
pour la liberté des princes. » Le duc de Bouillon gagna le Limousin,
berceau de sa maison ; le duc de la Force, ses terres de Périgord. Le
maréchal de Brézé se réfugia dans son gouvernement d'Anjou. Le comte de
Boutteville demeura encore plusieurs jours à Paris, y défia vainement le duc
de Beaufort, et alla se jeter dans Bellegarde, place de Bourgogne. D'autres
vaillants seigneurs et gentilshommes, amis des princes, s'efforcèrent de
soulever cette province dont Condé avait le gouvernement, ou se retirèrent
dans le midi de la France, encore tout plein des souvenirs des guerres
religieuses. Quant à
la duchesse de Longueville, elle avait échappé à l'officier chargé de
l'arrêter et avait trouvé un asile chez la princesse palatine, où elle
s'était cachée pendant quelques heures. Puis, rêvant la délivrance de ses
frères et de son époux et déployant l'activité la plus héroïque, elle était
sortie de Paris à l'entrée de la, nuit avec le prince de Marsillac et une
escorte de quarante hommes bien déterminés, pour se rendre en Normandie. Elle
usa de la plus grande diligence, arriva le lendemain à Rouen et fut reçue
dans la citadelle par le marquis de Beuvron, commandant pour le duc de
Longueville. Cette
princesse aux allures populaires fit alors un appel au parlement et aux
communes des puissantes villes de la province ; mais elle perdit bientôt
l'espoir de la faire révolter. Le peuple de Rouen se souleva en faveur de la
cause royale, et le marquis de Beuvron, resté fidèle à son devoir, lui
déclara qu'il ne pouvait la servir. Réduite à prendre la fuite, elle demanda
vainement assistance et asile au duc de Richelieu, qui n'osa pas la recevoir
dans le Hâvre, dont les principaux officiers étaient dévoués à Mme
d'Aiguillon. -Elle ne trouva de refuge que dans le château de Dieppe, qu'elle
résolut de défendre jusqu'à la dernière extrémité. La duchesse y fut visitée
par un grand nombre de gentilshommes du pays ; les uns lui amenèrent quelques
soldats, et les autres lui fournirent des secours d'argent. C'est là que le
prince de Marsillac la quitta pour aller en Poitou, où la mort de son père
lui laissa une riche succession, le gouvernement de la province, dont il
avait la survivance, et le titre de duc de la Rochefoucault. Saint-Ibal,
Tracy et Barrière furent les seuls personnages importants qui demeurèrent
auprès d'elle, « avec un certain Saint- André, fort habile pour les
fortifications. » Mais la cour ne laissa pas à la duchesse le temps de
terminer ses préparatifs de résistance[2]. Persuadée
que l'activité seconderait le retour de sa bonne fortune, Anne d'Autriche
forma le projet de poursuivre ses ennemis. Elle réunit en grande hâte
quelques troupes, dont elle confia le commandement au comte d'Harcourt. Le 1er
février, elle sortit de Paris, accompagnée de ses deux enfants et de Mazarin,
après, avoir annoncé qu'elle allait maintenir dans l'obéissance la province
de Normandie, et prit le chemin de Rouen. Leurs Majestés y furent reçues aux acclamations des
habitants avides de voir leur jeune roi. Sur l'ordre de la reine, le marquis
de Beuvron, dans lequel une conduite incertaine ne permettait pas d'avoir
confiance, rendit le vieux palais, qui fut donné par commission à Fourille,
capitaine du régiment des gardes. Anne établit ensuite le comte d'Harcourt
gouverneur de la province ; et de Rouen, où tous les commandants des villes
et places fortes s'étaient empressés de lui adresser leur soumission, elle
envoya contre Dieppe Du Plessis-Bellière à la tête de quelques troupes. Conserver
la Normandie aux princes était leur rendre le plus grand des services. La
duchesse le savait ; aussi essaya-t-elle de décider M. de Montigny,
gouverneur du château, à la résistance la plus opiniâtre. Mais cet officier
ne pouvait seul, sans argent et sans troupes, faire ce qu'elle souhaitait. Il
lui représenta donc la difficulté de l'entreprise, et lui conseilla de fuir
par mer, et d'aller eu Flandre attendre une occasion favorable. Alors elle
tenta un dernier effort auprès -des bourgeois ; elle leur parla avec énergie,
puis recourut aux prières les plus douces et les plus humbles afin de les
exciter à prendre sa défense. Tout fut inutile : à l'approche de l'armée
royale, le peuple se souleva contre la duchesse et la menaça brutalement de
la livrer. Privée de tout espoir de se maintenir en Normandie, Mme de
Longueville quitta le château, suivie des plus courageuses de ses femmes et
de quelques gentilshommes, gagna à pied, pendant la nuit, le petit port de
Pourville, où elle faillit se noyer en voulant se jeter dans une barque de
pécheur, malgré le vent et la marée, se rendit à cheval dans le pays de Caux,
y demeura cachée environ quinze jours chez un gentilhomme plein d'affection
et de, bonté, et parvint à s'embarquer sur un vaisseau anglais qui la conduisit
en Hollande. De là elle alla par la Belgique joindre à Stenai le maréchal de
Turenne, que sa funeste influence sut retenir dans la faction[3]. Le
parti des princes fut aussi malheureux sur les confins de la Champagne.
Bécherelle, ayant entretenu des intelligences avec les vieux sergents de la
garnison de Damvilliers, dont il avait été lieutenant jusqu'à la paix de
Ruel, surprit dans cette place le chevalier de la Rochefoucault, qui y
commandait pour son frère. Le maréchal de la Ferté se saisit de Clermont-en Argonne
sans coup férir, et les habitants de Monzon chassèrent le comte de Grampré,
leur gouverneur, qui leur proposait de se révolter contre le roi[4]. La
Normandie pacifiée, la cour revint triomphante à Paris (22 février). L'heureux succès de ce voyage
décida la reine à se remettre en chemin pour la Bourgogne. Toutefois, avant
de quitter la capitale, elle résolut de rendre plus intime son alliance avec
les chefs de la fronde. Elle confirma dans le gouvernement de la Bastille le
fils du vieux Broussel, et confia les principaux emplois de l'administration
aux magistrats les plus accrédités dans les cours souveraines. Enfin elle ôta
les sceaux au chancelier Séguier, homme capable, mais que son humeur timide
et servile exposait au mépris, et les rendit au marquis de Châteauneuf, alors
âgé de soixante-dix ans, du reste plein de santé, de courage et d'ambition.
Mazarin, dont la faveur auprès d'Anne d'Autriche ne craignait plus de rivaux,
avait cru devoir accorder cette satisfaction à ses anciens adversaires. Il
espérait d'ailleurs se servir de son nouveau collègue dans le ministère pour
modérer l'ardeur impétueuse de la fronde, et neutraliser l'influence que Gondi
exerçait sur le caractère du faible Gaston depuis la disgrâce de la Rivière. Il
semblait imprudent de laisser les soins du gouvernement au duc d'Orléans
pendant l'absence de la cour. On lui donna donc pour conseils Châteauneuf et
Le Tellier. Ce dernier, confident intime du cardinal, et le comte de Servien,
employé aussi par la reine dans le secret des affaires, devaient servir la
cause royale et défendre Mazarin contre ses mauvais ennemis. Les politiques remarquèrent
d'ailleurs qu'au moment du départ le ministre plein de finesse avait témoigné
beaucoup de bonne volonté aux serviteurs des princes, afin d'inspirer sans
doute quelque crainte à la cabale d'Orléans. A cette même époque le cardinal,
en parlant de Condé, avait dit publiquement de lui qu'il aurait été le plus
grand homme du monde et le plus heureux, s'il avait pu croire que la reine
était capable de faire ce qu'elle avait fait. L'expédition
de Bourgogne justifia les espérances de la reine et (le son ministre. Là
étaient le gouvernement et les plus fidèles serviteurs de Condé, et tout
faisait présager une sérieuse résistance : il n'en fut pas ainsi. Les troupes
royales, sous la conduite du duc de Vendôme, nommé par commission gouverneur
de cette province, étaient entrées dans Dijon sans coup férir. Le château
avait été remis par des officiers manquant de fidélité ou de courage ; les
places de Saint-Jean-de-Losne et de Verdun -sur-Saône s'étaient également
soumises. A l'arrivée de la cour, Bellegarde ou Seurre, ville forte et bien
approvisionnée, que défendait le baron de la Moussaye à la tête de soldats
d'élite et de nombreux gentilshommes, restait seule fidèle à l'ancien
gouverneur. La
reine envoya le comte de Comminges sommer la Moussaye d'ouvrir les portes au
roi. Comme il n'en voulut rien faire, le siège de la place fut résolu. La
crue des eaux s'opposa pendant quelques jours à cette entreprise ; enfin, la
circonvallation commencée, le ministre voulut la visiter en personne. Il s'en
approcha de trop près et courut un grand danger, car un de ses serviteurs fut
blessé à ses côtés. Le jeune roi lui-même fit plusieurs fois à cheval le tour
de la place et se montra souvent à son armée, dont il enflammait le courage.
Au bout de quelques jours, les soldats assiégés obligèrent leurs chefs à
capituler, à la condition qu'ils ne rendraient la ville que douze jours
après, s'ils ne recevaient aucun secours de Stenai (9 avril). Au jour fixé, les troupes
royales entrèrent dans Bellegarde, et la cour repartit triomphante. Saumur,
n'ayant pas voulu seconder la résistance de son château, était également
retourné au devoir, et Comminges en avait pris possession. La reine lui avait
donné le gouvernement de cette ville, devenu vacant par la mort du maréchal
de Maillé. La
cause des princes semblait désespérée, lorsqu'elle fut rétablie par d'autres
ennemis qui n'inspiraient aucune défiance. Anne d'Autriche, comme nous
l'avons dit, avait relégué au château de Chantilly, confisqué naguère sur
l'infortuné Montmorency, la princesse douairière de Condé, la jeune princesse
avec son fils le duc d'Enghien, alors âgé de sept ans, et les enfants de la
duchesse de Longueville. La princesse mère avait perdu toute sa force d'âme,
et sa belle-fille, Clémence de Brézé, ne jouissait pas d'une grande
considération dans la famille et n'avait point donné jusque-là des preuves
d'un grand mérite. Le prince avait eu le tort non-seulement de négliger, mais
d'humilier cette femme sous le prétexte qu'il ne l'avait épousée que par
obéissance pour son père et pour le cardinal de Richelieu, dont elle était
nièce. Les nobles exilés trouvaient des consolations dans le dévouement de
leur parente, la belle Angélique de Montmorency, veuve du duc de Châtillon,
tendrement aimée de la famille de Condé, et dans les soins du jeune Charles
Amédée, duc de Nemours, de la maison de Savoie. Autour d'elles il y avait
encore une nombreuse compagnie de femmes de qualité, non moins disposées que
Nemours à servir la cause des princes. Dans cette brillante société, que
réunissait un des plus beaux lieux du monde, on recevait des visites, des
messages et des bulletins de nouvelles ; on tenait conseil sur l'état des
affaires ; on se divertissait assez souvent, et de temps en temps quelques
regrets étaient accordés aux malheureux prisonniers, qu'on se promettait de
venger. Les
habitudes de la cour de Chantilly, la légèreté et l'insouciance qui
semblaient y régner, étaient bien capables de rassurer le ministre. Mais
pendant le voyage de Bourgogne, il fut averti qu'elle devenait un foyer
d'intrigues et de complots. L'âme de tous les desseins sérieux qu'on y
formait alors était un homme initié depuis longtemps aux menées politiques,
Pierre Lenet, _conseiller au parlement de Dijon. Comme il n'avait pu rien
faire en Bourgogne, il était revenu à Chantilly et avait pris la résolution
de relever le parti. Il combina ses moyens avec habileté ; et bientôt des
intelligences, partant de ce lieu d'exil, furent entretenues avec le duc de
Bouillon en Limousin, le maréchal de Turenne à Sienai, le duc de la
Rochefoucault en Poitou, et un grand nombre de partisans des princes dans le
Périgord, l'Angoumois, à Bordeaux et à Paris. Comme
le château de Chantilly n'offrait pas assez de sûreté contre une entreprise
ou une insulte de la cour, Lenet conçut le projet d'enlever le duc d'Enghien,
et de conduire cet enfant au lieu où les amis de son père se rassemblaient
pour demander à main armée sa liberté, et d'en faire le drapeau du parti. La
jeune princesse embrassa ce projet avec ardeur, et déploya dans cette
circonstance un courage tout à fait inattendu. Douée d'un noble cœur, elle
déclara qu'elle ne céderait à personne l'honneur de suivre partout son fils,
même au milieu des rudes épreuves de la guerre civile, et qu'elle était prête
à braver tous les périls pour le service de l'époux dont elle portait le nom
glorieux. Sur ces entrefaites arriva de Dijon le sieur du Vouldy, gentilhomme
chargé de remettre une lettre de cachet à la princesse douairière (11 avril). La reine, instruite en
Bourgogne des correspondances établies avec la petite cour de Chantilly, lui
enjoignait de quitter aussitôt ce lieu et de se retirer avec la princesse, sa
belle-fille, le duc d'Enghien et les enfants du duc de Longueville, à
Montrond, place très-forte de la maison de Condé, située sur la rivière du
Cher et voisine de Saint-Amand, en Berri. Cette nouvelle demeure était
précisément celle que Lenet, les ducs de Bouillon, de la Force, de la
Rochefoucault et les autres seigneurs du parti avaient choisie d'avance p9ur
asile au fils du vainqueur de Rocroi. Son heureuse position au centre de la
France pouvait favoriser leurs nombreuses correspondances avec la plupart des
provinces. Lorsque
l'envoyé du roi entra dans l'appartement des princesses, celles-ci,
instruites de son arrivée depuis deux heures seulement, s'étaient préparées à
le recevoir. La douairière était au lit et feignait une indisposition. Elle
prétendit que son âge et son état de santé ne lui permettaient pas de quitter
Chantilly aussi brusquement que Sa Majesté l'ordonnait. La jeune princesse
reçut également au lit le message du roi. La faiblesse de sa voix, ses
plaintes entrecoupées de soupirs et accompagnées de larmes attestaient de
vives souffrances. Quant au duc d'Enghien, il se livrait à des jeux d'enfant
avec sa gouvernante au milieu de ses femmes et des serviteurs empressés
autour de lui, et paraissait jouir d'une bonne santé. Tous les personnages
qu'il devait conduire sous bonne escorte et garder à Montrond se trouvant
réunis, le gentilhomme crut sans danger d'accorder le délai que semblait
exiger l'indisposition 'des princesses. Il écrivait encore à la cour les
motifs qui l'empêchaient d'exécuter aussitôt ses ordres, que déjà une des
exilées lui échappait. En effet, il avait été trompé le jour de son arrivée
par une ruse adroite, et les jours suivants il fut trompé encore. Il n'avait
vu ni l'épouse ni le fils de Condé, mais seulement sa mère. C'était une fille
d'honneur, Mlle Gerbier, qui, dans la chambre obscure où il avait été
introduit, gémissait sur l'oreiller de sa maîtresse, dont elle avait
parfaitement contrefait la voix, le ton, les gestes, les reproches et les
plaintes. Cet enfant qu'il avait pris pour le duc d'Enghien n'était autre
que-le fils d'un jardinier, du même âge que le jeune prince et revêtu de ses
habits. Le soir
même du Il avril, à l'entrée de la nuit, Clémence de Brézé partait de
Chantilly avec son fils, deux de ses femmes, son fidèle serviteur Lenet,
quelques gentilshommes et un petit nombre de valets dévoués. Après trois
jours d'une marche paisible, elle arriva au lieu que la reine lui avait
assigné pour résidence, à Montrond, et de là elle écrivit au secrétaire
d'État, Le Tellier, afin de protester de son obéissance. La noblesse du Berri
et des provinces voisines accourut auprès d'elle et lui offrit ses services,
que la princesse ne refusa point ; et, au lieu d'être placée sous la
surveillance des agents du cardinal, elle fut gardée par les amis de son
mari. Pendant
ce temps, la princesse douairière de Condé, reprenant à propos ses forces
pour échapper au sieur du Vouldy,, avait quitté son agréable demeure, et,
malgré la défense de la reine, s'était réfugiée à Paris même, avec la
duchesse de Châtillon. Elle y demeura cachée quelques jours, et le 27 avril, accompagnée
de sa fidèle amie et du marquis de Saint-Simon, frère aîné du duc, elle parut
en posture de suppliante dans le parquet des huissiers) à l'heure où les
magistrats venaient prendre leurs places. La mère du héros de Rocroi et de
Lens tenait en main une requête dont le conseiller Deslandes-Payen osa seul
se charger. Elle demandait à la compagnie justice de la détention de ses fils
et de son gendre, et que, conformément à la déclaration du 24 octobre 1648, «
on fit leur procès, s'ils avaient failli contre le service du roi, » et,
sinon, qu'ils fussent remis en liberté. Cette
démarche éclatante et pathétique de la veuve d'un premier prince du sang
embarrassa fort le parlement, qui ne pouvait rejeter sa requête sans se
mettre en contradiction formelle avec lui-même. Il prit l'illustre exilée
sous sa protection en attendant la réponse du duc d'Orléans. Gaston, le duc
de Beaufort et Gondi, qu'elle avait humblement priés de lui accorder leur
protection, et les autres frondeurs restèrent fidèles à Mazarin et empêchèrent
qu'on ouvrît la délibération. Sur les instances du premier président, on
permit seulement à la princesse de se retirer dans les environs de Paris,
pour y attendre le retour d'Anne d'Autriche. Elle espérait ne pas implorer en
vain sa clémence pour la liberté des prisonniers de Vincennes. Dès le soir
même, elle partit pour le Bourg-la-Reine, d'où elle reçut ensuite l'ordre de
se rendre à Valery. La cour
rentra dans Paris le 2 mai ; Mazarin, voulant s'acquitter envers les
frondeurs « de l'opposition qu'ils avaient faite à Mme la princesse, » publia
une amnistie pour tous les actes qui avaient précédé l'arrestation des
princes. Cette amnistie, longtemps contestée, remise, éludée avant les
voyages de Normandie et de Bourgogne, fut enregistrée par le parlement. Le
ministre n'aurait sans doute pas été si facile, sans l'intention manifestée
par le coadjuteur, « de poursuivre à toute rigueur la justice contre les
brevets. » Le duc de Vendôme reçut ensuite l'investiture de la charge de
grand maître, chef et surintendant général de la navigation, avec survivance
au profit du duc de Beaufort, mais au grand mécontentement du duc de Mercœur,
son frère aîné. Comme
le duc de Bouillon, le maréchal de Turenne et le duc de la Rochefoucault
persistaient dans leur révolte contre la reine, le parlement enregistra
également sans difficulté une déclaration de lèse-majesté contre eux et
contre Mme de Longueville. Turenne et la duchesse avaient en effet traité à
Stenai avec les Espagnols, habitués depuis Philippe II à jouer un rôle dans
toutes les discordes de la France. Pour obtenir des secours d'hommes et
d'argent, ils s'étaient engagés à « ne se point accommoder que M. le prince
ne fût hors de prison, et que l'on n'eût offert une paix juste, égale et
raisonnable à l'Espagne. » Ainsi le vertueux Turenne, confondant le devoir
avec la passion, le droit avec l'intérêt, s'était laissé entraîner par le
torrent des partis et avait passé de la révolte à la trahison. Quant
aux ducs de Bouillon et de la Rochefoucault, après s'être réunis vers le
Poitou et le Limousin, ils avaient appelé sous leur bannière une foule de
gentilshommes qui s'empressèrent de répondre à leur voix. Ils ralliaient en
même temps à la cause des princes les autres grandes maisons du sud-ouest, en
Poitou, le duc de la Trémoille, qui promettait l'autorité de son nom et la
place de Taillebourg ; en Périgord, le maréchal de la Force, ancien chef du
parti protestant dans le midi, assez puissant pour mettre sur pied six mille
hommes de borines troupes, si toutefois on lui fournissait quelque argent.
Lenet, renfermé dans Montrond, dont il hâtait activement les préparatifs de
défense, négociait avec le marquis de Bourdeille, dont l'influence sur toute
la noblesse catholique du Périgord pouvait balancer celle de la maison de la
Force sur les huguenots, entre les mains desquels la princesse douairière lui
avait fait jurer de ne jamais livrer son petit-fils. Tandis
qu'une grande partie de la noblesse du midi, entraînée par les instances et
les promesses de Bouillon et de la Rochefoucault, prenait les armes en faveur
des princes, le premier de ces ducs rebelles cherchait à leur fournir
d'autres alliés plus puissants encore. Ainsi il envoyait à Bordeaux son
secrétaire Langlade, homme à l'esprit vif et plein de lumières. La haine que
cette ville portait au duc d'Épernon, pétri de vices et de travers, l'avait
déjà excitée deux fois à la révolte, sans que Mazarin, dans un intérêt de
famille, donnât à la province de Guienne un autre gouverneur. Au mépris de
l'exaspération des esprits, il protégeait le père de son futur neveu. Aussi
Langlade trouva-t-il la plupart des Bordelais tout préparés par leurs propres
ressentiments à recevoir ses propositions d'alliance. Il travailla d'ailleurs
avec tant d'habileté, qu'ils consentirent à entrer dans les intérêts des
nouveaux frondeurs. Malgré le mauvais succès de ses tentatives auprès des
parlements de Paris, de Rouen et de Dijon, Lenet persuada également au
parlement de Bordeaux de se montrer reconnaissant envers Condé, son ancien
protecteur. Les magistrats et les bourgeois s'engagèrent donc à recevoir dans
leurs murs le jeune duc d'Enghien et sa mère, pourvu qu'ils ne fussent pas
accompagnés d'une suite nombreuse. Sur la
foi des paroles et des promesses de la princesse, la cour ne l'avait point
inquiétée dans Montrond, et s'était contentée d'envoyer le vieux maréchal de
la Meilleraye en Poitou, afin de prendre le commandement des troupes. Mais
les rapports de ses agents lui inspirèrent bientôt de vives alarmes, et
Clémence se voyait menacée d'y être investie, lorsqu'elle résolut
d'abandonner cette retraite pour se mettre avec son fils à la tête du parti
armé. Avant d'en sortir, elle fit remplir la place de provisions de guerre et
de bouche, et y laissa une garnison d'élite sous les ordres du marquis de
Persan, gentilhomme d'une valeur éprouvée. Puis elle rassembla tous les officiers
et gentilshommes, les harangua avec courage, et ne se sépara d'eux qu'après
les avoir payés de caresses, « monnaie qui passe partout, » dit Lenet. «
Les sots s'en paient et les honnêtes gens les souhaitent. » La princesse, il
est vrai, possédait supérieurement l'art de donner cours à cette monnaie.
Agréable sans être belle, d'un caractère doux et affable, prévenante,
accessible, elle s'exprimait avec grâce et facilité, et se montrait
avantageusement dans toutes les occasions qui exigeaient de la présence
d'esprit et de la vigueur. L'épouse
de Condé quitta le château de Montrond au milieu de la nuit. Elle était
suivie d'une troupe composée de cinquante hommes, y compris les gardes et les
valets. Elle fit la plus grande diligence, et, après deux jours d'une marche
heureuse, elle rejoignit les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault à
Mauriac, en Auvergne (14 mai). Ils la conduisirent à Turenne, en Limousin, sur les terres de
Bouillon, où elle devait s'arrêter quelques jours avant de continuer sa route
pour la capitale de la Guienne. Elle y fut reçue avec la plus grande
magnificence, et le temps s'y passa au milieu de longs repas, de fêtes
brillantes et de divertissements de tous genres. Mais le séjour de la
princesse au château de Turenne refroidit un peu le zèle des magistrats et
des bourgeois de Bordeaux qui, en consentant à lui accorder un asile,
n'avaient pas voulu s'engager à recevoir dans leur ville les ducs de Bouillon
et de la Rochefoucault, accusés par la voix publique d'intelligence avec
l'Espagne. A cette
nouvelle, Clémence de Brézé sentit renaître sa courageuse impatience de se
rendre à Bordeaux. Elle partit de Turenne le 22 mai avec les ducs et une
armée forte de quinze cents hommes à cheval et de deux mille quatre cents
fantassins. La princesse et son fils descendirent la Dordogne en bateau
jusqu'à Limeuil, pendant que l'armée suivait le rivage. Le chevalier de La
Valette, parent d'Épernon, voulut en vain les arrêter avec quelques troupes,
et leur livra un petit combat dans lequel il perdit la cassette qui contenait
sa correspondance, et fut poursuivi jusqu'aux portes de Bergerac. La
princesse et l'armée, reprenant ensemble leur route, traversèrent le Périgord
sans obstacle et arrivèrent à Coutras, où ils se reposèrent vingt-quatre heures.
Là, ils apprirent encore que les bourgeois de Bordeaux, fidèles à leur
promesse, étaient prêts à ouvrir leurs portes à l'épouse et au fils de Condé,
mais non à la puissante escorte dont ils étaient accompagnés. La princesse
sortit donc de Coutras avec le duc d'Enghien et les dames de sa suite, passa
la Dordogne et s'embarqua sur la Garonne (31 mai). Une
violente sédition venait d'éclater dans Bordeaux. Le colonel d'Alvimar s'y
était présenté la veille avec des lettres de la cour qui défendaient au
parlement et aux jurats de recevoir aucuns adhérents des princes. La ville
s'était alors divisée : une partie des magistrats et des bourgeois voulait
obéir à l'autorité royale et conserver la paix publique ; l'antre persistait
dans le dessein contraire. Le lendemain, les jurats donnèrent l'ordre de
tenir les portes fermées ; mais le peuple se souleva, et l'on se battait dans
les rues lorsque, du haut des remparts, les amis de la princesse aperçurent
la frêle nacelle qui la portait. A cette vue, ils redoublèrent d'efforts,
brisèrent les portes à coups de hache, et Clémence de Brézé entra seule avec
son fils, accueillie par les bénédictions de ses partisans et aux cris mille
fois répétés de vivent les princes et point de Mazarin ! Elle eut
beaucoup de peine à sauver des mains de la Multitude l'envoyé de la cour, que
sa loyale persistance à demander l'exécution des ordres du roi exposait au
danger d'être mis en pièces. Le 1er
juin, la princesse se présenta en suppliante au parlement avec le duc
d'Enghien, porté devant elle par un écuyer. Elle implora.la protection et la
pitié des magistrats, et leur remit une requête dans laquelle étaient
rappelées les souffrances et les persécutions que le cardinal Mazarin avait
fait subir à elle et à sa famille, au mépris de la déclaration du 24 octobre.
Appuyée au dehors par les menaces de trente mille voix t cette requête excita
de longs et violents débats dans la compagnie. Malgré les efforts du parti
des princes, l'influence de l'avocat général La Vie, soutenu du premier
président Pontac, allait déterminer la majorité à requérir l'exécution des
ordres du roi, lorsque l'épouse de Condé, prenant son fils par la main, tomba
aux pieds des magistrats et les conjura, les larmes aux yeux, de recevoir cet
enfant sous leur protection. Le jeune duc lui- même, posant un genou en
terre, s'écria « Servez-moi de père, Messieurs ; le cardinal Mazarin m'a ôté
le mien. » Les
larmes de la mère et les paroles du fils causèrent dans l'assemblée une vive
émotion. Elle exigea néanmoins de la princesse l'assurance qu'elle
n'entreprendrait rien contre le service du roi, puis délibéra sur sa demande.
Entraînés par le mouvement populaire, les magistrats rendirent enfin un arrêt
portant que le roi serait supplié de renvoyer les princes prisonniers à leurs
juges naturels, et d'agréer que la princesse de Condé et le duc d'Enghien
demeurassent en sûreté et obéissance dans la ville, sous la sauvegarde de la
justice. Le jour suivant, les dues de Bouillon et de la Rochefoucault, ayant
passé la Dordogne, entrèrent à leur tour, et le parlement, admettant leur
opposition à la déclaration rendue contre eux, les autorisa à rester aussi
provisoirement. Leurs troupes s'établirent aux environs de Bordeaux. La
princesse et ses partisans furent bientôt les maîtres dans la ville, d'où ils
chassèrent les magistrats qui leur étaient contraires, firent des levées et
envoyèrent des agents en Espagne, afin d'en obtenir des secours d'hommes et
d'argent. Le parlement lui-même ne put résister au mouvement. Il se mit en
rapport avec celui de Paris pour lui demander assistance, et, sur quelques
démonstrations hostiles du duc d'Épernon, prescrivit l'armement des citoyens.
Quelques jours après, il refusa de recevoir un trompette envoyé par le
maréchal de la Meilleraye, sous le prétexte qu'on ne s'adressait ainsi qu'à
des ennemis, et lança, en forme d'arrêt, une déclaration de guerre contre
Épernon, ses fauteurs et adhérents[5]. Lorsque
les nouvelles de tous ces événements arrivèrent à la cour, on apprit en même
temps que le vicomte de Turenne, sorti de Stenai à la tête d'un petit corps
d'armée, venait d'opérer sa jonction avec l'archiduc Léopold. Les
circonstances devenaient plus difficiles, la situation plus menaçante. On
manquait toujours d'argent, et c'était la plaie du moment. Tout récemment,
les Suisses au service de France s'étaient révoltés faute de paiement ; et,
comme les coffres du roi étaient vides, Anne d'Autriche, pour les satisfaire,
avait mis le reste de ses pierreries en gage. D'Émeri étant mort sans avoir
restauré les finances, le cardinal lui avait donné pour successeur le
président Longueil de Maisons, frère du conseiller Longueil, un des plus
ardents frondeurs. Le nouveau surintendant ne fut pas plus heureux que son
prédécesseur. Sur le
bruit de la marche des Espagnols, Mazarin avait réuni une armée à la hâte, et
confié la défense du territoire contre l'ennemi extérieur au brave et habile
maréchal du Plessis-Praslin. La cour s'était ensuite établie à Compiègne,
afin de se trouver dans le voisinage des opérations militaires. Le général
français, voyant l'ennemi entré en Picardie, s'efforça de couvrir les places
de l'Oise et de la Somme. Il ne put cependant l'empêcher de prendre le
Catelet, petite ville du Vermandois. Attaqué avec la plus grande impétuosité,
Vandi, son commandant, se défendit avec une rare intrépidité. Il tua de sa
main les deux premiers qui lui proposèrent de se rendre. Mais sa résistance
ayant irrité les soldats de la garnison et les paysans réfugiés dans le
Catelet, ils s'emparèrent de ce brave officier, le chargèrent de liens et
livrèrent la place aux assiégeants (15 juin). Les Espagnols et Turenne allèrent aussitôt
mettre le siège devant Guise, dont Bridieu était gouverneur[6]. Les
nouvelles venues de Bordeaux vers cette époque jetèrent le ministre dans les
plus cruelles anxiétés. Après de longues hésitations, il se résolut à laisser
le soin de la guerre étrangère à du Plessis, afin d'aller en Guienne étouffer
la révolte et forcer Bordeaux à la soumission. Il donna les ordres
nécessaires à la défense de Guise et ramena le roi de Compiègne à Paris, où
il s'empressa de tout disposer pour le prompt départ de la reine et du jeune
monarque. Au milieu de ses préparatifs, il apprit que l'ennemi avait emporté
d'assaut la vile de Guise, malgré la généreuse résistance du gouverneur et
des habitants. Mais la garnison et le vaillant Bridieu s'étaient retirés dans
le château qui commandait la ville, et s'y étaient défendus avec une heureuse
opiniâtreté, tandis que le maréchal du Pies-sis, posté sur la rive nord de
l'Oise, interceptait les convois des Espagnols et leurs communications avec
le Cambrésis et le Hainaut. Il les incommoda tellement qu'au bout de quinze
jours l'archiduc et son allié furent obligés de lever le siège et de se
rapprocher des Pays-Bas (2 juillet). Avant
de quitter la capitale, Anne d'Autriche et Mazarin mirent tout en œuvre pour
se concilier les frondeurs et surtout Gaston, dans la conduite duquel ils
avaient cru voir des tergiversations politiques, suggérées par le coadjuteur.
Le duc d'Orléans eut le gouvernement du pays au nord de la Loire, en
l'absence de la régence. Le secrétaire d'État de la guerre Le Tellier et le
garde des sceaux Châteauneuf restèrent à Paris, afin de l'assister de leurs
conseils. Le 4
juillet, la reine se mit en route avec le roi, le duc d'Anjou et Mlle de
Montpensier, en annonçant que le duc d'Épernon avait été mandé devant le roi,
pour rendre compte de sa conduite envers les Bordelais. Ce jour-là, un député
du parlement de Guienne se présentait à la cour suprême de Paris, afin de
solliciter son intervention. Cette circonstance n'apporta point d'obstacle au
départ, Leurs Majestés ayant laissé à la prudence de leurs fidèles magistrats
le soin de faire justice de ce message. Mais ce voyage ne se fit pas avec la
même promptitude que ceux de Normandie et de Bourgogne. Alarmé des symptômes
d'opposition qu'il avait remarqués et qui commençaient à gêner ses
mouvements, Mazarin était obligé de regarder souvent derrière lui. Pendant la
route, il s'arrêtait, communiquait plus avec Paris qu'avec Bordeaux et conduisait
une foule d'intrigues. Il fallait son astuce, sa pénétration d'esprit pour ne
pas éprouver un profond dégoût et ne pas se perdre dans ce labyrinthe. En
effet, outre l'attention qu'exigeait du ministre la substance des affaires,
il avait à fixer l'éternelle irrésolution du duc d'Orléans, la légèreté de la
duchesse de Chevreuse, les caprices de Mine de Montbazon ; à découvrir la
malice secrète de Gondi, auquel il avait en vain offert une place au conseil
; à se précautionner contre les saccades du duc de Beaufort. Sous
les murs de Bordeaux, de nouvelles difficultés assaillirent le cardinal, sans
cesse occupé à démêler le bon du mauvais, le vrai du faux, dans les offres
insidieuses de Lenet, des ducs de Bouillon et de la Rochefoucault et des
autres chefs de la révolte, qui ne proposaient souvent la paix que pour mieux
se préparer à la guerre. Sa situation était d'autant plus triste, qu'il avait
très-peu d'amis auxquels il pût véritablement se fier. Excepte Servien, Le
Tellier et Lionne, nommés depuis les sous-ministres, et les abbés
Fouquet et Zongo Ondedey, trop servilement dévoués à ses intérêts, toute la
cour lui était opposée. Les troupes mêmes, auxquelles on avait persuadé
qu'elles soutenaient la cause du ministre, semblaient ne servir qu'à regret.
Mais la présence du jeune roi les retenait dans le devoir. Cependant
la princesse de Condé s'était fortifiée dans Bordeaux et mise en rapport
avec. Madrid, dont elle avait reçu quelque argent et des promesses, et les
hostilités avaient continué entre les habitants et le maréchal de la Meilleraye,
-depuis que le duc d'Épernon avait été appelé à la cour. Le parlement lui -
même, embrassant avec- plus d'ardeur la cause défendue par Bouillon et la
Rochefoucault, avait décrété des remontrances contre Mazarin, et interdit
l'entrée de la ville au cardinal et aux troupes du roi. Malgré ces
dispositions à la guerre, le retour des députés chargés de porter ces
remontrances à la régente, établie dans Libourne, avait produit une réaction
pacifique, lorsque la pétulance ordinaire de la Meilleraye entraîna les
Bordelais dans un sentiment de fureur et de désespoir. Le 5
août, on apprit que le maréchal avait emporté d'assaut le fort de Vayres,
dont l'heureuse position sur la Dordogne défendait les approches de Bordeaux.
Le brave Bichon, commandant du château, avait eu l'audace de soutenir
plusieurs attaques de l'armée royale avec trois cents hommes de milice.
Conduit à Libourne, il fut condamné à être pendu, et aussitôt attaché à une
potence dressée sous la halle, en dépit des efforts de M"` de
Montpensier et du marquis de Biron pour obtenir sa grâce. A la
nouvelle du supplice de Bichon, de la cruauté exercée par la Meilleraye, les
habitants de Bordeaux se levèrent en furie, et les généraux exigèrent une
satisfaction sanglante afin de compromettre la ville. Parmi les royalistes
que le sort des armes avait fait tomber en leurs mains, ils choisirent pour
victime le baron de Canolles, major du régiment de Navailles, pris cinq
semaines auparavant dans une attaque contre l'île Saint-Georges. Depuis ce
temps, cet officier demeurait librement à Bordeaux, sur sa parole. Par son
humeur facile et sociable, il était parvenu à se créer des relations de
plaisirs. Les archers envoyés pour l'arrêter le trouvèrent dans une maison où
il s'égayait à table avec ses amis. Après une courte délibération, un conseil
formé des députés du parlement, des jurais et des capitaines de la milice
bourgeoise, le condamna également à la potence, et le fit exécuter, sans plus
de retard, sur le port de Bordeaux, à la vue d'un peuple immense qui
applaudissait à cet acte de barbarie. Aussi compatissante qu'intrépide, la
princesse de Condé avait imploré vainement le conseil en faveur du malheureux
prisonnier. Ces
cruelles représailles imprimèrent une nouvelle vigueur à la résistance des
Bordelais, et le parlement adressa une demande d'union à toutes les
compagnies souveraines du royaume. Les négociations furent cependant reprises
quelque temps après, et se prolongèrent au milieu des hostilités. Enfin,
épuisés par leurs efforts et ne comptant plus sur les magnifiques promesses
de l'Espagne, qui n'envoyait à leur secours ni flotte ni argent, les assiégés
demandèrent à capituler, et la reine consentit à recevoir leur soumission.
Elle accorda à tous les habitants de Bordeaux une amnistie générale, dans
laquelle furent compris les ducs de Bouillon et de la Rochefoucault. Les
troupes qui avaient soutenu le siège purent aller joindre en sûreté l'armée
de M. de Turenne à Stenai. La princesse de Condé eut permission de se retirer
avec son fils dans celle de ses maisons d'Anjou qu'il lui conviendrait de
choisir. Si le séjour de Montrond lui était plus agréable, elle pourrait y
tenir une garnison de deux cents hommes de pied et de cinquante gardes à
cheval. Ces troupes, choisies par elle et commandées par des officiers à sa
nomination, seraient entretenues aux dépens du roi. Un acte à part contenait
la révocation du duc d'Épernon. Mais il ne fut pas question de la liberté des
princes, dont la détention avait allumé cette guerre (1er octobre). Aussitôt
après cet accommodement, la princesse fit ses préparatifs de départ pour
Coutras, où elle pouvait s'arrêter quelques jours. Sur l'assurance du
maréchal de la Meilleraye qu'elle serait bien reçue de la reine, et
conseillée par les ducs et par Lenet, elle alla trouver Anne d'Autriche à
Bourg, dans l'espoir que ses prières obtiendraient ce que n'avait pu arracher
la violence. Clémence parut devant elle avec une contenance noble et
respectueuse, se jeta à ses genoux, tenant son fils par la main, et la supplia
d'ouvrir les portes de la prison à son époux, au prince qui avait tant de
fois prodigué son sang pour le service du roi et pour celui de l'État. La
reine sut résister aux larmes d'une femme et d'un enfant, et se montra
doucement inflexible. Les ducs et Lenet eurent ensuite avec le cardinal des
conférences secrètes qui causèrent beaucoup de jalousie aux frondeurs, et
irritèrent toutes les défiances du duc d'Orléans, à qui Mlle de Montpensier
rendait compte de tout ce qu'elle voyait et entendait. Bouillon et la
Rochefoucault pressèrent vivement le ministre de se réconcilier avec la
maison de Condé, et tirent valoir auprès de lui des considérations
politiques. Il les écouta d'un air de bienveillance, en discuta fort au long
avec eux les avantages et les inconvénients, et ne leur donna que des
réponses évasives. Les ducs et Lenet quittèrent ensuite la cour et
rejoignirent la princesse de Condé à Coutras. Après y avoir pris toutes les
mesures nécessaires pour établir des relations sûres et faciles entre les
chefs du parti, ils se séparèrent. Le duc de la Rochefoucault se retira en
Poitou, et le duc de Bouillon se dirigea vers Turenne. Quant à la princesse,
elle partit pour Milly, château de la maison de Maillé, en Anjou, d'où elle
devait se rendre à Montrond. Le roi
et la reine entrèrent à Bordeaux le 5 octobre, avec toute la cour et une
partie de l'armée. Ils y furent accueillis avec respect, mais sans la joie
publique qui accompagne pour l'ordinaire les visites de cette nature. Les
Bordelais témoignèrent cependant beaucoup d'affection à Mlle de Montpensier,
dont l'importance depuis cette époque alla toujours croissant. Ils
n'adressèrent point au premier ministre les compliments d'usage en pareille
occasion ; et la reine le sentit comme un outrage fait à sa personne. Pressé
de se soustraire aux regards d'une populace triste et parfois menaçante, le
cardinal rétablit dans leurs fonctions les magistrats chassés pendant le siège
pour leur dévouement à la cause royale ; puis il se hâta de reprendre la
route de Paris, où le rappelaient de graves intérêts. Pendant
le voyage de la cour en Guienne, le parti des princes avait fait des progrès
dans la capitale, et les anciens frondeurs avaient causé de grandes
inquiétudes au ministre. Tout ce qui se passa à Paris dans cet intervalle
n'est qu'un enchaînement d'intérêts, de vues, de résolutions, de projets
disparates qui montrent clairement l'embarras de tous les acteurs. Le
parlement s'était trouvé de nouveau engagé dans les affaires d'État, pour
avoir prêté une oreille trop complaisante aux instances de celui de Bordeaux,
qui espérait obtenir par sa médiation des conditions de paix plus
avantageuses. Flatté d'avoir trouvé l'occasion de s'entremettre dans la
querelle d'une province possédant aussi sa justice souveraine, il avait
envoyé des présidents et conseillers de la compagnie négocier en Guienne. La
cour les avait amusés de belles paroles, tandis que les troupes royales
serraient la ville rebelle. Gaston lui-même, poussé par les frondeurs, et
voulant imposer la paix, avait député à la reine un gentilhomme chargé
d'importantes propositions de sa part, et les magistrats s'étaient adjoints
au duc d'Orléans, après une discussion dans laquelle les partisans des
princes avaient réclamé de nouveau leur liberté et s'étaient élevés avec
violence contre la tyrannie de Mazarin (9 août). Dans le
même temps, les nouvelles du nord de la France étaient devenues plus
alarmantes. L'archiduc Léopold, entré en France par la Picardie, s'était
emparé de la Capelle et de Vervins, et le maréchal de Turenne, s'avançant
vers la Champagne, avait occupé Château - Porcien et Rhétel, conduit les
Espagnols jusqu'à Neufchâtel-sur-l'Aisne et forcé le passage de la Vesle à
Fismes. De là, il avait poussé jusqu'à la Ferté-Milon, et le chemin de Paris
lui était ouvert pour tenter un grand coup de main. Mazarin apprit sous les
murs de Bordeaux la course victorieuse de l'ennemi en Champagne. Attentif et
adroit à profiter de toutes les circonstances, il s'en montra fort alarmé, et
fit répandre le bruit que M. de Turenne devait se détacher de l'armée
espagnole avec un corps nombreux de cavalerie, et se diriger sur k château de
Vincennes pour enlever les princes. Ce projet avait sans doute été formé ;
mais il paraissait impossible dans l'exécution, quand même il y aurait eu
dans Paris, comme on le disait, quelque infanterie prête à les seconder.
Cependant les émissaires du cardinal inspirèrent si habilement la terreur,
que le duc d'Orléans et son conseil résolurent de faire conduire ailleurs les
illustres captifs. Les partisans de Mazarin proposaient le Hâvre- de-Grâce,
où il pouvait confier leur garde à un commandant affidé. Les frondeurs et
surtout Gondi insistaient pour la Bastille, prison sous leur main en quelque
sorte, et qui les laissait arbitres du sort des prisonniers, avec lesquels on
craignait leur réconciliation. Enfin, après de vifs débats, le duc d'Orléans
trouva un terme de conciliation, qui fut de les transférer à Marcoussis,
château du comte d'Entragues, situé à six lieues au sud de Paris, couvert par
la Seine et la Marne. Ils y furent en effet conduits sous bonne escorte. Perdant
alors l'espoir de délivrer les princes, Turenne et l'archiduc essayèrent
d'exciter des troubles dans Paris, où les paysans des villages voisins se
réfugiaient en foule et où régnait déjà une grande confusion. L'archiduc
publia sur son passage qu'il ne faisait la guerre que pour obtenir la paix, à
laquelle le ministre de la reine mettait seul obstacle. Il envoya même au duc
d'Orléans un trompette porteur d'une lettre où il lui offrait de traiter
ensemble de la paix. De son côté, Turenne fit afficher par les agents du
parti, sur les places les plus fréquentées de la capitale, des placards
séditieux avec cette inscription en tête : Le maréchal de Turenne aux bons
bourgeois de Paris. Ces placards engageaient le brave et invincible
peuple de Paris à se mettre à l'abri de l'oppression que lui préparait le
cardinal, et à ne chercher son salut que dans celui des trois princes que son
tyran voulait sacrifier à ses terreurs paniques. Ils attaquaient aussi
particulièrement le duc de Beaufort et le coadjuteur, tout en excitant le
peuple par promesses et par menaces à se soulever contre « ces faux tribuns
devenus pensionnaires et protecteurs du cardinal Mazarin, qui se jouaient
depuis si longtemps de sa fortune et de son repos. » Les efforts des ennemis
pour soulever Paris furent inutiles, et l'archiduc, voyant cette ville
immobile et le but de son expédition manqué, éluda la conférence qu'il avait
lui - même proposée et à laquelle, sur des ordres de la cour, le duc
d'Orléans avait envoyé le nonce du pape, l'ambassadeur de Venise et le comte
d'Avaux. On put juger bientôt du peu de sincérité des démonstrations
pacifiques de l'Espagnol par les ravages qu'il exerça dans le pays, et par le
besoin où l'on se trouva de pourvoir aux frais de la guerre. La
capitale était agitée ; le parlement, le duc d'Orléans et les frondeurs
n'étaient pas favorablement disposés à l'égard du ministre, lorsque la cour,
retardée par une grave indisposition survenue à la reine, arriva enfin à
Fontainebleau (7 novembre).
Anne d'Autriche-écrivit aussitôt à Gaston de s'y rendre. Elle désirait
obtenir son consentement pour la translation des princes au Hâvre-de-Grâce.
Elle espérait d'ailleurs qu'en le tenant éloigné de ses conseillers, elle
pourrait plus facilement détruire les préjugés qu'il montrait contre son
administration, et surtout son aversion contre Mazarin, qu'elle soupçonnait
lui être inspirée par Gondi et les autres chefs des frondeurs. Ceux-ci,
craignant que le duc ne pût résister aux insinuations de sa belle-sœur,
s'efforcèrent de rompre ce voyage. Mais les instances de la reine devinrent
si pressantes, qu'ils durent consentir au départ de Gaston, après avoir exigé
de lui la parole qu'il s'opposerait à la translation des prisonniers de
Marcoussis au Havre. Ses conseillers le chargèrent en même temps de
solliciter le chapeau de cardinal pour le coadjuteur. Le prélat avait jadis
refusé cette dignité, qu'il ne voulait point devoir aux besoins et aux
malheurs de l'État. Les circonstances n'étant plus les mêmes, ses idées
s'étaient modifiées, et il ne voyait que la nomination au cardinalat qui pût
le sauver de la vengeance du ministre. Car il la redoutait depuis que, ne
cachant plus ses dispositions à son égard, Mazarin s'élevait avec force
contre la conduite tenue par lui et les frondeurs pendant l'absence de la
cour. Le duc
d'Orléans arriva le 10 novembre à Fontainebleau, où il était attendu depuis
trois jours. Le roi, accompagné du ministre, alla au-devant de lui, et la
reine lui fit le meilleur accueil. Lorsqu'elle lui parla de son, projet de
tirer les princes de Marcoussis pour les transporter dans la citadelle du
Havre, où leur garde serait plus sûre et moins onéreuse à l'État, il résista
quelques moments ; puis, touché des prières et des menaces de la régente, il
accorda son consentement, et des ordres furent aussitôt expédiés pour
l'exécution. Il fut ensuite question de la nomination royale du coadjuteur au
cardinalat, dont la reine avait repoussé fièrement les premières propositions
que lui avait faites la duchesse de Chevreuse. Sur les nouvelles instances du
duc d'Orléans, Anne s'adoucit et promit de soumettre la demande à la
délibération de son conseil. On le convoqua. Le ministre parla en faveur de
l'archevêque de Corinthe ; mais le comte Servien et le secrétaire d'État Le
Tellier, ses ennemis déclarés, et le vieux Châteauneuf, qui aurait vu avec
orgueil le chapeau rouge ombrager ses cheveux blancs, s'élevèrent contre son
opinion « avec une hauteur et une fermeté qu'on ne trouve pas dans les
conseils, quand il s'agit de combattre les avis du premier ministre[7]. » La présentation du
coadjuteur fut donc repoussée, et Gaston s'en retourna peu satisfait à Paris,
où les frondeurs l'attendaient avec impatience. A cette
même époque, la cour quitta Fontainebleau pour rentrer aussi dans cette
ville, dont elle connaissait les dispositions peu bienveillantes à l'égard du
ministre. En effet, peu de jours auparavant, « il y avait été pendu en
effigie dans tous les carrefours, avec des vers infâmes, » et les exempts du
lieutenant civil n'avaient fait disparaître qu'avec beaucoup de peine des
tableaux peints à l'huile, représentant un cardinal en rochet et en camail,
avec la corde au cou. Lorsque le cortége royal s'approchait de la capitale,
les trois princes, auxquels des entreprises formées pour leur évasion, malgré
l'attention minutieuse de leur infatigable geôlier, avaient donné l'espoir
d'une prochaine délivrance, quittaient Marcoussis et s'acheminaient à petites
journées vers le Hâvre. Le comte d'Harcourt, gouverneur de Normandie,
dirigeait la marche de l'escorte chargée de leur garde. La
reine, descendue au Palais - Royal, « y trouva toute la fronde, tant en gros
qu'en détail. » Elle reçut froidement le duc de Beaufort, et fit au
coadjuteur de grands reproches sur sa conduite. Le mécontentement de la
régente n'empêcha pas la duchesse de Chevreuse de réclamer pour le coadjuteur
le chapeau de cardinal, comme gage d'alliance. Mazarin, qui se croyait hors
de péril par la translation des princes au Hâvre, ne prit aucun ménagement et
prononça un refus positif. Dans un
conseil tenu par les frondeurs, Gondi avait présenté la tentative faite
auprès du ministre comme une espèce de pierre de touche capable de faire
connaître la confiance que pouvaient inspirer ses promesses. Il avait ensuite
déclaré qu'il n'y avait pas de milieu pour lui entre la dignité de cardinal
et l'emploi de chef de parti. Ce refus lui parut donc un défi porté par son
adversaire ; il n'hésita plus à se prononcer contre lui, résolut d'employer à
briser les fers de Condé les mêmes mains qui les avaient forgés et de
renverser l'odieux Mazarin. Il lui fallait pour cela réunir les anciens et
les nouveaux frondeurs, déjà d'accord sur un point, l'expulsion du ministre,
et, par conséquent, traiter secrètement avec le parti des princes. Anne de Gonzague, appelée princesse palatine depuis son mariage avec Édouard de Bavière, fils de l'électeur Frédéric V, roi de Bohême, se chargea de cette affaire importante. Afin d'inspirer aux personnages qu'elle voulait rapprocher les dispositions dont elle avait besoin, cette femme, d'une capacité étonnante pour l'intrigue, d'un esprit éclairé au-dessus du commun, et toute dévouée à Condé, sut employer heureusement la duchesse de Chevreuse et sa fille, Mme de Guéménée, de Rhodes et de Montbazon. Comme « elle avait alors la confiance entière des desseins des princes et des frondeurs, » un prompt succès couronna ses négociations avec les seigneurs et le parlement : les deux frondes se réunirent. Les bases de la réconciliation furent le mariage du duc d'Enghien avec Mite d'Alençon, fille du duc d'Orléans, qui, gouverné par le coadjuteur, avait été entraîné après lui, tout hésitant, dans le complot ; celui du prince de Conti avec Mlle de Chevreuse ; le chapeau de cardinal pour Gondi ; l'amirauté confirmée au duc de Beaufort ; enfin une somme de cent mille écus pour Mme de Montbazon. |