Réconciliation des
seigneurs. - Projet de mariage entre une nièce du cardinal et le duc de
Mercœur. - Condé réconcilié avec la duchesse de Longueville. - La cour se
rend à Compiègne. - Condé refuse le commandement de l'armée. - État de la
France. - État de Paris. - Rentrée du roi dans la capitale. - Réception du
clergé et des compagnies souveraines au Palais-Royal. - Division à la cour. -
Exigences de Condé. - Rupture de ce prince avec le cardinal. -
Réconciliation. - Conduite de Condé à l'égard des députés du parlement de
Provence. - Le maréchal du Plessis chargé de pacifier la Guienne. - D'Emery
surintendant des finances. - Affaires des rentiers. - Feint assassinat de Guy
Joly. - Tentative de meurtre contre le prince de Condé. - Procès criminel
intenté au coadjuteur et au duc de Beaufort. - Conclusions contre les
accusés. - Discours de Gondi. - Mariage du duc de Richelieu. - Réconciliation
de la cour avec les frondeurs. - Le prince de Condé, le prince de Conti et le
duc de Longueville arrêtés.
Après
les fêtes consacrées à la célébration d'une paix qui arrêtait la France sur
le penchant de l'abîme, les députés du clergé, du parlement et des diverses
compagnies de la capitale vinrent saluer la reine à Saint-Germain, « chacun
suivant leur ordre, tous avec des visages contents, et tous demandant avec
ardeur le retour du roi dans sa bonne ville de Paris. » Mais Anne d'Autriche
était peu disposée à rentrer dans cette ville, encore hostile à l'autorité
royale, où chaque jour étaient répandus les plus sanglants libelles contre
elle et son ministre. Le duc d'Orléans et le prince de Condé y retournèrent,
et le parlement les reçut avec de grands honneurs. Un pamphlet blâma la
conduite trop généreuse de la compagnie à l'égard du capitaine qui avait mis
son épée au service de Mazarin. Condé savait que les Parisiens le détestaient
peut-être plus que le cardinal, et qu'ils le chargeaient des propos les plus
sanguinaires. Mais il avait voulu braver la haine de ses ennemis ; il passa
quelques jours au milieu d'eux et revint à la cour, où déjà il rendait son
amitié pesante. Un changement dans le ministère s'y était opéré. Le maréchal
de la Meilleraye, peu exercé dans l'administration des finances, avait quitté
la surintendance, mais sans disgrâce et avec de grands avantages. On ne lui
désigna pas de successeur pendant quelque temps ; la résolution était' prise
de confier cette place à un personnage odieux, il est vrai, mais plus habile,
au sieur d'Émeri, dont la capacité avait su procurer autrefois des ressources
au gouvernement. Cependant
les seigneurs arrivaient successivement à Saint-Germain pour se réconcilier
avec la régente. Le généralissime de la fronde fut présenté le premier à la
reine par Condé, et reçu en présence des membres du conseil. Après les
compliments ordinaires, monsieur le Prince lui fit embrasser le cardinal
Mazarin. Les ducs d'Elbeuf et de Bouillon, le prince de Marsillac, le comte
de Maure et un grand nombre de leurs partisans reparurent à la cour. Si la
froideur d'Anne d'Autriche les déconcerta, le ministre « n'oublia rien de
toutes les honnêtetés possibles, » et les trouva excusables d'avoir conservé
du ressentiment de sa conduite envers eux. La duchesse de Chevreuse, que ses
amis avaient avertie de la paix, voulut aussi avoir part au pardon général,
revint de Bruxelles à Paris accompagnée de sa fille, négocia avec le cardinal
et finit par obtenir la permission de rester à Paris. Le duc de Vendôme,
depuis plus de cinq ans éloigné de la cour, résolut aussi de faire son
accommodement avec la reine et de rechercher l'amitié du ministre. Il lui
proposa le mariage de son fils aîné, le duc de Mercœur, avec Mlle Mancini, la
plus âgée de ses trois nièces. Mazarin consentit facilement à cette alliance
avantageuse. Elle fut néanmoins différée par la crainte de mécontenter Condé,
qui la regardait comme un rempart dont le ministre voulait se fortifier
centre lui. Si la
guerre civile avait cessé à Paris, l'esprit de la population de cette ville
causait toujours de vives inquiétudes à la régente. Le parlement semblait
avoir oublié les affaires politiques pour ne s'occuper que des procès. 'Mais
la duchesse de Longueville ne renonçait point à ses intrigues ; elle
réunissait encore à sa cour frondeuse, dans son hôtel, tous les nobles du
parti qui n'avaient pas voulu, à l'exemple de beaucoup d'autres, se retirer
dans les provinces pour y attiser le feu de la révolte. C'est là que le
prince de Condé, réconcilié à Ruel le lendemain de la paix avec sa sœur,
qu'il avait toujours tendrement aimée, venait de Saint-Germain recevoir des
inspirations bien différentes de celles qui jusque alors avaient dirigé sa
conduite. La duchesse travailla soigneusement à le détacher des intérêts de
la reine. Bientôt séduit par les flatteuses sollicitations de cette
princesse, Condé s'accoutuma peu à peu à parler de Mazarin avec le même
mépris que les frondeurs. Le duc de Beaufort, fidèle à sa résolution de ne
rien demander ni accepter, était toujours l'idole de la multitude. Le
coadjuteur, son intime ami, retiré « dans sa forteresse, ne voulut point se
rendre à Saint-Germain comme les autres, » et se contenta de prier le duc de
Liancourt de faire ses compliments à la reine. MM. de Brissac, de Retz, de
Vitry, de Montrésor, de Matha, de Noirmoutier, de la Boulaye, de Luynes, de
Fontrailles et d'Argenteuil, demeuraient attachés à ces deux chefs et
formaient « une espèce de corps, qui, avec la faveur du peuple, n'était pas
un fantôme[1]. » Les
troubles du royaume avaient augmenté les espérances des Espagnols.
L'archiduc, ainsi que nous l'avons dit, avait repassé la frontière, à la
nouvelle de la paix de Ruel ; mais, sans rien perdre de son activité
ordinaire, il entamait les conquêtes françaises. Tandis qu'il mettait le siège
devant Ypres, éloigné de tout secours, un de ses lieutenants assaillait et
emportait Saint-Venant sur la Lys. Cette perte exigeait une prompte
réparation : aussi Mazarin prit-il une résolution hardie. Il se procura quelque
argent, rassembla trente-deux mille hommes et quatre-vingts canons, et, dans
l'espoir, d'obtenir quelque popularité- par des succès militaires, il
conduisit la cour sur la frontière afin de s'opposer aux progrès de
l'archiduc. La reine s'arrêta à Compiègne, d'où Condé et le cardinal
s'avancèrent ensemble jusqu'à La Fère, pour y passer en revue l'armée
d'Allemagne. On croyait que le prince, désireux d'effacer les tristes
exploits de la guerre civile par une grande victoire sur les ennemis de la
France, se hâterait d'en prendre le commandement. Condé cependant ne voulut
pas reparaître à la tête de l'armé. Livré tout entier à la malheureuse
influence de la duchesse de Longueville, il se liait avec les ennemis du
cardinal, et se levait hautement contre son ingratitude. C'est le nom qu'il
donnait au mariage projeté entre la nièce du ministre et le fils du duc de
Vendôme. Le maréchal d'Harcourt fut choisi pour conduire l'armée, et le
prince se retira dans son gouvernement de Bourgogne (3 juin). Ces
commencements de division rendaient encore plus sombre l'aspect général des
affaires ; car l'état de la France à cette époque inspirait les plus grandes
sollicitudes aux bons citoyens. Les ressorts du gouvernement étaient détendus,
l'ordre ne se rétablissait point, et partout régnaient la licence et
l'anarchie. « Les provinces ne payaient pas, dit Mme de Motteville, les
tailles n'étaient plus levées exactement ; les peuples voulaient partout
respirer le doux air de la liberté, et, à leur ordinaire, se plaignaient des
impôts et des subsides ; les pauvres paysans et les laboureurs gémissaient. »
Réduite à la plus grande détresse, la cour, après avoir mis en gage les
pierreries de la couronne, se trouvait dans l'impossibilité de solder les
armées et d'entretenir la maison du roi. « Les grands et les petits
officiers, sans gages, ne voulaient plus servir ; et les premiers
gentilshommes de la chambre, faute de pouvoir nourrir les pages, étaient
obligés de les renvoyer chez leurs parents. » La tranquillité s'était assez
promptement rétablie dans les villes qui avaient arboré la bannière des
frondeurs. Mais les hostilités, quelque temps suspendues en Provence par, la
paix de Ruel, renaissaient plus vives, et le feu de la sédition menaçait de
se rallumer en Guienne. Anne
d'Autriche et Mazarin différaient de mois en mois de ramener le roi dans
Paris, et paraissaient peu empressés de répondre aux vœux de ses habitants.
L'état déplorable de cette ville leur faisait encore craindre des jours
malheureux. La fermentation était alors extrême parmi le peuple, et le
parlement s'efforçait en vain de rétablir les liens d'obéissance qu'il avait
lui-même brisés. Chaque jour on le sollicitait d'imiter le sénat de Venise ou
le parlement d'Angleterre ; on ne parlait publiquement que de république et
de liberté. « Les peuples, disait-on, quand les révoltes sont générales, ont
un juste droit de faire la guerre contre leur roi ; leurs griefs doivent être
décidés par les armes, et ils peuvent porter la couronne dans d'autres
familles, ou changer de lois... La monarchie est trop vieille ; il est temps
qu'elle finisse[2]. » Des chansons impies, des
ballades licencieuses et des satires sanglantes contre la reine, son ministre
et la maison de Condé, circulaient librement ou étaient affichées sur les
murs. Le duc d'Orléans conjura le parlement et le corps de ville, au nom du
roi, de châtier les auteurs de libelles diffamatoires. La compagnie prit des
mesures de répression, et le premier président fit arrêter et juger
l'imprimeur Claude Marlot, pour avoir publié une pièce de vers
très-injurieuse à l'honneur de la régente. Ce misérable fut condamné deux
fois, par le Châtelet et le parlement, à être pendu ; mais comme on le conduisait
au gibet, la populace, se jetant avec une furie inconcevable sur les archers
de l'escorte, en blessa plusieurs, dispersa les autres, et délivra le
coupable. Souvent
les nobles frondeurs ne se montraient pas animés de meilleurs sentiments que
les hommes du bas peuple. Quelques-uns d'entre eux « étaient cruellement
débauchés ; la licence publique les encourageait à commettre les plus
scandaleux excès. » MM. de Brissac, Matha et Fontrailles, revenant un
jour d'un dîner où ils s'étaient chargés de mets et de vin, rencontrèrent un
convoi qu'ils « chargèrent l'épée à la main en criant au crucifix : Voilà
l'ennemi ! » L'histoire de cette époque ne dit pas si cette audace sacrilège
trouva des applaudissements ; mais elle constate « que les chansons de table•
n'épargnaient pas toujours le bon Dieu. » Une autre fois, les mêmes seigneurs
parcoururent les rues après une autre partie de débauche, accablèrent
d'injures deux valets de pied du roi et les battirent outrageusement.
Ceux-ci, se voyant maltraités par des personnes de qualité, crièrent qu'ils
devaient respecter les livrées de leur maître commun ; ces emportés
répondirent que cela était bon du temps passé, et ajoutèrent : « Portez cela
à votre maître, à la reine et au cardinal Mazarin. » Les
magistrats et les honnêtes bourgeois blâmaient avec énergie les excès de la
populace et les folies licencieuses des seigneurs. Ils attribuaient les
progrès effrayants de cette démoralisation à l'absence prolongée de la cour,
et le duc d'Orléans demanda instamment, au nom de la ville, le retour du roi,
stipulé dans le traité de Ruel. La reine et son ministre auraient voulu offrir
un heureux succès de guerre aux Parisiens, comme une puissante diversion à
leurs mauvaises dispositions, et d'Harcourt avait échoué au siège de Cambrai (3 juillet). Ce désappointement fournissait
une nouvelle pâture aux pamphlets, et un sujet de moquerie et d'insulte
contre Mazarin. Mais l'heureuse nouvelle de la pacification de la Provence,
celle du passage de l'Escaut per le maréchal et de la défaite de huit cents
cavaliers espagnols, Sortis de Douai, firent taire les répugnances et les
craintes. D'ailleurs Condé, revenu à Compiègne et accueilli avec de grandes
caresses de la part du cardinal, paraissait avoir oublié tous ses ressentiments,
et offrait d'acquitter la promesse qu'il avait faite naguère de le ramener à
Paris. La reine envoya donc annoncer le prochain retour du roi au parlement
et au corps de ville, qui reçurent cette nouvelle avec la plus grande
satisfaction. Condé
n'était pas le seul qui voulût s'attribuer l'honneur de ce retour, beaucoup
d'autres prétendaient y avoir part ; le coadjuteur, afin de se donner à
lui-même, ainsi qu'aux frondeurs de ses amis, le mérite de ce qu'ils ne
pouvaient empêcher, vint à Compiègne, et supplia Sa Majesté de se rendre aux
vœux des habitants de la capitale. Anne lui témoigna beaucoup de bonté, et
s'efforça en vain d'opérer un rapprochement entre l'archevêque et Mazarin.
Gondi refusa de faire une visite à l'homme dont l’élévation excitait toute sa
jalousie. Quelques jours auparavant, la duchesse de Chevreuse avait obtenu la
permission de voir la reine, et s'était présentée devant elle avec un cœur
soupais à toutes ses volontés et â celles de son ministre, la priant de lui
pardonner tout le passé, « et lui promettant pour l'avenir une grande
fidélité. » Ces promesses avaient été reçues avec douceur et sans reproches. Le 17
août, la cour quitta Compiègne et alla coucher à Senlis, d'où elle partit le
lendemain et dîna au Bourget. Là se trouvèrent les bateliers du port
Saint-Paul, des Tournées, du Guichet et autres avenues de Paris, au nombre de
trois cents, vêtus de hauts-de-chausses d'écarlate et autres couleurs
chamarrées d'argent, et de pourpoints blancs. Tous avaient l'épée au côté, et
portaient les uns des lances peintes, les autres des avirons fleurdelisés.
Après que le duc d'Orléans se fut réuni à l'escorte royale, on gagna la route
de Saint-Denis, où l'on rencontra les trois cents archers de la ville,
formant trois compagnies à cheval, parés d'une casaque de velours bleu, sur
laquelle brillaient les armes du roi et de la ville brodées d'or et d'argent.
Au haut du faubourg Saint - Denis se tenaient le duc de Montbazon, gouverneur
de Paris, le prévôt des marchands, les échevins et le corps de ville, suivi
de cinq cents bourgeois à cheval en housses et habits noirs. Arrivé en cet
endroit, le roi fit arrêter son carrosse, et le corps de ville lui fut
présenté par le duc de Montbazon. Le prévôt des marchands adressa ensuite à
Leurs Majestés des compliments dans lesquels était exprimée, à leur grande
satisfaction, la tendresse des affections de tout le peuple. Cette harangue
finie, on continua la marche au milieu d'une foule immense dont les cris de Vive
le roi, souvent répétés, dissipaient les inquiétudes d'Anne d'Autriche et
de Mazarin. Lorsque
le jeune monarque et sa mère entrèrent sous la porte Saint-Denis, décorée
avec une rare magnificence, la joie des Parisiens éclata en longues acclamations,
auxquelles se mêlèrent de nombreuses volées de canon et de boites. Toutes les
rues sur le passage du cortége étaient ornées des plus riches tapisseries, et
les toits des maisons couverts de spectateurs. « Ce fut, dit Mme de
Motteville, un véritable prodige que l'entrée du roi en ce jour, et une
grande victoire pour le ministre. Jamais la foule ne fut si grande à Suivre
le carrosse du roi, et il semblait, par cette allégresse publique, que le
passé fût un songe. Le Mazarin, si haï, était à la portière avec monsieur le
Prince, et fut regardé attentivement de tous ceux qui suivaient le roi. Ils
se disaient les uns aux autres, comme s'ils ne l'eussent jamais vu : Voilà le
Mazarin. Les uns disaient qu'il était beau ; les autres lui tendaient la main
et l'assuraient qu'ils l'aimaient bien ; d'autres disaient qu'ils allaient
boire à sa santé, qu'il était bon homme, et qu'ils s'étaient trompés quand
ils avaient tant crié contre lui. » Pour
accorder au peuple de Paris une preuve de sa confiance, Anne d'Autriche
n'écouta point les conseils qu'on lui donnait de se loger au Louvre ou à
l'Arsenal ; elle descendit au Palais-Royal, où déjà se Fessaient les grands
de l'État et les chefs de la compagnie, afin de lui offrir leurs hommages.
Elle y déclara publiquement au prince de Condé toute sa reconnaissance pour
le service signalé rendu par lui à l'autorité royale. Le duc d'Orléans lui
présenta dans ce moment le duc de Beaufort, qui, après avoir salué le roi, se
tourna vers Sa mère et lui protesta de sa fidélité. La reine lui répondit
seulement que les effets la persuaderaient de la vérité de ses paroles. Le
soir, après que la foule des courtisans se fut écoulée, Aune répéta aux dames
de sa cour « qu'elle avait été surprise de l'excessive allégresse des
Parisiens, et qu'elle ne s'était pas attendue à une telle fête. » Elle leur
raconta aussi avec complaisance « toutes les douceurs que les lavandières,
les ravaudeuses et les femmes des halles avaient dites à son ministre, »
qu'on avait si souvent menacé de la destinée du maréchal d'Ancre. Les
frondeurs, on peut le croire, furent au désespoir du changement opéré dans
les esprits ; les indifférents le regardaient avec étonnement ; et tous eurent
lieu d'être à jamais persuada de la légèreté des peuples et de la facilité
qu'ils ont de joindre les contraires ensemble[3]. Le
lendemain de cette rentrée triomphante, le coadjuteur vint au Palais-Royal, à
la tête de son clergé, pour faire ses compliments à Leurs Majestés. En
prononçant sa harangue il parut troublé, interdit ; il devint pâle, et ses
lèvres tremblèrent toujours. Mazarin, debout auprès du roi, put jouir de la
confusion de son ennemi. Le prélat, conservant encore toute sa fierté, se
retira, sans jeter les yeux sur le ministre, mais « bien fâché sans doute
contre lui-même, d'avoir donné des marques publiques du trouble de sa
conscience. » La reine reçut ensuite le parlement, les compagnies
souveraines, le corps de ville et le corps des marchands, dont les discours
attestèrent l'entière soumission. Le jour
de Saint-Louis, le roi se, rendit à cheval et en grand cortége à l'église des
Jésuites du faubourg Saint-Antoine, où devait être célébrée une messe
solennelle pour rendre grâces à Dieu d'avoir préservé la France des malheurs
dont elle avait paru menacée. Il fut accueilli avec de grands transports
d'allégresse de la part du peuple, qui admirait sa hardiesse et sa bonne
mine. Ce même jour, le cardinal, dont les ennemis publiaient qu'il n'oserait
plus sortir du Palais-Royal sans mourir de peur, inspiré par la politique et
par son courage, traversa la ville seul dans son carrosse et arriva le
premier à l'église, où il attendit le roi. Il y reçut sa part des
bénédictions publiques. Le prévôt des marchands et les échevins l'invitèrent
respectueusement à une fête somptueuse donnée au jeune monarque à l'hôtel de
ville. Depuis ce moment le ministre reprit confiance ; il parut en public et
ne fut point insulté. Le
peuple et le parlement se calmaient, et tout semblait annoncer la
réconciliation de la reine et de Mazarin avec Paris. Mais déjà. la division
régnait à la cour. Enivré des flatteries des Mils maîtres dont il était sans
cesse entouré, trop docile aux perfides conseils de la duchesse de
Longueville et plein de mépris pour le cardinal, le vainqueur de la fronde
faisait sentir durement ses services et voulait dominer le gouvernement. Il
demandait sans cesse des faveurs pour lui et-des charges lucratives pour ses
amis. Mazarin portait, il est vrai, avec peine le fardeau des bienfaits de
Condé, mais il cédait souvent à ses désirs ; et lorsqu'il s'excusait de ne
pas accorder davantage, ses raisons auraient pu contenter 'le prince, si la
duchesse sa sœur n'avait pas crié sans cesse à l'ingratitude. Ce fut encore
elle qui lui suggéra de solliciter pour son mari le gouvernement du Pont-de-l'Arche.
Pour satisfaire aux exigences de sa famille, Condé réclama formellement
l'exécution de l'engagement pris lors du traité de Saint-Germain, de remettre
cette place au flue de Longueville. Anne résista, -et le ministre, pressé
vivement de remplir une promesse qu'il regardait comme impolitique et
préjudiciable à l'autorité royale, lui résista en face et lui donna une
réponse négative. Alors le prince s'emportant « lui passa la main devant le
nez., » et sortit en lui criant avec un éclat de rire ironique : « Adieu,
Mars ! » Le cardinal ressentit vivement cet outrage ; il dissimula cependant,
et envoya Le Tellier chez le prince dans l'espoir d'accommoder l'affaire.
Mais celui-ci traita durement le messager et le chargea de dire au ministre
que, « puisqu'il lui manquait de parole, il n'était pas résolu de le souffrir
; qu'il ne le verrait jamais que dans le conseil, et qu’il se déclarait son
ennemi capital (14 septembre).
» Dès que
la nouvelle de cette rupture fut connue dans Paris, le duc de Beaufort, tous
les frondeurs, la plupart des courtisans et une foule de gens distingués par
leurs emplois ou leur naissance s'empressèrent d'offrir leurs services au
prince, et le Palais-Royal resta désert. Le coadjuteur, jugeant l'occasion
favorable, lui proposa d'unir leurs forces pour expulser Mazarin, et lui
promit le secours du peuple et-des cours souveraines. Excité par sa famille
et par sou propre ressentiment, Condé accepta les offres de Gondi et du
président de Bellièvre. Il se lia publiquement avec les frondeurs ravis de le
voir à leur tête, formant déjà les plus vastes desseins et se promettant de «
renverser la France à leur gré. » Le cardinal, presque universellement
abandonné, comprit qu'il lui serait impossible de se soutenir contre le prince,
uni à la fronde, et qu'une entière soumission pouvait seule empêcher sa
chute. Il déploya donc toute sa finesse, les manières les plus humbles et les
plus insinuantes : Mais son ennemi se montra d'abord inexorable. La
consternation régnait au Palais-Royal, où Mazarin songeait à quitter la
France, lorsque le prince, qui voulait asservir le ministre et non le
chasser, parut se calmer, et consentit à un accommodement dont le duc
d'Orléans se rendit médiateur. L'abbé de la Rivière avait engagé Gaston à se
mêler de l'affaire., dans l'espoir que cette réconciliation lui procurerait
enfin le chapeau de cardinal, depuis si, longtemps l'objet de ses désirs
ambitieux. Condé obtint Pont-de-l'Arche pour son beau-frère, et mit en outre
à haut prix la promesse de laisser le cardinal à la tête des affaires. Il
fallut qu'à l'insu du duc d'Orléans, et de l'aveu de la reine, le ministre
signât les conditions d'un traité rédigé par la Rivière, et qui devait être
déposé entre les mains du premier président Molé. Elles portaient que Mazarin
ne disposerait d'aucune charge, gouvernement ou bénéfice considérable, ne
nommerait point de généraux au commandement des armées, n'éloignerait
personne de la cour et ne prendrait aucune résolution importante sans avoir
demandé l'avis du prince ; enfin qu'il ne marierait ni son neveu ni ses
nièces sans l'avoir préalablement consulté. Par cet
accommodement, Condé humiliait Anne d'Autriche et son ministre, mais il
excitait leur ressentiment ; il perdait la confiance de la noblesse et
réveillait contre lui la rancune des, frondeurs, trompés dans leurs
espérances. Cette grave imprudence devait l'exposer bientôt aux vengeances de
tous les ennemis qu'il affectuit.de provoquer. Cependant
le feu de la discorde allumé sur différents points du royaume n'était pas
encore éteint. Les efforts du comte de Saint-Aignan, commissaire
extraordinaire du roi, avaient d'abord réussi en Provence. Son gouverneur, le
comte d'Alais, n'osant pas persévérer dans sa conduite hostile, s'était
conformé aux volontés du roi, et avait reçu avec bienveillance les
députations des corps judiciaires et de la ville. Mais il avait conservé une
partie de ses troupes, et continuait à fouler le peuple perdes impôts
onéreux. Alors des députés du parlement de Provence, mandés à Paris pour
exposer leurs griefs, se plaignirent de l'insolente tyrannie du comte
d'Alais, qui, par malheur pour eux, était parent de Condé. Aussi le prince
les chassa-t-il du conseil, après les avoir menacés, en présence de la
régente, de les faire périr sous le bâton s'ils continuaient à décrier leur
gouverneur. Le cardinal ne perdit point l'occasion que lui présentait cette
étrange inconséquence de Condé pour lui faire de nouveaux ennemis. Il parut
sensible à l'outrage qu'ils venaient de recevoir, et leur promit en secret de
les protéger eux et leur compagnie contre les injustes exactions du comte
d'Alais. Dans la
province la plus rapprochée de l'Espagne, en Guienne, les troubles avaient
recommencé quelque temps avant le retour du roi à Paris. Des lettres patentes
avaient interdit le parlement de Bordeaux, et le duc d'Épernon était rentré
dans la capitale de son gouvernement à la tête d'une suite nombreuse de
soldats et de gentilshommes ; mais une sédition l'avait forcé encore une fois
de quitter Bordeaux et de se retirer dans sa maison de Cadillac. Tandis qu'il
y rassemblait des troupes, le Château-Trompette, où il avait laissé une
garnison de soldats d'élite, foudroyait la ville. Cette citadelle était un
sujet continuel d'inquiétude pour les Bordelais ; aussi résolurent-ils d'en
former le siège, de s'en emparer et de la détruire. Sur ces entrefaites
arriva le maréchal du Plessis-Praslin, chargé par la cour de terminer cette
guerre civile. Livrée aux plus fougueuses passions et déjà trop disposée à
rompre l'unité nationale, la population ne voulut ni recevoir le maréchal
dans Bordeaux, ni écouter aucune proposition sans avoir achevé son
entreprise. Après la capitulation du Château-Trompette (18 octobre) et la démolition de toutes ses
fortifications du côté de la ville, elle persista dans son refus. Du Plessis
fut contraint d'appeler à son aide l'armée navale de la Rochelle, qui battit
la flotte marchande que les insurgés avaient armée en guerre. Les
Bordelais se montrèrent alors plus faciles, et, tout en conservant leur
attitude audacieuse, ils renouèrent des négociations avec le maréchal. ils ne
mettaient point de bornes à leur orgueil ainsi qu'à leurs prétentions, parce
qu'ils avaient de puissants soutiens à Paris. En effet le parlement de cette
ville se disposait à faire des remontrances à la reine en faveur du parlement
de Bordeaux, et Condé prenait hautement dans le conseil le parti des
rebelles, par antipathie contre les d'Épernon et pour vexer Mazarin, qui
avait formé le projet d'un nouveau mariage entre une autre de ses nièces et
le duc de Candale. Des conditions assez avantageuses furent donc accordées
aux Bordelais ; on ne révoqua pas d'Épernon, mais le Château-Trompette ne fut
pas rebâti, et le parlement de Bordeaux recouvra tous ses droits. Tandis
que la cour devenait le théâtre d'intrigues mesquines, confuses et
enregistrées avec soin dans les prolixes mémoires du temps, intrigues dans
lesquelles des femmes portaient de frivoles idées et sacrifiaient souvent à
la vanité leur honneur et leur repos ; tandis que Condé tyrannisait le
conseil, irritait ses ennemis par un orgueil poussé jusqu'à l'extravagance,
aliénait ses amis par son caractère inégal et emporté, et ne laissait même
pas la liberté de son indignation à la reine, outragée comme femme par le
présomptueux marquis de Jarzé, le cardinal s'efforçait de réorganiser le
gouvernement. Comme les finances, depuis la retraite du maréchal de la Meilleraye,
étaient confiées provisoirement à deux conseillers d'État, hommes de probité,
mais peu habiles, les financiers, les courtisans et les gros bourgeois
intéressés dans les prêts réclamaient le retour de l'ancien surintendant
d'Émeri. Mazarin le désirait Missi ; mais ce ne fut qu'après avoir obtenu
l'assentiment du duc d'Orléans et du prince de Condé qu'il le rétablit dans
ses premières fonctions (9 novembre). D'Émeri
fit précéder son retour par quelques largesses qui lui concilièrent la
populace. Moins jaloux sans doute de la faveur de la bourgeoisie, ou pressé
par les dettes de fait, il se contenta de faire payer un ternie des rentes,
et appliqua ensuite le revenu des gabelles à des dépenses jugées plus
nécessaires. Plusieurs arrêts du parlement l'avaient destiné au paiement des
rets les sur l'hôtel de ville. Alors les rentiers se plaignirent au prévôt
des marchands et aux échevins. Ceux-ci, par égard pour la cour, ne les
écoutèrent qu'avec indifférence. Mais les frondeurs, ennuyés d'être réduits à
se croiser les bras, se saisirent de cette affaire comme d'une excellente
occasion pour troubler la tranquillité publique, et proposèrent aux rentiers
d'élire parmi eux douze syndics chargés de veiller à leurs intérêts. En
conséquence les rentiers, assemblés au-nombre de plus de trois mille, suivant
le cardinal de Retz, tous bons bourgeois et vêtus de noir, nommèrent pour
syndics ceux qui leur parurent les plus capables de défendre les droits de
tous, et entre autres Charton, président aux requêtes, et Guy Joly,
conseiller au Châtelet, créature du coadjuteur. Les
syndics, la plupart déterminés frondeurs, s'adressèrent au parlement, qui
venait de faire sa rentrée, et demandèrent une assemblée 'de toutes lés
chambres. Dirigée par le premier président, la grand'chambre cassa
l'élection. des syndics, comme faite sans aucun droit de la part d'électeurs
ne formant pas un corps reconnu dans l'État et ne pouvant se donner des
chefs. Ceux des enquêtes, satisfaits de trouver l'occasion de s'agiter,
embrassèrent la cause des rentiers. Ceux-ci, assurés de la protection du duc
de Beaufort et du coadjuteur, auxquels ils avaient envoyé une députation, se
réunirent fréquemment à l'hôtel de ville, malgré l'arrêt de la grand'chambre.
Mais les Grondeurs, trouvant que les choses ne s'échauffaient pas assez vite,
résolurent de soulever le parlement et le peuple par une imposture habilement
ménagée. Dans un
conseil tenu chez le président de Bellièvre, pour aviser à ce qu'on pourrait
faire, il fut décidé qu'un coup de pistolet serait tiré à l'un des syndics
des rentiers, sans aucun mal pour la victime, afin d'émouvoir le peuple, à
qui l'on s'efforcerait de persuader que la cour voulait se débarrasser de ses
défenseurs par l'assassinat. Guy Joly, le plus hardi d'entre eux, le plus
véhément dans ses discours contre le ministère, se proposa pour être cette
victime feinte du courroux, de Mazarin. Après avoir entretenu durant quelques
jours le public des mauvaises intentions de la cour, vraies ou supposées,
contre les syndics, l'héroïque Joly prêta son pourpoint, dont un gentilhomme
d'une adresse éprouvée, le sieur d'Estainville, écuyer du marquis de Noirmoutier,
perça la manche d'un coup de pistolet. Il se fit ensuite au bras une blessure
qui correspondait au trou de la balle. Le
lendemain, 11 décembre, Joly sort dès le matin dans son carrosse.
D'Estainville paraît dans le lieu convenu, rue des Bernardins, devant la
demeure du président Charton ; le conseiller l'aperçoit et se baisse. Le faux
assassin lâche aussitôt son pistolet dans la direction du carrosse, de
manière à ne pas atteindre celui qu'il renferme, et disparaît. Alors Joly de
pousser des cris, le peuple de se rassembler et de porter la fausse victime
chez un chirurgien du voisinage, lequel prend naïvement la meurtrissure
légère de la nuit pour une blessure véritable et y met un appareil. Quoique
la comédie eût été fort bien jouée, le peuple ne se souleva point. Mais la
nouvelle rapidement répandue que la cour faisait assassiner les syndics causa
une grande émotion dans le parlement, où le président Charton, s'étant
imaginé que le coup lui était destiné, se rendit l'épée au côté et suivi
d'une centaine de rentiers. Là, racontant avec effroi à ses collègues le
danger auquel il avait été exposé, il demanda des gardes. A cet instant Broussel,
plein d'épouvante, proposa de fermer les portes de la ville, et les enquêtes,
envahissant la grand'chambre, demandèrent qu'on informât. Le premier
président soutint que cette affaire n'était pas de celles qui exigent une
assemblée de toutes les chambres, et fit décider que dans la procédure on
suivrait la marche ordinaire. Pendant
la délibération des magistrats, un des anciens capitaines de la fronde, le
marquis de La Boulaie, étranger au complot de Joly, s'avisa de courir tes
rues et le palais, le pistolet au poing, « suivi de quinze ou vingt coquins,
» et criant : Aux armes ! trahison du Mazarin ! A l'entendre, on
assassinait le duc de Beaufort, et tous les citoyens devaient se mettre en
défense, parce qu'ils étaient menacés d'un massacre général. Sa tentative ne
fut pas plus heureuse que l'autre. Le soir, La Boulaie se montra encore sur
le Pont-Neuf et vers la place Dauphine, à la tête d'un groupe 'd'hommes à
cheval, qui paraissaient se tenir en embuscade. On prétend qu'afin d'éloigner
les curieux ils tirèrent plusieurs coups de pistolet. Le
prince de Condé avait accompagné la reine, que les efforts des frondeurs pour
exciter un soulèvement populaire n'avaient point empêché& d'aller faire
ses dévotions ordinaires du samedi à Notre-Dame. Il était en ce moment au
Palais-Royal, et se disposait à retourner à son hôtel, situé près du
Luxembourg. Le secrétaire d'État, Servien, lui annonça de la part de Mazarin
qu'on avait vu des gens apostés près de la place Dauphine, et que ce pouvait
être une conspiration formée contre lui. La reine, le cardinal et tous les
courtisans le prièrent de ne pas s'exposer ; mais Condé traitait leurs
craintes de terreur panique, et voulait aller lui-même juger de la vérité.
Cédant enfin à de nouvelles instances, il fit partir un carrosse avec ses
pages et valets, suivi d'un autre aux livrées du comte de Duras. Comme les
deux voitures traversaient le Pont-Neuf, elles reçurent la décharge de quelques
armes à feu, et un des laquais du comte de Duras fut tué[4]. Cette
aventure remplit la cour de trouble ; le prince crut réellement qu'on avait
voulu attenter à ses jours, et ses soupçons tombèrent sur les chefs des
frondeurs. Excité par Anne d'Autriche et son ministre, qui témoignaient le
plus grand zèle pour ses intérêts, et par sa propre impatience, il les
signala comme des assassins, résolut d'en avoir raison et porta plainte de
l'entreprise tentée contre sa personne. La reine, paraissant épouser le
ressentiment de Condé, envoya au parlement l'ordre d'informer. Cette affaire
absorba celle de Joly. La conduite du prince dans cette circonstance combla
les vœux de la régente et du cardinal. Ce fut avec une satisfaction
inexprimable qu'ils le virent s'engager dans une lutte acharnée avec les
chefs de la fronde. Au milieu des sentiments contradictoires des écrivains de
l'époque, il est impossible de savoir quel fut le rôle de Mazarin dans ces
événements bizarres ; mais, de l'aveu de tous, il les jugea avec une rare
sagacité et les fit habilement tourner à son avantage. L'étonnement
du coadjuteur fut extrême, quand il se vit enveloppé des mêmes filets qu'il
préparait aux autres. Il avait voulu charger la cour de l'assassinat de Joly,
et la cour l'accusait de celui du prince. Le bruit adroitement répandu dans
Paris que le duc de Beaufort et lui étaient les coupables, les exposa les
premiers jours au mépris et à l'indignation des habitants. Ce changement dans
l'affection du peuple inspira des craintes aux frondeurs. Les femmes elles-mêmes
furent consternées, et la duchesse de Montbazon résolut de s'enfuir à
Péronne, où elle désirait entraîner avec elle le duc de Beaufort et Gondi. Ce
dernier conserva seul tout son courage et s'efforça de tenir tête à l'orage,
malgré le ressentiment du prince qui mettait dans ses sollicitations une
ostentation insultante, et ne paraissait au palais qu'avec un nombreux et
brillant cortége d'amis et d'officiers du roi. Cependant
les informations relatives au duc de Beaufort, au coadjuteur et an conseiller
Broussel, accusé avec eux, furent lues dans le parlement, auquel les
interrogatoires, dans l'affaire de Guy Joly, avaient promptement dévoilé
l'imposture du premier assassinat : Parmi les témoins entendus, il y avait
des hommes également ridicules et infâmes. L'un d'eux, appelé Canto, avait
été condamné à la potence ; un autre, Pichon, avait été mis sur la roue en
effigie, au Mans ; le troisième, Sociando, était décrété pour crime de faux,
et les autres avaient la réputation de filous fieffés. Ces hommes
méprisables étaient porteurs de brevets signés du roi, avec le contreseing
d'un secrétaire d'État, qui les autorisaient à dire et faire tout ce que bon
leur semblerait dans les assemblées des rentiers, « pour se donner créance et
découvrir les sentiments d'un chacun. » Les dépositions de ces agents
provocateurs, de ces espions à gages, ne renfermaient que des faits vagues ou
absurdes. Celle de Canto, chef de la bande, exigea une lecture de quatre
heures. Il déclarait « qu'il s'était trouvé dans plusieurs assemblées de
l'hôtel de ville, où il avait ouï dire que M. de Beaufort et M. le coadjuteur
voulaient tuer M. le prince ; qu'il avait vu La Boulaie chez le conseiller
Broussel le jour de la sédition. Il l'avait vu aussi chez M. le coadjuteur ;
le même jour le président Charton avait crié aux armes ; Joly lui avait dit à
l'oreille, à lui Canto, quoiqu'il ne l'eût jamais ni vu ni connu que cette
fois-là, qu'il fallait tuer le prince et la grande barbe (Molé). Les autres témoins
confirmaient cette déposition[5]. » Les
avocats généraux Orner Talon et Jérôme Bignon soutinrent que les, charges
étaient insuffisantes pour motiver une poursuite contre le duc de Beaufort,
le coadjuteur et Broussel. Malgré leur vive opposition, le procureur général
Méliand donna ses conclusions écrites : elles tendaient à ce qu'il fût
décerné prise de corps contre le marquis de La Boulaie, qui était en fuite,
et à ce que les trois autres accusés fussent assignés pour être entendus ; ce
qui était une manière d'ajournement personnel un peu mitigé. Le
coadjuteur occupait à cette séance la place de l'archevêque son oncle, à qui
la ruse bouffonne d'un médecin avait persuadé qu'il était malade et ne
pourrait sortir sans exposer ses jours. Il n'avait point craint de se trouver
en présence & son adversaire, autour duquel se pressaient le duc
d'Orléans, le prince de Conti et une foule.de pairs et de seigneurs. Après la
lecture des conclusions du procureur général, il se leva et ôta son bonnet
pour parler. Matthieu Molé voulut s'y opposer, en « disant que ce n'était pas
l'ordre, et qu'il ne parlerait qu'à son tour. » Mais une clameur générale «
de la sainte cohue des enquêtes » s'éleva contre le premier président. Quand
le silence fut rétabli, l'archevêque prit la parole et montra dans les
témoins à charge des filous avérés et d'infâmes scélérats recrutés dans les
bagnes. Puis il ajouta : « Ce n'est pas tout, Messieurs, ils ont une autre
qualité bien plus relevée et bien plus rare, ils sont témoins à brevet. Je
suis au désespoir que la défense de notre honneur, qui nous est commandée par
toutes les lois divines et humaines, m'oblige de mettre au jour, sous le plus
innocent- des rois, ce que les siècles les plus corrompus ont détesté dans
les plus grands égarements des anciens empereurs. Oui, Messieurs, Canto,
Sociando, Gorgibus, ont des brevets pour nous accuser, et ces brevets sont
signés de l'auguste nom qui ne devrait être employé qu'à conserver encore
mieux les lois les plus saintes. M. le cardinal Mazarin, qui ne connaît que
celles de la vengeance qu'il médite contre les défenseurs de la liberté
publique, a forcé M. Le Tellier, secrétaire d'État, de contresigner ces
infâmes brevets. Nous vous en demandons justice ; nous ne vous la demandons toutefois
qu'après vous avoir très-humblement suppliés de la -faire à nous-mêmes la
plus rigoureuse que les ordonnances les plus sévères prescrivent contre les
révoltés, s'il se trouve que nous ayons directement ou indirectement
contribué à ce qui a excité ce dernier mouvement. Est-il possible, Messieurs,
qu'un petit-fils de Henri le Grand, qu'un sénateur de l'âge et de la probité
de M. de Broussel, qu'un coadjuteur de Paris, soient seulement soupçonnés
d'une sédition où l'on n'a vu qu'un écervelé à la tête de quinze misérables
de la lie du peuple ! Je suis persuadé qu'il me serait honteux de m'étendre
sur ce sujet. Voilà, Messieurs, ce que je sais de la moderne conjuration
d'Amboise[6]. » La fin
de ce discours était une allusion aux paroles prononcées quelques instants
avant par le président de Mesmes, ennemi des accusés, qui avait comparé à la
conjuration d'Amboise les complots dont il avait plu à Dieu de préserver
l'État et la maison royale. Les enquêtes l'accueillirent avec un murmure
approbateur, et soulevèrent un violent orage contre le procureur et le
premier président. Au milieu du tumulte on entendit plus -d'Un anathème
contre les brevets. Comme l'accusation subsistait, Molé, sans s'étonner du
bruit, prononça que le duc de Beaufort, le coadjuteur et Broussel, étant
parties, ne pouvaient rester juges, et qu'ils eussent à se retirer. Le duc et
le prélat se disposaient à quitter leurs places, lorsque Broussel les retint
en disant : « Nous ne devons, Messieurs, ni vous ni moi, sortir, jusqu'à ce
que la compagnie nous l'ordonne. — Et Monsieur le Prince ? » s'écria le
coadjuteur. « Moi ! moi ! » répondit Condé avec fierté et d'un ton moqueur. «
Oui ! Monsieur, reprit Gondi, la justice égale tout le monde. » Il ne
remporta cependant que l'honneur d'avoir, pour ainsi dire, lutté contre un
prince du sang ; car il fut obligé de sortir avec les deux autres accusés,
afin 'de laisser le champ libre à la délibération. Mais les applaudissements
d'un peuple nombreux, accouru de tous les quartiers de la ville au palais,
donnèrent à leur retraite un air de triomphe (22 octobre). Depuis
ce jour le prince devint plus inquiet. Il comprenait sans doute la faute
qu'il avait commise en ne mesurant pas assez ses démarches, et les lenteurs
de son procès lui causaient un dépit mortel ; mais son orgueil l'empêchait de
reculer. Malgré les efforts de Mazarin pour ranimer sa confiance, il lui
arriva souvent de faire entendre qu'il se vengerait un jour du ministre qui
l'avait jeté dans cet, embarras, et dont il ne parlait jamais qu'en termes de
mépris. Il accusait aussi la reine de ne pas l'aider de tout son pouvoir dans
la pour- suite des accusés, et chaque jour il se montrait plus implacable à
l'égard des frondeurs ; et, après avoir rejeté leurs nouvelles demandes -de
réconciliation, il prétendait les obliger à quitter Paris. Enfin il fatiguait
le duc d'Orléans, qu'il traînait, à son grand déplaisir, aux séances du
parlement, où il se trouvait en présence des chefs de la fronde comme sur un
champ de bataille. Souvent même il s'y passait des scènes de violence
capables de compromettre la tranquillité publique. Dans cette situation
difficile, Condé avait besoin de l'appui de la cour, et cependant il
l'offensa mortellement par une entreprise contre les intérêts de l'autorité
royale. Le duc
de Richelieu, Pontcourlai, ce petit-neveu du cardinal sur qui le ministre
mourant avait fait reposer les espérances et l'orgueil de sa famille, aimait
la comtesse de Pons, veuve sans fortune, sans jeunesse et sans beauté. Trop
docile aux conseils de la duchesse de Longueville, Condé s'empara du jeune
duc, d'un caractère faible et facile à influencer. Il résolut de le marier à
Mme de Pons, à l'insu de la reine et contre les intentions de la duchesse
d'Aiguillon, sa tante et sa tutrice, qui voulait lui faire épouser Mlle de
Chevreuse. Le prince espérait par-là mettre le Hâvre-de-Grâce, dont Richelieu
était gouverneur, à la disposition de son beau-frère, le duc de Longueville,
et le rendre ainsi maître absolu de la Normandie. Il conduisit un jour le duc
de Richelieu à Trie, château de la duchesse sa sœur, amie intime de Mme de
Pons, l'assista comme témoin et fit procéder à la célébration du mariage. Les
deux époux partirent aussitôt pour le Hâvre, afin de prendre possession de la
place et de l'assujettir au parti de Condé. La
nouvelle de ces noces improvisées mit la duchesse d'Aiguillon au désespoir,
et irrita vivement Mme de Chevreuse. La reine partagea ce ressentiment ; car
les intérêts de l'État lui semblaient compromis, si le gouvernement du Hâvre,
dernière ressource de l'autorité royale en Normandie, était remis au jeune
duc, maintenant hors de tutelle. La duchesse d'Aiguillon, femme de mérite et
de courage, soutenant son malheur par la force de son âme, envoya des
courriers pour empêcher que son neveu fût reçu dans la place où, par ordre du
feu cardinal de Richelieu, elle commandait jusqu'à sa majorité. Anne
d'Autriche dépêcha également un exprès chargé de défendre à l'officier
représentant le gouverneur du Hâvre d'y souffrir aucun changement. Condé, sur
lequel les sentiments d'humanité exerçaient peu d'empire, donna l'ordre à ses
gens de jeter à la mer, avec une pierre au cou, les messagers de la reine.
Après quoi il revint à la cour et parut chez la régente, « avec le même
visage qu'à l'ordinaire, et l'entretint des aventures de la noce avec
beaucoup de gaieté et de hauteur. » Anne lui dit que Mme d'Aiguillon
prétendait faire rompre le mariage, à cause de la jeunesse de son neveu. Mais
« le prince lui répondit fièrement qu'une chose de cette nature, faite devant
des témoins tels que lui, ne se rompait jamais[7]. » Cette
dernière offense Initie comble à la mesure : la régente, profondément blessée
dans sa dignité et dans son amour-propre, et le ministre, sans cesse humilié
par d'orgueilleux caprices, résolurent de tout sacrifier pour se soustraire à
l'arrogante protection du prince. Anne d'Autriche chargea la duchesse de
Chevreuse de sonder les dispositions de Gondi, puis elle écrivit un billet
flatteur au prélat. Celui-ci- accepta les avances impatiemment attendues,
vint déguisé et de nuit au Palais-Royal, et, dans trois ou quatre conférences
avec la reine et Mazarin, tout ce qui pouvait assurer leur vengeance et celle
des frondeurs fut réglé et arrêté. La reine devait faire saisir et conduire
en prison les princes de Condé, de Conti et le duc de Longueville, et le parti
de la fronde lui promettait son assistance pour ce coup d'État. Le coadjuteur
refusa le chapeau de cardinal comme prix de cette alliance ; mais il demanda
et obtint la surintendance des mers pour le duc de Vendôme, et la survivance
pour son second fils, le duc de Beaufort. Le marquis de Noirmoutier serait
créé duc et recevrait le gouvernement de Charleville ; le duc de Brissac,
celui de l'Anjou ; et le chevalier de Sévigné, vingt-deux mille livres. Il ne
manquait plus que le consentement du duc d'Orléans. Quoique Gaston fût ennemi
de la violence, la régente l'obtint à force de prières et en réveillant sa
jalousie contre le vainqueur de Rocroy. Elle l'effraya sur les résultats que
pouvait avoir son association avec Un prince aussi emporté, qui ne se
montrait plus au parlement qu'entouré d'un nombreux cortège de gentilshommes
armés, et qui, pour se venger des frondeurs, serait capable de livrer un jour
ou l'autre Paris aux flammes et au carnage. Anne lui fit même promettre qu'il
garderait le secret avec l'abbé de la Rivière, son favori, dont
l'indiscrétion était à craindre par suite de sa liaison récente avec la
maison de Condé. Tandis
que la cour prenait toutes les dispositions pour assurer l'exécution de son
entreprise, l'interminable procès se poursuivait au parlement, et le prince,
enveloppé de ses replis, s'éloignait chaque jour du but où il croyait
arriver. Le ministre n'en était pas moins assidu auprès de Condé. Jamais il
ne lui avait témoigné plus de zèle pour ses intérêts ; il l'accablait de
caresses, semblait l'initier à toutes ses affaires, et le traitait avec un
perfide abandon. Cependant, malgré le mystère apporté aux visites nocturnes
de Gondi au Palais-Royal, le prince reçut quelques avis qui ébranlèrent sa
confiance. Il en parla au cardinal comme d'une chose peu sérieuse. « Sans
doute, lui dit l'Italien sans se déconcerter, ce serait une chose fort
plaisante de voir le coadjuteur avec de grands canons, un bouquet de plumes,
un manteau rouge et l'épée au côté. Je promets à Votre Altesse de la réjouir
de cette vue, s'il prend envie à ce prélat de me visiter dans cet équipage[8]. » Condé fut trompé par le ton
libre et dégagé avec lequel Mazarin prononça ces paroles. La
veille même du jour fixé pour l'arrestation du prince, le cardinal, afin de
ne point éveiller ses soupçons, lui annonça qu'il espérait faire saisir dans
la journée un certain Descoutures, syndic des rentiers, un des principaux
coupables de la dernière sédition ; dont on avait enfin découvert la retraite
hors de Paris. Cet homme devait être, suivant Mazarin, un témoin de la plus
grande importance dans son affaire contre les frondeurs ; mais de peur qu'on
n'essayât de le délivrer, il fallait envoyer des troupes à sa rencontre.
Condé y consentit, et lui - même donna l'ordre aux gendarmes et aux chevau-légers
du roi, de conduire au château de Vincennes le prisonnier qu'on leur
remettrait[9]. Le
lendemain matin, le prince vint visiter le cardinal, dont le secrétaire
Hugues de Lionne eut à peine le temps de cacher, sous le tapis de la table,
les ordres qu'il expédiait aux commandants des troupes. En quittant le
ministre, il lui promit d'assister au conseil avec son frère et son
beau-frère ; puis il alla dîner chez sa mère. Cette princesse était alors en
proie à une vive inquiétude, causée par des avis ou quelque pressentiment de
la disgrâce de son fils. Après le repas, elle l'avertit de prendre garde à
lui, et qu'assurément la cour ne lui était point favorable. Condé ne partagea
pas ses alarmes, et lui répondit que la reine l'avait encore assuré depuis
peu de son amitié. Qu'avait-il à craindre ? « le cardinal vivait fort bien
avec lui ; le mal venait sans doute de la Rivière, qui le trahissait et
faisait pencher son maître du côté des frondeurs. » Il dit ensuite au prince
de Conti, son frère, qu'il voulait ce jour même en sa présence gourmander
l'abbé comme il le méritait. Condé sortit, et la douairière le suivit peu
après avec l'intention de confier à la reine, son ancienne amie, les
inquiétudes qu'elle seule pouvait apaiser. Anne
d'Autriche, feignant de se trouver mal, s'était mise sur son lit et avait
ordonné de la laisser seule. Elle voulait cacher le trouble de son âme, qui
devenait plus grand à mesure que l'heure du conseil approchait. Ire la
princesse avait le privilége de la voir, quand même elle ne recevait
personne. Son arrivée augmenta beaucoup l'émotion de la reine, qui la
dissimula cependant avec la plus rare habileté. Son accueil libre et amical
suffit pour dissiper tous les soupçons de la malheureuse mère. Condé
retourna au Palais-Royal ; Conti et son beau-frère s'y rendirent aussi
séparément. Il entra dans l'appartement où la reine s'entretenait
familièrement avec la princesse, et, pour ne pas les interrompre, il se
retira presque aussitôt. « Ce fut la dernière fois qu'il vit sa mère, et le
dernier moment qui les sépara pour jamais, » car son emprisonnement
devait lui causer la mort. Le prince, ayant rencontré le cardinal,
s'entretint quelque temps avec lui et se plaignit de l'abbé de la Rivière,
qu'il soupçonnait de favoriser auprès de son maître le parti des frondeurs.
Sur l'avis que le prince de Conti et le duc de Longueville les attendaient
pour le conseil, Mazarin fit dire à la reine qu'on était prêt. Anne congédia
aussitôt Mme la princesse, manda aux nobles personnages de l'attendre dans la
galerie, et Mazarin se retira. Bientôt
après, au lieu de la reine qu'ils attendaient, les princes virent entrer
Guitaut, suivi de Comminges, son neveu, et de quelques autres officiers des
gardes. Condé les accueillit familièrement, s'avança vers Guitaut qu'il
aimait, et liii demanda ce qu'il désirait. Le capitaine lui déclara tout bas
que son ordre était de l'arrêter, ainsi que le prince de Conti et le duc de
Longueville. Condé lui répondit brusquement : « Moi ! M. de Guitaut, vous
m'arrêtez ! Puis ayant un peu rêvé : Au nom de Dieu, ajouta-t-il, retournez
à la reine, et dites-lui que je la supplie que je lui puisse parler. » Guitaut
le quitta pour aller parler à la reine, selon son désir. Alors le prince
revint avec le visage un peu plus calme vers ses frères et les ministres
d'État réunis pour le conseil, et leur dit : « Messieurs, la reine me fait
arrêter, el vous aussi, mon frère, et vous aussi, M. de Longueville. J'avoue
que cela "m'étonne, moi qui ai toujours si bien servi le roi, et qui
croyais être si assuré de l'amitié de M. le cardinal. » Il envoya ensuite
le chancelier prier Anne de lui accorder un moment d'entretien, et lé
secrétaire d'État Servien chez le ministre, pour même fin ; mais ils ne
rentrèrent pas. Le
capitaine des gardes revint seul, et signifia au prince, de la part de la
reine, qu'elle ne le pouvait voir et qu'il avait ordre d'exécuter ses
Volontés. « Eh bien ? reprit tranquillement Condé, je le veux,
obéissons ; mais où nous allez-vous mener ? Je vous prie que ce soit dans un
lieu chaud. » Sur la réponse de Guitaut ; qu'il devait les conduire
à Vincennes : « Eh bien ! allons, » dit le prince. Alors il se tourna,
sans nulle marque de chagrin, vers ceux qui restaient dans la salle, les
salua tous, leur dit adieu, les pria de se souvenir de lui, et embrassa le
comte de Brienne, auquel il adressa ces paroles : « Pour vous, vous étés
mon parent. » A peine avait-il achevé, que Guitaut fit passer devant lui
Comminges et douze gardes pour ouvrir la porte d'un petit escalier dérobé qui
descendait au jardin du palais Cardinal. A cette vue, Condé parut témoigner
la crainte d'un assassinat, et, avant d'entrer dans l'escalier, il dit à
Comminges, qu'il avait traité généreusement en toute occasion : « Comminges,
vous étés homme d'honneur et gentilhomme. N'ai-je, rien à craindre ? »
Celui-ci l'ayant assuré qu'il n'y avait aucun dessein formé contre sa vie, le
prince le suivit sans montrer d'inquiétude, et sans dire même aucune parole
contre ses ennemis. Arrivés
dans le jardin, les prisonniers s'avancèrent au travers de ses allées jusqu'à
une porte de derrière, où les attendait un carrosse à six chevaux gardé par
les gens d'armes du roi. « Mes amis, leur cria le prince en regardant
plusieurs de ces vieux soldats, mes amis, ce n'est point ici la bataille de
Lens. » Tous restèrent silencieux. Là, Guitaut laissa leur conduite à
Comminges, qui les fit entrer dans le carrosse et les accompagna avec trais
exempts et quelques gardes de la reine. Le prince de Conti et le duc de
Longueville semblaient accablés de tristesse. Afin de ne pas traverser Paris avec cette riche proie, on les fit sortir par la porte de Richelieu, non loin de laquelle ils rencontrèrent la compagnie des gendarmes du roi, commandés par le sieur de Miossens, homme brave et de grand cœur, qui devait leur servir d'escorte. Comme les chemins étaient détournés, difficiles et rompus par le dégel, le carrosse versa. Le prince, dont la belle taille, l'agilité et l'adresse étaient incomparables, se trouva aussitôt debout « et au milieu de la campagne, plus vite qu'un oiseau qui serait échappé de sa cage. » Déjà il s'éloignait de ses gardes, lorsque Miossens mit pied à 'terre et l'arrêta sur le bord d'un fossé, où il voulait se jeter. « Ne craignez point, Miossens, lui dit Condé, je ne prétends pas me sauver ; mais véritablement, si vous vouliez, voyez ce que vous pouvez faire. » Celui-ci le supplia de ne point tenter sa fidélité et de lui permettre d'obéir au roi et à la reine. Le carrosse fut relevé ; l'escorte et les prisonniers continuèrent leur route, et arrivèrent à dix heures du soir au château de. Vincennes (18 janvier 1650). En y entrant, Condé parut un peu touché, et chargea Miossens, dont il prit alors congé, « d'assurer la reine qu'il était son très-humble serviteur[10]. » |
[1]
Mémoires de Mme de Motteville. — Mémoires de Retz.
[2]
Mémoires de Mme de Motteville. — Mémoires de Montglat.
[3]
Mémoires de Mme de Motteville.
[4]
Mémoires de Mme de Motteville.
[5]
Mémoires de Retz. — Joly, t. Ier.
[6]
Mémoires de Retz.
[7]
Mémoires de Mme de Motteville.
[8]
Nemours, p. 61.
[9]
Mémoires de Retz.
[10]
Mémoires de Mme de Motteville.