Embarras du parlement.
- Le coadjuteur se fait retenir à Paris. - Ses inquiétudes. - Le roi
transfère le parlement à Montargis. - Arrêt contre le cardinal Mazarin. -Préparatifs
de défense dans Paris. Parti nobiliaire. - Arrivée du prince de Conti à
Paris. - Il est nommé généralissime. - Le duc de Beaufort et beaucoup
d'autres seigneurs offrent leurs services au parlement. - Acte d'union des
princes avec les bourgeois. - État de la cour. - Commencement des hostilités.
- Prise de la Bastille. - Grande autorité du parlement. - Activité de Condé.
- Appel du parlement de Paris aux autres parlements et villes du royaume. -
Déclaration royale contre le gouvernement et contre les princes ses
adhérents. - Pamphlets. - Chansons - Gravures. - Déroute de Longjumeau. -
Prise de Charenton par les troupes royales. - Disposition à la paix. - Héraut
envoyé par la cour. - Députation du parlement à Saint-Germain. - Envoyé de
l'archiduc admis au parlement. - Mort de Charles Ier. - Nouvelle députation
du parlement. - Conférences de Ruel. - Trahison de Turenne. - L'archiduc
entre en France. - Paix de Ruel. - Émeute dans Paris. - Accommodement de
Saint-Germain. - Publication de la paix.
A la
nouvelle de l'évasion de 'la cour, le peuple de Paris, quoique fortement ému,
ne témoigna ni crainte ni découragement. Sans attendre l'ordre des colonels
de quartiers, les bourgeois prirent les armes, coururent aux portes pour les
fermer et y placer des corps-de-garde ; et dès la pointe du jour on exigea un
passeport de ceux qui voulurent sortir de la ville. Le parlement, malgré la
solennité de la fête, s'assembla en tumulte, et il n'y eut que trouble et
confusion dans ses premières délibérations. On ne sait ce qu'eussent fait les
magistrats, « si l'en n'eût trouvé le moyen de les animer par leur propre
peur. » Gondi les avertit donc qu'il y avait à l'hôtel de ville une lettre du
roi adressée au prévôt des marchands et aux échevins ; ils se la firent apporter
sur l'heure même au palais. Elle annonçait que le roi s'était vu obligé de
quitter sa bonne ville de Paris, afin de ne pas demeurer exposé aux
pernicieux desseins de quelques officiers de son parlement, qui avaient
intelligence avec les ennemis déclarés de l'État et complotaient de se saisir
de sa personne. Elle les chargeait ensuite de veiller à la sûreté et à la
tranquillité de la ville. A cette pièce officielle étaient jointes trois
lettres particulières de la régente, du duc d'Orléans et du prince de Condé,
pour se déclarer les auteurs du conseil et montrer l'union intime des membres
les plus rapprochés de la famille royale. Le
parlement sut profiter des imputations par trop faciles à réfuter que
contenaient ces lettres, pour reprendre le calme et la dignité si nécessaires
dans la situation présente. Renvoyant donc au lendemain la délibération sur
la lettre du roi, il s'occupa de maintenir la tranquillité, ordonna diverses
mesures touchant l'approvisionnement de la capitale, et enjoignit au prévôt
des marchands et autres officiers de faire retirer les gens de guerre hors
des villes et villages à vingt lieues autour de Paris. Le
coadjuteur trouva trop d'irrésolution dans -la conduite des magistrats ; la
compagnie lui parut agir sous l'impression d'une terreur « qui n'était pas
encore bien dissipée. » Comme il voulait que le premier acte de désobéissance
vint de ce corps, afin de justifier celle des particuliers, il fit mine de
vouloir obéir aux ordres de la reine ; car il en avait « reçu une lettre,
écrite de sa main, par laquelle elle lui commandait, en des termes fort
honnêtes, de se rendre dans le jour à Saint-Germain. » Il savait fort bien
qu'il n'était permis à personne de sortir, et cependant il ne cacha point les
préparatifs de son départ. Après avoir reçu les adieux de tout le monde, et
rejeté avec une admirable fermeté toutes les instances qu'on lui fit pour
l'obliger à demeurer, il sortit de l'archevêché. Mais au coin de la rue
Neuve-Notre-Dame des gens qu'il avait apostés arrêtèrent les chevaux,
accablèrent de coups le postillon et le cocher, et renversèrent son carrosse.
La populace accourut, l'entoura et le força de rentrer dans son palais. Ses
cris, ses prières et ses larmes ne purent fléchir les harengères venues en
corps pour lui annoncer « qu'elles ne souffriraient point qu'il partit,
disant qu'elles avaient besoin de sa bénédiction. » Enfin il parut céder à la
force, et écrivit une lettre d'excuse en témoignant sa douleur « d'avoir si
mal réussi dans sa tentative. » Ses feintes protestations ne trompèrent point
la cour[1]. Quoiqu'il
blâmât les craintes. du parlement, Gondi n'était pas exempt d'inquiétude. En
effet, l'absence du prince de Conti l'empêchait de proclamer la révolte. Puis
il apprit le même jour que le duc de Longueville venait d'arriver de Rouen, «
où il avait fait un voyage de dix ou douze jours, » mais qu'il s'était rendu
à Saint-Germain. La duchesse elle-même ne douta point que Condé ne l'eût
gagné et que son plus jeune frère « ne fût infailliblement arrêté. » Le
maréchal de la Mothe déclarait « qu'il ferait sans exception tout ce que M.
de Longueville Voudrait, et contre et pour la cour. » Bouillon, resté avec
lui, s'attachait plus à le contrarier qu'à l'aider ; et le prince de
Marsillac, parti deux heures après le roi dans l'intention de ramener le
prince de Conti, n'était pas encore de retour. Le
lendemain, nouvel embarras. Un lieutenant des gardes-du-corps, la Sourdière,
apporta au parlement un message de la régente qui enjoignait à la compagnie
de quitter aussitôt Paris et de se transporter à Montargis. Les magistrats
répondirent par un ordre aux gens du roi d'aller trouver la reine, afin de
lui remontrer la sincérité des actions du parlement, et de la supplier
très-humblement de nommer ceux de ses membres qu'on lui avait dénoncés et
leurs accusateurs, pour qu'il fût procédé contré les uns ou les autres selon
la rigueur des ordonnances. Dès ce jour Broussel, Charton, Viole, Loisel et
quelques autres, ouvrirent l'avis de demander l'expulsion du cardinal Mazarin
; mais il ne fut pas accueilli, parce qu'on voulait attendre l'effet des
remontrances. Après avoir pris la décision de rester en permanence, la compagnie
convoqua pour le jour suivant une assemblée générale des corps et communautés
de la capitale à l'hôtel de ville. Si la régente
fût entrée en pourparlers avec les gens du roi, « alors remplis d'étonnement
et vides d'espérance, » elle eût obtenu d'importantes concessions du
parlement ; mais Anne et Mazarin croyaient avoir la force nécessaire pour
imposer la soumission aux révoltés. Le ministre avait annoncé à toutes les
cours souveraines ainsi qu'aux ambassadeurs la translation du gouvernement à
Saint-Germain. On était dans ces premiers moments de fermeté et
d'effervescence qui rendent les transactions si difficiles. L'épée tirée du
fourreau ne laissait plus le champ libre aux négociations. Le procureur
général et les avocats généraux, traités comme les envoyés d’une compagnie
rebelle, sollicitèrent vainement une audience de la reine. Admis avec peine
dans une maison du bourg, ils furent introduits auprès du chancelier, qui
refusa de les écouter et leur déclara que si le parlement refusait d'obéir,
Paris serait assiégé ; que déjà le duc d'Orléans occupait le pont de Saint7
Cloud avec oies troupes, que le prince de Condé s'était posté à Charenton,
qu'une garnison défendait Saint-Denis, et que sous vingt-quatre heures il y
aurait autour de Paris vingt - cinq mille soldats pour appuyer les
commandements du roi. A la
nouvelle de ce refus et de ces menaces, l'indignation des magistrats éclata
avec un ensemble dont on n'avait pas encore vu d'exemple. Ils se
rassemblèrent sur l'heure au palais, et toutes les voix, hors celle du
conseiller Bernay, reconnaissant des bienfaits qu'il avait reçus dû ministre,
déclarèrent le cardinal Mazarin auteur notoire de tous les désordres de
l'État et du mal présent, perturbateur du repos public, ennemi du roi et de
son État. En conséquence, le parlement lui enjoignit de quitter la cour sous
vingt- quatre heures et le royaume sous huitaine, et ledit temps passé,
enjoignit à tous les sujets du roi de lui courir sus, avec défense à toutes
personnes de le recevoir. Cet arrêt inouï, du 8 janvier 1649, fut signé sans
aucune protestation du premier président, « lu et publié à son de trompe le
même jour aux portes de la ville, dans les faubourgs et les places publiques.
» Il ordonnait en outre qu'il serait fait dans Paris levée de gens de guerre
en nombre suffisant ; et que commissions seraient délivrées, à cette fin,
pour la sûreté de la ville, tant au dedans qu'au dehors. Ainsi tout espoir de
conciliation se trouvait anéanti ; le coadjuteur triomphait de voir
l'incendie se répandre ; l'étendard de la révolte était arboré. Alors
commençait la ridicule guerre de la fronde, misérable parodie de la ligue,
dernière convulsion de la féodalité expirante. Quelques
heures après, l'assemblée générale des divers corps -de la capitale, réunie à
l'hôtel de ville, autorisa le prévôt des marchands et le premier échevin, Fournier,
à donner des commissions « pour lever quatre mille chevaux et dix mille hommes
de pied. » Le corps de ville donna aussi des ordres pour la réparation
immédiate de toutes les brèches des murailles, et enjoignit à tout marchand
de grains et autres bourgeois qui avaient des greniers, « soit sur la rivière
ou dans les villages aux environs de Paris, de les faire incessamment amener
et arriver pour la provision des halles. » Il protesta en même temps de son
attachement à la cause du parlement, malgré une nouvelle lettre du roi qui
lui ordonnait de ne plus reconnaître son autorité et de le contraindre à se
transporter à Montargis. Loin de pouvoir donner cette satisfaction à la cour,
Le Féron, prévôt des marchands, courut le danger d'être massacré par le
peuple, sur le soupçon de n'être pas sincèrement dévoué aux intérêts des
magistrats. La chambre des comptes et la cour des aides, qui avaient aussi
reçu l'ordre de quitter la capitale, s'unirent à eux dans le soin de la
défense commune. Elles bornèrent leur obéissance à des remontrances pleines
de force en faveur du parlement. Le grand conseil voulut se rendre à Nantes,
où il était transféré ; mais il lui fut impossible d'obtenir le passeport
nécessaire. Pour
subvenir à la solde des futurs défenseurs de Paris, à tous les frais de la
guerre, les magistrats votèrent des subsides, et, donnant généreusement
l'exemple, ils s'imposèrent à un million. Sur cette somme vingt conseillers,
institués par Richelieu au mépris des réclamations de la compagnie,
fournirent chacun quinze mille livres, et s'estimèrent heureux d'effacer à ce
prix le vice de leur nomination et les rancunes de leurs collègues. Ils
n'eurent d'autre honneur que d'être appelés les Quinze-Vingts. Les autres
compagnies et communautés se taxèrent à proportion, et procurèrent
d'abondantes ressources. D'après un autre arrêté, chaque porte cochère dut
fournir un cavalier, monté et équipé, ou cent cinquante livres, et chaque
petite porte, un fantassin ou trente livres. C'est ce qu'on appela la
cavalerie des portes cochères : car dans cette révolte dégénérée, dans
cette guerre aussi ridicule, que celle des Barberins, tout se tournait en
raillerie, et les intérêts les plus graves étaient traités avec, une moqueuse
insouciance. On taxa rudement à part tous les financiers. Les bourgeois
rivalisèrent de zèle, et payèrent avec joie une imposition plus forte que
celle exigée en 1636, à l'époque de la prise de Corbie par les Espagnols. Le
parlement s'était jadis élevé avec fureur contre une augmentation de deux
cent mille livres sur les impôts, augmentation que commandaient impérieusement
les besoins d'une guerre utile et glorieuse, et alors il levait plus de dix
millions de notre monnaie actuelle, pour s'armer contre l'autorité royale
dont il procédait, et faire une guerre encore plus comique dans son principe
que dans ses événements. Les
préparatifs du parlement et des habitants de Paris n'inspirèrent aucune
crainte à la régente. « Ah ! » s'écria-t-elle en présence du premier échevin,
qu'elle exhortait à se débarrasser de tous les brouillons de la compagnie,
seule cause de la sédition, « ah ! s'ils veulent nous traiter comme le roi et
la reine d'Angleterre, ils trouveront à qui parler ! nous ne sommes pas
encore prêts à nous rendre[2]. » Elle espérait que la famine
ferait bientôt crier merci à cette bourgeoisie tout à la fois bavarde,
bruyante et poltronne. Elle avait beau former ses compagnies armées au son du
tambour ; elle n'oserait sortir de ses murailles pour combattre dans la
plaine ; elle ne pourrait soutenir les regards des soldats aguerris du
vainqueur de Rocroi et de Lens, du Mars français. Mais Anne d'Autriche
oubliait que la noblesse, irritée depuis longtemps contre Mazarin, ne
laisserait point échapper l'occasion de se venger ; que dans l'espoir
d'obtenir des charges et des pensions, elle voudrait prendre part à ce grand
mouvement, afin de le diriger dans son intérêt. Une guerre civile était une
borine fortune pour cette partie de la nation, dont l'unique passe-temps
était la profession des armes. Elle avait tout à gagner et rien à perdre, car
elle ne redoutait plus les foudres-du puissant Richelieu ; et son successeur,
homme « doux et bénin, » habile dans l'art de tromper, uniquement occupé de
sa fortune, était incapable d'élever un échafaud. Après
l'arrêt porté contre le cardinal, tout prit l'aspect d'une révolte sérieuse,
et les seigneurs mécontents arrivèrent en foule pour solliciter le
commandement des troupes et donner l'impulsion belliqueuse. Le 9 janvier, le
duc d'Elbeuf accourut de Saint-Germain avec ses enfants et offrit ses
services aux magistrats. C'était un prince de la maison de Lorraine, brave et
affable, mais ruiné, rapace, « très-suspect sur le chapitre de la
probité, » et qui avait servi dix ans sous les drapeaux de l'Espagne. « Il
n'a pas trouvé à dîner à Saint-Germain, » disait au coadjuteur le duc de
Brissac, parti du même lieu avec même intention, « et il vient voir s'il
trouvera à souper à Paris. » Il désignait assez le désir qui l'amenait, le
désir de travailler à sa fortune. Sa présence troubla le coadjuteur ; car il
craignait tout de la part d'un homme avec lequel il avait eu des querelles
mal assoupies. D'ailleurs il attendait le duc de Longueville et le prince de Conti,
que sa naissance semblait destiner au commandement des forces du parti. Comme
il ne connaissait pas encore les auxiliaires préparés par Gondi, le parlement
se hâta d'accueillir le duc d'Elbeuf et d'accepter ses offres avec
reconnaissance. Dès le
lendemain au point du jour, parut à la porte Saint-Honoré le prince de Conti,
échappé à la vigilance de Condé, son frère. Les ducs de Longueville et de
Bouillon, le prince de Marsillac, le maréchal de la Mothe et un grand nombre
d'autres personnages de qualité accompagnaient le noble fugitif. La milice bourgeoise,
redoutant quelque trahison, refusa d'ouvrir à cette troupe. Le chevalier de
la Chaise, dévoué aux intérêts du duc de Longueville, alla prévenir le
coadjuteur. Celui-ci courut au-devant d'eux avec « le bonhomme Broussel, et
une escorte assez nombreuse et quelques flambeaux. » Il leur fit ouvrir les
portes après avoir harangué le peuple, et les conduisit jusqu'à leur logis au
milieu de la foule rassurée, dont l'empressement et les cris de joie
donnèrent à l'entrée du prince un air de triomphe. Mais dès le matin de ce
même jour, la gloire du triomphateur reçut un échec. D'Elbeuf, ayant pris
séance au parlement, obtint le titre de général, alla ensuite prêter serment
à l'hôtel de ville et prétendit conserver le commandement, au grand dépit de
l'archevêque et du prince de Conti, qui se présenta bientôt aux chambres
assemblées. Le jour
suivant, une contestation sérieuse s'éleva entre les deux rivaux. Mais
lorsqu'ils paraissaient le plus animés, lorsque le premier président et
quelques autres magistrats espéraient que leur désunion éloignerait la guerre
civile, le duc de Longueville, puis le duc de Bouillon, puis le maréchal de
la Mothe entrèrent successivement dans la grand'chambre et offrirent leurs
épées au parlement et au public. M. de Longueville, après avoir mis son
gouvernement de Normandie au service de la compagnie, demanda de trouver bon
que, pour sûreté de son engagement, on voulût bien recevoir et garder comme
otages à l'hôtel de ville sa femme et ses enfants. A cette proposition
l'enthousiasme s'exalta jusqu'à l'ivresse, et toute défiance disparut.
D'Elbeuf comprit alors que le vent de la popularité ne lui était plus
favorable et accepta un arrangement. Conti fut proclamé généralissime des
armées du roi, sous les ordres du parlement, à condition qu'il ne sortirait
pas de Paris. Les ducs d'Elbeuf, de Bouillon et le maréchal de la Mothe
furent ses lieutenants généraux, pour commander chacun son jour, en
commençant par le duc d'Elbeuf, auquel était aussi réservée la première place
au conseil de guerre. Le duc de Longueville se contenta d'assister son
beau-frère de ses conseils. Tandis que cette scène, habilement préparée par
le coadjuteur, se jouait au parlement, le prélat accompagnait les duchesses
de Longueville et de Bouillon à l'hôtel de ville, où elles devaient rester
comme gages de la fidélité, l'une de son frère, l'autre de son mari. « Elles
tenaient chacune un de leurs enfants entre leurs bras, qui étaient beaux
comme les mères. La Grève était pleine de peuple jusque au-dessus des toits ;
tous les hommes jetaient des cris de joie ; toutes les femmes pleuraient de
tendresse. » Le
parti des frondeurs reçut deux jours après un nouveau capitaine, le duc de
Beaufort, qui, depuis son évasion de Vincennes, se tenait caché au fond du
Vendomois. Ce petit-fils de Henri IV, « brave de sa personne, et plus qu'il
n'appartenait à un fanfaron, devint l'idole du peuple par son langage et ses
longs cheveux blonds, et l'instrument toujours employé pour le soulever ;
aussi fut-il appelé le roi des halles. Comme, tous les premiers rôles
étaient distribués, le Coadjuteur attacha le nouveau personnage à son service
particulier. Une foule de seigneurs et de gentilshommes arrivèrent
successivement, et la liste des défenseurs de Paris présenta une foule de
noms illustres. Outre ceux que nous connaissons déjà, on y comptait les ducs
de Chevreuse, de Brissac, de Luynes, les marquis de Noirmoutier, de Vitry, de
la Boulaye, de Laigues, de Sévigné, d'Alluye, de Fosseuse ; les comtes de
Maure, de Matha, de Fiesque, de Montrésor, de Rieux, de Lillebonne. On les
chargea des levées, des fortifications, de l'exercice des soldats, et on leur
assigna différents départements dans les conseils créés afin de tout
organiser. Pour
offrir au peuple les garanties nécessaires et imprimer plus d'énergie et d'ensemble
au mouvement de la capitale, les princes signèrent de leur sceau un acte de
fidèle union avec la bourgeoisie. « N'ayant d'autre intention, y
disaient-ils, que de conserver l'autorité royale dans le lustre et l'éclat
que tous les fidèles sujets lui doivent maintenir... nous avons promis et
juré sur les saints Évangiles que, pour soutenir les lois du royaume et les
cours souveraines, les unes et les autres si indignement opprimées par le
cardinal Mazarin, nous emploierons librement nos biens et nos vies. » Ils
promettaient encore de rester unis jusqu'à ce que le ministre se fût retiré
du royaume pour n'y plus rentrer, ou qu'il eût reçu le châtiment que
méritaient ses crimes. Le concours de ces fiers et nobles auxiliaires,
accueilli avec acclamation rehaussait le cœur aux magistrats, fort pauvres en
fait de courage ; « mais il changeait complétement, dit Bazin, le caractère
de la querelle engagée entre l'autorité royale et les compagnies, pour
l'élever ou la réduire à l'imitation de ce qui s'était vu sous la régence de
Marie de Médicis et durant le gouvernement de Luynes. Cette cohue brillante,
où chacun avait des intérêts différents l'un de l'autre, et tous différents
de ceux qui rattachaient le peuple de Paris au parlement... tout ce pêle-mêle
de rancunes, et de vanités, qui pourtant ne cessaient pas d'avoir le regard
fixé sur la cour et ne voulaient pas en être oubliées : tout cela,
disons-nous, effaçait singulièrement les magistrats et leurs arrêts, les
assemblées de chambres, les remontrances et les projets de déclarations. » Ainsi
Paris, malgré toutes les espérances d'Anne d'Autriche, ne témoignait aucune
crainte et se préparait à une opiniâtre résistance. On n'y entendait ni
plaintes ni murmures, parce qu'il y avait abondance de toute espèce de
denrées. Le pain de Gonesse manquait, il est vrai, « ce qui
incommodait grandement les esprits délicats ; » mais on avait de la farine,
du bétail et principalement de l'argent, qui attire tout à lui, en dépit des
obstacles. L'argent facilitait les levées, et permettait de fixer à quarante
sous par jour la solde des cavaliers, et celle des fantassins à dix sous. A
Saint-Germain, les choses étaient bien différentes. La cour se trouvait
exposée, au milieu de l'hiver, à toutes les injures de l'air, privée des
choses les plus nécessaires et réduite à éprouver les besoins les plus
pressants. Déjà ceux que ne soutenaient point, comme la régente et son
ministre, l'espoir de la vengeance et le désir de rendre à l'autorité royale
toute sa force et tout son éclat, souhaitaient la paix avant le commencement
des hostilités. Le départ du prince de Conti et du duc -de Longueville avait
d'abord, causé une assez vive émotion à la cour, dans la crainte que Condé,
alors à Charenton, n'eût embrassé, à leur exemple, le parti des frondeurs.
Mais son prompt retour et sa colère contre sa famille et les amis qui
l'avaient abandonné avaient banni tout injuste soupçon, et bientôt à
l'inquiétude avait succédé une gaieté insouciante. On n'oublia pas les
épigrammes sur les soldats novices de Paris et sur leur général, petit ei
contrefait, que le coadjuteur lui-même appelait un zéro gui ne multipliait
que parce qu'il était prince du sang. Lorsque
le parlement eut trouvé assez de soldats pour tous les seigneurs de son parti
et formé un régiment de cavaliers, dont le commandement fut confié au marquis
de la Boulaye, les troupes sortirent de la ville afin d'escorter les convois.
Sur leurs enseignes, parsemées d'étoiles d'or en champ d'azur, on lisait
cette devise : Qucerimus regem nostrum — nous cherchons notre roi.
La nouvelle milice attaqua la Bastille, dont la reine avait oublié de
s'assurer pour tenir la ville en échec. Laissée sans pain, sans munitions, et
défendue seulement par vingt-deux soldats, sous les ordres du sieur du
Tremblay, frère du célèbre Père Joseph, la terrible prison d'État essuya
quelques volées de canons enlevés à l'arsenal par les frondeurs, et se rendit
au duc d'Elbeuf, après deux jours de siège (13 janvier). Sa soumission abrégea les
plaisirs des dames de Paris, qui, pendant le siège, eurent le courage de se
promener dans le jardin de l'arsenal. Il leur fallut renoncer à l'agréable
spectacle d'un assaut dont quelques-uns des officiers les avaient sans doute
flattées. Afin de se conformer aux désirs du parlement, les généraux
nommèrent le vieux défenseur de la liberté, Pierre de Broussel, gouverneur de
la place. Il put se faire suppléer par le sieur de la Louvière, son fils. Pendant
que les bourgeois terminaient cette périlleuse entreprise, cinq cents
cavaliers de leur parti, obéissant au marquis de Noirmoutier, créé la veille lieutenant
général, repoussèrent « les escarmoucheurs des troupes du Mazarin, qui
venaient faire le coup de pistolet dans les faubourgs. » A la tête des milices
parisiennes marchaient des soldats mieux disciplint4 mais en petit nombre,
que les généraux avaient fait venir des garnisons placées sous leur dépendance
les jeunes officiers recevaient les insignes de leurs dignités à l'hôtel de
ville des mains des duchesses de Longueville et de Bouillon, et c'était aux
pieds de ces héroïnes de la fronde qu'ils venaient déposer leurs lauriers. «
Le mélange d'écharpes bleues, de dames, de cuirasses, de violons dans la
salle, et le son des trompettes dans la place donnaient un spectacle qui se
voyait plus souvent dans les romans qu'ailleurs[3]. » Le même
jour le parlement, ne voulant point laisser aux assiégés toute la dépense de
la guerre, ordonna la saisie de tous les biens meubles et immeubles du
cardinal Mazarin, ainsi que des revenus de ses bénéfices. Jamais son autorité
n'avait été si puissante ; il régnait en maitre sur le peuple et la cité de
Paris. Il prononçait sur le fait de la guerre et des approvisionnements,
pourvoyait, par ses commissaires, à la levée des contributions, à la
distribution des taxes sur les particuliers, enfin administrait et
surveillait l'ensemble des affaires par une assemblée quotidienne de police
où quelques-uns de ses membres s'étaient adjoint les délégués des autres
compagnies. L'expérience
et la valeur des officiers entrés dans la ville à la suite des illustres
personnages qui accouraient sous les bannières de la fronde, rendaient l’entreprise
du blocus plus difficile que Condé ne cru. Avec les dix à douze mille soldats
de l'armée royale iniv4s de Flandre, il enleva successivement Saint-Henri,
Saint-Cloud, Poissy, Bourg-la-Reine, Corbeil, Pontoise-et Lagny. Jour et nuit
il parcourait ses postes, ne donnait aucun repos à ses troupes, n'en prenait
aucun lui-même et déployait une admirable activité. Mais ses troupes, quoique
bien distribuées, n'étaient pas assez nombreuses pour arrêter les paysans du
voisinage qui apportaient chaque nuit des paniers de vivres aux portes de
Paris ; il avait aussi à se garantir non-seulement des surprises, mais encore
des coups de vigueur, quelquefois hasardés par des troupes, l'objet de son
mépris. Les
magistrats ne voulurent pas que la question restât concentrée autour des murs
de la capitale. Ils invitèrent les autres parlements et les villes du royaume
à se rallier à leur cause. Le parlement d'Aix répondit à cet appel en haine
de Louis d'Angoulême, comte d'Alais, commandant de la province, que la
populace voulut chasser de la ville avec le duc de Richelieu, accouru à son
secours. La bourgeoisie ne parvint qu'avec peine à les arracher aux mains de
la multitude insurgée. Marseille et les autres villes de Provence suivirent
l'exemple d'Aix et prirent les armes. En Normandie, Rouen et son parlement
accueillirent le duc de Longueville, à qui la reine avait enlevé le
gouvernement de Normandie pour le donner au comte d'Harcourt. Celui-ci, venu
sans force et sans argent, fut obligé de céder la place à son heureux rival,
soutenu par une faction nombreuse et le fils du marquis de Beuvron, lieutenant-général
de ce gouvernement. Cette province fut bientôt en pleine révolte. Poitiers,
Tours et Amiens prirent le parti du parlement, « et te dut de la Trémouille
fit publiquement des levées pour lui. » A Reims, le marquis de la- Vieuville,
lieutenant du roi, fut exposé au plus grand danger de la part du peuple, et
ne dut son salut qu'aux premiers citoyens de la ville. « Le Mans chassa son évêque
et toute la maison de Lavardin, attachée à la tout. » Des émeutes éclatèrent
aussi à Caen, à Rennes, à Bordeaux, et les Parisiens purent croire un instant
que l'esprit provincial allait se réveiller et combattre pour leur cause. Depuis
le moment où les magistrats avaient refusé d'obéir à l'autorité royale et de
se transporter à Montargis, la cour avait cessé avec eux toute relation
officielle. Ils avaient cependant publié le 21 janvier, sous forme de
remontrances au roi et à la reine régente, une espèce de manifeste où se
trouvaient longuement développés les motifs qui les avaient portés à déclarer
le cardinal Mazarin ennemi du roi et de l'État. En réponse à cette attaque
violente, la cour lança une déclaration contre le parlement, annulant tous
les arrêts et arrêtés des magistrats, « comme donnés par attentat et
entreprise ouverte contre l'autorité royale ; » faisant défense « à tous
officiers et sujets d'y obéir ni d'exécuter les ordres qu'ils leur donnaient,
de s'armer ni souffrir aucune levée de deniers sur eux, et de les reconnaître
pour juges, à peine de désobéissante. » Un autre acte, portant aussi le nom
du roi et publié le même jour, rappelait tous les torts du parlement envers
la royauté, proscrivait tous princes et seigneurs qui s'étaient laissé
entraîner dans sa révolte. En conséquence, le prince de Conti, les ducs de
Longueville, d'Elbeuf, de Bouillon, de Beaufort, de Brissac, le maréchal de
la Mothe, le prince de Marsillac, les marquis de Noirmoutier, de Vitry et
autres, leurs adhérents, étaient « déclarés atteints et convaincus du crime
de lèse-majesté pour cause de rébellion et de désobéissance notoire, et,
comme tels, privés de tous honneurs, charges, gouvernements, dignités et
bénéfices ; leurs biens acquis, confisqués et réunis à la couronne, si dans trois
jours ils ne se rendaient auprès de Sa Majesté pour le service de fidélité
qu'ils lui devaient » (23 janvier). La cour fit répandre dans Paris par ses partisans
cette déclaration, qui offrait aux seigneurs rebelles une voie de repentir.
Elle s'avisa, en même temps, de convoquer les États généraux à Orléans pour
le 15 mars. L'appel
de la royauté à l'autorité nationale des trois ordres du royaume ne fut pas
écouté, car le temps n'était plus où le peuple avait quelque foi dans ces
assemblées. Il ne fit pas autant de bruit que le moindre arrêt du parlement,
ou que tel de ces pamphlets enfantés par milliers en ces temps de troubles et
multipliés sous toutes les formes : odes, poésies, sermons. Il ne faut pas
chercher dans les écrits satiriques de cette époque cette mâle énergie qui
faisait le caractère des libelles publiés au milieu des passions brûlantes de
la ligue. La grande mystification de la fronde produisait quatre pièces
bouffonnes contre une sérieuse. Les pamphlétaires du parti, Scarron, Marigny,
Guy Patin, Chapelle, Mézerai et beaucoup d'autres, égayaient chaque jour les
-bourgeois de la capitale par ces mazarinades remplies de grossiers
sarcasmes, de cynisme, d'impiété, et parfois de verve, d'esprit et
d'ingénieuses railleries. C'étaient ; « la Gazette de la place Maubert, ou
Gazette des Halles, touchant les affaires du temps ; — la lettre joviale à M.
le marquis de la Boulaye ; au prince du sang (Condé) surnommé la Cuirasse ; — la
Mercuriale ou l'ajournement personnel envoyé Mazarin, par le cardinal de
Richelieu ; — le Mouchoir pour essuyer les yeux de M. le prince de Condé ; — l'Echo
de la France troublée par le déguisé Mazarin, représenté en la figure d'un
ours[4]. » Souvent
aussi la chanson hardie, pleine d'esprit et de malice, excitait le gros rire
du peuple. Il aimait à se rassembler le soir, aux coins des rues et des
carrefours ou sur les places publiques, afin d'entendre : « Les complaintes
sur l'arrêt de la cour du parlement contre Giulio Mazarini, sur l'air : Le
roi de Hongrie et l'empereur ; — la Menace du très-fidèle peuple de Paris
faite à Mazarin ; — le Libera de Jules Mazarini sur le chant des
enfarinés. » Mais ce
n'était pas tout : une foule d'estampes allégoriques et satiriques étaient
encore jetées parmi le peuple, dont il fallait par tous les moyens entretenir
le dévouement à la cause du parlement et de l'hôtel de ville. Une de ces
images enluminées avec le plus d'art possible, représentait un vaisseau aux
enseignes fleurdelisées, sur lequel on voyait le prince de Conti,
généralissime de l'armée du roi, saisissant le timon du vaisseau. A ses côtés
se tenaient les ducs d'Elbeuf et de Beaufort et le prince de Marsillac.
Devant eux étaient le duc de Bouillon, le maréchal de la Mothe-Houdan court
avec le marquis de Noirmoutier, lieutenant-général. Au milieu du vaisseau, le
parlement et Messieurs de la ville ; dans l'eau, près du navire, on
reconnaissait Mazarin « s'efforçant de renverser la barque française par des
vents contraires à sa prospérité. » Derrière le ministre nageaient les monopoleurs,
représentés sous des formes de démons et armés d'énormes soufflets qu'ils
faisaient jouer contre le vaisseau ; à gauche, et également plongé dans
l'eau, le maréchal d'Ancre, désigné par une ancre qu'il tenait à la main : «
Il est là, était-il dit dans la gravure, se noyant et tâchant de couler le
vaisseau à fond, faisant signe au Mazarin de lui prêter la main dans sa
première entreprise. » Enfin le jeune roi était représenté dans les airs et
conduit par le génie de la France, qui le faisait entrer dans le vaisseau de
l'État[5]. Pour
répondre aux libelles de ses ennemis, la cour lançait aussi dans Paris des
brochures, des sarcasmes, des bouffonneries et des publications, quelquefois
remplies d'une polémique sérieuse et habile. Les pamphlets mazarins, moins
nombreux que ceux des parlementaires, ne leur sont point inférieurs en esprit
et en raison. Il était facile de railler ces magistrats délégués visitant les
murailles en robe traînante, le bonnet à mortier sur la tête, comme les
sénateurs de l'antique Rome, et en présence desquels s'abaissait la bannière
de la ville ; ces conseils de guerre tenus dans les cabarets et les autres
maisons de cette espèce au milieu des plaisanteries et de la gaieté la plus
dissolue ; ces bourgeois de Paris, devenus-soldats, se rassemblant au son du
tambour, dont les évolutions et les manœuvres étaient le sujet des railleries
des gens du métier, sortant en campagne ornés de plumes et de rubans et
prenant la fuite devant deux cents hommes de l'armée royale. Ajoutez à cela
le bouleversement de tous les états, ces artisans aujourd'hui capitaines,
ayant changé le marteau pour le mousquet et l'épée. Une vieille image
représente le capitaine Picard, le fameux homme des halles : il est debout,
le poing sur la hanche, un long bâton à la main, un chapeau à larges bords
sur le coin de l'oreille ; de sa bouche sortent ces paroles : « Moi Picard,
dit le capitaine, je suis lieutenant, enseigne, caporal tout à la fois ; et
lorsqu'il faut entrer en garde, je fais moi seul tous les rangs. » Tous
ces hommes, sortis de leur état pour se jeter dans la carrière de la
politique et des armes, sont ingénieusement tournés en ridicule dans l'Alleluia
des métiers de Paris. D'autres écrits plus sérieux et surtout une espèce de
journal, portant le titre du Désintéressé, éclairaient le peuple sur les
desseins des parlementaires, qui voulaient dépouiller le roi de son autorité
pour s'en revêtir. On y justifiait le cardinal des imputations lancées contre
lui ; on y plaignait les pauvres bourgeois de Paris. Ils sacrifiaient leur
repos, hasardaient leur vie, épuisaient leurs bourses, se réduisaient à la
faim, prenaient les armes contre leur roi et ne travaillaient qu'à leur
ruine. Au lieu d'un souverain légitime qui ne songeait qu'à leur bonheur, ils
auront quatre cents tyranneaux qui les déchireront et les opprimeront de
mille taxes. Le parlement, voyant que le parti contraire avait ses défenseurs
et que certains libellistes n'épargnaient point l'autorité de la compagnie,
ne voulut point laisser à chacun le droit de publier sa pensée. Le 25 janvier,
il rendit un arrêt contre les libelles sans nom d'auteur ni d'imprimeur. Cette
polémique, souvent burlesque et parfois d'un caractère grave, n'empêchait pas
le sang de couler. Les forces royales, accrues de quelques milliers d'hommes,
étaient bien insuffisantes pour bloquer Paris ; mais il y avait de fréquentes
escarmouches dans lesquelles les troupes de la ville, presque toujours
battues, se laissaient poursuivre jusqu'au dernier bastion. Une expédition,
dirigée vers Corbeil par le duc de Beaufort, à la tête de cinq à six mille
hommes, n'alla guère qu'à moitié chemin. Le lendemain, cette armée « revint
sans coup férir, » et sa lâcheté fut cause que le roi des halles, malgré sa
valeur et le désir qu'il avait de se venger, n'osa jamais attaquer Corbeil,
où Condé avait jeté douze 'cents hommes. « Toute la bravoure des badauds »
ne s'occupa qu'à prendre quelques bœufs et quelques vaches qu'ils amenèrent
dans Paris pour réjouir le peuple. Cet insuccès fut compensé aux yeux des
bourgeois par la prise du poste de Charenton, qu'avait abandonné le prince.
Le duc d'Elbeuf, s'en étant rendu maître, y conduisit une nombreuse garnison
et de l'artillerie. Mais le chevalier de Sévigné, oncle du marquis, fut mis
en déroute le jour suivant (28 janvier) à Longjumeau, avec une partie du régiment levé par
l'archevêque de Corinthe in partibus, et au grand déplaisir du coadjuteur. On
appela cet échec la première aux Corinthiens. Impatienté
de cette petite guerre sans résultat, Condé résolut de tenter un exploit plus
brillant, de reprendre Charenton, qui commandait les rivières de Seine et de
Marne. Le matin du 8 février, les royalistes, sous les ordres du duc de
Châtillon, Gaspard de Coligny, se présentèrent devant la place, défendue par
le brave marquis de- Clanleu. Ils l'attaquèrent avec impétuosité, mais
l'assaut fut soutenu avec le plus grand courage. Le prince, accompagné du duc
d'Orléans, occupait les hauteurs de Saint-Mandé, afin de protéger les
assaillants contre la diversion qu'il craignait du côté de la capitale. En
effet toute la nuit le tambour se fit entendre dans la ville, et, au point du
jour, trente mille hommes des compagnies bourgeoises et des troupes réglées
sortirent de Paris par le faubourg Saint-Antoine, et les généraux publièrent
qu'ils allaient livrer bataille à l'ennemi. Cette armée se rangea en bataille
devant Picpus, faisant face aux soldats de Condé. Le coadjuteur, monté sur un
grand cheval, avec des pistolets à l'arçon de la selle, affectait beaucoup
d'assurance et opinait pour le combat. Les généraux frondeurs tinrent conseil
de guerre à Picpus, d'où ils entendaient le bruit du canon et des
mousquetades de Charenton. Pendant
qu'ils délibéraient et que leur arrière-garde était encore dans la place
Royale, quoique les troupes parisiennes « eussent commencé à défiler dès les
onze heures du soir, » Condé, « comme un torrent qui emporte tout ce qu'il
rencontre, » tomba sur le village, dont les retranchements furent emportés
d'assaut et remplis de morts et de blessés. Clanleu, refusant la vie qu'on
lui voulait donner, s'ensevelit avec la garnison sous la dernière barricade.
Les frondeurs perdirent quatre-vingts officiers dans cette affaire ; «il n'y
en eut que douze ou quinze de tués de l'armée du prince, » parmi lesquels le
duc de Châtillon, mortellement atteint d'Un coup de mousquet. Le silence qui
succéda avertit les Parisiens de la prise de Charenton. Il leur restait
encore la ressource d'attaquer le corps d'observation de Condé et de
reprendre la place. Une nouvelle délibération eut lieu. Mais les généraux,
malgré leur énorme supériorité numérique, n'osèrent point en venir aux mains
avec le vainqueur de Rocroi. Ils se contentèrent d'admirer la bonne
contenance de leurs troupes et les ramenèrent sans coup férir, « de crainte,
dit le lendemain Conti aux chambres assemblées, s'il arrivait perte de
quelques-uns des bourgeois de Paris, ce qui aurait été inévitable, de faire
crier leurs femmes et leurs enfants. » Cette expédition fournit longtemps un
prétexte de rire aux partisans de la cour[6]. Le jour
suivant, un léger succès releva le courage des Parisiens, qu'avait abattus la
retraite sans doute trop prudente de leurs généraux. Le duc de Beaufort et le
maréchal de la Mothe amenèrent heureusement dans la ville un convoi
considérable de bestiaux et de farines, venu d'Étampes, en dépit des efforts de
quatre mille hommes de l'armée royale sous les ordres du maréchal de
Grammont. Beaufort s'était défendu avec la plus grande valeur et avait
généreusement hasardé sa vie pour sauver ce convoi, « dont le peuple avait un
grand besoin. » Il en fut aussitôt récompensé ; car à son retour les femmes
de la Halle le redirent en triomphe, et exagérèrent les exploits du capitaine
devenu leur idole. Le
combat de Charenton n'avait été qu'un fait d'armes insignifiant. Aussi le
vainqueur, n'ayant pas atteint entièrement son but, avait-il bientôt
abandonné ce poste. Mais à partir de- cette journée les chefs du parlement se
montrèrent plus modérés, et les partisans de la paix commencèrent à élever la
voix dans la compagnie. Matthieu Molé, le président de Mesmes et l'avocat
général Talon réunirent leurs efforts pour demander qu'on fit une nouvelle
démarche auprès de la reine. Broussel, toujours livré aux influences
factieuses, les jeunes conseillers des enquêtes, les seigneurs et la populace
soudoyée par eux, les flétrirent du nom de mazarins et les accusèrent de
trahison. Les magistrats fidèles ne se laissèrent cependant point intimider
par les outrages et les menaces de leurs adversaires. A chaque séance ils
renouvelaient la proposition d'envoyer une députation à Saint-Germain, afin
d'obtenir la paix. Informée
de la division qui régnait dans le parlement, et des plaintes d'un grand
nombre de bourgeois fatigués d'une guerre faite sans inspiration et dont ils
ne voyaient pas le but, la cour s'empressa d'encourager des tentatives encore
faibles. Le 12 février, un héraut, revêtu de sa cotte d'armes, la tête
couverte d'une toque de velours noir, tenant en main le bâton de Heurs de lis
et accompagné de deux trompettes, se présenta de la part du roi à la porte
Saint-Honoré. Il était chargé d'un triple message pour le parlement, le
prince de Conti et les gens de la ville. La première dépêche offrait aux
magistrats de les rétablir « dans leurs droits et privilèges, et de leur
pardonner toutes leurs révoltes passées, » s'ils voulaient obéir à la
première déclaration qui les transportait à Montargis. Les deux autres promettaient
également amnistie pleine et entière à Conti et aux habitants de Paris en cas
de soumission aux ordres du roi. Sur la proposition de Broussel, instrument
ordinaire du coadjuteur, siégeant au parlement comme substitut de
l'archevêque son oncle, alors absent de Paris, la compagnie refusa d'entendre
le héraut, sous le prétexte que « les rois n'en avaient jamais adressé qu'à
des égaux ou à des ennemis. » Elle décida néanmoins que des députés se
rendraient à Saint-Germain pour expliquer son refus à la reine, et protester
en même temps de son obéissance et de sa fidélité. Le
héraut, malgré ses instances, ne put obtenir d'autre réponse du prince de
Conti et des officiers de la ville, sinon qu'ils « se conformeraient à celle
du parlement. » Il laissa donc ses dépêches sur la barrière et repartit avec
des lettres des gens du roi, demandant des passeports afin de remplir leur
mission. Les frondeurs se montrèrent désespérés, « et le duc de Beaufort, le
maître du peuple, déclara qu'il 'voulait faire tuer ceux qui proposeraient
des conditions de paix, sans chasser le cardinal du ministère. » Mais toutes
ces menaces n'empêchèrent point les négociations. Après quelques difficultés,
la cour ayant expédié les passeports nécessaires, l'avocat général Talon et
Jérôme Bignon, son confrère, partirent aussitôt pour Saint-Germain (17 février). La régente, les princes et les
ministres leur firent l'accueil le plus favorable, et les magistrats
conçurent l'espérance de voir bientôt s'aplanir les difficultés qui
s'opposaient à la paix. Sur ces
entrefaites, les chefs de la• fronde recouraient à de criminelles intrigues
pour empêcher toute espèce d'accommodement. Après avoir renoncé au projet de
renouveler la scène de Bussi le Clerc, qui, pendant les troubles de la ligue,
avait traîné le parlement à la Bastille, le coadjuteur, les ducs de Bouillon
et d'Elbeuf firent agréer, aux autres grands du parti, ainsi qu'à plusieurs
des meneurs du parlement, les intelligences qu'ils avaient nouées avec les
ennemis de la France. Assurés de trouver un appui au palais, ils préparèrent
une scène dont tous les honnêtes citoyens furent vivement affligés. Le
comte de Fuensaldagne, capitaine général des Pays-Bas sous l'archiduc
Léopold, et avec lequel Gondi entretenait une négociation sourde par ses
agents, la duchesse de-Chevreuse, Noirmoutier et. Laigues, avait envoyé à
Paris un homme chargé d'examiner la situation des affaires. C'était un moine
espagnol propre à tous les rôles qu'on voudrait lui faire jouer. Comme
l'offre d'un secours aux habitants de Paris contre leur roi aurait
infailliblement soulevé l'indignation générale, les chefs du parti résolurent
de le présenter au parlement en qualité d'ambassadeur accrédité auprès de la
compagnie pour traiter de la paix. Lorsque ce moine eut échangé la robe et le
capuchon contre l'habit de cavalier, et son nom d'Arnolfini contre celui plus
sonore de don Joseph Illescas, on lui fabriqua, des instructions, des
harangues et des lettres pleines de projets et de promesses ; enfin on
l'instruisit pendant trois jours de tout ce qu'il avait à faire pour
n'exciter aucun soupçon dans les esprits des magistrats scrupuleux. Le 19
février au matin, le jour même où les gens du roi, arrivés de Saint-Germain,
devaient rendre compte de leur voyage, le prince de Conti, chargé de
présenter le nouveau personnage aux chambres assemblées, annonça que le
seigneur don Joseph Illescas, « gentilhomme envoyé de l'archiduc Léopold,
gouverneur des Pays-Bas pour le roi d'Espagne, attendait au parquet des
huissiers et demandait audience. » Le prince ajouta que l'archiduc, ne
voulant plus traiter de la paix générale avec le cardinal Mazarin, mais avec
le parlement seul, avait donné des lettres de créance à son ambassadeur. Il
prononçait ces derniers mots, lorsque les députés des magistrats entrèrent,
et l'avocat général Talon « fit son rapport -avec tous les ornements qu'il
lui put donner. » Ils avaient été accueillis à la cour avec beaucoup
d'égards. La reine « avait agréé les raisons » pour lesquelles on avait
refusé l'entrée au héraut. Satisfaite des assurances de respect et de
soumission de la compagnie, elle avait promis, si elles étaient suivies
d'effet, de lui donner « toutes les marques de sa bonté et même de sa
bienveillance et en général et en particulier. » La conclusion de l'avocat
général fut qu'une députation du parlement à la reine « serait très-bien
reçue- et pourrait être d'un grand acheminement à la paix. » Matthieu
Molé leur fit ensuite connaître la proposition du prime de Conti, et leur
demanda s'ils étaient d'avis qu'on écoutât l'envoyé de l'archiduc. Talon,
reprenant la parole, dit « que la providence de Dieu faisait naître cette
occasion de témoigner encore Davantage au roi la fidélité du parlement en ne
donnant point audience à l'envoyé, et en rendant simplement compte à la miné
du respect que l'on conservait pour elle en la refusant. » Les magistrats se
mirent aussitôt à délibérer au milieu de la plus vive émotion. « Est-il
possible, » s'écria le président de Mesmes, en se tournant, les larmes aux
yeux, vers le jeune généralissime, « qu'un prince du sang de France propose
de donner séance sur les fleurs de lis à un député du plus cruel ennemi des
fleurs de lis ?...[7] » Cette apostrophe éloquente et
pathétique aurait sans doute produit sur les esprits une impression
salutaire, si le président, emporté par son zèle et tourné ensuite vers le coadjuteur,
n'eût ajouté : « Quoi ! Monsieur, vous refusez l'entrée au héraut de votre
roi, sous le prétexte du monde le plus frivole, et... ! » C'était là que
l'attendait l'archevêque ; il voulut le prévenir, et lui répondit gravement :
« Vous me permettrez, Monsieur, de ne pas traiter de frivoles des motifs qui
ont été consacrés par un arrêt[8]. » A ces
mots, la cohue du parlement, c'est ainsi que Gondi appelle les chambres des
requêtes, jeta un cri d'approbation, et, après une discussion orageuse, cent
dix-neuf voix contre soixante-treize se prononcèrent pour qu'on écoutât
l'envoyé de l'archiduc. Mais il fut aussi décidé qu'il en serait donné avis
par députés â la régente, sans faire de ses propositions le sujet d'aucune
délibération avant de connaître la volonté de Sa Majesté. Introduit sur
l'heure même, le faux don Joseph Illescas prononça un discours dont la
substance était qu'après avoir refusé les offres les plus avantageuses à la
France, le cardinal Mazarin consentait à accepter toutes les conditions
dictées par l'Espagne, afin de châtier avec plus de liberté le parlement et
les habitants de Paris ; mais que le roi catholique, son maître, sachant ce
qui se passait en France, n'avait pas voulu traiter avec un homme détesté de
la nation ; qu'il avait cru plus convenable à sa dignité d'offrir à cette
compagnie de la prendre pour arbitre des conditions de la paix entre les deux
royaumes. Enfin il ajouta, au grand scandale des vrais patriotes, qu'en
attendant la réponse des magistrats, il avait rassemblé dix-huit mille hommes
sur la frontière pour les secourir en cas de besoin. Quoique
les frondeurs n'eussent pas atteint leur but, l'espèce d'engagement que
venait de contracter le parlement en donnant audience à l'agent des
Espagnols, était comme une sauvegarde pour Gondi et tous ceux qui voudraient
désormais s'allier avec les ennemis de la France. Mais leur conduite avait
réellement augmenté les chances du parti de la paix : la nouvelle d'un
terrible évènement, arrivée ce même jour à Paris, les accrut encore. Charles
Stuart, roi d'Angleterre, victime de la secte égalitaire des indépendants et
des niveleurs, avait été condamné à mort sous l'inspiration de Cromwell par
un tribunal extraordinaire, et la tête de l'infortuné monarque venait de
tomber sous la hache du bourreau (9 février). Sa veuve, réfugiée en France
dans le palais de ses pères, et par un fatal concours de circonstances, y
était exposée aux plus grands besoins et était obligée d'implorer les secours
du parlement qui, un mois avant cette épouvantable catastrophe, avait fait
délivrer vingt mille livres à son trésorier. La vue de cette reine désolée
fit naître de sérieuses réflexions dans les esprits des Parisiens séduits, et
leur rappela l'enchaînement des moyens par lesquels un peuple est quelquefois
excité à des atrocités que s'efforce ensuite d'expier un tardif repentir. Il
était impossible que la régente songeât à ce fatal évènement et aux gradations
qui l'avaient produit, sans craindre lés résultats des troubles actuels. Cependant
les députés du parlement avaient demandé leurs passeports afin de se rendre'
auprès de la reine ; ils les reçurent au bout de trois jours, mais sans
désignation du titre de leurs fonctions. Malgré l'omission de cette
formalité, le premier président, le président de Mesmes et sept conseillers
partirent pour Saint-Germain avec les-gens du roi (24 février). On leur fit un assez honnête
accueil, et la reine écouta avec calme les explications qui lui furent
présentées sur l'affaire de l'agent espagnol. Matthieu Molé supplia ensuite
la reine « de faire cesser le désordre, de leur donner la paix, de revenir à
Paris, d'y ramener le roi et par conséquent le bonheur et la joie. » Après
l'audience solennelle, les députés eurent un long entretien avec le duc
d'Orléans, le prince de Condé et le cardinal Mazarin. Les deux princes leur
promirent, au nom de la régente, de laisser passer cent muids de blé par jour
à Paris, si le parlement consentait à ouvrir des conférences pour terminer
les différends à l'amiable : De
retour à Paris, le surlendemain, les députés trouvèrent la ville en grande
rumeur. Sur le bruit bien ou mal fondé que le prince de Condé avait conçu le dessein
de jeter dans la rivière toutes les farines de Gonesse et des environs, les
troupes parisiennes avaient fait une sortie et passé une nuit en bataille
devant Saint-Denis, pour assurer le passage d'un convoi. Le maréchal de la
Mothe, détaché avec mille chevaux, avait enlevé tout ce qu'il avait trouvé à
Gonesse. Noirmoutier, à la tête de quinze cents chevaux, avait ramené
triomphalement de Dammartin et du pays voisin une immense quantité de grains
et de farines. Mais les troupes du roi avaient emporté Brie-Comte-Robert sans
qu'on eût essayé de secourir ce poste avancé. Tandis
que ces divers incidents entretenaient une vive agitation dans le menu
peuple, les meneurs de la faction soutenaient à tort que le premier président
avait eu une conférence secrète avec Mazarin. Lorsque Matthieu Molé fit le
rapport de sa mission, un débat tumultueux s'engagea au sein du parlement. Le
bruit et les cris de quelques conseillers furent entendus au dehors. Un grand
nombre d'artisans et autres gens de la lie du peuple, rassemblés dans la
grand'salle, dans la cour du palais et dans les rues, et soudoyés par le duc
de Bouillon -et d'autres frondeurs « pour crier contre les commencements de
la paix, » menacèrent les 'députés de les jeter à la rivière. Ils s'écriaient
qu'ils étaient vendus et trahis, et « qu'ils ne voulaient point de paix avec
le Mazarin. » La délibération fut renvoyée au lendemain afin que les généraux
pussent y assister. Au sortir de la séance, le premier, président fut exposé
aux plus grands dangers. Un des séditieux s'approcha de lui et le menaça de
le tuer. « Mon ami, lui dit l'intrépide magistrat en le regardant
tranquillement, quand je serai mort, il ne me faudra que six pieds de terre !
» Puis, « sans se hâter d'un pas, il s'en alla chez lui[9]. » Le
parlement s'assembla donc le-jour suivant avec tous les chefs de guerre.
Matthieu Molé traversa avec la plus froide indifférence la foule qui
vociférait sur son passage : « Point de paix ! point de Mazarin ! » et menaça
les séditieux de les faire pendre. On délibéra sur la conférence proposée par
les princes, et il fut résolu qu'elle serait tenue en lieu sûr choisi par le
roi ; que la députation serait composée de quatre présidents de la cour, deux
conseillers de la grand'chambre, un de chaque membre des enquêtes et
requêtes, un conseiller aux requêtes, un ou deux des généraux, deux membres
de chacune des compagnies souveraines, avec le prévôt des marchands ou l'un
des échevins ; que les députés auraient plein pouvoir de traiter, et que la
reine serait suppliée, conformément à sa promesse, de laisser le passage
ouvert aux vivres. Pendant la délibération, la populace attroupée « menaçait
de tuer tous ceux qui seraient d'avis d'une conférence avant que le Mazarin
fût hors du royaume. » Le due de Beaufort et le coadjuteur, usant de toute
leur influence, obtinrent la retraite des séditieux, « et la compagnie sortit
sans aucun péril et même sans aucun bruit. » Le 4
mars, les députés se rendirent sans obstacle à Ruel, lieu que la régente
avait choisi pour les conférences en raison de sa situation « à moitié chemin
de Paris et de Saint-Germain. » Les généraux n'y envoyèrent personne, afin de
se réserver la liberté d'entretenir leurs intelligences avec Bruxelles. La
plupart d'entre eux, moins désintéressés qu'ils voulaient le paraître,
négociaient secrètement à la cour dont ils espéraient de bonnes conditions.
Mais pour avoir une force à leur disposition et maintenir dans l'obéissance
ceux qui seraient tentés d'abandonner leur parti ; ils résolurent de faire
sortir leur armée de Paris. A forcé- d'enrôlements, ils étaient venus à bout
d'en former une d'environ dix mille hommes, tous assez bons soldats. Le jour
même que les députés des compagnies se rendaient à la conférence, leurs
troupes défilèrent pour aller prendre position sur la rive gauche de la
Seine. L'infanterie occupa Villejuif et Bicêtre, la cavalerie Vitry et Ivry.
Un pont de bateaux fut jeté sur la rivière devant le Port-à-l'Anglais, «
défendu par des redoutes où il y avait du canon. » Une fois retranchés là,
ils séparèrent leur cause de celle du parlement, et publièrent qu'ils
voulaient y attendre les secours de l'archiduc et l'armée de Turenne. Séduit
par la duchesse de Longueville et entraîné par les pressantes sollicitations
de Bouillon, son frère aîné, ce maréchal avait pris l'engagement de mettre sa
personne et ses troupes au service des frondeurs[10]. Arrivés
à Ruel, les députés du parlement y trouvèrent le duc d'Orléans, le prince de
Condé et les autres personnages désignés pour traiter avec eux. Parmi ces
derniers figurait le cardinal Mazarin. Les députés refusèrent d'entrer en
conférence avec le ministre, condamné par arrêt de la compagnie. Anne
d'Autriche montra la plus vive indignation ; mais les parlementaires, et Molé
comme les autres, demeurèrent inflexibles. Cette difficulté allait rompre la
négociation, lorsque Mazarin se soumit volontiers à un tempérament proposé
par le duc d'Orléans et suivant lequel on choisit, de part et d'autre, deux
commissaires qui s'abouchèrent directement dans une chambre particulière, et
échangèrent les résolutions respectives. Le chancelier et le ministre de la
guerre, Le Tellier, furent les délégués de la reine. -Les
exigences poussées trop loin de chaque côté rendirent les discussions
très-animées, et, après quelques• jours de débats, on semblait plus éloigné
que jamais de s'entendre sur les points contestés. Comme la cour ne tenait
pas exactement à ses promesses de laisser entrer cent muids de blé par jour
dans Paris, les assiégés en étaient irrités, et la députation transmettait
aux princes leurs plaintes fréquentes. Condé se montrait d'ailleurs fort
difficile ; il voulait tout emporter d'assaut. Une fois surtout il montra
tant de fierté et de violence, que les magistrats rompirent brusquement la
conférence et prirent leur congé. Déjà ils partaient, et toute voie à la
conciliation allait être fermée, quand Gaston, dont les instincts n'étaient
pas aussi héroïques, parvint à inspirer plus de modération au prince. « Mon
cousin, lui dit-il, si ces gens-ci gagnent le printemps, ils se joindront à
l'archiduc, et feront un parti si dangereux à l'État, qu'alors ce sera à
notre tour à nous humilier. Présentement que nous les tenons, profitons de l’occasion,
et faisons la paix : c'est ce que les gens de bien doivent souhaiter. » On
rappela les députés, qui consentirent avec plaisir à continuer leur utile
travail[11]. On
avait déjà surmonté de nombreuses difficultés, lorsque de graves événements
vinrent suspendre d'abord, puis hâter la conclusion de la paix. Gondi, el les
généraux qui n'avaient pu empêcher la conférence n'avaient 'pas renoncé à
l'espoir de rompre les négociations. Ils crurent en avoir trouvé l'occasion.
En effet, un nouvel envoyé espagnol, don Francisco Pizarro, venait d'arriver
à Paris avec les réponses que l'archiduc et le comte de Fuensaldagne
faisaient aux premières dépêches de don Joseph de Illescas, et un plein
pouvoir de traiter avec tout le monde (5 mars). Il avait une longue instruction pour le duc de
Bouillon, « une lettre fort obligeante de l'archiduc pour le prince de Conti,
et un billet très-galant, mais très-substantiel., du comte de Fuensaldagne
pour le coadjuteur. Ce billet portait que le roi catholique ne voulait pas se
fier en sa parole, mais qu'il aurait toute confiance en celle que le prélat
donnerait à Mme de Bouillon[12]. » L'envoyé annonçait encore
que l'armée espagnole se rapprochait de la frontière. Tandis
que, les chefs des frondeurs délibéraient sur ce qu'il fallait prendre ou'
rejeter de ces offres, un courrier du maréchal de Turenne arriva en criant
très-haut : Bonnes nouvelles ! Il remit au duc de Bouillon une lettre de son
frère. L'illustre guerrier, qui jusque-là ne s'était mêlé à aucune intrigue,
venait de faire une action sur laquelle, suivant le coadjuteur ; « le Balafré
et l'amiral de Coligny auraient balancé. » Il apprenait au duc qu'il avait
signifié au Mazarin de ne plus compter sur son amitié, qu'il s'était déclaré
et qu'il s'avançait avec la plus grande'pat4ie de sen armée au secours de
Paris. Cette déclaration de Turenne rehaussa le courage de la faction. Les principaux
; ne voulant cependant pas aliéner leur liberté par un acte décisif, ainsi
que le proposait Gondi, se contentèrent de signer avec l'agent dei Espagnols
un traité secret et provisoire pour l'entrée de leur troupe sut le territoire
français. Mais ils s'efforcèrent avec le coadjuteur, qui s'était abstenu de
donner sa signataire au traité, de réchauffer le zèle du parlement (7 mars). La
compagnie', irritée contre la cour qu'elle accusait de manque de foi au sujet
de l'approvisionnement de la ville, reçut avec acclamation les offres que lei
faisait Turenne de sa personne et de ses troupes contre le cardinal de
Mazarin, l'ennemi de l'État. Sur la proposition du coadjuteur, elle autorisa
par un arrêt solennel la prise d'armes du maréchal ; enjoignit à tous
officiers et sujets du roi de lui donner le passage et des vivres, de lui
obéir et de travailler en diligence à lui procurer les fonds nécessaires au
paiement de ses soldats. Le jour suivant, 9 mars, elle décida qu'il serait
sursis à la conférence de Ruel, jusqu'à l'entière exécution des promesses de
la cour, et jusqu'à l'ouverture libre d'un passage pour toute espèce de
denrées. La nouvelle de la déclaration de Turenne et lei mesures adoptées par
les magistrats excitèrent dans Paris un enthousiasme général. L'audace des
séditieux s'accrut, et les clameurs redoublèrent de violence contre le
cardinal Mazarin, dont les meubles et les livres étaient vendus à l'encan
pour subvenir aux frais de la guerre. Les
inquiétudes que causait à la reine la situation de plus en plus menaçante de
la capitale, étaient encore augmentées par les nouvelles des provinces,
généralement favorables à la fronde. En effet le duc de Longueville écrivait
chaque jour de Rouen qu'il allait faire avancer sur Saint-Germain sept mille
fantassins et trois mille chevaux. Le duc de la Trémouille, entraîné, dans le
mouvement par son habile et ambitieuse épouse, mandait aussi de Bretagne
qu'il était prêt à se mettre en chemin avec dix-huit mille hommes de cette
province, de l'Anjou, du Poitou et du Maine, si on lui permettait « de
se saisir des deniers royaux dans les recettes générales de Poitiers, de
Niort et d'autres lieux dont il était déjà assuré. » Le parlement
reconnaissant le remercia, lui accorda ce qu'il demandait, et le pria
d'avancer ses levées avec diligence. Angers, Péronne, Mézières et beaucoup
d'autres villes avaient suivi l'exemple de celles que nous avons déjà
nommées, et s'étaient ouvertement déclarées pour les frondeurs. A la tête
de la députation parisienne envoyée à Ruel se trouvaient par bonheur des
hommes dont l'âme courageuse s'ouvrait sans peine aux sentiments généreux,
des -hommes animés d'un amour sincère pour l'État, et qui voyaient avec
horreur la France, glorieuse et puissante, se précipiter dans un abîme de
calamités. La guerre civile, combinée avec la guerre étrangère, sur le point
de renouveler ses atrocités, la plus vive impression sur l'esprit de ces
dignes magistrats. L'aspect des affaires venait d'être modifié par une
nouvelle importante qui ne terminait cependant pas la crise. L'armée de
Turenne, composée de bandes weimariennes, troupes vaillantes mais
mercenaires, avait été rattachée au service de la France par l'argent que
Mazarin avait envoyé au lieutenant-général comte d'Erlach. Aussitôt après
avoir passé le Rhin, elle avait abandonné le maréchal, qui, pour éviter la
fureur de ses soldats, s'était vu obligé de chercher un asile chez le
landgrave de Hesse. Ce
grave échec de la fronde ne diminuait point le péril de la monarchie, car on
devait craindre qu'il ne jetât Paris dans les bras de l'Espagne : des
dépêches interceptées avaient fait connaître à la cour le traité provisoire
des généraux avec l'ennemi ; elle savait aussi que l'archiduc, entré sur le territoire
français, se dirigeait vers le Laonnois avec un corps d'armée, et que le
marquis de Noirmoutier, envoyé auprès de ce prince afin d'accélérer le
mouvement de ses troupes, accompagnait les étrangers. Mazarin, voyant la
conférence sur le point de se rompre et le péril qui menaçait le royaume,
rabattit beaucoup de ses premières demandes et obtint de la reine les
concessions les plus nécessaires. Alors aussi le délire du peuple de Paris',
l'exaspération du parlement devenu plus hostile que jamais au gouvernement
royal, les liaisons criminelles des généraux frondeurs avec les ennemis,
l'incendie qui se propageait dans le royaume, inspirèrent une résolution
hardie à Matthieu Molé et au président de Mesmes. Pour sauver la France ils
consentirent à la paix, sans attendre les nouveaux pouvoirs dont ils avaient
besoin ; et les autres députés, parmi lesquels il y avait d'ardents
frondeurs, entraînés par l'ascendant de ces deux hommes, la signèrent avec
eux (11
mars 1649). Les
principales conditions de l'accommodement conclu à Ruel étaient que le
parlement, suivant l'ordre donné par Sa Majesté, se rendrait à Saint-Germain
pour y tenir un lit de justice, où serait promulguée la déclaration contenant
les articles de la paix ; qu'il n'y aurait dans l’armée aucune assemblée de chambres,
si ce n'était pour mercuriale et réception d'officiers ; que tous les arrêts
du parlement, d'une part, et ceux du conseil, de l'autre, rendus depuis le 6
janvier, demeureraient nuls et non avenus. Les troupes parisiennes seraient
licenciées ; les forces royales renvoyées dans leurs garnisons ; tous les papiers
et meubles rendus aux particuliers ; la Bastille et l'arsenal restitués au
roi. Les habitants de Paris poseraient les armes, et le député de l'archiduc
devait être renvoyé incessamment sans réponse. Le roi pourrait emprunter au
denier douze (8 ½ %),
cette année et la suivante, toutes les sommes qu'il jugerait nécessaires pour
les dépenses de l'État. Le prince de Conti.et autres princes, ducs, pairs et
officiers de la couronne, seigneurs, gentilshommes, particuliers, villes et
communautés, ayant pris les armés, seraient conservés en leurs biens, droits,
offices, honneurs, privilèges, prérogatives et gouvernements, moyennant leur
adhésion au traité sous bref délai. Il y aurait une décharge générale pour
toutes levées de deniers, de soldats, meubles vendus tant à Paris
qu'ailleurs, et enlèvement d'armes et munitions. Afin de témoigner son
affection aux habitants de sa bonne ville.de Paris, le roi y retournerait dès
que les affaires de l'État le pourraient permettre. Lorsque Sa Majesté
enverrait, des députés pour traiter de la paix avec l'Espagne, elle
appellerait volontiers quelques-uns des officiers de son parlement aux
négociations. D'autres articles contenaient des promesses, assez vagues de
réformer les finances, de diminuer les tailles et de travailler à la paix
générale : Mazarin, après de nouvelles difficultés soulevées inutilement par
les députés ; apposa sa signature sur le traité, avec Gaston, Condé et tous
les ministres[13]. A la
nouvelle de la conclusion de la paix, un mécontentement général éclata dans
Paris. Ceux des frondeurs qui étaient de bonne foi blâmaient les députés
d'avoir accepté des conditions humiliantes et d'avoir abandonné les intérêts du
peuple, lorsque la situation des affaires semblait lui assurer les plus
brillants avantages, La populace, saisie de fureur, criait à la trahison ; et
les généraux, se voyant déchus des espérances qui leur avaient mis les armes à
la main, méditaient des résolutions furieuses. Molé n'ignorait pas que son
dévouement serait mal interprété ; il savait qu'en souscrivant le traité il
se livrait à une inévitable tempête et aux plus grands dangers. Quand il
reparut au palais le 13 mars, et entreprit de lire le rapport de ce qui s'était
passé à Ruel, de violentes clameurs s'élevèrent dans l'assemblée et
étouffèrent sa voix. Les enquêtes s'écriaient au milieu de la confusion «
qu'il n'y avait point de paix ; que le pouvoir des députés avait été révoqué
; qu'ils avaient abandonné lâchement les généraux et tous ceux auxquels la
compagnie avait accordé arrêt d'union. » Dans
cette séance tumultueuse. le premier président ne perdit rien de son
intrépidité héroïque ; il fit, face à toutes les provocations. Au prince de
Conti, qui se plaignait avec une feinte modération « qu'on eût conclu
sans lui et sans messieurs les généraux, il opposa ce fait incontestable
qu'ils avaient été invités à la conférence et qu'ils n'y avaient pas envoyé
de députés ; qu'enfin ils avaient toujours déclaré n'avoir pas d'intérêts
séparés de ceux du parlement. » Il leur reprocha ensuite le pacte secret
auquel ils n'avaient point initié les magistrats. « Pendant que nous
étions à Ruel, leur dit-il, vous traitiez avec les ennemis de la France ;
tandis que nous travaillions à la paix, de votre consentement, vous
travailliez à la guerre, sans notre aveu. Vous avez envoyé dernièrement
encore des députés à l'archiduc et à Mme de Chevreuse, en Flandre, pour
trouver les moyens de soutenir votre parti sans le parlement. » Cette
dénonciation jeta toute l'assemblée dans l'étonnement ; elle rappela les
généraux et ceux de leur faction à des sentiments plus modérés, Ils
repartirent avec timidité « qu'ils n'avaient point fait cette démarche sans
le consentement de quelques-uns de la compagnie. » — « Nommez-les, s'écria
courageusement Matthieu Molé, nommez-les, et « nous leur ferons leur
procès, comme à des criminels de lèse-majesté. » Le duc
de Bouillon, cet ardent négociateur de l'alliance espagnole, « demanda pour
toute grâce au parlement, puisque le cardinal Mazarin demeurait premier
ministre, de lui obtenir un passeport, afin de pouvoir sortir en sûreté du
royaume. » Le premier président lui répondit que, même sans charge de lui, on
avait eu soin de ses intérêts ; que lui-même avait insisté sur la récompense
réclamée pour l'abandon de Sedan, « et qu'il en aurait satisfaction, »
Le duc témoigna qu'il -n'ajoutait aucune foi à ses vains discours, et qu'il
ne se séparerait jamais des autres généraux. Alors « le bruit recommença avec
une telle fureur, que le président de Mesures, chargé d'opprobres,
particulièrement sur la signature du Mazarin, en fut épouvanté au point qu'il
tremblait comme la feuille. » Le duc de Beaufort et le maréchal de la
Mollie s'échauffèrent par le grand bruit, malgré leurs résolutions, •et le
premier s'écria, en portant la main sur la garde, de son épée : « Vous avez
beau faire, messieurs les députés, celle-ci ne tranchera jamais pour le
Mazarin. » Cependant
l'émeute grondait aussi aux alentours du palais : la foule irritée pénétrait
dans les galeries et les corridors. Déjà elle assiégeait les portes de la
grand'chambre et poussait d'horribles Vociférations contre ceux qui avaient fait
l'infâme traité, lorsqu'un des huissiers « entra et dit avec une voix
tremblante que le peuple demandait M. de Beaufort. » Le duc sortit aussitôt,
harangua la populace à sa manière et l'apaisa un moment. Dès qu'il fut rentré
les clameurs redoublèrent, et la multitude devenait de plus en plus
menaçante. Alors le président de Novion, bien connu par sa haine envers le
cardinal, sortit à son tour et rappela au peuple le respect qu'il devait aux
officiers du roi. Mais un certain du Boisle, « méchant avocat » au Châtelet,
s'avança à la tête d'une centaine de bandits armés de poignards et de piques,
et demandant à grands cris qu'on leur livrât la grande barbe (Matthieu Molé). « Nous voulons, dit-il au
magistrat, qu'on nous donne les articles de la paix, pour faire brûler par la
main du bourreau, en place de Grève, la signature du Mazarin. Si les députés
ont signé cette paix de leur bon gré, il les faut pendre ; si on les y 'a
forcés à Ruel, il la faut désavouer » Le président de Novion, fort
embarrassé, lui objecta qu'on ne pouvait livrer au feu la feuille où était
apposé le nom du cardinal sans brûler le seing du duc d'Orléans et du prince
de Condé : mais qu'on était sur le point de renvoyer les députés, afin
d'obtenir des conditions plus favorables. Ces
paroles ne calmèrent point la foule ; la salie, les galeries et la cour
du palais retentissaient encore de mille voix confuses et effroyables : «
Point de paix ! point de Mazarin ! Il faut aller à Saint-Germain
querir notre bon roi : il faut jeter dans la rivière tous les mazarins.
» Au milieu du ressentiment de ses confrères et de l'emportement brutal de la
populace, Molé demeura toujours impassible. « Il se voyait l'objet de la
fureur et de l'exécration du peuple, » en présence de brigands « armés ou plutôt
hérissés de toutes sortes d'armes, » résolus de l'assassiner, et cependant on
ne put distinguer sur son visage un mouvement « qui ne marquât une
fermeté inébranlable et une présence d'esprit presque surnaturelle. » Il ne
quitta point la place, et, la délibération continuant, toute l'assemblée se
réunit à la proposition de le Coigneux et de Bellièvre, de renvoyer les mêmes
députés à Ruel, afin de faire comprendre dans la déclaration royale les
prétentions et les intérêts de messieurs les généraux et de tous ceux qui
s'étaient joints au parti. On y ajouta aussi qu'ils tâcheraient d'obtenir un
nouvel acte où ne se trouverait pas la signature du cardinal. A la
fin de cette séance orageuse, toute la compagnie et les chefs des factieux
qui, malgré leur haine pour Matthieu Molé, ne pouvaient s'empêcher de
l'estimer, se pressant autour de lui, le conjuraient de se dérober à la
colère de la multitude par une issue détournée. Il ne voulut pas y consentir,
et répondit gravement : « La cour ne se cache jamais. Si j'étais assuré
de périr, je ne commettrais pas cette lâcheté, qui d'ailleurs ne servirait
qu'à donner de la hardiesse aux séditieux ; ils me trouveraient bien
dans ma maison, s'ils croyaient que je les eusse appréhendés ici. » Sous le
poignard des forcenés il raillait le coadjuteur, qu'il regardait comme
l'auteur de la révolte, et qui le priait de ne pas s'exposer, « à moins qu'il
n'eût fait ses efforts pour adoucir le peuple. » — « Eh ! mon bon seigneur,
repartit-il avec une familiarité moqueuse, dites le bon mot. » Frappé d'un
sentiment d'admiration, le prélat ne fut point arrêté par ces paroles, qui
lui paraissaient cependant une horrible injustice. Il courut aussitôt dans la
grand'salle, et, monté sur un banc de procureur, il harangua la foule « et
lui dit tout ce qu'il s'imaginait être le plus propre à calmer la sédition. »
Il lui fallut jouer en un quart d'heure trente personnages tout différents :
menacer, caresser, commander, supplier. Quand il crut le moment favorable, il
revint auprès de l'intrépide sénateur, qui put traverser sans outrage les
flots de la multitude avec la compagnie tout entière, précédée des huissiers.
Le peuple se contenta de pousser de grandes clameurs, parmi lesquelles le
coadjuteur affirme avoir entendu le cri de république[14]. Les
compagnies bourgeoises, convoquées pour maintenir l'ordre le jour suivant,
obéirent avec empressement à leurs magistrats, occupèrent de bonne heure tous
les avant-postes et surent protéger les approches du palais. Les magistrats,
les princes et les pairs s'étant réunis, la séance fut ouverte avec dignité.
Les généraux se montrèrent plus disposés à la paix, et déclarèrent qu'ils
remettaient volontiers leurs intérêts entre les mains du parlement. Après de
vives contestations, il fut résolu que le lendemain lecture serait faite du
procès-verbal de la conférence de Ruel et des articles « dont on n'avait pas
seulement voulu entendre parler la veille. » La
séance du lendemain fut très-animée. A la lecture du rapport sur un fait déjà
vieux de trois jours, les opposants recommencèrent des exclamations qui
n'avaient plus l'à-propos du premier mouvement. Malgré l'ascendant de
Matthieu Molé sur sa compagnie, quelques changements furent apportés au
traité. Lorsque tous les points contestés eurent été réglés, le parlement
arrêta que ses députés retourneraient à Saint-Germain « pour faire instance
et obtenir la réformation de quelques articles, comme aussi pour traiter des
intérêts des généraux, suivant, la note que ceux-ci eu donneraient par écrit.
» Les
nouvelles conférences que cet arrêté occasionna commencèrent le 16 mars à
Saint-Germain. Les, députés y furent rejoints par le duc de Brissac et deux
maréchaux de camp, auxquels les généraux avaient confié la défense de leurs
prétentions, dont la liste avait cependant été remise entre les mains du
premier président. Par bonheur, elles étaient si extravagantes et signifiées
avec tant de hauteur, malgré la défection de l'armée de Turenne, défection
funeste au parti des frondeurs, qu'elles excitèrent l'indignation du
parlement et la risée du public. Le prince de Conti demandait avec l'entrée
au conseil une place forte dans son gouvernement de Champagne ; le duc de
Bouillon, la restitution de Sedan pour lui, le gouvernement d'Alsace et celui
de Philipsbourg pour Turenne. Le duc de la Trémouille revendiquait tout
simplement le comté de Roussillon, comme descendant de la maison d'Aragon par
les femmes, et la principauté de Montbéliard. Après les grands seigneurs, les
moindres marquis, les simples gentilshommes réclamaient des places, des
gouvernements, des domaines, des honneurs, de l'argent. Il eût fallu partager
le royaume pour satisfaire leur insatiable cupidité. Les
généraux, voyant à quel profond ridicule les exposait cette longue liste de
prétentions, cherchèrent à se réhabiliter dans l'opinion publique. A cet
effet ils envoyèrent à Saint-Germain le comte de Maure, pour offrir de se
désister de toutes leurs demandes si Mazarin était éloigné des conseils de la
reine. Quelques jours après, le prince de Conti, entouré de son noble cortége,
vint prier le parlement « d'ordonner à ses députés de se joindre au comte
pour l'expulsion du cardinal. » Sa proposition fut adoptée aux applaudissements
du peuple attroupé dans la grand'salle, et toujours employé à soutenir ces
ambitions seigneuriales (27 mars). La demande fut présentée, mais aussitôt rejetée
par une déclaration absolue du duc d'Orléans et du prince de Condé, et le
ministre conserva sa place. Enfin les députés arrêtèrent le 30 mars, à
Saint-Germain, les -conditions de la paix entre le roi et Paris. Quelques
articles de la paix de Ruel furent réformés selon les désirs du parlement.
Ainsi le traité ne parla plus du lit de justice ni de la défense de réunir
les chambres pendant l'année 1649. Mais le premier président et les autres
députés s'étaient engagés, verbalement à ne pas souffrir, les assembles
jusqu'aux vacations prochaines. La faculté accordée an mi d'emprunter toutes
les sommes qu'il jugerait nécessaires était limitée à vingt-quatre millions,
de livres en deux ans. Lorsqu'elle
consentait à ces modifications du traité de Riel, la cour connaissait la
retraite de l'archiduc, qui, après s'être avancé jusqu'à l'Aisne, entre Laon
et Reims, avait repassé précipitamment la frontière, en apprenant les
dispositions pacifiques du parlement et la fuite de Turenne au-delà du Rhin.
Mais, empressée de terminer une lutte qui paralysait la marche du
gouvernement, elle n'avait pas voulu profiter de cette heureuse nouvelle. Les
généraux et leurs nombreux lieutenants n'obtinrent : cependant pas des
conditions aussi favorables que celles accordées aux, magistrats. Mazarin,
dont ils méprisaient hautement la capacité, les amena à se contenter d'une simple
lettre :de cachet, adressée au parlement ; lettre commençant à la vérité par
une amnistie fort large, mais pleine d'équivoques, d'obscurités, et qui
ressemblait assez à- une ironie continuelle. Dans cette pièce singulière, roi
reprenait ensuite les demandes de chacun des seigneurs et y répondait en
termes obligeants. Elle, fut lue aux chambres assemblées le ter avril. Ce
même jour eut lieu l'enregistrement de la déclaration royale, au milieu de
quelques clameurs des conseillers des enquêtes et des tentatives impuissantes
des généraux pour soulever le peuple. Le ministre acheta encore par des promesses la soumission de tous ceux qui, dans les provinces, avaient embrassé la cause des frondeurs. Enfin on donna des déclarations satisfaisantes aux parlements de Normandie et de Provence, dont les prétentions avaient été discutées à la conférence de Saint-Germain. La paix fut ensuite publiée à son de trompe dans les carrefours et faubourgs de la capitale, qui ne tarda pas à reprendre sa physionomie accoutumée. |
[1]
Journal du parlement. — Mémoires du cardinal de Retz. —
Manuscrits, bibliothèque Nationale, cot. n° 1206.
[2]
Registre de l'Hôtel-de-Ville, cot. n° 32.
[3]
Mémoires du cardinal de Retz.
[4]
Voyez la grande collection des Mazarinades à la bibliothèque Nationale
et à la bibliothèque Sainte-Geneviève. — Naudé, dans sa Mascurat, en
compte au moins 800 publiées durant le siège de Paris.
[5]
Bibliothèque Nationale, cabinet des estampes (règne de Louis XIV). — Capefigue,
Richelieu, Mazarin, la Fronde et le règne de Louis XIV, t. VI, ch. 74.
[6]
Mémoires de Retz. — Mémoires de Mme de Motteville. — Journal
du parlement, p. 180. — La Rochefoucault, p. 71.
[7]
Les bancs sur lesquels siégeait le parlement étaient fleurdelisés.
[8]
Mémoires de Retz.
[9]
Mémoires de Mme de Motteville. — Mémoires de Retz.
[10]
Mémoires de Retz. — Mémoires de Mme de Motteville.
[11]
Mémoires de Mme de Motteville.
[12]
Mémoires de Retz.
[13]
Mémoires de Mme de Motteville. — Mémoires de Retz. —
Procès-verbal de la conférence de Ruel.
[14]
Mémoires de Retz. — Mémoires de Mme de Motteville. — Journal
du parlement.