La reine autorise
l'assemblée des quatre cours souveraines. — Propositions de cette assemblée.
— Intendants révoqués par le parlement. — Disgrâce du surintendant d'Émery. —
Le maréchal de la Meilleraye le remplace. — Détresse de la régente. — Lit de
justice. — Délibération du parlement sur la déclaration royale. — Arrestation
de l'intendant du duc de Vendôme. — Broussel. — Le cardinal de Retz. — Le
parlement reprend ses délibérations. — Frondeurs, mazarins et mitigés. —
Matthieu Molé.
L'état
de la France ne permettait plus de recourir aux voies de rigueur sans qu'on
l'exposât à de grandes révolutions. Le peuple gémissait sous le poids des
taxes et des tailles ; le royaume était fatigué de la guerre contre l'Espagne
et l'Empire ; le mot de réformation, jeté dans la foule, avait excité un
enthousiasme extraordinaire et mis en mouvement toute la masse de la
bourgeoisie et du peuple. Mazarin jugea que la résistance pouvait entraîner
le gouvernement dans les plus funestes calamités, et que le meilleur parti
était celui de la dissimulation. Il pressa donc instamment Anne d'Autriche de
capituler, et cette fois encore la régente céda. Le lendemain, 30 juin, après
une nuit passée dans les larmes, et frémissant de honte et de colère à l'idée
d'un partage d'autorité avec le parlement, elle rendit sa réponse aux
magistrats. Persuadée des bonnes intentions de la compagnie, elle consentait
à l'exécution de l'arrêt d'union et aux conférences des députés des quatre
cours souveraines ; mais elle priait le parlement de fournir quelques fonds
pour l'entretien des armées et d'achever dans la fin de la semaine
l'assemblée projetée. Le même
jour, trente-et-un députés des quatre cours souveraines se réunirent dans la
salle Saint-Louis, et s'empressèrent de travailler à la réformation de
l'État, après avoir réglé que leurs délibérations seraient soumises à
l'examen du parlement qui pourrait leur donner ou leur refuser sa sanction.
Le gouvernement espérait que l'assemblée perdrait son temps en d'inutiles
théories ; mais il se trompait. Les députés, usant sans ménagement de leur
victoire, produisirent, du 30 juin au 12 juillet, vingt-sept articles dont
les quatre premier& changeaient tout l'ordre de l'administration et des
finances et dessinaient fort nettement 'le plan de révolution. Ils
proposaient donc : 1° la révocation des intendants de justice, magistrats de
nouvelle espèce', institués à l'époque de la plus grande puissance du
cardinal de Richelieu, et que l'opinion générale accusait de se rendre
complices des nombreuses exactions des partisans ; 2° la résiliation des
traités faits avec les financiers pour la levée des tailles, lesquelles
seraient dorénavant « assisses en la forme ancienne, avec diminution d'un
quart au profit du peuple ; » 3° qu'on ne levât plus d'impôts « qu'en vertu
d'édits et déclarations bien et dûment vérifiées ès cours souveraines, avec
liberté de suffrages ; » 4° qu'aucun des sujets du roi, quelle que fût sa
condition, ne pût « être détenu prisonnier, passé vingt-quatre heures,
sans être interrogé suivant les ordonnances, et rendu à son juge naturel à
peine d'en répondre en leurs propres et privés noms, par les geôliers,
capitaines et tous autres qui les détiendraient[1]. » Les
deux premiers articles, comme on le comprend facilement, étaient de
circonstance, et conciliaient au parlement la faveur du peuple en lui donnant
de grandes espérances pour le soulagement de ses misères. Par les deux
derniers il devenait maître du vote de l'impôt, ne laissait aucun moyen de
prolonger arbitrairement la détention, et garantissait ainsi la liberté
individuelle, principes devenus la base des constitutions modernes. Les
autres articles, moins importants, réglaient la justice, les finances, les
différentes parties du service public ; demandaient la révision des
aliénations du domaine, l'abolition des monopoles commerciaux accordés aux
courtisans.et à leurs protégés, la défense d'importer des étoffes étrangères,
et l'établissement d'une chambre de justice pour la poursuite des
malversations commises dans les finances. Le parlement examina sans perdre de
temps les propositions qui lui étaient rapportées de la chambre Saint- Louis,
afin de les convertir en règlements et en lois. Le 4 juillet, il décréta la
révocation des intendants/ et les maîtres des requêtes, parmi lesquels on les
choisissait ordinairement, et que l'arrêt privait de gros émoluments, le
signèrent les premiers, « comme amateurs de la chose publique, ainsi que de
véritables Romains[2]. » Malgré
son mécontentement, la- cour ne protesta point contre la décision du
parlement, qui ne faisait cependant aucune mention ni « de la volonté ni du
consentement du roi. » Comme elle avait perdu l'espoir de l'intimider par des
menaces, elle eut recours à l'entremise du duc d'Orléans. Le prince se rendit
au Palais, avec quelques ducs et pairs, pour représenter à la compagnie les
conséquences d'un arrêt qui « changeait brusquement l'ordre établi depuis
douze années pour le recouvrement des impôts, » et la prier d'en surseoir
seulement l'exécution pour trois mois, « pendant lesquels il avait à faire
des propositions très-avantageuses au public[3]. » Il demanda en concluant
qu'une conférence eût lieu au Luxembourg entre quelques-uns des magistrats et
des ministres du roi. Le parlement y consentit, non sans peine ; et quoiqu'il
eût été seul invité chez l'oncle du roi, il y conduisit des membres des
autres cours souveraines. La
conférence s'ouvrit en présence de Gaston ; le cardinal Mazarin et le
chancelier ne manquèrent pas d'y assister. On discuta sur toutes les
propositions émanées de la chambre Saint-Louis. « Le chancelier insista fort
sur la nécessité de conserver les intendants dans les provinces et sur
l'inconvénient qu'il y aurait à faire le procès, comme l'arrêt du parlement
le portait, à ceux d'entre eux qui auraient malversé, parce qu'il serait
impossible que les partisans ne se trouvassent engagés dans ces procédures ce
qui serait ruiner les affaires du roi, en obligeant à des banqueroutes ceux
qui les soutenaient par leurs avances et par leur crédit[4]. » Mais les parlementaires se
montrèrent sourds à tout ce que les conseillers du roi purent alléguer en
faveur des intendants. Ce jour—là Mazarin, sans mesure dans ses caresses
comme dans ses invectives, joua un rôle assez étrange. Il accueillit gracieusement
les députés des quatre compagnies, et qualifia de restaurateurs de la France,
de pères de la patrie, ces mêmes hommes que peu de jours auparavant il
appelait rebelles et conspirateurs. Voyant le parlement inébranlable dans sa
décision sur les intendants, il ne contesta plus la suppression de ces
officiers, et demanda seulement que l'arrêt fût changé en déclaration royale,
« afin que le peuple eût au moins obligation de son soulagement à Sa Majesté.
» Les députés ne consentirent qu'avec peine à cette proposition, qui « passa
toutefois au plus de voix. » Le ministre promit aussi de rendre la liberté à
ceux des membres du grand conseil et de la cour des aides que le gouvernement
avait punis de leur opposition (8 juillet). Il
était impossible à d'Émery, contre lequel s'élevaient avec tant de force et
la clameur publique et des factions obstinées. ; de se maintenir, au milieu
d'Une situation aussi critique, dans sa charge de surintendant. Aussi sa
disgrâce fut-elle arrêtée entre la reine, le duc d'Orléans et Mazarin,
empressé d'acheter son repos par la perte de sa créature. Le lendemain il fut
destitué, et reçut l'ordre de se retirer « dans la plus éloignée de ses
maisons. » On le remplaça par le maréchal de la Meilleraye, « qui se
connaissait mieux à la guerre qu'aux finances, » mais « dont le cœur paraissait
au-dessus de l'avare convoitise des richesses. » Deux anciens conseillers
d'État, les sieurs d'Aligre et de Morangis, hommes de probité, considérés du
public et des cours souveraines, lui furent adjoints sous le titre de
directeurs. Le
nouveau surintendant fit porter au parlement, le 11 juillet, une déclaration
royale pour la révocation des intendants dans le ressort du parlement de
Paris, sauf en Picardie, en Champagne et en Lyonnais, où leurs fonctions et
leurs pouvoirs durent se borner à la surveillance et au soin des gens de
guerre. Cette exception excita les murmures de la compagnie ; car elle n'en
voulait aucune. Le gouvernement consentait aussi à remettre au peuple le
demi—quart de la taille pour 1648 et 1649, avec les arrérages des années 1644
à 1646. Le duc d'Orléans retourna deux jours après au Palais, et comme la
première déclaration n'avait pas été agréable aux magistrats, il leur
présenta successivement des lettres patentes établissant une chambre de
justice pour la recherche des malversations- financières ; et le lendemain,
une nouvelle déclaration, qui portait qu'à l'avenir il ne serait fait aucune
levée d'argent sans édits bien et dûment vérifiés. Mais cela 'ne suffisait
pas au parlement ; il comprenait en effet que le gouvernement « ne pensait
qu'à l'amuser et « qu'à autorises peur le passé toutes les impositions « qui
n'avaient pas été vérifiées. » Il entendait, dit Henri Martin, que l'effet
fût rétroactif sur les taxes qui se levaient par arrêts du conseil, et qu'à
l'avenir tous les édits d'impôts lui passassent- par les mains avant d'être
envoyés, s'il y avait lieu, aux autres- cours souveraines. Ces
débats entre la magistrature et la cour détruisaient tout le crédit des
ministres - : ils ne pouvaient ni emprunter des partisans, ni faire entrer
les contributions ordinaires dans le trésor public. Le peuple tournait ses
regards vers la chambre Saint- Louis, d'où il espérait voir sortir le
soulagement depuis longtemps promis à ses misères, et en attendant il
refusait de payer l'impôt. A Orléans et à Moulins, des émeutes éclataient
contre les percepteurs. Les campagnes montraient des dispositions non moins
hostiles que les villes. Des paysans attroupés pillaient les recettes, et ne
semblaient respirer que le trouble et le changement. La confiance
disparaissait, les bourses se fermaient, et tout restait en souffrance. Les
parlements de province, surtout ceux de Rouen et d'Aix, imitaient la
résistance du parlement de Paris. On avait encore à soutenir une guerre ruineuse,
et les armées n'étaient pas payées. Les ennemis triomphaient de ces
désordres, et devenaient chaque jour plus difficiles sur l'article de la
paix. La détresse était telle au Palais-Royal, que la régente fut réduite à
mettre en gages les pierreries de la couronne et les siennes propres, à
renvoyer quelques domestiques du roi i à diminuer jusqu'à la dépense de la
nourriture. Madame la Princesse lui prêta cent mille livres ; « la duchesse
d'Aiguillon lui offrit de l'argent, et beaucoup d'autres 'en firent autant[5]. » Mazarin, de son côté, « mit
de gros diamants en pension, » et fit un appel à l'obligeance de ses amis
pour solder les gardes suisses, qui ne voulaient rien perdre. Dans ce besoin
pressant le gouvernement obtint des magistrats, à force de sollicitations,
l'enregistrement des déclarations sur la révocation des intendants de justice
par tout le royaume, « excepté dans les provinces de Languedoc, Bourgogne,
Provence, Lyonnais, Picardie et Champagne, sur la remise du huitième de la
taille, et sur l'établissement d'une chambre de justice composée d'officiers
des cours souveraines.» Le parlement réclama néanmoins avec instance la
remise du quart entier de la taille, et continua l'examen des autres
propositions sorties de la chambre Saint-Louis. Cependant
la puissance excessive que s'attribuaient les magistrats fit craindre à la
reine que le parlement ne s'efforçât d'imiter la conduite de celui
d'Angleterre, alors en pleine révolte contre l'infortuné Charles Ier. Elle
s'irritait de voir chaque jour son autorité soumise à de nouvelles entraves,
et la modération qu'elle s'était imposée depuis quelque temps avait
d'ailleurs épuisé sa patience. La fière Anne d'Autriche ne pouvait souffrir
l'empire que prenait peu à peu cette troupe de mutins. » Elle s'écriait
parfois avec tristesse « qu'elle n'y entendait plus rien, que c'était
toujours à recommencer, et qu'elle était lasse de dire tous les jours nous
verrons ce qu'ils feront demain[6]. » Ne prévoyant point où
s'arrêteraient les entreprises du parlement, dont les délibérations se
prolongeaient indéfiniment, et blâmant la facilité de son ministre, facilité
qui augmentait l'espoir des révoltés, elle résolut de tenir un lit de justice
pour mettre fin aux assemblées de la chambre Saint-Louis. Comme « l'étoile
était alors terrible contre les rois, » elle suivit les conseils du cardinal
et usa de ménagements et d'adresse. Décidée à jeter encore une fois des
roses à la tête du parlement[7], elle fit dresser une
déclaration favorable aux libertés publiques, afin de le déterminer à
l'obéissance, disant qu'après cela, si les magistrats n'étaient pas sages et
ne renonçaient pas à leur opposition, « elle saurait bien les en punir. » Le 31
juillet, la reine et le ministre conduisirent au parlement le jeune roi,
accompagné du duc d'Orléans, des princes et des seigneurs de la cour. Sur son
passage, il ne fut point accueilli par les acclamations ordinaires ; un morne
silence précéda et suivit son cortége. Le chancelier donna lecture de la
déclaration mûrement délibérée en conseil, et dans laquelle on avait évité
avec soin tout langage impérieux et péremptoire. Elle rétablissait, selon les
ordonnances d'Orléans, Moulins et Blois, les fonctions de la justice, et
remettait un quart entier des tailles sur les années 1649 et suivantes ;
aucunes nouvelles impositions ne pouvaient être établies qu'en vertu d'édits
bien et dûment vérifiés ; en continuant celles qui se levaient actuellement
dans l'étendue du royaume on supprimait ou diminuait les plus onéreuses pour
le peuple. Les- officiers dépouillés de leurs gages devaient en recouvrer un
quart en 1648, puis moitié en 1650 jusqu'à ce que l'état des affaires permît
de leur en payer davantage. Les deux édits de 1645 et 1646, sur le rachat du
domaine et le toisé des faubourgs de Paris, étaient révoqués et quelques
autres nouveaux offices supprimés, ainsi que les douze charges des maîtres
des requêtes, dont la création avait excité les premières plaintes du
parlement. Après avoir proclamé son intention de réunir, le plus tôt
possible, un conseil composé des princes, ducs, pairs, officiers de la
couronne et principaux officiers des cours souveraines, afin de pourvoir à un
bon règlement sur le fait de la justice et des finances, le roi défendait aux
députés des quatre compagnies de continuer les assemblées de la chambre
Saint-Louis, et enjoignait à sa cour de parlement de rendre à ses sujets la
justice dont l'exercice avait été longtemps suspendu[8]. La
harangue du président Molé, semée d'invectives contre les financiers, qui
précéda la lecture de cette déclaration, et celle, pleine de force et
d'habileté, de l'avocat-général Talon, qui la suivit, prouvèrent leur volonté
de résister au pouvoir absolu. L'avocat général ayant conclu à
l'enregistrement, suivant la coutume le chancelier fit le-tour de la salle et
prit les avis pour la forme. Quelques conseillers poussèrent l'audace jusqu'à
lui répondre qu'il en serait délibéré le lendemain. Revenu à sa place, le
chancelier parla à la reine, au duc d'Orléans et au cardinal Mazarin, et
termina la séance en annonçant aux quatre cours souveraines le rétablissement
du droit annuel, sans aucune condition. Lorsque
le cortége royal sortit de la grand'chambre, Aune d'Autriche « dit au premier
président qu'elle attendait de lui qu'il obéirait aux ordres du roi, et
empêcherait que désormais le parlement ne s'assemblât. » Puis se tournant
vers le président de Bellièvre, elle lui remontra « que c'était à lui à
commencer et à « tenir sa chambre de la Tournelle. » Tous les deux
l'assurèrent avec respect de leur obéissance ; mais ils ne purent remplir
leur promesse. En
effet, dès le lendemain, les conseillers des enquêtes, au mépris de la
défense du roi, demandèrent à délibérer sur la déclaration enregistrée la
veille et sur les articles de la chambre Saint-Louis. Le premier président
leur représenta vainement qu'ils ne devaient plus songer qu'à rendre la
justice ; il fallut consentir à une nouvelle réunion des chambres. Le duc
d'Orléans s'y rendit et déclara que l'intention du roi était qu'on cessât les
assemblées. Les plaintes les plus vives s'élevèrent aussitôt de toutes parts.
On trouvait la déclaration captieuse et peu sincère. Elle ne remédiait pas
aux maux du peuple ; il y avait bien d'autres griefs à redresser ; à la
vérité le chancelier avait défendu les assemblées de la chambre Saint-Louis,
mais non celles de toutes les chambres ; il était du devoir des magistrats de
soulager plutôt la misère publique que de rendre justice à quelques
particuliers. En
dépit de tous les efforts du duc d'Orléans qui, pendant les trois jours que
dura la délibération, se récria sur l'insigne désobéissance du parlement,
menaça et feignit de vouloir se retirer avec éclat, la majorité se laissa
entraîner par l'avis d'un conseiller de la grand’chambre, le sieur Broussel.
Il avait proposé de nommer des commissaires pour faire un rapport à la
compagnie sur la déclaration royale, et de continuer cependant l'examen du
reste des articles de la chambre Saint-Louis. Lorsqu'il s'agit de compter les
voix afin de former l'arrêt, le duc d'Orléans se réunit à l'avis de Broussel,
et demanda seulement que la délibération fût différée de quinze jours,
pendant lesquels les magistrats s'occuperaient de rendre la justice aux
sujets du roi. Le prince, que le parlement avait intérêt à ménager, n'obtint
pas sans difficulté l'ajournement proposé et dont quelques jours furent
retranchés. On remercia le roi d'avoir rendu le droit annuel aux quatre cours
souveraines de Paris ; puis quatre conseillers furent chargés de préparer le
rapport demandé par Broussel, et l'assemblée générale renvoyée au lendemain
de la Notre-Dame d'août. Dès le jour suivant le parlement reprit ses
audiences judiciaires (6 août). Cette
trêve de onze jours donna à la régente le temps de prendre les mesures
nécessaires pour éclairer les démarches de quelques personnes sans doute
intéressées à ne pas laisser éteindre le feu qui couvait toujours. Déjà sur
quelques soupçons elle avait fait arrêter, le 2 août, l'intendant du duc de
Vendôme venu à Paris pour offrir aux parlementaires les services et
l'assistance de son maitre. Peu inquiets d'augmenter les chagrins de la
reine, les magistrats avaient cru devoir intervenir dans cette affaire. En
présence même du duc d'Orléans, ils lui avaient envoyé une requête au nom de
ce prisonnier, dont les papiers avaient été saisis et a qui demandait d'être
élargi et interrogé selon les volontés du parlement. » Mais, au mépris de
cette requête, l'intendant avait été transféré le soir de la Bastille au bois
de Vincennes. Le
conseiller Broussel jouait un rôle important parmi les personnages que leur
vive opposition au gouvernement, rendait suspects à la régente. Ce vieillard
de soixante-treize ans, opiniâtre et fougueux, n'avait pu obtenir pour son
fils une lieutenance aux gardes : Depuis ce moment, il haïssait profondément
le ministre et déclamait sans cesse contre la cour. « Instrument ce des chefs
de parti dans le parlement, qui mettaient toujours dans sa bouche ce qu'ils
avaient dans l'esprit, il proposait les partis les plus hardis, et croyait
les avoir imaginés[9]. » Aucun membre de la compagnie
ne rejeta plus obstinément que lui tous les édits sur les impôts ; aussi le
peuple, témoin de cette fermeté, le bénissait-il tout haut, et le
regardait-il comme son tribun. Ceux
qui, suivant l'exemple du vieux Broussel ; excitaient la fermentation dans le
parlement, étaient le brouillon d'ex-garde des sceaux Châteauneuf,
Fontrailles, l'agent de la conspiration de Cinq-Mars, Montrésor et
Saint-Ibal, reste de la cabale des importants, et l'ancien ministre Chavigni
qui s'était joint à eux. Mais on regardait comme le plus dangereux de tous
Jean-François-Paul de Gondi, coadjuteur de l'archevêque de Paris, et si
fameux depuis sous le nom de cardinal de Retz. L'illustration de sa famille
remontait à Albert, devenu maréchal de France par la faveur de Catherine de
Médicis. Né en 1614, à Montmirail, d'Emmanuel de Gondi, général des galères
et chevalier des ordres du roi, il eut pour précepteur l'illustre Vincent de
Paul ; « mais le saint confesseur d'Anne d'Autriche ne put former à sa guise
le caractère peu évangélique de son élève ; et, ainsi que l'a spirituellement
remarqué M. Audibert, il en fit un saint à peu près comme les jésuites firent
de Voltaire un- dévot[10]. » Devenu le cadet de sa
famille par la mort du second de ses frères, il embrassa l'état
ecclésiastique, quoiqu'il n'en eût ni le goût, ni l'esprit, à ce qu'il dit
lui-même. Il voulut du moins se rendre illustre dans son ordre ; il étudia la
théologie avec ardeur, et soutint des thèses brillantes. La discussion
théologique et ses prédications dans les couvents, les paroisses et la
cathédrale de Paris, prédications dont le succès oratoire, constaté avec
emphase par le témoignage de Balzac, n'a cependant pas laissé de traces dans
l'histoire littéraire, le formèrent à cette éloquence souvent applaudie du
parlement et des conciliabules de la fronde. A l'âge de dix-huit ans, il se
fit l'historien ou plutôt le panégyriste de Fiesque, dont il était admirateur
passionné. Après avoir lu cet ouvrage, qui lui sembla un manifeste de parti,
Richelieu, comprenant le caractère de l'auteur par la vivacité des éloges
accordés au héros et l'ardeur des sympathies, s'écria : « Voilà un homme
dangereux. » Il disait vrai : le jeune ecclésiastique, mêlé aux complots du
comte de Soissons contre le grand ministre, ne rêva désormais, comme son
idéal, que la gloire des chefs de parti. Malgré
le jugement porté par Richelieu sur le futur adversaire de son successeur,
Anne d'Autriche fit nommer Paul de Gondi coadjuteur de l'archevêque de Paris,
son oncle. Si l'incapacité de ce vieux prélat laissait peser sur lui tout le
fardeau des fonctions archiépiscopales, il jouit seul aussi de toute
l'influence inhérente à la dignité dont il était revêtu, et il sut
l'exploiter avec tant d'habileté que bientôt il obtint un merveilleux crédit
parmi le peuple. Plus tard il voulut joindre à la crosse le bâton de
gouverneur de Paris. La reine, qui désapprouvait ses prétentions et sa
vanité, se garda bien de satisfaire son ambition. Jusque alors il avait
refusé d'entrer dans la cabale des importants, et n'avait pris aucune part
aux premières émotions qu'avaient soulevées les démêlés entre le parlement et
la cour. Mais l'injustice par laquelle il se croyait provoqué, la préférence
que la régente accordait dans sa faveur au cardinal Mazarin, et les conseils
de Laigues, Saint-Ibal et Montrésor, ses parents, jetèrent au milieu des
factions ce caractère audacieux et bouillant, plein de vanité et d'intrigue. Dès ce
moment Paul de Gondi n'épargna aucun effort pour augmenter sa popularité Il
répandit de nombreuses largesses, et il ne craint pas d’avouer que, du 28
mars au 27 août de cette année 1648, il dépensa trente-six mille écus en
aumônes et en libéralités « très-souvent sourdes, dont l'écho n'en était
quelquefois que plus résonnant. » Ce fut surtout parmi les membres du
parlement qu'il souffla la rébellion avec le plus d'activité et de succès. Il
nous a peint au naturel sa conduite dans les conventicules où il se trouvait
avec les jeunes conseillers, ennemis de Mazarin et chaque jour plus empressés
à contrôler les volontés royales : conduite artificieuse et séduisante.
Nourri de la lecture de l'histoire romaine, le coadjuteur les affermissait
dans la résistance, et excitait leur enthousiasme par les sentiments
d'honneur et de patriotisme. Ils se devaient, disait-il, au salut des
peuples, dont ils étaient les protecteurs et l'unique ressource. Puis le
prélat plaignait ce peuple gémissant sous le poids des impôts et de la
misère, les troupes mal payées et souffrantes le clergé opprimé, la noblesse
méprisée, le commerce languissant, la gloire de la France compromise dans une
guerre interminable, par l'aveugle prévention d'Anne d'Autriche, en faveur
d'un ministre qui, s'érigeant en Richelieu, n'en était que l'impudent
imitateur. Cet
homme singulier, doué au plus haut degré du génie de l'intrigue et d'une rare
présence d'esprit, si habile dans l'art de tourner à son avantage les
occasions que lui offrait la fortune, dont l'imagination forte et ardente ne
rêvait qu'émeutes et révolutions populaires, n'eut jamais un système de
conduite et un but déterminés, et c'est pour cela qu'il n'a point obtenu de
place parmi les hommes d'État. « On a de la peine à comprendre, dit le
président Hénault, comment un homme qui passa sa vie à cabaler n'eut jamais
de véritable objet. Il aimait l'intrigue pour intriguer : esprit hardi,
délié, vaste et un peu romanesque ; sachant tirer parti de l'autorité que son
état lui donnait sur le peuple, et faisant servir la religion à sa politique
; cherchant quelquefois à se faire un mérite de ce qu'il ne devait qu'au
hasard, et ajustant après coup les moyens aux événements. Il fit la guerre au
roi ; mais le personnage de rebelle était ce qui le flattait le plus dans la
rébellion. Magnifique, bel esprit, turbulent, ayant plus de saillies que de
suite, plus de chimères que de vues, déplacé dans une monarchie, et n'ayant
pas ce qu'il fallait pour être républicain, parce qu'il n'était ni sujet
fidèle ni bon citoyen. Aussi vain, plus hardi et moins honnête que Cicéron ;
enfin ayant plus d'esprit, mais moins grand et moins méchant que Catilina[11], » L'œuvre
capitale de Paul de Gondi, ce sont les Mémoires qu'il a laissés à la
postérité. Après avoir joué le premier rôle dans lés conspirations et les
guerres civiles, il entreprit de les raconter comme Salluste et de les
écrire. Rien n'égale la puissance d'intelligence avec laquelle l'auteur de
ces Mémoires saisit l'ensemble des faits, et la sagacité qu'il déploie en
appréciant les événements. La touche qui lui sert à peindre le caractère des
hommes, le masque et le jeu des principaux personnages de son époque, la
situation générale et l'esprit mouvant des choses, est tout à la fois
délicate et énergique. Comme narrateur, le cardinal de Retz laisse bien loin
derrière lui tous ses contemporains ; son récit large et simple fait naître
l'intérêt et le ménage avec art. Aucun écrivain ne met mieux en scène ses
acteurs, et ne montre plus de naturel et de clarté. Tel
qu'on vient de le représenter d'après lui—même, Retz ne devait pas souffrir
avec patience les délais qui suspendaient les opérations du parlement et
comprimaient les désirs ambitieux de tous les intrigants dont il était l'âme.
Mais l'expiration de la trêve ne tarda pas à ranimer ses espérances. En
effet, le surlendemain de l'Assomption, le parlement reprit la délibération
sur la déclaration royale ; il en examina les articles tout au long et par
ordre, rédigeant des remontrances sur les uns et rendant arrêt sur les
autres. La suppression du quatrième, celui qui maintenait les -taxes
existantes, qu'elles eussent été établies régulièrement ou non, désespéra la
cour. Cette fois encore les magistrats refusèrent formellement d'ajouter à
leur arrêt : sous le bon plaisir du roi, et firent l'acte le plus violent
dont ils se fussent encore avisés, en ordonnant des informations contre trois
financiers « qui s'étaient trop enrichis sous d'Emery, » et qu'on accusait
d'avoir prêté de l'argent au roi sur, les gages retenus aux officiers (22 août). C'était ainsi les désigner à
la haine publique et exposer leurs maisons au pillage. « Ils échappèrent à
cette fâcheuse aventure par un bonheur extraordinaire[12]. » Le
gouvernement n'avait donc rien gagné par ses délais ; la faiblesse du
ministre avait porté ses fruits. L'agitation et la résistance du parlement
continuaient et mettaient à de terribles épreuves la patience de la reine. La
bourgeoisie commençait aussi à se remuer ; les Parisiens semblaient
déterminés à suivre l'exemple des Napolitains, si on leur demandait de
l'argent ; des écrivains se plaisaient à répandre 'une foule de pamphlets et
d'invectives pour exciter le mépris du peuple, et dans toute la ville circulaient
des chansons injurieuses sur Anne d'Autriche et Mazarin. Alors les partis
formés depuis quelque temps se déclarent et se régularisent : alors
apparaissent sur la scène politique les frondeurs, les mazarins
et les mitigés. Les
premiers sont les ennemis du cardinal et les censeurs du gouvernement. Leur
domination doit son origine aux jeux des enfants de la populace, qui,
partagés en plusieurs bandes dans les fossés de Paris, se livraient bataille
avec des frondes, se dispersaient quelquefois devant les archers envoyés pour
les séparer, et souvent osaient les poursuivre. Un membre du parlement ayant
comparé les alternatives de sa compagnie au flux et reflux de ces troupes de
frondeurs tantôt cédant à l'autorité, tantôt lui résistant, le nom resta et
devint tellement à la mode, que les étoffes, les habits, les dentelles, les
bijoux, les repas, les équipages, tout fut à la fronde. Parmi les adversaires
de la cour on compte une foule de conseillers des enquêtes qui ne songent plus
aux affaires du Palais, ne prennent de plaisir qu'aux discussions de la politique
et se croient déjà ministres d'État. A la tête de cette jeunesse impatiente
d'arriver à la réputation ou à la fortune, se_ trouvent quelques magistrats
plus âgés et plus sérieux, pleins d'animosité personnelle contre le ministre,
et déclamant toujours sur les abus, vrais ou faux, du gouvernement. Le
président Potier de Blancmesnil est irrité de la disgrâce de l'évêque de Beauvais,
son parent, que le cardinal remplacé dans les conseils de la régente. René Longueil
de Maisons, conseiller de la grand'chambre, homme avide de nouveautés et
d'intrigues, intelligent et hardi, « d'un esprit noir, décisif et dangereux,
» n'a pu obtenir, malgré ses vives instances, une charge de président pour
son frère, et pour lui-même celle de chancelier de la reine. Le président
Viole partage le mécontentement de son ami, l'ex-ministre. Chavigni, qui
accusait Mazarin de l'avoir « cruellement joué dans les premiers jours
de la régence, » d'avoir contribué à sa chute. Un autre président, Charton,
esprit turbulent et séditieux, déteste les ministres par le seul motif qu'ils
jouissent de l'autorité. Les mazarins étaient les approbateurs exclusifs de la politique du cardinal et de la cour, et les mitigés, ceux qui, placés entre les deux partis, s'efforçaient d'arrêter leurs écarts et de les maintenir dans la légalité. Au milieu de ces hommes sages, circonspects et amis de la paix, brillait le premier président Matthieu Molé, dont les historiens vantent la fermeté inébranlable, le courage dégagé d'ambition, et l'ardent amour de la patrie. Guidé par une sage philosophie, il aimait mieux être homme de bien que de le paraître. Il avait une sagacité rare pour démêler, dans les entretiens particuliers, les vues ambitieuses, et prévoir les entreprises qu'elles pouvaient occasionner. Quoiqu'il ne fût pas initié à toutes les finesses de la langue, ses discours, à travers quelque rudesse d'expression, renfermaient des pensées fortes, beaucoup de netteté et de justesse ; son éloquence était mâle, pressée, conforme à l'empreinte de son génie. L'air noble de ce digne magistrat, son maintien assuré au milieu des cris -et des hurlements de la foule ameutée, dont il apaisait les menaces d'un seul regard, imposaient le respect et la crainte aux plus séditieux. Un esprit juste et pénétrant, une facilité singulière à s'énoncer, le talent de la persuasion, une austérité de mœurs irréprochable, un désintéressement inouï jusque alors lui donnèrent une grande influence à la cour et dans le parlement. « Si ce n'était pas un blasphème, écrivait le cardinal de Retz, de dire qu'il y a eu, quelqu'un dans notre siècle de plus intrépide que Gustave et que M. le Prince, je dirais que ç'a été Molé. » En effet, c'était un des héros de la Grèce ou de Rome au milieu de Paris. |
[1]
Journal du Parlement, p. 7-28. — Mémoires d'Omer Talon.
[2]
Mémoires de Mme de Motteville.
[3]
Mémoires du cardinal de Retz.
[4]
Mémoires du cardinal de Retz.
[5]
Mémoires de Mme de Motteville.
[6]
Mémoires de Mme de Motteville.
[7]
Mémoires de Mme de Motteville.
[8]
Mémoires de Mme de Motteville.
[9]
Voltaire, Histoire du parlement de Paris.
[10]
Plutarque Français, de Mennechet ; notice sur le cardinal de Retz.
[11]
Abrégé chronologique de l'Histoire de France.
[12]
Mémoires de Mme de Motteville.