Faiblesse de
l'Assemblée nationale en présence de l'émeute. — Séance mémorable du 4 août.
— Lettre de Louis XVI à l'archevêque d'Arles. — Chute définitive du système
féodal. — Fin de la révolution sociale. — La révolution politique reste
seule. — Le roi choisit de nouveaux ministres dans l'Assemblée. —Situation
alarmante du royaume exposée à l'Assemblée par le garde des sceaux. — Necker
propose un emprunt de trente millions. — Situation des partis dans
l'Assemblée. — Déclaration des droits de l'homme. — Discussions orageuses sur
le pouvoir législatif et le veto. — Anarchie dans la Capitale. — Grande
agitation au Palais-Royal. — Le marquis de Saint-Huruge. — Députations
diverses à l'Hôtel-de-Ville et à Versailles. — Arrêté de la Commune contre
les attroupements du Palais-Royal. — Veto suspensif accordé au roi. — Débats
sur le droit de succession. — Attitude de Mirabeau. — Son entretien arec le
marquis de Virieu. — Décision de l'Assemblée. — Observations de Louis XVI sur
les décrets du 4 août. — Plan financier de Necker. — Vote de confiance
sollicité par Mirabeau dans un admirable discours. — Dons patriotiques.
Pendant
que les flammes dévoraient les grandes propriétés du royaume et que de toutes
parts, au nom de la liberté, s'accumulaient des forfaits et des ruines, que
faisait l'Assemblée nationale ? Usait-elle de son pouvoir pour meure fin aux
troubles qui agitaient les provinces, pour réprimer les désordres et punir
les dévastateurs ? Hélas ! non. Cette assemblée si forte et si orgueilleuse,
lorsqu'il s'agissait de résister à la royauté et de la dépouiller de ses
prérogatives, restait sans énergie et tremblait en présence de l'émeute à qui
elle devait tout ; elle subissait alors le joug de la multitude dont elle
avait sollicité les services. Une preuve assez frappante de cette situation,
c'est de n'avoir pas osé installer à la présidence le député Thouet, éminent
légiste de Rouen, connu par la noble indépendance de son caractère, et choisi
par la majorité pour remplacer M. de Liancourt. Alarmée de la fermentation du
parti populaire, mécontent de n'avoir point obtenu l'élection de l'abbé
Sieyès, et des menaces impérieuses, que proférait le Palais-Royal, elle se
désista et nomma M. Chapelier. C'est à peine si nous en croyons le Moniteur,
lorsque nous voyons, au milieu de l'anarchie qui s'étendait sur la France,
l'Assemblée nationale s'occuper froidement de magnifiques plans de
constitution, de grands projets, de sublimes invocations à la liberté et à
l'égalité. Le moment paraissait-il convenable pour de semblables débats ? Depuis
quelques jours en effet elle avait commencé ses travaux sur la constitution
et discutait la fameuse déclaration des droits de l'homme, qui servit de type
à toutes celles que nous avons vues plus tard. Une question préliminaire
partageait les opinions : une déclaration des droits était-elle nécessaire ?
Si elle était nécessaire, devait-elle précéder ou suivre la constitution ?
Tel fut pendant plusieurs séances le sujet d'une grave délibération. Parmi
les questions incidentes que soulevèrent divers orateurs, on remarqua la
proposition de l'abbé Grégoire, tendant à joindre la déclaration des devoirs
à celles des droits. Les difficultés d'exécution qu'elle présentait, la
firent rejeter. Enfin le 4 août au matin, l'Assemblée décida qu'en tête de
l'acte constitutionnel serait placée une déclaration des droits de l'homme et
du citoyen. Le même
jour, dans la soirée, s'ouvrit, une des séances les plus mémorables dont les
fastes parlementaires, aient conservé le souvenir. A la sollicitation du
pouvoir exécutif, l'Assemblée, s'occupant enfin des moyens propres à calmer
les troubles et les désordres qui se multipliaient dans les provinces, avait
chargé un comité de lui présenter un projet de déclaration solennelle afin de
rappeler le peuple au respect pour les personnes et les propriétés. Target se
leva et donna lecture de ce projet ; il prescrivait le paiement des impôts et
celui des redevances et prestations accoutumées que le peuple ne voulait plus
acquitter. 11 avait à peine achevé, que le vicomte de Noailles, simple cadet
de famille, jaloux d'obtenir une popularité égale à celle de son beau-frère,
le marquis de La Fayette, se précipite à la tribune, et, motivant son opinion
sur les maux actuels du royaume, auxquels on ne pouvait remédier que par des
sacrifices, il propose l'égalité dans l'impôt, l'abolition des droits
féodaux, moyennant rachat, la destruction, sans rachat, des corvées
seigneuriales, des mainmortes et autres servitudes personnelles. Le jeune duc
d'Aguillons, le seigneur le plus opulent après le roi, et l'un des chefs du
club breton, appuie avec force cette motion, qui est vivement applaudie.
Après lui un propriétaire cultivateur de la Bretagne, Le Guen de Kerengal,
paraît à la tribune, en habit de paysan, et lit avec peine un discours
composé de déclamations provocatrices, dans lesquelles il fait un tableau
effrayant des abus de la féodalité. Aussitôt un délire d'abnégation s'empare
de tous les membres de l'Assemblée. C'est à qui donnera le plus, à qui
inventera une nouvelle destruction[1]. Un gentilhomme de province,
Foucault d'Ardimalie, s'élève contre l'abus des pensions de cour ; MM. de
Guiche et de Mortemart lui répondent vivement que la haute noblesse était
disposée à tout sacrifier. Le duc. du Châtelet propose de convertir les dîmes
en redevances rachetables à volonté ; le vicomte de Beauharnais, l'égalité
des peines, pour tous les citoyens, et leur égale admission à tons les
emplois militaires, ecclésiastiques et civils ; le comte de Custine, de
porter à un taux moins élevé, les conditions de rachat indiquées par le duc
d'Aguillons ; M. Cotin, l'abolition des justices seigneuriales ; le vicomte
Mathieu de Montmorency de décréter sur-le-champ toutes les motions qui
viennent d'être faites[2]. Au
milieu de l'enthousiasme de l'Assemblée nationale, Chapelier, son président,
invite le clergé à faire connaître ses sentiments. M. de Lafare, évêque de
Nancy, se levant alors, exprime, au nom des membres du clergé, un vœu qui
honore à la fois la justice, la religion et l'humanité. Il adhère au rachat
des féodalités ecclésiastiques, à condition que le prix sera employé en
fondations utiles, pour le soulagement de l'indigence. Ensuite l'évêque de
Chartres, M. de Lubersac, présente comme un acte de justice l'abolition du
droit exclusif de chasse. Une multitude de voix s'élève aussitôt. Toute la
noblesse, transportée d'une sorte d'ivresse philanthropique, veut consommer à
l'heure même cette renonciation ; le clergé se lève pour appuyer la
proposition du prélat, et dans toutes les parties de la salle l'âme française
éclate avec un entraînement sans exemple. La délibération demeure quelque
temps suspendue au milieu d'un concert d'applaudissements, des cris de
reconnaissance du Tiers-état et des tribunes frémissantes. Dès que
le silence a pu se rétablir, la noblesse se livre à tin redoublement de
générosité[3]. Lepelletier de Saint-Fargeau
désire que l'abolition des privilèges et des exemptions tourne immédiatement
à l'avantage du peuple. Chaque idée de sacrifice est rapidement suivie d'une
autre. L'un demande la suppression des garennes, l'autre, celle des droits de
pêche. M. de Richer propose d'abolir la vénalité des offices, et le comte de
Virieu, le droit exclusif de colombier. « Comme Catulle, dit-il, je regrette
de n'avoir à offrir en sacrifice qu'un moineau. » Le duc de la Rochefoucauld
parle en faveur de l'affranchissement des serfs du royaume et des noirs que
la cupidité retient dans l'esclavage sous un autre hémisphère. M. Thibault,
curé de Souppes, apporte, au nom de ses confrères, le denier de la veuve, et
demande qu'il leur soit permis d'abandonner leur casuel. A ces mots
retentissent de nouveaux applaudissements. Duport, ému de ce noble dévouement
des curés, réclame, au contraire, l'augmentation des portions congrues pour
cette classe des ministres du culte, et l'Assemblée adopte à l'unanimité, sa
proposition. Toutes
ces motions généreuses étaient reçues avec de bruyantes acclamations.
L'édifice féodal s'écroulait au milieu de l'exaltation, de l'ivresse générale
de l'assemblée, que s'efforçaient d'entretenir les députés des communes par
des félicitations prodiguées à chaque nouvel abandon. Parmi les représentants,
les uns debout, et confondus pêle-mêle au milieu de la salle, s'agitent et
parlent à la fois ; les autres se pressent sur les marches du bureau pour
déposer l'acte de leur renonciation sur l'autel de la patrie. L'assemblée
présente le tableau le plus vif et le plus animé. Il est presque impossible
aux secrétaires d'énumérer tous les sacrifices ; on renvoie au jour suivant
la rédaction en décrets des résolutions entassées et précipitées de cette
séance. Témoin de cet enthousiasme porté jusqu'au délire et redoutant les
excès d'une impulsion que semble avoir donnée une invisible main,
Lally-Tollendal fait passer un billet au président : « Personne n'est plus
maître de soi, lui dit-il levez la séance. » Mais tous les sacrifices ne sont
pas encore épuisés ; de nombreuses voix demandent que les provinces, à
l'exemple du clergé et de la noblesse, abandonnent les droits, chartes,
franchises, qui pèsent sur la plus grande partie du royaume, st s'opposent à
l'égale répartition de l'impôt. Après
un moment de tumulte, las représentants du Dauphiné proposent, les premiers,
cette renonciation. La voie était ouverte : on y voit entrer aussitôt les
représentants de la Bretagne, de la Provence, de la Bourgogne, de la Bresse,
de la Normandie, du Poitou, du Languedoc, de l'Auvergne, de la Franche-Comté,
de l'Alsace, de la Lorraine, de l'Artois. Puis arrive le tour des villes dont
les députés immolent tous les privilèges à l'intérêt général de la patrie.
Ainsi tombent tout à coup les barrières qui divisaient le royaume ; plus de
pays d'états, plus de privilèges particuliers, plus de libertés locales,
l'égalité des droits est rétablie entre toutes les parties du territoire ; il
n'y n plus qu'une seule loi, une seule famille, une grande nation, la nation
française. Le duc
de Liancourt propose alors qu'une médaille soit frappée, afin de consacrer
cette scène de patriotisme unique dans les annales de l'histoire, et
l'archevêque de Paris qu'on chante un Te Deum solennel en action de grâces, «
Messieurs, » dit Lally-Tollendal, jaloux de rattacher la Révolution à Louis
XVI, « au milieu des élans du patriotisme, ne devons-nous pas nous souvenir
du roi qui nous a convoqués après deux cents ans d'interruption, qui nous a
invités à l'heureuse réunion des esprits et des cœurs, qui se fait
aujourd'hui. C'est au milieu de la nation que Louis XII fut proclamé le père
du peuple ; c'est au milieu de l'Assemblée nationale que nous devons
proclamer Louis XVI le Restaurateur de la liberté française. » Cette
proposition touchante produisit sur les esprits de l'Assemblée une impression
difficile à décrire. Elle fut votée par acclamation[4]. Lorsque
le président eut passé en revue chacune des motions présentées dans la
séance, on reconnut que l'Assemblée avait arrêté : L'abolition
de la qualité de serf et de la mainmorte, réelle ou personnelle, sans
indemnité ; La
faculté de rembourser les droits seigneuriaux ; L'abolition
des justices seigneuriales sans aucune indemnité ; La
suppression du droit exclusif de fuies et colombiers, de chasse, de garennes,
de toutes capitaineries même royales, et de toute réserve de chasse, sous
quelque dénomination que ce soit ; Le
rachat possible de la dîme ; L'égalité
des impôts ; L'abolition
de la vénalité des offices et la déclaration d'une justice rendue
gratuitement ; L'abolition
de tous les privilèges et immunités pécuniaires ; L'admission
de tous les citoyens, sans distinction de naissance, aux emplois et dignités
ecclésiastiques, civils et militaires ; La
destruction de tous privilèges particuliers des provinces et des villes ; L'abolition
du droit de déport, de côte-morte et va-cal, des annates, de la pluralité des
bénéfices ; La
réformation des jurandes ; La
suppression des pensions non méritées[5]. On
décida qu'une médaille serait frappée et que l'Assemblée nationale se
rendrait en corps auprès du roi pour lui porter le titre de Restaurateur
de la liberté française, et le prier d'assister au Te Deum
solennel. Il
était deux heures du matin lorsque les députés se séparèrent. Cette
nuit du 4 août, qui fut véritablement la nuit des sacrifices, restera
dans notre histoire comme l'une de ses plus grandes pages. Rien de plus beau
en effet que cette lutte de générosité patriotique entre le clergé et la
noblesse. Mais, nous devons le dire, le temps paraît mal choisi pour ce
complet abandon de tous les anciens droits et du système politique de la
France. Dans cette lutte, si féconde en merveilles de désintéressement, les
deux premiers ordres de l'état semblaient vouloir donner raison aux atroces
vengeances de la multitude et n'obéir qu'à l'incendie. Qu'attendre désormais
de cette multitude déchaînée par de fougueux tribuns ? Ne pouvait-elle pas
croire que ses coups étaient des lois devant lesquelles toute puissance
devait courber la tête ? Tous
ceux que les sacrifices du 4 août avaient frappés, éclatèrent en plaintes
contre la noblesse et le clergé. Ils leur reprochaient « d'avoir immolé
la propriété de plusieurs milliers de familles à une vaine captation de popularisme[6] » ou à la frayeur, d'avoir
abattu l'édifice avant d'avoir formé le plan de reconstruction. Ils
demandaient quel était le mérite de cette générosité facile, qui prodiguait
ce qui ne lui appartenait pas ; comment ces graves représentants de la
nation, qui employaient plusieurs séances à discuter sur des choses peu
importantes, avaient Osé entasser autour d'eux tant de ruines, et bouleverser
en quelques heures toute la face du royaume. Il est évident, ajoutaient-ils,
que ces décrets rendus tumultueusement, sans délibération préalable, sont le
produit de l'ivresse, et non l'ouvrage de la sagesse d'une assemblée de
législateurs. A la
nouvelle de cette révolution législative, tout Paris poussa une acclamation
de joie immense. Quant au roi, il en fut profondément troublé ; il voyait
dans les derniers actes de l'Assemblée une admirable générosité de sentiments
et en même temps une impardonnable folie. Aussi écrivit-il à l'archevêque
d'Arles : « Je
suis content de cette démarche noble et généreuse des deux premiers ordres de
l'État. Ils ont fait de grands sacrifices pour la réconciliation générale,
pour leur patrie, pour leur roi. Je porte dans mon cœur tout ce qui a été
fait dans cette séance où tous les privilèges ont été sacrifiés. Le sacrifice
est beau ; mais je ne puis que l'admirer ; je ne consentirai jamais à
dépouiller mon clergé, ma noblesse, à priver l'un des droits acquis à
l'église gallicane par une antique possession, par le vœu des fidèles, par
les dons des rois mes aïeux ; à souffrir que l'autre soit dépouillée de tout
ce qui faisait sa gloire, du prix de ses services, de ces titres, de ces récompenses
dues aux vertus civiques et guerrières de la noblesse française. De belles
actions leur avaient mérité des privilèges ; le roi de France doit les leur
conserver. Je ne donnerai point nia sanction à des décrets qui les
dépouilleraient : c'est alors que le peuple français pourrait un jour
m'accuser d'injustice ou de faiblesse. Monsieur l'archevêque, vous vous
soumettez aux décrets de la Providence ; je crois m'y soumettre en ne me
livrant point à cet enthousiasme qui s'est emparé de tous les ordres, mais
qui ne fait que glisser sur mon âme. Je ferai tout ce qui dépendra de moi
pour conserver mon clergé et ma noblesse. Si la volonté du peuple se
prononçait, j'aurais fait mon devoir ; si la force m'obligeait à sanctionner,
alors je céderais. Mais alors il n'y aurait plus en France ni monarchie, ni
monarque, et ces deux choses ne peuvent subsister qu'aux lieux où le clergé
forme un ordre auguste et respecté ; où la noblesse jouit de quelque
considération et peut se placer entre le peuple et le roi. Les moments sont
difficiles, je le sais, monsieur l'archevêque, et c'est ici que nous avons besoin
des lumières du ciel ; daignez-les solliciter, nous serons exaucés. Signé Louis[7]. » Il ne
restait plus qu'à transformer en décrets les résolutions générales de
l'Assemblée. Quand elle voulut discuter les détails d'exécution, de grandes
difficultés se présentèrent. Le tumulte des pensées s'était apaisé, et déjà
la réflexion avait succédé au délire de l'enthousiasme ; on comprenait que la
prudence aurait dû apporter à la destruction des privilèges le temps et la
mesure, qu'avant d'enlever au régime féodal ses dernières dépouilles, il
aurait fallu connaître la situation exacte des finances, la dette et les
ressources de l'État. Plusieurs députés, inquiets des reproches de leurs
commettants et ne pouvant se défendre d'un amer retour, paraissaient disposés
à resserrer les concessions qu'ils avaient faites le 6, la discussion
commença ; elle fut vive et animée. Un article important, celui des dîmes,
que l'Assemblée avait déclarées rachetables, souleva de violents débats, dans
la séance du 10, surtout entre Sieyès et Mirabeau, absents la nuit des
sacrifices, et qui n'en approuvaient pas les résultats. « Il
est certain, dit celui-ci, dans le Courrier de Provence, que la séance
du 4 août 1789 offrait à des observateurs un spectacle singulier. Des hommes
d'un rang distingué proposant l'abolition du régime féodal et la restitution
des premiers droits du peuple (car ce ne sont pas eux qui ont déshonoré ces
actes en les appelant des sacrifices), excitèrent des acclamations
universelles, espèce de tribut qu'on paye tous les jours à des phrases
purement, de mode, et qu'on ne Pouvait refuser à des sentiments patriotiques.
Pour qui connaît les grandes assemblées, les émotions dramatiques dont elles
sont susceptibles, l'émulation de renchérir sur ses collègues, l'honneur du
désintéressem6nt personnel, enfin cette espèce d'ivresse noble qui accompagne
une effervescence de générosité ; pour qui réfléchit sur le concours de ces
causes, tout ce qui parait extraordinaire dans cette séance rentre dans la
classe des choses communes. L'Assemblée était dans un tourbillon électrique,
et les commotions se succédaient sans intervalles. » Au
moment de la rédaction, on proposa l'abolition pure et simple de la dime
ecclésiastique, sauf à pourvoir par un impôt à l'entretien du sacerdoce.
Alors Sieyès entreprit la défense du clergé qu'il regardait comme sacrifié
par la noblesse et monta aussitôt à la tribune. Il convint que l'État
rachetait véritablement la dîme, en la remplaçant par un impôt général, mais
qu'il faisait un vol à la masse de la nation, en lui faisant supporter une
dette qui ne devait atteindre que les propriétaires fonciers. Dans son
opinion, c'était prendre aux pauvres pour donner aux riches. « Pourquoi,
ajouta-t-il, enrichir certains propriétaires aux dépens des autres, et sans
que l'État en retire aucun bénéfice ? La dîme est une propriété de l'église.
Quand l'État est obéré, pourquoi iriez-vous faire des présents si ruineux, et
qu'on ne vous demande pas ? » Mirabeau
soutint, avec sa vigueur ordinaire, que la dime, le fléau des petits
propriétaires, détruisait l'agriculture, que pour ce motif l'État devait
déplacer cet impôt ; enfin que la dîme n'était pas une propriété, puisque le
clergé ne pouvait pas en aliéner le fonds. C'était, suivant l'orateur, un
impôt établi en faveur du clergé, un subside avec lequel la nation salariait,
depuis plusieurs siècles, ses officiers de morale et d'instruction. Dans la
chaleur de la discussion, Mirabeau, s'adressant aux interrupteurs, laissa
échapper quelques paroles que, plus tard, il désavoua. « Je ne connais, leur
répondit-il, que trois moyens d'exister dans- la société : il faut y' être ou
voleur, ou mendiant, ou salarié ; le propriétaire n'est lui-même que le
premier des salariés. » Au troisième jour, après avoir défendu avec ardeur
les intérêts matériels de leur ordre, plusieurs curés déclarèrent qu'ils
abandonnaient la Mme, se remettant à la justice et à la générosité de la
nation. L'Archevêque d'Aix, d'autres prélats, de riches bénéficiers,
l'archevêque de Paris et le cardinal de la Rochefoucauld renoncèrent au nom
du clergé de France. La dîme fut donc abolie sans rachat pour l'avenir, mais
elle dut être perçue en la manière accoutumée, jusqu'à ce qu'on eût avisé aux
moyens de subvenir à son objet[8] (11 août). Le 13,
l'Assemblée nationale se rendit en corps auprès du roi pour lui présenter
tous les articles, avec la plus grande solennité et lui déférer le titre de
restaurateur de la liberté française. Louis XVI accepta ce titre avec
reconnaissance et assista au Te Deum, chanté dans la chapelle du château. C'est ainsi que se terminèrent ces débats solennels et que l'Assemblée nationale, par la plus
importante de ses réformes, accomplit l'œuvre de la royauté. En
effet, si nous parcourons dans notre histoire les siècles antérieurs à
l'époque dont nous présentons le tableau, si nous étudions avec une sérieuse attention
les réformes entreprises alors par la royauté, nous serons convaincus de la
constance de ses efforts pour établir l'égalité en France[9]. Plus de vingt de ses
ordonnances attestent qu'elle en a posé hardiment les principes. Nous
pourrons constater encore que, sous l'influence des usurpations salutaires du
pouvoir central, la noblesse vaincue par Louis XI, séduite par François Pr,
dominée par Henri IV, écrasée par Richelieu qui la contraint de courber la
tête sous le joug des lois, est venue enfin se perdre dans la grande unité
nationale. Il est vrai que la royauté laissa son œuvre imparfaite. Dès la fin
du XVIIe siècle, elle ne marche plus avec l'invincible constance qu'elle a
jusqu'alors déployée, vers le but qu'elle s'est proposé, la fondation de
l'égalité. Il semble même qu'elle s'arrête et qu'elle hésite à frapper son
dernier coup. A cette époque, le souvenir des traditions qui avaient fait
toute sa force, n'est cependant pas encore effacé de son esprit. Elle
n'ignore pas qu'elle est l'ennemie des privilèges et l'alliée de ce
Tiers-état qui, presque assez viril à sa naissance pour lui prêter le secours
de son bras, l'a toujours soutenue dans son glorieux labeur. Elle n'a pu
renier cette fraternité généreuse, efficace. Elle ne craint pas de le
répéter, même en 1780, par la voix de Necker. La royauté sait quelles sont
les réformes qui lui restent à opérer pour accélérer le mouvement vers l'égalité
tant désirée, pour établir cette égalité partout où elle manque encore. Mais
devant la résistance des privilégiés, elle s'est relâchée de l'infatigable
activité de ses devanciers et n'a point retrouvé une force d'âme assez
héroïque pour exécuter ces réformes si nécessaires à l'avenir de la France.
Elles auraient cependant pu ajouter un nouvel éclat à la gloire que lui
avaient méritée cinq siècles d'efforts, 'et raffermir le trône chancelant des
Bourbons. Dans
cette réforme à laquelle l'Assemblée a mis la dernière main, nous ne devons
donc pas voir le commencement de la révolution sociale en France, mais au
contraire la fin de cette révolution. Dès ce moment une autre apparaissait.
Celle-ci n'était point dirigée contre les restes de l'ordre féodal, à tout
jamais détruits, mais contre la royauté, contre la dynastie des Bourbons,
dont le dernier monarque avait laissé à Louis XVI tout à faire ou tout à
réparer ; elle n'était plus sociale, elle était politique. Il ne s'agissait
plus du nivellement des existences privilégiées, de modifier les relations
des citoyens entre eux, mais de changer le gouvernement. Pendant plusieurs
mois, les deux révolutions marchent à côté l'une de l'autre, mais depuis le 4
août, la révolution sociale a terminé son rôle, elle n'a plus raison d'être ;
la révolution politique, audacieuse, violente dans ses allures, reste seule.
Ceux qui la dirigent, dans leurs discours et dans leurs pamphlets,
n'attaquent désormais que le roi et la cour. Nous trouverons dans les
derniers événements du règne de Louis XVI la preuve de ces assertions[10]. Pendant
que l'Assemblée entrait dans la voie des réformes, les propriétés
continuaient d'être violées dans les provinces, les flammes dévoraient encore
les châteaux, et de nombreux chasseurs, jaloux d'exercer un droit si nouveau
pour eux, commettaient d'affreuses dévastations dans les campagnes. Les
asiles de la piété même n'étaient pas à l'abri des violences meurtrières de
la populace. Partout la licence était sans frein, les lois sans force, les
tribunaux sans activité. La désolation couvrait la plus grande partie de la
France, et l'effroi l'envahissait tout entière. Aussi les ministres
s'empressèrent-ils- de se rendre au sein de l'Assemblée pour lui présenter le
tableau de la situation alarmante du royaume (7 août). Trois
jours auparavant, le roi pour compléter le ministère avait choisi, à la
prière de Necker, trois membres de l'Assemblée, l'archevêque de Bordeaux,
Champion de Cicé, l'archevêque de Vienne, Le Franc de Pompignan, et le comte
de la Tour du Pin-Paulin. Le premier était garde des sceaux, le second avait
la feuille des bénéfices, et le troisième, le ministère de la guerre. M. le
Maréchal de Beauvau avait aussi été appelé au Conseil. Necker avait pensé
qu'en prenant pour collègues des hommes qui réunissaient les suffrages du
parti populaire, il exercerait plus d'influence sur l'Assemblée et se
rendrait maître des événements avec le secours de Lally, de
Clermont-Tonnerre, de Mounier et de Virieu, dévoués à ses intérêts[11]. Mais il s'était trompé sur le
choix des nouveaux ministres. L'archevêque de Bordeaux, d'une ambition
excessive, faux par caractère, sans principes, sans talents, habile à ourdir
de petites intrigues, voulait être premier ministre et cardinal ; le comte de
La Tour-du-Pin était pet considéré et manquait de l'énergie que demandaient
les circonstances. Une insubordination anarchique s'était introduite parmi
les troupes ; il aurait fallu rétablir la discipline et rattacher l'armée au
monarque et à la loi. Faible et incertain, le nouveau ministre de la guerre
ne pouvait suffire à cette tâche. Un autre membre du conseil, le comte de
Saint-Priest, ferme, actif, était peut-être plus capable de seconder les vues
de Necker. Mais il n'avait point cette souplesse, cette dextérité, et surtout
cette discrétion prudente, si nécessaire au succès d'une grande entreprise.
Tous les ministres voyaient d'ailleurs le véritable état des choses ; ils ne
pouvaient se tromper sur le peu d'influence de Necker à la cour et dans
l'Assemblée[12]. Le
garde des sceaux, après avoir dénoncé les désordres qui désolaient la France,
pria l'Assemblée, au nom du roi, de prendre des mesures promptes et
énergiques pour réprimer l'amour effréné du pillage et rendre à la force
publique la confiance qu'elle avait perdue. Necker fixa l'attention des
représentants sur le déplorable état des finances et exposa vivement les
besoins urgents du trésor public. L'Assemblée entendit avec tristesse les
messages des deux ministres, et le 10 elle rendit un décret qui enjoignait à
toutes les municipalités du royaume, tant dans les villes que dans les
campagnes, de veiller au maintien de l'ordre, en dissipant les attroupements
séditieux, et de poursuivre les perturbateurs. Elle mettait à leur
disposition les milices nationales et les troupes réglées, qui devaient
prêter serment d'être fidèles à la nation, au roi et à la loi[13]. Ce serment que, plus tard, on
appela le serment civique, apparaît ici pour la première fois. Le
rapport de Necker sur la situation des finances causa de justes alarmes à
l'Assemblée. Rentré au ministère dans un moment où les recettes diminuaient
de jour en jour par la contrebande que favorisait la destruction des
barrières, par le refus absolu d'acquitter la taille, le vingtième et la
capitation, il se fatiguait à chercher des ressources qui lui échappaient. Il
proposa donc un emprunt-de trente millions à cinq pour cent. Clermont-Lodève,
dans un premier élan de générosité, voulait que l'Assemblée votât l'emprunt
par acclamation. « Je demande, s'écrie Mirabeau, la proscription de ce vil
esclave ! » Plusieurs députés se joignirent aussitôt à lui pour réclamer la
délibération et l'absence des ministres, qui s'empressèrent de sortir[14]. Alors s'engagèrent de vifs
débats, au milieu desquels on reprocha à Clermont-Lodève d'avoir compromis
par sa proposition l'honneur du peuple français et la dignité de ses
représentants. Les ennemis particuliers des ministres et Mirabeau réunirent
leurs efforts pour faire rejeter l'emprunt. Le marquis de Lacoste proposa de
déclarer que les biens du clergé appartenaient à l'État, et de supprimer les
ordres monastiques. Alexandre Lameth entreprit de montrer Glue s'emparer de
ces biens, ce n'était pas attaquer les propriétés. Quelques murmures
accueillirent cette proposition que l'assemblée parut oublier. Cependant
cette idée, jetée artificieusement au milieu de la nation, germa dans les
esprits ; les journaux se chargèrent de la développer ; les capitalistes et
le peuple l'embrassèrent avec enthousiasme. Enfin, l'emprunt fut adopté le 9
août, mais l'Assemblée commit la faute de changer le plan du ministre, et de
fixer l'intérêt à quatre et demi pour cent[15]. Déjà
les partis commençaient à se dessiner dans l'Assemblée nationale, qui
devenait l'Assemblée constituante. Le côté droit se composait des députés
ennemis du mouvement et dévoués aux intérêts de la cour : la noblesse et le
haut clergé. Au côté gauche siégeaient les constitutionnels, et au centre
tous ceux qui s'efforçaient de mettre d'accord ces deux grandes divisions.
Jamais les événements politiques n'avaient réuni sur un théâtre plus vaste un
sénat aussi illustre d'hommes instruits dans tous les genres ; à la voix de
la France la nation avait tressailli, et s'était empressée de répondre à son
appel, en lui envoyant l'élite de ses fils. Les deux athlètes du côté droit
étaient le jeune Cazalès, capitaine dans les dragons de la reine, l'un des
plus énergiques défenseurs du pouvoir monarchique et de la noblesse, dont il
faisait, partie, et Maury, alors placé au sommet des honneurs littéraires, et
intrépide champion du clergé, dont il était membre. Cazalès, esprit juste,
sincère dans ses convictions, improvisateur facile, précis et simple, cœur
loyal et fidèle, unissait l'autorité de la parole à celle du caractère.
L'abbé Maury, logicien habile, puissant par l'enchaînement des idées, doué
d'une éloquence abondante, vive et colorée, déploya dans les discussions
parlementaires un caractère ardent, une hardiesse de langage qui le fit
regarder comme le plus nerveux des orateurs et le plus redoutable adversaire
de Mirabeau. On distinguait au centre Mounier, nature droite et calme, homme
d'une rare capacité politique, Clermont-Tonnerre, orateur tout à la fois
brillant et sérieux, Malouet, esprit ferme, caractère intrépide,
Lally-Tollendal, dont le dévouement filial avait sanctifié l'éloquence, tous
partisans de la monarchie tempérée des Anglais et d'une sage liberté. Sur les
bancs de la gauche figuraient Barnave, tribun élégant et disert, à la volonté
incertaine, à l'âme honnête, malgré les paroles sinistres qu'au premier
meurtre de la révolution, il avait laissé échapper du haut de la tribune ;
Adrien Duport, nourri de fortes études ; les deux Lameth, pleins d'adresse et
de ressources, dont l'ambition surpassait encore les talents, et qui avaient
payé par une éclatante défection les bontés et les faveurs de la famille
royale ; Sieyès, le plus grand politique de son époque ; Lafayette, l'idole
du peuple, le véritable dictateur de l'opinion, mais dont la parole manquait
de cette énergie qui frappe l'esprit et vibre au cœur ; Maximilien
Robespierre, disciple fanatique de Jean-Jacques Rousseau, aux attitudes
affectées, qui excitaient le sourire, intelligence médiocre, énigme
d'abomination sanglante, ne se laissant pas encore deviner, objet de culte et
d'hommage pour quelques historiens de nos jours[16]. Au-dessus d'une telle élite,
de talents divers dominait Mirabeau, le Démosthène français, le Jupiter
tonnant de l'Assemblée constituante, Mirabeau, si longtemps ballotté entre la
gloire et l'ignominie, démocrate par accident, dont le génie éclatait dans
les circonstances les plus difficiles, « la pensée jaillissait rapide comme
la colère, substantielle et serrée comme la méditation[17], » et dont la vertu aurait fait
un orateur accompli. Mais ce transfuge de l'aristocratie et la plus haute
personnification de l’époque révolutionnaire, était arrivé à l'Assemblée sous
le poids écrasant de la renommée de ses scandales et de ses vices. Parmi ces
organes publics de la Révolution, parmi ces orateurs qui ne craignaient pas
d'affronter les combats d'e l'orageuse tribune, se trouvaient encore des
ecclésiastiques savants et éclairés, des magistrats habiles, fine foule
d'hommes remarquables par l'habitude des travaux de la pensée, les sentiments
généreux, le talent, les lumières, et qui n'élevaient la voix que par
intervalles. Après
avoir renversé, en quelques heures, tout l'édifice féodal, et donné quelques
soins aux finances, l'Assemblée constituante reprit el arrêta définitivement
la discussion qu'elle avait interrompue de la déclaration des droits. Cet
ouvrage qui ne devait être que l'exposition de quelques vérités éternelles,
applicables à toutes les associations politiques, et à toutes les formes de
gouvernement, paraissait très-simple de sa nature, peu susceptible de
contestation et de doute. Cependant l'Assemblée comprit bientôt que rien
n'est plus difficile que de proclamer hautement ces grands principes au
milieu d'un peuple déjà vieux, auquel on montre son empire sans lui parler de
ses devoirs, et surtout lorsqu'ils sont destinés à former le préambule d'une
constitution qui n'est pas connue. Elle y consacra de longues et orageuses
séances, et quoique vingt-huit de ses bureaux sur trente les eussent rejetés,
elle les adopta dans la discussion publique, 'sous la pression menaçante des
tribunes (26
août) ; voici cette
fameuse Déclaration proclamée par quelques historiens la loi gravée sur la
pierre du droit éternel, le Credo du nouvel âge, l'Évangile de la Révolution,
et qui sert de préambule à la constitution de 91. Les
représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale,
considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont
les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements,
ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels,
inaliénables elP sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment
Présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs
droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du
pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute
institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations
des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables,
tournent toujours au maintien de la constitution et du bonheur de tous. En
conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous
les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et die citoyen
: Art. I. Les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent
être fondées que sur l'utilité commune. Art. II. Le but de toute association
politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de
l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance
à l'oppression. Art. III. Le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu
ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. Art. IV. La liberté consiste à
pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits
naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres
membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne
peuvent être déterminées que par la loi. Art. V. La loi n'a le droit de
défendre que les actions nuisibles à la société. Tou.t ce qui n'est pas
défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à
faire ce qu'elle n'ordonne pas. Art. VI. La loi est l’expression
de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement, pu par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être
la même pour tous ; soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les
citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes
dignités ; places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre
distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Art. VII. Nul homme ne peut être
accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon
les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent
ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis. Mais tout citoyen,
appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l'instant ; il se rend
coupable par la résistance. Art. VIII. La loi ne doit
établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut
être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit
et légalement appliquée. Art. IX. Tout homme étant
présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé
indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour
s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi. Art. X. Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, même religieuses, lorsque leur manifestation ne
trouble pas l'ordre établi par la loi. Art. XI. La libre communication
des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ;
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Art. XII. La garantie des droits
de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc
instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux
auxquels elle est confiée. Art. XIII. Pour l'entretien de
la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution
commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre Tous les
citoyens, en raison de leurs facultés. Art. XIV. Tous les citoyens ont
le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité
de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi
et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. Art. XV. La société a droit de
demander compte à tout agent public de son administration. Art. XVI. Toute société dans
laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a pas de constitution. Art. XVII. La propriété étant un
droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité. Cette
déclaration, imitée des Américains et dont La Fayette avait fourni la
première idée, renferme des maximes nettes, positives, incontestables, et des
principes utiles mêlés à des abstractions philosophiques et dangereuses. En
effet, dans Cette préface, 'd'ailleurs fort incomplète de la constitution, œuvre
politique à la façon de Rousseau, on trouve une étrange confusion des droits
naturels qui sont immuables, et des droits politiques, nécessairement
variables. Tout y est vague, nulle autorité ne s'y trouve fortement
déterminée, excepté celle de la loi, susceptible de modifications infinies
suivant les temps, les lieux et les mœurs. Nous pensons avec Mirabeau que
l'homme d'État ne doit livrer des armes au peuple qu'en lui apprenant à s'en
servir. N'était-ce pas une faute grave pour les législateurs de la
Constituante de poser des maximes inflexibles, propres à soulever des
questions émouvantes, sans mettre à côté leur application ; d'enseigner à un
peuple ses droits qu'il sentait trop bien lui-même, sans lui enseigner ses
devoirs ; de lui dire, sans commentaire, que la résistance à l'oppression
était écrite dans le droit naturel ? On peut leur reprocher encore d'avoir
donné à la Déclaration un caractère d'application universelle, comme s'ils
eussent travaillé pour l'humanité entière[18]. Que serait devenu le monde, si
tous les peuples, qui composent la grande famille européenne, se réunissant
sous un drapeau si haut placé, avaient répondu à l'appel do la Constituante ? Après
l'adoption de la Déclaration des droits, la discussion s'engagea sur les
formes du gouvernement, sur trois questions de la plus grande importance,
celles de la permanence des assemblées, des deux chambres et du veto, ou
droit de sanction accordé au roi. Mounier, Lally-Tollendal et leurs amis, ne
trouvant rien de comparable à la constitution anglaise, proposèrent
l'établissement. de deux chambres, l'une de sénateurs, l'autre de
représentants de la nation, investies du pouvoir législatif. 'Mais l'impopularité
de la noblesse que, d'ailleurs, on voulait détruire, et la haine dont les
tribunes étaient animées contre tout semblant d'aristocratie, devaient
laisser peu d'espoir aux partisans de ce système. De nombreux orateurs
signalèrent cependant les dangers d'une assemblée unique et souveraine, qui
avait été nécessaire peut-être pour accomplir la Révolution, mais qui ne
l'était plus pour la conserver. M. de Virieu sembla pénétrer dans les
profondeurs de l'avenir lorsqu'il s'écria d'un accent prophétique : « Tous
les corps nombreux, entraînés par des démagogues et par la fougue populaire,
ont anéanti les États libres après les avoir déchirés par les factions. » A cette
discussion sérieuse s'en joignit bientôt une autre qui enflamma les âmes,
celle de la sanction que le roi pourrait donner ou refuser aux lois. Le veto
qu'on devait lui accorder serait-il suspensif ou absolu, en d'autres termes,
le roi pourrait-il, par son refus de sanction, annuler tout à fait un décret
de l'Assemblée, ou bien en suspendre l'effet temporairement, pendant une ou
plusieurs législatures ? Cette question divisa le peuple comme les
représentants et servit de prétexte aux menaçantes agitations du Palais-Royal
et de tous les clubs politiques de la capitale. De Paris la Mine du veto se
répandit aussitôt dans les villes, dans les villages, et tint la France
entière attentive au débat. Le-mot veto désignait le despotisme et se
trouvait dans toutes les bouches ; vouloir ou ne pas vouloir le veto, c'était
aimer ou repousser la tyrannie. Le peuple n'avait cependant pas une idée
nette du mot et de la chose. Dans les rues de Paris, le veto passait pour une
espèce de monstre qui devait dévorer les petits enfants ou pour un impôt
qu'il fallait abolir. Celui-ci demandait de quel district il était ;
celui-là, non moins ignorant, le prenait pour un aristocrate conspirateur, et
voulait qu'on le mît à la lanterne[19]. La populace finit par le
personnifier ; elle appela Louis XVI et. Marie-Antoinette monsieur et madame
Veto. Pendant
que l'Assemblée agitait ces questions fondamentales, la situation de Paris
devenait alarmante. Cette ville remplie de soldats déserteurs, de vagabonds
attifés de toutes les parties de la France et même des pays étrangers par
l'amour du pillage, offrait l'image d'une prochaine désorganisation sociale.
Instruments utiles aux desseins secrets des chefs du parti révolutionnaire,
ces hommes audacieux fomentaient le désordre et prolongeaient l'anarchie en
répandant chaque jour de nouvelles inquiétudes dans les esprits. Afin de
persuader au peuple qu'il existait un projet d'incendier la capitale, on
jetait avec affectation de4 matières sulfureuses sur le passage des
patrouilles, où quelques hommes apostés abandonnaient, en prenant la fuite,
des barils pleins de poudres combustibles. Une autre fois on affirmait que
des caisses de poignards avaient été saisies à la douane, mais on ne
désignait ni ceux à qui elles étaient adressées ni ceux par qui elles étaient
envoyées[20]. La garde nationale, dont le
général attendait à chaque instant une émeute, ne quittait pas les armes. Il
faut reconnaitre qu'en l'absence de toute autorité respectée, elle réprima ou
atténua souvent le désordre et rendit de grands services à Paris. Aussi
importunait—elle les agitateurs de la place publique, Camille Desmoulins,
qui, dans son épouvantable cynisme, se parait avec orgueil du titre de procureur
général de la lanterne ; Marat, dont le Journal, l'Ami du peuple,
suait toujours le sang, et qui, dans les premiers jours du mois d'août, osait
demander qu'on pendît huit cents députés à huit cents arbres du jardin des
Tuileries ; Danton, d'abord avocat obscur au Châtelet, qui essayait déjà
l'empire de sa voix dans le district des Cordeliers qu'il présidait. La
disette augmentait sans cesse, et devenait aussi une cause permanente de
désordre. Chargée de l'administration des subsistances, la municipalité
envoyait chercher au loin des blés que, pour obtenir la tranquillité, elle
revendait à perte. L'approvisionnement était alors devenu si difficile que la
vie des habitants dépendait chaque jour de l'exactitude des envois aux
moulins, de celle des meuniers à moudre, et de la diligence des convois
dirigés sur Paris[21]. Encore fallait-il les faire
escorter par de nombreux détachements de garde nationale, pour les soustraire
au pillage des campagnes affamées. En même temps, les propos les plus
absurdes circulaient : c'était le parlement qui empêchait les meuniers de
moudre et les boulangers de cuire, ou bien c'étaient les nobles et les
privilégiés qui incendiaient les moulins, défendaient à leurs fermiers et à
leurs vassaux de vendre leurs blés ; c'était le ministère qui s'efforçait
d'entretenir la disette par des spéculations sur les farines tirées de
l'étranger. On insinuait laque que Necker était un des auteurs de ce
monopole. Des attroupements suivaient ces discours et causaient de mortelles
inquiétudes à Bailly ainsi qu'à La Fayette[22]. D'un
autre côté, chaque corporation, chaque individu se croyait l'État et la
nation ; un délire universel semblait s'être emparé des têtes : tout était
corps délibérant. Les soldats aux gardes délibéraient à l'Oratoire, les garçons
tailleurs à la Colonnade, les perruquiers aux Champs-Elysées ; quatre mille
domestiques ouvraient leurs séances au Louvre, malgré les défenses de la
municipalité et les efforts de la garde nationale ; et trois mille garçons
cordonniers se réunissaient à la place Louis XV. L'effet des décrets du 4
août se faisait particulièrement sentir dans les corps et métiers ; tous se
soulevaient contre les privilèges des maitres[23]. Mais rien n'égalait l'anarchie
qui régnait dans les soixante districts ; ils formaient autant de républiques
indépendantes[24], jalouses les unes des autres ;
tous avaient un comité permanent, des comités de police, de surveillance, de
force armée, de subsistances. Souvent chacun d'eux rendait des arrêts opposés
à ceux de la Commune et entrait en lutte avec elle[25]. Les cabales, les intrigues y
décidaient les élections, et les nombreux démagogues qui les ; composaient,
interprétant à leur façon les droits de l'homme discutés par l'Assemblée
nationale, faisaient adopter les motions les plus extravagantes. « Qu'on
imagine un homme, disait Loustalot, dans les Révolutions de Paris, dont chaque
pied, chaque main, chaque membre aurait une intelligence et une volonté, dont
une jambe voudrait marcher, tandis que l'autre voudrait se reposer, dont le
gosier se fermerait quand l'estomac demanderait des aliments, dont la bouche
chanterait quand les yeux seraient appesantis par le sommeil, et l'on aura
une image frappante de l'état de la capitale. » Telle
était la situation anarchique de Paris, lorsque la question de la sanction
royale posée devant la Constituante, souleva les agitateurs et les démagogues
de tous les districts dans lesquels elle trouva de violents adversaires (30 août). C'est surtout au Palais-Royal
où' s'entassait la foule, attirée par les plaisirs du dimanche, que se
manifesta la plus grande fermentation[26]. Là dominaient Camille
Desmoulins, Loustalot, rédacteur des Révolutions de Paris, et le
marquis de Saint-Huruge, gentilhomme bourguignon, autrefois tyran de ses
vassaux. Détenu longtemps à la Bastille, sur la requête de sa femme, jolie
et-galante, qui l'avait abandonné et s'était attachée à un personnage
puissant, Saint-Huruge n'était sorti de prison que pour se rendre en
Angleterre. Deux ans après il rentra en France (1789) avec la haine d'un exilé, et
cet ennemi furieux de l'ancien régime embrassa la cause de la Révolution. Le
Palais-Royal devint son forum. Une énorme tête, une grosse face, un corps
trapu, une voix de Stentor, un regard audacieux, des idées pleines de fièvre
et de violence, firent de ce fanatique altéré de sang, un tribun des plus
dangereux. Des
meneurs, répandus au milieu de la foule confusément réuni, s'efforcent
d'alarmer les esprits et de produire un soulèvement, en répétant des bruits
qu'un journal avait publiés le matin même. « Il existe, disent-ils, une
coalition entre le clergé, la noblesse et quatre cents membres des communes
pour donner au roi le veto absolu : le roi doit apposer ce veto sur les
décrets du 4 août et annuler tout ce que l'Assemblée a fait dans cette nuit
célèbre en faveur du peuple ; plusieurs grands seigneurs s'éloignent de la
capitale ; Monsieur, frère du roi, va conduire madame la comtesse d'Artois
jusqu'à Turin. La liberté est menacée ; le comte de Mirabeau a été attaqué et
blessé d'un coup d'épée par un assassin ; il faut lui donner une garde de
deux cents hommes capables de le défendre contre les entreprises meurtrières
des aristocrates (1). » Excitée par ces discours, la multitude veut qu'on
punisse les mandataires infidèles qui ont vendu la liberté publique aux
tyrans. Quelques hommes sages font de vains efforts pour ramener le calme,
les motions les plus désespérées se succèdent ; les uns proposent d'assembler
les districts ; les autres, d'aller à Versailles. « Il faut agir
sur-le-champ, disait-on ; dans trois jours la France est esclave, et l'Europe
suivra son sort[27]. » Au même
instant, les plus exaltés des orateurs du Palais-Royal, devenu le véritable
gouvernement de Paris, sortent du café de Foy avec un arrêté audacieux qu'ils
viennent de voter. Ils chargent le marquis de Saint-Huruge, l'exécuteur
ordinaire de leurs œuvres, de le porter à Versailles : — On n'ignore pas
quelles sont les menées de l'aristocratie pour faire passer le veto absolu ;
— On connaît tous les complices de cet odieux complot ; — S'ils ne renoncent
dès cet instant à leur ligue criminelle, quinze mille hommes sont prêts à
marcher ; —La nation sera suppliée de révoquer ces mandataires infidèles, et
de les remplacer par de bons citoyens ; — Enfin le roi et son fils seront
également suppliés de se rendre au Louvre pour y demeurer en sûreté au milieu
des fidèles Parisiens[28]. Saint-Huruge
partit vers les dix heures du soir à la tête d'une députation suivie de
quinze cents volontaires sans armes. Mais La Fayette et Bailly, prévenus de
ce mouvement, avaient disposé de nombreuses troupes sur la route et aux
barrières. Le marquis trouva tous les passages fermés, et se vit obligé de
revenir au café de Foy pour rendre compte des obstacles qui l'empêchaient
d'accomplir sa mission. Après une courte délibération, les factieux l'envoyèrent
à l'Hôtel-de-Vile demander la liberté d'aller à Versailles. La Commune refusa
de le recevoir. Une seconde députation composée de citoyens domiciliés et
conduits par un capitaine de la garde nationale, fut admise mais accueillie
avec la plus grande fermeté. Elle revint, comme la première, au Palais-Royal,
dont elle trouva les orateurs « attendant patiemment à la porte du café de
Foy, le maître de cette maison ayant voulu se coucher[29]. » On se contenta d'envoyer
deux citoyens à Versailles. Le
lendemain, 31 août, l'affluence ne fut pas moins grande et le café de Foy se
remplit bientôt des motionnaires empressés de connaître le résultat de leurs
députations de la veille. A la nouvelle des refus qu'elles avaient éprouvés,
ils s'abandonnèrent à tons les transports de la fureur. De temps en temps on
entendait s'élever contre le veto de longs cris que répétait la populace
ameutée. Il était question de prendre les armes, et de marcher à Versailles.
La multitude applaudissait à tous les discours des orateurs, et la situation
devenait terrible, lorsque Loustalot détourne les mutins de l'idée d'un
voyage armé à Versailles, sans caractère légal, et propose une mesure, dans
son opinion, plus légitime et plus efficace. C'est d'aller à l'Hôtel-de-Ville
et d'obtenir des représentants de la Commune une réunion générale des
districts, afin qu'ils puissent délibérer sur le veto et sur le rappel ou la
confirmation des députés suspects. Cette motion est adoptée avec enthousiasme
; aussitôt le café de Foy et le Palais-Royal retentissent de ces cris : à la
ville, à la ville, pour l'assemblée générale des districts ! Point de
veto, point d'aristocrates ! point de tyrans ! Enfin le calme se
rétablit : une députation est nommée, et c'est Loustalot qui la conduit à la
municipalité. L'assemblée de la Commune s'étonna de l'infraction à l'arrêté
porté contre les attroupements. « Si les citoyens du Palais Royal, dit
Loustalot, eussent strictement observé les lois concernant les attroupements,
la Bastille subsisterait encore, et vous n'auriez pas l'honneur d'être nos
représentants. » Quelle autre réponse devait espérer de la révolte une
autorité née de la révolution elle-même, et qui ne pouvait essayer de la
réprimer sans reconnaître dans ses rangs son ancien drapeau et ses anciens
complices ? La Commune repoussa cependant avec indignation les propositions
de l'orateur. Une autre députation fut reçue et renvoyée de la même manière[30]. Pendant
ce temps, les deux députés du Palais-Royal, arrivés à Versailles, se
présentaient chez Lally-Tollendal. « Nous sommes, lui dirent-ils, envoyés
vers vous comme vers un bon citoyen : en acceptant cette mission, nous avons
suspendu la marche de vingt mille hommes armés qui attendent la décision de
l'Assemblée. Paris ne veut point de veto ; il regarde comme traîtres ceux qui
en veulent et il punit les traîtres. Plusieurs députés ont déjà mérité ce nom
; ils vont être révoqués ; et comme ils ne seront plus inviolables, on en
fera justice. » Ils nommèrent alors les membres de l'Assemblée déjà menacés de
proscription. « Je vous déclare, leur répondit Lally avec cou- rage, que je
regarde moi-même la sanction royale comme un des plus fermes remparts de la
liberté ; venez à l'Assemblée, vous serez témoins de nies et- forts pour la
faire triompher et du compte fidèle que je rendrai de votre mission. » A ces
mots, il partit et les envoyés le suivirent. Lally
tint parole et donna lecture de la motion du Palais-Royal. Deux avis de la
Commune, adressés pendant la nuit à M. de Saint-Priest et renvoyés par ce
ministre au président de l'Assemblée, confirmèrent son récit. Plusieurs
lettres, écrites par les mécontents aux principaux députés et remises dans ce
moment au président, étaient pleines de menaces. Elles renfermaient aussi de
plus grands détails sur les projets hostiles des clubistes du. Palais-Royal[31]. L'indignation fut universelle.
Mounier, rapprochant les troubles de Paris de ceux qui agitaient la France
entière, montra leur liaison secrète. Il en tira la conséquence invincible
qu'il existait des complots, et pressa l'Assemblée d'offrir une récompense de
cinq cent mille livres à quiconque en fournirait des preuves légales. Mais le
duc de La Rochefoucauld, Duport et quelques autres membres parvinrent à faire
éluder les mesures de vigueur, en soutenant qu'il n'était pas de la dignité
de l'Assemblée de s'occuper de lettres, la plupart anonymes, et de motions du
Palais-Royal. L'ordre du jour mis aux voix par le président fut aussitôt
adopté. A
Paris, la dernière réponse de l'Hôtel-de-Ville n'avait été suivie d'aucun
désordre ; le Palais-Royal était cependant couvert d'une foule immense et de
groupes fort animés. Le septembre, il envoya de nouveaux députés à
l'assemblée de la Commune pour réitérer ses menaces contre ceux des membres
de la Constituante qui ne paraissaient pas disposés à voter suivant ses
désirs. Mécontents de sa réponse, ils menacèrent les représentants de la
Commune et osèrent même, dit Bailly, « en portant le doigt au cou, faire le
signe qu'ils seraient pendus. » Mais l'Assemblée ne se laissa point
intimider, et le jour même elle lança un nouvel arrêté contre les
attroupements du Palais-Royal et chargea le commandant général de déployer
toutes les forces de la cité contre les perturbateurs du repos public. Alors
la crainte s'empara de Camille Desmoulins qui courut chercher un refuge
auprès de Mirabeau, à Versailles. Le marquis de Saint-Huruge, le baron de
Tintot et plusieurs autres démagogues furent jetés en prison. Dès ce moment,
l'autorité municipale fit surveiller le Palais-Royal par les districts armés
; de nombreuses patrouilles en sillonnèrent tous les environs. Les motions du
café de Foy se calmèrent jusqu'à la fin du mois de septembre, et, pour se
consoler du silence auquel ils étaient condamnés, les orateurs du jardin
affichèrent sur les murs quelques caricatures propres à exciter les
railleries de la foule contre les rondes menaçantes de la milice bourgeoise[32]. Cependant
l'Assemblée nationale continuait la discussion sur les trois questions de la
permanence des assemblées, de la division du pouvoir en deux chambres et de
la sanction royale qu'elle faisait marcher de front. La permanence réunit la
presque unanimité des suffrages (9 septembre). Le lendemain, on repoussa le
projet de deux chambres, et au milieu des applaudissements, l'unité du
pouvoir législatif fut adoptée à une très-grande majorité. Il ne restait plus
à décider que la question de la sanction royale. Elle fut vivement débattue ;
Mirabeau, qui voulait armer le pouvoir royal d'une autorité suffisante,
montra toute la force de son génie en soutenant le veto absolu : dès
l'ouverture des états, il s'était prononcé pour cette espèce de sanction en
disant que, sans elle, il aimerait mieux vivre à Constantinople qu'à Paris.
Cette discussion excita une grande fermentation parmi les révolutionnaires,
et les murs de Versailles se couvrirent de placards menaçants. On affecta, en
même temps de répandre Tes bruits les plus capables d'alarmer le roi et les
ministres. « La France entière, disait-on, va se soulever ; la guerre civile
devient inévitable, si l'Assemblée donne au roi le veto absolu. »
L'inquiétude s'emparait du parti constitutionnel, lorsque Louis XVI, d'après
le conseil de Necker, adressa un Mémoire à l'Assemblée, dans lequel il
déclarait se contenter du veto suspensif. Ce dernier fut décrété, à la
majorité de six cent soixante-treize voix contre trois cent vingt-cinq. L'Assemblée
ne voulut point fixer le temps que pourrait durer le veto suspensif avant de
s'être assurée que le roi ne mettrait aucun obstacle à l'exécution de ses
décrets du 4 août. Ils lui furent donc présentés avec prière d'en faire une
simple promulgation. On décida ensuite que le corps législatif serait
renouvelé entièrement tous les deux ans. Le baron de Juigné proposa tout à
coup de reprendre la suite des articles du comité de constitution ; de
décréter l'hérédité de la couronne et l'inviolabilité du roi (15 septembre). Aussitôt l'Assemblée se leva
et rendit, avec des applaudissements réitérés, le décret suivant : «
L'Assemblée nationale a déclaré par acclamation, et reconnu l'unanimité des
suffrages, comme points fondamentaux de la monarchie française, que la
personne du roi est inviolable et sacrée ; que le trône est indivisible ; que
la couronne est héréditaire dans la race régnante, de male en male, par ordre
de primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leurs
descendants[33]. » Un
autre membre proposa aussi l'inviolabilité de l'héritier présomptif ; mais
sur la remarque faite par le duc de Mortemart que des fils avaient essayé de
détrôner leur père, cette motion fut repoussée. Le député Target souleva
ensuite la question des renonciations écrites dans le traité d'Utrecht, afin,
sans doute, de servir les desseins du duc d'Orléans. Plusieurs membres
soutinrent qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur cette question, la plus
délicate, la plus importante et la plus difficile, parce qu'elle intéressait
l'Europe entière, et qu'il ne fallait pas s'aliéner l'Espagne, alliée fidèle
de la France. Mirabeau lui-même embrassa cet avis, et l'Assemblée s'empressa
de passer à l'ordre du jour. Tout semblait fini, lorsque Mirabeau, excité
soit par les amis du duc d'Orléans, soit par le simple désir de connaître
l'état des partis, change tout à coup de langage, et demande qu'on ajoute au
décret : « Nul ne pourra exercer la régence qu'un prince né en France. »
— « La connaissance, ajoute-t-il, que j'ai de la géographie de l'Assemblée,
le point d'où sont partis les cris d'ordre du jour me prouvent qu'il ne
s'agit de rien moins ici que d'une domination étrangère, et que la
proposition de ne pas délibérer, en apparence espagnole, est peut-être une
proposition autrichienne. » Ainsi Mirabeau, toujours emporté, toujours prompt
à l'insulte, attaquait audacieusement les partisans de la reine dans les
partisans de la famille d'Espagne. Aux derniers mots qu'il prononça, des cris
se firent entendre et tous les regards se tournèrent vers la place du duc
d'Orléans : le prince était alors absent. Les débats recommencèrent avec plus
de violence, et bientôt le désordre fut au comble. Tandis que les opposants
réclamaient encore l'ordre du jour, Mirabeau insistait pour que l'Assemblée
votât d'abord la partie non contestée du décret, et délibérât ensuite sur la
partie contestée. Mais voyant que le président se disposait à mettre la
question aux voix, il ne put contenir sa fureur, et lui fit passer un billet
conçu en ces termes : « Monsieur le président, nous sommes ici quatre
cents honnêtes gens opprimés par une majorité coalisée de huit cents députés
; il est temps que cette tyrannie finisse. Autrement nous serons forcés de
prendre des moyens violents de la faire cesser[34]. » Ce
billet produisit son effet, Clermont-Tonnerre, effrayé, leva la séance, Le
soir même de cette journée, le comte de Mirabeau et le marquis de Virieu se
rencontrèrent, et l'entretien roula sur la séance. Virieu lui dit que le
grand nombre des têtes existantes dans la famille royale les mettait
heureusement à l'abri de craindre, dès longtemps, l'ouverture de la
dangereuse difficulté qui venait de s'élever, au sujet de la branche
d'Espagne, à la succession de la couronne. « Elle n'est pas aussi éloignée
dans le fait, répondit Mirabeau, qu'elle le paraît au premier coup d'œil ;
l'état pléthorique du roi et celui de Monsieur peut abréger leurs jours, et
fait, à peu près, dépendre cette question de l'existence de M. le dauphin,
qui est un enfant. — Mais je suis surpris, reprit Virieu, que vous oubliez M.
le comte d'Artois et ses enfants. — Dans le cas, répliqua Mirabeau, où
l'événement se présenterait, sous un temps peu éloigné, il faut avouer qu'on
pourrait regarder M. le comte d'Artois comme fugitif, ainsi que ses enfants,
et, d'après ce qui s'est passé, comme à peu près extra lex[35]. » La nuit
fut employée en intrigues, et la discussion ayant été reprise le lendemain,
Target proposa d'ajouter au décret : sans entendre rien préjuger sur
l'effet des renonciations. Cet amendement attira de grands reproches à
son auteur, surtout de la part du marquis de Sillery. Il fut adopté de guerre
lasse par l'Assemblée, à la majorité de cinq cent quarante-une voix contre
quatre cent trente-huit. « Je demande, monsieur le président, s'écria Sillery
avec colère, qu'il soit dit dans le procès-verbal que le décret a été rendu
en l'absence du duc d'Orléans. — Et moi, répondit plaisamment le marquis de
Mirepoix, je demande qu'il soit dit qu'il a été rendu en l'absence du roi
d'Espagne[36]. » L'attitude de Mirabeau, dans
ces débats, le fit regarder comme un des agents du parti d'Orléans[37]. Enfin
l'Assemblée reçut la réponse du roi aux articles du 4 août (18 septembre). Louis pi, tout en approuvant
l'esprit général qui les avait dictés, ne donnait à quelques-uns qu'une
adhésion conditionnelle[38]. Dans sa lettre il faisait, sur
certaines décisions qu'elle avait prises, des réflexions d'une grande
justesse, parfaites de sens et de mesure. « Je dois observer, disait-il, au
sujet des dîmes, que la plupart des habitants des villes, les commerçants,
les manufacturiers, ceux qui sont adonnés aux arts et aux sciences, et tous
les citoyens rentiers et autres qui n'auraient pas la double qualité de
citadins et de propriétaires de terres, enfin, ce qui est plus important, les
nombreux habitants du royaume dénués de toute propriété, n'auraient aucune
part à cette immense libéralité... Que, dans une distribution faite avec soin
et maturité, les cultivateurs les moins aisés profitassent en grande partie
des sacrifices du clergé, je ne pourrais qu'applaudir à cette disposition, et
je jouirais pleinement de l'amélioration de leur sort. Mais il est tel
propriétaire de terre à qui l'affranchissement des dîmes vaudrait peut-être
un accroissement de revenus de dix, vingt et jusqu'à trente mille livres par
an : quel droit lui verrait-on à une concession si grande et si inattendue ?
» Le fameux logicien Sieyès n'aurait pas mieux parlé. «
J'invite l'Assemblée nationale, ajoutait Louis XVI en terminant, à prendre en
considération les réflexions que j'ai faites sur deux ou trois articles
importants. C'est par une communication franche et ouverte de nos sentiments
et de nos opinions, qu'animés du même amour du bien, nous parviendrons au but
qui nous intéresse également. Le bonheur de mes peuples, si constamment cher
à mon cœur, et la protection que je dois aux principes de justice,
détermineront toujours mes démarches ; et puisque des motifs semblables
doivent servir de guides à l'Assemblée nationale, il est impossible qu'en
nous éclairant mutuellement, nous ne nous rapprochions pas en toutes choses.
C'est l'objet de mes vœux, c'est celui de mes espérances[39]. » Cette
réponse du roi excita de vives réclamations dans l'Assemblée : on soutint que
ces arrêtés avaient été présentés à la promulgation et non au consentement
royal, qu'ils renfermaient plus de principes que de lois, et que la sanction
n'était pas nécessaire pour consacrer des principes[40]. Sur la motion de Chapelier,
appuyée par Mirabeau et le duc de La Rochefoucauld, il fut décidé que le
président retournerait vers le roi pour le supplier d'ordonner incessamment
la promulgation. L'Assemblée promettait de prendre en considération ses
réflexions lorsqu'on en viendrait aux lois de détail. Louis XVI se rendit aux
vœux des représentants, et leur envoya la sanction pure et simple qu'ils
demandaient. C'est alors seulement que l'Assemblée délibérant sur la durée du
veto suspensif, statua qu'il cesserait après deux législatures (21 septembre). «
Ainsi, dit Rivarol, fut abolie ou suspendue la monarchie française, fondée en
l'an 420 de l'ère chrétienne, après quatorze siècles de fortunes diverses ;
d'abord aristocratie royale et militaire, ensuite monarchie plus ou moins
absolue, et maintenant démocratie, armoriée d'une couronne[41]. » Tandis
que la Constituante poursuivait son but, que les partisans de la Révolution
se berçaient de l'espoir flatteur, les uns d'établir un gouvernement tout
philosophique, les autres d'effectuer leurs projets de grandeur et de
fortune, Necker vint encore interrompre ces songes agréables. Les
capitalistes et les agioteurs, réunissant leurs efforts, avaient empêché le
premier emprunt de trente millions de réussir ; il n'avait produit que deux
millions six cent mille francs. Un second emprunt de quatre-vingts millions,
à cinq pour cent, moitié en argent, moitié en bons royaux, décrété le 27
août, sur la proposition du ministre, n'avait aussi obtenu qu'un médiocre
succès. Le ministre, accablé de tristesse, l'âme déchirée, renouvela dans un
long discours, ses plaintes à l'Assemblée. Il lui reprocha de n'avoir rien
fait pour les finances. Les troubles auxquels la France était en proie,
avaient jeté le discrédit sur les deux emprunts. Cependant le déficit n'était
pas de moins de soixante et un millions ! Les dépenses de l'année courante
exigeaient quatre-vingts millions, et celles de l'année qui devait suivre un
secours extraordinaire de quatre-vingts millions. Tout emprunt devenait
inutile ; ce serait harceler maladroitement la confiance publique ; le
numéraire disparaissait avec cette confiance : pour comble de malheur, les
métaux précieux semblaient fuir du royaume, et chaque jour tarissait la
source des richesses du royaume. En conséquence Necker demanda pour obvier à
des maux si grands et si urgents, une contribution volontaire du quart du
revenu (24
septembre). La
proposition du ministre fut renvoyée au comité des finances, choisi dans le
sein de l'Assemblée nationale[42]. Après
trois jours d'examen, le comité approuva entièrement le plan de Necker et
engagea l'Assemblée à l'adopter de confiance. Mirabeau, quoique ennemi du
ministre, conseilla de voter sans aucune discussion ce plan que les députés
n'avaient pas le temps de juger. « J'ose croire, ajouta-t-il, que la
confiance illimitée que la nation a accordée au premier ministre des
finances, vous autorise à lui montrer dans l'imminence des dangers, la même
confiance illimitée. » Ces paroles entraînèrent le suffrage unanime de
l'Assemblée, et dans le premier moment d'enthousiasme elle ordonna à Mirabeau
de se retirer pour rédiger le projet d'acceptation qu'il avait proposé. Pendant
son absence, M. de Jessé, montant à la tribune, entreprit de combattre une
opinion presque_ convertie en décret : « l'enthousiasme, dit ce député, est
un des plus beaux mouvements du cœur humain ; mais la justice doit être plus
respectée encore, et ce n'est point par ses mouvements, mais par ses
réflexions que doit se conduire une assemblée de législateurs. » Alors il
soutint que la contribution du quart de ses revenus ne pouvait être exigée du
peuple, que dévorait partout la misère, sans avoir épuisé toutes les autres
ressources. « Le trésor est vide ? continua l'orateur eh bien ! il y a,
suivant un habile calculateur, pour un milliard d'argenterie en France ;
évaluons seulement au septième de cette somme l'orfèvrerie des églises, et
nous aurons cent quarante millions. » A ces mots tous les regards se tournent
vers les membres de l'ordre ecclésiastique. Mais l'archevêque de Paris se
leva et déclara que le clergé abandonnerait volontiers au trésor public les
ornements des églises, à la réserve cependant de ce qui serait indispensable la
décence du culte. Au même
instant Mirabeau rentra, et l'empressement de l'Assemblée pour terminer cette
importante affaire, empêcha de mettre aux voix la motion de M. de Jessé. Un
murmure général s'éleva contre la rédaction du projet de décret. Les ennemis
de Necker se plaignaient de ce que l'Assemblée abandonnait sans discussion
les intérêts de ses commettants. Ses amis insinuaient que l'intention de
Mirabeau était de le compromettre en faisant peser sur lui seul la
responsabilité des événements. « On m'a deviné, s'écria Mirabeau avec une
audacieuse franchise, ou plutôt on m'a entendu ; car je n'ai jamais prétendu
me cacher. Je ne crois pas, en effet, que le crédit de l'Assemblée nationale
doive être mis en balance avec celui du premier ministre des finances ; je ne
crois pas que le salut de la monarchie doive être attaché à la tête d'un
mortel quelconque ; je ne crois pas que le royaume feu en péril quand M.
Necker se serait trompé ; et je crois que le salut public serait
très-compromis si une ressource vraiment nationale avait avorté, si
l'Assemblée avait perdu son crédit et manqué une opé» ration décisive. » Il
proposa ensuite une adresse afin d'exciter le patriotisme national, adresse
qui, dans sa pensée, devait être un grand ressort, un grand mobile de succès
pour le chef des finances. Mirabeau
est applaudi, mais la discussion recommence avec une nouvelle ardeur. De
quelle manière l'Assemblée approuvera-t-elle le plan du ministre ? Les
opinions se partagent sur cette question puérile. Bientôt les esprits
s'animent outre mesure ; mille propositions contradictoires s'élèvent ; la
voix des orateurs se perd au milieu du bruit qui retentit de toutes parts
dans l'Assemblée ; les moments sont chers, et cependant ils s'écoulent en
vaines subtilités. Au milieu de ce choc d'idées, Mirabeau indigné,
frissonnant, s'élance une quatrième fois à la tribune, et, ramassant toute sa
vigueur pour emporter le décret, il force l'attention et d'un geste de
souverain commande le silence. L'orateur ramène d'abord à la délibération du
jour par un petit nombre de questions bien simples, la fixe nettement, et
montre à l'Assemblée, avec l'accent de la plus véhémente impression, qu'il
lui est impossible de se soustraire à la triste nécessité qui pèse sur le
royaume. 11 lui montre la banqueroute, le plus inique, le plus inégal, le
plus désastreux des impôts, la banqueroute ouvrant son effroyable gouffre
sous elle, prête à l'engloutir elle et la France. Après
avoir remué les passions secrètes jusqu'au fond de l'une et subjugué les
opinions, les haines, les préjugés, les prétentions de la vanité par les
merveilles de son éloquence, le nouveau Démosthène frappe les derniers coups.
« Votez donc, s'écrie-t-il, ce subside extraordinaire. Et puisse-t-il être
suffisant ! Votez-le, parce que si vous avez des doutes sur les moyens (doutes vagues
et non éclaircis),
vous n'en avez pas sur sa nécessité et sur notre impuissance à le rem-
placer, immédiatement du moins. Votez-le, parce que les circonstances
publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serons comptables de tout
délai. Gardez-vous de demander du temps, le malheur n'en accorde jamais... Eh !
messieurs, à propos d'une ridicule motion du Palais-Royal, d'une risible
insurrection qui n'eut jamais d'importance que dans les imaginations faibles
ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu
naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Rome, et l'on délibère
! et, certes, il n'y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni
factions, ni Rome !... Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideuse
banqueroute est là ; elle menace de consumer, vous, vos propriétés, votre
honneur... et vous délibérez ! » On ne
délibère plus, le feu, la véhémence de l'orateur ont passé dans toutes les
âmes, l'Assemblée entière répond à ce discours par des cris d'admiration et
d'enthousiasme. Un député se lève et dit : « Je demande à répondre à M. de
Mirabeau, » mais il demeura le bras étendu, immobile, muet, glacé
d'épouvante. Alors
l'Assemblée vote à l'instant même le décret suivant : « Vu l'urgence des
circonstances, et ouï le rapport du comité, l'Assemblée nationale accepte de
confiance le plan de M. le premier ministre des finances[43]. » Necker
avait adressé à tous les bons citoyens l'invitation solennelle de porter aux
hôtels des monnaies leur vaisselle plate et leurs bijoux. On ouvrit à la
porte de l'Assemblée une espèce de lombard dans lequel les citoyens de tout
rang et de tout tige allèrent déposer leurs offrandes à la patrie. Tous les
députés s'empressèrent à l'envi d'y porter leurs boucles d'argent. Déjà
Louis XVI et Marie-Antoinette, donnant l'exemple des sacrifices, avaient
envoyé leur vaisselle à la Monnaie. « Le roi, disait alors Barrère dans sa
feuille du Point du jour, le roi, dédaignant un faste inutile à sa grandeur,
a envoyé à la Monnaie toute son argenterie et celle de la reine. Le même
trait honora Louis XIV, mais c'était pour les frais de la guerre qui désolait
l'Europe. Louis XVI veut s'en servir pour assurer les bases de la liberté qui
doit régénérer ses peuples. » L'Assemblée nationale les pria, par députation,
de la retirer, mais le roi répondit que, « ni la reine ni lui n'attachaient
d'importance à ce sacrifice, et qu'ils y persistaient. » Cette réponse reçut
les applaudissements les plus vifs. « Quand la justice et la probité sont sur
le trône, écrivait encore Barrère à cette occasion, toutes les vertus règnent
avec elles[44]. » Enfin, le 1er octobre,
Necker, après avoir déroulé devant l'Assemblée tous les détails du plan
qu'elle avait adopté, déposa en billets de caisse sur le bureau du président
un don de cent mille francs, eu déclarant que cette somme excédait le quart
de son revenu. A de grands maux, le ministre avait eu le courage de présenter de grands et pénibles remèdes, mais la contribution sur laquelle il comptait pour combler le déficit de l'année, ne rapporta que quatre-vingt-dix millions dans l'espace de trois ans[45]. |
[1]
Dans le nombre de ceux qui proposèrent les divers sacrifices de cette nuit, on
compta huit ducs : le duc d'Orléans, le duc du Châtelet, le duc de Mortemart,
le duc de Villequier, le duc d'Amont, le duc de Castries, le duc de Liancourt
et le duc de la Rochefoucauld. (Mémoires de Weber, t. I, chap. IV, p.
405).
[2]
Nommé ministre des affaires étrangères, vers la fin de l'année 1821, M. le
vicomte de Montmorency, a rétracté à la tribune de la Chambre des députés les
opinions qu'il avait émises, au sein de l'Assemblée constituante, dans la
séance du 4 août.
[3]
« Ce fut la nuit du 4 août, que les démagogues de la noblesse, fatigués d'une
longue discussion sur les droits de l'homme, et brûlant de signaler leur zèle,
se levèrent tous à la fois, et demandèrent à grands cris les derniers soupirs
du régime féodal. Ce mot électrisa l'Assemblée.... »
« Le feu avait pris à toutes les têtes. Les cadets de
bonne maison, qui n'ont rien, furent ravis d'immoler leurs trop heureux ainés
sur l'autel de la patrie ; quelques curés de campagne ne goutèrent pas avec
moins de volupté le plaisir de renoncer aux bénéfices des autres ; mais, ce que
la postérité aura peine à croire, c'est que le même enthousiasme gagna toute la
noblesse ; le zèle prit la marche du dépit : on fit sacrifices sur sacrifices.
Et comme le point d'honneur chez les Japonais est de s'égorger en présence les
uns des autres, les députés de la noblesse frappèrent à l'envi sur eux-mêmes,
et du même coup sur leurs commettants. Le peuple, qui assistait à ce noble
combat, augmentait par ses cris l'ivresse de ses nouveaux alliés ; et les
députés des communes, voyant que cette nuit mémorable ne leur offrait que du
profit sans honneur, consolèrent leur amour-propre en admirant ce que peut la
noblesse entée sur le Tiers-état. Ils ont nommé cette nuit la nuit des dupes,
les nobles l'ont nommée la nuit des sacrifices. » (Mémoires de Rivarol, p.
139-140, Collection Berville et Barrière).
[4]
Mémoires de Ferrières, t. I, liv. Hi, p. 183490.— Mémoires de Bailly,
t. II, p. 213-217. — Histoire de la Révolution, par deux amis de la
liberté, t. II, chap. XIII, p. 203-226. Mémoires de Weber, t. 1, chap.
IV, p. 404-405.
[5]
Voir le Moniteur, séance de la nuit du 4 août.
[6]
Courrier de Provence, t. II, n° 24.
[7]
Correspondance inédite, t. I, p. 140, citée dans l'Histoire
parlementaire, t. II, 2e livraison, p. 248.
[8]
« La dîme a donc été supprimée purement et simplement.
Cette suppression est un grand bien pour les
propriétaires de terres. Je crois qu'elle produisait annuellement de
quatre-vingts à cent millions. Ce produit pour l'entretien du culte a dit être
remplacé par un impôt ; le fonds de ce produit que les propriétaires des terres
n'ont pas payé, puisque la charge de la dîme entrait nécessairement dans
l'évaluation des terres, ne pouvait-il pas tourner à quelque profit pour la
nation, chargée d'une énorme dette ? Il me semble qu'on aurait pu mettre
quelque condition à cet abandon des dilues et it leur suppression, si ce n'est
pour les petits propriétaires, au moins pour les gros décimateurs. » (Mémoires
de Bailly, t. II, p. 255).
[9]
« Que voulait en effet la France en 1789 ? En un seul mot l'abolition du régime
féodal. La royauté avait devancé et guidé la nation dans cette longue et
difficile entreprise. Henri IV avait fait les premiers pas décisifs ; Richelieu
avait continué l'œuvre d'Henri IV, et Mazarin celle de Richelieu. »
Victor Cousin, Fin de la fronde de Paris (Revue
des Deux-Mondes, livraison du 15 mars 1859, p. 265).
[10]
Voir le numéro du 15 mai 1858 de la Revue Contemporaine, p. 18-30.
[11]
Weber, Mémoires, t. I, chap. IV, p. 403. — Bailly, Mémoires, t.
II, p. 210. Ferrières, Mémoires, t. I, liv. III, p. 191-192.
[12]
« Malheureusement pour M. Necker, dans cet hommage rendu à l'Assemblée
nationale, il oublia ou dédaigna de comprendre Mirabeau, dont l'ambition
suprême était d'entrer dans un ministère per fas et nefas, et dès lors
commença à exister cette rivalité et cette haine contre lui, que Mirabeau
conserva jusqu'à la mort. » (Weber, Mémoires, t. I, chap. IV, p. 403),
[13]
Bailly, Mémoires, t. II, p. 251. — Histoire de la Révolution, par
deux amis de la liberté, t. II, p. 261-267.
[14]
« Mirabeau commençait alors la guerre contre M. Necker. On assure qu'il lui
avait fait proposer de l'associer au ministère des finances, et que sur le
refus de M. Necker, il résolut de le pousser et de le perdre. » (Bailly, Mémoires.
t. II, p. 237).
[15]
Ferrières, Mémoires, t. I, liv. p. 194-198. — Bailly, Mémoires,
t. II, p. 239-240. — Weber, Mémoires, t. I, chap. IV, p. 405. — Histoire
de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p. 233-246.
« Les capitalistes refusèrent de prêter leurs fonds à
l'État, parce que l'Assemblée nationale avait réduit à quatre et demi l'intérêt
de l'emprunt que M. Necker avait proposé de fixer à cinq pour cent. Le
patriotisme des capitalistes et banquiers disparut à la vue d'un demi pour cent
de diminution. »
(L'abbé de Montgaillard, Histoire de France,
troisième édition, t. II, chap. III, p. 281).
[16]
M. Louis Blanc, que ses doctrines rattachent à celles de Robespierre, nous
dépeint ainsi le député, d'Arras, son héros : « Ce n'était point par Sieyès que
la Révolution devait être conduite : Robespierre était là ! Non qu'à cette
époque le futur ascendant de Robespierre se laisse deviner. Peu s'en fallait
même qu'aux yeux des gentilshommes qui s'essayaient au rôle des Gracques avec
le laisser-aller et la grâce du bel esprit, l'avocat d'Arras ne fût un objet de
risée. La Révolution ne l'ayant pas encore transformé et fait à son image, on
trouvait sa parole lourde et apprêtée : ses apparitions à la tribune, qui, phis
tard, firent trembler, faisaient alors sourire. Rien n'apparaissait de ce qu'il
y avait en lui de fatal et de grand. Seul, en chaque débat, il atteignait à
l'extrémité des questions ; seul, au milieu de tous ces hommes tourmentés de
tant de sentiments contraires, il allait droit devant lui, sans crainte, sans
hésitation, sans respect humain, sans inconséquences, le regard invariablement
fixé sur l'horizon ; mais autour de lui on n'y prenait garde. Le foyer qu'on a
ordinairement dans le cœur, il l'avait, lui, dans la tête. Il était passionné
par l'intelligence. Il avait des croyances solides mais froides comme l'acier.
Sa conviction était indomptable et morne. C'en était assez pour qu'on ne
soupçonnât pas quelle puissance d'agitation résidait en lui. On ne le comprit
que quand la Révolution elle-même voulut être comprise. Lorsqu'il exprimait sa
pensée en formules inflexibles et profondes, ce n'étaient à droite, à gauche,
partout, que transports d'hilarité insultante. Pourtant, en étudiant ses roides
maximes, en éprouvant sa foi d'airain, en interrogeant le bleu amer de ses
yeux, en contemplant son mince visage dont le teint vert rappelait, en de certains
moments, la couleur des flots, quelques-uns eurent un pressentiment confus de
sa destinée. Cet homme, dit un jour Mirabeau dans un moment d'émotion
involontaire, fera quelque chose : il croit à ce qu'il dit. » (Histoire
de la Révolution, t. III, chap. in, p. 33-37.)
Il est facile de reconnaître dans ces lignes l'écrivain
inspiré par une aveugle partialité en faveur de Robespierre, dont il
s'efforcera bientôt de justifier l'affreux système.
A côté de ce portrait nous placerons celui du même
homme que nous a tracé dans son histoire des Girondins l'auteur des
Méditations, le plus grand poète lyrique de la France moderne : « Robespierre
était petit de taille, ses membres étaient grêles et anguleux, sa marche
saccadée, ses attitudes affectées, ses gestes sans harmonie et sans grâce ; sa
voix, un peu aigre, cherchait les inflexions oratoires et ne trouvait que la
fatigue et la monotonie ; son front était beau mais petit, fortement bombé
au-dessus des tempes, comme si la masse et le mouvement embarrassé de ses
pensées l'avaient élargi à force d'efforts ; ses yeux, très-voilés par les
paupières et très-aigus aux extrémités, s'enfonçaient profondément dans les
cavités de leurs orbites ; ils lançaient un éclair bleuâtre assez doux, mais
vague et flottant comme un reflet de l'acier frappé par la lumière ; son nez,
droit et petit, était fortement tiré par des narines relevées et trop ouvertes
; sa bouche était grande, ses lèvres minces et contractées désagréablement aux
deux coins, son menton court et pointu, son teint d'un jaune livide, comme
celui d'un malade ou d'un homme consumé de veilles et de méditations.
L'expression habituelle de ce visage était une sérénité superficielle sur un
fond grave, et un sourire indécis entre le sarcasme et la grâce. Il y avait de
la douceur, mais une douceur sinistre. Cc qui dominait dans l'ensemble de sa
physionomie, c'était la prodigieuse et continuelle tension du front, des yeux,
de la bouche, de tous les muscles de la face. On voyait en l'observant que tous
les traits de son visage, comme tout le travail de son âme, convergeaient sans
distraction sur un seul point, avec une telle puissance qu'il n'y avait aucune
déperdition de volonté dans ce caractère, et qu'il semblait voir d'avance ce
qu'il voulait accomplir, comme s'il l'eût eu déjà en réalité sous les yeux.
Tel était alors l'homme qui devait absorber en lui tous
ces hommes, et en faire ses victimes après en avoir fait ses instruments. Il
n'était d'aucun parti, mais de tous les partis qui servaient tour-à-tour son
idéal de la Révolution. C'était là sa force, car les partis s'arrêtaient ; lui
ne s'arrêtait pas. Il plaçait cet idéal comme un but en avant de chaque
mouvement révolutionnaire, il y marchait avec ceux qui voulaient l'atteindre ;
puis, quand le but était dépassé, il se plaçait plus loin et y marchait encore
avec d'autres hommes, en continuant ainsi sans jamais dévier, sans jamais
reculer. La Révolution, décimée dans sa route, devait inévitablement se résumer
un jour dans une dernière expression. Il voulait que ce fût lui. Il se l'était
incorporée tout entière, principes, pensées, passions, colères. En se
l'incorporant tout entière, il la forçait de s'incorporer un jour en lui. Ce
jour était loin. (Lamartine, Histoire des Girondins, t. I, liv. I, p.
51-52, édition in-8°).
Dans ce dernier portrait où brille l'imagination du
poète, plus que le caractère grave de l'historien, celui du juge impartial,
Robespierre est encore trop flatté. D'ailleurs, en racontant les événements de
cette terrible époque de notre histoire, M. de Lamartine a voulu, comme MM.
Michelet et Louis Blanc, relever les images de Marius, en d'autres termes
réhabiliter la Révolution dans l'esprit de la nation française. Par la peinture
des crimes sanglants qu'elle a enfantés, il a voulu jeter l'indulgence, le pardon,
osons le dire, quelque fois même la gloire, aux auteurs jusque-là les plus
odieux et les plus redoutés de l'horrible drame de 4793. Le 24 février 1848 est
là pour nous dire si les enseignements de son livre, plein de sentiments
républicains, ont porté leurs fruits. Lorsque la royauté fut encore bannie du
trône, M. de Lamartine resta fidèle à son rôle en précipitant le pays dans une
nouvelle œuvre révolutionnaire. Mais n'allons pas plus loin ; rappelons-nous
que ce brillant écrivain a noblement racheté ses erreurs, que « La France a,
pour les hommes qui l'ont honorée par leurs services ou par leurs talents, un
respect qui fait partie de nos mœurs publiques... Il semble que l'on porte
atteinte à son propre honneur quand on blesse des renommées qu'elle a adoptées
et qui font partie de son panthéon national. » (A. Esparbié, Journal la
Fronce, n° du mercredi 27 niai 1863).
[17]
Villemain, Dix-huitième Siècle, t. IV.
[18]
L'universalité que plusieurs historiens reprochent à la Déclaration, est
précisément, dans l'opinion de M. Lanfrey, avec lequel nous ne sommes lias
d'accord, ce qui fait sa grandeur, sa force et sa gloire « Elle procède en
cela, dit-il, comme toutes les grandes révolutions religieuses, philosophiques
et morales, qui ont toujours eu en vue l'humanité tout entière. Si les hommes
venaient jamais à oublier les signes distinctifs du vrai, du beau et du bien,
ils les reconnaîtraient encore à ce caractère de généralité, qui suffirait à
lui seul pour les faire retrouver sous les ruines de toute civilisation et de
toute vertu. » (P. Lanfrey, Essai sur la Révolution française, p.
154-155).
[19]
M. de Virieu raconta que deux habitants de la campagne parlaient un jour du
veto. « Sais-tu ce que c'est que le veto ? dit l'un. — Non. — Eh bien, tu as
ton écuelle remplie de soupe ; le roi te dit : Répands ta soupe, et il faut que
tu la répandes. »
« Un paysan, dit Bertrand de Molleville, à qui je
demandai ce qu'il entendait par le roté suspensif, contre lequel il vomissait
les imprécations les plus violentes, me répondit que si le suspensif passait,
le roi et ses ministres pourraient faire pendre qui ils rendraient. J'eus bien
de la peine à le désabuser. »
[20]
Ferrières, Mémoires, t. I, liv III, p. 203-204.
[21]
Bailly, Mémoires, t. II, p. 290.
[22]
Bailly, Mémoires, t. II, p. 293. — Ferrières, Mémoires, t. I,
livre III, p. 205.
[23]
« Aujourd'hui (18 août) les garçons tailleurs, par une déclaration concertée,
refusèrent de travailler si Fou n'augmentait le prix de leur journée. Tous
d'accord, c'est un moyen bien simple de faire la loi. Je fis venir quelques-uns
d'entre eux, je leur expliquai avec douceur les principes, je leur montrai de
la fermeté pour soutenir ces principes, et leur promis justice ; ils
s'assemblèrent cependant ; j'avais prévenu M. de La Fayette qui y envoya des
forces ; et à cette vue ils prirent le parti de se retirer...
« Les perruquiers s'assemblèrent aussi ; leurs demandes
n'étaient pas injustes : mais dans ces moments, toutes les assemblées étaient
inquiétantes ; on cherchait à armer les différents corps les uns contre les
autres, » (Bailly, Mémoires, t. II, p. 276-277).
[24]
« Les districts, au lieu de se regarder comme des fractions de communes,
forment des communes séparées, et s'attribuent une volonté entière, quoiqu'ils
n'aient qu'un soixantième de volonté. » (Prudhomme, Révolutions de Paris,
n° 5).
[25]
« La mésintelligence qui règne dans les districts, la contradiction de leurs
principes, de leurs arrêtés et de leur police, leur désunion de sentiments avec
le corps municipal, offrent, depuis que le premier danger est passé, le
spectacle d'une épouvantable anarchie. » (Prudhomme, Révolutions de Paris,
n° 5).
[26]
« Le soir il y eut du trouble au Palais-Royal ; on avait soufflé la discorde.
Un certain parti de l'Assemblée, voulant se faire appuyer du peuple, a fait
échauffer les esprits, et a élevé la querelle du veto... On disait au peuple
que des traîtres voulaient le veto absolu, que la France allait être esclave. »
(Bailly, Mémoires, t. II, p. 326).
[27]
Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap. XXI,
p. 359-361. — Bailly Mémoires, t. II, p. 326-327. — Ferrières, Mémoires,
t. I, liv. III, p. 326.
[28]
Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, chap.
XXI, p. 361-362. — Prudhomme, Révolutions de Paris, n° 8, p. 10.
[29]
Prudhomme, Révolutions de Paris, t. I, n° 8, p. 12. C'était au café de
Foy que se tenaient habituellement les assemblées des orateurs du Palais-Royal.
Ils s'y rendaient dès le matin, et n'en sortaient quelquefois qu'après minuit.
Là ils recevaient des communications de leurs agents, des députations envoyées
par les districts. Ils en adressaient à la Commune et male à l'Assemblée
nationale. Prudhomme rapporte que souvent le maître du café, pressé de se
courber, renvoyait les assistants qui terminaient leurs délibérations dans le
jardin du Palais-Royal.
[30]
Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté, t. II, chap. XXI,
p. 363-370. — Mémoires de Bailly, t. II, p. 331-338. — Mémoires de
Ferrières, t. I, liv. III, p. 231-234. — Prudhomme, Révolutions de Paris,
t. I, n° 8, p. 16.
[31]
Une de ces lettres adressées au président (l'évêque de Langres), signée par le
marquis de Saint-Huruge et par quelques autres personnes, était ainsi conçue :
« L'assemblée patriotique du Palais-Royal a l'honneur de vous faire part
que si la portion de l'aristocratie formée par une partie du clergé, par une
partie de la noblesse, et par cent vingt membres des communes, ignorants ou
corrompus, continue de troubler l'harmonie, et vent encore la sanction absolue,
quinze mille hommes sont prêts à éclairer leurs châteaux et leurs maisons, et
les vitres particulièrement, monsieur, et à faire subir aux députés qui
trahissent leur patrie le sort des Foullon et des Berthier. »
Une note remise aux secrétaires contenait ces paroles :
« Vos maisons répondront de votre opinion, et nous espérons due les anciennes
leçons recommenceront : songez-y et sauvez-vous. »
[32]
Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 228-231. — Mémoires de
Bailly, t. II, p. 341-345. — Histoire de la Révolution par deux amis
de la liberté, t. II, chap. XXI, p. 371-377.
[33]
Mémoires de Ferrières, t. II, liv. III, p. 231-237. — Histoire de la
Révolution par deux amis de la liberté, t. III, chap. I, p. 1-16.
[34]
Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 237-241. — Mémoires sur
Mirabeau, t. III, p. 432-441.
[35]
Mémoires de Ferrières, t I, liv. III, p. 240-241. — Mémoires sur
Mirabeau, t. III, p. 309-310.
[36]
Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 213-214. Collection Berville
et Barrière.
[37]
« Je crois que l'Assemblée a fait sagement de ne pas juger dans ce moment les
renonciations. Mirabeau n'était pas de cet avis ; mais si l'Assemblée avait
toujours eu la même sagesse de ne pas multiplier, au moment de sa naissance,
les ennemis de la constitution, notre position actuelle serait meilleure. Il ne
faut pas admettre la branche d'Espagne sur le trône de France ; il ne faut pas,
dans le moment présent l'exclure plus que ne l'ont fait les renonciations.
Voilà tout en deux mots. C'est ce qu'a fait l'Assemblée. » (Mémoires de
Bailly, t. II, p. 373).
[38]
« Le roi sanctionna ce qui tenait au sacrifice de ses plaisirs, mais refusa son
adhésion aux autres décrets de cette tumultueuse nuit : ce refus devint une des
principales causes des crises du mois d'octobre. » (Mémoires de Madame
Campan, t. II, chap. XV, p. 68).
[39]
Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. III, ch. I,
p. 16-27. — Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 244.
[40]
« L'Assemblée nationale, qui veut bien tromper le peuple sur l'état du roi,
mais qui ne veut pas que les ministres s'y trompent, s'indigna contes les
observations de sa majesté. Elle soutint vivement qu'en sa qualité de corps
constituant suprême, elle ne devait attendre du pouvoir exécutif que la
parfaite obéissance que tout officier doit au souverain. Peu s'en fallut même
que ces représentations ne fussent traitées de félonie. line Assemblée si
jalouse du bonheur des peuples pouvait-elle consentir qu'un simple délégué, tel
que Louis XVI, voulût en partager avec elle les tendres inquiétudes ? » (Mémoires
de Rivarol, p. 248).
[41]
Rivarol, Mémoires, p. 204.
[42]
Histoire de la Revolution, par deux amis de la liberté, t. III, chap.
II, p. 32-37. — Mémoires de Rivarol, p. 105-108. — Mémoires de Bailly,
t. II, p. 369. — Mémoires de Ferrières, t. I, liv. III, p. 251-252.
[43]
Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. III, chap.
II, p. 38-51. — Mémoires de Ferrières. t. I, liv. III, p. 252-263. — Mémoire
sur Mirabeau, t. III, p. 447-460.
[44]
Mémoires de Weber, t. I, chap. IV, p. 408.
[45]
Mémoires de Weber, t. I, chap. IV, p. 409.