Maladie de Brienne. —
Obstacles suscités au ministère par le parlement pour la perception de
l'emprunt. — Coup d'État préparé contre la magistrature. — Séance dit
parlement. — Arrestation des conseillers d'Eprémesnil et Montsabert. — Lit de
justice du 8 mai. — Création d'une cour plénière. — Protestations. — La
noblesse s'unit aux magistrats. — Résistance de la Normandie, de la Bretagne,
du Béarn, de la Provence, du Dauphiné. — Assemblée de Vizille. — Folle
sécurité de Brienne. — Assemblée extraordinaire du clergé. — Sa conduite
imprudente. — Invitation aux Français de publier leurs idées sur la manière
de former les états-généraux. — Le roi convoque les états pour le 1er mai
1789. Inquiétudes de Malesherbes. — Aveugle confiance de Brienne. — Ses
honteux expédients pour remédier à la crise financière. — Alarmes des
rentiers. — Brienne offre à Necker le contrôle général des finances. —
Disgrâce de l'archevêque de Sens et rappel de Necker. — Brienne se retire
comblé de faveurs.
Depuis
longtemps, Brienne, d'une complexion délicate, qu'il avait épuisée par une
vie peu sévère, beaucoup d'ambition et de travail, traînait une santé frêle
et ne combattait que par un grand régime une dartre qui le dévorait. Irrité
des obstacles qu'il rencontrait et accablé d'inquiétudes, il tomba malade :
bientôt l'humeur se jeta sur la poitrine, et au moment où le ministre avait
besoin de toutes ses forces et de toute son application, les médecins lui
recommandèrent le repos d'esprit et le silence. Au milieu de l'agitation
qu'une semblable prescription lui causait, on le vit s'enrichir avec une
honteuse cupidité : il échangea son archevêché de Toulouse contre celui de
Sens, beaucoup plus lucratif ; que laissait vacant la mort du cardinal de
Luynes, et se fit donner en sus une coupe de bois de 900.000 francs pour
payer ses dettes[1]. Lorsqu'il abandonna le
ministère, ses revenus en bénéfices, s'élevaient à 678.000 francs. On ne
songea pas qu'on fournissait une ample pâture à la haine, en accumulant les
biens ecclésiastiques sur la tête de l'homme qui imposait l'économie aux
autres. Malgré
son douloureux état, Brienne se rattachait au pouvoir. Il résolut, pour
s'assurer le repos, de renverser la magistrature, et s'entretint de sou
projet avec Lamoignon. Après avoir essayé tour à tour de la politique de
Richelieu et de celle de Mazarin, sans posséder même assez d'art pour jouer
ni l'une ni l'autre, il voulait annuler l'édit de rappel des parlements et
opérer la même réforme que Maupeou. Le garde des sceaux, qui portait un nom
honoré dans l'histoire parlementaire, refusa de marcher ouvertement sur les
traces d'un chancelier, devenu l'objet du mépris universel. D'accord avec
l'archevêque de Sens sur le but., il lui fit envisager qu'ils pouvaient
arriver au même résultat que Maupeou par des voies différentes ; qu'il ne
fallait point adopter une demi-mesure, mais porter un coup décisif pour
étouffer l'insurrection manifeste du parlement et réduire ce corps aux
fonctions judiciaires. Charmé de ces vues, le principal ministre laissa au
garde des sceaux le soin de tracer un plan de réforme radicale. Vers
cette même époque, fidèle à l'engagement qu'il avait contracté de rendre un
compte annuel des finances, le gouvernement annonça qu'il allait publier
l'état des recettes et des dépenses de l'année courante. Le public
connaissait déjà le résultat du compte. La disproportion du revenu ordinaire
avec les charges totales de cette année était de cent soixante millions. M.
Lambert, alors contrôleur général des finances, longtemps membre distingué du
parlement de Paris, avait mis à ce Compte-rendu le sceau de son travail et de
sa probité. Une émulation digne d'éloges se faisait remarquer dans les divers
départements. Le comte de Brienne avec le conseil de la guerre, le comte de
la Luzerne avec celui de la marine se livraient sans relâche à des travaux
dont l'ensemble attestait le plus grand zèle. De son côté, le baron de
Breteuil s'appliquait à l'embellissement salutaire de Paris. Ainsi il
dégageait les ponts des masures malsaines qui les surchargeaient ; rendait à
l'air sa circulation et sa salubrité ; isolait, multipliait et enrichissait
les hôpitaux. Il obéissait enfin au vœu le plus cher de Louis XVI en soignant
le pauvre avec une attention suivie[2]. Tout-à-coup
le parlement, après s'être attaché quatre mois durant à déclamer contre les
lettres de cachet, parut craindre que le crédit public ne se relevât des
blessures sans nombre qu'il lui avait portées. Il revint donc sur
l'enregistrement forcé des emprunts du 19 novembre, et arrêta des
remontrances pour répéter que les emprunts ordonnés dans cette séance étaient
illégaux (11
avril). Dans sa
réponse, faite le I9 avril, le roi soutint qu'on n'avait pas eu besoin de
résumer ni de compter les voix, parce qu'il jugeait par lui-même lorsqu'il
assistait à la délibération, et n'avait pas à tenir compte de la pluralité. «
Si la pluralité, dans mes cours, forçait ma volonté, la monarchie ne serait
plus qu'une aristocratie de magistrats[3]. » Cette dénomination, qui
devait avoir dans nos troubles civils un retentissement si prodigieux,
répondait à l'accusation de despotisme que le parlement avait lancée contre
les ministres. Dans de
nouvelles remontrances, rédigées pour répliquer à la réponse du roi, les
parlementaires n'oublièrent point de la relever : « Les ministres,
dirent-ils, nous imputent le projet insensé d'établir une aristocratie de
magistrats... Quel moment ont-ils choisi pour cette imputation ? Celui où
votre parlement, éclairé par les faits et revenant sur ses pas, prouve qu'il
est plus attaché aux droits de la nation qu'à ses propres exemples. — La
constitution française parraissait oubliée ; on traitait de chimère
l'assemblée des états-généraux... Mais il restait le parlement. On le croyait
frappé d'une léthargie en apparence universelle : on se trompait. Averti
tout-à-coup de l'état des finances... il s'inquiète, il cesse de se faire
illusion, il juge de l'avenir par le passé ; il ne voit pour la nation qu'une
ressource, la nation elle-même... Il exprime le vœu des états-généraux...
Votre Majesté les promet, sa parole est sacrée... Les états-généraux seront
donc assemblés A qui le roi doit-il ce grand dessein ? A qui la nation
doit-elle ce grand bienfait ?... Non, Sire, point d'aristocratie en France,
mais point de despotisme[4]. » L'édit
qui prorogeait le second vingtième, avait annoncé que la perception en serait
soumise à une surveillance plus exacte. Afin d'éviter les fausses
déclarations des privilégiés, le ministre avait ordonné que des contrôleurs
procédassent à la vérification. Un jeune conseiller, Goislard de Montsabert,
essaya de mettre obstacle à la levée de l'impôt en les dénonçant. Il ne
craignit pas de se couvrir de la thèse absurde, déjà discutée sous Necker,
qu'un propriétaire, dans l'absence de représentants pour voter les subsides,
est le seul juge de décider ce que doit payer sa terre. Son but était de
soustraire les domaines des nobles à toute vérification. Il fallait certes
toute l'inhabileté et la faiblesse du ministère pour souffrir que la
popularité s'attachât à des hommes qui soutenaient avec tant d'impudeur les
privilèges et les abus. Le parlement ordonna que les gens du roi
informeraient sur la conduite des contrôleurs (29 avril). Après avoir empêché la
réalisation de l'emprunt, il mettait des entraves à la perception de l'impôt. De tels
principes rendaient le gouvernement impossible et semblaient autoriser le
coup d'État médité par le ministère. On y travaillait de longue main avec
ardeur, mais quelques confidences imprudentes de Brienne et de Lamoignon, lui
voulaient cependant couvrir d'un profond secret leurs desseins, avertirent
trop l'ennemi. Une vague rumeur annonçait un coup d'État à la Maupeou ; elle
s'accréditait chaque jour davantage et l'opinion l'accueillait avec colère et
mépris. Un travail mystérieux se faisait à Versailles, par ordre du
ministère, dans une imprimerie, dont les ouvriers gardés à vue, travaillaient
jour et nuit. Tous les commandants militaires des provinces avaient l'ordre
de se rendre à leur poste ; les soldats rejoignaient leurs drapeaux ; des
conseillers d'État et des maitres des requêtes étaient envoyés aux sièges des
parlements, avec des dépêches cachetées qu'ils devaient ouvrir le 8 mai,
partout à la même heure. Sur ces
entrefaites, des conciliabules de résistance s'étaient organisés chez Adrien
Duport ; les hommes les plus influents du parlement, d'Eprémesnil, Fréteau,
Robert de Saint-Vincent, Sémonville, Morel de Vindé, les abbés Sabathier, Le
Coigneux et Louis, y conféraient avec les ducs de Luynes, d'Aiguillon, de la
Rochefoucauld, l'évêque d'Autun, Talleyrand-Périgord, les marquis de
Condorcet et de La Fayette. Là en se préparant à la défense, on commençait la
lutte, car les magistrats soupçonnant les projets de Brienne, cherchaient à
les flétrir d'avance et à se concilier ainsi l'opinion. Un ouvrier imprimeur,
corrompu à prix d'argent par d'Eprémesnil, trouva, dit-on, le moyen de lui
faire parvenir une épreuve des édits que le ministère se proposait de proclamer
dans un lit de justice. D'Eprémesnil sonna l'alarme, provoqua. et obtint
aussitôt la convocation générale des chambres, à laquelle plusieurs des pairs
se rendirent. Il prit alors la parole et s'exprima en ces ternies : « Les
inquiétudes de cette compagnie et celles de la nation n'étaient que trop
fondées. J'ai percé un mystère affreux. Il ne s'agit plus de conjectures ni de
suppositions : voici les nouveaux édits que l'on prépare. » Après en avoir
fait la lecture, d'Eprémesnil ajouta : « Les mouvements qui vous
transportent m'ont appris vos résolutions, ou plutôt elles m'étaient connues
même avant d'entrer dans cette salle. Nid de vous ne se rendra le complaisant
salarié de ministres en démence. On nous laisse encore quelques moments pour
protester : faisons-le avec toute l'énergie d'hommes d'honneur, avec tout le
calme de sujets courageux et fidèles. Quand un grand sujet d'effroi va se
répandre dans la nation, qu'elle ait un motif de consolation et d'espérance
en apprenant qu'aucun de nous ne se sépare des honorables compagnons de ses
travaux... Les ministres ont entrepris de dégager le roi d'une parole
solennelle et de lui faire éluder la convocation des états-généraux. La
nation n'oublie point les paroles données par le monarque ; elle n'oubliera
pas non plus ce que nous avons fait pour qu'elle rentrât dans ses droits.
Après l'honneur d'avoir fait une si noble réclamation, il en reste encore un
que nous allons obtenir : c'est d'être punis de notre fidélité aux
constitutions du royaume. Bientôt nous serons plaints et regrettés par le roi
que nous avons essayé en vain d'éclairer sur ses véritables intérêts et sur
sa gloire. Mais rendons grâce au ciel de ce que l'excès de la violence est
accompagné de l'excès du délire. Les progrès qu'a faits la nation depuis
dix-huit ans sont incalculables. Elle était en quelque sorte dans un état
d'enfance, lors- qu'un homme, dont je rougis d'avoir encore à prononcer le
nom devant cette compagnie, le chance- lier Maupeou, forma et put exécuter le
projet de dissoudre les parlements. Aujourd'hui où l'on veut renouveler cette
tentative, la nation est dans toute sa force. Les trois ordres du royaume
sont animés des mêmes sentiments : c'est de nous qu'ils les ont reçus. Il
faut aimer les périls qui produisent un si bel effet. Gardons-nous ici de
tout acte qui caractériserait la rébellion : la force d'inertie est pour les
magistrats la défense de l'honneur. Vos ancêtres n'avaient que cette arme à
opposer aux menaces du roi d'Espagne Philippe II et à la tyrannie des Seize.
Laissons les sièges qu'ils occupèrent tellement honorés, que ceux même qui ne
rougissent de rien craignent de nous y remplacer. » Sur la
_prière de l'orateur, le premier président mit en délibération ce qu'il
convenait de faire dans l'état où se trouvait la chose publique (3 mai). Cette délibération aboutit à
l'arrêté suivant qui renfermait la déclaration des principes constitutifs de
la monarchie française : « La
cour, les pairs y séant, justement alarmée des événements funestes dont une
notoriété trop constante paraît menacer la constitution de l'État et la
magistrature ; considérant que les motifs qui portent les ministres à vouloir
anéantir les lois et les magistrats, sont la résistance inébranlable que
ceux-ci ont mise à s'opposer à deux impôts désastreux, la demande qu'ils
n'ont cessé de faire des états-généraux avant tout impôt nouveau, etc. ; »
Considérant enfin que le système de la seule volonté, clairement exprimé dans
différentes réponses surprises au seigneur roi, annonce de la part des
ministres, le funeste projet d'anéantir les principes de la monarchie, et ne
laisse à la nation d'autre ressource qu'une déclaration précise par la cour,
des maximes qu'elle est chargée de maintenir, et des sentiments qu'elle ne
cessera de professer ; »
Déclare que la France est une monarchie gourer-née par le roi, suivant les
lois : » Que
de ces lois, plusieurs qui sont fondamentales, embrassent et consacrent : » Le
droit de la maison régnante au trône, de male en male, par ordre de
primogéniture à l'exclusion des filles et de leurs descendants ; » Le
droit de la nation d'accorder librement les subsides, par l'organe des
états-généraux, régulièrement convoqués et composés ; » Les
coutumes et capitulations des provinces ; »
L'inamovibilité des magistrats ; le droit des cours de vérifier, dans chaque
province, les volontés du roi, de n'en ordonner l'enregistrement qu'autant
qu'elles sont conformes aux lois constitutives de la province, ainsi qu'aux
lois fondamentales de l'État ; » Le
droit de chaque citoyen de n'être jamais traduit, en aucune matière, devant
d'autres juges que ses juges naturels, qui sont ceux que la loi lui désigne ; » Et le
droit sans lequel tous les autres sont inutiles ; celui de n'être arrêté par
quelque ordre que ce soit, que pour être remis sans délai entre les mains des
juges compétents ; »
Proteste ladite cour contre toute atteinte qui serait portée aux principes
ci-dessus exprimés ; »
Déclare unanimement qu'elle ne peut, en aucun cas, s'en écarter ; que ces
principes également certains, obligent tous les membres de la cour, et sont
compris dans leur serment ; en conséquence, qu'aucun des membres qui la
composent, ne doit ni n'entend autoriser par sa conduite la moindre
innovation à cet égard, ni prendre place dans aucune compagnie qui ne serait
pas la cour elle-même, composée des mêmes personnages et revêtue des mêmes
droits ; » Et,
dans le cas où la force, en dispersant la cour, la réduirait l'impuissance de
maintenir par elle-même les principes contenus au présent arrêté, la dite
cour déclare qu'elle en remet le dépôt inviolable entre les mains du roi, de
son auguste famille, des pairs du royaume, des états-généraux, et de chacun
des ordres réunis ou séparés qui forment la nation[5]. » Dès le
lendemain (4 mai), cet arrêté et celui du 20 avril contre les contrôleurs du
vingtième furent cassés par le conseil et l'ordre fut donné d'arrêter Duval
d'Eprémesnil et Goislard de Montsabert, les promoteurs des deux arrêtés. Ces
deux conseillers, prévenus à temps du sort qui les attendait, se réfugièrent,
de nuit, au Palais même et dénoncèrent au premier président l'attentat formé
contre leurs personnes. Les magistrats et les pairs se réunirent de grand
matin le 5 mai. Le parlement rendit alors un arrêt pour mettre d’Eprémesnil
et Goislard sous la sauvegarde du roi et de la loi, envoya une députation à
Versailles, et résolut de rester en séance jusqu'au retour des députés. Pendant
ce temps des milliers de spectateurs se portaient au Palais. Au nombre des
groupes qui se pressèrent bientôt dans sa vaste enceinte, on en remarqua
plusieurs armés de différentes sortes et disposés à des projets séditieux.
Des hommes en guenilles, à la figure sinistre et mêlés à la jeunesse
enthousiaste, faisaient entendre d'horribles vociférations et couvraient
d'opprobre les noms de Brienne, de Lamoignon, du comte d'Artois, sans
épargner ceux de Marie-Antoinette et de Louis XVI lui-même. « Nous ferons,
disait-on, un rempart de nos corps à d'Eprémesnil. » A l'arrivée des pairs
restés fidèles à la cause du parlement, la foule laissait éclater des
transports de joie. « Défendez d'Eprémesnil, leur criait-elle, ne souffrez
pas qu'on vous l'arrache. » Vers
minuit, les magistrats, du lieu de leur séance, entendirent d'abord un bruit
tumultueux, bientôt après des pas de chevaux et un cliquetis d'armes.
C'étaient plusieurs compagnies des gardes françaises, précédées de sapeurs,
qui investissaient le Palais. Aussitôt les avenues, les corridors, les
salles, tout fut occupé à travers la foule irritée et grondante. Quelques
jeunes conseillers voulaient que, dans cette circonstance extraordinaire, on
s'écartât de l'usage de ne point délibérer publiquement. Messieurs, dit avec
dignité le président de Gourgues, voulez-vous changer les formes anciennes ?
Sur la réponse qui fui presque unanime, les étrangers évacuèrent la salle où
délibérait la compagnie. Bientôt un aide-major des gardes françaises, le
marquis d'Agoult, fit annoncer qu'il demandait à entrer de la part du roi ;
il fut introduit à l'instant. Cet officier d'une fermeté extrême, regardait
comme un devoir l'obéissance aux ordres de Sa Majesté ; et cependant, à
l'aspect d'une imposante assemblée de magistrats, parmi lesquels siégeaient
des ducs et pairs, des maréchaux de France et des prélats, il ne put se
défendre de quelque trouble, et de lire, d'une voix légèrement altérée, un
billet signé du roi, qui lui ordonnait d'arrêter, dans la grand'chambre, ou partout
ailleurs, MM. Duval d'Eprémesnil et Goislard de Montsabert, pour les remettre
entre les mains des officiers de la prévôté de l'hôtel. La cour va en
délibérer, lui dit le président. Vos formes sont de délibérer,
répondit vivement le marquis, revenu de sa première surprise, je ne
connais pas ces formes-là Je suis chargé des ordres du roi ; ils ne souffrent
pas de délai ; il faut que je les exécute. Il pressa ensuite le président
de satisfaire à sa réquisition, et le somma de lui désigner les cieux
magistrats qu'il ne connaissait pas. Excité par quelques mots piquants et
dédaigneux que lui adressèrent les ducs de Praslin, de Noailles et de la
Rochefoucauld, le major répéta sa sommation ; alors, l'assemblée s'écria tout
d'une voix : « Nous sommes tous d'Eprémesnil et Montsabert ! si vous
prétendez les enlever, enlevez-nous tous ! » Un silence profond
succéda à cette exclamation. D'Agoult se retira, annonçant qu'il allait
rendre compte à ses chefs et attendre les ordres du roi. Les
députés revinrent de -Versailles, à trois heures du matin, sans avoir été
reçus ; on avait oublié d'envoyer les gens du roi demander le moment où Sa
Majesté voudrait les admettre. Le parlement décida qu'ils partiraient
sur-le-champ ; mais ils étaient aussi prisonniers, et la force militaire
refusa de les laisser sortir. La nuit se passa ainsi comme au milieu d'une
place assiégée. Toute communication au dehors était interdite ; les
magistrats avaient seulement la liberté d'aller de la grand'chambre dans l'intérieur
du Palais sous l'escorte d'une garde, et s'il arrivait des lettres, on ne les
remettait qu'après les avoir ouvertes. Les
pairs reçurent des lettres du roi, portées trop tard à leurs hôtels ; elles
leur enjoignaient de ne pas se rendre au Parlement. Après une courte
délibération entre eux, les pairs déclarèrent qu'ils ne se sépareraient point
des magistrats pendant toute la séance. A onze
heures du matin, le marquis d'Agoult se présenta de nouveau et somma encore,
au nom du roi, les deux magistrats de se faire connaître ; personne ne lui
répondit. Il fit entrer un exempt de robe courte, auquel il ordonna de lui
désigner MM. de Montsabert et d'Eprémesnil. Cet exempt, nommé Larchier,
paraissait fort ému toutefois il se rassura au bout de quelques minutes,
promena ses regards sur l'assemblée, et après cette marque extérieure
d'obéissance, déclara qu'il ne les voyait pas. D'Agoult lui réitéra par trois
fois l'ordre de regarder attentivement : mais l'officier de police persista
dans sa réponse. Alors d'Agoult lui ordonna de se retirer et fut obligé de
sortir pour prendre de nouvelles instructions. Les
deux conseillers et leurs collègues jugèrent qu'on avait prolongé cette scène
aïe longtemps pour la dignité du parlement et pour réserver le droit ; ils craignirent
aussi de compromettre par une plus longue résistance le généreux Larchier. On
rappela le marquis d'Agoult, et d'Eprémesnil restant assis et couvert, lui
dit :« Je suis un des magistrats que vous cherchez à main armée dans le
sanctuaire de la loi. » Il lui demanda ensuite si les soldats avaient l'ordre
d'employer la force, dans le cas où il ne le suivrait pas volontairement. Sur
la réponse affirmative du major : « Je veux, continua-t-il, épargner à la
cour et à moi-même l'horreur du spectacle qui nous est préparé. » Puis il se
leva, se découvrit et s'adressant au parlement : Je suis, dit-il, la victime
qu'on vient immoler sur l'autel même ; mon crime est d'avoir défendu la
liberté publique contre les atteintes sans nombre qui lui ont été portées ;
je souhaite que le triomphe que remportent aujourd'hui les ennemis des lois
ne soit pas préjudiciable à l'État : je prie la compagnie de ne point perdre
le souvenir de l'attachement que je lui ai voué, et je puis l'assurer que,
quel que soit le sort qui peut m'être réservé, quelles que soient les
propositions qui me seront faites, je serai toujours digne d'être un de ses
membres. » Après avoir recommandé sa famille à ses collègues et embrassé ceux
qui l'entouraient, il s'inclina profondément devant l'assemblée, descendit
d'un pas ferme et suivit d'Agoult. Au retour du chef de la force armée,
Montsabert sommé de le suivre, se leva et obéit en déclarant qu'il adhérait aux
protestations et aux sentiments de son collègue d'Eprémesnil, et que, fût-il conduit
à l'échafaud, il ne se départirait jamais des sentiments d'honneur et de
courage qu'il avait puisés dans le sein du parlement et que ses pères lui
avaient transmis[6]. Il fut envoyé au château de
Pierre-Encise, et d'Eprémesnil aux fies Sainte-Marguerite. Les
deux conseillers proscrits une fois emmenés, le marquis d'Agoult acheva de
remplir ses instructions ultérieures et annonça aux magistrats qu'ils étaient
libres de se retirer. Le parlement consterné arrêta des remontrances, pleines
de tristesse et de fermeté, respectueuses encore, mais péremptoires, pour la
liberté de ses deux membres « arrachés avec violence du sanctuaire des
lois, » et se sépara, après plus de trente heures de séance. Les portes du
Palais furent aussitôt fermées et gardées. Alors on vit se dissiper la foule
qui, pour se consoler du dénouement de cette scène dramatique, alla insulter
dans plusieurs quartiers les postes du guet de Paris. C'était
ainsi que des ministres, incapables d'une sage et légitime résolution au
milieu de la tempête, et conduits par l'archevêque de Sens, qu'égarait
l'orgueil, savaient préparer l'opinion publique aux changements depuis
longtemps médités. Sur la proposition de Brienne, le roi fit un autre acte
qui pouvait exciter du mécontentement sans rien ajouter à sa gloire ou à sa
puissance : il nomma le marquis d'Agoult gouverneur des Tuileries. Le peuple,
dont tout l'intérêt se portait sur d'Eprémesnil, vit dans cette récompense
impolitique une bravade du premier ministre et l'en méprisa d'avantage. Les
craintes du parlement ne tardèrent pas à se réaliser : le 8 mai, au matin, il
reçut l'ordre de se rendre à Versailles pour la tenue du lit de justice
auquel on s'attendait. D'autant plus offensé des injustices du parlement
qu'il avait lui-même la conscience de ses intentions pures, le roi ouvrit la
séance par un discours concis et sévère, prononcé avec l'accent d'une sombre
douleur. « Il n'y a point d'écart, dit-il, auquel, depuis une année, ne s'est
livré le parlement de Paris, imité aussitôt par les parlements des provinces.
Le résultat de leurs entreprises est l'inexécution de lois intéressantes et
désirées, la langueur des opérations les plus précieuses, l'altération du
crédit, l'interruption ou la suspension de la justice, enfin l'ébranlement
même de l'édifice social et de la tranquillité publique. Je dois à mes
peuples, à moi-même, et à mes successeurs de réprimer de tels écarts. » Après
avoir exposé le mal, Louis annonça le remède : « forcé à regret de punir
quelques magistrats, j'aime mieux prévenir que réprimer de semblables excès.
Je ne veux pas détruire mes parlements, mais les ramener à leur devoir et à
leur institution. Je veux convertir un moment de crise en une époque
salutaire pour mes sujets ; commencer la réforme de l'ordre judiciaire par
celle des tribunaux ; procurer aux justiciables utile justice plus prompte et
moins dispendieuse ; confier de nouveau à la nation l'exercice de ses droits
légitimes, qui doivent toujours se concilier avec celui du souverain : je
veux surtout mettre dans toutes les parties de la monarchie cet ensemble et
cette unité de vues, sans lesquels un grand royaume est affaibli par le
nombre même de ses provinces... »
L'ordre que je viens d'établir n'est pas nouveau. Le parlement était unique à
l'époque où Philippe-le-Bel l'a rendu sédentaire à Paris. Il faut à un grand
-État un seul roi, une seule loi, un seul enregistrement ; des tribunaux d'un
ressort peu étendu, chargés de juger le plus grand nombre de procès ; des
parlements auxquels les plus importants seront réservés ; une cour unique,
dépositaire des lois communes à tout le royaume, enfin des états-généraux
assemblés non une fois, mais toutes les fois que le besoin de l'État
l'exigera. Telle est la restauration que mon amour pour mes sujets a
préparée, qu'il consacre aujourd'hui pour leur bonheur. » Le roi ordonna
ensuite au garde des sceaux de faire connaître plus en détail ses intentions. Lamoignon,
qui, dans ce jour, prit cinq fois la parole, fit d'abord un pompeux éloge de
tous les bienfaits émanés des lits de justice à diverses époques ; puis il
donna lecture de six édits ou déclarations du roi. Le premier de ces édits,
relatif à l'administration de la justice, augmentait la compétence des
présidiaux, établissait entre ces tribunaux inférieurs et les parlements quarante-sept
grands bailliages jugeant en dernier ressort toutes les contestations civiles
dont le fonds n'excèderait pas 20.000 francs, et toutes les affaires
criminelles, excepté celles concernant les ecclésiastiques, gentilshommes ou
autres privilégiés. Le second édit supprimait généralement tous les tribunaux
d'exception, tels que les bureaux des finances, les trésoriers de France, les
élections et juridictions des greniers à sel, les chambres du domaine et du
trésor, les maîtrises des eaux et forêts. Le troisième abrogeait l'usage de
la sellette et de la question préalable (préalable à l'exécution), maintenue
à l'époque de l'abolition de la question préparatoire, en 1780 ; ordonnait
que les crimes seraient définis dans les jugements de condamnation, et que
ces décisions, comme celles d'acquittement, recevraient la publicité par la
voie de l'impression-et de l'affiche ; portait trois voix, au lieu de deux,
la majorité nécessaire pour les condamnations à mort et exigeait un sursis d’un
mois entre la condamnation et le supplice, le cas de sédition excepté — afin
que le droit de grâce appartenant au roi ne fût plus rendu illusoire —. Le
cœur généreux de Louis XVI léguait toutes ces améliorations importantes à
notre législation criminelle, comme un monument de sa bienfaisance pour son
peuple. Le quatrième édit réduisait le parlement de Paris de cinq à trois
chambres formées en tout de soixante-sept membres. Après
un préambule destiné à faire ressortir la nécessité que les lois communes à
tout le royaume fussent enregistrées dans une cour aussi commune à tout le
royaume, le cinquième dépouillait le parlement du droit d'enregistrer les
lois et le confiait à une cour plénière que l'édit prétendait antérieure au
parlement, et qui, suivant le garde des sceaux, « étrangère sans doute aux habitudes
des derniers siècles, n'était cependant une innovation ni dans les annales,
ni dans le droit public île la monarchie française. Le roi ne faisait que
rétablir ce tribunal supérieur autrefois existant[7]. » La cour plénière était
composée du chancelier ou garde des sceaux de France, de la .grand'chambre du
parlement de Paris, dans laquelle prendraient séance les princes du sang et
pairs du royaume, le grand aumônier, le grand maître de la maison du roi, le
grand chambellan, le grand écuyer, deux archevêques, deux évêques, deux
maréchaux de France, cieux gouverneurs, deux lieutenants généraux, deux
chevaliers des ordres du roi, quatre autres personnages également qualifiés,
le capitaine des gardes lorsqu'il accompagnerait le mi, dix conseillers
d'État ou maîtres des requêtes, deux membres de la cour des comptes, deux de
la cour des aides et un député de chaque parlement de province. Tous
les membres de la cour plénière seraient irrévocables et nommés à vie par le
roi. Ils devaient être présidés par le roi, en son absence par le garde des
sceaux, à leur défaut par le premier président ou autres présidents du
parlement de Paris. Ils vérifieraient et publieraient les édits, dont les
dispositions s'étendraient à la France entière. Les ordonnances d'un intérêt
local seraient enregistrées, soit par un parlement, soit par un grand
bailliage. Dans le cas de circonstances extraordinaires. la cour plénière
enregistrerait provisoirement les impôts. jusqu'à l'assemblée des
états-généraux ; et le roi se réservait le pouvoir de contracter les emprunts
qui n'exigeraient pas de contribution nouvelle. Enfin
Lamoignon termina la longue série des mesures qu'il avait combinées avec
Brienne et toutes ses explications par une déclaration qui constituait en
vacances, sans chambre de vacations, tous les parlements du royaume, jusqu'à
ce qu'il en fût autrement ordonné après l'exécution complète du nouveau
système d'administration judiciaire. Défense était faite aux parlements de se
réunir sous peine de désobéissance. Cette
dernière loi publiée, Louis XVI reprit la parole, au milieu du morne silence
de l'assemblée. Il déclara que toutes ses volontés tendaient au bonheur de
ses sujets, et que plus elles étaient modérées, plus il montrerait de fermeté
dans leur exécution. Il ordonna à tous ceux qui devaient siéger dans la cour
plénière de rester à Versailles aux autres de se retirer, et ce funeste lit
de justice fut terminé. Dans
tous ces édits, objet d'une censure implacable, et le principe d'une
résistance qu'on a crue invincible, on trouvait d'utiles réformes sur la
hiérarchie et les circonscriptions judiciaires, sur la justice criminelle ;
mais ces réformes manquèrent leur but, parce que Brienne et Lamoignon, trop
fidèles imitateurs de Maupeou, les avaient employées comme un moyen de
populariser le coup d'État contre le parlement. Si l'esprit de parti n'avait
pas tout dénigré par ses injustes soupçons et tout couvert de sa voix
impitoyable, avec quel enthousiasme et quelle reconnaissance cette époque de
réaction généreuse en faveur de la personne humaine, n'eût-elle pas accepté
une plus sage distribution de la justice, la suppression des tribunaux
d'exception et l'abolition de la torture préalable ! L'institution
de la cour plénière portait le coup au cœur du parlement ; c'était une
révolution dans les coutumes de la monarchie, mais contraire à celle que
réclamait le vœu de la nation qui ne voulait plus se contenter de quelques
améliorations partielles. Cette institution abolissait en effet tout contrôle
: la cour plénière, il est vrai, était autorisée à faire des remontrances,
mais quatre de ses membres devaient être appelés au conseil pour en discuter
l'opportunité, afin que la détermination du roi, sur ces remontrances, fût
prise arec une plus grandir connaissance de cause. Beaucoup d'autres
dispositions s'annulaient les unes par les autres ; l'approbation des
états-généraux semblait nécessaire à l'établissement définitif d'un impôt, et
cependant rien n'annonçait qu'ils auraient des assemblées périodiques. Ces
états devaient délibérer ; mais en droit, on niait leur autorité, puisque le
roi se réservait de statuer définitivement sur leurs délibérations. Il
ne leur reconnaissait donc qu'une valeur consultative ! Les
magistrats n'acceptèrent pas sans d'énergiques plaintes leur propre
mutilation. Dans ce lit de justice, le vieux premier président d'Aligre,
après la lecture des édits, déclara que le parlement n'entendait prendre
aucune part à tout ce qui pourrait être fait dans la présente séance., et
protesta devant Louis XVI contre la violation récente du siège de la justice
souveraine. Au sortir de la séance, ceux qui composaient la grand' chambre, à
l'unanimité, écrivirent au roi « qu'ils n'accepteraient aucune place dans la
nouvelle cour dite plénière ; fleurs serments, leurs devoirs. et leur
fidélité au souverain ne leur permettant pas d'y siéger. » Convoqués le
lendemain Four la première séance de la cour plénière, ils protestèrent de
n'assister que passivement à la réunion : d'Aguesseau, gendre du garde des
sceaux, et Lamoignon fils, n'étaient pas les moins ardents à soutenir la
cause de leur ordre. Louis XVI leur dit les rassemblait pour leur confirmer
sa volonté ; qu'il persisterait dans un plan qui avait pour base la
tranquillité comme la félicité de son peuple, et qu'il se reposait sur leur
zèle autant que sur leur fidélité. » En sortant, les magistrats
s'empressèrent de renouveler leur protestation. On se
disposait à une seconde séance pour le jour suivant. Mais les ministres y
renoncèrent d'après le bruit, vrai ou faux, que les pairs devaient tous, à
l'exception de dix, protester à la face du roi contre tout ce qui s'était
fait au lit de justice. La chambre des comptes et la cour des aides suivirent
le mouvement. Les membres du Châtelet de Paris, honorant le malheur des
premiers magistrats, refusèrent leurs dépouilles, et leur exemple fut suivi
par une partie des présidiaux désignés pour le 'titre et les attributions de
grand bailliage. Après avoir annoncé tant de fermeté et de persistance,
Brienne se trouva tout à coup dans le plus grand embarras. Le ridicule
s'attacha à cette institution qui avait dû être si imposante. Les magistrats,
retenus à Versailles par l'ordre du roi, pour composer la cour plénière
n'assistaient point aux séances indiquées. Il fallut les l'envoyer dans leurs
terres, afin de se donner le temps d'imaginer le moyen de vaincre leur
opposition. On méprisa, on chansonna de toutes parts cette malheureuse cour
plénière, morte avant d'être née[8]. Le jour
même où se tenait à Versailles le fameux lit de justice, tous les autres
parlements du royaume furent assemblés pour attendre les ordres du souverain.
Le commandant militaire de la province, assisté d'un autre commissaire du roi
pris dans le conseil, alla tenir une séance royale dans chacune de ces cours,
et fit transcrire d'autorité les édits sur leurs registres ; mais elles
protestèrent avec énergie avant ou après l'enregistrement. Comme au temps de
Maupeou, la résistance devint générale et plus intraitable encore que celle
du parlement de Paris. La fière noblesse d'épée soutenait dans sa violente
opposition cette magistrature qui avait été si longtemps l'objet de ses
mépris et de son antipathie. La populace, dont les besoins étaient grands et
les souffrances nombreuses, se soulevait et offrait aussi aux parlements un
redoutable secours, que trop souvent ils acceptèrent. La force armée restait
obéissante à ses chefs, mais elle entendait chaque jour discuter des
questions capables d'ébranler sa fidélité, et la désaffection de l'ordre de
la noblesse, auquel appartenait le corps des officiers, la rattachait de plus
en plus à l'opposition. Plus influents dans les grandes villes de province
qu'il Paris, les privilégiés imprimaient le mouvement ; beaucoup d'avocats et
de jeunes gens embrassaient la cause des parlements. Au
milieu de cette épidémie de résistance, la masse bourgeoise se montra plus
indifférente et sembla n'attendre rien que des états-généraux. Aussi mal
habile dans les moyens qu'irrésolu devant les obstacles, le ministère n'avait
même pas su faire énergiquement de l'arbitraire : par la suspension de ces
vieux corps de magistrature qui se dissolvaient, et dont l'opposition
retenait seule encore les éléments près de se séparer, il avait peut-être
encore la chance de prévenir la résistance dans les provinces. Mais il n'osa
pas leur porter le dernier coup, et les magistrats, restés dans leurs villes,
purent se concerter, se réunir malgré les défenses du roi, et lancer ces
arrêtés foudroyants par lesquels étaient déclarés infâmes et traîtres à la
patrie tous Français qui dans ces circonstances obéiraient aux ordres du
gouvernement. Des mesures de sévérité répondirent trop tard à ces violences ;
ainsi des parlements furent mandés à Versailles et d'autres exilés. Un arrêt
du conseil supprima les protestations des cours, défendit de rendre des
arrêtés semblables, à peine de forfaiture, et plaça sous la protection du roi
tous les tribunaux fidèles (20 juin 1788). L'impulsion
donnée ne s'arrêta pas. Le parlement de Rouen, qui n'avait d'abord opposé
qu'une obéissance passive, prit bientôt une attitude hostile. Dans une
réunion secrète du 25 juin, il déclara traîtres au roi, à la nation, à la
province, parjures et rotés d'infamie tous officiers ou juges qui
procéderaient en vertu des ordonnances du 8 mai, et décida qu'au roi «
seraient incessamment dénoncés, comme traîtres envers lui et envers l'État,
les ministres, auteurs des surprises faites à la religion de Sa Majesté, et
notamment le sieur de Lamoignon, garde des sceaux de France. » Le roi
répondit à la déclaration des magistrats par un ordre d'exil. Quoique les
habitants de Rouen fussent profondément irrités des vexations de tout genre
dont les accablait le commandant, marquis d'Harcourt, l'agitation de la
Normandie n'alla pas jusqu'à l'insurrection. D'autres
provinces montrèrent moins de patience. En Bretagne, la résistance avait pris
un caractère formidable. Avant même l'arrivée des commissaires du roi, le
procureur Syndic des états, comte de Botherel, accompagné de gentilshommes
bretons, avait protesté, au nom des trois ordres, devant le parlement de
Rennes, réclamant l'exécution du contrat de mariage de Louis XII et de la
duchesse Anne. Les tribunaux inférieurs, les avocats, en un mot tous les
corps, s'empressèrent d'appuyer cette demande. Les commissaires du roi
étaient le comte de Thiard, gouverneur de la province, et l'intendant
Bertrand de Molleville. Le premier était aussi connu par sa modération et les
grâces de son esprit que le second pal : son opiniâtreté et sa violence. Tous
les deux furent hués et menacés en se rendant au Palais de Justice pour y
faire exécuter les ordres du roi. A leur sortie, la populace les accueillit
encore par des cris de fureur et lança contre eux une grêle de pierres. La
retenue du comte de Thiard qui défendit publiquement aux militaires de faire
usage de leurs armes, empêcha la guerre civile d'éclater. Des renforts de
toutes armes qu'il fit entrer dans Rennes, pendant la- nuit, n'intimidèrent
pas les meneurs. Les magistrats s'étant réunis, malgré les ordres du roi,
chez un de leurs présidents, un détachement de dragons fut envoyé pour les
disperser. Aussitôt une troupe de gentilshommes armés, que suivait une foule
de peuple, coururent défendre l'entrée de la maison où le parlement
délibérait. L'officier qui se présenta se vit refuser la porte et ne put
accomplir sa mission. Le procureur général sortit néanmoins, et s'adressant
aux soldats, il les appela les vils satellites du despotisme ; il osa même
les menacer de les livrer à la fureur populaire. Bertrand de Molleville
voulait qu'on forçât la porte et qu'on abattit la maison. Mais le gouverneur
reçut une députation du parlement et consentit à faire retirer les troupes,
sous la condition expresse que l'assemblée se séparerait. Les militaires
renvoyés, la séance ne fut point interrompue, le parlement acheva sa
délibération et publia en sortant un arrêté incendiaire contre les édits.
Dans la nuit, tous les magistrats reçurent tics lettres de cachet qui les
envoyaient en exil. Alors
les gentilshommes bretons se mirent à insulter les officiers des troupes du
roi qui avaient rempli leur devoir. A la suite de plusieurs duels oh un
officier avait été tué et d'autres blessés, un duel• collectif de quinze
gentilshommes contre quinze officiers fut résolu, le lieu et le jour pris,
comme au temps du combat des Trente. Les officiers d'un autre régiment, celui
de Bassigny, se déclarèrent pour le parti de la résistance et ne craignirent
point de protester contre les ordres mèmes dont l'exécution leur était
confiée. Les jeunes gens de Nantes vinrent en armes au secours des habitants
de Rennes. Le gouverneur, qui ne pouvait, répondre de la fidélité des
troupes, craignit de compromettre l'autorité royale en ordonnant des mesures
de rigueur, et s'efforça de calmer les esprits. Par l'aménité de son
caractère il se fit écouter du Tiers-état de la province ; mais la noblesse
ne mit aucun frein à son arrogance. Sur ces
entrefaites, la commission intermédiaire des états de Bretagne imagina
d'écrire à tous les évêques de la province pour les prier d'ordonner des
prières publiques comme dans les temps de calamités. Presque tous les nobles
réunis à Rennes, a Vannes. a Saint-Brieuc, signèrent une déclaration ainsi
conçue : Nous, membres de la noblesse de Bretagne, déclarons in-Mmes ceux qui
pourraient accepter quelque place, soit dans la nouvelle administration de la
justice, soit dans 1"admittistration des états, qui ne serait pas
(trouée par les lois et les constitutions de la province. Cent trente
gentilshommes portèrent cette déclaration au comte de Thiard. Malgré sa
défense, ils s'assemblèrent de nouveau, et après avoir rédigé une
dénonciation contre les ministres, ils chargèrent douze députés d'aller la
présenter au roi, et de lui demander qu'il respectât les droits de la
Bretagne. Le ministère les fit arrêter et mettre à la Bastille., licencia le
régiment de Bassigny et dirigea sur la Bretagne le maréchal de Stainville
avec seize mille soldats. A la
nouvelle de l'arrestation des gentilshommes bretons, les deux ordres de la
province s'unirent à la noblesse pour envoyer une nouvelle députation.
Brienne en eut avis, il la prévint, et l'intimida tellement qu'elle retourna
sur ses pas. Les Bretons en tirent partir une troisième beaucoup plus
nombreuse. Dès son arrivée à Paris, son premier soin fut de tenir une
assemblée où figurèrent les ducs de Rohan, de Praslin, de Boisgelin et le
marquis de La Fayette. Le ministère étonné n'osa sévir contre les derniers
députés ; mais Rohan perdit une pension de douze mille livres, la duchesse de
Praslin son emploi de dame d'atours de la reine, Boisgelin fut destitué de sa
charge de maître de la garde-robe et La Fayette de son commandement
militaire. Pendant ce temps, l'intendant, Bertrand de Molleville, avait été
pendu en effigie par le peuple, et s'était enfui de Bretagne où la guerre
civile semblait près d'éclater[9]. On
craignit un moment à Versailles que le Béarn exaspéré par les édits du 8 mai,
ne proclamât son indépendance. Dans cette contrée, les paysans propriétaires
des montagnes, unis à la noblesse, descendirent en masse sur Pan,
s'emparèrent de l'artillerie de la place, avec la ferme résolution de
repousser la force par la force, et enfoncèrent les portes du Palais de
Justice fermé par les ordres du roi. Dans la crainte de plus graves
désordres, le commandant même de la province invita le parlement de Pau à se
rassembler. La magistrature et la noblesse publièrent de véhémentes
protestations. Louis XVI leur envoya le duc de Guiche, d'une famille très
influente dans les Pyrénées, et qu'il avait investi de pouvoirs
extraordinaires. Un grand nombre de Béarnais, nobles et plébéiens, allèrent à
la rencontre du duc, avec de grandes démonstrations de joie et de vénération,
en portant au milieu d'eux, comme un palladium, le berceau de Henri IV.
L'orateur lui adressa un discours touchant dans lequel il lui rappela les services
rendus par ses ancêtres à la province dont ils avaient toujours défendu les
privilèges. Il l'engagea ensuite à faire cause commune avec ses compatriotes
qui juraient sur le berceau du bon roi, d'être sujets fidèles, mais de mourir
ou de conserver intactes les coutumes de leur patrie. La
Provence fit craindre les mêmes excès que la Bretagne. Profondément attachée
à sa constitution, elle voyait dans les nouveaux édits la destruction des
bases sur lesquelles elle était fondée. Elle soutenait qu'elle s'était
volontairement donnée à la France sous des conditions qui, jurées par le
souverain, ne pouvaient être méconnues sans en même temps annuler la cession
; que les successeurs de Louis XI devaient respecter les engagements auxquels
ce prince s'était soumis, et dont eux-mêmes, à leur sacre, promettaient
solennellement l'observation. Aussi vit-on tous les corps de la province, les
états, les villes, les divers ordres de citoyens, adresser au roi
d'éloquentes suppliques pour que le pays fût maintenu dans ses privilèges
nationaux. Les plaintes générales des Provençaux, le nombre et la force de
leurs divers actes de protestation, jetèrent le gouvernement dans une sorte
d'irrésolution. Après avoir hésité quelque temps, au lieu de recourir aux
mesures de rigueur, il résolut de leur proposer des modifications que le
comte de Caraman, commandant en chef de. la province, fut chargé de faire
accepter. Ses instructions portaient d'assurer le pays que ses privilèges
seraient conservés ; le parlement et la cour des comptes maintenus dans le
droit d'enregistrer les édits ; les grands bailliages réduits à un seul qui
serait réuni au parlement et rempli par les derniers officiers dont les
charges venaient d'être supprimées. Au mois de juin, le comte se rendit Aix,
pour exécuter les ordres du roi. Mais à
peine y fut-on instruit de l'objet de sa mission, que tous les corps, dominés
par la pensée qu'une seule modification à la constitution provençale
entraînerait son entière violation, résolurent de répondre par un refus
formel et absolu à toute proposition d'accommodement, et d'annoncer au
commandant qu'il devait abandonner l'espoir de faire réussir sa négociation.
Dans ces dispositions qui furent rendues publiques, et que partagea la
population de la ville, un morne et profond silence accueillit l'arrivée du
comte de Caraman. Ainsi qu'on l'avait arrêté, tous les corps n'allèrent
saluer le retour du commissaire du roi, que pour l'avertir de leur ferme
résolution de demander la conservation, sans réserve, des immunités de la
Provence. Le premier président du parlement lui exprima au nom de la
compagnie le vœu « du retrait absolu des édits, et du retour simultané de
toute la magistrature à ses fonctions. » Mais le langage de M. d'Albertas,
premier président de la cour des comptes, fut plus sévère. « Monsieur,
dit-il au commandant, les officiers de la cour des comptes, aides et
finances, me chargent de vous déclarer qu'ils ne peuvent, comme Provençaux,
comme citoyens, reconnaître comme légalement enregistrées, les nouveautés
funestes transcrites d'autorité sur les registres de la cour. « Notre
zèle pour les véritables intérêts du roi, notre attachement à la constitution
provençale, notre serment, nous ordonnent de repousser avec effroi des édits
violateurs des pactes qui unissent la Provence au royaume sans l’y subalterner. « Quel
que soit le sort qu'on nous prépare, notre dernier vœu sera que le roi n'ait
jamais à regretter les difficultés salutaires qu'on ne saurait écarter de sa
toute-puissance, sans ébranler son autorité légitime. » L'administration
des états, le chapitre d'Aix, en un mot, tous les autres corps de la
province, suivirent l'exemple de cette résistance, et la situation du pays
causa de vives alarmes au comte de Caraman. Aux discours qui lui furent
adressés, il répondit par les assurances de son attachement pour la Provence
et de son désir de lui être utile. Il témoigna ensuite le regret qu'il
emportait de ne pouvoir concilier avec l'exécution des intentions du roi,
l'opposition générale qui venait de lui titre manifestée. Tous
ces incidents avaient un caractère grave, mais les troubles du Dauphiné
s'étendirent dans des proportions effrayantes ; ils eurent une portée
politique bien plus décisive. Dès le 11 mai, une grande partie de la
noblesse, rassemblée a Grenoble, avait nommé trois députés pour aller
demander au roi la révocation de ses édits, le rétablissement des états
particuliers du Dauphiné, et la convocation des états-généraux du royaume.
Encouragé par cette résolution hardie, le parlement brava la défense qui lui
avait été signifiée, et se réunit le 20 chez son premier président, M. de
Bérulle. Là il rédigea des protestations dont la violence peut s'apprécier
par la dernière phrase : « Il faut enfin leur apprendre, disait-il, en
parlant des ministres, ce que peut une nation généreuse qu'ils veulent
'mettre aux fers. » Les délibérations se continuaient, lorsque le
gouverneur, duc de Clermont-Tonnerre, lit usage des lettres de cachet qu'il
avait entre les mains (7 juin). Sur la
nouvelle que le parlement était envoyé en exil, le peuple de Grenoble courut
aux armes, se répandit dans les rues et sonna le tocsin qui retentit de
clocher en clocher jusqu'à la frontière du Dauphiné. Les paysans descendirent
alors de leurs montagnes et fondirent sur la ville dont ils enfoncèrent les
portes. Mêlés à la populace furieuse, ils veulent empêcher les magistrats de
partir ; leurs voitures, déjà préparées, sont enlevées ou brisées, et leurs
malles saisies. La multitude élève ensuite des barricades, et refoule les
deux régiments de la garnison, d'ailleurs peu disposés à repousser la force
par la force, et malgré une garde de trois cents hommes, envahit l'hôtel du
gouverneur. Le duc de Clermont-Tonnerre, trop faible pour occuper cette place,
surtout dans ces jours de fermentation et de délire., se montre aux fenêtres,
jette de l'argent et promet d'appuyer les vœux du peuple auprès du
gouvernement. Mais les rebelles, dont le nombre augmente à chaque instant,
n'écoutent pas sa voix, ils enfoncent les portes à coups de hache, s'emparent
du jardin et forcent la maison de tous les côtés. Le vin ruisselle dans les
caves ; les débris des meubles volent par les fenêtres, et le duc de
Clermont-Tonnerre est enveloppé et saisi. Un des mutins lève la hache sur sa
tête, le menaçant de le pendre au lustre de son salon s'il ne révoque les
ordres qu'il a reçus. Détournée par un officier, la hache se relève et reste
suspendue jusqu'à ce que le duc ait signé la capitulation qu'on lui dicte. Il
s'engage alors à regarder les lettres de cachet comme non avenues, et invite
le parlement à se réinstaller au Palais de Justice. Quelques
compagnies de Royale-Marine avaient cependant résisté dans l'intérieur de la
ville : une entre autres avait protégé un officier que la foule irritée
accablait d'une grêle de pierres. Lapidés eux-mêmes, les soldats s'étaient
retranchés dans une maison où, contraints de soutenir un siège, ils avaient
tué deux hommes parmi les assaillants. Ailleurs quelques patrouilles avaient
arrêté des séditieux. Des vainqueurs en guenilles vinrent les délivrer dans
leur marche triomphale, se portèrent ensuite au Palais, forcèrent les portes
de la grand'chambre et souillèrent les bancs de la justice par des scènes
d'ivresse et de débauche. De Pa ils se rendirent, avec une joie menaçante,
chez ceux des conseillers qui n'arrivaient pas assez vite pour les obliger à
siéger. La séance s'ouvrit ; le premier président adressa quelques paroles
'pleines de dignité à cette populace ; bientôt les magistrats, effrayés d'une
telle victoire, se répandirent au milieu des groupes pour calmer
l'insurrection et parvinrent) avec peine, ii les dissiper. Deux jours après,
les membres du parlement ayant rédigé de nouvelles remontrances et dressé un procès-verbal
afin de constater que la force seule les avait empêchés d'obéir aux ordres du
roi, partirent sans bruit et séparément pour l'exil. La
municipalité de Grenoble remercia le régiment d'Austrasie pour avoir épargné
le peuple jusqu'au point de lui livrer la vie de son commandant., et demanda
le départ du régiment de Royal-Marine qui s'était défendu contre les
séditieux. Ainsi les progrès de la désorganisation sont partout effrayants et
rapides. A Grenoble, ce n'est plus seulement une assemblée de gentilshommes,
un corps de magistrats en état. De résistance : c'est une portion de l'armée
en état de dissolution, disposée à passer de l'obéissance il la révolte. Là
on avait rempli de cendre les canons des fusils ; ailleurs les chefs
laissaient entrer dans les rangs des femmes qui s'efforçaient d'enchaîner
l'activité des soldats. Sur le refus d'un officier supérieur, un simple
officier donna l'ordre à un détachement de faire feu. Le soldat entendit
alors prononcer ces paroles capables d'abord de l'étonner, mais avec
lesquelles depuis il se familiarisa : Tirerez-anus donc sur cos frères ? « De
ce moment il était douteux. si envoyer des troupes dans une ville en
fermentation, ce n'était pas plutôt exposer la fidélité du soldat, que forcer
la soumission des sujets[10]. » Beaucoup
de Dauphinois s'élevèrent avec énergie contre la scène scandaleuse
d'insubordination et de brigandage qui avait désolé Grenoble. lls voyaient
dans l'intime union des trois ordres le seul moyen de repousser les
entreprises des ministres, les excès de la multitude, en un mot, de prévenir
dans la suite ces funestes combats entre le gouvernement et le peuple.
Quelques jours après. le départ des magistrats, des membres du clergé, de la
noblesse et du Tiers-état s'assemblèrent à l'hôtel de ville, sous la
présidence du baron des Adrets, et ouvrirent la délibération sur la situation
actuelle de la province et du royaume. Le major de la place vint inutilement
leur signifier, au nom du roi, l'ordre de se séparer. Avec toutes les formes
de la déférence, ils témoignèrent une résolution inébranlable. A.la suite
d'une longue discussion, ils décidèrent que les états particuliers du
Dauphiné, tombés en désuétude depuis bien des générations, se réuniraient le 21
juillet. Cependant
Brienne, irrité de la faiblesse et du peu d'habileté de Clermont-Tonnerre, le
fit rappeler et le remplaça par le maréchal de Vaux, l'homme le plus ferme et
peut-être le plus sévère de l'armée. A peine arrivé, le vieux maréchal
défendit de porter la cocarde bleue et jaune, couleurs du Dauphiné, qu'un
grand nombre de personnes avaient arborée, et son ordre fut exécuté sur le
champ. Il jugea néanmoins qu'il lui serait impossible d'empêcher la réunion
annoncée, quoiqu'il eût vingt mille hommes sous ses ordres ; il écrivit donc
en substance aux ministres qu'on l'avait envoyé trop tard, et ceux-ci
l'autorisèrent à transiger. Alors il voulut qu'on lui demandât la permission
de tenir l'assemblée des états. On y consentit sur sa promesse de la
permettre. Il défendit que la réunion eût lieu à Grenoble : on la convoqua au
château de Vizille, ancienne résidence des Dauphins ; il annonça que le château
serait entouré d'une force imposante, afin de protéger la paix publique et la
délibération des députés ; on lui répondit que cette précaution serait
inutile, mais qu'il était le maître de la prendre. Le plus
grand calme et un ordre admirable régnèrent dans l'assemblée de Vizille. Un
juge royal de Grenoble, Jean-Joseph Mounier, ami de Necker et grand partisan
des institutions anglaises, dirigeait le Tiers-état d'une main habile, tout
en lui donnant l'exemple de la fermeté et de la modération. Renommé dans la
province pour la droiture de son caractère et l'étendue de son esprit, cet
homme professait dès cette époque des principes auxquels il resta fidèle dans
tout le cours de sa carrière. Il voulait un pouvoir limité par les lois, une
liberté ennemie de l’anarchie. Le frère d'un poêle, Pompignan, archevêque de
Vienne, poussait le clergé avec des sentiments de liberté qu'on ne
s'attendait pas a trouver dans cet ardent ennemi de la philosophie. Après
quelques discussions, suivies de votes unanimes, les députés de l'assemblée
jurèrent l'union des Dauphinois entre eux et, avec les autres provinces, le
refus de tout impôt nouveau jusqu'aux états-généraux, et prononcèrent
l'anathème contre quiconque accepterait une place dans les tribunaux crées
par les derniers édits. Ils proclamèrent ensuite que les Dauphinois étaient
prêts sa sacrifier, pour le bien de l'État, tous leurs privilèges
particuliers, et ne revendiquaient que les droits de Français ; que
l'impôt substitué à la corvée serait supporté également par les trois ordres,
et que dans leurs états particuliers, le Tiers aurait la double
représentation déjà établie dans toutes les administrations provinciales.
Avant de se séparer, l'assemblée arrêta une adresse au roi pour lui demander
le retrait des édits, l'abolition des lettres de cachet, la convocation des
états-généraux du royaume et la sanction du rétablissement des états
particuliers du Dauphiné ; puis elle s'ajourna au 1er septembre dans la ville
de Saint-Robert, près de Grenoble. A côté de Mounier, le véritable directeur
de, cette assemblée, dont les délibérations excitèrent le plus vif intérêt,
s'était signalé un jeune avocat de Grenoble, Barnave, auquel une éloquence
abondante, naturelle et chaleureuse, destinait un rôle important dans la
Constituante. Cette
sollicitude continue et générale que montrait. le Dauphiné pour la destinée
de la France, ce caractère de protecteur qu'il déployait à l'égard des autres
provinces, ranimèrent les alarmes du gouvernement. Il voulut réprimer ces
excès de zèle, et tourner la difficulté, en rendant aux Dauphinois leurs
états particuliers, mais en essayant de leur donner une organisation conforme
à ses vues. Cette entreprise était au-dessus de ses forces. Dociles aux
conseils de Mounier, les Dauphinois ne cédèrent pas plus ii l'astuce qu'ii la
force, et le ministère se vit contraint de renoncer à son projet. Les
mouvements des autres provinces n'avaient pas la même gravité : mais partout
s'agitait l'esprit d'innovation et la fermentation était universelle. Des
troubles éclataient en Languedoc, en Roussillon ; la Flandre, le Hainaut, la
Franche-Comté, la Bourgogne ne protestaient pas avec moins d'énergie. Au lieu
de la résistance régulière des parlements, le ministère rencontrait une
opposition plus vive et plus furieuse. Dans presque toute la France, le cours
de la justice, était suspendu et l'anarchie désolait le royaume. Les
inquiétudes sur la fortune publique et individuelle allaient toujours
croissant ; les banquiers se refusaient à toute avance, et l'imagination ne
savait plus ou arrêter ses craintes. Au milieu de circonstances si
difficiles, Louis XVI découragé semblait abandonner le soin des affaires,
tandis que Brienne, conservant encore une folle sécurité, se posait comme le
Richelieu de la monarchie en péril : « J'ai tout prévu, même la guerre civile
Le roi sera obéi !... Le roi sait se faire obéir ! » Grands mots
prononcés avec la brièveté d'un oracle, et qui retentissaient dans le vide
quoiqu'ils parussent cacher quelque mystérieuse influence. Tout se retirait :
le ministre de la police, le baron de Breteuil, qui partageait avec Brienne
la faveur de Marie-Antoinette, donna sa démission, afin de ne pas encourir la
responsabilité de ses périlleux travers. Il fut remplacé par M. de
Villedueil. Brienne,
dans l'espoir d'échapper aux dangers qui l'environnaient, avait essayé d'une
dernière ressource ; il avait convoqué, en Juin, à Paris, aux
Grands-Augustins, une assemblée extraordinaire du clergé. Il jugeait facile
de faire comprendre à l'ordre sur lequel il avait plusieurs fois exercé de
l'influence, tout ce qu'il avait à redouter de la convocation des
états-généraux, et que pour la prévenir il lui restait encore un moyen. Le
clergé pouvait mettre la couronne en mesure de se passer de cette assemblée,
soit par des sacrifices pour combler le vide des finances, soit par l'abandon
des biens monastiques à l'État. Une déclaration de Louis XVI, qui avait
assuré au clergé la conservation de toutes ses formes d'administration,
semblait assurer le succès. Mais le ministre, dès ses premiers entretiens
avec les prélats, vit qu'il fallait renoncer à son projet, et trouva les
esprits si mal disposés, qu'il demanda seulement le modique secours d'un
million huit cent mille livres pour l'année 1788, et de pareille somme pour
l'année suivante. Dans
cette assemblée une opposition puissante, à laquelle l'opinion publique
ajoutait une force irrésistible, attaqua vivement les innovations du
ministre. Toute la grâce et tous les nobles, efforts de l'archevêque de
Narbonne, qui la présidait, échouèrent contre l'ingénieuse et mordante
censure de Thémines, évêque de Bois. Il fut arrêté qu'avant de délibérer sur
aucun don, le clergé, comme premier ordre de l'État, adresserait au roi des
remontrances sur la situation des affaires publiques. Rédigées dans le sein
d'une commission, dont faisaient partie les archevêques de Reims, d'Aix et
d'Arles, ainsi que les évêques de Langres, de Béziers, d'Auxerre et de
Saint-Malo, ces remontrances n'avaient pas le ton véhément des protestations
de la noblesse et de la magistrature mais elles blâmaient avec énergie les
auteurs des nouveaux édits. Brienne dut être accablé en écoutant ces paroles
du clergé qui s'établissait juge entre le monarque offensé et ses Cours en
disgrâce : « Lorsque le premier ordre de l'État se trouve le seul qui puisse
élever la voix, que le cri public le sollicite de porter les vœux de tous les
autres au pied de votre trône, que l'intérêt général et son zèle pour votre
service le commandent, il n'est plus glorieux de parler, il est honteux de se
taire. Notre silence serait un crime, dont la nation et la postérité ne
voudraient jamais nous absoudre. » Les remontrances se prononçant contre la
cour plénière, disent : « Quand même elle eût été le tribunal suprême de nos
rois, elle ne présente plus maintenant cette assemblée nombreuse de prélats,
de barons et de féaux réunis. La nation n'y voit qu'un tribunal de cour, dont
elle craindrait la complaisance, et dont elle redouterait les mouvements et
les intrigues dans les temps de minorité et de régence. » A
l'exemple de la noblesse, le clergé réclama énergiquement le maintien des
capitulations provinciales contre une injuste unité : il approuva les
parlements, ses anciens adversaires, et animé de l'esprit de vertige qui se
répandait entre tous les ennemis du gouvernement, il réclama aussi la
convocation des états-généraux sous bref délai. Il oubliait alors les dangers
qu'il avait lui-même signalés avec véhémence et croyait que les
états-généraux du dix-huitième siècle, assemblés au milieu de cette
conflagration universelle, se borneraient au consentement libre des
subsides, aux remontrances, plaintes et doléances sur les autres objets !
Ainsi « chacune des puissances de l'ancien régime répétait à son tour, comme
maîtrisée par un esprit invisible, la parole qui allait faire crouler
l'édifice du passé[11]. » En même
temps qu'il commettait la faute de provoquer la révolution dans le cours de
laquelle il devait néanmoins déployer tant d'héroïsme et de vertu, le clergé
manifestait les craintes que lui avait inspirées la subvention territoriale.
Puis, rétrogradant au-delà des notables, il s'élevait contre le principe de
l'application de l'impôt aux possessions ecclésiastiques, contre le désordre
d'une fausse égalité, demandait une loi semblable à celles qui, sous les
règnes de Louis XIV et de Louis XV, avaient garanti ses immunités. Le public
fit peu d'attention à ces remontrances de la dernière assemblée de l'ordre
ecclésiastique et applaudit à celles qui censuraient les auteurs des édits.
Ces dernières furent pour Brienne le coup le plus accablant. Quand il voulut
y répondre, il eut recours, suivant son usage, à de faibles explications, à
des promesses inconsidérées. En présence de cette nouvelle opposition, le
gouvernement devint encore plus faible : il s'empressa de la calmer, et un
arrêt du conseil défendit la perception des vingtièmes sur les biens de
l'Église (5
juillet). Les
prélats ne liai accordèrent que sous condition le misérable don gratuit de 1.800.000
livres, sollicité par Brienne. La
monarchie se débattait en vain dans les étreintes d'une lente agonie ; une
force invisible semblait la pousser à la convocation de ces états—généraux
dont le nom seul était pour elle un épouvantail. Brienne, qui les entendait
réclamer par l'opposition devenue chaque jour plus menaçante, n'osa point se
flatter de l'espoir de les éviter ; mais il s'efforça de rompre la coalition
des trois ordres contre le trône, en excitant une lutte entre la noblesse et
la bourgeoisie, en un mot, de diviser pour régner. Il fit donc rendre un
arrêt du conseil (5 juillet),
relatif aux états-généraux promis pour 1792. Cet arrêt déclara qu'après
plusieurs mois de recherches sur ces anciennes assemblées, il n'avait pas été
possible « de constater d'une façon positive la forme des élections, non plus
que le nombre et la qualité des électeurs et des élus ; » les conditions
ayant varié suivant les temps et les lieux, ce point d'histoire restait fort
obscur. En conséquence, non seulement les assemblées provinciales, les
municipalités, les officiers des juridictions, les syndics de districts et de
paroisses, mais tous les savants et personnes instruites furent invités à
transmettre au garde des sceaux tous renseignements et mémoires sur ce qui
devait être observé pour rendre l'assemblée des états-généraux aussi
nationale qu'elle devait l'être. C'était décréter la liberté de la presse
; disons mieux, c'était ouvrir une carrière sans bornes pour une liberté sans
frein. Au
milieu du mouvement prodigieux que le premier ministre venait d'imprimer à
l'opinion, il lui était impossible de résister plus longtemps aux vœux des
Français. Réduit à l'alternative ou de rappeler les parlements qui pouvaient
lui faire son procès ou de convoquer les états-généraux, il se détermina pour
ce dernier parti dans l'espoir de contraindre la nation à la reconnaissance.
Un arrêt du conseil (8 août) en prononça la réunion, fixa leur ouverture au 1er mai 1789, et
suspendit jusqu'à cette époque le rétablissement de la cour plénière.
Dès ce jour commençait la Révolution française. Il ne s'agissait donc plus de
la prévenir, mais de s'occuper des moyens .de la diriger. L'opinion que
Brienne n'avait pas su vaincre et devant laquelle il s'humiliait après
l'avoir tant de fois bravée, ne lui tint pas compte de cette soumission
tardive. La reconnaissance ne fut point pour le ministre, mais pour ses
ennemis dont une éclatante victoire couronnait tous les efforts. Cet
appel trop lent à la France, et stérile pour les intérêts de Brienne, aveugle
et fragile instrument d'une œuvre immense, fut accueilli avec de vifs
transports de joie. Il inspira néanmoins des craintes sérieuses aux hommes
sensés qui voulaient la réforme des abus, mais regardaient comme impolitique
et dangereuse pour la monarchie, la convocation des états-généraux au milieu
de la fermentation générale des esprits. A l'époque où les passions n'étaient
pas déchaînées, où le gouvernement conservait sa puissance, Malesherbes, le
respectable ami de Turgot, avait, l'un des premiers, désiré et appelé les
états-généraux ; il ne dissimula point ses alarmes, quand Louis XVI les eut
accordés. Ce n'était point se démentir, ainsi que ; l'ont pensé quelques
écrivains ; c'était reconnaître ; que les circonstances n'étaient plus les
mêmes. Comme Turgot, son illustre maître, le sage Malesherbes en était venu à
penser qu'une assemblée nationale qui aurait sa base dans les assemblées
provinciales, et composée de propriétaires élus, était la seule sur laquelle
on pin fonder des espérances pour réformer le royaume. La réunion des trois
ordres avec leur jalousie et leurs conflits d'intérêts, lui faisaient
craindre beaucoup d'orages, et ses idées étaient celles de la plupart des
hommes qui réfléchissaient sur la différence des points de vue et la
ressemblance des passions de l'époque, et sur la triste situation du royaume. Tandis
que les dernières mesures adoptées par Brienne et surtout l'arrêt de
convocation remuaient la France, jusque dans ses dernières profondeurs, le
ministre s'abandonnait au fol espoir de diriger les coups du troisième ordre
au profit de la royauté. Son aveugle confiance étonnait cependant les
courtisans. Un d'entre eux « lui demanda s'il n'était pas effrayé à l'idée de
tenir ces états ? Sully les a bien tenus, lui répondit ce prélat. Se dire
ainsi, après un an de ministère où il avait échoué à chaque pas, l'égal du
plus grand ministre peut-être qu'aient eu les rois de France ! confondre
ainsi l'assemblée des notables de 1596, avec une assemblée d'états-généraux
en 1789 ! un tel excès de présomption est à peine croyable[12]. » Cependant
l'épuisement des finances devait inspirer de cruelles inquiétudes à
l'archevêque de' Sens. Afin d'y remédier, i} eut recours 'aux plus honteux
expédients. Il ne craignit pas de s'emparer des faibles épargnes que
contenait la caisse des invalides, du produit de' souscriptions destinées à
fonder quatre nouveaux hôpitaux dans Paris, et des fonds d'une loterie de
bienfaisance, ouverte en faveur des malheureuses Victimes d'une grêle qui
avait ravagé plusieurs de nos provinces. Mais ces secours étaient insuffisants
; la circulation titi' numéraire s'arrêta tout d'un, coup et il devint impossible
à Brienne d'acquitter les anticipations faites : l'année précédente sur les
revenus de l'année courante, et dont l'excès avait dépassé toutes les bornes
de la prudence'. Il fallait pourvoir non seulement aux services ordinaires,
mais encore à des achats dispendieux de subsistances, afin de parer à la
disette qui menaçait la France, à la suite d'une mauvaise récolte. Brienne
voyait à une très courte distance le jour où le trésor royal allait se
trouver entièrement vide. Dans sa détresse, il prit un parti désespéré ; le
16 août, il fit décréter par le conseil que jusqu'au 31 décembre 1789, les
paiements de l’État se feraient partie en argent, partie en billets du
trésor, portant cinq pour cent d'intérêt. Deux jours après, un arrêté
autorisa la caisse d'escompte, jusqu'au 1er janvier, à ne pas rembourser ses
billets en numéraire et contraignit le commerce à les recevoir comme une
monnaie forcée. Cette opération parut au public le prélude certain de la
banqueroute. Une
alarme universelle se manifesta parmi les rentiers dont tout le peuple de
Paris partagea l'indignation. Le premier ministre effrayé implora la
protection de la reine ; se présenta comme une victime de son zèle à soutenir
l'autorité royale, et dans le désir de se maintenir au pouvoir, il offrit à
Necker la place de contrôleur général. Le Génevois refusant de s'associer à
un ministère perdu dans l'opinion, répondit qu'il ne pouvait ni ne voulait
partager le discrédit de M. l'archevêque de Sens[13]. Sur cette réponse désolante,
Brienne tomba dans une grande incertitude ; il ne savait que faire, et malgré
le mécontentement général, il n'était pas disposé à quitter le ministère.
Entretenue dans la confiance qu'elle accordait au ministre par les éloges que
l'abbé de Vermond ne cessait de donner à ses talents, Marie-Antoinette le
protégeait encore. Elle croyait de la dignité du pouvoir de ne pas sacrifier
ce prélat à la brigue de la cour, ainsi qu'à l'esprit factieux de la nation[14]. Ce fut néanmoins une intrigue
de cour qui le renversa. La duchesse Jules de Polignac, devenue sa rivale de
crédit et son ennemie, parce qu'il s'efforçait chaque jour de la supplanter
dans l'esprit de la reine, lui porta le dernier coup en excitant contre lui
le comte d'Artois. Ce prince ne pardonnait. pas à Brienne la disgrâce de
Calonne ; il avertit le roi et la reine de la fermentation qui se développait
à Paris, leur représenta l'impossibilité de gouverner avec un ministre
généralement méprisé, dont les projets ridicules et l'ambition menaçaient la
tranquillité publique et l'intérêt de l'État, et leur déclara qu'il fallait
céder à l'orage. Une plus longue résistance ne pouvait empêcher sa chute ;
l'archevêque le sentit et s'arrangea le mieux possible pour tomber. Il donna
sa démission, après avoir montré l'indécision de son caractère en affaires,
l'insuffisance de ses moyens, et conseillé au roi de rappeler Necker, comme
le seul homme capable de relever les finances et de soutenir la monarchie
ébranlée. Mais Necker daignerait-il accepter le ministère ? On eut recours à
tous ses amis pour lui persuader que lui seul pouvait combler le vide
effrayant du trésor et, pour le fléchir, Marie-Antoinette lui écrivit une
lettre affectueuse : on lui fit des promesses illimitées ; il avait la
confiance et le vœu de la nation. il accepta. « Je me rendis à Versailles,
dit-il dans ses Mémoires, le roi voulut me voir dans le cabinet de la
reine, et en sa présence ; il éprouvait, dans sa grande bonté, une sorte
d'embarras, parce qu'il m'avait exilé l'année précédente. Je ne lui parlai
que de mon dévouement et de linon respect, et dès ce moment je me replaçai
près du prince ainsi que je l'avais été dans un autre temps. » A la
nouvelle dû renvoi de Brienne et du rappel de Necker, une explosion de joie
éclata dans la capitale ; un concert unanime d'actions de grâce s'éleva vers
le roi et son épouse, et le comte d'Artois fut comblé de louanges.
Marie-Antoinette ne jouit pas longtemps de ce retour de la faveur publique.
Le peuple murmura de nouveau contre elle, quand il sut que, pour consoler
l'archevêque de sa disgrâce, elle lui avait envoyé son portrait, enrichi de
pierreries, que le jour même de sa retraite, un courrier avait été expédié à
Rome pour lui obtenir le chapeau de cardinal, qu'on lui avait accordé une
place près de la reine, pour sa nièce, un régiment pour un de ses neveux, et
pour un autre, à peine âgé de trente ans, la coadjutorerie de Sens, jointe à
une des plus riches abbayes de France. Lui-même s'était composé, pendant son
court ministère, une fortune de six cent mille livres de revenus en bénéfices
et en pensions. Il laissait encore son frère ministre de la guerre, après
l'avoir fait nommer chevalier des ordres du roi et gouverneur de province[15]. Les plus éclatants, les plus
heureux services, auraient-ils été plus largement récompensés ? Il faut dire à la décharge de Loménie de Brienne, de ce ministre si décrié et sous lequel s'aggravèrent les périls de l'autorité royale, « que la position dont il ne sut pas se tirer, il ne l'avait pas fait ; il n'eut que la présomption de l'accepter. Il périt par les fades de Calonne, comme Calonne avait profité, pour ses dilapidations, de la confiance inspirée par Necker. L'un avait détruit le crédit, et l'autre, en voulant le rétablir par la force, détruisit l'autorité[16]. » |
[1]
Mémoires du baron de Besenval, t. Il, p. 299-300.
[2]
Mémoires de Weber, t. L
[3]
Introduction au Moniteur, p. 284.
[4]
Introduction au Moniteur, p. 285.
[5]
Introduction au Moniteur, p. 284.
[6]
Sallier, Annales françaises.
[7]
Lamoignon confondait à dessein l'institution nouvelle avec la coter plénière
qui, au moyen âge, n'avait jamais désigné une assemblée politique et
judiciaire. Le roi tenait cour plénière aux grandes Pies, â Noël, â Pâques, ou
dans certaines occasions solennelles, c'est-à-dire qu'il donnait des festins et
des tournois à ses hôtes et à ses vassaux. On nommait plaids ou parlements les
assemblées d'affaires.
[8]
L'établissement de la cour plénière, ainsi que la déclaration du déficit et la
solennité du lit de justice, étaient dans le public le sujet de mille
plaisanteries. On jugera de ce qu'étaient les autres par celle que nous citons
:
« On parle dit-on, du mariage de très-haut et
très-puissant seigneur monseigneur Déficit, avec très-haute et très-puissante
demoiselle mademoiselle Plénière ; mais il s'élève, ajoute-t-on, de grandes
difficultés contre cette alliance : la première, c'est que monseigneur est
d'une taille énorme, et mademoiselle très petite et très peu formée ; on
prétend aussi que l'union serait incestueuse, tous deux étant du même lit. » Correspondance
de Grimm, t. IV, p. 521.
[9]
Mémoires de Weber, t. I. Mémoires de Besenval, t. II.
[10]
Weber, Mémoires, t. I, ch. II.
[11]
Henri Martin, Histoire de France, t. XIX, p. 529.
[12]
Weber, Mémoires, t. 1, chap. III.
[13]
« M. Necker s'était expliqué et avait dit, que dans un autre temps il n'aurait
fait aucune difficulté de travailler avec l'archevêque, mais que depuis la
sensation que ses opérations avaient faite, il ne pouvait avoir de relations
ministérielles avec lui. Enfin, il représenta qu'il importait au crédit public
que ce ministre ne conservait aucune influence. » (Semis de Meilhan, du
gouvernement, des mœurs, etc., p. 250).
[14]
« Une chose à remarquer à la louange de la reine, c'est sa constance à se
refuser, pendant seize ans, aux suggestions qui lui furent faites en faveur de
l'archevêque de Toulouse ; elle les rejeta tant qu'elle put croire qu'elles
étaient dictées par l'ambition, concertées avec des intrigants. Mais lorsque la
réputation de ce prélat, universellement établie. lui eut fait croire qu'il
était l'homme le plus capable d'administrer les finances, lorsqu'elle crut
enfin satisfaire le vœu général, elle s'empressa de favoriser l'élévation de
l'archevêque de Toulouse, et de lui procurer un crédit qui assurait ses
opérations. » (Sénat de Meilhan, du gouvernement, des mœurs, etc., p.
251).
[15]
Madame Campan, Mémoires, t. II, chap. XII. Le baron de Besenval, Mémoires,
t. II, p. 229. Weber, Mémoires, t. I, chap. III.
[16]
Mignet, Histoire de la Révolution française, I. I, p. 31. « M. de
Brienne ne pouvait lutter à la fois contre la masse des parlements et contre le
défaut d'argent. Voilà surtout par où il périt ; et les mains qui le
précipitaient élevèrent M. Necker. » (Rivarol, Mémoires, p. 3.)