LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE...

 

CHAPITRE X. — MINISTÈRE DE BRIENNE. - OPPOSITION DU PARLEMENT.

 

 

Portrait de Brienne. — Influence de la reine dans les affaires d'État. Les notables accordent un emprunt. — Réformes à la cour. — Brienne réduit le taux de la subvention territoriale ; elle est repoussée par les notables. — Appel de La Fayette à une assemblée nationale. — Rôle embarrassant des notables. — Séance de clôture. — Brienne n'ose signifier au parlement, en lit de justice, les résolutions des notables. — Attitude hostile des magistrats. — D'Esprémesnil et Duport. — impôt du timbre rejeté. - Le parlement demande les états généraux. — Lit de justice. Protestation. — Popularité des parlementaires. — Dénonciation contre Calonne. — Irritation contre la reine. — Triomphe populaire du conseiller d'Eprémesnil. — Le parlement exilé à Troyes. — Tumulte dans Paris. — Brienne, principal ministre. — Situation de l'Europe. — Ministère de Pitt. — Ambition de Catherine II. — Révolution de Hollande. — Agitation causée par l'exil du parlement. — Négociations. Retour dit parlement à Paris. — Troubles. — Brienne demande un emprunt de '120 mil tons. — Opposition du duc d'Orléans. — Exil de ce prince. — Le parlement s'élève contre les lettres de cachet. — Edit relatif aux protestants. — Inconséquences et contradictions des deux partis.

 

Le nouveau ministre, l'âme de l'opposition des notables, qui avait poursuivi par toits les moyens l'objet de ses vœux, arrivait aux affaires avec la réputation d'excellent administrateur, grâce aux améliorations dont il avait été l'auteur on le coopérateur aux états du Languedoc. C'était un esprit actif mais sans énergie, un caractère téméraire mais sans constance. Sous le ministère de Turgot, il avait joui du plus grand crédit. Il était l'ami de cet homme de bien, de la même secte, partisan comme lui, d'une liberté sans bornes, et ennemi des systèmes de crédit et de banque, regardés par les économistes comme les plus dangereux palliatifs[1]. Sa sévérité contrastait avec la liberté de ses mœurs et ses liaisons avec les philosophes. Malgré son habileté à réunir des moyens de succès opposés, il manquait de capacité politique. Ses connaissances, superficielles et variées, le rendaient agréable dans le monde. S'il n'avait pas les talents de Calonne, il en avait toute la confiance présomptueuse, et cette confiance il la puisait dans l'idée de son incontestable supériorité. « Personnage tout d'apparence, n'ayant rien au fond que des vices et une petite ambition cupide et vulgaire, il était de ces hommes qui, avec un esprit facile et beaucoup de manège, se font juger capables des grandes places tant qu'ils ne les ont pas remplies[2]. » Hardi avant l'exécution, mais faible après, Loménie de Brienne devait se perdre par ses irrésolutions, ses opérations mesquines, sa marche vague et inconséquente.

C'est du ministère de Brienne que naquit l'influence directe de la reine sur les affaires d'État. Marie-Antoinette n'avait point recherché cette Influence. Elle s'affligeait souvent de sa position nouvelle, et la regardait comme un malheur qu'elle n'avait pu éviter. « Ah ! disait-elle en soupirant, il n'y a plus de bonheur pour moi... les reines de France ne sont heureuses qu'en ne se mêlant de rien. » Un jour qu'elle traversait l'Œil-de-Bœuf, pour assister à des comités particuliers chez le roi, elle entendit un des musiciens de la chapelle dire assez haut pour qu'elle n'en perdit pas une seule parole : « Une reine qui fait son devoir reste dans ses appartements à faire du filet. » — Malheureux, tu as raison, » se dit en elle-même Marie Antoinette ; « mais tu ne connais pas ma position ; je cède à la nécessité et à ma mauvaise destinée. » La situation de la reine était d'autant plus pénible, que Louis XVI avait contracté la longue habitude de ne lui rien communiquer des affaires d'État, et que, lorsqu'elle fut forcée., vers les, derniers temps de son règne, de se mêler des choses les plus importantes, cette habitude du roi venait souvent lui dérober la connaissance des particularités qu'il lui eut été nécessaire de savoir[3]. Avec un souverain plus ferme et plus résolu, disparaissait pour elle hi nécessité d'accepter la redoutable responsabilité d'un rôle pour lequel la nature l'avait si peu faite ; avec un ministre capable de diriger son amour du bien, l'auguste 'tille de Marie-Thérèse évitait ce qu'elle appelait sa mauvaise destinée.

Après l’élévation de Brienne, l'honnête Malesherbes, l'ancien ami de Turgot, fut rappelé au Conseil par son parent Lamoignon, en qualité de ministre d'État sans portefeuille. Mais l’illustre vieillard n'était plus une force ; il avait perdu cette ancienne énergie dont il avait autrefois donné des preuves.

Le 2 mai, l'archevêque de Toulouse se rendit au bureau dont il avait été membre, et son début y fut heureux. Il annonça que les économies seraient de quarante millions et non de quinze, comme le roi l'avait dit dans la séance générale, et parla d'un emprunt de quatre-vingts millions, que les circonstances rendaient indispensable. Sous l'impression d'une telle promesse dans les réductions, ses collègues consentirent l'emprunt avec un empressement qui ressemblait à un vote de confiance. Ils demandèrent néanmoins, comme au temps de Calonne, qu'on leur livrait les états de finance. Loménie y consentit et tous les bureaux se jetèrent arec une avide curiosité sur ces fameux comptes qu'ils n'avaient pu obtenir du ministre disgracié. Mais le désordre que présentaient les chiffres de l'administration et l'absence de méthode leur en rendirent la vérification presque impossible. Ils ne purent s'entendre sur le chiffre du déficit réel ; les uns le portèrent à deux cents millions, les autres à cent ; enfin la plupart finirent par l'évaluer approximativement à cent quarante millions[4].

En 1787 les notions suffisantes manquaient aux notables mais les con-optes de l'année suivante jettent sur cette question les lumières nécessaires, et l'on peut reconnaître que le déficit permanent ne dépassait pas quatre-vingt-dix-sept millions, y compris une douzaine de millions pour besoins imprévus. Au milieu de circonstances si périlleuses pour lui, l'audacieux Calonne l'avait exagéré afin de tirer des notables le plus d'argent possible, et de n'être pas réduit à l'économie, chose qu'il redoutait le plus au monde.

Cependant les réformes annoncées par le ministre s'effectuaient à la cour. Louis XVI renonça sans regret aux différents genres de pompe qui entouraient la royauté. Marie-Antoinette et les princes opérèrent de grandes réductions dans leurs maisons et leurs dépenses ; de vieux serviteurs furent congédiés et ne s'éloignèrent qu'avec la tristesse au cœur. On alla même jusqu'à retrancher des traitements considérables aux ducs de Coigny et de Polignac. Ces seigneurs, dont le crédit était puissant, se crurent victimes d'une trahison et passèrent bientôt du mécontentement aux murmures. Brienne, la reine et le monarque lui-même réunirent leurs efforts pour les apaiser en leur montrant combien il importait de satisfaire au vœu des notables. Longtemps bercée par les plus doux rêves, la cour se réveillait avec douleur ! « Il était extraordinaire de voir le roi prêt à faire banqueroute dans un instant où la France était si florissante, la population au degré le plus désirable, l'agriculture et l'industrie poussées à leur comble et Paris regorgeant d'argent. Telle est la suite inévitable d'une mauvaise administration sans principe et sans suite, de déprédation en tous genres et d'un gouvernement faible qui n'offre pas un point de ralliement[5]. »

Malgré les économies qu'on espérait des réformes, l'archevêque de Toulouse, après avoir apporté quelques modifications aux idées de Calonne, et réduit la subvention territoriale, déclara aux notables qu'elle était encore nécessaire au chiffre de quatre-vingts millions par an. Il proposa même d'ajouter à l'extension de l'impôt du timbre une nouvelle forme de la capitation. Grande fut la surprise de l'assemblée quand elle vit Brienne adopter les plans de celui qu'il avait renversé. D'interminables débats se renouvelèrent alors dans les bureaux où furent discutés les projets du ministre comme l'avaient été ceux de son prédécesseur. Désireux de ménager leurs intérêts personnels, et craignant d'encourir les reproches des ordres auxquels ils appartenaient, les notables firent de longs discours pour indiquer de nombreuses réductions sur les différentes parties du service ; ils parurent croire qu'on parviendrait peut-être à éteindre le déficit au moyen d'une sévère économie. La noblesse de province et, le clergé étaient mécontents que l'assemblée eût admis le principe de l'égale répartition. Quand le ministre qui ne pouvait exercer sur les notables la moindre action, les priait, de, chercher quelles contributions seraient le moins onéreuses et de donner un avis, ils répondaient qu'ils n'avaient point de mandat pour voter un impôt. Ainsi « les privilégiés n'étaient pas plus portés à faire des sacrifices à Brienne qu'à son prédécesseur : ils avaient secondé ses attaques, qui étaient dans leur intérêt, et non son ambition, qui leur était étrangère[6]. »

Au milieu des discussions, une idée, celle de la convocation des états généraux, devint puissante et envahit les esprits. La Fayette, l'un des principaux auteurs de l'indépendance américaine, qui cachait une imagination vive sous un extérieur froid, proposa un jour dans son bureau qu'on suppliât le roi de convoquer une assemblée nationale pour l'année 1792. Quoi, monsieur, lui dit le comte d'Artois, étonné de ce mot, vous demandez sans doute les états-généraux ? Oui, monseigneur, répondit-il, et même mieux que cela[7]. La Fayette, dont les paroles ne trouvèrent pas alors d'écho, fut plus heureux dans deux motions, l'une pour l'état civil des protestants, mesure à laquelle le gouvernement était déjà décidé ; l'autre pour la réforme du code criminel. Il est juste d'observer que ce fut l'évêque de Langres, monseigneur de la Luzerne, prélat animé d'un sage esprit de tolérance, qui soutint et lit adopter k motion sur les protestants.

Depuis la chute de Calonne, les notables avaient beaucoup perdu de k popularité qui les entourait pendant leurs débats avec ce ministre. Le roi ne voyait pas sans impatience ces hommes qu'il avait appelés, et qui tantôt voulaient le dominer, tantôt avouaient leur impuissance pour l'éclairer de leurs conseils. La reine était irritée contre eux, et les princes, ennuyés de leurs discussions inutiles, abandonnaient souvent leurs bureaux pour aller à la chasse. Brienne qui leur devait son élévation se trouvait humilié de n'avoir pas su maintenir son crédit parmi eux. Enfin les notables ne voulant pas assumer, aux yeux des provinces, la responsabilité de voter ou même de proposer des impôts, n'avaient plus qu'un désir, celui de sortir de leur situation équivoque. Ils finirent par déclarer qu'ils abandonnaient à la sagesse du roi le soin de juger quelles contributions auraient le moins d'inconvénients, s'il était vraiment indispensable de demander à l'État de nouveaux sacrifices. ils donnèrent ainsi leur démission entre les mains du roi afin qu'on les renvoyât.

La séance de clôture eut lieu le 25 mai, et fut consacrée à des félicitations réciproques. Louis XVI remercia d'abord les notables de leur zèle ; le garde des sceaux, Lamoignon, prenant ensuite la parole, fit le résumé de leurs travaux dont il annonça en ces termes les principaux résultats : « ... Tout sera réparé sans secousse sans bouleversement des fortunes, sans altération dans les principes du gouvernement, et sans aucune de ces infidélités dont le nom ne doit jamais être proféré devant le monarque de la France.

« L'univers entier doit respecter une nation qui offre à son souverain de si prodigieuses ressources, et le crédit public devient plus solide aujourd'hui que jamais, puisque tous les plans proposés dans cette assemblée ont eu pour base uniforme la religieuse fidélité du roi à remplir ses engagements. »

« Pour atteindre à un but si digne de sa sollicitude, le cœur du roi a été profondément affecté de la nécessité d'établir de nouveaux impôts ; mais des sacrifices dont Sa Majesté abrégera fidèlement la durée, n'épuiseront pas un royaume qui possède tant de sources fécondes de richesses, la fertilité du sol, l'industrie des habitants, et les vertus personnelles de son souverain.

« La réforme arrêtée ou projetée de plusieurs abus, et le bien permanent que préparent de nouvelles lois concertées avec vous, Messieurs, vont concourir avec succès au soulagement actuel des peuples.

« La corvée est proscrite ; la gabelle est jugée ; les entraves qui gênaient le commerce intérieur et extérieur seront détruites, et l'agriculture, encouragée par l'exportation libre des grains, deviendra de jour en jour plus florissante.

« Les nouvelles charges des peuples finiront avec les besoins qui les font naître.

« Le roi a solennellement promis que le désordre ne reparaîtrait plus dans ses finances, et Sa Majesté va prendre les mesures les plus efficaces pour remplir cet engagement sacré dont vous êtes les dépositaires.

« Une nouvelle forme dans l'administration, sollicitée depuis longtemps par le vœu public, et récemment recommandée par les essais les plus heureux, a reçu la sanction du roi et va régénérer tout son royaume.

« L'autorité suprême de sa majesté accordera aux administrations provinciales les facultés dont elles ont besoin pour assurer la félicité publique. Les principes de la constitution française seront respectés dans la formation de ces assemblées, et la nation ne s'exposera jamais à perdre un si grand bienfait de son souverain, puisqu'elle ne peut le conserver qu'en s'en montrant toujours digne.

» L'évidence du bien y réunira tous les esprits. L'administration de l'État se rapprochera de plus en plus du gouvernement et de la vigilance d'une famille particulière : et une répartition plus équitable, que l'intérêt personnel surveillera sans cesse, allégera le fardeau des impositions.

« Pour rendre à jamais durables dans son royaume les utiles résultats de vos travaux, le roi va imprimer à tous ses bienfaits le sceau des lois.

« Sa Majesté désire que le même esprit qui vous anime, Messieurs, se répande dans les assemblées qu'elle daigne honorer de sa confiance, et elle espère qu'après avoir montré sous ses yeux un amour si éclairé du bien public, vous en développerez le germe dans toutes ses provinces. »

Quoique Brienne semblât avoir hérité de toute la confiance de Calonne, il ne s'exprima point avec la supériorité d'un homme sûr des ressources de son génie et de celles de l'État. Dans son discours plein de vague, il est facile de reconnaître tous les signes d'un esprit embarrassé par la situation. ll termina en protestant de la volonté du roi de limiter la durée des nouveaux impôts. ainsi que de maintenir les for-nies et les prérogatives des deux premiers ordres, essentielles à la monarchie, et qu'il était important de ne pas confondre avec l'égale répartit ion de l'impôt.

Diverses harangues, dans lesquelles on entendit de nombreuses contre-vérités sur l'union des cœurs et l'unité des principes, ranimèrent la satisfaction de l'assemblée. Chacun des notables, en se retirant, dit Lacretelle„ répétait ces belles paroles que, dans un discours fort animé, le premier président de la cour des comptes, Nicolaï, avait empruntées de Montesquieu : Je rends grâces au ciel de ce qu'il m'a fait naître dans le siècle et sous le gouvernement où je vis, et de ce qu'il a 'voulu que j'obéisse à ceux qu'il m'a fait aimer. Cette assemblée qui venait d'abdiquer par honte de sa finisse position, « répandit dans toute la France ce qu'elle avait découvert des besoins du trône, des fautes des ministres, des dilapidations de la cour, et des misères irrémédiables du peuple[8]. »

Tout le monde, après la séparation des notables, s'attendait à une séance royale, à un lit de justice, où Louis XVI prescrirait sans délai l'enregistrement des édits importants qu'ils avaient consentis dans des termes généraux et indirects. La situation critique des finances, la nécessité de se relever aux yeux des étrangers auxquels tant d'aveux pénibles pouvaient inspirer de secrètes espérances, les suffrages presque unanimes des hommes les plus distingués de l'État, tout semblait autoriser le monarque à prendre des mesures péremptoires et absolues. Par une résolution prompte et énergique le gouvernement obtenait l'adhésion obligée des premiers ordres, prévenait la résistance du parlement, alors peu préparé à une opposition dangereuse, et retardait pour de longues années peut-être la lutte terrible qui s'engagea bientôt. Mais Brienne manquait du coup d'œil politique si nécessaire dans la circonstance. Loin de réaliser ce projet que l'ancien contrôleur général avait fait adopter en conseil, et d'écouter Lamoignon qui discernait les exigences de la situation, il eut l'incroyable maladresse de présenter les édits au parlement l'un après l'autre, et même à d'assez longs intervalles. Il semblait que le ministre voulût essayer la docilité des magistrats.

Le parlement enregistra sans beaucoup de difficultés les trois premiers édits sur la libre exportation des grains, sur les assemblées provinciales et sur la seconde abolition de la corvée. Restaient la subvention territoriale et l'impôt du timbre. La subvention territoriale dont le principe était populaire, lui déplaisait le -plus ; mais il ne pouvait la repousser qu'en s'élevant au nom des privilèges de la noblesse et du clergé, contre la base de l'égale répartition, et il craignait de s'aliéner par un refus la plus grande partie de la nation. L'archevêque de Toulouse le tira de cet embarras, en lui présentant d'abord l'impôt du timbre qui affectait la majorité des contribuables. Comblé de joie par cette faute, le parlement se sentit maître de la situation ; en attaquant l'impôt du timbre, avant d'être obligé de s'expliquer sur celui de la subvention territoriale, il paraîtrait défendre les intérêts publics ; il prit dès lors une attitude des plus hostiles.

Bientôt le bruit s'est répandu parmi le peuple de Paris que le parlement se prépare à soutenir une lutte opiniâtre contre la cour. On voit alors affluer au palais une foule de curieux, ou plutôt d'acteurs de toute espèce, tous ceux qu'attiraient des symptômes de tumulte, et qui ne possédant rien se plaignaient néanmoins des vexations que devait enfanter l'impôt du timbre. Autour des magistrats qui ont engagé l'action, se presse aussi l'armée enthousiaste des avocats, des procureurs, des praticiens et de la jeune basoche. Elle se rappelle avec orgueil le rôle important qu'elle a joué autrefois au milieu des troubles de la Fronde, et se réjouit d'avoir enfin trouvé l'occasion d'exercer sa turbulente et belliqueuse ardeur. A chaque séance que le parlement consacre à l'affaire du timbre, d'injurieuses vociférations sont poussées contre les vieux conseillers décidés à prêter leur appui au gouvernement. On applaudit avec transport ceux qui se déclarent contre la cour ; on jette des couronnes de laurier aux orateurs qui ne craignent pas de dénoncer le ministre assez audacieux pour proposer des impôts, qu'il avait refusés comme notable. Quant aux quelques vétérans du jansénisme, à ces partisans sévères de l'économie publique et privée, dont les déclamations sans fin contre les prétendus désordres de la cour, trouvent un écho, trop fidèle, on affecte pour eux une profonde vénération. Parmi les chefs de l'opposition parlementaire brillaient au premier rang Jacques Duval d'Eprémesnil et Adrien Duport.

D'Eprémesnil avait commencé sa carrière dans le barreau par la place d'avocat du roi au Châtelet ; il devint ensuite conseiller au parlement de Paris. Il était doué d'une éloquence riche et rare, qui jetait le plus vif éclat lorsqu'il avait à montrer du courage, d'une diction pure et facile, d'un son de voix sonore et agréable, d'une mémoire prodigieuse, de connaissances variées et peu communes, mais superficielles. Il possédait surtout l'art de les faire valoir. Par malheur d'Eprémesnil avait l'imagination vive et romanesque ; il voyait les choses, les hommes, son pays, son siècle sous des rapports fantastiques ; il s'exagérait les abus qui existaient et en trouvait souvent où il n'y en avait pas. Simple, crédule et confiant, il se laissait séduire sans peine. On le conduisait, lors même qu'il paraissait tout conduire. Ce chef d'opposition, que l'agitation amusait et que Mirabeau appelait Crispin-Catilina, manquait de la qualité la plus nécessaire à l'homme d'État, de celle qui saisit l'ensemble d'un plan et montre un but déterminé. Dans ses emportements contre la cour et ses injustes déclamations contre Marie-Antoinette, il se croyait le sujet le plus fidèle du roi ; en compromettant les intérêts du parlement, il en était le plus zélé partisan. Démagogue, dans les parlements, aristocrate dans les états-généraux, d'Eprémesnil devait tomber victime de la Révolution dont il avait été un des premiers moteurs.

Tout autre se présentait Adrien Duport, jeune conseiller, qui n'avait cependant rien de la jeunesse, d'un esprit vaste, de mœurs austères, d'un caractère ferme et persévérant. Orateur moins brillant, mais plus profond que d'Eprémesnil auquel l'unissait alors une étroite amitié, il réunissait l'astuce à la pénétration, mettait son orgueil à ne servir d'instrument à personne, savait combiner admirablement ses plans et diriger ensuite la marche de ses associés. Au milieu de ces troubles, Duport, une des futures puissances de la constituante, comprenait qu'il marchait à lin liberté démocratique, à une révolution qui devait entraîner la chute de sa compagnie. Loin d'être animé par l'esprit de corps, il ne voulait point une aristocratie parlementaire, et méditait une réforme générale dans l'ordre judiciaire.

Dirigés par ces deux orateurs et par d'autres chefs non moins passionnés, les magistrats dénoncèrent les abus et les prodigalités de la cour, voulurent reconnaître la nécessité de l'impôt avant de l'enregistrer, et demandèrent, comme les notables, la communication des états de recette et de dépense (6 juillet). Cette proposition était exorbitante, mais à cette époque la faveur accueillait toute résistance au gouvernement ; d'ailleurs le droit importait moins au parlement et aux agitateurs que la popularité. Le ministère la repoussa. Au milieu de l'orageuse discussion, soulevée par ce refus, un conseiller—clerc, Sabatier de Cabre, s'écria tout à coup : « On demande des états, « ce sont des états -généraux qu'il nous faut ! » Ce jeu de mots que son auteur expliqua en faisant entendre qu'il s'agissait d'embarrasser la cour, offrait un but inattendu ; chacun le répéta ; on le transforma en une proposition formelle, et le parlement arrêta que des remontrances seraient rédigées par des commissaires afin de supplier le roi de retirer l'édit sur le timbre, et d'exprimer le vœu de voir la nation assemblée préalablement à tout impôt nouveau[9] (16 juillet). C'est ainsi que par une singulière affectation de popularité, le parlement abdiquait dans les mains de la nation, et proclamait le premier une révolution, dont il devait être la première victime.

La conduite d'une compagnie toujours si jalouse des états—généraux, et qui reconnaissait maintenant qu'a eux seuls appartenait le droit d'établir des impôts, devait étonner. Elle s'était jusqu'alors arrogé ce droit de les consentir ; elle avouait donc son incompétence et même son usurpation. Aussi, dès le lendemain, fut-elle effrayée de l'espèce de vertige qui l'avait poussée au renversement de toutes ses traditions. Les commissaires chargés de la rédaction des remontrances, s'efforcèrent d'affaiblir la portée de l'arrêté du 16 juillet en écrivant que les états-généraux seuls peuvent établir un impôt perpétuel. Le roi ne répondit point sur ce qui regardait les états ; il envoya au parlement l'édit sur la subvention territoriale qui assujettissait à l'impôt « tous les revenus des biens-fonds et droits réels du royaume, sans aucune exception, et les domaines même de la cour[10]. » Il comptait sans doute sur les dispositions de cet édit pour triompher des résistances. Mais l'opposition devint encore plus violente.

Quelques orateurs cherchèrent en vain à modérer les esprits, par le tableau des débats stériles ou sanglants clin ont presque toujours accompagné les états-généraux. L'enthousiasme, qui regardait toute objection comme une insulte à un siècle de lumières, répondit par ces mots : Les temps sont bien changés ! Plusieurs des vieux magistrats et surtout les présidents représentèrent encore que le parlement lui-même aurait à rendre compte aux états de la manière dont il s'était substitué aux droits de la nation. Le bouillant d'Eprémesnil qui rêvait une restauration des libertés privilégiées du moyen âge, dit que les trois ordres ne pourraient manquer de sceller une alliance intime avec les parlements ; qu'ils sentiraient la nécessité de confier à ces grands corps, dans les intervalles de leurs assemblées, le maintien des droits publics. Le président d'Ormesson, attristé par l'ardeur que mettait d'Eprémesnil à solliciter la convocation des états, lui adressa alors ces paroles prophétiques. « La providence punira vos funestes conseils en exauçant vos vœux ! » Entraîné par ses orateurs, le parlement, à une faible majorité, toutes les chambres assemblées, décida que la nation, représentée par les états-généraux, était seule en droit d'octroyer au roi les subsides nécessaires[11] (30 juillet).

Cette opposition de la magistrature pouvait avoir des résultats d'autant plus graves qu'elle était soutenue par l'opinion populaire. Brienne, qui venait encore de prouver son incapacité, la signala MI roi comme séditieuse. Louis XVI manda le parlement à Versailles et ordonna, dans un lit de justice, l'enregistrement de l'impôt du timbre et de la subvention territoriale (6 août). Deux mois auparavant, le lit de justice eût sans doute empêché le parlement de s'engager dans les voies de la résistance où il ne dépendait plus de lui de s'arrêter. Le lendemain, il protesta contre la séance royale qu'il appela avec mépris un fantôme de délibération, et, usant d'une formule nouvelle, il déclara illégales et nulles les transcriptions faites sur ses registres. Quelques membres demandèrent qu'un arrêt défendît l'exécution des cieux édits ; mais une grande majorité renvoya la discussion à huit jours.

La lutte des magistrats contre le pouvoir excitait au plus haut degré l'intérêt du public. Ce n'étaient plus, comme au temps des notables, des applaudissements sortant des salons et des clubs ; l'enthousiasme était descendu dans les rues. A chaque séance, la foule immense qui encombrait la salle des Pas-Perdus et les alentours du Palais, accueillait de ses acclamations ceux des membres du parlement qui s'étaient signalés par leur intervention dans l'appel aux états-généraux. Mais au-dessus de tous les noms, devenus populaires, planaient ceux de d'Eprémesnil, de Duport et de Fréteau, que partout on saluait comme des défenseurs de la patrie.

Il fallait être Loménie de Brienne pour s'imaginer que des hommes, enivrés d'hommages si nouveaux pour eux, renonceraient dès le premier geste menaçant à leur rôle de résistance. La reine prenait du ministre toutes ses opinions, et le lendemain de chaque séance, elle répétait à sa cour, avec le sourire de la confiance, que le parlement à la séance suivante, abandonnerait toute attitude hostile. Mais désabusé par les scènes tumultueuses et les arrêtés hardis qui suivirent le lit de justice, Brienne proposa au Conseil de transférer le parlement à Troyes, afin de le rendre plus docile. Malesherbes effrayé de cette mesure, obtint qu'avant de sévir, on attendrait un nouvel acte d'opposition.

Sur ces entrefaites, le gouvernement, pour se concilier les esprits, publia un règlement touchant la réduction des dépenses de la maison du roi et de celle de la reine (9 août) ; mais le public parut peu satisfait de ces économies promises aux notables. On ne sut aucun gré au pouvoir de ces réductions arrachées par la crainte. « Beau mérite, disait-on, que d'abandonner ce qu'on ne peut plus garder et de ployer sous la nécessité. » Le public n'ignorait pas que ces réformes avaient produit une sorte d'émeute de palais et que les courtisans se plaignaient vivement d'être dépouillés de leurs propriétés. « Il est affreux, s'était écrié un deux, le baron de Besenval, de vivre dans un pays où l'on n'est pas sûr de posséder le lendemain ce qu'on avait la veille. Cela ne se voit qu'en Turquie. » Comment le faible monarque qui craignait d'affliger les gens de sa cour, et ne savait pas même imposer silence aux murmures dans sa propre demeure, eût-il fait cesser les clameurs de Paris ?

Cependant la persévérance enflammée des jeunes conseillers du parlement ne se ralentissait point. Le 10 août, Duport dénonça en règle les dilapidations, abus d'autorité, et autres de tout genre de l'ancien contrôleur général Calonne. La compagnie accueillit la dénonciation et chargea le procureur général d'informer. L'arrêté fut cassé par le Conseil ; mais Calonne, dès qu'il vit l'orage excité contre lui, passa le détroit et chercha un refuge en Angleterre. C'est de là qu'il répondit aux volumineuses brochures de Necker et au parlement dans une apologie pleine de modération et de grâce. A l'exemple du parlement de Paris, tous les parlements des provinces prirent des arrêtés dans lesquels aux accusations méritées par l'ex-contrôleur général se mêlent trop souvent des exagérations indignes de la magistrature et poussées jusqu'à l'extravagance. Cette dénonciation rejaillit sur la cour et la reine. Alors se multiplièrent les pamphlets, les insolentes satires et d'autres écrits scandaleux. Marie-Antoinette' devint l'objet des plus violentes attaques ; dans les cours du Palais, les clercs de la basoche et les étudiants, population active et remuante, chansonnaient tout haut, Madame Déficit, et des écoliers osèrent l'insulter dans le parc de Saint-Cloud. L'irritation contre la reine était parvenue à un tel point que, sur l'avis du lieutenant de police, Louis XVI défendit à son épouse de se montrer dans Paris pendant ces moments d'effervescence.

Le parlement avait ajourné au 13 août la séance où devait se terminer la discussion relative au lit de justice. Le duc de Nivernais, pair de France et ministre d'État sans portefeuille, s'efforça de rapprocher les esprits en représentant aux magistrats la nécessité de montrer la France unie, et l'État armé de ressources suffisantes dans un temps où les affaires de la Hollande, notre fidèle alliée, pouvaient rallumer la guerre. Quoique malade alors, l'infatigable d'Eprémesnil rassembla toutes ses forces et réfuta victorieusement le duc de Nivernais. La compagnie, à la majorité de quatre-vingts voix contre quarante, persista dans ses arrêtés, déclara la distribution des édits du 6 août, nulle, illégale, clandestine, incapable de priver la nation de ses droits et d'autoriser une perception contraire à tous les principes. Elle ordonna en outre l'envoi du présent arrêté à tous les bailliages et sénéchaussées de son ressort. La multitude, qui s'agitait autour 'du Palais, accueillit avec des cris d'enthousiasme la nouvelle de cette décision.

Au sortir de la séance, d'Eprémesnil fut porté dans les bras du peuple et il eut presque les honneurs d'un triomphe public[12]. Chose étrange ! Ce parlement, condamné à disparaître bientôt de la scène du monde, obtenait la popularité en défendant ce qui alors blessait le plus les intérêts populaires, les immunités de l'Église et de la noblesse. On ignorait que, dans le préambule de l'arrêté, reçu avec tant de reconnaissance, les magistrats eussent déclaré qu'on ne pouvait, sans violer les constitutions primitives de la nation, soumettre le clergé et la noblesse à la subvention territoriale, et que leurs principes seraient ceux des états généraux. Quand la masse non privilégiée le sut, elle s'en inquiéta peu ; il lui suffisait d'entendre le parlement demander la convocation des états-généraux, dont elle espérait les améliorations désirées.

Tous les efforts de conciliation ayant échoué, le gouvernement n'hésita plus à sévir et des lettres de cachet furent expédiées à tous les membres du parlement avec ordre de se rendre à Troyes (15 août). Le parlement obéit. Monsieur et le comte d'Artois furent envoyés pour faire enregistrer les édits, l'un à la cour des comptes et l'autre à la cour des aides (17 août). Les applaudissements du peuple accueillirent le premier de ces princes, à cause de la libéralité de ses opinions à l'assemblée des notables, et parce qu'il passait pour exécuter malgré lui les ordres du roi. Le second, qui s'était signalé par des principes contraires, qui 'avait fait d'inutiles efforts pour défendre M. de Calonne et auquel on attribuait un propos violent sur le plus court moyen d'apaiser les troubles, fut accablé d'outrages : des sifflets et des huées le poursuivirent sur son passage, et un attroupement se forma autour de lui quand il descendit les degrés du Palais. Sur l'ordre de leur capitaine, le chevalier de Crussol, ses gardes firent un mouvement de leurs armes ; on vit au même instant la multitude épouvantée s'échapper par toutes les issues.

La chambre des comptes et la cour des aides, en protestant contre l'enregistrement forcé, demandèrent le rappel du parlement et la convocation des états-généraux. « Les lois de nos souverains, dit la cour des aides, ordonnent aux magistrats, sous peine de désobéissance, de ne pas obtempérer à ce qu'on pourrait leur proposer de contraire au bonheur public et aux privilèges de la nation[13]. » Chaque jour le Palais et les quartiers voisins étaient le théâtre de rassemblements qui poussaient des clameurs hostiles au gouvernement, et où l'on donnait la chasse aux 'mouches de la police. Plusieurs hommes qu'on supposait en faire partie, furent attaqués, poursuivis et coururent les plus grands dangers. Pendant plusieurs jours, l'agitation qu'on remarquait dans les esprits fit craindre un soulèvement général. L'autorité se vit obligée de prendre des mesures sévères pour réprimer ces troubles ; de nombreuses patrouilles parvinrent à rétablir le calme et l'ordre. Les clubs, réunions empruntées à l'Angleterre depuis 1782, dont la lecture et la conversation devaient être l'unique genre d'occupation, se livraient à des discussions politiques, malgré la défense qu'on leur en avait faite. Comme ils devenaient les foyers d'une opposition qui soutenait celle de la rue, le baron de Breteuil donna l'ordre de les fermer.

Brienne, qui profitait de tout, se fit nommer principal ministre, vu la gravité des circonstances, et fut investi dune autorité égale à celle qu'avait autrefois obtenue le cardinal Mazarin. Les maréchaux de Ségur et de Castries, refusant de reconnaître sa suprématie et craignant surtout de porter la responsabilité des fautes où ne manquerait pas de s'engager un ministre sans prévoyance, donnèrent leur démission. A la prière de l'archevêque, le roi confia le département de la guerre au comte de Brienne, son frère, homme lissez habile en intrigues de cour, mais dépourvu de talent et dont l'opulence et la libéralité avaient depuis longtemps secondé les vues ambitieuses du prélat. Le comte de la Luzerne, auparavant ambassadeur en Angleterre, et alors commandant à Saint-Domingue, fut appelé au ministère de la marine. Avec les maréchaux de Ségur et de Castries disparaissait l'honneur militaire de la vieille France, désormais livrée à l'anarchie. Surchargé de ses embarras intérieurs, son gouvernement n'avait plus le loisir de jeter ses regards sur l'Europe, dont il n'attrait pu d'ailleurs maintenir l'équilibre avec la vigueur et la dignité que réclamait la situation du dehors, alors pleine d'orages.

En Angleterre, le ministère Whig, toujours exposé aux attaques d'une opposition menaçante, pour avoir conclu la paix de 1783, avait été remplacé par un ministère, sans couleur déclarée, que dirigea le fils de lord Chatam, le jeune William Pitt, figé de vingt-quatre ans et considéré déjà comme le premier homme politique de la Grande Bretagne. Sorti des rangs des whigs, mais voyant des finances épuisées à restaurer, le crédit abattu à relever, le commerce anéanti à rétablir, des alliances rompues à renouer, l'Irlande impatiente à maintenir, le pays agité par des troubles et par l'influence des idées françaises, il prit la résolution de raffermir les pouvoirs qui avaient fondé la grandeur britannique. Pitt se porta donc comme le défenseur de l'aristocratie et de la couronne, et malgré toutes les difficultés de la situation, ses généreux efforts et son administration aussi ferme que vigoureuse rendirent le calme à l'Angleterre.

' Tel était le ministre avec lequel le comte de Vergennes avait conclu en 1786, pour deux années consécutives, un traité de commerce dans le but d'attacher les intérêts anglais à la conservation de la paix. Vergennes avait réussi à faire en sorte que l'Angleterre n'eût aucun avantage à retirer d'une guerre directe avec la France, mais non à l'empêcher de nous créer partout des difficultés par les intrigues de sa diplomatie. A l'instant même où Pitt laissait tomber de la tribune anglaise d'éloquentes paroles contre les haines internationales, il cherchait à profiter des troubles de la France, que des historiens l'accusent d'avoir fomentés avec de l'or, pour lui ravir auprès des puissances de l'Europe, l'influence que lui avaient acquise les succès de la guerre d'Amérique[14].

Quelques mois après, le comte de Ségur obtint de la Russie un autre traité de commerce qui assurait aux Français des avantages jusqu'alors réservés aux Anglais (janvier 1787). Ce pacte inspira de la jalousie à William Pitt qui résolut de s'en venger sur la Turquie et de s'appuyer pour cela sur le roi de Prusse, Frédéric Guillaume II, neveu et successeur du grand Frédéric, que la mort avait enlevé a ses sujets (17 août 1786). Inconstant, faible et saisi par instants de quelques velléités chevaleresques, le nouveau souverain se rendit d'abord populaire par la suppression de quelques impôts onéreux à ses sujets et par l'établissement d'une administration séparée pour l'accise, les douanes, l'industrie et le commerce. Mais bientôt ce prince, aux mœurs déréglées, laissa gouverner la corruption de son cœur par de nombreuses femmes, ses maîtresses. Bientôt il s'entoura de visionnaires et d'illuminés sans scrupules, qui s'emparèrent de sa confiance et de son esprit, en faisant passer devant lui dans leurs magiques évocations les plus grandes figures de la bible et de l'histoire[15]. Ces mystiques le déterminèrent à publier des lois de censure qui anéantissaient la liberté de la pensée et celle de la presse. Aussi toute la partie éclairée de la nation devint-elle hostile au nouveau gouvernement.

Au dehors, Frédéric Guillaume ne marchait pas dans les mêmes voies que son illustre prédécesseur. D'après les conseils de son ministre Hertzberg, homme présomptueux, inflexible et d'une intelligence forte, qui avait exercé une grande influence sur Frédéric II, il avait essayé d'abord, mais en vain, d'enlever à l'Autriche l'appui du cabinet de Versailles. Irrité de cet insuccès, il avait abandonné l'alliance de la France pour rechercher celle de l'Angleterre. C'est alors que William Pitt, secondé par Hertzberg, affecta tout à coup une vive sollicitude pour le salut de l'empire ottoman, jusque-là complètement abandonné par la Grande-Bretagne à la discrétion des Russes. Il engagea donc les Turcs à reprendre l'offensive, dans l'espoir que la France ne refuserait pas son appui à ses anciens alliés. Cet évènement, dans la pensée du ministre anglais, changerait sans aucun doute, les dispositions amicales de la cour de Pétersbourg à l'égard de la France. Si cette puissance demeurait neutre, elle s'aliénait les Turcs qui fondaient sur elle toutes leurs espérances et perdait sa prééminence dans le Levant dont l'Angleterre pourrait acquérir tout le commerce. Alarmés du voyage fastueux et gigantesque de Catherine II en Crimée, et de son entrevue dans Kherson, au bord de la mer Noire, avec l'empereur Joseph II, les Turcs se tournèrent avec anxiété vers la France, tandis que les agents anglo-prussiens les exhortaient à prévenir les efforts de la Russie et de l'Autriche, en leur promettant les secours de la Suède, de la Prusse et même de la Pologne.

Cependant les ambassadeurs français, le comte de Ségur en Russie et le comte de Choiseul-Gouffier auprès de la Porte-Ottomane, unirent leurs efforts pour détourner l'orage. Mais ces négociations pacifiques auxquelles leur gouvernement ne donnait pas assez d'appui, demeurèrent infructueuses. Entraîné par les suggestions du ministre anglais, le sultan Abdul-Hamed déclara la guerre aux Russes, dans un moment où Catherine II ne songeait point à prendre les armes contre Byzance, et où Joseph II était plus préoccupé des moyens d'étouffer la révolte des Pays-Bas Autrichiens soulevés par ses innovations, que disposé à combattre les Turcs sur le Danube (août 1787). Surpris de cette audace imprévue, Catherine et Joseph éprouvèrent d'abord quelques revers ; mais ils ne tardèrent pas à reprendre l'avantage. Le sultan ne vit point arriver les puissants secours qu'on lui avait promis : il n'y eut que le roi de Suède, Gustave III, qui, après avoir rendu à la royauté les prérogatives dont l'avait dépouillée l'aristocratie, voulut rendre à sa couronne la gloire des armes. Transporté sur une flotte dans la Finlande, pendant que les forces de la Russie étaient occupées à trois cents lieues de la Baltique, il résolut de s'avancer d'une marche rapide jusqu'à Pétersbourg, à la tête de 33.000 hommes, et d'aller y dicter une paix qui vengerait les longs affronts de sa patrie. Mais ce grand prince fut trahi et obligé de renoncer à cette audacieuse entreprise. La France qui ne voulait ni aggraver le danger de la Porte, ni soutenir son injuste agression, garda la neutralité, et comme Pitt l'espérait, elle perdit son influence en Orient. Ce n'était pas assez pour le fils de lord Chatam ; il nous attaqua encore d'une manière plus fatale en Hollande qu'en Turquie.

Dans la guerre d'Amérique, le stathouder Guillaume V, prince entêté, ambitieux et d'un esprit borné, avait servi de tous ses efforts les intérêts de l'Angleterre qui devait, en récompense, seconder quelques projets utiles à son autorité. Les états—généraux, avaient conservé le plus vif ressentiment des trahisons de l'indigne chef du pouvoir militaire, et Guillaume n'abandonnait point ses desseins contre la liberté. Il souffrait des obstacles qu'il trouvait dans la constitution des Provinces-Unies, qui ne lui permettait pas de renforcer une garnison sans le consentement des États, « tandis que, par une bizarre inconséquence, on le laissait s'environner d'un éclat tout royal[16]. » Inspiré par les Anglais et soutenu par une coalition d'aristocratie et de populace, Guillaume, pour acquérir une autorité presque absolue, entreprit de s'emparer des suffrages des électeurs qui nommaient aux municipalités ; mais les principaux magistrats, avec l'aide de la partie éclairée et patriotique du peuple des Sept Provinces, repoussèrent de telles prétentions. Ce fit alors que l'en vit, éclater des émeutes fréquentes et terribles dans lesquelles les chefs du parti républicain coururent les plus grands dangers. Les États ayant pris des mesures pour assurer la tranquillité publique, le stathouder déclara qu'on attentait à ses droits, et se retira en Gueldre ou ses partisans étaient nombreux. De là il implora le secours du grand Frédéric, roi de Prusse, son oncle, qui se contenta de répondre froidement par quelques notes diplomatiques aux plaintes ambitieuses de sa nièce, l'épouse de Guillaume V.

Maître absolu dans la Gueldre, dont les états lui étaient particulièrement dévoués, le prince d'Orange essaya du pouvoir absolu. L'attaque dirigée par lui contre les villes d'Elbourg et de Hattem, rebelles aux ordres qu'il leur avait intimés au nom des états de cette province, irrita les esprits et fournit des forces au parti patriotique. Les résistances se multiplièrent et la Hollande suspendit le stathouder des fonctions de capitaine général. Après la mort du grand Frédéric, son successeur Frédéric-Guillaume Il appuya fortement les prétentions du prince d'Orange son beau-frère. Il était d'ailleurs entraîné à cette politique par l'ambassadeur anglais à La Haye, le chevalier Harris, depuis lord Malmesbury, qui soufflait le feu de tout son pouvoir ; dans l'espérance d'assujettir les Provinces-Unies à la domination de la Grande-Bretagne. Frédéric-Guillaume craignit toutefois d'abord une rupture offerte avec le cabinet de Versailles ; il ordonna à son ambassadeur, le Comte de Gortz, d'agit avec prudence et de se défier du zèle que manifestait le chevalier Harris. Il y eut alors une tentative de médiation en Commun par la France et la Prusse. Mais excité par son épouse, princesse orgueilleuse, emportée et vindicative, le stathouder ne voulut point accepter les conditions d'accommodement (janvier 1787).

Sur ces entrefaites, le comte de Vergennes, qui opposait à la Prusse les résistances d'une diplomatie encore respectée, vint à mourir et avec lui disparut ce reste de fermeté dans les conseils de Louis XVI. L'attitude de la Prusse devenait chaque jour plus hostile, en présence de l'agitation toujours croissante des Bataves. Le nouveau ministre des affaires étrangères, Montmorin, proposa au conseil de former un camp d'observation de vingt mille hommes à Givet, sur la frontière du nord. Malgré la pénurie du trésor, Calonne, quand il fut congédié, avait heureusement réuni les fonds nécessaires polir cet objet. Brienne, arrivé au ministère, commença par appliquer à un autre usage l'argent destiné aux préparatifs de ce camp qui aurait suffi pour contenir la Prusse et intimider l'Angleterre. Non seulement on ne forma pas un corps d'armée à Givet, sous le commandement du marquis de La Fayette, comme il en avait été question dans le public et à la cour, mais on engagea les patriotes Hollandais à prendre pour général le rhingrave de Salm, aventurier sans courage, que Louis XVI avait fait maréchal de camp, et qui les avait séduits par un zèle affecté pour des principes populaires.

Pendant que la révolution continuait en Hollande, que se passait-il dans les conseils de Versailles ? Les maréchaux de Ségur et de Castries, insistaient pour l'exécution du projet, tandis que le faible Montmorin regardant comme un devoir de se conformer aux intentions de Brienne, n'osait lui adresser aucune réclamation. Les autres ministres s'inspiraient de leur chef qui soutenait avec assurance que le roi de Prusse n'oserait point sans l'avoir consulté s'avancer en médiateur ou en conquérant dans la Hollande et que d'ailleurs une simple menace suffirait pour l'arrêter. Le vertueux Malesherbes affaibli par l'âge et manquant de l'énergie nécessaire à l'homme d'État, venait souvent au secours de l'incapacité de Brienne, en détournant l'attention de ses collègues des sages avis de Ségur et de Castries soit par une observation futile, soit par le récit intempestif de quelques anecdotes. Quant à Brienne, il parlait sans cesse aux Prussiens du camp de Givet qui n'existait pas, insultait par son incrédulité aux alarmes des Hollandais, dévoilait la faiblesse et, l'irrésolution de son caractère, et livrait au mépris de l'Europe la politique de la France.

Au lieu de la guerre, le gouvernement eut la honte que pouvait lui épargner une démonstration de nos armes à la frontière. La catastrophe suivit de près la démission des maréchaux de Castries et de Ségur. Guillaume V et son arrogante épouse, après avoir 46choué dans un nouveau complot pour surprendre La Haye, ne craignirent pas d'invoquer ouvertement l'appui des armes étrangères. Assuré que le camp de Givet n'était qu'un vain épouvantail, le roi de Prusse envoya en Hollande vingt-cinq mille hommes commandés par le duc de Brunswick, l'ancien tuteur et le premier guide du stathouder. Ce général, que le grand Frédéric avait inscrit au nombre des héros de la guerre de Sept-Ans, n'éprouva nulle part une résistance sérieuse, car le rhingrave de Salin, au bruit de son approche, évacua toutes les forteresses, et prit la fuite sans avoir essayé de défendre Utrecht. Trahis par cet intrigant et consternés de l'inaction de la France, « les Hollandais recoururent en vain à la ressource qui avait signalé le noble désespoir de leurs aïeux. Ils ouvrirent leurs digues ; mais les inondations étaient imparfaites, parce qu'elles n'avaient pas été combinées, sur plusieurs points, et d'ailleurs la saison ne les favorisait pas : il ne fallait pas user sitôt d'un pareil moyen. Un peuple qui défend son indépendance doit couvrir ses champs de soldats, avant d'être réduit à les inonder[17]. »

Guillaume V rentra dans La Haye le 20 septembre 1787. Amsterdam ouvrit ses portes au vainqueur (10 octobre), et le cabinet de Versailles envoya dire aux États qu'il fallait se soumettre à la nécessité. La France offrit un asile aux émigrés Hollandais qu'elle n'avait pas su défendre ; ceux qui restèrent dans leurs foyers, se trouvèrent exposés aux fureurs de la faction victorieuse et de ses auxiliaires allemands. Rétabli dans la plénitude de ses droits, le stathouder récompensa le zèle de ses troupes en leur accordant le pillage des villes républicaines ; lui-même se vengea par des exils et des exécutions.

Notre traité d'alliance de 1785, fut annulé de fait par les traités que dut subir avec les deux puissances coalisées la Hollande asservie par les armes de la Prusse, et devenue en quelque sorte une province anglaise (15 janvier 1788). Afin de prolonger les craintes du ministère français, et d'empêcher son intervention, Pitt avait ordonné des armements considérables dans les ports de la Grande-Bretagne. Après la révolution des Provinces-Unies, il les fit continuer avec une activité insolente. La France se vit obligée d'armer aussi ; elle avait soixante vaisseaux et l'illustre marin Suffren fut nommé pour les commander en cas de guerre. Fidèle au pacte de famille, l'Espagne déploya dans ses préparatifs maritimes une rare vigueur, et réunit une flotte de cinquante vaisseaux. La question d'une quadruple alliance entre la France, l'Espagne, l'Autriche et la Russie, calma l'ardeur belliqueuse du ministère britannique. Il ne jugea pas prudent de pousser plus loin ses démonstrations, et convint avec le cabinet de Versailles, qu'on désarmerait de part et d'autre.

Ce honteux dénouement des affaires de Hollande sembla effacer la France de la politique de l'Europe dans laquelle cette puissance avait joué si longtemps un rôle plein d'ascendant et de grandeur. Pour se disculper d'avoir ainsi abandonné notre alliée, Brienne invoquait la pénurie du trésor ; mais il avait détourné les fonds laissés par Calonne pour une intervention utile. Il disait aussi qu'il y avait du danger à seconder dans les Provinces-Unies l'esprit de liberté qu'il s'efforçait de réprimer en France. Mais les hommes sensés pensaient avec raison que, dans la disposition des Français, il y en avait un plus grand encore à livrer le gouvernement à un mépris général que ravivait chaque jour le triste sort de tous ces malheureux Hollandais qui venaient leur demander un asile. Suivant leur opinion, dans la situation du royaume, la guerre aurait été un moyen de salut. « La guerre, en effet, eût rallié les esprits ; elle eût rendu de l'éclat et de la force à l'autorité : peut-être un grand ministre se fût-il entouré du prestige de la victoire, pour imposer silence aux partis, et pour leur faire accepter des lois conformes à l'intérêt général[18]. »

Cependant l'exil du parlement causait la plus vive agitation en France. Tous les tribunaux inférieurs, et même des corps étrangers à la magistrature envoyèrent à Troyes des adresses et des députations que le parlement recevait avec une sorte de solennité. Des hommes illustres, des femmes que semblait animer le plus vif patriotisme, quittaient la capitale pour aller visiter les conseillers les plus exaltés dans l'opposition, et qui prenaient l'attitude de victimes du despotisme. Il n'y eut pas un parlement de province qui ne réclamât le rappel des magistrats, le procès de Calonne, la convocation des états-généraux ; pas un qui ne s'élevât contre les actes arbitraires. « Les coups d'autorité sans cesse renouvelés, » disait le parlement de Besançon dans un langage menaçant, « les enregistrements forcés, les exils, la contrainte et les rigueurs mises à la place de la justice étonnent dans un siècle éclairé, blessent une nation idolâtre de ses rois, mais libre et fière, glacent les cœurs, et pourraient rompre les liens qui attachent le souverain, au sujet et les sujets au souverain. » Plusieurs parlements demandaient, au nom des lois constitutionnelles du royaume, qu'au lieu de former des assemblées provinciales, on rétablît les états particuliers des provinces qui assuraient plus d'avantages aux premiers ordres que le nouveau système de représentation. Celui de Bordeaux se signala par la hardiesse de sa résistance ; il osa défendre à l'assemblée provinciale du Limousin de se réunir, sous prétexte que l'édit portant création des assemblées n'était pas enregistré. Exilé à Libourne, il obéit, dans la crainte de troubler par son refus la tranquillité publique, mais refusa d'enregistrer les, lettes de translation comme illégales.

La faveur qui s'attachait au parlement dans son exil, inquiétait la cour ; les magistrats commençaient aussi à se fatiguer de leur éloignement de la capitale. La plupart d'entre eux manifestaient de l'ennui et s'alarmaient de voir la justice suspendue ; ce fut le moment que choisit Brienne pour négocier et faire des avances. La majorité ne les repoussa point en dépit de quelques conseillers déterminés à pousser la résistance jusqu'à ses dernières limites. « Vous êtes sortis de Paris couverts de gloire, » disait d'Eprémesnil à ses collègues, « et vous y rentrerez couverts de boue. » Duport, Fréteau, l'abbé Sabathier, Robert de Saint-Vincent, l'abbé Le Coigneux, moteurs ardents de l'opposition, disaient que l'honneur ne leur permettait d'écouter aucune proposition du ministre ; qu'ils avaient déclaré leur incompétence en fait de subsides et que dès ce moment ils étaient comptables envers la nation de tout ce qu'ils feraient contre ses droits. Enfin les négociations aboutirent à une bizarre transaction dans laquelle le ministère et le parlement semblaient avoir cherché les moyens de s'adoucir réciproquement la honte de revenir sur leurs premières décisions. Brienne retira les édits du timbre et de la subvention territoriale, qu'il avait proclamé lui être d'une absolue nécessité, et les magistrats, oubliant leur déclaration solennelle d'incompétence en matière d'impôts, enregistrèrent le rétablissement des deux vingtièmes, le premier indéfiniment, et le second jusqu'en 1792, sans toutefois se départir de leurs anciens arrêtés (19 septembre 1787).

Paris célébra comme une victoire le retour du parlement. La jeune basoche et ses auxiliaires en guenilles exigèrent que les maisons fussent illuminées dans les alentours du palais et brisèrent les vitres des personnes qui n'obéissaient pas. Calonne fut brûlé en effigie sur la place Dauphine et le procès-verbal de son jugement répandu le lendemain dans la ville. On promena an milieu des huées de la population les mannequins du baron de Breteuil et de la duchesse de Polignac ; et il fut question de traiter de la même manière l'image de la reine. Ces déplorables excès que ne réprimait point la chambre des vacations, jetaient la consternation parmi les bons citoyens. Enfin les magistrats, sur les instances du lieutenant de police, se déterminèrent à prendre des arrêtés qui mirent fin aux désordres.

Ainsi déjà frémissaient dans la foule toutes les passions brutales ; elles n'attendaient que l'occasion d'éclater. La transaction avec le parlement, signe infaillible d'une politique intéressée et d'une faiblesse commune, ne donnait pas une solution. De toutes parts s'amoncelaient des nuages précurseurs de la tempête. Électrisé par quelques déclamateurs imprudents ou coupables, le peuple ne cherchait que l'action. « Du chaos tranquille, écrivait Mirabeau, la France a passé au chaos agité : il peut, il doit en sortir une création. » Et cet homme dans l'impatience de la destinée qu'il pressentait, s'efforçait de relever le courage des parlementaires et leur conseillait de ne pas accepter l'ajournement des états-généraux à 179, mais de les exiger pour 1789, date de rigueur, disait-il, montrant par des raisons péremptoires que leur prompte convocation était la dernière ressource du trône.

Dans la triste situation des finances, la prorogation des vingtièmes, obtenue du parlement, n'était qu'un secours insignifiant. Aussi la pénurie du trésor continuait-elle de s'accroître. Pour y remédier, Brienne résolut, au moment même où les anciens emprunts apparaissaient comme un fléau, de faire enregistrer, en un seul édit, une somme de 420 millions d'emprunts réalisables en cinq ans, avec l'engagement solennel de convoquer les états-généraux avant 1792. Dans cet intervalle, ou rétablirait les finances, et les états convoqués à l'expiration du délai, pourraient s'occuper avec calme de toutes les améliorations nécessaires. C'était du moins le langage que le ministre tiendrait au parlement. Il avait encore imaginé pour adoucir la magistrature et l'opinion, d'ajouter à l'édit d'emprunt l'édit tant de fois réclamé qui rendait l'état civil aux protestants. Afin d'apaiser les craintes qu'inspirait au roi et à la reine le nom d'états-généraux, Brienne leur représenta qu'une fois les emprunts enregistrés, les finances restaurées et les esprits refroidis par l'attente, on serait libre de faire des états-généraux un vain spectacle, ou de ne pas les convoquer. Il se hâta de préparer une séance royale, tout en négociant encore avec les magistrats dont il essayait, par toutes sortes de séductions, de se concilier les suffrages.

Aussitôt après les vacances, le 19 novembre, le roi se rendit, dès le matin au parlement accompagné des princes du sang et des pairs. Il y prononça un discours rempli d'expressions paternelles. Le garde des sceaux, Lamoignon, exprima ensuite les volontés du monarque avec précision et répéta toutes les maximes absolutistes des lits de justice de Louis XV. L'assemblée montra un profond recueillement quand il annonça que le roi s'engageait à convoquer les états-généraux dans l'année 1792. Des deux édits que Lamoignon présenta, l'un créait des emprunts successifs jusqu'à la concurrence de 420 millions, et l'autre rétablissait les protestants dans leurs droits de citoyens. Le roi ayant permis que l'on délibérât en sa présence, la discussion s'ouvrit librement mais ne roula que sur le premier de ces édits ; chacun donna et motiva son vote à haute voix. Les plus anciens magistrats de la grand'chambre se déclarèrent pour l'enregistrement. L'abbé Sabathier et Fréteau parlèrent longuement, mais avec convenance et proposèrent d'accorder le premier emprunt (celui de 120 millions), moyennant une convocation plus prompte des états-généraux. Le vétéran du jansénisme et de l'opposition, Robert de Saint-Vincent, s'exprima avec une audacieuse véhémence ; il s'éleva contre un projet qui ne pouvait s'accomplir qu'en cinq années, puis s'adressant au roi :« Sire, lui dit-il, le remède aux plaies de l'État, a été indiqué par votre parlement : c'est la convocation des états-généraux. Leur convocation, pour être salutaire, doit être prompte. Pourquoi ce retard ? La vérité, la voici : vos ministres veulent éviter ces états-généraux, dont ils redoutent la surveillance. Mais leur espérance est vaine ; les besoins de l'État vous forceront à les assembler d'ici à deux ans. Oh I oui, ils vous y forceront ; et le plus sage parti à prendre serait de profiter de la bonne disposition des esprits, de cette passion du bien publie qui anime aujourd'hui tous les Français. »

D'Eprémesnil aspirait à émouvoir le cœur de Louis XVI. Dans cette séance il fut, dit-on, aussi touchant qu'il se montrait ordinairement emporté et fougueux. Il demanda que les deux premiers emprunts fussent enregistrés, et que Sa Majesté daignât promettre la convocation des états-généraux pour 1789. Jamais il ne déploya une éloquence plus persuasive, et ses amis se flattèrent un instant de l'espoir qu'il triompherait de la résolution de Louis XVI.

Il y avait six heures que se prolongeait le débat : le premier président, favorable au ministère, recueillait les suffrages et voyait avec une joie secrète que la majorité était acquise à l'enregistrement pur et simple de l'édit. Tout à coup Lamoignon, au lieu de laisser ce magistrat compter les voix, s'approcha du trône, parla à l'oreille du roi, et sur l'ordre de Louis de faire enregistrer l'édit, il prononça la formule usitée dans les lits de justice. A l'instant même un murmure de surprise parcourut l'assemblée, et le parlement fut profondément blessé de voir transformer en lit de justice une simple séance royale. Au milieu de l'agitation de l'assemblée, le duc d'Orléans se leva avec tous les signes de la plus vive émotion, et comme s'il eut pressenti que ce premier acte public d'opposition allait décider du sort de sa vie entière, il balbutia d'une voix étranglée ces mots adressés au roi : « Sire... cet enregistrement me paraît illégal !... il faudrait exprimer que l'enregistrement est fait par l'exprès commandement de Votre Majesté. » Louis XVI non moins troublé lui répondit : « Cela m'est égal... vous êtes bien le maître... Si ; c'est légal, parce que je le veux » Le roi ordonna de lire le second édit, celui des protestants, et sortit accompagné des princes et des ministres, laissant les magistrats en séance.

L'agitation de l'assemblée allait toujours croissant. Tous les regards se tournèrent avec reconnaissance vers le duc d'Orléans ; on exalta son patriotisme ; chacun brûlait de partager la gloire et les périls du prince. Sa protestation rédigée avec développement, fut inscrite au procès-verbal. Ceux qui s'étaient montrés dociles aux désirs du roi, gardèrent le silence ou se rétractèrent. D'Eprémesnil reprenant son rôle de tribun, dit « que la seule différence qu'il voyait entre un lit de justice et une séance royale, c'est que l'un a la franchise du despotisme, et l'autre sa duplicité. » Le vieux Malesherbes, et le duc de Nivernais firent d'inutiles efforts pour ramener le calme. Le parlement termina la séance par la délibération suivante : « La cour considérant l'illégalité de ce qui vient de se passer à la séance du roi, où les voix n'ont point été comptées et réduites en la manière prescrite par les ordonnances, de sorte que la délibération n'a pas été complète, déclare qu'elle n'entend prendre aucune part à la transcription ordonnée être faite sur ses registres, d'emprunts graduels et progressifs pour les années 1788, 1789, 1790, 1791 et 1792. »

Un tel arrêté rendait impossibles des emprunts que repoussait déjà l'opinion publique, et renversait tous les plans de Brienne. Pour annoncer que l'autorité royale existait encore, il fallait qu'elle essayât de la rigueur. Dissoudre ce parlement et le punir de son prétendu patriotisme, était la seule mesure capable d'arrêter l'opposition, mais le roi et l'archevêque de Toulouse lui-même n'auraient pu s'y décider qu'après une longue hésitation. Louis XVI ordonna au parlement d'apporter ses registres à Versailles, et fit déchirer la délibération en sa présence. Le duc d'Orléans fut exilé dans une de ses terres, à Villers-Cotterêts ; deux conseillers, Fréteau et l'abbé Sabathier qui passaient pour avoir excité le prince, furent conduits prisonniers, le premier au château de Doullens, le second au mont Saint-Michel.

Les magistrats adressèrent au roi des représenta-„ions en faveur de leurs collègues incarcérés et du duc d'Orléans. Mais Louis XVI répondit « qu'il avait puni cieux magistrats dont il avait dei être mécontent, et que lorsqu'il s'était déterminé à donner des marques de mécontentement à un prince de son sang, il ne devait aucun compte de ses raisons à son parlement. »

Dans le public mal informé, on attribua l'exil du duc d'Orléans et l'arrestation des deux conseillers à la découverte d'un complot pour élever ce prince, au trône. Il n'en était rien. Depuis que le duc avait hérité du haut rang et de la grande fortune de son père (1786), le parlement tournait vers lui ses regards et recherchait son appui. Les hommes attachés à sa maison, ambitionnant de le voir jouer un rôle, s'entendaient avec quelques—uns des magistrats pour le diriger. Avant la séance du 19 novembre, ils avaient décidé que le chic d'Orléans protesterait si l'enregistrement de l'édit d'emprunt n'était pas libre ; nous avons vu de quelle manière il avait répété la leçon qu'on lui avait faite. Le ministère donna l'ordre d'arrêter l'abbé Sabathier et Fréteau qu'il soupçonnait d'avoir assisté à une conférence au Palais-Royal ; ce qui était vrai pour le premier, et faux pour le second. D'ailleurs, à cette époque, on formait des intrigues, mais non des complots. Dans le parlement, malgré la vive opposition d'un grand nombre de ses membres, on ne conspirait pas contre le roi ; jamais il n'y fut question d'enlever la couronne à la branche régnante four la porter sur une antre tête. Le duc était alors bien plus l'instrument que le guide de la résistance des parlementaires.

Quoiqu'il en soit, la mesure adoptée par le ministère aurait pu faire de Philippe d'Orléans un chef de parti redoutable, si son caractère eût été aussi décidé que ses opinions. Ce prince était devenu l'objet des ressentiments des habitants de Paris, à la suite d'une spéculation qu'il avait faite en 1783, quoiqu'elle dût contribuer à la splendeur de cette capitale : ils n'avaient pu voir sans douleur abattre les vieux arbres du Palais-Royal. Ils condamnaient d'avance les galeries spacieuses destinées à les remplacer, et plaignaient les propriétaires des maisons voisines contre lesquels le duc, au lieu de les indemniser, soutenait un procès. Quand ils le crurent cupide. ils se souvinrent des bruits injurieux qui l'avaient autrefois représenté comme un biche. Alors les pamphlets violents et cyniques et les épigrammes les plus sanglantes ne cessèrent de le déchirer. Malgré ces persécutions et ces outrages, le duc d'Orléans montrait le plus profond mépris pour l'opinion publique et plus d'une fois on l'entendit s'écrier : « Je donnerais l'opinion publique pour un écu. » Cette indifférence n'était cependant que simulée, et les plaisirs dissolus dans lesquels il se plongeait, ne pouvaient l'étourdir sur l'espèce d'abjection qui le suivait au milieu de ses immenses 'richesses. Mais à peine les Parisiens eurent-ils connu tous les incidents de la séance royale au parlement, la protestation et l'exil du prince, qu'ils oublièrent sa réputation jadis si décriée, et ne virent plus en lui qu'un défenseur de la liberté, une victime du patriotisme.

Tout en excitant un intérêt général, le duc d'Orléans parut bien éloigné d'accepter avec une noble résignation les jouissances d'un exil qui le rendait populaire, et rappelait celui de Choiseul à Chanteloup. Dès son arrivée à Villers-Cotterêts, il se livra aux plus violents transports de colère et jura devant ses familiers de se venger de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il tomba ensuite dans l'abattement, et, pendant quelques jours parut insensible aux soins que prenaient ses serviteurs pour le distraire. Devenu plus calme, il regrettait encore Paris et son Palais-Royal. Le lieu de son exil, séjour aimable où l'avaient suivi ses anciens plaisirs et une réputation nouvelle, ne lui offrait plus que l'image d'une île déserte. Il succombait à l'ennui, et d'après ses instances la duchesse d'Orléans ne cessait d'entretenir le roi et la reine du chagrin qu'il ressentait de leur trop légitime courroux. Enfin, ce prétendu héros de la séance royale, s'inquiétant peu de justifier les éloges que les Parisiens donnaient à sa fermeté, mit tous ses amis en mouvement[19] et écrivit à Marie-Antoinette une lettre pleine de témoignages de soumission et de repentir pour obtenir son retour dans la capitale.

Les ministres avaient cru que l'exil d'un prince du sang et l'emprisonnement de deux conseillers suffiraient pour briser l'opposition des magistrats. Mais ils s'étaient abusés. « Le parlement, dit M. Droz, venait d'acquérir un puissant moyen de soulever l'opinion publique en sa faveur ; il se présentait avec les avantages que doivent naturellement avoir les défenseurs de la liberté personnelle, et il liait sa cause à celle de tous les Français. » Après avoir repris l'offensive avec tant d'audace, il répondit à l'acte d'autorité du monarque en accueillant une motion d'Adrien Duport contre les lettres de cachet, comme nulles, illégales, contraires au droit public et au droit naturel, et réclama, dans un arrêté vigoureux, des garanties pour la liberté individuelle (4 janvier 1788)[20]. Louis XVI manda le parlement à Versailles, et fit biffer cet arrêté sur ses registres. Quelques semaines plus tard, le roi ordonna l'enregistrement de l'édit relatif aux protestants, malgré les réclamations des évêques présents à Paris et qu'une telle résolution avait alarmés. Cet édit fournissait seulement aux non catholiques un moyen légal de constater leurs naissances, leurs mariages et leurs décès. Ils restaient exclus des charges de judicature royales ou seigneuriales, des offices municipaux ayant fonctions de judicature, et des places qui donnent le droit d'enseignement public. Madame Louise, du fond de son cloître, excita les plaintes de l'Église contre l'édit, dans la pensée que la religion était trahie, le roi trompé et la tranquillité de l'État compromise, lorsque la mort vint la frapper au milieu des démarches superflues de son zèle (23 décembre 1787).

Malgré son désir de tout suspendre, le parlement céda sur ce point, non pas aux exigences du pieux et tolérant monarque, d'ailleurs soutenu par l'unanimité de son conseil, mais à l'impatience de l'opinion publique, dont tous les vœux appelaient la réparation de la fatale erreur de Louis XIV. Aussi l'étonnement fut-il grand lorsqu'on vit d'Eprémesnil, flatteur toujours si empressé des caprices de cette opinion, se déclarer contre les idées libérales du roi. C'est en vain que ses amis lui représentèrent le danger de perdre la faveur populaire, tous les efforts ne purent triompher de ses scrupules religieux. Initié l la secte alors peu répandue des Martinistes, d'Eprémesnil avait exalté son catholicisme par un mélange des idées de ces /nu-ruinés, à tel point qu'il croyait aux apparitions des êtres surnaturels. Il demeura donc inflexible dans son opposition contre l'édit dans lequel il voyait un objet de scandale, et rappela le serment du sacre. Les ducs de Luynes et de Mortemart réfutèrent ses arguments : alors indigné de ne pouvoir ramener les esprits à son sentiment ; « Voulez-vous, s'écria d'Eprémesnil, en élevant la main vers l'image du Christ, voulez-vous le crucifier une seconde fois ? » Ce mouvement d'éloquence, inusité depuis longtemps au parlement de Paris, ne produisit aucun effet, et l'édit fut enregistré à la majorité de quatre-vingt-seize voix, contre dix-sept (19 janvier 1788).

Le parlement ne tarda pas à renouveler ses remontrances avec plus d'énergie contre les actes arbitraires qu'il déclara contraires à un droit imprescriptible. Duport et l'opposition progressive l'emportaient et faisaient tenir à la compagnie un langage auquel la cour n'était pas habituée. Après avoir dit que la nation réclame de Louis XVI le plus grand bien qu'un roi puisse rendre à ses sujets, la liberté, le corps judiciaire ajoute : « Sire, ce n'est plus un prince de votre sang. ce ne sont plus deux magistrats que votre parlement redemande au nom des lois et de la raison ; ce sont trois Français, ce sont trois hommes. » Dans ses remontrances au roi, il franchit les bornes que lui prescrivait une sage retenue : « De tels moyens, Sire, disait-il encore, ne sont pas dans votre cœur, de tels exemples ne sont pas les principes de Votre Majesté ; ils viennent d'une autre source. » Ainsi il accusait officiellement la reine, sans la nommer, il est vrai, mais avec une évidence audacieuse, et ne craignait pas de se faire l'écho des clameurs populaires contre elle. La haine semblait s'attacher davantage à Marie-Antoinette, depuis qu'elle prenait une large part au gouvernement : certain de la diriger à son gré, Brienne, sur la valeur duquel cette princesse s'était cruellement méprise, voulait qu'elle assistât au conseil, à tous les comités, et lui donnait une voix prépondérante dans les décisions.

Déjà finissait l'ancien monde et la Révolution commençait. Cette Révolution, la plus grande et aussi la plus terrible de toutes celles que nous offrent les annales des peuples, préludait à la manière de la Fronde. Comme au temps de Mazarin et d'Anne d'Autriche, un indomptable esprit d'indépendance s'efforçait d'opposer des barrières à la puissance monarchique ; le roi et la magistrature ne s'accordaient point sur les questions les plus fondamentales ; le roi persistait à déclarer qu'il avait le droit de faire arrêter et détenir un sujet dangereux, mais il reniait les mesures qu'il avait prises, en s'adoucissant pour les hommes arbitrairement frappés. Ainsi, le duc d'Orléans fut autorisé à se rapprocher de Paris, et bientôt à rentrer au Palais-Royal. On changea l'emprisonnement de Fréteau et de Sabathier en un exil. La guerre était partout entre les parlements et les gouverneurs de provinces, chargés de l'exécution des ordres du ministre. Obligés de négocier ou de combattre contre un corps toujours menaçant et hostile, les gouverneurs faisaient transcrire les édits royaux sur les registres de la magistrature. Alors les parlements de protester, de se défendre à coups d'arrêts, de réclamer, comme celui de Paris, l'abolition des lettres de cachet et de rendre par leur résistance, l'emprunt impossible. Plusieurs avaient refusé la prorogation du second vingtième, ou continuaient de s'opposer à l'établissement des assemblées provinciales, et deux d'entre eux n'avaient pas craint de faire des remontrances contre l'édit qui rendait les droits civils aux protestants. Ce conflit de la royauté et des parlements n'engendrait aucun résultat ; d'une part on ordonnait, de l'autre on protestait ; les deux autorités se paralysaient réciproquement et perdaient toute considération. De fait, le gouvernement n'existait plus ; on marchait à grands pas aux luttes matérielles.

 

 

 



[1] Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs et les conditions en France avant la révolution, p. 205.

[2] Henri Martin, Histoire de France, t. XIX.

[3] Mémoires de Madame Campan, chap. XIII.

[4] « Pour 1787 le déficit avoué est de 112 millions ; les notables, vérification faite, trouvèrent lei millions et ils ne savaient pas tout, car Brienne déclara bientôt que le chiffre du déficit annuel était de 181.218.000 livres. Nous avons vu des situations financières plus désespérées, que l'ordre et une politique habile ont contenues et rétablies en bon état... La France bien administrée et réformée, était assez forte pour se tirer de ce mauvais pas ; mais Mi étaient les administrateurs, et qui pouvait, qui osait entreprendre la réforme ? » (Paul Boileau, État de la France en 1789, chap. VI, p. 404).

[5] Besenval, Mémoires, t. II, p. 230.

[6] Mignet, Histoire de la révolution Française, t. I, p. 25.

[7] Mémoires de La Fayette, t. II, p. 177.

[8] Mignet, Histoire de la révolution Française, t. I, p. 26.

[9] Mémoires de Bachaumont, t. XXXV, p. 334.

[10] Anciennes lois françaises, t. VI, du règne de Louis XVI, p. 295.

[11] Mémoires de Bachaumont, t. XXXV, p. 378.

[12] « Celui-là aurait bien étonné le parlement dans sa joie, et la foule dans son triomphe, qui, dominant les cris du peuple de sa voix prophétique, leur aurait jeté ces paroles : dans deux ans et onze mois, jour pour jour, le maire de Paris, suivi de quatre soldats, viendra mettre les scellés sur les portes de la Grand Chambre, et à la même place où nous sommes, il ne trouvera personne, pas même un huissier, pour les lui ouvrir un instant avant de les clore à jamais. » (A. Granier de Cassagnac, Histoire des causes de la Révolution française, t. II, chap. VI, p. 174.) Voir Camille Desmoulins, Révolutions de France et de Brabant, n° 48, p. 389.

[13] Histoire du gouvernement français, p. 185-191.

[14] On n'a pu rien découvrir à cet égard. « Mon père, dit Madame de Staël, m'a souvent attesté qu'entendant parler sans cesse de prétendus agents de l'Angleterre, il fit l'impossible pour les découvrir, et que toutes les recherches de la police ordonnées et suivies pendant son ministère servirent à prouver que l'or de l’Angleterre n'était pour rien dans les troublés civils de la France. Jamais on n'a pu trouver la moindre trace d'une connexion entre le parti populaire et le gouvernement anglais. » (Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, IIe partie, chap. X, p. 171-175, édit. Charpentier.

[15] L. P. de Ségur, Tableau politique et historique de l'Europe, p. 72 et 73.

[16] Droz, t. II, p. 19.

[17] Lacretelle, Histoire de France pendant le dix-huitième siècle.

[18] Droz, t. II, p. 31.

[19] « M. le duc d'Orléans à Villers-Cotterêts, aurait pu conquérir la sorte de considération que, dans la façon de penser actuelle, donnent l'opposition aux volontés de la cour et l'air d'être la victime de son despotisme, et qui dans le fait, aujourd'hui n'est plus qu'un lent et fructueux retour vers une autorité méconnue ; mais privé du séjour de Paris, séjour qui est pour ce prince un besoin, et auquel il a sacrifié, en plus d'une occasion jusqu'à sa gloire et sa réputation, M. le duc d'Orléans, dis-je, plus amoureux qu'on ne l'est à quinze ans de madame de Buffon, que cette intrigue avait brouillée avec sa famille, m'envoya le vicomte de Ségur, qu'il venait de nommer son premier gentilhomme en survivance du chevalier de Dur-fort, pour me peindre le désespoir où le réduisait son séjour à Villers-Cotterêts, me demandant de l'en tirer de quelque manière que ce fût, et me donnant carte blanche sur les moyens. » (Besenval, Mémoires, t. Il, p. 290.)

[20] De son côté le parlement de Toulouse écrivit au roi : « Il était digne du premier prince de votre sang, osons le dire, il était de son devoir de vous représenter que, puisque vous faisiez usage de la plénitude de votre puissance, l'arrêt de l'enregistrement devait énoncer que la transcription de la loi avait été faite de l'exprès commandement de Votre Majesté. S'il était possible qu'une réclamation si légitime tôt le motif de la disgrâce de M. le duc d'Orléans, quel est celui de vos sujets qui oserait vous dire la vérité. »