Portrait de Brienne. —
Influence de la reine dans les affaires d'État. Les notables accordent un
emprunt. — Réformes à la cour. — Brienne réduit le taux de la subvention
territoriale ; elle est repoussée par les notables. — Appel de La Fayette à
une assemblée nationale. — Rôle embarrassant des notables. — Séance de
clôture. — Brienne n'ose signifier au parlement, en lit de justice, les
résolutions des notables. — Attitude hostile des magistrats. — D'Esprémesnil
et Duport. — impôt du timbre rejeté. - Le parlement demande les états
généraux. — Lit de justice. Protestation. — Popularité des parlementaires. —
Dénonciation contre Calonne. — Irritation contre la reine. — Triomphe
populaire du conseiller d'Eprémesnil. — Le parlement exilé à Troyes. —
Tumulte dans Paris. — Brienne, principal ministre. — Situation de l'Europe. —
Ministère de Pitt. — Ambition de Catherine II. — Révolution de Hollande. —
Agitation causée par l'exil du parlement. — Négociations. Retour dit
parlement à Paris. — Troubles. — Brienne demande un emprunt de '120 mil tons.
— Opposition du duc d'Orléans. — Exil de ce prince. — Le parlement s'élève
contre les lettres de cachet. — Edit relatif aux protestants. —
Inconséquences et contradictions des deux partis.
Le
nouveau ministre, l'âme de l'opposition des notables, qui avait poursuivi par
toits les moyens l'objet de ses vœux, arrivait aux affaires avec la
réputation d'excellent administrateur, grâce aux améliorations dont il avait
été l'auteur on le coopérateur aux états du Languedoc. C'était un esprit
actif mais sans énergie, un caractère téméraire mais sans constance. Sous le
ministère de Turgot, il avait joui du plus grand crédit. Il était l'ami de
cet homme de bien, de la même secte, partisan comme lui, d'une liberté sans
bornes, et ennemi des systèmes de crédit et de banque, regardés par les
économistes comme les plus dangereux palliatifs[1]. Sa sévérité contrastait avec
la liberté de ses mœurs et ses liaisons avec les philosophes. Malgré son
habileté à réunir des moyens de succès opposés, il manquait de capacité
politique. Ses connaissances, superficielles et variées, le rendaient
agréable dans le monde. S'il n'avait pas les talents de Calonne, il en avait
toute la confiance présomptueuse, et cette confiance il la puisait dans
l'idée de son incontestable supériorité. « Personnage tout d'apparence,
n'ayant rien au fond que des vices et une petite ambition cupide et vulgaire,
il était de ces hommes qui, avec un esprit facile et beaucoup de manège, se
font juger capables des grandes places tant qu'ils ne les ont pas remplies[2]. » Hardi avant l'exécution,
mais faible après, Loménie de Brienne devait se perdre par ses irrésolutions,
ses opérations mesquines, sa marche vague et inconséquente. C'est
du ministère de Brienne que naquit l'influence directe de la reine sur les
affaires d'État. Marie-Antoinette n'avait point recherché cette Influence.
Elle s'affligeait souvent de sa position nouvelle, et la regardait comme un
malheur qu'elle n'avait pu éviter. « Ah ! disait-elle en soupirant, il
n'y a plus de bonheur pour moi... les reines de France ne sont heureuses
qu'en ne se mêlant de rien. » Un jour qu'elle traversait l'Œil-de-Bœuf, pour
assister à des comités particuliers chez le roi, elle entendit un des
musiciens de la chapelle dire assez haut pour qu'elle n'en perdit pas une
seule parole : « Une reine qui fait son devoir reste dans ses appartements à faire
du filet. » — Malheureux, tu as raison, » se dit en elle-même Marie
Antoinette ; « mais tu ne connais pas ma position ; je cède à la nécessité et
à ma mauvaise destinée. » La situation de la reine était d'autant plus
pénible, que Louis XVI avait contracté la longue habitude de ne lui rien
communiquer des affaires d'État, et que, lorsqu'elle fut forcée., vers les,
derniers temps de son règne, de se mêler des choses les plus importantes,
cette habitude du roi venait souvent lui dérober la connaissance des
particularités qu'il lui eut été nécessaire de savoir[3]. Avec un souverain plus ferme
et plus résolu, disparaissait pour elle hi nécessité d'accepter la redoutable
responsabilité d'un rôle pour lequel la nature l'avait si peu faite ; avec un
ministre capable de diriger son amour du bien, l'auguste 'tille de Marie-Thérèse
évitait ce qu'elle appelait sa mauvaise destinée. Après l’élévation
de Brienne, l'honnête Malesherbes, l'ancien ami de Turgot, fut rappelé au
Conseil par son parent Lamoignon, en qualité de ministre d'État sans
portefeuille. Mais l’illustre vieillard n'était plus une force ; il avait
perdu cette ancienne énergie dont il avait autrefois donné des preuves. Le 2
mai, l'archevêque de Toulouse se rendit au bureau dont il avait été membre,
et son début y fut heureux. Il annonça que les économies seraient de quarante
millions et non de quinze, comme le roi l'avait dit dans la séance générale,
et parla d'un emprunt de quatre-vingts millions, que les circonstances
rendaient indispensable. Sous l'impression d'une telle promesse dans les
réductions, ses collègues consentirent l'emprunt avec un empressement qui
ressemblait à un vote de confiance. Ils demandèrent néanmoins, comme au temps
de Calonne, qu'on leur livrait les états de finance. Loménie y consentit et
tous les bureaux se jetèrent arec une avide curiosité sur ces fameux comptes
qu'ils n'avaient pu obtenir du ministre disgracié. Mais le désordre que
présentaient les chiffres de l'administration et l'absence de méthode leur en
rendirent la vérification presque impossible. Ils ne purent s'entendre sur le
chiffre du déficit réel ; les uns le portèrent à deux cents millions, les
autres à cent ; enfin la plupart finirent par l'évaluer approximativement à
cent quarante millions[4]. En 1787
les notions suffisantes manquaient aux notables mais les con-optes de l'année
suivante jettent sur cette question les lumières nécessaires, et l'on peut
reconnaître que le déficit permanent ne dépassait pas quatre-vingt-dix-sept
millions, y compris une douzaine de millions pour besoins imprévus. Au milieu
de circonstances si périlleuses pour lui, l'audacieux Calonne l'avait exagéré
afin de tirer des notables le plus d'argent possible, et de n'être pas réduit
à l'économie, chose qu'il redoutait le plus au monde. Cependant
les réformes annoncées par le ministre s'effectuaient à la cour. Louis XVI
renonça sans regret aux différents genres de pompe qui entouraient la
royauté. Marie-Antoinette et les princes opérèrent de grandes réductions dans
leurs maisons et leurs dépenses ; de vieux serviteurs furent congédiés et ne
s'éloignèrent qu'avec la tristesse au cœur. On alla même jusqu'à retrancher
des traitements considérables aux ducs de Coigny et de Polignac. Ces
seigneurs, dont le crédit était puissant, se crurent victimes d'une trahison
et passèrent bientôt du mécontentement aux murmures. Brienne, la reine et le
monarque lui-même réunirent leurs efforts pour les apaiser en leur montrant
combien il importait de satisfaire au vœu des notables. Longtemps bercée par
les plus doux rêves, la cour se réveillait avec douleur ! « Il était
extraordinaire de voir le roi prêt à faire banqueroute dans un instant où la
France était si florissante, la population au degré le plus désirable,
l'agriculture et l'industrie poussées à leur comble et Paris regorgeant
d'argent. Telle est la suite inévitable d'une mauvaise administration sans
principe et sans suite, de déprédation en tous genres et d'un gouvernement
faible qui n'offre pas un point de ralliement[5]. » Malgré
les économies qu'on espérait des réformes, l'archevêque de Toulouse, après
avoir apporté quelques modifications aux idées de Calonne, et réduit la
subvention territoriale, déclara aux notables qu'elle était encore nécessaire
au chiffre de quatre-vingts millions par an. Il proposa même d'ajouter à
l'extension de l'impôt du timbre une nouvelle forme de la capitation. Grande
fut la surprise de l'assemblée quand elle vit Brienne adopter les plans de
celui qu'il avait renversé. D'interminables débats se renouvelèrent alors
dans les bureaux où furent discutés les projets du ministre comme l'avaient
été ceux de son prédécesseur. Désireux de ménager leurs intérêts personnels,
et craignant d'encourir les reproches des ordres auxquels ils appartenaient,
les notables firent de longs discours pour indiquer de nombreuses réductions
sur les différentes parties du service ; ils parurent croire qu'on
parviendrait peut-être à éteindre le déficit au moyen d'une sévère économie.
La noblesse de province et, le clergé étaient mécontents que l'assemblée eût
admis le principe de l'égale répartition. Quand le ministre qui ne pouvait
exercer sur les notables la moindre action, les priait, de, chercher quelles
contributions seraient le moins onéreuses et de donner un avis, ils
répondaient qu'ils n'avaient point de mandat pour voter un impôt. Ainsi « les
privilégiés n'étaient pas plus portés à faire des sacrifices à Brienne qu'à
son prédécesseur : ils avaient secondé ses attaques, qui étaient dans leur
intérêt, et non son ambition, qui leur était étrangère[6]. » Au
milieu des discussions, une idée, celle de la convocation des états généraux,
devint puissante et envahit les esprits. La Fayette, l'un des principaux
auteurs de l'indépendance américaine, qui cachait une imagination vive sous
un extérieur froid, proposa un jour dans son bureau qu'on suppliât le roi de
convoquer une assemblée nationale pour l'année 1792. Quoi, monsieur,
lui dit le comte d'Artois, étonné de ce mot, vous demandez sans doute les
états-généraux ? Oui, monseigneur, répondit-il, et même mieux que cela[7]. La Fayette, dont les paroles
ne trouvèrent pas alors d'écho, fut plus heureux dans deux motions, l'une
pour l'état civil des protestants, mesure à laquelle le gouvernement était
déjà décidé ; l'autre pour la réforme du code criminel. Il est juste
d'observer que ce fut l'évêque de Langres, monseigneur de la Luzerne, prélat
animé d'un sage esprit de tolérance, qui soutint et lit adopter k motion sur
les protestants. Depuis
la chute de Calonne, les notables avaient beaucoup perdu de k popularité qui
les entourait pendant leurs débats avec ce ministre. Le roi ne voyait pas
sans impatience ces hommes qu'il avait appelés, et qui tantôt voulaient le
dominer, tantôt avouaient leur impuissance pour l'éclairer de leurs conseils.
La reine était irritée contre eux, et les princes, ennuyés de leurs
discussions inutiles, abandonnaient souvent leurs bureaux pour aller à la
chasse. Brienne qui leur devait son élévation se trouvait humilié de n'avoir
pas su maintenir son crédit parmi eux. Enfin les notables ne voulant pas
assumer, aux yeux des provinces, la responsabilité de voter ou même de
proposer des impôts, n'avaient plus qu'un désir, celui de sortir de leur
situation équivoque. Ils finirent par déclarer qu'ils abandonnaient à la
sagesse du roi le soin de juger quelles contributions auraient le moins
d'inconvénients, s'il était vraiment indispensable de demander à l'État de
nouveaux sacrifices. ils donnèrent ainsi leur démission entre les mains du
roi afin qu'on les renvoyât. La
séance de clôture eut lieu le 25 mai, et fut consacrée à des félicitations
réciproques. Louis XVI remercia d'abord les notables de leur zèle ; le garde des
sceaux, Lamoignon, prenant ensuite la parole, fit le résumé de leurs travaux
dont il annonça en ces termes les principaux résultats : « ... Tout sera
réparé sans secousse sans bouleversement des fortunes, sans altération dans
les principes du gouvernement, et sans aucune de ces infidélités dont le nom
ne doit jamais être proféré devant le monarque de la France. « L'univers
entier doit respecter une nation qui offre à son souverain de si prodigieuses
ressources, et le crédit public devient plus solide aujourd'hui que jamais,
puisque tous les plans proposés dans cette assemblée ont eu pour base
uniforme la religieuse fidélité du roi à remplir ses engagements. » « Pour
atteindre à un but si digne de sa sollicitude, le cœur du roi a été
profondément affecté de la nécessité d'établir de nouveaux impôts ; mais des
sacrifices dont Sa Majesté abrégera fidèlement la durée, n'épuiseront pas un
royaume qui possède tant de sources fécondes de richesses, la fertilité du
sol, l'industrie des habitants, et les vertus personnelles de son souverain. « La
réforme arrêtée ou projetée de plusieurs abus, et le bien permanent que
préparent de nouvelles lois concertées avec vous, Messieurs, vont concourir
avec succès au soulagement actuel des peuples. « La
corvée est proscrite ; la gabelle est jugée ; les entraves qui gênaient le
commerce intérieur et extérieur seront détruites, et l'agriculture,
encouragée par l'exportation libre des grains, deviendra de jour en jour plus
florissante. « Les
nouvelles charges des peuples finiront avec les besoins qui les font naître. « Le
roi a solennellement promis que le désordre ne reparaîtrait plus dans ses
finances, et Sa Majesté va prendre les mesures les plus efficaces pour
remplir cet engagement sacré dont vous êtes les dépositaires. « Une
nouvelle forme dans l'administration, sollicitée depuis longtemps par le vœu
public, et récemment recommandée par les essais les plus heureux, a reçu la
sanction du roi et va régénérer tout son royaume. « L'autorité
suprême de sa majesté accordera aux administrations provinciales les facultés
dont elles ont besoin pour assurer la félicité publique. Les principes de la
constitution française seront respectés dans la formation de ces assemblées,
et la nation ne s'exposera jamais à perdre un si grand bienfait de son
souverain, puisqu'elle ne peut le conserver qu'en s'en montrant toujours
digne. »
L'évidence du bien y réunira tous les esprits. L'administration de l'État se
rapprochera de plus en plus du gouvernement et de la vigilance d'une famille
particulière : et une répartition plus équitable, que l'intérêt personnel
surveillera sans cesse, allégera le fardeau des impositions. « Pour
rendre à jamais durables dans son royaume les utiles résultats de vos
travaux, le roi va imprimer à tous ses bienfaits le sceau des lois. « Sa
Majesté désire que le même esprit qui vous anime, Messieurs, se répande dans
les assemblées qu'elle daigne honorer de sa confiance, et elle espère
qu'après avoir montré sous ses yeux un amour si éclairé du bien public, vous
en développerez le germe dans toutes ses provinces. » Quoique
Brienne semblât avoir hérité de toute la confiance de Calonne, il ne
s'exprima point avec la supériorité d'un homme sûr des ressources de son
génie et de celles de l'État. Dans son discours plein de vague, il est facile
de reconnaître tous les signes d'un esprit embarrassé par la situation. ll
termina en protestant de la volonté du roi de limiter la durée des nouveaux
impôts. ainsi que de maintenir les for-nies et les prérogatives des deux
premiers ordres, essentielles à la monarchie, et qu'il était important de ne
pas confondre avec l'égale répartit ion de l'impôt. Diverses
harangues, dans lesquelles on entendit de nombreuses contre-vérités sur
l'union des cœurs et l'unité des principes, ranimèrent la satisfaction de
l'assemblée. Chacun des notables, en se retirant, dit Lacretelle„ répétait
ces belles paroles que, dans un discours fort animé, le premier président de
la cour des comptes, Nicolaï, avait empruntées de Montesquieu : Je rends
grâces au ciel de ce qu'il m'a fait naître dans le siècle et sous le
gouvernement où je vis, et de ce qu'il a 'voulu que j'obéisse à ceux qu'il
m'a fait aimer. Cette assemblée qui venait d'abdiquer par honte de sa
finisse position, « répandit dans toute la France ce qu'elle avait découvert
des besoins du trône, des fautes des ministres, des dilapidations de la cour,
et des misères irrémédiables du peuple[8]. » Tout le
monde, après la séparation des notables, s'attendait à une séance royale, à
un lit de justice, où Louis XVI prescrirait sans délai l'enregistrement des
édits importants qu'ils avaient consentis dans des termes généraux et
indirects. La situation critique des finances, la nécessité de se relever aux
yeux des étrangers auxquels tant d'aveux pénibles pouvaient inspirer de
secrètes espérances, les suffrages presque unanimes des hommes les plus
distingués de l'État, tout semblait autoriser le monarque à prendre des
mesures péremptoires et absolues. Par une résolution prompte et énergique le
gouvernement obtenait l'adhésion obligée des premiers ordres, prévenait la
résistance du parlement, alors peu préparé à une opposition dangereuse, et
retardait pour de longues années peut-être la lutte terrible qui s'engagea
bientôt. Mais Brienne manquait du coup d'œil politique si nécessaire dans la
circonstance. Loin de réaliser ce projet que l'ancien contrôleur général
avait fait adopter en conseil, et d'écouter Lamoignon qui discernait les
exigences de la situation, il eut l'incroyable maladresse de présenter les
édits au parlement l'un après l'autre, et même à d'assez longs intervalles.
Il semblait que le ministre voulût essayer la docilité des magistrats. Le
parlement enregistra sans beaucoup de difficultés les trois premiers édits
sur la libre exportation des grains, sur les assemblées provinciales et sur
la seconde abolition de la corvée. Restaient la subvention territoriale et
l'impôt du timbre. La subvention territoriale dont le principe était
populaire, lui déplaisait le -plus ; mais il ne pouvait la repousser qu'en
s'élevant au nom des privilèges de la noblesse et du clergé, contre la base
de l'égale répartition, et il craignait de s'aliéner par un refus la plus
grande partie de la nation. L'archevêque de Toulouse le tira de cet embarras,
en lui présentant d'abord l'impôt du timbre qui affectait la majorité des
contribuables. Comblé de joie par cette faute, le parlement se sentit maître
de la situation ; en attaquant l'impôt du timbre, avant d'être obligé de
s'expliquer sur celui de la subvention territoriale, il paraîtrait défendre
les intérêts publics ; il prit dès lors une attitude des plus hostiles. Bientôt
le bruit s'est répandu parmi le peuple de Paris que le parlement se prépare à
soutenir une lutte opiniâtre contre la cour. On voit alors affluer au palais
une foule de curieux, ou plutôt d'acteurs de toute espèce, tous ceux
qu'attiraient des symptômes de tumulte, et qui ne possédant rien se
plaignaient néanmoins des vexations que devait enfanter l'impôt du timbre.
Autour des magistrats qui ont engagé l'action, se presse aussi l'armée
enthousiaste des avocats, des procureurs, des praticiens et de la jeune
basoche. Elle se rappelle avec orgueil le rôle important qu'elle a joué autrefois
au milieu des troubles de la Fronde, et se réjouit d'avoir enfin trouvé
l'occasion d'exercer sa turbulente et belliqueuse ardeur. A chaque séance que
le parlement consacre à l'affaire du timbre, d'injurieuses vociférations sont
poussées contre les vieux conseillers décidés à prêter leur appui au
gouvernement. On applaudit avec transport ceux qui se déclarent contre la
cour ; on jette des couronnes de laurier aux orateurs qui ne craignent pas de
dénoncer le ministre assez audacieux pour proposer des impôts, qu'il avait
refusés comme notable. Quant aux quelques vétérans du jansénisme, à ces
partisans sévères de l'économie publique et privée, dont les déclamations
sans fin contre les prétendus désordres de la cour, trouvent un écho, trop
fidèle, on affecte pour eux une profonde vénération. Parmi les chefs de
l'opposition parlementaire brillaient au premier rang Jacques Duval
d'Eprémesnil et Adrien Duport. D'Eprémesnil
avait commencé sa carrière dans le barreau par la place d'avocat du roi au
Châtelet ; il devint ensuite conseiller au parlement de Paris. Il était doué
d'une éloquence riche et rare, qui jetait le plus vif éclat lorsqu'il avait à
montrer du courage, d'une diction pure et facile, d'un son de voix sonore et
agréable, d'une mémoire prodigieuse, de connaissances variées et peu
communes, mais superficielles. Il possédait surtout l'art de les faire
valoir. Par malheur d'Eprémesnil avait l'imagination vive et romanesque ; il
voyait les choses, les hommes, son pays, son siècle sous des rapports
fantastiques ; il s'exagérait les abus qui existaient et en trouvait souvent
où il n'y en avait pas. Simple, crédule et confiant, il se laissait séduire
sans peine. On le conduisait, lors même qu'il paraissait tout conduire. Ce
chef d'opposition, que l'agitation amusait et que Mirabeau appelait
Crispin-Catilina, manquait de la qualité la plus nécessaire à l'homme d'État,
de celle qui saisit l'ensemble d'un plan et montre un but déterminé. Dans ses
emportements contre la cour et ses injustes déclamations contre
Marie-Antoinette, il se croyait le sujet le plus fidèle du roi ; en
compromettant les intérêts du parlement, il en était le plus zélé partisan.
Démagogue, dans les parlements, aristocrate dans les états-généraux,
d'Eprémesnil devait tomber victime de la Révolution dont il avait été un des
premiers moteurs. Tout
autre se présentait Adrien Duport, jeune conseiller, qui n'avait cependant
rien de la jeunesse, d'un esprit vaste, de mœurs austères, d'un caractère
ferme et persévérant. Orateur moins brillant, mais plus profond que
d'Eprémesnil auquel l'unissait alors une étroite amitié, il réunissait
l'astuce à la pénétration, mettait son orgueil à ne servir d'instrument à
personne, savait combiner admirablement ses plans et diriger ensuite la
marche de ses associés. Au milieu de ces troubles, Duport, une des futures
puissances de la constituante, comprenait qu'il marchait à lin liberté
démocratique, à une révolution qui devait entraîner la chute de sa compagnie.
Loin d'être animé par l'esprit de corps, il ne voulait point une aristocratie
parlementaire, et méditait une réforme générale dans l'ordre judiciaire. Dirigés
par ces deux orateurs et par d'autres chefs non moins passionnés, les
magistrats dénoncèrent les abus et les prodigalités de la cour, voulurent
reconnaître la nécessité de l'impôt avant de l'enregistrer, et demandèrent,
comme les notables, la communication des états de recette et de dépense (6 juillet). Cette proposition était
exorbitante, mais à cette époque la faveur accueillait toute résistance au
gouvernement ; d'ailleurs le droit importait moins au parlement et aux
agitateurs que la popularité. Le ministère la repoussa. Au milieu de
l'orageuse discussion, soulevée par ce refus, un conseiller—clerc, Sabatier
de Cabre, s'écria tout à coup : « On demande des états, « ce sont des états
-généraux qu'il nous faut ! » Ce jeu de mots que son auteur expliqua en
faisant entendre qu'il s'agissait d'embarrasser la cour, offrait un but
inattendu ; chacun le répéta ; on le transforma en une proposition formelle,
et le parlement arrêta que des remontrances seraient rédigées par des
commissaires afin de supplier le roi de retirer l'édit sur le timbre, et
d'exprimer le vœu de voir la nation assemblée préalablement à tout impôt
nouveau[9] (16 juillet). C'est ainsi que par une
singulière affectation de popularité, le parlement abdiquait dans les mains
de la nation, et proclamait le premier une révolution, dont il devait être la
première victime. La
conduite d'une compagnie toujours si jalouse des états—généraux, et qui
reconnaissait maintenant qu'a eux seuls appartenait le droit d'établir des
impôts, devait étonner. Elle s'était jusqu'alors arrogé ce droit de les
consentir ; elle avouait donc son incompétence et même son usurpation. Aussi,
dès le lendemain, fut-elle effrayée de l'espèce de vertige qui l'avait
poussée au renversement de toutes ses traditions. Les commissaires chargés de
la rédaction des remontrances, s'efforcèrent d'affaiblir la portée de
l'arrêté du 16 juillet en écrivant que les états-généraux seuls peuvent
établir un impôt perpétuel. Le roi ne répondit point sur ce qui
regardait les états ; il envoya au parlement l'édit sur la subvention
territoriale qui assujettissait à l'impôt « tous les revenus des biens-fonds
et droits réels du royaume, sans aucune exception, et les domaines même de la
cour[10]. » Il comptait sans doute sur
les dispositions de cet édit pour triompher des résistances. Mais
l'opposition devint encore plus violente. Quelques
orateurs cherchèrent en vain à modérer les esprits, par le tableau des débats
stériles ou sanglants clin ont presque toujours accompagné les
états-généraux. L'enthousiasme, qui regardait toute objection comme une
insulte à un siècle de lumières, répondit par ces mots : Les temps sont
bien changés ! Plusieurs des vieux magistrats et surtout les présidents
représentèrent encore que le parlement lui-même aurait à rendre compte aux
états de la manière dont il s'était substitué aux droits de la nation. Le
bouillant d'Eprémesnil qui rêvait une restauration des libertés privilégiées
du moyen âge, dit que les trois ordres ne pourraient manquer de sceller une
alliance intime avec les parlements ; qu'ils sentiraient la nécessité de
confier à ces grands corps, dans les intervalles de leurs assemblées, le
maintien des droits publics. Le président d'Ormesson, attristé par l'ardeur
que mettait d'Eprémesnil à solliciter la convocation des états, lui adressa
alors ces paroles prophétiques. « La providence punira vos funestes conseils
en exauçant vos vœux ! » Entraîné par ses orateurs, le parlement, à
une faible majorité, toutes les chambres assemblées, décida que la nation,
représentée par les états-généraux, était seule en droit d'octroyer au roi
les subsides nécessaires[11] (30 juillet). Cette
opposition de la magistrature pouvait avoir des résultats d'autant plus
graves qu'elle était soutenue par l'opinion populaire. Brienne, qui venait
encore de prouver son incapacité, la signala MI roi comme séditieuse. Louis
XVI manda le parlement à Versailles et ordonna, dans un lit de justice,
l'enregistrement de l'impôt du timbre et de la subvention territoriale (6
août). Deux mois auparavant, le lit de justice eût sans doute empêché le
parlement de s'engager dans les voies de la résistance où il ne dépendait
plus de lui de s'arrêter. Le lendemain, il protesta contre la séance royale
qu'il appela avec mépris un fantôme de délibération, et, usant d'une formule
nouvelle, il déclara illégales et nulles les transcriptions faites sur ses
registres. Quelques membres demandèrent qu'un arrêt défendît l'exécution des
cieux édits ; mais une grande majorité renvoya la discussion à huit jours. La
lutte des magistrats contre le pouvoir excitait au plus haut degré l'intérêt
du public. Ce n'étaient plus, comme au temps des notables, des
applaudissements sortant des salons et des clubs ; l'enthousiasme était
descendu dans les rues. A chaque séance, la foule immense qui encombrait la
salle des Pas-Perdus et les alentours du Palais, accueillait de ses
acclamations ceux des membres du parlement qui s'étaient signalés par leur
intervention dans l'appel aux états-généraux. Mais au-dessus de tous les noms,
devenus populaires, planaient ceux de d'Eprémesnil, de Duport et de Fréteau,
que partout on saluait comme des défenseurs de la patrie. Il fallait
être Loménie de Brienne pour s'imaginer que des hommes, enivrés d'hommages si
nouveaux pour eux, renonceraient dès le premier geste menaçant à leur rôle de
résistance. La reine prenait du ministre toutes ses opinions, et le lendemain
de chaque séance, elle répétait à sa cour, avec le sourire de la confiance,
que le parlement à la séance suivante, abandonnerait toute attitude hostile.
Mais désabusé par les scènes tumultueuses et les arrêtés hardis qui suivirent
le lit de justice, Brienne proposa au Conseil de transférer le parlement à
Troyes, afin de le rendre plus docile. Malesherbes effrayé de cette mesure,
obtint qu'avant de sévir, on attendrait un nouvel acte d'opposition. Sur ces
entrefaites, le gouvernement, pour se concilier les esprits, publia un
règlement touchant la réduction des dépenses de la maison du roi et de celle
de la reine (9 août)
; mais le public parut peu satisfait de ces économies promises aux notables.
On ne sut aucun gré au pouvoir de ces réductions arrachées par la crainte. «
Beau mérite, disait-on, que d'abandonner ce qu'on ne peut plus garder et de
ployer sous la nécessité. » Le public n'ignorait pas que ces réformes avaient
produit une sorte d'émeute de palais et que les courtisans se plaignaient
vivement d'être dépouillés de leurs propriétés. « Il est affreux, s'était
écrié un deux, le baron de Besenval, de vivre dans un pays où l'on n'est pas
sûr de posséder le lendemain ce qu'on avait la veille. Cela ne se voit qu'en
Turquie. » Comment le faible monarque qui craignait d'affliger les gens
de sa cour, et ne savait pas même imposer silence aux murmures dans sa propre
demeure, eût-il fait cesser les clameurs de Paris ? Cependant
la persévérance enflammée des jeunes conseillers du parlement ne se
ralentissait point. Le 10 août, Duport dénonça en règle les dilapidations,
abus d'autorité, et autres de tout genre de l'ancien contrôleur général
Calonne. La compagnie accueillit la dénonciation et chargea le procureur
général d'informer. L'arrêté fut cassé par le Conseil ; mais Calonne, dès
qu'il vit l'orage excité contre lui, passa le détroit et chercha un refuge en
Angleterre. C'est de là qu'il répondit aux volumineuses brochures de Necker
et au parlement dans une apologie pleine de modération et de grâce. A
l'exemple du parlement de Paris, tous les parlements des provinces prirent
des arrêtés dans lesquels aux accusations méritées par l'ex-contrôleur
général se mêlent trop souvent des exagérations indignes de la magistrature
et poussées jusqu'à l'extravagance. Cette dénonciation rejaillit sur la cour
et la reine. Alors se multiplièrent les pamphlets, les insolentes satires et
d'autres écrits scandaleux. Marie-Antoinette' devint l'objet des plus
violentes attaques ; dans les cours du Palais, les clercs de la basoche et
les étudiants, population active et remuante, chansonnaient tout haut, Madame
Déficit, et des écoliers osèrent l'insulter dans le parc de Saint-Cloud.
L'irritation contre la reine était parvenue à un tel point que, sur l'avis du
lieutenant de police, Louis XVI défendit à son épouse de se montrer dans
Paris pendant ces moments d'effervescence. Le
parlement avait ajourné au 13 août la séance où devait se terminer la
discussion relative au lit de justice. Le duc de Nivernais, pair de France et
ministre d'État sans portefeuille, s'efforça de rapprocher les esprits en
représentant aux magistrats la nécessité de montrer la France unie, et l'État
armé de ressources suffisantes dans un temps où les affaires de la Hollande,
notre fidèle alliée, pouvaient rallumer la guerre. Quoique malade alors,
l'infatigable d'Eprémesnil rassembla toutes ses forces et réfuta
victorieusement le duc de Nivernais. La compagnie, à la majorité de quatre-vingts
voix contre quarante, persista dans ses arrêtés, déclara la distribution des
édits du 6 août, nulle, illégale, clandestine, incapable de priver la nation
de ses droits et d'autoriser une perception contraire à tous les principes.
Elle ordonna en outre l'envoi du présent arrêté à tous les bailliages et
sénéchaussées de son ressort. La multitude, qui s'agitait autour 'du Palais,
accueillit avec des cris d'enthousiasme la nouvelle de cette décision. Au
sortir de la séance, d'Eprémesnil fut porté dans les bras du peuple et il eut
presque les honneurs d'un triomphe public[12]. Chose étrange ! Ce parlement, condamné
à disparaître bientôt de la scène du monde, obtenait la popularité en
défendant ce qui alors blessait le plus les intérêts populaires, les
immunités de l'Église et de la noblesse. On ignorait que, dans le préambule
de l'arrêté, reçu avec tant de reconnaissance, les magistrats eussent déclaré
qu'on ne pouvait, sans violer les constitutions primitives de la nation,
soumettre le clergé et la noblesse à la subvention territoriale, et que leurs
principes seraient ceux des états généraux. Quand la masse non privilégiée le
sut, elle s'en inquiéta peu ; il lui suffisait d'entendre le parlement
demander la convocation des états-généraux, dont elle espérait les
améliorations désirées. Tous
les efforts de conciliation ayant échoué, le gouvernement n'hésita plus à
sévir et des lettres de cachet furent expédiées à tous les membres du
parlement avec ordre de se rendre à Troyes (15 août). Le parlement obéit. Monsieur
et le comte d'Artois furent envoyés pour faire enregistrer les édits, l'un à
la cour des comptes et l'autre à la cour des aides (17 août). Les applaudissements du peuple
accueillirent le premier de ces princes, à cause de la libéralité de ses
opinions à l'assemblée des notables, et parce qu'il passait pour exécuter
malgré lui les ordres du roi. Le second, qui s'était signalé par des
principes contraires, qui 'avait fait d'inutiles efforts pour défendre M. de
Calonne et auquel on attribuait un propos violent sur le plus court moyen
d'apaiser les troubles, fut accablé d'outrages : des sifflets et des huées le
poursuivirent sur son passage, et un attroupement se forma autour de lui
quand il descendit les degrés du Palais. Sur l'ordre de leur capitaine, le
chevalier de Crussol, ses gardes firent un mouvement de leurs armes ; on
vit au même instant la multitude épouvantée s'échapper par toutes les issues. La
chambre des comptes et la cour des aides, en protestant contre
l'enregistrement forcé, demandèrent le rappel du parlement et la convocation
des états-généraux. « Les lois de nos souverains, dit la cour des aides,
ordonnent aux magistrats, sous peine de désobéissance, de ne pas obtempérer à
ce qu'on pourrait leur proposer de contraire au bonheur public et aux
privilèges de la nation[13]. » Chaque jour le Palais et les
quartiers voisins étaient le théâtre de rassemblements qui poussaient des
clameurs hostiles au gouvernement, et où l'on donnait la chasse aux 'mouches
de la police. Plusieurs hommes qu'on supposait en faire partie, furent
attaqués, poursuivis et coururent les plus grands dangers. Pendant plusieurs
jours, l'agitation qu'on remarquait dans les esprits fit craindre un
soulèvement général. L'autorité se vit obligée de prendre des mesures sévères
pour réprimer ces troubles ; de nombreuses patrouilles parvinrent à rétablir
le calme et l'ordre. Les clubs, réunions empruntées à l'Angleterre
depuis 1782, dont la lecture et la conversation devaient être l'unique genre
d'occupation, se livraient à des discussions politiques, malgré la défense
qu'on leur en avait faite. Comme ils devenaient les foyers d'une opposition
qui soutenait celle de la rue, le baron de Breteuil donna l'ordre de les
fermer. Brienne,
qui profitait de tout, se fit nommer principal ministre, vu la gravité des
circonstances, et fut investi dune autorité égale à celle qu'avait autrefois
obtenue le cardinal Mazarin. Les maréchaux de Ségur et de Castries, refusant
de reconnaître sa suprématie et craignant surtout de porter la responsabilité
des fautes où ne manquerait pas de s'engager un ministre sans prévoyance,
donnèrent leur démission. A la prière de l'archevêque, le roi confia le
département de la guerre au comte de Brienne, son frère, homme lissez habile
en intrigues de cour, mais dépourvu de talent et dont l'opulence et la
libéralité avaient depuis longtemps secondé les vues ambitieuses du prélat.
Le comte de la Luzerne, auparavant ambassadeur en Angleterre, et alors
commandant à Saint-Domingue, fut appelé au ministère de la marine. Avec les
maréchaux de Ségur et de Castries disparaissait l'honneur militaire de la
vieille France, désormais livrée à l'anarchie. Surchargé de ses embarras
intérieurs, son gouvernement n'avait plus le loisir de jeter ses regards sur
l'Europe, dont il n'attrait pu d'ailleurs maintenir l'équilibre avec la
vigueur et la dignité que réclamait la situation du dehors, alors pleine
d'orages. En
Angleterre, le ministère Whig, toujours exposé aux attaques d'une opposition
menaçante, pour avoir conclu la paix de 1783, avait été remplacé par un
ministère, sans couleur déclarée, que dirigea le fils de lord Chatam, le
jeune William Pitt, figé de vingt-quatre ans et considéré déjà comme le
premier homme politique de la Grande Bretagne. Sorti des rangs des whigs,
mais voyant des finances épuisées à restaurer, le crédit abattu à relever, le
commerce anéanti à rétablir, des alliances rompues à renouer, l'Irlande
impatiente à maintenir, le pays agité par des troubles et par l'influence des
idées françaises, il prit la résolution de raffermir les pouvoirs qui avaient
fondé la grandeur britannique. Pitt se porta donc comme le défenseur de
l'aristocratie et de la couronne, et malgré toutes les difficultés de la
situation, ses généreux efforts et son administration aussi ferme que vigoureuse
rendirent le calme à l'Angleterre. ' Tel
était le ministre avec lequel le comte de Vergennes avait conclu en 1786,
pour deux années consécutives, un traité de commerce dans le but d'attacher
les intérêts anglais à la conservation de la paix. Vergennes avait réussi à
faire en sorte que l'Angleterre n'eût aucun avantage à retirer d'une guerre
directe avec la France, mais non à l'empêcher de nous créer partout des
difficultés par les intrigues de sa diplomatie. A l'instant même où Pitt
laissait tomber de la tribune anglaise d'éloquentes paroles contre les haines
internationales, il cherchait à profiter des troubles de la France, que des
historiens l'accusent d'avoir fomentés avec de l'or, pour lui ravir auprès
des puissances de l'Europe, l'influence que lui avaient acquise les succès de
la guerre d'Amérique[14]. Quelques
mois après, le comte de Ségur obtint de la Russie un autre traité de commerce
qui assurait aux Français des avantages jusqu'alors réservés aux Anglais (janvier 1787). Ce pacte inspira de la
jalousie à William Pitt qui résolut de s'en venger sur la Turquie et de
s'appuyer pour cela sur le roi de Prusse, Frédéric Guillaume II, neveu et
successeur du grand Frédéric, que la mort avait enlevé a ses sujets (17 août 1786). Inconstant, faible et saisi
par instants de quelques velléités chevaleresques, le nouveau souverain se
rendit d'abord populaire par la suppression de quelques impôts onéreux à ses
sujets et par l'établissement d'une administration séparée pour l'accise, les
douanes, l'industrie et le commerce. Mais bientôt ce prince, aux mœurs
déréglées, laissa gouverner la corruption de son cœur par de nombreuses femmes,
ses maîtresses. Bientôt il s'entoura de visionnaires et d'illuminés sans
scrupules, qui s'emparèrent de sa confiance et de son esprit, en faisant
passer devant lui dans leurs magiques évocations les plus grandes figures de
la bible et de l'histoire[15]. Ces mystiques le déterminèrent
à publier des lois de censure qui anéantissaient la liberté de la pensée et
celle de la presse. Aussi toute la partie éclairée de la nation devint-elle
hostile au nouveau gouvernement. Au
dehors, Frédéric Guillaume ne marchait pas dans les mêmes voies que son
illustre prédécesseur. D'après les conseils de son ministre Hertzberg, homme
présomptueux, inflexible et d'une intelligence forte, qui avait exercé une
grande influence sur Frédéric II, il avait essayé d'abord, mais en vain,
d'enlever à l'Autriche l'appui du cabinet de Versailles. Irrité de cet
insuccès, il avait abandonné l'alliance de la France pour rechercher celle de
l'Angleterre. C'est alors que William Pitt, secondé par Hertzberg, affecta
tout à coup une vive sollicitude pour le salut de l'empire ottoman, jusque-là
complètement abandonné par la Grande-Bretagne à la discrétion des Russes. Il
engagea donc les Turcs à reprendre l'offensive, dans l'espoir que la France
ne refuserait pas son appui à ses anciens alliés. Cet évènement, dans la
pensée du ministre anglais, changerait sans aucun doute, les dispositions
amicales de la cour de Pétersbourg à l'égard de la France. Si cette puissance
demeurait neutre, elle s'aliénait les Turcs qui fondaient sur elle toutes
leurs espérances et perdait sa prééminence dans le Levant dont l'Angleterre
pourrait acquérir tout le commerce. Alarmés du voyage fastueux et gigantesque
de Catherine II en Crimée, et de son entrevue dans Kherson, au bord de la mer
Noire, avec l'empereur Joseph II, les Turcs se tournèrent avec anxiété vers
la France, tandis que les agents anglo-prussiens les exhortaient à prévenir
les efforts de la Russie et de l'Autriche, en leur promettant les secours de
la Suède, de la Prusse et même de la Pologne. Cependant
les ambassadeurs français, le comte de Ségur en Russie et le comte de
Choiseul-Gouffier auprès de la Porte-Ottomane, unirent leurs efforts pour
détourner l'orage. Mais ces négociations pacifiques auxquelles leur
gouvernement ne donnait pas assez d'appui, demeurèrent infructueuses.
Entraîné par les suggestions du ministre anglais, le sultan Abdul-Hamed
déclara la guerre aux Russes, dans un moment où Catherine II ne songeait
point à prendre les armes contre Byzance, et où Joseph II était plus préoccupé
des moyens d'étouffer la révolte des Pays-Bas Autrichiens soulevés par ses
innovations, que disposé à combattre les Turcs sur le Danube (août 1787). Surpris de cette audace
imprévue, Catherine et Joseph éprouvèrent d'abord quelques revers ; mais ils
ne tardèrent pas à reprendre l'avantage. Le sultan ne vit point arriver les
puissants secours qu'on lui avait promis : il n'y eut que le roi de Suède,
Gustave III, qui, après avoir rendu à la royauté les prérogatives dont
l'avait dépouillée l'aristocratie, voulut rendre à sa couronne la gloire des
armes. Transporté sur une flotte dans la Finlande, pendant que les forces de
la Russie étaient occupées à trois cents lieues de la Baltique, il résolut de
s'avancer d'une marche rapide jusqu'à Pétersbourg, à la tête de 33.000
hommes, et d'aller y dicter une paix qui vengerait les longs affronts de sa
patrie. Mais ce grand prince fut trahi et obligé de renoncer à cette
audacieuse entreprise. La France qui ne voulait ni aggraver le danger de la
Porte, ni soutenir son injuste agression, garda la neutralité, et comme Pitt
l'espérait, elle perdit son influence en Orient. Ce n'était pas assez pour le
fils de lord Chatam ; il nous attaqua encore d'une manière plus fatale en
Hollande qu'en Turquie. Dans la
guerre d'Amérique, le stathouder Guillaume V, prince entêté, ambitieux et
d'un esprit borné, avait servi de tous ses efforts les intérêts de
l'Angleterre qui devait, en récompense, seconder quelques projets utiles à
son autorité. Les états—généraux, avaient conservé le plus vif ressentiment
des trahisons de l'indigne chef du pouvoir militaire, et Guillaume
n'abandonnait point ses desseins contre la liberté. Il souffrait des obstacles
qu'il trouvait dans la constitution des Provinces-Unies, qui ne lui
permettait pas de renforcer une garnison sans le consentement des États, «
tandis que, par une bizarre inconséquence, on le laissait s'environner d'un
éclat tout royal[16]. » Inspiré par les Anglais et soutenu
par une coalition d'aristocratie et de populace, Guillaume, pour acquérir une
autorité presque absolue, entreprit de s'emparer des suffrages des électeurs
qui nommaient aux municipalités ; mais les principaux magistrats, avec l'aide
de la partie éclairée et patriotique du peuple des Sept Provinces,
repoussèrent de telles prétentions. Ce fit alors que l'en vit, éclater des
émeutes fréquentes et terribles dans lesquelles les chefs du parti
républicain coururent les plus grands dangers. Les États ayant pris des
mesures pour assurer la tranquillité publique, le stathouder déclara qu'on
attentait à ses droits, et se retira en Gueldre ou ses partisans étaient
nombreux. De là il implora le secours du grand Frédéric, roi de Prusse, son
oncle, qui se contenta de répondre froidement par quelques notes
diplomatiques aux plaintes ambitieuses de sa nièce, l'épouse de Guillaume V. Maître
absolu dans la Gueldre, dont les états lui étaient particulièrement dévoués,
le prince d'Orange essaya du pouvoir absolu. L'attaque dirigée par lui contre
les villes d'Elbourg et de Hattem, rebelles aux ordres qu'il leur avait
intimés au nom des états de cette province, irrita les esprits et fournit des
forces au parti patriotique. Les résistances se multiplièrent et la Hollande
suspendit le stathouder des fonctions de capitaine général. Après la mort du
grand Frédéric, son successeur Frédéric-Guillaume Il appuya fortement les
prétentions du prince d'Orange son beau-frère. Il était d'ailleurs entraîné à
cette politique par l'ambassadeur anglais à La Haye, le chevalier Harris,
depuis lord Malmesbury, qui soufflait le feu de tout son pouvoir ; dans
l'espérance d'assujettir les Provinces-Unies à la domination de la
Grande-Bretagne. Frédéric-Guillaume craignit toutefois d'abord une rupture offerte
avec le cabinet de Versailles ; il ordonna à son ambassadeur, le Comte de
Gortz, d'agit avec prudence et de se défier du zèle que manifestait le
chevalier Harris. Il y eut alors une tentative de médiation en Commun par la
France et la Prusse. Mais excité par son épouse, princesse orgueilleuse,
emportée et vindicative, le stathouder ne voulut point accepter les
conditions d'accommodement (janvier 1787). Sur ces
entrefaites, le comte de Vergennes, qui opposait à la Prusse les résistances
d'une diplomatie encore respectée, vint à mourir et avec lui disparut ce
reste de fermeté dans les conseils de Louis XVI. L'attitude de la Prusse
devenait chaque jour plus hostile, en présence de l'agitation toujours
croissante des Bataves. Le nouveau ministre des affaires étrangères,
Montmorin, proposa au conseil de former un camp d'observation de vingt mille
hommes à Givet, sur la frontière du nord. Malgré la pénurie du trésor,
Calonne, quand il fut congédié, avait heureusement réuni les fonds nécessaires
polir cet objet. Brienne, arrivé au ministère, commença par appliquer à un
autre usage l'argent destiné aux préparatifs de ce camp qui aurait suffi pour
contenir la Prusse et intimider l'Angleterre. Non seulement on ne forma pas
un corps d'armée à Givet, sous le commandement du marquis de La Fayette,
comme il en avait été question dans le public et à la cour, mais on engagea
les patriotes Hollandais à prendre pour général le rhingrave de Salm,
aventurier sans courage, que Louis XVI avait fait maréchal de camp, et qui
les avait séduits par un zèle affecté pour des principes populaires. Pendant
que la révolution continuait en Hollande, que se passait-il dans les conseils
de Versailles ? Les maréchaux de Ségur et de Castries, insistaient pour
l'exécution du projet, tandis que le faible Montmorin regardant comme un
devoir de se conformer aux intentions de Brienne, n'osait lui adresser aucune
réclamation. Les autres ministres s'inspiraient de leur chef qui soutenait
avec assurance que le roi de Prusse n'oserait point sans l'avoir consulté
s'avancer en médiateur ou en conquérant dans la Hollande et que d'ailleurs
une simple menace suffirait pour l'arrêter. Le vertueux Malesherbes affaibli
par l'âge et manquant de l'énergie nécessaire à l'homme d'État, venait
souvent au secours de l'incapacité de Brienne, en détournant l'attention de
ses collègues des sages avis de Ségur et de Castries soit par une observation
futile, soit par le récit intempestif de quelques anecdotes. Quant à Brienne,
il parlait sans cesse aux Prussiens du camp de Givet qui n'existait pas,
insultait par son incrédulité aux alarmes des Hollandais, dévoilait la
faiblesse et, l'irrésolution de son caractère, et livrait au mépris de
l'Europe la politique de la France. Au lieu
de la guerre, le gouvernement eut la honte que pouvait lui épargner une
démonstration de nos armes à la frontière. La catastrophe suivit de près la
démission des maréchaux de Castries et de Ségur. Guillaume V et son arrogante
épouse, après avoir 46choué dans un nouveau complot pour surprendre La Haye,
ne craignirent pas d'invoquer ouvertement l'appui des armes étrangères.
Assuré que le camp de Givet n'était qu'un vain épouvantail, le roi de Prusse
envoya en Hollande vingt-cinq mille hommes commandés par le duc de Brunswick,
l'ancien tuteur et le premier guide du stathouder. Ce général, que le grand
Frédéric avait inscrit au nombre des héros de la guerre de Sept-Ans,
n'éprouva nulle part une résistance sérieuse, car le rhingrave de Salin, au
bruit de son approche, évacua toutes les forteresses, et prit la fuite sans
avoir essayé de défendre Utrecht. Trahis par cet intrigant et consternés de
l'inaction de la France, « les Hollandais recoururent en vain à la ressource
qui avait signalé le noble désespoir de leurs aïeux. Ils ouvrirent leurs
digues ; mais les inondations étaient imparfaites, parce qu'elles n'avaient
pas été combinées, sur plusieurs points, et d'ailleurs la saison ne les
favorisait pas : il ne fallait pas user sitôt d'un pareil moyen. Un peuple
qui défend son indépendance doit couvrir ses champs de soldats, avant d'être
réduit à les inonder[17]. » Guillaume
V rentra dans La Haye le 20 septembre 1787. Amsterdam ouvrit ses portes au
vainqueur (10 octobre),
et le cabinet de Versailles envoya dire aux États qu'il fallait se soumettre
à la nécessité. La France offrit un asile aux émigrés Hollandais qu'elle
n'avait pas su défendre ; ceux qui restèrent dans leurs foyers, se trouvèrent
exposés aux fureurs de la faction victorieuse et de ses auxiliaires
allemands. Rétabli dans la plénitude de ses droits, le stathouder récompensa
le zèle de ses troupes en leur accordant le pillage des villes républicaines
; lui-même se vengea par des exils et des exécutions. Notre
traité d'alliance de 1785, fut annulé de fait par les traités que dut subir
avec les deux puissances coalisées la Hollande asservie par les armes de la
Prusse, et devenue en quelque sorte une province anglaise (15 janvier
1788). Afin de
prolonger les craintes du ministère français, et d'empêcher son intervention,
Pitt avait ordonné des armements considérables dans les ports de la
Grande-Bretagne. Après la révolution des Provinces-Unies, il les fit
continuer avec une activité insolente. La France se vit obligée d'armer aussi
; elle avait soixante vaisseaux et l'illustre marin Suffren fut nommé pour
les commander en cas de guerre. Fidèle au pacte de famille, l'Espagne déploya
dans ses préparatifs maritimes une rare vigueur, et réunit une flotte de cinquante
vaisseaux. La question d'une quadruple alliance entre la France, l'Espagne,
l'Autriche et la Russie, calma l'ardeur belliqueuse du ministère britannique.
Il ne jugea pas prudent de pousser plus loin ses démonstrations, et convint
avec le cabinet de Versailles, qu'on désarmerait de part et d'autre. Ce
honteux dénouement des affaires de Hollande sembla effacer la France de la
politique de l'Europe dans laquelle cette puissance avait joué si longtemps
un rôle plein d'ascendant et de grandeur. Pour se disculper d'avoir ainsi
abandonné notre alliée, Brienne invoquait la pénurie du trésor ; mais il
avait détourné les fonds laissés par Calonne pour une intervention utile. Il
disait aussi qu'il y avait du danger à seconder dans les Provinces-Unies
l'esprit de liberté qu'il s'efforçait de réprimer en France. Mais les hommes
sensés pensaient avec raison que, dans la disposition des Français, il y en
avait un plus grand encore à livrer le gouvernement à un mépris général que
ravivait chaque jour le triste sort de tous ces malheureux Hollandais qui
venaient leur demander un asile. Suivant leur opinion, dans la situation du
royaume, la guerre aurait été un moyen de salut. « La guerre, en effet,
eût rallié les esprits ; elle eût rendu de l'éclat et de la force à
l'autorité : peut-être un grand ministre se fût-il entouré du prestige de la
victoire, pour imposer silence aux partis, et pour leur faire accepter des
lois conformes à l'intérêt général[18]. » Cependant
l'exil du parlement causait la plus vive agitation en France. Tous les
tribunaux inférieurs, et même des corps étrangers à la magistrature
envoyèrent à Troyes des adresses et des députations que le parlement recevait
avec une sorte de solennité. Des hommes illustres, des femmes que semblait
animer le plus vif patriotisme, quittaient la capitale pour aller visiter les
conseillers les plus exaltés dans l'opposition, et qui prenaient l'attitude
de victimes du despotisme. Il n'y eut pas un parlement de province qui ne
réclamât le rappel des magistrats, le procès de Calonne, la convocation des
états-généraux ; pas un qui ne s'élevât contre les actes arbitraires. « Les
coups d'autorité sans cesse renouvelés, » disait le parlement de Besançon
dans un langage menaçant, « les enregistrements forcés, les exils, la
contrainte et les rigueurs mises à la place de la justice étonnent dans un
siècle éclairé, blessent une nation idolâtre de ses rois, mais libre et
fière, glacent les cœurs, et pourraient rompre les liens qui attachent le souverain,
au sujet et les sujets au souverain. » Plusieurs parlements demandaient, au
nom des lois constitutionnelles du royaume, qu'au lieu de former des
assemblées provinciales, on rétablît les états particuliers des provinces qui
assuraient plus d'avantages aux premiers ordres que le nouveau système de
représentation. Celui de Bordeaux se signala par la hardiesse de sa
résistance ; il osa défendre à l'assemblée provinciale du Limousin de se
réunir, sous prétexte que l'édit portant création des assemblées n'était pas
enregistré. Exilé à Libourne, il obéit, dans la crainte de troubler par son
refus la tranquillité publique, mais refusa d'enregistrer les, lettes de
translation comme illégales. La
faveur qui s'attachait au parlement dans son exil, inquiétait la cour ; les
magistrats commençaient aussi à se fatiguer de leur éloignement de la
capitale. La plupart d'entre eux manifestaient de l'ennui et s'alarmaient de
voir la justice suspendue ; ce fut le moment que choisit Brienne pour
négocier et faire des avances. La majorité ne les repoussa point en dépit de
quelques conseillers déterminés à pousser la résistance jusqu'à ses dernières
limites. « Vous êtes sortis de Paris couverts de gloire, » disait
d'Eprémesnil à ses collègues, « et vous y rentrerez couverts de boue. »
Duport, Fréteau, l'abbé Sabathier, Robert de Saint-Vincent, l'abbé Le
Coigneux, moteurs ardents de l'opposition, disaient que l'honneur ne leur
permettait d'écouter aucune proposition du ministre ; qu'ils avaient déclaré
leur incompétence en fait de subsides et que dès ce moment ils étaient
comptables envers la nation de tout ce qu'ils feraient contre ses droits.
Enfin les négociations aboutirent à une bizarre transaction dans laquelle le
ministère et le parlement semblaient avoir cherché les moyens de s'adoucir
réciproquement la honte de revenir sur leurs premières décisions. Brienne
retira les édits du timbre et de la subvention territoriale, qu'il avait
proclamé lui être d'une absolue nécessité, et les magistrats, oubliant leur
déclaration solennelle d'incompétence en matière d'impôts, enregistrèrent le
rétablissement des deux vingtièmes, le premier indéfiniment, et le second
jusqu'en 1792, sans toutefois se départir de leurs anciens arrêtés (19 septembre
1787). Paris
célébra comme une victoire le retour du parlement. La jeune basoche et ses
auxiliaires en guenilles exigèrent que les maisons fussent illuminées dans
les alentours du palais et brisèrent les vitres des personnes qui
n'obéissaient pas. Calonne fut brûlé en effigie sur la place Dauphine et le
procès-verbal de son jugement répandu le lendemain dans la ville. On promena
an milieu des huées de la population les mannequins du baron de Breteuil et
de la duchesse de Polignac ; et il fut question de traiter de la même manière
l'image de la reine. Ces déplorables excès que ne réprimait point la chambre
des vacations, jetaient la consternation parmi les bons citoyens. Enfin les
magistrats, sur les instances du lieutenant de police, se déterminèrent à
prendre des arrêtés qui mirent fin aux désordres. Ainsi
déjà frémissaient dans la foule toutes les passions brutales ; elles
n'attendaient que l'occasion d'éclater. La transaction avec le parlement,
signe infaillible d'une politique intéressée et d'une faiblesse commune, ne
donnait pas une solution. De toutes parts s'amoncelaient des nuages
précurseurs de la tempête. Électrisé par quelques déclamateurs imprudents ou
coupables, le peuple ne cherchait que l'action. « Du chaos tranquille,
écrivait Mirabeau, la France a passé au chaos agité : il peut, il doit en
sortir une création. » Et cet homme dans l'impatience de la destinée
qu'il pressentait, s'efforçait de relever le courage des parlementaires et
leur conseillait de ne pas accepter l'ajournement des états-généraux à 179,
mais de les exiger pour 1789, date de rigueur, disait-il, montrant par
des raisons péremptoires que leur prompte convocation était la dernière
ressource du trône. Dans la
triste situation des finances, la prorogation des vingtièmes, obtenue du
parlement, n'était qu'un secours insignifiant. Aussi la pénurie du trésor
continuait-elle de s'accroître. Pour y remédier, Brienne résolut, au moment
même où les anciens emprunts apparaissaient comme un fléau, de faire
enregistrer, en un seul édit, une somme de 420 millions d'emprunts
réalisables en cinq ans, avec l'engagement solennel de convoquer les
états-généraux avant 1792. Dans cet intervalle, ou rétablirait les finances,
et les états convoqués à l'expiration du délai, pourraient s'occuper avec
calme de toutes les améliorations nécessaires. C'était du moins le langage
que le ministre tiendrait au parlement. Il avait encore imaginé pour adoucir
la magistrature et l'opinion, d'ajouter à l'édit d'emprunt l'édit tant de
fois réclamé qui rendait l'état civil aux protestants. Afin d'apaiser les
craintes qu'inspirait au roi et à la reine le nom d'états-généraux, Brienne
leur représenta qu'une fois les emprunts enregistrés, les finances restaurées
et les esprits refroidis par l'attente, on serait libre de faire des
états-généraux un vain spectacle, ou de ne pas les convoquer. Il se hâta de
préparer une séance royale, tout en négociant encore avec les magistrats dont
il essayait, par toutes sortes de séductions, de se concilier les suffrages. Aussitôt
après les vacances, le 19 novembre, le roi se rendit, dès le matin au
parlement accompagné des princes du sang et des pairs. Il y prononça un
discours rempli d'expressions paternelles. Le garde des sceaux, Lamoignon,
exprima ensuite les volontés du monarque avec précision et répéta toutes les
maximes absolutistes des lits de justice de Louis XV. L'assemblée montra un
profond recueillement quand il annonça que le roi s'engageait à convoquer les
états-généraux dans l'année 1792. Des deux édits que Lamoignon présenta, l'un
créait des emprunts successifs jusqu'à la concurrence de 420 millions, et
l'autre rétablissait les protestants dans leurs droits de citoyens. Le roi
ayant permis que l'on délibérât en sa présence, la discussion s'ouvrit
librement mais ne roula que sur le premier de ces édits ; chacun donna et
motiva son vote à haute voix. Les plus anciens magistrats de la grand'chambre
se déclarèrent pour l'enregistrement. L'abbé Sabathier et Fréteau parlèrent
longuement, mais avec convenance et proposèrent d'accorder le premier emprunt
(celui
de 120 millions),
moyennant une convocation plus prompte des états-généraux. Le vétéran du
jansénisme et de l'opposition, Robert de Saint-Vincent, s'exprima avec une
audacieuse véhémence ; il s'éleva contre un projet qui ne pouvait s'accomplir
qu'en cinq années, puis s'adressant au roi :« Sire, lui dit-il, le remède aux
plaies de l'État, a été indiqué par votre parlement : c'est la convocation
des états-généraux. Leur convocation, pour être salutaire, doit être prompte.
Pourquoi ce retard ? La vérité, la voici : vos ministres veulent éviter ces
états-généraux, dont ils redoutent la surveillance. Mais leur espérance est
vaine ; les besoins de l'État vous forceront à les assembler d'ici à deux
ans. Oh I oui, ils vous y forceront ; et le plus sage parti à prendre serait
de profiter de la bonne disposition des esprits, de cette passion du bien
publie qui anime aujourd'hui tous les Français. » D'Eprémesnil
aspirait à émouvoir le cœur de Louis XVI. Dans cette séance il fut, dit-on,
aussi touchant qu'il se montrait ordinairement emporté et fougueux. Il
demanda que les deux premiers emprunts fussent enregistrés, et que Sa Majesté
daignât promettre la convocation des états-généraux pour 1789. Jamais il ne
déploya une éloquence plus persuasive, et ses amis se flattèrent un instant
de l'espoir qu'il triompherait de la résolution de Louis XVI. Il y
avait six heures que se prolongeait le débat : le premier président,
favorable au ministère, recueillait les suffrages et voyait avec une joie
secrète que la majorité était acquise à l'enregistrement pur et simple de
l'édit. Tout à coup Lamoignon, au lieu de laisser ce magistrat compter les
voix, s'approcha du trône, parla à l'oreille du roi, et sur l'ordre de Louis
de faire enregistrer l'édit, il prononça la formule usitée dans les lits de
justice. A l'instant même un murmure de surprise parcourut l'assemblée, et le
parlement fut profondément blessé de voir transformer en lit de justice une
simple séance royale. Au milieu de l'agitation de l'assemblée, le duc
d'Orléans se leva avec tous les signes de la plus vive émotion, et comme s'il
eut pressenti que ce premier acte public d'opposition allait décider du sort
de sa vie entière, il balbutia d'une voix étranglée ces mots adressés au roi
: « Sire... cet enregistrement me paraît illégal !... il faudrait exprimer
que l'enregistrement est fait par l'exprès commandement de Votre Majesté. »
Louis XVI non moins troublé lui répondit : « Cela m'est égal... vous êtes
bien le maître... Si ; c'est légal, parce que je le veux » Le roi ordonna de
lire le second édit, celui des protestants, et sortit accompagné des princes
et des ministres, laissant les magistrats en séance. L'agitation
de l'assemblée allait toujours croissant. Tous les regards se tournèrent avec
reconnaissance vers le duc d'Orléans ; on exalta son patriotisme ; chacun
brûlait de partager la gloire et les périls du prince. Sa protestation
rédigée avec développement, fut inscrite au procès-verbal. Ceux qui s'étaient
montrés dociles aux désirs du roi, gardèrent le silence ou se rétractèrent.
D'Eprémesnil reprenant son rôle de tribun, dit « que la seule différence
qu'il voyait entre un lit de justice et une séance royale, c'est que l'un a
la franchise du despotisme, et l'autre sa duplicité. » Le vieux Malesherbes,
et le duc de Nivernais firent d'inutiles efforts pour ramener le calme. Le
parlement termina la séance par la délibération suivante : « La cour
considérant l'illégalité de ce qui vient de se passer à la séance du roi, où
les voix n'ont point été comptées et réduites en la manière prescrite par les
ordonnances, de sorte que la délibération n'a pas été complète, déclare
qu'elle n'entend prendre aucune part à la transcription ordonnée être faite
sur ses registres, d'emprunts graduels et progressifs pour les années 1788,
1789, 1790, 1791 et 1792. » Un tel
arrêté rendait impossibles des emprunts que repoussait déjà l'opinion
publique, et renversait tous les plans de Brienne. Pour annoncer que
l'autorité royale existait encore, il fallait qu'elle essayât de la rigueur.
Dissoudre ce parlement et le punir de son prétendu patriotisme, était la
seule mesure capable d'arrêter l'opposition, mais le roi et l'archevêque de
Toulouse lui-même n'auraient pu s'y décider qu'après une longue hésitation.
Louis XVI ordonna au parlement d'apporter ses registres à Versailles, et fit
déchirer la délibération en sa présence. Le duc d'Orléans fut exilé dans une
de ses terres, à Villers-Cotterêts ; deux conseillers, Fréteau et l'abbé
Sabathier qui passaient pour avoir excité le prince, furent conduits
prisonniers, le premier au château de Doullens, le second au mont
Saint-Michel. Les
magistrats adressèrent au roi des représenta-„ions en faveur de leurs
collègues incarcérés et du duc d'Orléans. Mais Louis XVI répondit « qu'il
avait puni cieux magistrats dont il avait dei être mécontent, et que
lorsqu'il s'était déterminé à donner des marques de mécontentement à un
prince de son sang, il ne devait aucun compte de ses raisons à son parlement. » Dans le
public mal informé, on attribua l'exil du duc d'Orléans et l'arrestation des
deux conseillers à la découverte d'un complot pour élever ce prince, au
trône. Il n'en était rien. Depuis que le duc avait hérité du haut rang et de
la grande fortune de son père (1786), le parlement tournait vers lui ses
regards et recherchait son appui. Les hommes attachés à sa maison,
ambitionnant de le voir jouer un rôle, s'entendaient avec quelques—uns des
magistrats pour le diriger. Avant la séance du 19 novembre, ils avaient
décidé que le chic d'Orléans protesterait si l'enregistrement de l'édit
d'emprunt n'était pas libre ; nous avons vu de quelle manière il avait répété
la leçon qu'on lui avait faite. Le ministère donna l'ordre d'arrêter l'abbé
Sabathier et Fréteau qu'il soupçonnait d'avoir assisté à une conférence au
Palais-Royal ; ce qui était vrai pour le premier, et faux pour le second.
D'ailleurs, à cette époque, on formait des intrigues, mais non des complots.
Dans le parlement, malgré la vive opposition d'un grand nombre de ses
membres, on ne conspirait pas contre le roi ; jamais il n'y fut question
d'enlever la couronne à la branche régnante four la porter sur une antre
tête. Le duc était alors bien plus l'instrument que le guide de la résistance
des parlementaires. Quoiqu'il
en soit, la mesure adoptée par le ministère aurait pu faire de Philippe
d'Orléans un chef de parti redoutable, si son caractère eût été aussi décidé
que ses opinions. Ce prince était devenu l'objet des ressentiments des
habitants de Paris, à la suite d'une spéculation qu'il avait faite en 1783,
quoiqu'elle dût contribuer à la splendeur de cette capitale : ils n'avaient
pu voir sans douleur abattre les vieux arbres du Palais-Royal. Ils
condamnaient d'avance les galeries spacieuses destinées à les remplacer, et
plaignaient les propriétaires des maisons voisines contre lesquels le duc, au
lieu de les indemniser, soutenait un procès. Quand ils le crurent cupide. ils
se souvinrent des bruits injurieux qui l'avaient autrefois représenté comme
un biche. Alors les pamphlets violents et cyniques et les épigrammes les plus
sanglantes ne cessèrent de le déchirer. Malgré ces persécutions et ces
outrages, le duc d'Orléans montrait le plus profond mépris pour l'opinion
publique et plus d'une fois on l'entendit s'écrier : « Je donnerais l'opinion
publique pour un écu. » Cette indifférence n'était cependant que simulée, et
les plaisirs dissolus dans lesquels il se plongeait, ne pouvaient l'étourdir
sur l'espèce d'abjection qui le suivait au milieu de ses immenses 'richesses.
Mais à peine les Parisiens eurent-ils connu tous les incidents de la séance
royale au parlement, la protestation et l'exil du prince, qu'ils oublièrent
sa réputation jadis si décriée, et ne virent plus en lui qu'un défenseur de
la liberté, une victime du patriotisme. Tout en
excitant un intérêt général, le duc d'Orléans parut bien éloigné d'accepter
avec une noble résignation les jouissances d'un exil qui le rendait
populaire, et rappelait celui de Choiseul à Chanteloup. Dès son arrivée à Villers-Cotterêts,
il se livra aux plus violents transports de colère et jura devant ses
familiers de se venger de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il tomba ensuite
dans l'abattement, et, pendant quelques jours parut insensible aux soins que
prenaient ses serviteurs pour le distraire. Devenu plus calme, il regrettait
encore Paris et son Palais-Royal. Le lieu de son exil, séjour aimable où
l'avaient suivi ses anciens plaisirs et une réputation nouvelle, ne lui
offrait plus que l'image d'une île déserte. Il succombait à l'ennui, et d'après
ses instances la duchesse d'Orléans ne cessait d'entretenir le roi et la
reine du chagrin qu'il ressentait de leur trop légitime courroux. Enfin, ce
prétendu héros de la séance royale, s'inquiétant peu de justifier les éloges
que les Parisiens donnaient à sa fermeté, mit tous ses amis en mouvement[19] et écrivit à Marie-Antoinette
une lettre pleine de témoignages de soumission et de repentir pour obtenir
son retour dans la capitale. Les
ministres avaient cru que l'exil d'un prince du sang et l'emprisonnement de
deux conseillers suffiraient pour briser l'opposition des magistrats. Mais
ils s'étaient abusés. « Le parlement, dit M. Droz, venait d'acquérir un
puissant moyen de soulever l'opinion publique en sa faveur ; il se présentait
avec les avantages que doivent naturellement avoir les défenseurs de la
liberté personnelle, et il liait sa cause à celle de tous les Français. »
Après avoir repris l'offensive avec tant d'audace, il répondit à l'acte
d'autorité du monarque en accueillant une motion d'Adrien Duport contre les
lettres de cachet, comme nulles, illégales, contraires au droit public et
au droit naturel, et réclama, dans un arrêté vigoureux, des garanties
pour la liberté individuelle (4 janvier 1788)[20]. Louis XVI manda le parlement à
Versailles, et fit biffer cet arrêté sur ses registres. Quelques semaines
plus tard, le roi ordonna l'enregistrement de l'édit relatif aux protestants,
malgré les réclamations des évêques présents à Paris et qu'une telle résolution
avait alarmés. Cet édit fournissait seulement aux non catholiques un moyen légal
de constater leurs naissances, leurs mariages et leurs décès. Ils restaient
exclus des charges de judicature royales ou seigneuriales, des offices
municipaux ayant fonctions de judicature, et des places qui donnent le droit
d'enseignement public. Madame Louise, du fond de son cloître, excita les
plaintes de l'Église contre l'édit, dans la pensée que la religion était
trahie, le roi trompé et la tranquillité de l'État compromise, lorsque la
mort vint la frapper au milieu des démarches superflues de son zèle (23 décembre
1787). Malgré
son désir de tout suspendre, le parlement céda sur ce point, non pas aux
exigences du pieux et tolérant monarque, d'ailleurs soutenu par l'unanimité
de son conseil, mais à l'impatience de l'opinion publique, dont tous les vœux
appelaient la réparation de la fatale erreur de Louis XIV. Aussi l'étonnement
fut-il grand lorsqu'on vit d'Eprémesnil, flatteur toujours si empressé des
caprices de cette opinion, se déclarer contre les idées libérales du roi.
C'est en vain que ses amis lui représentèrent le danger de perdre la faveur
populaire, tous les efforts ne purent triompher de ses scrupules religieux.
Initié l la secte alors peu répandue des Martinistes, d'Eprémesnil avait
exalté son catholicisme par un mélange des idées de ces /nu-ruinés, à tel
point qu'il croyait aux apparitions des êtres surnaturels. Il demeura donc
inflexible dans son opposition contre l'édit dans lequel il voyait un objet
de scandale, et rappela le serment du sacre. Les ducs de Luynes et de
Mortemart réfutèrent ses arguments : alors indigné de ne pouvoir ramener
les esprits à son sentiment ; « Voulez-vous, s'écria d'Eprémesnil, en
élevant la main vers l'image du Christ, voulez-vous le crucifier une seconde
fois ? » Ce mouvement d'éloquence, inusité depuis longtemps au parlement
de Paris, ne produisit aucun effet, et l'édit fut enregistré à la majorité de
quatre-vingt-seize voix, contre dix-sept (19 janvier 1788). Le
parlement ne tarda pas à renouveler ses remontrances avec plus d'énergie
contre les actes arbitraires qu'il déclara contraires à un droit
imprescriptible. Duport et l'opposition progressive l'emportaient et
faisaient tenir à la compagnie un langage auquel la cour n'était pas
habituée. Après avoir dit que la nation réclame de Louis XVI le plus grand
bien qu'un roi puisse rendre à ses sujets, la liberté, le corps judiciaire
ajoute : « Sire, ce n'est plus un prince de votre sang. ce ne sont plus deux
magistrats que votre parlement redemande au nom des lois et de la raison ; ce
sont trois Français, ce sont trois hommes. » Dans ses remontrances au roi, il
franchit les bornes que lui prescrivait une sage retenue : « De tels moyens,
Sire, disait-il encore, ne sont pas dans votre cœur, de tels exemples ne sont
pas les principes de Votre Majesté ; ils viennent d'une autre source.
» Ainsi il accusait officiellement la reine, sans la nommer, il est vrai,
mais avec une évidence audacieuse, et ne craignait pas de se faire l'écho des
clameurs populaires contre elle. La haine semblait s'attacher davantage à
Marie-Antoinette, depuis qu'elle prenait une large part au gouvernement :
certain de la diriger à son gré, Brienne, sur la valeur duquel cette
princesse s'était cruellement méprise, voulait qu'elle assistât au conseil, à
tous les comités, et lui donnait une voix prépondérante dans les décisions. Déjà finissait l'ancien monde et la Révolution commençait. Cette Révolution, la plus grande et aussi la plus terrible de toutes celles que nous offrent les annales des peuples, préludait à la manière de la Fronde. Comme au temps de Mazarin et d'Anne d'Autriche, un indomptable esprit d'indépendance s'efforçait d'opposer des barrières à la puissance monarchique ; le roi et la magistrature ne s'accordaient point sur les questions les plus fondamentales ; le roi persistait à déclarer qu'il avait le droit de faire arrêter et détenir un sujet dangereux, mais il reniait les mesures qu'il avait prises, en s'adoucissant pour les hommes arbitrairement frappés. Ainsi, le duc d'Orléans fut autorisé à se rapprocher de Paris, et bientôt à rentrer au Palais-Royal. On changea l'emprisonnement de Fréteau et de Sabathier en un exil. La guerre était partout entre les parlements et les gouverneurs de provinces, chargés de l'exécution des ordres du ministre. Obligés de négocier ou de combattre contre un corps toujours menaçant et hostile, les gouverneurs faisaient transcrire les édits royaux sur les registres de la magistrature. Alors les parlements de protester, de se défendre à coups d'arrêts, de réclamer, comme celui de Paris, l'abolition des lettres de cachet et de rendre par leur résistance, l'emprunt impossible. Plusieurs avaient refusé la prorogation du second vingtième, ou continuaient de s'opposer à l'établissement des assemblées provinciales, et deux d'entre eux n'avaient pas craint de faire des remontrances contre l'édit qui rendait les droits civils aux protestants. Ce conflit de la royauté et des parlements n'engendrait aucun résultat ; d'une part on ordonnait, de l'autre on protestait ; les deux autorités se paralysaient réciproquement et perdaient toute considération. De fait, le gouvernement n'existait plus ; on marchait à grands pas aux luttes matérielles. |
[1]
Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs et les conditions en France
avant la révolution, p. 205.
[2]
Henri Martin, Histoire de France, t. XIX.
[3]
Mémoires de Madame Campan, chap. XIII.
[4]
« Pour 1787 le déficit avoué est de 112 millions ; les notables, vérification
faite, trouvèrent lei millions et ils ne savaient pas tout, car Brienne déclara
bientôt que le chiffre du déficit annuel était de 181.218.000 livres. Nous
avons vu des situations financières plus désespérées, que l'ordre et une
politique habile ont contenues et rétablies en bon état... La France bien
administrée et réformée, était assez forte pour se tirer de ce mauvais pas ;
mais Mi étaient les administrateurs, et qui pouvait, qui osait entreprendre la
réforme ? » (Paul Boileau, État de la France en 1789, chap. VI, p. 404).
[5]
Besenval, Mémoires, t. II, p. 230.
[6]
Mignet, Histoire de la révolution Française, t. I, p. 25.
[7]
Mémoires de La Fayette, t. II, p. 177.
[8]
Mignet, Histoire de la révolution Française, t. I, p. 26.
[9]
Mémoires de Bachaumont, t. XXXV, p. 334.
[10]
Anciennes lois françaises, t. VI, du règne de Louis XVI, p. 295.
[11]
Mémoires de Bachaumont, t. XXXV, p. 378.
[12]
« Celui-là aurait bien étonné le parlement dans sa joie, et la foule dans son
triomphe, qui, dominant les cris du peuple de sa voix prophétique, leur aurait
jeté ces paroles : dans deux ans et onze mois, jour pour jour, le maire de
Paris, suivi de quatre soldats, viendra mettre les scellés sur les portes de la
Grand Chambre, et à la même place où nous sommes, il ne trouvera personne, pas
même un huissier, pour les lui ouvrir un instant avant de les clore à jamais. »
(A. Granier de Cassagnac, Histoire des causes de la Révolution française,
t. II, chap. VI, p. 174.) Voir Camille Desmoulins, Révolutions de France et
de Brabant, n° 48, p. 389.
[13]
Histoire du gouvernement français, p. 185-191.
[14]
On n'a pu rien découvrir à cet égard. « Mon père, dit Madame de Staël, m'a
souvent attesté qu'entendant parler sans cesse de prétendus agents de
l'Angleterre, il fit l'impossible pour les découvrir, et que toutes les
recherches de la police ordonnées et suivies pendant son ministère servirent à
prouver que l'or de l’Angleterre n'était pour rien dans les troublés civils de
la France. Jamais on n'a pu trouver la moindre trace d'une connexion entre le
parti populaire et le gouvernement anglais. » (Madame de Staël, Considérations
sur la Révolution française, IIe partie, chap. X, p. 171-175, édit.
Charpentier.
[15]
L. P. de Ségur, Tableau politique et historique de l'Europe, p. 72 et
73.
[16]
Droz, t. II, p. 19.
[17]
Lacretelle, Histoire de France pendant le dix-huitième siècle.
[18]
Droz, t. II, p. 31.
[19]
« M. le duc d'Orléans à Villers-Cotterêts, aurait pu conquérir la sorte de
considération que, dans la façon de penser actuelle, donnent l'opposition aux
volontés de la cour et l'air d'être la victime de son despotisme, et qui dans
le fait, aujourd'hui n'est plus qu'un lent et fructueux retour vers une
autorité méconnue ; mais privé du séjour de Paris, séjour qui est pour ce
prince un besoin, et auquel il a sacrifié, en plus d'une occasion jusqu'à sa
gloire et sa réputation, M. le duc d'Orléans, dis-je, plus amoureux qu'on ne
l'est à quinze ans de madame de Buffon, que cette intrigue avait brouillée avec
sa famille, m'envoya le vicomte de Ségur, qu'il venait de nommer son premier
gentilhomme en survivance du chevalier de Dur-fort, pour me peindre le désespoir
où le réduisait son séjour à Villers-Cotterêts, me demandant de l'en tirer de
quelque manière que ce fût, et me donnant carte blanche sur les moyens. »
(Besenval, Mémoires, t. Il, p. 290.)
[20]
De son côté le parlement de Toulouse écrivit au roi : « Il était digne du
premier prince de votre sang, osons le dire, il était de son devoir de vous
représenter que, puisque vous faisiez usage de la plénitude de votre puissance,
l'arrêt de l'enregistrement devait énoncer que la transcription de la loi avait
été faite de l'exprès commandement de Votre Majesté. S'il était possible qu'une
réclamation si légitime tôt le motif de la disgrâce de M. le duc d'Orléans,
quel est celui de vos sujets qui oserait vous dire la vérité. »