Tableau des sciences.
— Antoine Laurent de Jussieu. — Buffon. —D'Alembert. — Monge. — Lagrange. —
Laplace. — Lavoisier. — Découverte des aérostats. — Voyage de La Pérouse. —
Le roi visite Cherbourg. — Traité de commerce avec l'Angleterre, — Détresse
de Calonne. — Expédient qu'il propose à Vergennes et au roi. — 3Iirabeau. —
Louis XVI annonce sa résolution de convoquer les notables. — Effet de cette
déclaration. Mort de Vergennes. — Discours d'ouverture de Calonne. —
Sentiment des notables. — Ils acceptent les assemblées provinciales et se
prononcent contre l'impôt territorial. — Réunion chez Monsieur. —
Intervention de l'autorité royale. — Hostilités croissantes des notables
contre Calonne. — Assemblée générale du 12 Mars. — Question des douanes
intérieures. — Question de la gabelle. — Calonne s'adresse à l'opinion
publique. Indignation des notables. — La cour se réunit à l'assemblée pour
renverser le contrôleur général. — Pamphlets contre Calonne. — Miromesnil
remplacé par Lamoignon. — Disgrâce de Calonne. — Fourqueux lui succède. —
Exil de Necker. — Loménie de Brienne, chef du conseil des finances.
Au
milieu des scandales causés par les prodigalités de Calonne et les
spéculations de l'agiotage, par les représentations du Mariage de Figaro et
le fatal procès du collier, le mouvement.de ce siècle de pressentiments et
d'attente, ne cessait point d'entraîner les esprits en tous sens. L'ardeur de
connaître et de se frayer des routes nouvelles était si grande, qu'il
semblait que l'horizon de la science humaine ne dut plus avoir de bornes.
Partout rayonnait l'activité d'un grand peuple ; partout s'épanchaient des
torrents de vie et de lumières. Cette activité des esprits sî portait surtout
vers les sciences physiques et naturelles. Appuyée de la méthode de Bacon, le
père de la philosophie expérimentale, elle les dégageait des entraves de
l'empirisme, substituait aux vaines hypothèses l'observation, les expériences
qui découvrent les faits et l'induction légitime qui révèle les lois de la
nature. Tandis que la physique entrait avec Franklin[1], Galvani et Volta, dans la voie
du progrès, les frères de Jussieu, Bernard et Joseph de 'Lyon balançaient la
gloire du savant botaniste Linnée, et ouvraient la carrière à leur neveu
Antoine Laurent de Jussieu, homme aussi digne par ses vertus que par ses
talents de porter un nom célèbre. Démonstrateur de botanique au jardin du roi
(1777), Laurent devait appliquer plus
tard à tout le règne végétal sa méthode de classification naturelle, livre
destiné à faire une époque importante dans les sciences d'observation.
Buffon, né à Montbard en Bourgogne, publiait avec le secours des savants
Daubenton et Guéneau de Montbeillard, son Histoire naturelle, dans laquelle
il s'efforçait de réunir à l'éloquence de Pline les vues Profondes d'Aristote
et l'exactitude des modernes[2]. Au
dix-septième siècle, les mathématiques avaient fait d'immenses progrès avec
Descartes, Pascal, Newton et Leibnitz. Le dix-huitième siècle, non moins
fécond, aux noms de ces grands génies, ajoute ceux de d'Alembert, que ses
traités de mécanique placent au premier rang des géomètres, de Monge,
l'inventeur de la géométrie descriptive, et surtout les noms de Lagrange et
de Laplace. Piémontais de naissance, Sérançais d'origine, Lagrange se
distingua de bonne heure parmi les savants de son époque. Dès l'âge de
dix-huit ans, il résout un problème posé par Euler, et dont la solution était
vainement cherchée depuis dix ans ; l'année suivante, il occupe la chaire de
mathématiques à l'école d'artillerie de Turin. En 1766, Frédéric II,
l'appelle à Berlin pour remplacer Euler comme président de l'Académie.
Lagrange y reste vingt ans, pendant lesquels il acquiert une immense
renommée. A la mort du grand Frédéric, ce digne appréciateur de la science,
Mirabeau qui a compris le génie de Lagrange, l'attire en France où le fixent
les bienfaits de Louis XVI. Aucun mathématicien n'a possédé au même degré que
cet illustre savant la puissance d'abstraction. Son plus beau titre de gloire
est d'avoir porté à sa perfection l'analyse pure. Vers la même époque,
l'astronomie française brille du plus vif éclat : Bailly, Lalande, Messier,
poursuivent leurs travaux avec une infatigable ardeur. Laplace commence de
manifester la puissance et la fécondité de son esprit qui aura la gloire de
compléter les recherches de Newton sur le système du monde par la gravitation
universelle, et s'immortalisera par la Mécanique céleste. Au milieu des
grandes figures scientifiques du monde moderne, apparaît encore le
réformateur, on pourrait dire avec raison, le créateur de la chimie,
Lavoisier. Entraîné
par un penchant irrésistible vers l'étude des sciences naturelles, Lavoisier
devient à l'âge de vingt—cinq ans, membre de l'Académie des sciences (1768) et l'un de ses plus célèbres
collaborateurs. Quelques mois plus tard, il obtient une place de fermier
général qu'il n'avait recherchée que pour acquérir des moyens d'action
scientifiques. Déjà il a cultivé avec un égal succès plusieurs parties de la
physique et de l'histoire naturelle, lorsqu'il s'attache exclusivement à la
chimie. Après d'opiniâtres et dispendieuses expériences que facilitait sa
position lucrative, il renversé' la théorie vague et incertaine du
phlogistique, et dans un mémoire lu à l'Académie, en 1775, il démontre que la
calcination des métaux, et en général la combustion des 'corps, est le
résultat de l'union de l'air respirable (oxygène) avec ces corps, Lavoisier avait ainsi
découvert la base de tout l'édifice de la chimie moderne. Depuis cette
époque, ses nombreux Mémoires présentent un corps de doctrine qui embrasse
tous les phénomènes chimiques. En 1784 il découvre la décomposition de l'eau
et lia prouve par des expériences. Il jouit de la gloire due à ses rares
talents et à ses longs travaux : la doctrine qui lui appartient exclusivement
est adoptée en France. De concert avec un autre savant, Guyton de Morveau, de
Dijon, Lavoisier publiera bientôt, sous le nom de Méthode de nomenclature
chimique, le dictionnaire de la nouvelle science (1787), et fera suivre cet ouvrage du
Traité élémentaire de chimie, livre entièrement neuf pour la forme et pour le
fond, destiné à compléter la révolution scientifique (1789). Une
autre découverte d'une nature moins vaste, due aux rapides progrès de la
physique, celle des ballons aérostatiques par les frères Montgolfier,
directeurs d'une papeterie de la petite ville d'Annonay, fut accueillie avec
autant d'enthousiasme que l'aurait été, dans une autre époque, une révélation
religieuse. De quel tonnerre d'applaudissements ne furent pas salués les
hommes qui osèrent les premiers s'élancer dans les airs, emportés par le plus
frêle des véhicules, aux yeux de la capitale assemblée ? De quel vertige ne
se trouva pas saisi ce concours immense de peuple, accouru à Paris des
extrémités de la France et des pays étrangers, lorsque le physicien Charles
et le mécanicien Robert tentèrent leur ascension aux Tuileries dans une
élégante nacelle, suspendue au plus majestueux des aérostats ? (1er décembre
1783). On crut que
l'homme déjà maître de la terre et de l'Océan, allait prendre aussi
possession de l'air, que son génie et sa puissance étaient destinés à ne plus
connaître de limites. La
navigation payait aussi son tribut de découvertes à ee siècle où la science
enfantait tant de merveilles. Excité par les grandes explorations de
l'Anglais Cook et du Français Bougainville, le courageux La Pérouse, nommé
avec honneur dans la guerre d'Amérique, partit au mois d'août 1785, afin
d'exécuter un voyage de circumnavigation, dans un but à la fois politique,
commercial, philanthropique et scientifique : Louis XVI, qui prenait le plus
vif intérêt à cette entreprise, pour laquelle il avait fait armer à Brest les
frégates la Boussole et l'Astrolabe, ne dédaigna pas de tracer de sa main au
célèbre navigateur un itinéraire et des instructions détaillées. Parmi ces
instructions, on ne lira Pas sans intérêt les suivantes, qui attestent
l'humanité du monarque : « Si des circonstances impérieuses, qu'il est de la
prudence de prévoir, obligeaient jamais le »sieur de La Pérouse à faire usage
de la supériorité de ses armes sur celles des peuples sauvages, pour se
procurer malgré leur opposition, les objets nécessaires à la vie, tels que,
des subsistances, du bois, de l'eau, il n'userait de la force qu'avec la plus
grande modération, et punirait avec une extrême rigueur, ceux de ses gens qui
auraient outrepassé ses ordres. Dans tous les autres cas, s'il ne peut
obtenir l'amitié des sauvages par les bons traitements, il cherchera 'a les
contenir par la crainte et les menaces, mais il ne recourra aux armes qu'à la
dernière extrémité, seulement pour sa défense, et dans les occasions où tout
ménagement compromettrait décidément la sureté des bâtiments et la vie des
Français dont la conservation lui est confiée. S. M. regarderait comme un des
succès les plus heureux de l'expédition pût être terminée sans qu'il en eût
coûté la vie à un seul homme. » Ce
monument d'une sollicitude non moins admirable qu'auguste, est remarquable
par l'étendue et la précision du savoir. Les officiers de marine les plus
distingués, des savants renommés par leurs connaissances dans l'astronomie,
l'histoire naturelle, le génie, la géographie, la physique, la botanique, la
minéralogie, et d'habiles dessinateurs obtinrent le périlleux honneur
d'accompagner le comte de La Pérouse. On attendait les succès les plus
heureux de cette expédition. Après trois ans de travaux et de découvertes
achetées par de nombreux accidents et des pertes cruelles, l'infortuné La
Pérouse et ses deux navires disparurent entre les archipels de l'Océanie, et
un affreux silence cacha leur destinée. Quelques débris du naufrage ou
s'étaient abîmées tant d'existences précieuses, furent trouvés plus tard sur
les récifs de Vanikoro, l'une des Nouvelles-Hébrides. La funeste issue de
cette entreprise, le dernier des beaux rêves de Louis XVI, lui causa une
douleur profonde et fit naître dans son âme les plus tristes pressentiments.
« Je vois trop, disait-il, que je ne suis point heureux ! » Les
travaux publics de cette époque étaient également dignes d'attirer
l'attention : une activité féconde se déployait pour agrandir ou
améliorer les ports du Havre, de Dunkerque, de Dieppe et de la Rochelle, pour
creuser le canal de Bourgogne entre la Seine et la Saône, et celui du Centre,
entre la Saône et la Loire. On construisait la digue de Cherbourg, le plus
grand travail de la main des hommes, qui devait donner à la France un
formidable port de guerre à l'entrée de la Manche. Plein de zèle pour les progrès
de marine française, Louis XVI eut le désir de visiter la digue titanique de
Cherbourg et entreprit un voyage dans la Normandie (1786). Partout sur son passage, il
reçut les marques de l'affection la plus sincère. Pénétré de reconnaissance,
il écrivit à la reine : « L'amour de mon peuple a retenti jusqu'au fond de
mon cœur ; jugez si je ne suis pas le plus heureux roi du monde. » Afin de
conserver le souvenir de cet accueil, il voulut que son second fils, né
quelque temps avant, portât le nom de duc de Normandie, et se rappelât sans
cesse une province qui avait fait éprouver à son père les plus douces
émotions. A Cherbourg « il y eut un véritable enthousiasme lorsque le roi, en
présence de l'escadre et de la foule entassée dans les embarra cations, sur
la grève, sur l'amphithéâtre de granit qui domine la plage, vint s'installer
sur un des fameux cônes de M. de Cessac déjà immergés en pleine mer, pour
voir amener et immerger un autre de ces cônes, destinés à former la digue[3]. » Louis XVI étonna les marins
par le détail de ses connaissances techniques. L'Angleterre
s'émut en voyant creuser, sans sa permission et en face de ses rivages, un
port qui devait réaliser la pensée de Colbert et réparer les ruines de
Dunkerque. Dans le débat d'un traité de commerce, entre la Grande Bretagne et
la France, un membre du parlement, Burke, dénonçait le fait avec les
sentiments haineux qui animaient son éloquence : « La France nous ouvre
ses bras, disait-il, mais c'est pour se saisir de notre commerce. A Cherbourg
aussi, la France ouvre les bras : mais c'est pour y placer sa marine en
présence de nos ports, c'est pour s'y établir malgré la nature ; c'est pour
lutter contre l'Océan, et le disputer avec la Providence, qui avait assigné
des limites à son empire. Les pyramides d'Egypte s'anéantissent, en les
comparant à des travaux si prodigieux. Les constructions de Cherbourg sont
telles, qu'elles permettront bientôt à la France d'étendre ses bras jusqu'à
Portsmouth et Plymouth. C'est sans doute dans cette position que la France,
devenue la gardienne du cana], nous protégera. Et nous, pauvres Troyens, nous
admirons cet autre cheval de' bois qui prépare notre ruine. Nous ne pensons
pas à ce qu'il renferme dans son sein, et nous oublions ces jours de gloire,
pendant lesquels la Grande Bretagne établissait à Dunkerque des inspecteurs
pour nous rendre compte de la conduite des Français. » Malgré l'opposition de
Burke, le traité que celui de Versailles annonçait sous deux ans fut signé
cette même année. Il éloignait les chances de la guerre[4] et contenait quelques
améliorations de droit international, mais les Anglais purent seuls s'en
applaudir, car il les dédommagea de leurs pertes par les avantages immenses
que la France accorda à leur commerce au préjudice du sien. Cependant
le ministère de Calonne atteignait sa troisième année, et l'impôt temporaire
allait expirer et priver le trésor d'un revenu de vingt et un millions. Après
avoir persiflé tous les plans d'économie ; donné à pleines mains aux frères
du roi et aux courtisans, augmenté les frais d'administration et multiplié
les pensions, achevé de dévorer l'avenir pour subvenir aux exigences du
présent, le contrôleur général se vit dans l'impossibilité de recourir au
crédit que la sage conduite de Necker avait Valu au gouvernement, et dont il
n'avait pas su Ménager l'emploi. Maintenant toutes les ressources étaient
épuisées et les derniers expédients auxquels on pouvait recourir ne devaient
pas conduire au-delà de quelques mois. Il fallait appeler un prompt remède,
l'impôt, au secours des finances. Dans sa détresse, 'à la vue du précipice
ouvert sous ses pas, Calonne résolut de faire au comte de Vergennes l'aveu de
la situation réelle. Il alla donc trouver ce ministre, lui exposa l'état du
trésor, l'énormité du déficit et le projet qu'il avait conçu pour sortir avec
honneur de cette position, difficile. Il s'efforça de lui montrer qu'une
assemblée de notables anéantirait l'opposition violente du parlement et
porterait un coup funeste à la puissance de cet orgueilleux corps. Vergennes,
auquel le traité récemment conclu avec l'Angleterre, semblait imposer
l'obligation de seconder les vues hardies de Calonne, se laissa entraîner. Le
contrôleur général n'hésita point à faire la même confidence au roi qu'il
avait longtemps bercé d'illusions et habitué à ne plus entendre, comme au
temps de Turgot et de Necker, d'inquiétantes paroles. Afin de ne point
l'alarmer par une brusque révélation, il lui fit d'abord entrevoir quelques
-nuages à l'horizon ; il lui avoua, en termes généraux, un déficit très
ancien, qui s'était augmenté sous le ministère de ses prédécesseurs, et que
lui—même avait été obligé d'accroître. Bientôt il ne dissimula plus ; il
déclara nettement dans un mémoire écrit, et qui renfermait un vaste plan de
réforme, avec des idées de Turgot, de Necker, de Machault, de Silhouette, de
Colbert et même de Vauban, « que le moment actuel cachait un terrible
embarras sous l'apparence de la plus heureuse tranquillité ; que la France ne
se soutenait que par une espèce d'artifice. » Suivant Calonne, il existait un
déficit de cent millions par an, et pour combler ce vide effrayant, il
fallait recourir aux grands moyens. Son idée fondamentale pour la
restauration des finances, était de supprimer les vingtièmes et de les
remplacer par une subvention territoriale, répartie avec égalité sur toute
terre sans exception, pas même pour le domaine royal. Afin d'obtenir des
privilégiés ce sacrifice, on les affranchirait de la capitation. En même
temps on flatterait les propriétaires, en les appelant à élire des assemblées
de trois degrés ou assemblées de paroisse, de district et de province, qui
feraient connaître le vœu des populations sur la nature de l'impôt, et
procéderaient à la répartition des charges publiques. Dans le
dessein de favoriser l'agriculture et l'industrie, le contrôleur général
opérait une réduction notable sur la taille ; il adoucissait la forme
tyrannique de la gabelle dans les pays sujets à la ferme générale, abolissait
la corvée en nature, détruisait les douanes intérieures et plusieurs droits
vexatoires. De plus Catonne établissait la liberté du commerce des grains,
sauf à suspendre l'exportation sur la demande des assemblées provinciales, et
convertissait les droits de contrôle et d'insinuation en un seul droit de
timbre plus élevé, applicable à toutes personnes. Enfin il projetait la
vente, à titre d'inféodation, de tous les domaines de la couronne, dont le
prix concourrait à l'extinction de la dette publique, et des économies sur
tous les départements et sur la maison du roi, économies qu'il évaluait à
vingt millions. D'après
les calculs du contrôleur général, cette transformation du système fiscal
diminuerait les impôts existants de trente millions par an, sans compter les
vingt et un millions du troisième vingtième dont il ne pouvait songer à
obtenir la prorogation. Une augmentation de cent—quinze millions dans les
revenus permettrait de rétablir, dans l'espace d'un an, la balance entre les
ressources et les dépenses ordinaires. Plein
de confiance en lui—même, Calonne se faisait illusion après avoir trompé les
autres. Au reste, dans le rapport où était annoncé en termes pompeux son
vaste plan, le seul qui, suivant son opinion, pouvait résoudre le problème
difficile de la restauration des finances, il adoptait des vues très élevées.
« La disparité, l'incohérence des différentes parties du corps de la
monarchie, disait-il, est le principe des vices constitutionnels qui énervent
ses forces... Un royaume composé de pays d'États, de pays d'élection, de pays
d'administrations provinciales, de pays d'administrations mixtes, un royaume
dont les provinces sont étrangères les unes aux autres, où des barrières dans
l'intérieur séparent et divisent les sujets d'un même souverain, où certaines
contrées sont affranchies totalement des charges dont les autres supportent
tout le poids, où la classe la plus riche est la moins contribuante, où les
privilèges rompent équilibre, tout où il n'est possible d'avoir ni règle
constante, ni vœux commun, est nécessairement un royaume très imparfait, très
rempli d'abus, et tel qu'il est impossible de le bien gouverner. « On ne
peut rétablir solidement les finances, que par la réformation de ce qu'il y a
de vicieux dans la constitution actuelle... Ce qui est nécessaire pour le
salut de l'État, serait impossible par des opérations partielles ; et il est
indispensable de reprendre en sous-œuvre l'édifice entier, pour en prévenir
la ruine... Sire, le succès élèvera votre nom au–dessus des plus grands noms
de cette monarchie, dont vous mériterez d'être appelé le législateur. » Ce fut
avec étonnement que Louis XVI entendit la lecture des projets de son
contrôleur général : « Mais, lui dit-il, c'est du Necker que vous me donnez
là ; c'est du Necker tout pur — Sire, dans l'état des choses, on ne peut rien
vous offrir de mieux ! » La réponse du roi eût dû être de chasser
Calonne de sa présence. Louis XVI toujours faible et toujours aveugle,
n'y-songea pas et adopta le plan au moyen duquel le ministre se vantait de
réparer l'énormité du déficit Comme les intrigues de cour pouvaient changer
la résolution du monarque, Calonne sollicita et obtint du souverain la
promesse d'un appui inébranlable dans l'exécution de ses grands projets pour
le Salut de la France. Faire
concourir le parlement à de pareilles innovations, paraissait au ministre
chose impossible, ainsi que nous l'avons dit ailleurs. Les magistrats décidés
repousser tout ce qui viendrait de Calonne, s'étaient en toute occasion
roidis contre les réformes. Un gouvernement usé et débile ne pouvait essayer
de vaincre leur résistance en lit de justice, sans s'exposer aux dangers
d'Une lutte opiniâtre. Le nom des états généraux, comme un premier coup de
tocsin, eut épouvanté la cour, les ministres et Louis XVI. Le contrôleur
général lui-même se souciait peu de comparaître devant ces états qui ne
manqueraient pas de lui demander compte de ses iniquités administratives.
Plusieurs rois de France avaient convoqué à diverses époques des assemblées
de notables, espèce de grand 'conseil extraordinaire, Choisi dans l'élite de
la nation, pour le consulter sur un objet déterminé. Après la ligue, un
monarque devenu populaire, Henri IV, avait suivi cet exemple. Calonne
n'abandonna donc point sa première pensée. Il crut que des notables, nommés par
Louis XVI, donneraient à ses vues une adhésion solennelle, éclatante ; et que
le parlement alors subjugué par les organes de l'opinion publique, ne
s'opposerait point aux réformes projetées, ou qu'un lit de justice qui
briserait sa résistance, s'il osait y recourir, recevrait l'approbation
universelle. Vergennes
n'aimait aucune espèce d'assembles ; mais le contrôleur général sut lui
persuader que les notables, investis de leurs fonctions par le roi,
borneraient leur travail 'a un examen de pure forme, et porteraient un coup
accablant à la puissance du parlement qu'il détestait. Quant à Louis XVI, il
désirait vivement que le peuple fût soulagé, et il se laissa entraîner par
l'idée d'imiter Henri IV, celui de ses aïeux auquel il désirait le plus
ressembler. Calonne lui demanda un secret absolu jusqu'au moment de
l'ouverture de l'assemblée des notables, afin de ne pas donner aux malveillants
le temps et les moyens de préparer leurs armes contre des innovations qui
blessaient les 'intérêts personnels des privilégiés. Le roi trouva la
précaution sage : il fut convenu que le plan du contrôleur général ne serait
pas communiqué au conseil, que Vergennes et Miromesnil dans les attributions
duquel rentrait le soin de convoquer les notables, en auraient seuls
connaissance ; la reine elle—même ne devait en être instruite que le jour où
serait arrêtée l'ordonnance de convocation. Aucun des trois personnages qui
préparèrent l'exécution de ce dessein, ne comprit qu'une assemblée de
notables, n'ayant aucun caractère représentatif, serait absolument sans
autorité pour décider les grandes questions qu'on allait lui soumettre, et
que cette réunion conduisait inévitablement aux états généraux. Mirabeau,
si nous ajoutons foi à sa correspondance secrète, le dernier ouvrage qu'il
publia, avait inspiré à Calonne l'idée et le plan de convocation des notables
; mais cet homme dont nous avons plusieurs fois prononcé le nom et qu'il est
temps de faire connaître, était plus clairvoyant que le roi et les deux
ministres, il espérait que cette convocation serait bientôt suivie de celle
des états généraux auxquels il donne le nom d'Assemblée nationale, qui
a été depuis adopté[5]. Honoré
Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, d'une ancienne famille de. Provence, «
était né, dit la Harpe, avec une âme ardente et forte, un génie puissant et
flexible, une vivacité d'imagination qui ne nuisait en rien à la justesse des
idées ; un penchant effréné pour le plaisir, joint à la plus grande facilité
pour le travail, et un tempérament robuste, capable de suffire en même temps
et au travail et au plaisir ; une activité de pensée qui semblait dévorer
tous les objets, et une promptitude de mémoire qui les embrassait tous. »
Son père, l'un des plus célèbres économistes de son époque, lui fit donner
une éducation soignée, comme elle pouvait l'être alors. Dans la pensée qu'il
était appelé à suivre le parti des armes. Mirabeau fit une campagne en Corse,
où il se distingua par une valeur portée jusqu'à la témérité. Son inconduite
et les querelles que lui suscita la fougue de son caractère, ne lui permirent
pas de rester dans le corps de son choix. Quelque temps après il épousa une
riche héritière de la ville d'Aix, et donna une libre carrière à ses goûts
dissipateurs, à toute la' fureur de ses passions. Il eut bientôt dévoré la
fortune de la femme qui aurait pu faire les délices de sa vie. Ses mauvais
traitements envers elle, forcèrent les deux familles à solliciter une
séparation judiciaire. Indigné des scandales domestiques de son fils et, de
ses dérèglements ruineux, le vieux physiocrate, son père, homme dur, avare,
enivré de lui-même, qui n'avait jamais cherché à diriger ses penchants
impétueux, obtint coutre lui des lettres de cachet et le fit trainer de
prison en prison. Cette sévérité outrée fut sans doute la cause principale
des écarts, des vices, de la haine implacable de Mirabeau contre les excès du
pouvoir arbitraire, dont il éprouva les rigueurs assez longtemps pour irriter
une âme toute de feu, un caractère naturellement fougueux, et faire d'une vie
passée dans la nuit des bastilles et les agitations, un mélange de grandeur
et d'opprobre. Victime de l'abus du pouvoir paternel, révolté contre sa race
qui l'opprime, il attaque avec de redoutables armes toute espèce de
despotisme, comme un ennemi personnel : il vingt-trois ans, il écrit au
château d'If l'Essai sur le despotisme (1772) ; pendant son séjour en
Hollande où il avait cherché un asile, l'Avis aux Hessois, afin de les
engager à refuser obéissance au prince qui vendait leur sang aux Anglais (1777) ; le livre sur les Lettres
de cachet (1780),
au donjon de Vincennes qui le dérobait aux poursuites de la justice, après le
rapt d'Une femme mariée. Chacun de ses livres anonymes, plein d'une éloquence
abrupte et d'une vigoureuse originalité, est une action. Ses écrits annoncent
déjà ce que seront les discours du nouveau Démosthène, auquel la beauté de
l'organe, la chaleur de pensée, le choix des expressions, une male audace
jointe à une rare présence d'esprit, des gestes expressifs et non forcés, un
air sévère, imposant et souvent dédaigneux, un maintien noble et une
magnifique laideur, illuminée des éclairs du génie, doivent assurer l'empire
de la tribune française[6]. Vers la
fin de 1780, Mirabeau sortit de sa longue captivité, toujours orageux, mais
impatient de se racheter de sa déconsidération. Il se fait alors sans
mission, un homme public, afin de couvrir les désordres de sa vie privée,
dont tout le royaume avait retenti. Il se rapproche du pouvoir pour lui
donner des conseils, mais formé pour toutes les luttes sous la triple
influence de la solitude, de l'oppression, de la souffrance, et plongeant
dans la vie des passions et l'esprit de son époque, il continue ses écrits
novateurs, et, pour mieux dire, révolutionnaires. Il écrit un mémoire à Marie-Antoinette
pour laquelle il rêve une sorte de ministère des beaux-arts, afin de ramener
à cette reine la popularité qu'ont éloignée d'elle la malveillance et
l'audace de ses ennemis. « D'une autre part, il publie sous son nom et avec
un grand éclat, à l'instigation de Franklin, ses Considérations sur
l'Ordre de Cincinnatus, où il attaque tous les privilèges nobiliaires, en
attaquant l'espèce de chevalerie républicaine que viennent d'établir entre
eux les officiers de l'armée libératrice des États-Unis (septembre
1784). Il s'efforce
d'avoir un pied chez les ministres et l'autre sur le terrain le plus avancé
des écrivains les plus hardis. Durant plusieurs années, sa parole prophétique
ne se lassera pas de retentir aux oreilles des puissants, qui vont cesser de
l'être[7]. » Cependant
les observations de Calonne sur le déficit, furent soumises ù l'examen du
comte de Vergennes et du garde des sceaux Miromesnil ; ces deux ministres
attestèrent au roi l'exactitude des calculs de leur collègue et lui
exposèrent ses vues qu'il adopta. La liste des notables se composa de cent quarante-quatre
membres dont sept princes du sang, quatorze archevêques et évêques, trente-six
ducs et pairs, maréchaux de France, gentilshommes, conseillers d'État et
maîtres des requêtes, trente-huit premiers présidents, procureurs généraux
des cours souveraines et autres magistrats, douze députés des pays d'états,
dont quatre du clergé, six de la noblesse, deux du tiers-état, vingt-cinq
officiers municipaux. Presque tous appartenaient aux deux premiers ordres,
car sur vingt-sept notables qu'on disait représenter le tiers-état, tous, à
l'exception de six ou sept, étaient nobles ou avaient privilèges de noblesse.
Convaincu que son plan triompherait de toutes les préventions, Calonne ne vit
pas que pour faire accepter un impôt frappant toutes les classes, il ne
fallait pas consulter presque exclusivement des privilégiés. Il montra encore
la confiance la plus présomptueuse ou l'irréflexion la plus étonnante, en
arrêtant que les notables seraient divisés en sept bureaux, présidés par les
cieux frères du roi, Monsieur et le comte d'Artois, le duc d'Orléans, le
prince de Condé, le duc de Bourbon, le prince de Conti, le duc de Penthièvre,
et que la décision de chaque bureau compterait pour une voix. Ce procédé fort
vicieux, pouvait faire prévaloir une majorité purement nominale sur la
majorité réelle. Le 29
décembre 1786, le roi, à l'issue du conseil des dépêches, annonça son
intention de convoquer, pour le 29 du mois suivant, une assemblée composée de
personnes de diverses conditions et des plus qualifiées de sou état, afin de
leur communiquer ses vues pour le soulagement de son peuple, l'ordre des
finances et la réformation de plusieurs abus. Il déclara en outre que des
lettres de convocation allaient être expédiées aux personnes sur lesquelles
s'était fixé son choix. Fasciné par le langage séduisant de son ministre, et
plein de généreux désirs, Louis XVI croyait affermir son autorité et
travailler au bonheur de son peuple ; aussi le lendemain écrivait-il à
Calonne : « Je n'ai pas dormi de la nuit, mais c'était de plaisir. » La
résolution du faible monarque frappa la cour du plus grand étonnement.
Marie-Antoinette garda une vive rancune au contrôleur général pour la lui
avoir cachée. Les hommes les plus habiles n'en pouvaient comprendre le but ;
et les grands seigneurs voyaient la monarchie ébranlée dans ses fondements
par ce simulacre de représentation nationale. Le vieux maréchal de Richelieu
demandait quelle peine Louis XIV eût infligée au ministre qui lui eût proposé
d'assembler les notables. Le jeune vicomte de Ségur, l'un des seigneurs les
plus spirituels, disait : Le roi dame sa démission. Quant aux
courtisans, ils s'élevaient avec énergie contre la témérité de Calonne. Il
vient, disaient-ils, se livrer 'a ses ennemis et crée le tribunal qui va le
juger. S'il a beaucoup de genres d'esprit, on peut lui refuser le talent de
connaître la cour et les hommes. Le parlement comprenait qu'une assemblée si
extraordinaire n'aurait d'autre objet que de le dépouiller du plus beau de
ses droits ; il s'efforçait néanmoins de dissimuler son dépit. Les hommes
sages approuvant cette idée heureuse d'en appeler directement aux corps
intéressés, idée que pourrait féconder la générosité, aimaient à concevoir
quelque espérance et faisaient des vœux pour le bonheur du pays ; mais ils
n'avaient pas plus de confiance dans la fermeté du roi que dans la moralité du
contrôleur général. A la
veille d'une assemblée dont les votés devaient être pour lui une question de
vie ou de mort, Calonne ne montrait aucun instinct de la situation réelle.
Charmé de n'avoir point rencontré d'obstacle près du trône, et comptant sur
l'appui des notables. il se croyait ministre pour longtemps encore et célébrait
d'avance son triomphe assuré en se livrant à toutes sortes de plaisirs avec
une ardeur nouvelle. Le jour fixé pour la réunion approchait. ; le contrôleur
général n'avait pas achevé les divers mémoires qu'il avait commencés en vue
des réformes projetées : il voulut réparer, par des veilles et un travail
forcé, cette coupable négligence et cet oubli (les devoirs de sa charge. Mais
il tomba malade et la séance d'ouverture fut renvoyée au 7 février, ensuite
au 14, enfin au 22. Pendant ces délais il ne chercha point à s'emparer de
l'esprit des notables dont plusieurs étaient arrivés à Paris avec des vues
conciliantes, et l'opposition eut le loisir de se reconnaître et de
s'organiser au milieu de quelques sociétés hostiles. Les membres du clergé, à
la tête desquels était l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, prélat sans
vertus, sans capacité politique, d'un caractère ambitieux et souple, et qui
visait depuis longtemps au ministère formèrent une petite assemblée
permanente, et une redoutable coalition contre l'aveugle Calonne. Avec eux
s'entendirent en majorité les magistrats des parlements de province,
entraînés par les orateurs du parlement de Paris. Moins instruits, moins
propres, par leur genre de vie, à traiter les affaires d'administration que
les magistrats ou les évêques, et d'ailleurs dépourvus de tout esprit de
corps, les gentilshommes ne se livrèrent point à la cabale et aux intrigues[8]. Au
milieu d'une situation devenue si menaçante, la mort du comte de Vergennes (13 février
1787), fut une
nouvelle cause d'affaiblissement pour ce gouvernement qui penchait vers
l'abîme. Homme sage, éclairé et d'un caractère circonspect, Vergennes aimait
sa patrie et son roi. Il avait succombé au mal de la situation que son esprit
froid avait jugée. Louis XVI regretta sincèrement ce ministre, le seul qui
eût su lui inspirer quelque persévérance de volonté, et qui, sans génie
transcendant, avait rendu à la France une considération dont elle avait été
privée dans le dix-huitième siècle. On rapporte qu'il voulut visiter le
tombeau de son ami, qu'à sa vue il sentit son âme brisée par le découragement
et s'écria : « Que ne suis-je couché à côté de vous ![9] » Armand-Marc, comte de
Montmorin Saint-Herem, que le roi connaissait dès l'enfance, remplaça
Vergennes. Mais ce nouveau ministre, libéral, ami de Necker, sincèrement
dévoué à Louis XVI et à la France, était complètement étranger aux affaires. Enfin
l'assemblée des notables s'ouvrit dans l'hôtel des Menus à Versailles, vers
onze heures du matin, avec le cérémonial des vieilles traditions. Le roi
accompagné des princes du sang alla se placer sur son trône, sous un dais
violet parsemé de fleurs de lis ; les princes se placèrent sur des pliants à
droite et à gauche, selon leurs rangs. Après s'être assis, le roi prononça le
discours suivant, discours fort simple et qu'il avait rédigé lui-même : «
Messieurs, je vous ai choisis dans les différents ordres de l'État, et je
vous ai rassemblés autour de moi pour vous faire part de mes projets. C'est
ainsi qu'en ont usé plusieurs de mes prédécesseurs et notamment le chef de ma
branche, dont le nom est resté cher à tous les Français, et dont je me ferai
gloire de suivre toujours les exemples. » « Les
projets qui vous seront communiqués de ma part sont grands et importants.
D'une part, améliorer les revenus de l'État et assurer leur libération
entière par une répartition plus égale des impositions ; de l'autre, libérer
le commerce des entraves qui en gênent la circulation, et soulager, autant
que les circonstances le permettent, la partie la plus indigente de mes
sujets ; telles sont, messieurs, les vues dont je suis occupé et auxquelles
je me suis fixé après le plus mûr examen. Comme elles tendent toutes au bien,
et connaissant le zèle pour mon service, dont vous êtes tous animés, je n'ai
point craint de vous consulter sur leur exécution ; j'entendrai et
j'examinerai attentivement les observations dont vous les croirez
susceptibles. « Je
compte que vos avis, conspirant tous au même but, s'accorderont facilement,
et qu'aucun intérêt particulier ne s'élèvera contre l'intérêt général. » Le
garde des sceaux, Miromesnil, débita une harangue assez emphatique et fort
insignifiante, un appel au concours des notables. Calonne
que n'avait pas abandonné un instant sa folle et bruyante sécurité, s'était
réjoui d'avoir à déployer en présence d'une réunion si brillante la gracieuse
facilité de son élocution. Il prononça-sans aucun embarras et de la façon la
plus élégante, un discours spirituel et maladroit, qui dès les premiers mots,
blessa l'auditoire. «
Messieurs, ce qui m'est ordonné en ce moment, m'honore d'autant plus, que les
vues dont le roi me charge de vous présenter l'ensemble et les motifs, lui
sont devenues entièrement personnelles... » C'était annoncer clairement aux
notables qu'ils allaient entendre les volontés du monarque, et fermer en
quelque sorte la discussion d'avance. Le
contrôleur général traça ensuite un sombre tableau de la situation oh il
avait trouvé les finances en 1783, et fit un panégyrique triomphal des
heureux résultats de son administration. Il poussa l'audace jusqu'à se donner
toutes les gloires, même celle de l'économie ; seulement ce n'était pas cette
économie qui, frappant tous les yeux par des dehors sévères, s'annonce par
des refus éclatants et durement prononcés, à la façon de M. Necker, qu'il
désignait suffisamment sans le nommer ; c'était l'économie, qui tient au
devoir plutôt qu'au caractère, et fait plus que l'autre en se montrant moins
« stricte et réservée pour tout ce qui est de quelque importance, elle
n'affecte pas l'austérité pour ce qui n'en a aucune : elle laisse parler de
ce qu'elle accorde, et ne parle pas de ce qu'elle épargne. Parce qu'on la
voit accessible aux demandes, on ne veut pas croire qu'elle en rejette la
plus grande partie ; parce qu'elle tache d'adoucir l'amertume des refus, on
la juge incapable de refuser ; parce qu'elle n'a pas l'utile et commode
réputation d'inflexibilité, on lui refuse celle d'une sage retenue ; et
souvent, tandis que, par une application assidue à tous les détails d'une
même gestion, elle préserve les finances des abus les plus funestes et des
impérities les plus ruineuses, elle semble se calomnier elle-même par un
extérieur de facilité que l'envie de nuire a bientôt transformé en profusion.
» De ce
point de vue si satisfaisant il fallait passer l'aveu de la pénurie du
trésor. Calonne dit qu'à aucune époque antérieure le déficit n'avait cessé
d'exister, qu'il était de quarante millions en 1774, de trente-sept en 1776,
à l'entrée de M. Necker aux finances, qu'il s'était accru jusqu'au mois de
mai 1781 par les emprunts pour la guerre d'Amérique. Enfin il ajouta en
donnant un imprudent démenti au compte rendu, que ce déficit s'était trouvé
de quatre-vingts millions à la fin de 1783, indépendamment d'une dette
flottante de 600 millions, et qu'il avait encore augmenté depuis, mais sans
dire de quelle somme. Cette réticence conforme à son opinion annonçait assez
clairement à ses auditeurs qu'il ne voulait point leur permettre de mesurer
la profondeur de l'abîme creusé par ses folles prodigalités. « Il est
impossible, continua-t-il, de laisser l'État dans le danger sans cesse
imminent auquel l'expose un déficit tel que celui qui existe ; impossible de
continuer de recourir chaque année à des palliatifs et à des expédients qui,
en retardant la crise, ne pourraient que la rendre plus funeste. On ne peut
pas toujours emprunter ; on ne peut pas imposer plus ; on ne peut pas
anticiper davantage ; économiser ne suffirait pas. Que reste-t-il donc pour
combler un vide effrayant et faire trouver le niveau désiré ? Que reste-t-il
qui puisse suppléer à tout ce qui manque, et procurer tout ce qu'il faudrait
pour la restauration des finances ? « Les
abus ! « Oui,
Messieurs ; c'est dans les abus mêmes que se trouve un fonds de richesses que
l'État a droit de réclamer et qui doivent servir à rétablir l'ordre. C'est
dans la proscription des abus que réside le seul moyen de subvenir à tous les
besoins. C'est du sein même du désordre que doit jaillir une source féconde
qui fertilisera toutes les parties de la monarchie. Les abus ont pour
défenseurs l'intérêt, le crédit, la fortune et d'antiques préjugés que le
temps semble avoir respectés ; mais que peut leur vaine confédération contre
le bien public et la nécessité de l'État ? Le plus grand de tous les abus
serait de n'attaquer que ceux de moindre importance, ceux qui n'intéressant
que les faibles n'opposent qu'une faible résistance, mais dont la réformation
ne peut produire une ressource salutaire. Les abus qu'il s'agit aujourd'hui
d'anéantir pour le salut public, ce sont les plus considérables, les plus
protégés, ceux qui ont les racines les plus profondes et les branches les
plus étendues... Tels sont ceux qui pèsent sur la classe productive et
laborieuse ; les abus des privilèges pécuniaires, les exceptions à la loi
commune, et tant d'exemptions injustes qui ne peuvent affranchir une partie
des contribuables qu'en aggravant le sort des autres. » Le
contrôleur général termina sa harangue en annonçant l'établissement
d'assemblées de trois degrés, chargées de répartir les charges publiques dans
les provinces qui n'avaient pas d'états provinciaux ; le remplacement des
vingtièmes, que ne payait pas le clergé, par un impôt territorial comprenant
les biens ecclésiastiques, et qui devait produire quatre-vingts millions, la
suppression de la capitation pour les membres des premiers ordres et les
divers autres projets d'améliorations qui seraient communiqués aux notables. Ce
discours ne produisit point sur les notables l'impression qu'en attendait
Calonne : il effraya les hommes du passé et mécontenta les partisans du
progrès. Son audacieuse forfanterie, ses traits énigmatiques, ses aveux
forcés et incomplets en présence d'une assemblée occupée de graves intérêts,
avaient blessé les plus conciliants. Le soir même, cette séance fut le sujet
de toutes les conversations à Versailles et dans Paris, et le discours de
Calonne occupa vivement l'attention publique sans toutefois lui imposer.
Mille choses la flattaient dans la perspective que lui offrait cette parodie
de Turgot. « Voilà de beaux plans, disait-on, mais qu'un autre les exécute.
Nulle garantie avec un ministre prodigue. » On regrettait Necker, et les
nombreux partisans de cet ancien ministre, qui avait encore ajouté à
l'enthousiasme de ses admirateurs, par son ouvrage sur l'administration des
finances, publié en 1784, se montrèrent indignés du démenti qu'il venait de
recevoir. Bientôt on poussa la plaisanterie jusqu' à dire que Pitt, après la
lecture du discours de Calonne, avait demandé à l'ambassadeur de France, si
c'était un pamphlet des ennemis du contrôleur général. Le
lendemain (23 février),
dans une seconde séance présidée par Monsieur, les notables
discutèrent avec calme le premier objet soumis à leurs délibérations, celui
des assemblées provinciales[10]. Ils se montrèrent en général
favorables à cette institution, et moins bien disposés pour les assemblées de
paroisses et de districts. Le projet du gouvernement accordait la présidence
dans les premières aux plus âgés, et dans les deux autres, aux plus imposés.
Les notables demandèrent que les présidents fussent exclusivement choisis
dans les ordres privilégiés. Ils applaudirent à la mesure de ne point séparer
les ordres et (le compter les votes par tête, et offrirent que les représentants
du tiers—état égalassent en nombre ceux de la noblesse et du clergé réunis.
Les bureaux de Monsieur et du comte d'Artois surpassèrent les autres en
libéralité ; ils pensèrent même que, pour balancer l'influence trop forte des
ordres privilégiés, on ne devait leur accorder que le tiers des voix. Un tel
commencement semblait promettre d'heureux résultats ; mais la question de la
subvention territoriale bannit le calme de l'assemblée. Une minorité
généreuse, décidée à seconder par ses sacrifices les intentions du roi, se
déclara hautement contre les privilèges : par crainte de l'opinion publique,
la majorité n'osa les soutenir ouvertement, mais tout en avouant le principe
de l'égale répartition de l'impôt, elle désirait en éluder l'application.
Dans l'impossibilité de se défendre, elle résolut d'attaquer. Après avoir
entraîné la minorité pour repousser, avec un sentiment intraitable, l'idée
qu'avait émise Calonne, de percevoir en nature la subvention territoriale,
elle demanda les états de recette et de dépense. Elle croyait avec raison
qu'on ne devait pas voter un nouvel impôt, sans les connaître exactement.
C'était un moyen de ruiner le projet du ministre et de le renverser lui-même.
Les partisans du progrès ne laissèrent point tomber cette demande, et tous
les bureaux ne tardèrent pas à réclamer la communication des états de
finance. L'ainé des frères du roi poussa des premiers à cette réclamation ;
il se montrait hostile Calonne, et c'était de son bureau que partaient les
traits les plus envenimés contre le ministre. Calonne,
qui craignait de se voir ainsi mettre en cause, refusa la communication
demandée. « Le roi, disait-il, a réuni les notables pour les consulter sur
les meilleurs moyens de subvenir aux besoins de l'État, mais non pour prendre
connaissance de l'étendue de ces besoins suffisamment constatés dans ses
conseils. » C'était vrai ; mais les plus animés excitèrent leurs collègues et
les bureaux persistèrent. Le contrôleur général, dont les adversaires les
plus dangereux se trouvaient dans le clergé, voulut avoir une conférence avec
l'archevêque de Toulouse et quelques autres prélats influents, les
archevêques de Narbonne, d'Aix, de Bordeaux et de Reims. Il y déploya toutes
ses souplesses pour fléchir leur opposition ; il les conjura d'oublier le
ministre et de ne voir que la France. « Tenez, monseigneur, dit-il à M. de
Brienne, accordez-moi une trêve pour tout le temps de l'assemblée des
notables. Ne soyons qu'au roi et à l'État. Il n'y a personne ici qui ne doive
frémir si cette opération échoue. C'est une dernière ressource. J'ai dit et
répété au roi qu'elle devait sauver l'État, maïs qu'elle pouvait le perdre ;
qu'il fallait ou ne pas entreprendre, ou exécuter. Le roi est encore ferme.
On peut l'ébranler : on mettra tout en combustion. Faisons un marché vous et
moi ; soutenez mon opération, et ensuite prenez ma place[11]. » Mais Calonne s'adressait à
des hommes impatients de le renverser, et d'ailleurs il avait perdu de sa
force en perdant la moralité du caractère. Le prélat répondit par des
sourires à ce grand citoyen de situation. Mais l'archevêque de Narbonne, M.
de Dillon, avec plus de franchise dit au ministre : « Vous voulez donc
la guerre ? Eh bien ! vous l'aurez. Nous vous la ferons bonne, mais franche
et ouverte. Au moins vous vous présentez -aux coups de bonne grâce. » —
Monseigneur, répondit Colonne, en regardant encore l'archevêque de Toulouse,
je suis si las de ceux qu'on me porte par derrière, que j'ai résolu de les
provoquer de front. » Le clergé tint parole. Tous les soirs, il se rassembla chez
M. de Dillon, y délibéra et arrêta ses décisions du lendemain[12]. Dans
l'espoir d'être entendu avec plus de succès au milieu d'un comité nombreux,
Calonne fit indiquer par le roi, chez Monsieur le 2 mars, une réunion
de. Quarante-deux membres de l'assemblée, six de chaque bureau. Il y montra
la plus grande présence d'esprit, unie à une rare facilité d'élocution et
justifia tout ce que Mirabeau, connaisseur profond dans l'art de séduire les
hommes, avait pu dire de lui, même en l'accusant[13] ; mais la réputation
d'intégrité, si nécessaire à l'homme d'État, manquait au contrôleur général,
et ses paroles n'inspirèrent point la confiance. Le comité ne prit en
considération aucun (les bordereaux de recettes et de dépenses qu'il avait
apportés et n'accepta aucun de ses comptes. Aux vives interpellations qui lui
furent adressées sur le Compte-rendu en 1781 et sur le déficit, il répondit
que le compte effectif de 1781 présentait un déficit de 64 millions, et avoua
que, depuis, il était arrivé à cent millions, auxquels il faudrait en ajouter
12 afin de parer aux besoins imprévus. Sur les affirmations du ministre,
l'archevêque de Bordeaux, M. de Cicé, déclara que la confiance et le crédit
ne pourraient renaître qu'autant qu'une vérification exacte apprendrait à la
France si c'était Necker ou Calonne qui avait trompé le roi, et qu'après que
bonne justice aurait été faite de l'administrateur coupable. Calonne, dans la
discussion, ayant avancé que le roi avait le droit d'imposer à volonté, et
que ce principe ne serait certainement contesté par atteinte des personnes
présentes, des murmures s'élevèrent de plusieurs parties de l'assemblée :
l'archevêque de Narbonne, protesta énergiquement, et dit : « l'impôt
soit dans sa quotité, soit dans sa durée, doit avoir la même borne que le
besoin public qui le fait établir, et qui seul le justifie. » L'archevêque
d'Arles, Milan, aussi imposant par son caractère que par sa vaste érudition,
mit en doute si toute autre assemblée que les états-généraux avait le droit
de voter une nouvelle surcharge d'impôts[14]. Malgré
son esprit et son talent de discussion, le contrôleur général ne se fit aucun
partisan, et cet échec fut une expiation de sa conduite. La réunion repoussa
la subvention territoriale et réclama avec plus de force que jamais le dépôt
des états des finances. Pour
sortir victorieux de cette lutte, Calonne eut recours à l'autorité royale.
Louis XVI fit annoncer aux notables qu'ils avaient 'a délibérer, non sur le
fond, chose décidée, mais sur la forme de l'impôt. Les bureaux répondirent
que, s'il était impossible de se dispenser d'établir l'impôt, sa perception
en argent leur paraîtrait moins onéreuse que celle en nature. Ils
renouvelèrent leur demande pour obtenir la communication des recettes et
dépenses. Protestant ensuite contre le régime uniforme, annoncé par le
ministre, ils prièrent le roi de maintenir dans leur intégrité les droits et
privilèges des provinces et des divers corps. Le mot, d'états—généraux
prononcé par les archevêques d'Arles et de Narbonne et par le marquis de La
Fayette ne fut point oublié, et quelques membres ne cessèrent de s'opposer à
l'impôt territorial par ce motif que tout autre assemblée n'avait pas le
droit de le voter. Ainsi dans le bureau que présidait le comte d'Artois, le
procureur du parlement d'Aix, Castillon, ayant été rappelé au sujet de la
délibération : « Votre Altesse, reprit ce magistrat, me permettra de lui dire
qu'il n'existe aucune autorité qui puisse admettre l'impôt territorial tel
qu'il est proposé, ni cette assemblée quelque auguste qu'elle soit, ni les
parlements, ni les états particuliers, ni même le roi : les états-généraux
seuls auraient ce pouvoir. » Le
public soutenait, excitait les notables que la résistance rendait populaires.
Une foule d'hommes passionnés poursuivant avec ardeur la chute du ministre,
ne s'occupaient plus de l'utilité des réformes et fermaient les yeux sur les
périls de la monarchie. Déjà les pamphlétaires avaient déclaré une guerre
impitoyable à Calonne, et menaçaient de ridicule les notables qui
déserteraient les rangs de l'opposition. Cependant
Loménie de Brienne, qui se ménageait des appuis partout, s'élevait dans la
résistance. Ce prélat ambitieux.et intrigant travaillait activement à
parvenir au ministère par l'entremise de l'abbé de Vermond et par l'influence
de l'ambassadeur d'Autriche, le comte de Mercy,-auquel il avait persuadé
depuis longtemps, qu'une fois ministre, il serait un ferme soutien du traité
de 1756. L'abbé et le comte se contentèrent d'entretenir la reine dans
l'opinion que l'archevêque était un homme (le beaucoup d'esprit, d'une grande
capacité et qu'un jour il serait un excellent ministre. Obsédée par leurs
insinuations, Marie-Antoinette avait fini par concevoir une haute opinion de
M. de Brienne, et sur les instances de l'ambassadeur elle avait parlé au roi
en faveur (le son protégé. Mais Louis XVI, bien loin d'obéir au désir de la
reine, fixa son choix sur le comte (le Vergennes et la reine ne chercha point
à détourner sa confiance de ce ministre. Elle n'eut même pas l'idée
d'insister davantage auprès du roi[15]. Contrariés mais non rebutés
par la nomination de Vergennes, l'abbé de Vermond et le comte de Mercy firent
encore de temps à autre de nouvelles tentatives, sans pouvoir obtenir de
Marie-Antoinette de revenir à la charge près de Louis XVI, quoiqu'elle
conservât sa bonne opinion de l'archevêque. Celui-ci devait pourtant réussir,
mais par des circonstances absolument étrangères à la reine. Un
autre antagoniste, Necker, remplissait tous les esprits, et ses partisans,
dont les plus distingués se réunissaient chez la princesse de Beauvau, sa
grande amie, ne désespéraient pas, malgré la répugnance de Louis XVI pour cet
ancien ministre, de le voir remplacer le contrôleur général. Au moment où
devait s'ouvrir l'assemblée des notables, Necker pria Calonne de n'altérer en
rien la confiance due au Compte-rendu. Celui-ci répondit par un jeu de mots
évasif, et de son discours il résultait que ce compte était faux. Necker
demanda au roi la permission d'en débattre la véracité contre son accusateur,
par devant les notables. Sur le refus de Louis XVI, il prépara un mémoire
apologétique, et, en attendant, il remit des notes à plusieurs des membres
les plus influents de l'assemblée. Dès ce moment il travailla ouvertement à
la chute de Calonne, s'efforça de redevenir ministre et rechercha la
protection de M. de Brienne qui avait promis à ses amis de le rappeler aux
finances[16]. Placé
entre ces deux concurrents, Calonne voyait chaque jour les obstacles
s'accroître. Les évêques sur-atout le harcelaient, parmi les notables. En
voulant soumettre les ecclésiastiques à l'impôt, le contrôleur général avait
mal combiné les moyens de payer les dettes que le gouvernement leur
permettait de contracter pour les dons gratuits. Les évêques répondirent par une
censure dont tous les bureaux admirent la justice. L'hostilité s'y dessinait
avec un tel caractère, qu'un projet très utile, celui qui diminuait la
taille, reçut un froid accueil. Cependant tous les bureaux votèrent la
liberté du commerce des grains et l'abolition de la corvée. Le plan
du contrôleur général était divisé en quatre parties, dont les projets que
nous avons déjà parcourus, composaient la première. L'opposition positive et
animée des notables laissait peu d'espoir d'atteindre le but. Mais Calonne,
inquiet sans être découragé, toujours aimable et spirituel, toujours prompt à
se faire illusion, résolut de répondre à ses adversaires dans une assemblée
générale convoquée pour le 12 mars, et de faire cesser les rumeurs du public
qui présageait sa chute, en persuadant aux notables qu'il y avait sympathie
entre leurs idées et les siennes. Il présenta donc la seconde partie de son
plan, sur la liberté de la circulation" intérieure, les droits relatifs
au commerce, la gabelle, etc. Supprimer les douanes intérieures, c'était
répondre, comme il le dit noblement, aux états-généraux de 1614, et accomplir
une réforme désirée par le grand Colbert qui n'avait pu la mener à terme.
Calonne paraissant ensuite convaincu que l'ensemble de son système était
adopté et que la discussion ne roulait plus que sur des détails : « Sa
Majesté, ajouta-t-il, a vu avec satisfaction qu'en général vos sentiments
s'accordent avec ses principes... que les objections qui vous ont frappés...
sont principalement relatives aux formes... » Cette
assertion, ces témoignages d'une reconnaissance suspecte, dans lesquels les
notables ne peuvent s'empêcher de voir un vif empressement de les congédier,
excitent des murmures. L'archevêque de Narbonne demande que l'assemblée
supplie le roi d'ordonner au contrôleur général d'envoyer son discours dans
chaque bureau, afin que tout ce qu'il contient d'inexact soit réfuté à
l'instant même. Tous les bureaux s'empressent d'accepter cette proposition. Monsieur
déclare « qu'il n'est ni honnête ni décent de faire dire aux notables ce
qu'ils n'ont pas dit. » Malgré les efforts du prince de Conti qui n'avait
point hérité du goût de son père pour l'opposition, son bureau soutient que
le monarque est trompé et qu'il faut éclairer sa religion surprise. Le
discours de Calonne est envoyé à l'assemblée, et plusieurs membres, après
l'avoir lu, avouent qu'ils le trouvent moins offensif qu'ils l'ont cru
d'abord ; mais d'autres gardent leur animosité, et une réclamation des plus
vives est insérée au procès-verbal. La
seconde partie du plan de Calonne n'obtient pas plus de succès que la
première ; elle est bientôt mise en pièces. La suppression des douanes
intérieures, de ces barrières si nuisibles au commerce, paraît une réforme
trop hardie, et les modifications apportées dans le régime de la gabelle sont
trop timides. L'aîné des frères du roi demande l'abolition entière du plus
odieux des impôts et qu'on remplace l'infernale machine de la gabelle par une
simple taxe. La Fayette émet le vœu que, par la loi qui abrogera la gabelle,
le roi ordonne la mise en liberté de tous les malheureux que la contrebande
en matière de gabelle a jetés dans les prisons ou aux galères. Enfin quelques-uns
des notables dirigent des attaques personnelles contre le contrôleur général,
pour les scandaleux échanges ou achats de domaines dans lesquels ils
l'accusent d'avoir sacrifié l'intérêt de l'État. En
dépit de toutes ces attaques, Calonne gardait encore au dehors son
imperturbable assurance. Le 26 mars, il lut dans une nouvelle assemblée
générale, la troisième division de son travail, relative au domaine du roi et
à la réforme de l'administration des eaux et forêts. Avant la discussion, il
était convenu que toute proposition serait rejetée. Ni la sagesse des idées
que le contrôleur général exprima, ni les dispositions bienveillantes de
quelques hommes impartiaux, ni les efforts des ducs de Nivernais et du
Châtelet, dont la conduite fut dictée par un grand désintéressement et des
sentiments patriotiques, ne purent triompher de l'opposition systématique des
notables[17]. C'était un parti arrêté de
renverser le ministre. Aussi Calonne voyant l'orage grossir et s'avancer,
engagea–t–il une lutte audacieuse avec ses ennemis. Le lendemain, il lança
dans le public les Mémoires imprimés dont se composaient les deux premières
parties de son travail, et précédés (l'un avertissement, où il annonçait que
le temps était enfin arrivé d'instruire le peuple du bien que le roi voulait
lui faire et de dissiper les inquiétudes qu'on s'efforçait de lui inspirer. «
Il n'est pas question de nouvel impôt, disait–il, mais de la suppression
d'injustes exemptions, de l'emploi de moyens qui tendent tous à l'allégement
des contribuables les moins aisés. — On paiera plus, sans doute, mais qui ? —
Ceux–là seulement qui ne payaient pas assez ; ils paieront ce qu'ils doivent,
suivant une juste proportion, et personne ne sera grevé. » Des privilèges
seront sacrifiés !... « Oui, la justice le veut, le besoin l'exige.
Vaudrait–il mieux surcharger les non-privilégiés, le peuple ? » En même
temps, Calonne accusait les notables avec plus de malignité que d'adresse, en
affectant de les défendre. « Ce serait à tort que des observations
dictées par le zèle, les expressions d'une noble franchise, feraient naître
l'idée d'une opposition malévole. » Cette espèce d'appel au peuple, au
tiers-état contre les notables, rédigé par le célèbre avocat Gerbier, que son
talent ne rendait pas étranger à l'intrigue, fut répandu à profusion dans les
provinces, et envoyé à tous les curés pour le propager dans les paroisses. Il n'y
avait rien eu de si grave jusqu'alors que cet appel désespéré d'un organe de
la couronne à l'opinion publique contre les classes privilégiées. Les
notables poussèrent un cri de colère et prirent des arrêtés pour se plaindre
du Mémoire séditieux du contrôleur général ; les membres du bureau que
présidait le prince de Conti « se signalèrent par l'énergie de leur arrêté, »
et pour leur faire honneur on les appela les grenadiers de Conti[18]. » Le roi répondit que le
ministre n'avait rien fait imprimer que par ses ordres et autorisa les
notables à publier leurs délibérations. Du reste, toujours inconséquent, il
soutenait mal Calonne décidé à déployer une grande vigueur. Il souriait à
ceux des notables qui l'abordaient : Vous me prouvez votre zèle, leur
disait-il, en me faisant connaître la vérité dans toute son étendue. Le baron
de Breteuil et Miromesnil, deux de ses ministres, entretenaient la
fermentation. Louis
XVI gardait cependant un ressentiment très-vif de l'opposition des notables.
Marie-Antoinette elle-même, bien que mécontente de Calonne qui lui avait
caché son projet, se montrait indignée d'une résistance si opiniâtre aux
volontés du roi. A cette époque, elle pensa avec son auguste époux « que
Calonne avait raison de vouloir tirer parti, contre les premiers ordres, de
ce tiers-état silencieux et docile, qui semblait ne pouvoir jamais devenir
redoutable à la cour[19]. » Mais la
cour se réunit bientôt à l'assemblée pour renverser le contrôleur général :
la reine entra dans la ligue sous l'influence de l'abbé de Vermond dévoué aux
intérêts de l'archevêque de Toulouse. Cet abbé, ainsi que nous l'avons dit,
avait dû à la protection du prélat l'honorable fonction d'instituteur de
Marie-Antoinette avant son mariage, rôle important de confident et de
conseiller unique[20]. Calonne n'avait plus guère
d'alliés que le comte d'Artois, et les Polignac jouissant alors de la plus
haute faveur à la cour, qui le soutenaient encore de leur influence.
L'opinion publique ne répondait point à son appel universellement décrié.
Quoique satisfaite de le voir ainsi briser toutes les barrières, elle
applaudissait à la lutte de l'assemblée contre le ministre dilapidateur. Les
Parisiens surtout appuyaient les notables auxquels ils étaient redevables
d'une liberté de penser qui donnait aux salons et aux clubs, une physionomie
toute nouvelle. On y dénonçait tous les actes de l'administration du
contrôleur général. Sans se souvenir de la guerre d'Amérique, on lui imputait
le déficit tout entier. Au lieu d'accorder à sa franchise la part d'éloges
qu'elle méritait, on prétendait qu'il avait dissimulé l'excès du mal avec une
infidélité coupable, et que le déficit, loin d'être, comme il l'annonçait, de
cent douze millions, devait s'élever à cent quarante ou même à cent soixante-dix.
Les femmes paraissaient, encore plus que les hommes, acharnées contre le
ministre, et souvent elles disaient qu'il fallait lui faire son procès.
Cependant, l'agitation ne régnait encore que dans une faible partie de la
société ; la masse de la nation demeurait dans un état d'apathie qui
ressemblait assez au calme précurseur des plus violents orages. Les
pamphlets continuaient de pleuvoir sur Calonne, et déjà beaucoup répétaient
ce mot redoutable d'états-généraux, prononcé dans quelques bureaux des
notables. Le paradoxal Linguet, jadis infatigable panégyriste du pur
despotisme, invoque l'assemblée des trois états. Irrité d'avoir sollicité en
vain du ministre une pension pour récompense de ses travaux littéraires,
Carra dit aux notables dans une brochure véhémente qu'il leur adresse : «
C'est outrager la nation que de lui proposer, en l'absence des états-généraux,
qui tiennent à sa constitution, de consentir à refondre cette constitution en
assemblées provinciales, dont la véritable qualité serait celle de caisses
d'emprunt au gré du contrôleur général. » Au
milieu de cette lutte que les intrigues et les passions rendaient chaque jour
plus ardente, Calonne s'avisa d'avancer que Necker n'avait pas laissé au
trésor, comme il le prétendait, une somme suffisante pour achever les
paiements de 1781 et pour commencer ceux de l'année suivante. Il pouvait se
défendre avec assez d'avantage sur le terrain du Compte-rendu, mais il
lui était difficile de justifier sa conduite dans cette circonstance. Aussi le
successeur de Necker, Joly de Fleury, interrogé sur ce point, déclara-t-il
par écrit que Necker avait dit la vérité. Le garde des sceaux, Miromesnil,
qui conspirait avec tous les ennemis du contrôleur général, afin d'aggraver
sa détresse, mit la lettre de Fleury sous les yeux du roi. Questionné avec
sévérité par Louis XVI, sur ce nouveau démêlé, Calonne essaya d'abord de
mentir en répondant d'une manière évasive, puis il récrimina habilement
contre les intrigues auxquelles l'exposait son dévouement à servir les
projets de son souverain. Enfin il imputa l'opposition des notables aux
cabales de Miromesnil, et supplia le roi d'accepter sa démission onde
renvoyer le garde des sceaux. Raffermi sur l'assurance du contrôleur général,
Louis XVI tourna sa mauvaise humeur contre Miromesnil et le remplaça par un
cousin de Malesherbes, M. de Lamoignon, président au parlement de Paris (8 Avril). Ce magistrat s'était créé des
relations dans la société de la duchesse de Polignac, gouvernante des enfants
de France ; il avait des entrevues avec Calonne et s'était engagé d'honneur
avec lui à briser la résistance des parlements. Enivré
de ce succès, le contrôleur général voulut aussi faire congédier le baron de
Breteuil, ministre de la maison du roi et le protégé de Marie-Antoinette.
Louis XVI, qui voulait de l'accord dans le ministère, consentit à ce nouveau
sacrifice, mais il voulut prévenir la reine. Dès qu'elle fut instruite de ce
qui se passait, Marie-Antoinette ne put dissimuler son mécontentement et sa
douleur ; elle éclata et s'écria que ce n'était pas Breteuil, serviteur
fidèle et rempli de dévouement, qu'il fallait renvoyer, mais Calonne,
universellement détesté, qui avait compromis l'autorité royale par la
convocation des notables, et qui maintenant ne pouvait ni les contenir ni les
rallier. Ses prières, ses larmes et son ascendant triomphèrent de la
faiblesse du monarque. Louis XVI chargea le baron de Breteuil de porter à
Calonne sa destitution et crut montrer assez de volonté en maintenant
Lamoignon (9 avril). Calonne
succombait quoiqu'il eût admirablement jugé la situation, mais il succombait
parce qu'il n'avait pas la probité dont la force est si puissante dans un
ministre. Ses plans ne disparurent pas avec lui ; il n'était plus possible de
retourner en arrière. Quelques-uns des notables avaient fait entendre à Louis
XVI que, des projets de Calonne, il n'y avait à supprimer que Calonne, dont
la renommée repoussait toute confiance. Mais il s'agissait de savoir qui
mettrait ces projets à exécution. Il y avait deux candidats sérieux : Loménie
de Brienne, présenté comme l'homme le plus capable de rétablir les affaires,
et Necker, encore populaire, malgré les coups récents que le comte de
Mirabeau avait dirigés contre son système d'emprunts. Louis XVI n'aimait ni
l'un ni l'autre. Quoiqu'il eût consenti à recevoir des lettres secrètes de
l'archevêque de Toulouse sur ce qui se passait parmi les notables et dans le
public, on n'osait pas lui proposer brusquement ce prélat. Dans la crainte de
hasarder le succès, l'abbé de Vermond et ceux de son parti pensèrent que,
tout en préparant avec précaution la place à Brienne, il fallait pousser
provisoirement au contrôle général un homme sans ambition et sans
conséquence. Sur le refus de La Minière, administrateur (les ponts et
chaussées, ils désignèrent un vieux conseiller d'État, M. de Fourqueux, « usé
par l'âge, et qui n'avait aucun des talents nécessaires, sur tout dans un
temps aussi critique[21]. » Le nouveau ministre (les
affaires étrangères, Montmorin, chargé de le déterminer à accepter, tenta un
faible effort en faveur de Necker, mais il échoua. Par conscience de son
incapacité, Fourqueux opposa d'abord un refus au vœu de la cour, et ne céda
qu'aux instances des partisans de l'archevêque. « C'était, dit Sénac de
Meilhan, envoyer un cheval de fiacre disputer le prix à Newmarket. » Comme
l'ancien ministre continua pendant quelques jours encore de travailler au
contrôle général, pour achever quelques mémoires, le bruit se répandit que sa
disgrâce n'était pas réelle et qu'il ne cesserait pas (le diriger
l'administration. Louis XVI aurait peut-être donné raison à ce bruit, s'il
n'avait acquis tout à coup la preuve d'opérations de bourse que Calonne avait
faites, sans y être autorisé. Cette espèce d'infidélité donna au roi la force
de l'exiler dans sa terre de Berny, et quelques jours plus tard en Lorraine,
après lui avoir retiré le cordon du Saint-Esprit. Le jour même du renvoi de
Calonne, Necker publia, malgré une improbation indirecte du roi son mémoire
apologétique, travail dénué de preuves et qui ne pouvait convaincre que des
esprits superficiels ou prévenus. Ses admirateurs n'en regardèrent pas moins
tous ses aperçus comme des faits avérés, et leurs bruyants éloges causèrent
de cruelles inquiétudes à Brienne. On profita de sa désobéissance pour
exciter la colère de Louis XVI qui l'exila à vingt lieues de Paris. Le 23
avril, le roi se rendit à l'assemblée où fut remise la quatrième partie du
travail de l'ex-contrôleur général. Il annonça une économie de quinze
millions et une extension du droit de timbre, pour contribuer, avec l'impôt
territorial, à combler le déficit. Louis XVI promettait aux notables
d'écouter les représentations du clergé sur son administration, leur
accordait la préséance pour les ordres privilégiés dans les assemblées
provinciales, et la communication des états de recettes et de dépenses, tant
réclamés. Les notables exprimèrent leur reconnaissance, sans montrer plus de
bonne volonté, et parurent peu disposés à accueillir l'impôt du timbre dont
ils s'empressèrent de rechercher tous les inconvénients. Cependant la crise financière s'aggravait chaque jour ; toutes les affaires avaient cessé, et les partisans de Brienne exagéraient encore la détresse publique. Il était nécessaire de remettre le gouvernail à quelque forte main, de confier sans retard les finances à un homme capable de les administrer. L'abbé de Vermond, le comte de Mercy et leurs amis crurent que le moment de pousser leur protégé était venu. Ils proposèrent l'archevêque de Toulouse, dont la nomination, à les en croire, était généralement désirée par l'opinion publique ; mais ils ne purent vaincre la répugnance que ressentait Louis XVI pour cet ecclésiastique sans foi et sans vertus. Montmorin, secondé par le garde-des-sceaux Lamoignon, fit une nouvelle tentative pour décider le retour de Necker. Ébranlé par leurs instances, le roi allait plier : déjà il avait laissé échapper ces paroles : Eh bien ! il n'y a qu'à le rappeler, lorsque le baron de Breteuil, au lieu de prêter son appui aux deux ministres, insista en faveur de Brienne, vanta les talents et l'influence que ce prélat exerçait sur les notables, et Louis, afin d'échapper au premier choix proposé, consentit i prendre Brienne tout en laissant voir son mépris pour ce prélat. Il en instruisit alors la reine qui lui répondit : « J'ai toujours entendu parler de monseigneur de Brienne comme d'un homme très-distingué, et je le vois avec plaisir entrer au ministère. » Le roi tomba ensuite dans un profond découragement, résultat de la situation qui l'avait amené à choisir entre deux hommes qu'il eût voulu également repousser. L'archevêque de Toulouse entra donc comme par droit de conquête au ministère, avec le titre de chef du conseil des finances (1er mai 1787). Il fut entendu que le contrôleur général ne serait que son premier commis[22]. Cet avènement fut le triomphe de l'abbé de Vermond Suivant lequel dix-sept ans de patience n'étaient pas un terme trop long pour réussir dans une cour. Il avait enfin atteint le but qu'il s'était proposé pendant tout ce temps ; aussi cet abbé, qui recevait déjà des ministres et des évêques dans son bain, ne cachait-il plus, dans l'intérieur de la reine, et son crédit et son influence ; rien n'égala, depuis cette époque, la confiance avec laquelle il développa le genre de son ambition[23]. |
[1]
Benjamin Franklin, né à Boston en 1706 et dont nous avons indiqué le rôle
pacifique dans la guerre de l'indépendance américaine, se consacra à l'étude de
la science, non pour satisfaire un sentiment de vanité, mais pour instruire ses
compatriotes et les rendre meilleurs. Il exerça la plus grande influence sur le
peuple par la publication de son almanach du Bonhomme Richard et celle des
Proverbes du Vieil Henri. Les travaux de l'illustre Américain sur la nature de
l'électricité contenue au sein des nuages, sur la similitude de la foudre et du
fluide électrique, assez peu remarqués d'abord de la Société royale de Londres,
à laquelle il les adressa, furent accueillis en France avec le plus grand
empressement. L'humanité tout entière a profité d'une précieuse découverte de
Franklin, découverte dans laquelle le génie du savant physicien, toujours
dirigé vers les applications utiles, puisa l'invention des paratonnerres (1759)
destinés à préserver les édifices de la foudre.
[2]
Buffon publia de 1749 à 1788 les trente-six volumes de l'Histoire naturelle,
à laquelle il travailla jusqu'à sa mort, sans pouvoir la terminer. Correction
soutenue du style, majesté d'images, clarté continue, enchaînement dans les
idées, il n'est aucune des qualités d'un grand écrivain, dont cet ouvrage, un
des plus beaux monuments de notre littérature, n'offre le modèle.
[3]
Henri Martin, Histoire de France, L. XIX, p. 462.
[4]
« Toute l'Europe sait que M. Pitt proposa impérieusement au faible Vergennes ou
la guerre ou ce traité de commerce. » (Rivarol, Mémoires, p. 274, note).
[5]
Voici ce que Mirabeau écrit dans cette Correspondance à l'abbé de
Périgord : « Je regarde comme un des plus beaux jours de ma vie, celui où vous
m'apprenez la convocation des notables, qui sans doute précédera de peu celle
de l'Assemblée nationale. J'y vois un nouvel ordre de choses qui peut régénérer
la monarchie ; je me croirais mille fois honoré d'être le dernier secrétaire de
cette Assemblée dont j'ai eu le bonheur de donner l'idée, et qui a grand besoin
que vous lui apparteniez, ou plutôt que vous en deveniez l'âme. »
[6]
« Une figure où se peignait une âme atroce et où le génie étincelait, des
traits ignobles, profondément cicatrisés de petite vérole, et une stature de
portefaix formaient l'ensemble de l'extérieur de Mirabeau. Ses cheveux touffus
étaient frisés avec art, et dans toute sa parure régnait souvent l'affectation
d'un petit-maître, qui contrastait singulièrement avec sa grossière
constitution et la sombre ardeur de sa figure. Son génie était actif,
pénétrant, et avait particulièrement la faculté de saisir fortement les objets,
mais la dissipation et l'empire des passions ne lui permettaient de se
manifester que par élans. » (Sénat de Meilhan, Le Gouvernement, les mœurs et
les conditions en France avant la résolution, p. 268.)
[7]
Henri Martin, Histoire de France, t. XIX, p. 433.
[8]
« Quand M. de Calonne assembla les notables, il découvrit aux yeux du peuple ce
qu'il ne faut jamais lui révéler, le défaut de lumières plus encore que le
défaut d'argent. La nation ne put trouver, dans cette assemblée, un seul homme
d'État ; et le gouvernement perdit à jamais notre confiance. » (Rivarol, Mémoires,
p. 91.)
[9]
Soulavie, Mémoires du règne de Louis XVI, t. 6.
[10]
« Le plan de Calonne créait trois ordres d'assemblées dans chaque province :
l'assemblée provinciale, placée à côté de l'intendant et chargée non du vote,
mais de la répartition générale des impôts et d'une grande partie de
l'administration ; l'assemblée de district à côté du subdélégué, pour pourvoir
plus spécialement à la division de la taille entre les paroisses ; et
l'assemblée de la paroisse, véritable corps municipal, qui devait agir à côté
du syndic et des chefs de famille. » (Paul Boileau, État de la France en
1789, chap. p. 108 i vol. in-8°, Paris, 1861, Perrotin, Éditeur.)
[11]
Weber, Mémoires, t. IV, chap. II, p. 159.
[12]
Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 139.
[13]
Lettre de Mirabeau à Calonne, t. IV, p. 226 de ses Mémoires.
[14]
Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 161.
[15]
Ad. de Bacourt, Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la
Marck, Introduction, t. I, p. 48-49.
« J'ai même connu, et avec certitude, dit le comte de
la Marck, la réponse que le roi avait faite à la reine : il répondit qu'il ne
fallait appeler ni archevêque, ni évêque au ministère, parce que (lès qu'ils y
arrivaient, ils visaient au cardinalat, et qu'une fois parvenus à cette
dignité, ils élevaient dans le Conseil des prétentions d'importance et de
préséance qui les conduisaient à être premier ministre, et que c'était pour
cette raison qu'il ne voulait pas de M. de Brienne au conseil, attendu qu'il ne
voulait pas avoir de premier ministre. »
[16]
Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 175.
[17]
« Le duc de Nivernais avec sa grâce et sa douceur, le duc du Châtelet avec
sa loyauté et son patriotisme, avaient cherché des moyens de conciliation. Ils
avaient proposé qu'on formât toujours les assemblées provinciales, qu'on les
consultât sur l'impôt le moins onéreux à établir pour combler le vide des
finances et qu'on mit le gouvernement, par un secours passager, eu état
d'attendre le secours de ces assemblées. » (Weber, Mémoires, t. I, chap.
II, p. 16'4-165.)
[18]
Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 166.
[19]
Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs, etc., p. 247.
[20]
Voir les Mémoires de Madame Campan, t. I, ch. II.
[21]
Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs, etc., p. 247.
[22]
« Par une suite de l'aveugle préjugé qui faisait imaginer qu'un prêtre
dans le Conseil doit avoir un rang supérieur, on crut la place de contrôleur
général an dessous de l'archevêque, tandis que des ducs et pairs avaient
exercé, la place de secrétaire d'État. Il fut créé président du conseil des
finances, et on lui subordonna le contrôleur général, dont la nomination lui
fut abandonnée. Dès lors l'archevêque parut destiné à occuper la place des
Mazarin, des Richelieu ; et la reine peu de jours apis s'expliqua de manière à
ne laisser aucun doute à cet égard : il ne fout pas s'y tromper dit-elle, c'est
un premier ministre. Il ne tarda pas d'être principal ministre, qui est le
titre donné à Mazarin et à Richelieu dans leurs patentes. » (Sénac de Meilhan, Le
gouvernement, les mœurs, etc., p. 247-248.)
[23]
Mémoires de Madame Campan, t. II, chap. XIII.