LOUIS XVI, MARIE-ANTOINETTE...

 

CHAPITRE IX. — CALONNE. - ASSEMBLÉE DES NOTABLES.

 

 

Tableau des sciences. — Antoine Laurent de Jussieu. — Buffon. —D'Alembert. — Monge. — Lagrange. — Laplace. — Lavoisier. — Découverte des aérostats. — Voyage de La Pérouse. — Le roi visite Cherbourg. — Traité de commerce avec l'Angleterre, — Détresse de Calonne. — Expédient qu'il propose à Vergennes et au roi. — 3Iirabeau. — Louis XVI annonce sa résolution de convoquer les notables. — Effet de cette déclaration. Mort de Vergennes. — Discours d'ouverture de Calonne. — Sentiment des notables. — Ils acceptent les assemblées provinciales et se prononcent contre l'impôt territorial. — Réunion chez Monsieur. — Intervention de l'autorité royale. — Hostilités croissantes des notables contre Calonne. — Assemblée générale du 12 Mars. — Question des douanes intérieures. — Question de la gabelle. — Calonne s'adresse à l'opinion publique. Indignation des notables. — La cour se réunit à l'assemblée pour renverser le contrôleur général. — Pamphlets contre Calonne. — Miromesnil remplacé par Lamoignon. — Disgrâce de Calonne. — Fourqueux lui succède. — Exil de Necker. — Loménie de Brienne, chef du conseil des finances.

 

Au milieu des scandales causés par les prodigalités de Calonne et les spéculations de l'agiotage, par les représentations du Mariage de Figaro et le fatal procès du collier, le mouvement.de ce siècle de pressentiments et d'attente, ne cessait point d'entraîner les esprits en tous sens. L'ardeur de connaître et de se frayer des routes nouvelles était si grande, qu'il semblait que l'horizon de la science humaine ne dut plus avoir de bornes. Partout rayonnait l'activité d'un grand peuple ; partout s'épanchaient des torrents de vie et de lumières. Cette activité des esprits sî portait surtout vers les sciences physiques et naturelles. Appuyée de la méthode de Bacon, le père de la philosophie expérimentale, elle les dégageait des entraves de l'empirisme, substituait aux vaines hypothèses l'observation, les expériences qui découvrent les faits et l'induction légitime qui révèle les lois de la nature. Tandis que la physique entrait avec Franklin[1], Galvani et Volta, dans la voie du progrès, les frères de Jussieu, Bernard et Joseph de 'Lyon balançaient la gloire du savant botaniste Linnée, et ouvraient la carrière à leur neveu Antoine Laurent de Jussieu, homme aussi digne par ses vertus que par ses talents de porter un nom célèbre. Démonstrateur de botanique au jardin du roi (1777), Laurent devait appliquer plus tard à tout le règne végétal sa méthode de classification naturelle, livre destiné à faire une époque importante dans les sciences d'observation. Buffon, né à Montbard en Bourgogne, publiait avec le secours des savants Daubenton et Guéneau de Montbeillard, son Histoire naturelle, dans laquelle il s'efforçait de réunir à l'éloquence de Pline les vues Profondes d'Aristote et l'exactitude des modernes[2].

Au dix-septième siècle, les mathématiques avaient fait d'immenses progrès avec Descartes, Pascal, Newton et Leibnitz. Le dix-huitième siècle, non moins fécond, aux noms de ces grands génies, ajoute ceux de d'Alembert, que ses traités de mécanique placent au premier rang des géomètres, de Monge, l'inventeur de la géométrie descriptive, et surtout les noms de Lagrange et de Laplace. Piémontais de naissance, Sérançais d'origine, Lagrange se distingua de bonne heure parmi les savants de son époque. Dès l'âge de dix-huit ans, il résout un problème posé par Euler, et dont la solution était vainement cherchée depuis dix ans ; l'année suivante, il occupe la chaire de mathématiques à l'école d'artillerie de Turin. En 1766, Frédéric II, l'appelle à Berlin pour remplacer Euler comme président de l'Académie. Lagrange y reste vingt ans, pendant lesquels il acquiert une immense renommée. A la mort du grand Frédéric, ce digne appréciateur de la science, Mirabeau qui a compris le génie de Lagrange, l'attire en France où le fixent les bienfaits de Louis XVI. Aucun mathématicien n'a possédé au même degré que cet illustre savant la puissance d'abstraction. Son plus beau titre de gloire est d'avoir porté à sa perfection l'analyse pure. Vers la même époque, l'astronomie française brille du plus vif éclat : Bailly, Lalande, Messier, poursuivent leurs travaux avec une infatigable ardeur. Laplace commence de manifester la puissance et la fécondité de son esprit qui aura la gloire de compléter les recherches de Newton sur le système du monde par la gravitation universelle, et s'immortalisera par la Mécanique céleste. Au milieu des grandes figures scientifiques du monde moderne, apparaît encore le réformateur, on pourrait dire avec raison, le créateur de la chimie, Lavoisier.

Entraîné par un penchant irrésistible vers l'étude des sciences naturelles, Lavoisier devient à l'âge de vingt—cinq ans, membre de l'Académie des sciences (1768) et l'un de ses plus célèbres collaborateurs. Quelques mois plus tard, il obtient une place de fermier général qu'il n'avait recherchée que pour acquérir des moyens d'action scientifiques. Déjà il a cultivé avec un égal succès plusieurs parties de la physique et de l'histoire naturelle, lorsqu'il s'attache exclusivement à la chimie. Après d'opiniâtres et dispendieuses expériences que facilitait sa position lucrative, il renversé' la théorie vague et incertaine du phlogistique, et dans un mémoire lu à l'Académie, en 1775, il démontre que la calcination des métaux, et en général la combustion des 'corps, est le résultat de l'union de l'air respirable (oxygène) avec ces corps, Lavoisier avait ainsi découvert la base de tout l'édifice de la chimie moderne. Depuis cette époque, ses nombreux Mémoires présentent un corps de doctrine qui embrasse tous les phénomènes chimiques. En 1784 il découvre la décomposition de l'eau et lia prouve par des expériences. Il jouit de la gloire due à ses rares talents et à ses longs travaux : la doctrine qui lui appartient exclusivement est adoptée en France. De concert avec un autre savant, Guyton de Morveau, de Dijon, Lavoisier publiera bientôt, sous le nom de Méthode de nomenclature chimique, le dictionnaire de la nouvelle science (1787), et fera suivre cet ouvrage du Traité élémentaire de chimie, livre entièrement neuf pour la forme et pour le fond, destiné à compléter la révolution scientifique (1789).

Une autre découverte d'une nature moins vaste, due aux rapides progrès de la physique, celle des ballons aérostatiques par les frères Montgolfier, directeurs d'une papeterie de la petite ville d'Annonay, fut accueillie avec autant d'enthousiasme que l'aurait été, dans une autre époque, une révélation religieuse. De quel tonnerre d'applaudissements ne furent pas salués les hommes qui osèrent les premiers s'élancer dans les airs, emportés par le plus frêle des véhicules, aux yeux de la capitale assemblée ? De quel vertige ne se trouva pas saisi ce concours immense de peuple, accouru à Paris des extrémités de la France et des pays étrangers, lorsque le physicien Charles et le mécanicien Robert tentèrent leur ascension aux Tuileries dans une élégante nacelle, suspendue au plus majestueux des aérostats ? (1er décembre 1783). On crut que l'homme déjà maître de la terre et de l'Océan, allait prendre aussi possession de l'air, que son génie et sa puissance étaient destinés à ne plus connaître de limites.

La navigation payait aussi son tribut de découvertes à ee siècle où la science enfantait tant de merveilles. Excité par les grandes explorations de l'Anglais Cook et du Français Bougainville, le courageux La Pérouse, nommé avec honneur dans la guerre d'Amérique, partit au mois d'août 1785, afin d'exécuter un voyage de circumnavigation, dans un but à la fois politique, commercial, philanthropique et scientifique : Louis XVI, qui prenait le plus vif intérêt à cette entreprise, pour laquelle il avait fait armer à Brest les frégates la Boussole et l'Astrolabe, ne dédaigna pas de tracer de sa main au célèbre navigateur un itinéraire et des instructions détaillées. Parmi ces instructions, on ne lira Pas sans intérêt les suivantes, qui attestent l'humanité du monarque : « Si des circonstances impérieuses, qu'il est de la prudence de prévoir, obligeaient jamais le »sieur de La Pérouse à faire usage de la supériorité de ses armes sur celles des peuples sauvages, pour se procurer malgré leur opposition, les objets nécessaires à la vie, tels que, des subsistances, du bois, de l'eau, il n'userait de la force qu'avec la plus grande modération, et punirait avec une extrême rigueur, ceux de ses gens qui auraient outrepassé ses ordres. Dans tous les autres cas, s'il ne peut obtenir l'amitié des sauvages par les bons traitements, il cherchera 'a les contenir par la crainte et les menaces, mais il ne recourra aux armes qu'à la dernière extrémité, seulement pour sa défense, et dans les occasions où tout ménagement compromettrait décidément la sureté des bâtiments et la vie des Français dont la conservation lui est confiée. S. M. regarderait comme un des succès les plus heureux de l'expédition pût être terminée sans qu'il en eût coûté la vie à un seul homme. »

Ce monument d'une sollicitude non moins admirable qu'auguste, est remarquable par l'étendue et la précision du savoir. Les officiers de marine les plus distingués, des savants renommés par leurs connaissances dans l'astronomie, l'histoire naturelle, le génie, la géographie, la physique, la botanique, la minéralogie, et d'habiles dessinateurs obtinrent le périlleux honneur d'accompagner le comte de La Pérouse. On attendait les succès les plus heureux de cette expédition. Après trois ans de travaux et de découvertes achetées par de nombreux accidents et des pertes cruelles, l'infortuné La Pérouse et ses deux navires disparurent entre les archipels de l'Océanie, et un affreux silence cacha leur destinée. Quelques débris du naufrage ou s'étaient abîmées tant d'existences précieuses, furent trouvés plus tard sur les récifs de Vanikoro, l'une des Nouvelles-Hébrides. La funeste issue de cette entreprise, le dernier des beaux rêves de Louis XVI, lui causa une douleur profonde et fit naître dans son âme les plus tristes pressentiments. « Je vois trop, disait-il, que je ne suis point heureux ! »

Les travaux publics de cette époque étaient également dignes d'attirer l'attention : une activité féconde se déployait pour agrandir ou améliorer les ports du Havre, de Dunkerque, de Dieppe et de la Rochelle, pour creuser le canal de Bourgogne entre la Seine et la Saône, et celui du Centre, entre la Saône et la Loire. On construisait la digue de Cherbourg, le plus grand travail de la main des hommes, qui devait donner à la France un formidable port de guerre à l'entrée de la Manche. Plein de zèle pour les progrès de marine française, Louis XVI eut le désir de visiter la digue titanique de Cherbourg et entreprit un voyage dans la Normandie (1786). Partout sur son passage, il reçut les marques de l'affection la plus sincère. Pénétré de reconnaissance, il écrivit à la reine : « L'amour de mon peuple a retenti jusqu'au fond de mon cœur ; jugez si je ne suis pas le plus heureux roi du monde. » Afin de conserver le souvenir de cet accueil, il voulut que son second fils, né quelque temps avant, portât le nom de duc de Normandie, et se rappelât sans cesse une province qui avait fait éprouver à son père les plus douces émotions. A Cherbourg « il y eut un véritable enthousiasme lorsque le roi, en présence de l'escadre et de la foule entassée dans les embarra cations, sur la grève, sur l'amphithéâtre de granit qui domine la plage, vint s'installer sur un des fameux cônes de M. de Cessac déjà immergés en pleine mer, pour voir amener et immerger un autre de ces cônes, destinés à former la digue[3]. » Louis XVI étonna les marins par le détail de ses connaissances techniques.

L'Angleterre s'émut en voyant creuser, sans sa permission et en face de ses rivages, un port qui devait réaliser la pensée de Colbert et réparer les ruines de Dunkerque. Dans le débat d'un traité de commerce, entre la Grande Bretagne et la France, un membre du parlement, Burke, dénonçait le fait avec les sentiments haineux qui animaient son éloquence : « La France nous ouvre ses bras, disait-il, mais c'est pour se saisir de notre commerce. A Cherbourg aussi, la France ouvre les bras : mais c'est pour y placer sa marine en présence de nos ports, c'est pour s'y établir malgré la nature ; c'est pour lutter contre l'Océan, et le disputer avec la Providence, qui avait assigné des limites à son empire. Les pyramides d'Egypte s'anéantissent, en les comparant à des travaux si prodigieux. Les constructions de Cherbourg sont telles, qu'elles permettront bientôt à la France d'étendre ses bras jusqu'à Portsmouth et Plymouth. C'est sans doute dans cette position que la France, devenue la gardienne du cana], nous protégera. Et nous, pauvres Troyens, nous admirons cet autre cheval de' bois qui prépare notre ruine. Nous ne pensons pas à ce qu'il renferme dans son sein, et nous oublions ces jours de gloire, pendant lesquels la Grande Bretagne établissait à Dunkerque des inspecteurs pour nous rendre compte de la conduite des Français. » Malgré l'opposition de Burke, le traité que celui de Versailles annonçait sous deux ans fut signé cette même année. Il éloignait les chances de la guerre[4] et contenait quelques améliorations de droit international, mais les Anglais purent seuls s'en applaudir, car il les dédommagea de leurs pertes par les avantages immenses que la France accorda à leur commerce au préjudice du sien.

Cependant le ministère de Calonne atteignait sa troisième année, et l'impôt temporaire allait expirer et priver le trésor d'un revenu de vingt et un millions. Après avoir persiflé tous les plans d'économie ; donné à pleines mains aux frères du roi et aux courtisans, augmenté les frais d'administration et multiplié les pensions, achevé de dévorer l'avenir pour subvenir aux exigences du présent, le contrôleur général se vit dans l'impossibilité de recourir au crédit que la sage conduite de Necker avait Valu au gouvernement, et dont il n'avait pas su Ménager l'emploi. Maintenant toutes les ressources étaient épuisées et les derniers expédients auxquels on pouvait recourir ne devaient pas conduire au-delà de quelques mois. Il fallait appeler un prompt remède, l'impôt, au secours des finances. Dans sa détresse, 'à la vue du précipice ouvert sous ses pas, Calonne résolut de faire au comte de Vergennes l'aveu de la situation réelle. Il alla donc trouver ce ministre, lui exposa l'état du trésor, l'énormité du déficit et le projet qu'il avait conçu pour sortir avec honneur de cette position, difficile. Il s'efforça de lui montrer qu'une assemblée de notables anéantirait l'opposition violente du parlement et porterait un coup funeste à la puissance de cet orgueilleux corps. Vergennes, auquel le traité récemment conclu avec l'Angleterre, semblait imposer l'obligation de seconder les vues hardies de Calonne, se laissa entraîner.

Le contrôleur général n'hésita point à faire la même confidence au roi qu'il avait longtemps bercé d'illusions et habitué à ne plus entendre, comme au temps de Turgot et de Necker, d'inquiétantes paroles. Afin de ne point l'alarmer par une brusque révélation, il lui fit d'abord entrevoir quelques -nuages à l'horizon ; il lui avoua, en termes généraux, un déficit très ancien, qui s'était augmenté sous le ministère de ses prédécesseurs, et que lui—même avait été obligé d'accroître. Bientôt il ne dissimula plus ; il déclara nettement dans un mémoire écrit, et qui renfermait un vaste plan de réforme, avec des idées de Turgot, de Necker, de Machault, de Silhouette, de Colbert et même de Vauban, « que le moment actuel cachait un terrible embarras sous l'apparence de la plus heureuse tranquillité ; que la France ne se soutenait que par une espèce d'artifice. » Suivant Calonne, il existait un déficit de cent millions par an, et pour combler ce vide effrayant, il fallait recourir aux grands moyens. Son idée fondamentale pour la restauration des finances, était de supprimer les vingtièmes et de les remplacer par une subvention territoriale, répartie avec égalité sur toute terre sans exception, pas même pour le domaine royal. Afin d'obtenir des privilégiés ce sacrifice, on les affranchirait de la capitation. En même temps on flatterait les propriétaires, en les appelant à élire des assemblées de trois degrés ou assemblées de paroisse, de district et de province, qui feraient connaître le vœu des populations sur la nature de l'impôt, et procéderaient à la répartition des charges publiques.

Dans le dessein de favoriser l'agriculture et l'industrie, le contrôleur général opérait une réduction notable sur la taille ; il adoucissait la forme tyrannique de la gabelle dans les pays sujets à la ferme générale, abolissait la corvée en nature, détruisait les douanes intérieures et plusieurs droits vexatoires. De plus Catonne établissait la liberté du commerce des grains, sauf à suspendre l'exportation sur la demande des assemblées provinciales, et convertissait les droits de contrôle et d'insinuation en un seul droit de timbre plus élevé, applicable à toutes personnes. Enfin il projetait la vente, à titre d'inféodation, de tous les domaines de la couronne, dont le prix concourrait à l'extinction de la dette publique, et des économies sur tous les départements et sur la maison du roi, économies qu'il évaluait à vingt millions.

D'après les calculs du contrôleur général, cette transformation du système fiscal diminuerait les impôts existants de trente millions par an, sans compter les vingt et un millions du troisième vingtième dont il ne pouvait songer à obtenir la prorogation. Une augmentation de cent—quinze millions dans les revenus permettrait de rétablir, dans l'espace d'un an, la balance entre les ressources et les dépenses ordinaires.

Plein de confiance en lui—même, Calonne se faisait illusion après avoir trompé les autres. Au reste, dans le rapport où était annoncé en termes pompeux son vaste plan, le seul qui, suivant son opinion, pouvait résoudre le problème difficile de la restauration des finances, il adoptait des vues très élevées. « La disparité, l'incohérence des différentes parties du corps de la monarchie, disait-il, est le principe des vices constitutionnels qui énervent ses forces... Un royaume composé de pays d'États, de pays d'élection, de pays d'administrations provinciales, de pays d'administrations mixtes, un royaume dont les provinces sont étrangères les unes aux autres, où des barrières dans l'intérieur séparent et divisent les sujets d'un même souverain, où certaines contrées sont affranchies totalement des charges dont les autres supportent tout le poids, où la classe la plus riche est la moins contribuante, où les privilèges rompent équilibre, tout où il n'est possible d'avoir ni règle constante, ni vœux commun, est nécessairement un royaume très imparfait, très rempli d'abus, et tel qu'il est impossible de le bien gouverner.

« On ne peut rétablir solidement les finances, que par la réformation de ce qu'il y a de vicieux dans la constitution actuelle... Ce qui est nécessaire pour le salut de l'État, serait impossible par des opérations partielles ; et il est indispensable de reprendre en sous-œuvre l'édifice entier, pour en prévenir la ruine... Sire, le succès élèvera votre nom au–dessus des plus grands noms de cette monarchie, dont vous mériterez d'être appelé le législateur. »

Ce fut avec étonnement que Louis XVI entendit la lecture des projets de son contrôleur général : « Mais, lui dit-il, c'est du Necker que vous me donnez là ; c'est du Necker tout pur — Sire, dans l'état des choses, on ne peut rien vous offrir de mieux ! » La réponse du roi eût dû être de chasser Calonne de sa présence. Louis XVI toujours faible et toujours aveugle, n'y-songea pas et adopta le plan au moyen duquel le ministre se vantait de réparer l'énormité du déficit Comme les intrigues de cour pouvaient changer la résolution du monarque, Calonne sollicita et obtint du souverain la promesse d'un appui inébranlable dans l'exécution de ses grands projets pour le Salut de la France.

Faire concourir le parlement à de pareilles innovations, paraissait au ministre chose impossible, ainsi que nous l'avons dit ailleurs. Les magistrats décidés repousser tout ce qui viendrait de Calonne, s'étaient en toute occasion roidis contre les réformes. Un gouvernement usé et débile ne pouvait essayer de vaincre leur résistance en lit de justice, sans s'exposer aux dangers d'Une lutte opiniâtre. Le nom des états généraux, comme un premier coup de tocsin, eut épouvanté la cour, les ministres et Louis XVI. Le contrôleur général lui-même se souciait peu de comparaître devant ces états qui ne manqueraient pas de lui demander compte de ses iniquités administratives. Plusieurs rois de France avaient convoqué à diverses époques des assemblées de notables, espèce de grand 'conseil extraordinaire, Choisi dans l'élite de la nation, pour le consulter sur un objet déterminé. Après la ligue, un monarque devenu populaire, Henri IV, avait suivi cet exemple. Calonne n'abandonna donc point sa première pensée. Il crut que des notables, nommés par Louis XVI, donneraient à ses vues une adhésion solennelle, éclatante ; et que le parlement alors subjugué par les organes de l'opinion publique, ne s'opposerait point aux réformes projetées, ou qu'un lit de justice qui briserait sa résistance, s'il osait y recourir, recevrait l'approbation universelle.

Vergennes n'aimait aucune espèce d'assembles ; mais le contrôleur général sut lui persuader que les notables, investis de leurs fonctions par le roi, borneraient leur travail 'a un examen de pure forme, et porteraient un coup accablant à la puissance du parlement qu'il détestait. Quant à Louis XVI, il désirait vivement que le peuple fût soulagé, et il se laissa entraîner par l'idée d'imiter Henri IV, celui de ses aïeux auquel il désirait le plus ressembler. Calonne lui demanda un secret absolu jusqu'au moment de l'ouverture de l'assemblée des notables, afin de ne pas donner aux malveillants le temps et les moyens de préparer leurs armes contre des innovations qui blessaient les 'intérêts personnels des privilégiés. Le roi trouva la précaution sage : il fut convenu que le plan du contrôleur général ne serait pas communiqué au conseil, que Vergennes et Miromesnil dans les attributions duquel rentrait le soin de convoquer les notables, en auraient seuls connaissance ; la reine elle—même ne devait en être instruite que le jour où serait arrêtée l'ordonnance de convocation. Aucun des trois personnages qui préparèrent l'exécution de ce dessein, ne comprit qu'une assemblée de notables, n'ayant aucun caractère représentatif, serait absolument sans autorité pour décider les grandes questions qu'on allait lui soumettre, et que cette réunion conduisait inévitablement aux états généraux.

Mirabeau, si nous ajoutons foi à sa correspondance secrète, le dernier ouvrage qu'il publia, avait inspiré à Calonne l'idée et le plan de convocation des notables ; mais cet homme dont nous avons plusieurs fois prononcé le nom et qu'il est temps de faire connaître, était plus clairvoyant que le roi et les deux ministres, il espérait que cette convocation serait bientôt suivie de celle des états généraux auxquels il donne le nom d'Assemblée nationale, qui a été depuis adopté[5].

Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, d'une ancienne famille de. Provence, « était né, dit la Harpe, avec une âme ardente et forte, un génie puissant et flexible, une vivacité d'imagination qui ne nuisait en rien à la justesse des idées ; un penchant effréné pour le plaisir, joint à la plus grande facilité pour le travail, et un tempérament robuste, capable de suffire en même temps et au travail et au plaisir ; une activité de pensée qui semblait dévorer tous les objets, et une promptitude de mémoire qui les embrassait tous. » Son père, l'un des plus célèbres économistes de son époque, lui fit donner une éducation soignée, comme elle pouvait l'être alors. Dans la pensée qu'il était appelé à suivre le parti des armes. Mirabeau fit une campagne en Corse, où il se distingua par une valeur portée jusqu'à la témérité. Son inconduite et les querelles que lui suscita la fougue de son caractère, ne lui permirent pas de rester dans le corps de son choix. Quelque temps après il épousa une riche héritière de la ville d'Aix, et donna une libre carrière à ses goûts dissipateurs, à toute la' fureur de ses passions. Il eut bientôt dévoré la fortune de la femme qui aurait pu faire les délices de sa vie. Ses mauvais traitements envers elle, forcèrent les deux familles à solliciter une séparation judiciaire. Indigné des scandales domestiques de son fils et, de ses dérèglements ruineux, le vieux physiocrate, son père, homme dur, avare, enivré de lui-même, qui n'avait jamais cherché à diriger ses penchants impétueux, obtint coutre lui des lettres de cachet et le fit trainer de prison en prison. Cette sévérité outrée fut sans doute la cause principale des écarts, des vices, de la haine implacable de Mirabeau contre les excès du pouvoir arbitraire, dont il éprouva les rigueurs assez longtemps pour irriter une âme toute de feu, un caractère naturellement fougueux, et faire d'une vie passée dans la nuit des bastilles et les agitations, un mélange de grandeur et d'opprobre. Victime de l'abus du pouvoir paternel, révolté contre sa race qui l'opprime, il attaque avec de redoutables armes toute espèce de despotisme, comme un ennemi personnel : il vingt-trois ans, il écrit au château d'If l'Essai sur le despotisme (1772) ; pendant son séjour en Hollande où il avait cherché un asile, l'Avis aux Hessois, afin de les engager à refuser obéissance au prince qui vendait leur sang aux Anglais (1777) ; le livre sur les Lettres de cachet (1780), au donjon de Vincennes qui le dérobait aux poursuites de la justice, après le rapt d'Une femme mariée. Chacun de ses livres anonymes, plein d'une éloquence abrupte et d'une vigoureuse originalité, est une action. Ses écrits annoncent déjà ce que seront les discours du nouveau Démosthène, auquel la beauté de l'organe, la chaleur de pensée, le choix des expressions, une male audace jointe à une rare présence d'esprit, des gestes expressifs et non forcés, un air sévère, imposant et souvent dédaigneux, un maintien noble et une magnifique laideur, illuminée des éclairs du génie, doivent assurer l'empire de la tribune française[6].

Vers la fin de 1780, Mirabeau sortit de sa longue captivité, toujours orageux, mais impatient de se racheter de sa déconsidération. Il se fait alors sans mission, un homme public, afin de couvrir les désordres de sa vie privée, dont tout le royaume avait retenti. Il se rapproche du pouvoir pour lui donner des conseils, mais formé pour toutes les luttes sous la triple influence de la solitude, de l'oppression, de la souffrance, et plongeant dans la vie des passions et l'esprit de son époque, il continue ses écrits novateurs, et, pour mieux dire, révolutionnaires. Il écrit un mémoire à Marie-Antoinette pour laquelle il rêve une sorte de ministère des beaux-arts, afin de ramener à cette reine la popularité qu'ont éloignée d'elle la malveillance et l'audace de ses ennemis. « D'une autre part, il publie sous son nom et avec un grand éclat, à l'instigation de Franklin, ses Considérations sur l'Ordre de Cincinnatus, où il attaque tous les privilèges nobiliaires, en attaquant l'espèce de chevalerie républicaine que viennent d'établir entre eux les officiers de l'armée libératrice des États-Unis (septembre 1784). Il s'efforce d'avoir un pied chez les ministres et l'autre sur le terrain le plus avancé des écrivains les plus hardis. Durant plusieurs années, sa parole prophétique ne se lassera pas de retentir aux oreilles des puissants, qui vont cesser de l'être[7]. »

Cependant les observations de Calonne sur le déficit, furent soumises ù l'examen du comte de Vergennes et du garde des sceaux Miromesnil ; ces deux ministres attestèrent au roi l'exactitude des calculs de leur collègue et lui exposèrent ses vues qu'il adopta. La liste des notables se composa de cent quarante-quatre membres dont sept princes du sang, quatorze archevêques et évêques, trente-six ducs et pairs, maréchaux de France, gentilshommes, conseillers d'État et maîtres des requêtes, trente-huit premiers présidents, procureurs généraux des cours souveraines et autres magistrats, douze députés des pays d'états, dont quatre du clergé, six de la noblesse, deux du tiers-état, vingt-cinq officiers municipaux. Presque tous appartenaient aux deux premiers ordres, car sur vingt-sept notables qu'on disait représenter le tiers-état, tous, à l'exception de six ou sept, étaient nobles ou avaient privilèges de noblesse. Convaincu que son plan triompherait de toutes les préventions, Calonne ne vit pas que pour faire accepter un impôt frappant toutes les classes, il ne fallait pas consulter presque exclusivement des privilégiés. Il montra encore la confiance la plus présomptueuse ou l'irréflexion la plus étonnante, en arrêtant que les notables seraient divisés en sept bureaux, présidés par les cieux frères du roi, Monsieur et le comte d'Artois, le duc d'Orléans, le prince de Condé, le duc de Bourbon, le prince de Conti, le duc de Penthièvre, et que la décision de chaque bureau compterait pour une voix. Ce procédé fort vicieux, pouvait faire prévaloir une majorité purement nominale sur la majorité réelle.

Le 29 décembre 1786, le roi, à l'issue du conseil des dépêches, annonça son intention de convoquer, pour le 29 du mois suivant, une assemblée composée de personnes de diverses conditions et des plus qualifiées de sou état, afin de leur communiquer ses vues pour le soulagement de son peuple, l'ordre des finances et la réformation de plusieurs abus. Il déclara en outre que des lettres de convocation allaient être expédiées aux personnes sur lesquelles s'était fixé son choix. Fasciné par le langage séduisant de son ministre, et plein de généreux désirs, Louis XVI croyait affermir son autorité et travailler au bonheur de son peuple ; aussi le lendemain écrivait-il à Calonne : « Je n'ai pas dormi de la nuit, mais c'était de plaisir. »

La résolution du faible monarque frappa la cour du plus grand étonnement. Marie-Antoinette garda une vive rancune au contrôleur général pour la lui avoir cachée. Les hommes les plus habiles n'en pouvaient comprendre le but ; et les grands seigneurs voyaient la monarchie ébranlée dans ses fondements par ce simulacre de représentation nationale. Le vieux maréchal de Richelieu demandait quelle peine Louis XIV eût infligée au ministre qui lui eût proposé d'assembler les notables. Le jeune vicomte de Ségur, l'un des seigneurs les plus spirituels, disait : Le roi dame sa démission. Quant aux courtisans, ils s'élevaient avec énergie contre la témérité de Calonne. Il vient, disaient-ils, se livrer 'a ses ennemis et crée le tribunal qui va le juger. S'il a beaucoup de genres d'esprit, on peut lui refuser le talent de connaître la cour et les hommes. Le parlement comprenait qu'une assemblée si extraordinaire n'aurait d'autre objet que de le dépouiller du plus beau de ses droits ; il s'efforçait néanmoins de dissimuler son dépit. Les hommes sages approuvant cette idée heureuse d'en appeler directement aux corps intéressés, idée que pourrait féconder la générosité, aimaient à concevoir quelque espérance et faisaient des vœux pour le bonheur du pays ; mais ils n'avaient pas plus de confiance dans la fermeté du roi que dans la moralité du contrôleur général.

A la veille d'une assemblée dont les votés devaient être pour lui une question de vie ou de mort, Calonne ne montrait aucun instinct de la situation réelle. Charmé de n'avoir point rencontré d'obstacle près du trône, et comptant sur l'appui des notables. il se croyait ministre pour longtemps encore et célébrait d'avance son triomphe assuré en se livrant à toutes sortes de plaisirs avec une ardeur nouvelle. Le jour fixé pour la réunion approchait. ; le contrôleur général n'avait pas achevé les divers mémoires qu'il avait commencés en vue des réformes projetées : il voulut réparer, par des veilles et un travail forcé, cette coupable négligence et cet oubli (les devoirs de sa charge. Mais il tomba malade et la séance d'ouverture fut renvoyée au 7 février, ensuite au 14, enfin au 22. Pendant ces délais il ne chercha point à s'emparer de l'esprit des notables dont plusieurs étaient arrivés à Paris avec des vues conciliantes, et l'opposition eut le loisir de se reconnaître et de s'organiser au milieu de quelques sociétés hostiles. Les membres du clergé, à la tête desquels était l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, prélat sans vertus, sans capacité politique, d'un caractère ambitieux et souple, et qui visait depuis longtemps au ministère formèrent une petite assemblée permanente, et une redoutable coalition contre l'aveugle Calonne. Avec eux s'entendirent en majorité les magistrats des parlements de province, entraînés par les orateurs du parlement de Paris. Moins instruits, moins propres, par leur genre de vie, à traiter les affaires d'administration que les magistrats ou les évêques, et d'ailleurs dépourvus de tout esprit de corps, les gentilshommes ne se livrèrent point à la cabale et aux intrigues[8].

Au milieu d'une situation devenue si menaçante, la mort du comte de Vergennes (13 février 1787), fut une nouvelle cause d'affaiblissement pour ce gouvernement qui penchait vers l'abîme. Homme sage, éclairé et d'un caractère circonspect, Vergennes aimait sa patrie et son roi. Il avait succombé au mal de la situation que son esprit froid avait jugée. Louis XVI regretta sincèrement ce ministre, le seul qui eût su lui inspirer quelque persévérance de volonté, et qui, sans génie transcendant, avait rendu à la France une considération dont elle avait été privée dans le dix-huitième siècle. On rapporte qu'il voulut visiter le tombeau de son ami, qu'à sa vue il sentit son âme brisée par le découragement et s'écria : « Que ne suis-je couché à côté de vous ![9] » Armand-Marc, comte de Montmorin Saint-Herem, que le roi connaissait dès l'enfance, remplaça Vergennes. Mais ce nouveau ministre, libéral, ami de Necker, sincèrement dévoué à Louis XVI et à la France, était complètement étranger aux affaires.

Enfin l'assemblée des notables s'ouvrit dans l'hôtel des Menus à Versailles, vers onze heures du matin, avec le cérémonial des vieilles traditions. Le roi accompagné des princes du sang alla se placer sur son trône, sous un dais violet parsemé de fleurs de lis ; les princes se placèrent sur des pliants à droite et à gauche, selon leurs rangs. Après s'être assis, le roi prononça le discours suivant, discours fort simple et qu'il avait rédigé lui-même : « Messieurs, je vous ai choisis dans les différents ordres de l'État, et je vous ai rassemblés autour de moi pour vous faire part de mes projets. C'est ainsi qu'en ont usé plusieurs de mes prédécesseurs et notamment le chef de ma branche, dont le nom est resté cher à tous les Français, et dont je me ferai gloire de suivre toujours les exemples. »

« Les projets qui vous seront communiqués de ma part sont grands et importants. D'une part, améliorer les revenus de l'État et assurer leur libération entière par une répartition plus égale des impositions ; de l'autre, libérer le commerce des entraves qui en gênent la circulation, et soulager, autant que les circonstances le permettent, la partie la plus indigente de mes sujets ; telles sont, messieurs, les vues dont je suis occupé et auxquelles je me suis fixé après le plus mûr examen. Comme elles tendent toutes au bien, et connaissant le zèle pour mon service, dont vous êtes tous animés, je n'ai point craint de vous consulter sur leur exécution ; j'entendrai et j'examinerai attentivement les observations dont vous les croirez susceptibles.

« Je compte que vos avis, conspirant tous au même but, s'accorderont facilement, et qu'aucun intérêt particulier ne s'élèvera contre l'intérêt général. »

Le garde des sceaux, Miromesnil, débita une harangue assez emphatique et fort insignifiante, un appel au concours des notables.

Calonne que n'avait pas abandonné un instant sa folle et bruyante sécurité, s'était réjoui d'avoir à déployer en présence d'une réunion si brillante la gracieuse facilité de son élocution. Il prononça-sans aucun embarras et de la façon la plus élégante, un discours spirituel et maladroit, qui dès les premiers mots, blessa l'auditoire.

« Messieurs, ce qui m'est ordonné en ce moment, m'honore d'autant plus, que les vues dont le roi me charge de vous présenter l'ensemble et les motifs, lui sont devenues entièrement personnelles... » C'était annoncer clairement aux notables qu'ils allaient entendre les volontés du monarque, et fermer en quelque sorte la discussion d'avance.

Le contrôleur général traça ensuite un sombre tableau de la situation oh il avait trouvé les finances en 1783, et fit un panégyrique triomphal des heureux résultats de son administration. Il poussa l'audace jusqu'à se donner toutes les gloires, même celle de l'économie ; seulement ce n'était pas cette économie qui, frappant tous les yeux par des dehors sévères, s'annonce par des refus éclatants et durement prononcés, à la façon de M. Necker, qu'il désignait suffisamment sans le nommer ; c'était l'économie, qui tient au devoir plutôt qu'au caractère, et fait plus que l'autre en se montrant moins « stricte et réservée pour tout ce qui est de quelque importance, elle n'affecte pas l'austérité pour ce qui n'en a aucune : elle laisse parler de ce qu'elle accorde, et ne parle pas de ce qu'elle épargne. Parce qu'on la voit accessible aux demandes, on ne veut pas croire qu'elle en rejette la plus grande partie ; parce qu'elle tache d'adoucir l'amertume des refus, on la juge incapable de refuser ; parce qu'elle n'a pas l'utile et commode réputation d'inflexibilité, on lui refuse celle d'une sage retenue ; et souvent, tandis que, par une application assidue à tous les détails d'une même gestion, elle préserve les finances des abus les plus funestes et des impérities les plus ruineuses, elle semble se calomnier elle-même par un extérieur de facilité que l'envie de nuire a bientôt transformé en profusion. »

De ce point de vue si satisfaisant il fallait passer l'aveu de la pénurie du trésor. Calonne dit qu'à aucune époque antérieure le déficit n'avait cessé d'exister, qu'il était de quarante millions en 1774, de trente-sept en 1776, à l'entrée de M. Necker aux finances, qu'il s'était accru jusqu'au mois de mai 1781 par les emprunts pour la guerre d'Amérique. Enfin il ajouta en donnant un imprudent démenti au compte rendu, que ce déficit s'était trouvé de quatre-vingts millions à la fin de 1783, indépendamment d'une dette flottante de 600 millions, et qu'il avait encore augmenté depuis, mais sans dire de quelle somme. Cette réticence conforme à son opinion annonçait assez clairement à ses auditeurs qu'il ne voulait point leur permettre de mesurer la profondeur de l'abîme creusé par ses folles prodigalités. « Il est impossible, continua-t-il, de laisser l'État dans le danger sans cesse imminent auquel l'expose un déficit tel que celui qui existe ; impossible de continuer de recourir chaque année à des palliatifs et à des expédients qui, en retardant la crise, ne pourraient que la rendre plus funeste. On ne peut pas toujours emprunter ; on ne peut pas imposer plus ; on ne peut pas anticiper davantage ; économiser ne suffirait pas. Que reste-t-il donc pour combler un vide effrayant et faire trouver le niveau désiré ? Que reste-t-il qui puisse suppléer à tout ce qui manque, et procurer tout ce qu'il faudrait pour la restauration des finances ?

« Les abus !

« Oui, Messieurs ; c'est dans les abus mêmes que se trouve un fonds de richesses que l'État a droit de réclamer et qui doivent servir à rétablir l'ordre. C'est dans la proscription des abus que réside le seul moyen de subvenir à tous les besoins. C'est du sein même du désordre que doit jaillir une source féconde qui fertilisera toutes les parties de la monarchie. Les abus ont pour défenseurs l'intérêt, le crédit, la fortune et d'antiques préjugés que le temps semble avoir respectés ; mais que peut leur vaine confédération contre le bien public et la nécessité de l'État ? Le plus grand de tous les abus serait de n'attaquer que ceux de moindre importance, ceux qui n'intéressant que les faibles n'opposent qu'une faible résistance, mais dont la réformation ne peut produire une ressource salutaire. Les abus qu'il s'agit aujourd'hui d'anéantir pour le salut public, ce sont les plus considérables, les plus protégés, ceux qui ont les racines les plus profondes et les branches les plus étendues... Tels sont ceux qui pèsent sur la classe productive et laborieuse ; les abus des privilèges pécuniaires, les exceptions à la loi commune, et tant d'exemptions injustes qui ne peuvent affranchir une partie des contribuables qu'en aggravant le sort des autres. »

Le contrôleur général termina sa harangue en annonçant l'établissement d'assemblées de trois degrés, chargées de répartir les charges publiques dans les provinces qui n'avaient pas d'états provinciaux ; le remplacement des vingtièmes, que ne payait pas le clergé, par un impôt territorial comprenant les biens ecclésiastiques, et qui devait produire quatre-vingts millions, la suppression de la capitation pour les membres des premiers ordres et les divers autres projets d'améliorations qui seraient communiqués aux notables.

Ce discours ne produisit point sur les notables l'impression qu'en attendait Calonne : il effraya les hommes du passé et mécontenta les partisans du progrès. Son audacieuse forfanterie, ses traits énigmatiques, ses aveux forcés et incomplets en présence d'une assemblée occupée de graves intérêts, avaient blessé les plus conciliants. Le soir même, cette séance fut le sujet de toutes les conversations à Versailles et dans Paris, et le discours de Calonne occupa vivement l'attention publique sans toutefois lui imposer. Mille choses la flattaient dans la perspective que lui offrait cette parodie de Turgot. « Voilà de beaux plans, disait-on, mais qu'un autre les exécute. Nulle garantie avec un ministre prodigue. » On regrettait Necker, et les nombreux partisans de cet ancien ministre, qui avait encore ajouté à l'enthousiasme de ses admirateurs, par son ouvrage sur l'administration des finances, publié en 1784, se montrèrent indignés du démenti qu'il venait de recevoir. Bientôt on poussa la plaisanterie jusqu' à dire que Pitt, après la lecture du discours de Calonne, avait demandé à l'ambassadeur de France, si c'était un pamphlet des ennemis du contrôleur général.

Le lendemain (23 février), dans une seconde séance présidée par Monsieur, les notables discutèrent avec calme le premier objet soumis à leurs délibérations, celui des assemblées provinciales[10]. Ils se montrèrent en général favorables à cette institution, et moins bien disposés pour les assemblées de paroisses et de districts. Le projet du gouvernement accordait la présidence dans les premières aux plus âgés, et dans les deux autres, aux plus imposés. Les notables demandèrent que les présidents fussent exclusivement choisis dans les ordres privilégiés. Ils applaudirent à la mesure de ne point séparer les ordres et (le compter les votes par tête, et offrirent que les représentants du tiers—état égalassent en nombre ceux de la noblesse et du clergé réunis. Les bureaux de Monsieur et du comte d'Artois surpassèrent les autres en libéralité ; ils pensèrent même que, pour balancer l'influence trop forte des ordres privilégiés, on ne devait leur accorder que le tiers des voix.

Un tel commencement semblait promettre d'heureux résultats ; mais la question de la subvention territoriale bannit le calme de l'assemblée. Une minorité généreuse, décidée à seconder par ses sacrifices les intentions du roi, se déclara hautement contre les privilèges : par crainte de l'opinion publique, la majorité n'osa les soutenir ouvertement, mais tout en avouant le principe de l'égale répartition de l'impôt, elle désirait en éluder l'application. Dans l'impossibilité de se défendre, elle résolut d'attaquer. Après avoir entraîné la minorité pour repousser, avec un sentiment intraitable, l'idée qu'avait émise Calonne, de percevoir en nature la subvention territoriale, elle demanda les états de recette et de dépense. Elle croyait avec raison qu'on ne devait pas voter un nouvel impôt, sans les connaître exactement. C'était un moyen de ruiner le projet du ministre et de le renverser lui-même. Les partisans du progrès ne laissèrent point tomber cette demande, et tous les bureaux ne tardèrent pas à réclamer la communication des états de finance. L'ainé des frères du roi poussa des premiers à cette réclamation ; il se montrait hostile Calonne, et c'était de son bureau que partaient les traits les plus envenimés contre le ministre.

Calonne, qui craignait de se voir ainsi mettre en cause, refusa la communication demandée. « Le roi, disait-il, a réuni les notables pour les consulter sur les meilleurs moyens de subvenir aux besoins de l'État, mais non pour prendre connaissance de l'étendue de ces besoins suffisamment constatés dans ses conseils. » C'était vrai ; mais les plus animés excitèrent leurs collègues et les bureaux persistèrent. Le contrôleur général, dont les adversaires les plus dangereux se trouvaient dans le clergé, voulut avoir une conférence avec l'archevêque de Toulouse et quelques autres prélats influents, les archevêques de Narbonne, d'Aix, de Bordeaux et de Reims. Il y déploya toutes ses souplesses pour fléchir leur opposition ; il les conjura d'oublier le ministre et de ne voir que la France. « Tenez, monseigneur, dit-il à M. de Brienne, accordez-moi une trêve pour tout le temps de l'assemblée des notables. Ne soyons qu'au roi et à l'État. Il n'y a personne ici qui ne doive frémir si cette opération échoue. C'est une dernière ressource. J'ai dit et répété au roi qu'elle devait sauver l'État, maïs qu'elle pouvait le perdre ; qu'il fallait ou ne pas entreprendre, ou exécuter. Le roi est encore ferme. On peut l'ébranler : on mettra tout en combustion. Faisons un marché vous et moi ; soutenez mon opération, et ensuite prenez ma place[11]. » Mais Calonne s'adressait à des hommes impatients de le renverser, et d'ailleurs il avait perdu de sa force en perdant la moralité du caractère. Le prélat répondit par des sourires à ce grand citoyen de situation. Mais l'archevêque de Narbonne, M. de Dillon, avec plus de franchise dit au ministre : « Vous voulez donc la guerre ? Eh bien ! vous l'aurez. Nous vous la ferons bonne, mais franche et ouverte. Au moins vous vous présentez -aux coups de bonne grâce. » — Monseigneur, répondit Colonne, en regardant encore l'archevêque de Toulouse, je suis si las de ceux qu'on me porte par derrière, que j'ai résolu de les provoquer de front. » Le clergé tint parole. Tous les soirs, il se rassembla chez M. de Dillon, y délibéra et arrêta ses décisions du lendemain[12].

Dans l'espoir d'être entendu avec plus de succès au milieu d'un comité nombreux, Calonne fit indiquer par le roi, chez Monsieur le 2 mars, une réunion de. Quarante-deux membres de l'assemblée, six de chaque bureau. Il y montra la plus grande présence d'esprit, unie à une rare facilité d'élocution et justifia tout ce que Mirabeau, connaisseur profond dans l'art de séduire les hommes, avait pu dire de lui, même en l'accusant[13] ; mais la réputation d'intégrité, si nécessaire à l'homme d'État, manquait au contrôleur général, et ses paroles n'inspirèrent point la confiance. Le comité ne prit en considération aucun (les bordereaux de recettes et de dépenses qu'il avait apportés et n'accepta aucun de ses comptes. Aux vives interpellations qui lui furent adressées sur le Compte-rendu en 1781 et sur le déficit, il répondit que le compte effectif de 1781 présentait un déficit de 64 millions, et avoua que, depuis, il était arrivé à cent millions, auxquels il faudrait en ajouter 12 afin de parer aux besoins imprévus. Sur les affirmations du ministre, l'archevêque de Bordeaux, M. de Cicé, déclara que la confiance et le crédit ne pourraient renaître qu'autant qu'une vérification exacte apprendrait à la France si c'était Necker ou Calonne qui avait trompé le roi, et qu'après que bonne justice aurait été faite de l'administrateur coupable. Calonne, dans la discussion, ayant avancé que le roi avait le droit d'imposer à volonté, et que ce principe ne serait certainement contesté par atteinte des personnes présentes, des murmures s'élevèrent de plusieurs parties de l'assemblée : l'archevêque de Narbonne, protesta énergiquement, et dit : « l'impôt soit dans sa quotité, soit dans sa durée, doit avoir la même borne que le besoin public qui le fait établir, et qui seul le justifie. » L'archevêque d'Arles, Milan, aussi imposant par son caractère que par sa vaste érudition, mit en doute si toute autre assemblée que les états-généraux avait le droit de voter une nouvelle surcharge d'impôts[14].

Malgré son esprit et son talent de discussion, le contrôleur général ne se fit aucun partisan, et cet échec fut une expiation de sa conduite. La réunion repoussa la subvention territoriale et réclama avec plus de force que jamais le dépôt des états des finances.

Pour sortir victorieux de cette lutte, Calonne eut recours à l'autorité royale. Louis XVI fit annoncer aux notables qu'ils avaient 'a délibérer, non sur le fond, chose décidée, mais sur la forme de l'impôt. Les bureaux répondirent que, s'il était impossible de se dispenser d'établir l'impôt, sa perception en argent leur paraîtrait moins onéreuse que celle en nature. Ils renouvelèrent leur demande pour obtenir la communication des recettes et dépenses. Protestant ensuite contre le régime uniforme, annoncé par le ministre, ils prièrent le roi de maintenir dans leur intégrité les droits et privilèges des provinces et des divers corps. Le mot, d'états—généraux prononcé par les archevêques d'Arles et de Narbonne et par le marquis de La Fayette ne fut point oublié, et quelques membres ne cessèrent de s'opposer à l'impôt territorial par ce motif que tout autre assemblée n'avait pas le droit de le voter. Ainsi dans le bureau que présidait le comte d'Artois, le procureur du parlement d'Aix, Castillon, ayant été rappelé au sujet de la délibération : « Votre Altesse, reprit ce magistrat, me permettra de lui dire qu'il n'existe aucune autorité qui puisse admettre l'impôt territorial tel qu'il est proposé, ni cette assemblée quelque auguste qu'elle soit, ni les parlements, ni les états particuliers, ni même le roi : les états-généraux seuls auraient ce pouvoir. »

Le public soutenait, excitait les notables que la résistance rendait populaires. Une foule d'hommes passionnés poursuivant avec ardeur la chute du ministre, ne s'occupaient plus de l'utilité des réformes et fermaient les yeux sur les périls de la monarchie. Déjà les pamphlétaires avaient déclaré une guerre impitoyable à Calonne, et menaçaient de ridicule les notables qui déserteraient les rangs de l'opposition.

Cependant Loménie de Brienne, qui se ménageait des appuis partout, s'élevait dans la résistance. Ce prélat ambitieux.et intrigant travaillait activement à parvenir au ministère par l'entremise de l'abbé de Vermond et par l'influence de l'ambassadeur d'Autriche, le comte de Mercy,-auquel il avait persuadé depuis longtemps, qu'une fois ministre, il serait un ferme soutien du traité de 1756. L'abbé et le comte se contentèrent d'entretenir la reine dans l'opinion que l'archevêque était un homme (le beaucoup d'esprit, d'une grande capacité et qu'un jour il serait un excellent ministre. Obsédée par leurs insinuations, Marie-Antoinette avait fini par concevoir une haute opinion de M. de Brienne, et sur les instances de l'ambassadeur elle avait parlé au roi en faveur (le son protégé. Mais Louis XVI, bien loin d'obéir au désir de la reine, fixa son choix sur le comte (le Vergennes et la reine ne chercha point à détourner sa confiance de ce ministre. Elle n'eut même pas l'idée d'insister davantage auprès du roi[15]. Contrariés mais non rebutés par la nomination de Vergennes, l'abbé de Vermond et le comte de Mercy firent encore de temps à autre de nouvelles tentatives, sans pouvoir obtenir de Marie-Antoinette de revenir à la charge près de Louis XVI, quoiqu'elle conservât sa bonne opinion de l'archevêque. Celui-ci devait pourtant réussir, mais par des circonstances absolument étrangères à la reine.

Un autre antagoniste, Necker, remplissait tous les esprits, et ses partisans, dont les plus distingués se réunissaient chez la princesse de Beauvau, sa grande amie, ne désespéraient pas, malgré la répugnance de Louis XVI pour cet ancien ministre, de le voir remplacer le contrôleur général. Au moment où devait s'ouvrir l'assemblée des notables, Necker pria Calonne de n'altérer en rien la confiance due au Compte-rendu. Celui-ci répondit par un jeu de mots évasif, et de son discours il résultait que ce compte était faux. Necker demanda au roi la permission d'en débattre la véracité contre son accusateur, par devant les notables. Sur le refus de Louis XVI, il prépara un mémoire apologétique, et, en attendant, il remit des notes à plusieurs des membres les plus influents de l'assemblée. Dès ce moment il travailla ouvertement à la chute de Calonne, s'efforça de redevenir ministre et rechercha la protection de M. de Brienne qui avait promis à ses amis de le rappeler aux finances[16].

Placé entre ces deux concurrents, Calonne voyait chaque jour les obstacles s'accroître. Les évêques sur-atout le harcelaient, parmi les notables. En voulant soumettre les ecclésiastiques à l'impôt, le contrôleur général avait mal combiné les moyens de payer les dettes que le gouvernement leur permettait de contracter pour les dons gratuits. Les évêques répondirent par une censure dont tous les bureaux admirent la justice. L'hostilité s'y dessinait avec un tel caractère, qu'un projet très utile, celui qui diminuait la taille, reçut un froid accueil. Cependant tous les bureaux votèrent la liberté du commerce des grains et l'abolition de la corvée.

Le plan du contrôleur général était divisé en quatre parties, dont les projets que nous avons déjà parcourus, composaient la première. L'opposition positive et animée des notables laissait peu d'espoir d'atteindre le but. Mais Calonne, inquiet sans être découragé, toujours aimable et spirituel, toujours prompt à se faire illusion, résolut de répondre à ses adversaires dans une assemblée générale convoquée pour le 12 mars, et de faire cesser les rumeurs du public qui présageait sa chute, en persuadant aux notables qu'il y avait sympathie entre leurs idées et les siennes. Il présenta donc la seconde partie de son plan, sur la liberté de la circulation" intérieure, les droits relatifs au commerce, la gabelle, etc. Supprimer les douanes intérieures, c'était répondre, comme il le dit noblement, aux états-généraux de 1614, et accomplir une réforme désirée par le grand Colbert qui n'avait pu la mener à terme. Calonne paraissant ensuite convaincu que l'ensemble de son système était adopté et que la discussion ne roulait plus que sur des détails : « Sa Majesté, ajouta-t-il, a vu avec satisfaction qu'en général vos sentiments s'accordent avec ses principes... que les objections qui vous ont frappés... sont principalement relatives aux formes... »

Cette assertion, ces témoignages d'une reconnaissance suspecte, dans lesquels les notables ne peuvent s'empêcher de voir un vif empressement de les congédier, excitent des murmures. L'archevêque de Narbonne demande que l'assemblée supplie le roi d'ordonner au contrôleur général d'envoyer son discours dans chaque bureau, afin que tout ce qu'il contient d'inexact soit réfuté à l'instant même. Tous les bureaux s'empressent d'accepter cette proposition. Monsieur déclare « qu'il n'est ni honnête ni décent de faire dire aux notables ce qu'ils n'ont pas dit. » Malgré les efforts du prince de Conti qui n'avait point hérité du goût de son père pour l'opposition, son bureau soutient que le monarque est trompé et qu'il faut éclairer sa religion surprise. Le discours de Calonne est envoyé à l'assemblée, et plusieurs membres, après l'avoir lu, avouent qu'ils le trouvent moins offensif qu'ils l'ont cru d'abord ; mais d'autres gardent leur animosité, et une réclamation des plus vives est insérée au procès-verbal.

La seconde partie du plan de Calonne n'obtient pas plus de succès que la première ; elle est bientôt mise en pièces. La suppression des douanes intérieures, de ces barrières si nuisibles au commerce, paraît une réforme trop hardie, et les modifications apportées dans le régime de la gabelle sont trop timides. L'aîné des frères du roi demande l'abolition entière du plus odieux des impôts et qu'on remplace l'infernale machine de la gabelle par une simple taxe. La Fayette émet le vœu que, par la loi qui abrogera la gabelle, le roi ordonne la mise en liberté de tous les malheureux que la contrebande en matière de gabelle a jetés dans les prisons ou aux galères. Enfin quelques-uns des notables dirigent des attaques personnelles contre le contrôleur général, pour les scandaleux échanges ou achats de domaines dans lesquels ils l'accusent d'avoir sacrifié l'intérêt de l'État.

En dépit de toutes ces attaques, Calonne gardait encore au dehors son imperturbable assurance. Le 26 mars, il lut dans une nouvelle assemblée générale, la troisième division de son travail, relative au domaine du roi et à la réforme de l'administration des eaux et forêts. Avant la discussion, il était convenu que toute proposition serait rejetée. Ni la sagesse des idées que le contrôleur général exprima, ni les dispositions bienveillantes de quelques hommes impartiaux, ni les efforts des ducs de Nivernais et du Châtelet, dont la conduite fut dictée par un grand désintéressement et des sentiments patriotiques, ne purent triompher de l'opposition systématique des notables[17]. C'était un parti arrêté de renverser le ministre. Aussi Calonne voyant l'orage grossir et s'avancer, engagea–t–il une lutte audacieuse avec ses ennemis. Le lendemain, il lança dans le public les Mémoires imprimés dont se composaient les deux premières parties de son travail, et précédés (l'un avertissement, où il annonçait que le temps était enfin arrivé d'instruire le peuple du bien que le roi voulait lui faire et de dissiper les inquiétudes qu'on s'efforçait de lui inspirer. « Il n'est pas question de nouvel impôt, disait–il, mais de la suppression d'injustes exemptions, de l'emploi de moyens qui tendent tous à l'allégement des contribuables les moins aisés. — On paiera plus, sans doute, mais qui ? — Ceux–là seulement qui ne payaient pas assez ; ils paieront ce qu'ils doivent, suivant une juste proportion, et personne ne sera grevé. » Des privilèges seront sacrifiés !... « Oui, la justice le veut, le besoin l'exige. Vaudrait–il mieux surcharger les non-privilégiés, le peuple ? » En même temps, Calonne accusait les notables avec plus de malignité que d'adresse, en affectant de les défendre. « Ce serait à tort que des observations dictées par le zèle, les expressions d'une noble franchise, feraient naître l'idée d'une opposition malévole. » Cette espèce d'appel au peuple, au tiers-état contre les notables, rédigé par le célèbre avocat Gerbier, que son talent ne rendait pas étranger à l'intrigue, fut répandu à profusion dans les provinces, et envoyé à tous les curés pour le propager dans les paroisses.

Il n'y avait rien eu de si grave jusqu'alors que cet appel désespéré d'un organe de la couronne à l'opinion publique contre les classes privilégiées. Les notables poussèrent un cri de colère et prirent des arrêtés pour se plaindre du Mémoire séditieux du contrôleur général ; les membres du bureau que présidait le prince de Conti « se signalèrent par l'énergie de leur arrêté, » et pour leur faire honneur on les appela les grenadiers de Conti[18]. » Le roi répondit que le ministre n'avait rien fait imprimer que par ses ordres et autorisa les notables à publier leurs délibérations. Du reste, toujours inconséquent, il soutenait mal Calonne décidé à déployer une grande vigueur. Il souriait à ceux des notables qui l'abordaient : Vous me prouvez votre zèle, leur disait-il, en me faisant connaître la vérité dans toute son étendue. Le baron de Breteuil et Miromesnil, deux de ses ministres, entretenaient la fermentation.

Louis XVI gardait cependant un ressentiment très-vif de l'opposition des notables. Marie-Antoinette elle-même, bien que mécontente de Calonne qui lui avait caché son projet, se montrait indignée d'une résistance si opiniâtre aux volontés du roi. A cette époque, elle pensa avec son auguste époux « que Calonne avait raison de vouloir tirer parti, contre les premiers ordres, de ce tiers-état silencieux et docile, qui semblait ne pouvoir jamais devenir redoutable à la cour[19]. »

Mais la cour se réunit bientôt à l'assemblée pour renverser le contrôleur général : la reine entra dans la ligue sous l'influence de l'abbé de Vermond dévoué aux intérêts de l'archevêque de Toulouse. Cet abbé, ainsi que nous l'avons dit, avait dû à la protection du prélat l'honorable fonction d'instituteur de Marie-Antoinette avant son mariage, rôle important de confident et de conseiller unique[20]. Calonne n'avait plus guère d'alliés que le comte d'Artois, et les Polignac jouissant alors de la plus haute faveur à la cour, qui le soutenaient encore de leur influence. L'opinion publique ne répondait point à son appel universellement décrié. Quoique satisfaite de le voir ainsi briser toutes les barrières, elle applaudissait à la lutte de l'assemblée contre le ministre dilapidateur. Les Parisiens surtout appuyaient les notables auxquels ils étaient redevables d'une liberté de penser qui donnait aux salons et aux clubs, une physionomie toute nouvelle. On y dénonçait tous les actes de l'administration du contrôleur général. Sans se souvenir de la guerre d'Amérique, on lui imputait le déficit tout entier. Au lieu d'accorder à sa franchise la part d'éloges qu'elle méritait, on prétendait qu'il avait dissimulé l'excès du mal avec une infidélité coupable, et que le déficit, loin d'être, comme il l'annonçait, de cent douze millions, devait s'élever à cent quarante ou même à cent soixante-dix. Les femmes paraissaient, encore plus que les hommes, acharnées contre le ministre, et souvent elles disaient qu'il fallait lui faire son procès. Cependant, l'agitation ne régnait encore que dans une faible partie de la société ; la masse de la nation demeurait dans un état d'apathie qui ressemblait assez au calme précurseur des plus violents orages.

Les pamphlets continuaient de pleuvoir sur Calonne, et déjà beaucoup répétaient ce mot redoutable d'états-généraux, prononcé dans quelques bureaux des notables. Le paradoxal Linguet, jadis infatigable panégyriste du pur despotisme, invoque l'assemblée des trois états. Irrité d'avoir sollicité en vain du ministre une pension pour récompense de ses travaux littéraires, Carra dit aux notables dans une brochure véhémente qu'il leur adresse : « C'est outrager la nation que de lui proposer, en l'absence des états-généraux, qui tiennent à sa constitution, de consentir à refondre cette constitution en assemblées provinciales, dont la véritable qualité serait celle de caisses d'emprunt au gré du contrôleur général. »

Au milieu de cette lutte que les intrigues et les passions rendaient chaque jour plus ardente, Calonne s'avisa d'avancer que Necker n'avait pas laissé au trésor, comme il le prétendait, une somme suffisante pour achever les paiements de 1781 et pour commencer ceux de l'année suivante. Il pouvait se défendre avec assez d'avantage sur le terrain du Compte-rendu, mais il lui était difficile de justifier sa conduite dans cette circonstance. Aussi le successeur de Necker, Joly de Fleury, interrogé sur ce point, déclara-t-il par écrit que Necker avait dit la vérité. Le garde des sceaux, Miromesnil, qui conspirait avec tous les ennemis du contrôleur général, afin d'aggraver sa détresse, mit la lettre de Fleury sous les yeux du roi. Questionné avec sévérité par Louis XVI, sur ce nouveau démêlé, Calonne essaya d'abord de mentir en répondant d'une manière évasive, puis il récrimina habilement contre les intrigues auxquelles l'exposait son dévouement à servir les projets de son souverain. Enfin il imputa l'opposition des notables aux cabales de Miromesnil, et supplia le roi d'accepter sa démission onde renvoyer le garde des sceaux. Raffermi sur l'assurance du contrôleur général, Louis XVI tourna sa mauvaise humeur contre Miromesnil et le remplaça par un cousin de Malesherbes, M. de Lamoignon, président au parlement de Paris (8 Avril). Ce magistrat s'était créé des relations dans la société de la duchesse de Polignac, gouvernante des enfants de France ; il avait des entrevues avec Calonne et s'était engagé d'honneur avec lui à briser la résistance des parlements.

Enivré de ce succès, le contrôleur général voulut aussi faire congédier le baron de Breteuil, ministre de la maison du roi et le protégé de Marie-Antoinette. Louis XVI, qui voulait de l'accord dans le ministère, consentit à ce nouveau sacrifice, mais il voulut prévenir la reine. Dès qu'elle fut instruite de ce qui se passait, Marie-Antoinette ne put dissimuler son mécontentement et sa douleur ; elle éclata et s'écria que ce n'était pas Breteuil, serviteur fidèle et rempli de dévouement, qu'il fallait renvoyer, mais Calonne, universellement détesté, qui avait compromis l'autorité royale par la convocation des notables, et qui maintenant ne pouvait ni les contenir ni les rallier. Ses prières, ses larmes et son ascendant triomphèrent de la faiblesse du monarque. Louis XVI chargea le baron de Breteuil de porter à Calonne sa destitution et crut montrer assez de volonté en maintenant Lamoignon (9 avril).

Calonne succombait quoiqu'il eût admirablement jugé la situation, mais il succombait parce qu'il n'avait pas la probité dont la force est si puissante dans un ministre. Ses plans ne disparurent pas avec lui ; il n'était plus possible de retourner en arrière. Quelques-uns des notables avaient fait entendre à Louis XVI que, des projets de Calonne, il n'y avait à supprimer que Calonne, dont la renommée repoussait toute confiance. Mais il s'agissait de savoir qui mettrait ces projets à exécution. Il y avait deux candidats sérieux : Loménie de Brienne, présenté comme l'homme le plus capable de rétablir les affaires, et Necker, encore populaire, malgré les coups récents que le comte de Mirabeau avait dirigés contre son système d'emprunts. Louis XVI n'aimait ni l'un ni l'autre. Quoiqu'il eût consenti à recevoir des lettres secrètes de l'archevêque de Toulouse sur ce qui se passait parmi les notables et dans le public, on n'osait pas lui proposer brusquement ce prélat. Dans la crainte de hasarder le succès, l'abbé de Vermond et ceux de son parti pensèrent que, tout en préparant avec précaution la place à Brienne, il fallait pousser provisoirement au contrôle général un homme sans ambition et sans conséquence. Sur le refus de La Minière, administrateur (les ponts et chaussées, ils désignèrent un vieux conseiller d'État, M. de Fourqueux, « usé par l'âge, et qui n'avait aucun des talents nécessaires, sur tout dans un temps aussi critique[21]. » Le nouveau ministre (les affaires étrangères, Montmorin, chargé de le déterminer à accepter, tenta un faible effort en faveur de Necker, mais il échoua. Par conscience de son incapacité, Fourqueux opposa d'abord un refus au vœu de la cour, et ne céda qu'aux instances des partisans de l'archevêque. « C'était, dit Sénac de Meilhan, envoyer un cheval de fiacre disputer le prix à Newmarket. »

Comme l'ancien ministre continua pendant quelques jours encore de travailler au contrôle général, pour achever quelques mémoires, le bruit se répandit que sa disgrâce n'était pas réelle et qu'il ne cesserait pas (le diriger l'administration. Louis XVI aurait peut-être donné raison à ce bruit, s'il n'avait acquis tout à coup la preuve d'opérations de bourse que Calonne avait faites, sans y être autorisé. Cette espèce d'infidélité donna au roi la force de l'exiler dans sa terre de Berny, et quelques jours plus tard en Lorraine, après lui avoir retiré le cordon du Saint-Esprit. Le jour même du renvoi de Calonne, Necker publia, malgré une improbation indirecte du roi son mémoire apologétique, travail dénué de preuves et qui ne pouvait convaincre que des esprits superficiels ou prévenus. Ses admirateurs n'en regardèrent pas moins tous ses aperçus comme des faits avérés, et leurs bruyants éloges causèrent de cruelles inquiétudes à Brienne. On profita de sa désobéissance pour exciter la colère de Louis XVI qui l'exila à vingt lieues de Paris.

Le 23 avril, le roi se rendit à l'assemblée où fut remise la quatrième partie du travail de l'ex-contrôleur général. Il annonça une économie de quinze millions et une extension du droit de timbre, pour contribuer, avec l'impôt territorial, à combler le déficit. Louis XVI promettait aux notables d'écouter les représentations du clergé sur son administration, leur accordait la préséance pour les ordres privilégiés dans les assemblées provinciales, et la communication des états de recettes et de dépenses, tant réclamés. Les notables exprimèrent leur reconnaissance, sans montrer plus de bonne volonté, et parurent peu disposés à accueillir l'impôt du timbre dont ils s'empressèrent de rechercher tous les inconvénients.

Cependant la crise financière s'aggravait chaque jour ; toutes les affaires avaient cessé, et les partisans de Brienne exagéraient encore la détresse publique. Il était nécessaire de remettre le gouvernail à quelque forte main, de confier sans retard les finances à un homme capable de les administrer. L'abbé de Vermond, le comte de Mercy et leurs amis crurent que le moment de pousser leur protégé était venu. Ils proposèrent l'archevêque de Toulouse, dont la nomination, à les en croire, était généralement désirée par l'opinion publique ; mais ils ne purent vaincre la répugnance que ressentait Louis XVI pour cet ecclésiastique sans foi et sans vertus. Montmorin, secondé par le garde-des-sceaux Lamoignon, fit une nouvelle tentative pour décider le retour de Necker. Ébranlé par leurs instances, le roi allait plier : déjà il avait laissé échapper ces paroles : Eh bien ! il n'y a qu'à le rappeler, lorsque le baron de Breteuil, au lieu de prêter son appui aux deux ministres, insista en faveur de Brienne, vanta les talents et l'influence que ce prélat exerçait sur les notables, et Louis, afin d'échapper au premier choix proposé, consentit i prendre Brienne tout en laissant voir son mépris pour ce prélat. Il en instruisit alors la reine qui lui répondit : « J'ai toujours entendu parler de monseigneur de Brienne comme d'un homme très-distingué, et je le vois avec plaisir entrer au ministère. » Le roi tomba ensuite dans un profond découragement, résultat de la situation qui l'avait amené à choisir entre deux hommes qu'il eût voulu également repousser. L'archevêque de Toulouse entra donc comme par droit de conquête au ministère, avec le titre de chef du conseil des finances (1er mai 1787). Il fut entendu que le contrôleur général ne serait que son premier commis[22]. Cet avènement fut le triomphe de l'abbé de Vermond Suivant lequel dix-sept ans de patience n'étaient pas un terme trop long pour réussir dans une cour. Il avait enfin atteint le but qu'il s'était proposé pendant tout ce temps ; aussi cet abbé, qui recevait déjà des ministres et des évêques dans son bain, ne cachait-il plus, dans l'intérieur de la reine, et son crédit et son influence ; rien n'égala, depuis cette époque, la confiance avec laquelle il développa le genre de son ambition[23].

 

 

 



[1] Benjamin Franklin, né à Boston en 1706 et dont nous avons indiqué le rôle pacifique dans la guerre de l'indépendance américaine, se consacra à l'étude de la science, non pour satisfaire un sentiment de vanité, mais pour instruire ses compatriotes et les rendre meilleurs. Il exerça la plus grande influence sur le peuple par la publication de son almanach du Bonhomme Richard et celle des Proverbes du Vieil Henri. Les travaux de l'illustre Américain sur la nature de l'électricité contenue au sein des nuages, sur la similitude de la foudre et du fluide électrique, assez peu remarqués d'abord de la Société royale de Londres, à laquelle il les adressa, furent accueillis en France avec le plus grand empressement. L'humanité tout entière a profité d'une précieuse découverte de Franklin, découverte dans laquelle le génie du savant physicien, toujours dirigé vers les applications utiles, puisa l'invention des paratonnerres (1759) destinés à préserver les édifices de la foudre.

[2] Buffon publia de 1749 à 1788 les trente-six volumes de l'Histoire naturelle, à laquelle il travailla jusqu'à sa mort, sans pouvoir la terminer. Correction soutenue du style, majesté d'images, clarté continue, enchaînement dans les idées, il n'est aucune des qualités d'un grand écrivain, dont cet ouvrage, un des plus beaux monuments de notre littérature, n'offre le modèle.

[3] Henri Martin, Histoire de France, L. XIX, p. 462.

[4] « Toute l'Europe sait que M. Pitt proposa impérieusement au faible Vergennes ou la guerre ou ce traité de commerce. » (Rivarol, Mémoires, p. 274, note).

[5] Voici ce que Mirabeau écrit dans cette Correspondance à l'abbé de Périgord : « Je regarde comme un des plus beaux jours de ma vie, celui où vous m'apprenez la convocation des notables, qui sans doute précédera de peu celle de l'Assemblée nationale. J'y vois un nouvel ordre de choses qui peut régénérer la monarchie ; je me croirais mille fois honoré d'être le dernier secrétaire de cette Assemblée dont j'ai eu le bonheur de donner l'idée, et qui a grand besoin que vous lui apparteniez, ou plutôt que vous en deveniez l'âme. »

[6] « Une figure où se peignait une âme atroce et où le génie étincelait, des traits ignobles, profondément cicatrisés de petite vérole, et une stature de portefaix formaient l'ensemble de l'extérieur de Mirabeau. Ses cheveux touffus étaient frisés avec art, et dans toute sa parure régnait souvent l'affectation d'un petit-maître, qui contrastait singulièrement avec sa grossière constitution et la sombre ardeur de sa figure. Son génie était actif, pénétrant, et avait particulièrement la faculté de saisir fortement les objets, mais la dissipation et l'empire des passions ne lui permettaient de se manifester que par élans. » (Sénat de Meilhan, Le Gouvernement, les mœurs et les conditions en France avant la résolution, p. 268.)

[7] Henri Martin, Histoire de France, t. XIX, p. 433.

[8] « Quand M. de Calonne assembla les notables, il découvrit aux yeux du peuple ce qu'il ne faut jamais lui révéler, le défaut de lumières plus encore que le défaut d'argent. La nation ne put trouver, dans cette assemblée, un seul homme d'État ; et le gouvernement perdit à jamais notre confiance. » (Rivarol, Mémoires, p. 91.)

[9] Soulavie, Mémoires du règne de Louis XVI, t. 6.

[10] « Le plan de Calonne créait trois ordres d'assemblées dans chaque province : l'assemblée provinciale, placée à côté de l'intendant et chargée non du vote, mais de la répartition générale des impôts et d'une grande partie de l'administration ; l'assemblée de district à côté du subdélégué, pour pourvoir plus spécialement à la division de la taille entre les paroisses ; et l'assemblée de la paroisse, véritable corps municipal, qui devait agir à côté du syndic et des chefs de famille. » (Paul Boileau, État de la France en 1789, chap. p. 108 i vol. in-8°, Paris, 1861, Perrotin, Éditeur.)

[11] Weber, Mémoires, t. IV, chap. II, p. 159.

[12] Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 139.

[13] Lettre de Mirabeau à Calonne, t. IV, p. 226 de ses Mémoires.

[14] Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 161.

[15] Ad. de Bacourt, Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, Introduction, t. I, p. 48-49.

« J'ai même connu, et avec certitude, dit le comte de la Marck, la réponse que le roi avait faite à la reine : il répondit qu'il ne fallait appeler ni archevêque, ni évêque au ministère, parce que (lès qu'ils y arrivaient, ils visaient au cardinalat, et qu'une fois parvenus à cette dignité, ils élevaient dans le Conseil des prétentions d'importance et de préséance qui les conduisaient à être premier ministre, et que c'était pour cette raison qu'il ne voulait pas de M. de Brienne au conseil, attendu qu'il ne voulait pas avoir de premier ministre. »

[16] Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 175.

[17] « Le duc de Nivernais avec sa grâce et sa douceur, le duc du Châtelet avec sa loyauté et son patriotisme, avaient cherché des moyens de conciliation. Ils avaient proposé qu'on formât toujours les assemblées provinciales, qu'on les consultât sur l'impôt le moins onéreux à établir pour combler le vide des finances et qu'on mit le gouvernement, par un secours passager, eu état d'attendre le secours de ces assemblées. » (Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 16'4-165.)

[18] Weber, Mémoires, t. I, chap. II, p. 166.

[19] Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs, etc., p. 247.

[20] Voir les Mémoires de Madame Campan, t. I, ch. II.

[21] Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs, etc., p. 247.

[22] « Par une suite de l'aveugle préjugé qui faisait imaginer qu'un prêtre dans le Conseil doit avoir un rang supérieur, on crut la place de contrôleur général an dessous de l'archevêque, tandis que des ducs et pairs avaient exercé, la place de secrétaire d'État. Il fut créé président du conseil des finances, et on lui subordonna le contrôleur général, dont la nomination lui fut abandonnée. Dès lors l'archevêque parut destiné à occuper la place des Mazarin, des Richelieu ; et la reine peu de jours apis s'expliqua de manière à ne laisser aucun doute à cet égard : il ne fout pas s'y tromper dit-elle, c'est un premier ministre. Il ne tarda pas d'être principal ministre, qui est le titre donné à Mazarin et à Richelieu dans leurs patentes. » (Sénac de Meilhan, Le gouvernement, les mœurs, etc., p. 247-248.)

[23] Mémoires de Madame Campan, t. II, chap. XIII.