CHARLES VI, LES ARMAGNACS ET LES BOURGUIGNONS

 

CHAPITRE PREMIER. — RIVALITÉS DES PRINCES DU SANG. 1380 -1385.

 

 

Tableau du règne de Charles VI. — Situation de la chrétienté en 1380. — Rivalités des oncles du roi. — Dilapidation des finances. — Régence du duc d’Anjou. — Sacre du roi. — Entrée de Charles VI à Paris. — L’hôtel Saint-Paul. — Dissensions des princes du sang. — Révolte du Languedoc. — Les Tuchins. — Sédition à Rouen. — Révolte des Maillotins. — Départ du duc d’Anjou pour l’Italie. — Révolte des Flamands contre Louis de Mâle. — Philippe Artevelde. — Bataille de Beverholt. — Expédition des Français en Flandre. — Bataille de Roosebeke. — Vengeance exercée sur les Parisiens. — Supplice de Jean Desmarets. — Nouvelle guerre en Flandre. — Mort de Louis de Mâle.

 

Au moment de rendre le dernier soupir, Charles V ordonna qu’on fit approcher de son lit de mort le jeune Dauphin, pour le bénir, comme Isaac avait béni Jacob. « Plaise à Dieu, dit-il d’une voix défaillante, d’accorder à mon fils Charles la rosée du ciel, la graisse de la terre, l’abondance du froment, du vin et de l’huile ; que sa famille lui obéisse ; qu’il soit le seigneur de ses frères ; que les fds de sa mère s’inclinent devant lui ; qui le bénira soit béni, qui le maudira soit maudit. » Le Ciel n’exauça pas ces vœux d’un père mourant, et avec l'avènement de ce malheureux fils commencèrent les quarante années les plus calamiteuses de notre histoire (1380). Le règne de Charles VI offre en effet un tableau affligeant de misère, de désordres et de crimes. « Un roi dans l’enfance, dont le caractère turbulent dégénère en frénésie, incapable de tenir les rênes de l’État, les abandonne tour à tour aux princes de son sang, que la soif de commander, et non celle du bien public, excite à se disputer le soin du gouvernement. La plupart de ces mêmes princes, que la dignité de leur naissance aurait dû rendre les appuis du trône, l’ébranlent par les plus violentes secousses. Les nobles se détruisent eux-mêmes en déchirant le sein de leur malheureuse patrie ; on dirait qu’ils ont perdu jusqu’à la mémoire de cet honneur qui leur était naturel. Le peuple, furieux, acharné à sa perte, partage la démence de son souverain ; et, pour surcroît d’infortune, une femme, une reine, oubliant la majesté de son rang, la douceur de son sexe, épouse coupable, mère dénaturée, conspire contre son propre sang, proscrit le fils qui lui reste et livre le royaume à l’étranger. »

En même temps rien de plus lugubre que la situation de la chrétienté à l’époque où monte sur le trône ce roi que la faiblesse de son âge rendait incapable de conjurer les orages amoncelés de tous les points de l’horizon. L’Église, désolée par le schisme, n’avait plus de saint Bernard pour imposer silence par son éloquence, par sa foi et sa vertu, aux voix discordantes qui s’élevaient dans son sein ; Wenceslas de Luxembourg, roi des Romains et de Bohême, déshonorait la pourpre impériale par son indolence, son ivrognerie et ses désordres ; une femme dépravée et homicide siégeait sur le trône de Naples, d’où un guerrier farouche allait bientôt la précipiter ; les trônes d’Angleterre, de Hongrie, de Pologne, de Sicile, étaient aussi occupés par de faibles enfants. Partout, dit un auteur moderne[1], le pouvoir souverain était avili ou annulé, et à cet abaissement du pouvoir correspondait la menaçante fermentation des masses. En France, le peuple des villes s’agitait et se montrait disposé à la révolte. En Angleterre, le mouvement partait des campagnes, où avaient pénétré les doctrines de Wicklef, le plus audacieux des sectaires ; et les paysans s’efforçaient de secouer le joug de leurs seigneurs.

Au milieu de ces circonstances difficiles la minorité de Charles VI fut en proie aux déprédations et aux rivalités de ses trois oncles paternels, les ducs d’Anjou, de Berri et de Bourgogne. Louis, duc d’Anjou, était actif et entreprenant ; il ne manquait ni de courage ni d'habileté ; mais il était d’une avidité insatiable. Par son imprévoyance, ses injustices et ses exactions en Languedoc, il avait soulevé tous les habitants contre lui, et Charles V avait été obligé de le priver du gouvernement de cette riche province. Jean, duc de Berri, prodigue, somptueux, débauché, n’avait pas de grands talents et était peu estimé dans le royaume. Philippe, duc de Bourgogne, prince habile et ambitieux, avait mérité la confiance et l'amitié du feu roi par son attachement et son inviolable fidélité. Plus grand et plus généreux que ses frères, dont il blâmait souvent les excès, il ne se montra pas toujours assez délicat sur les moyens d’accroître ses richesses, et fut le plus cruel de la famille. Louis, duc de Bourbon, oncle maternel du jeune roi, était économe et vertueux. Plus éloigné de la tige royale, moins puissant que ses trois beaux-frères, et d’un caractère paisible, il prit une part moins active aux affaires, et ne s’éleva pas avec assez d’énergie contre leurs actes tyranniques. La rivalité de ces princes, qui se disputèrent et se partagèrent le pouvoir et les finances du royaume, fut la première cause des calamités dont la France fut accablée pendant un demi-siècle.

A peine Charles V eut-il les yeux fermés, que le duc d’Anjou s’empara des joyaux, de la vaisselle et du trésor, qu’on faisait monter à dix-neuf millions. Cet homme avide et corrompu aurait volontiers enlevé tout l’argent de la France pour aller recueillir le lointain héritage que lui avait légué l’adoption de Jeanne de Duras, reine de Naples. Déjà il prenait les titres de roi de Sicile, de Pouille, de Calabre et de Jérusalem. Au retour des funérailles et sans respect pour les dernières volontés de son frère, il voulut se saisir de l’autorité entière et absolue ; mais les autres princes étaient loin d’y consentir, et il était à craindre que le nouveau règne ne s’ouvrît par la guerre civile. Après de longues et stériles contestations, sur les instances des personnages importants et de l’avocat général Desmarets, les princes consentirent à se soumettre à la décision de quatre arbitres. Il fut convenu que le roi, à peine âgé de douze ans, serait déclaré majeur et sacré immédiatement. Sa garde, sa tutelle et son éducation furent conservées aux ducs de Bourgogne et de Bourbon ; le duc d’Anjou n’eut le titre de régent que jusqu’à la cérémonie du sacre ; mais il eut l’administration des finances, et on lui abandonna ce qu’avant tout il avait voulu avoir, les trésors si péniblement amassés par Charles V. Pour se conformer aux désirs du feu roi, l’épée de connétable fut donnée à Olivier de Clisson, sur lequel Du Guesclin mourant avait jadis appelé le choix du monarque.

Tous ces princes qui venaient de se partager l’État, ne s’occupaient que de leurs plaisirs et de leurs intérêts particuliers. Dans la pensée d’accumuler tous les trésors qui lui étaient nécessaires pour commencer son expédition de Naples et pour satisfaire sa folle ambition, le duc d’Anjou cessa de solder les hommes d’armes qui environnaient Paris. Ceux-ci se livrèrent alors au pillage, et par leurs brigandages ils détruisirent l’agriculture et le commerce. Sur les plaintes du duc de Bourgogne, le régent licencia les troupes, et cette mesure intempestive enfanta de nouveaux désordres et des calamités innombrables. En même temps, le peuple de Paris, qui savait que la suppression des aides avait été le dernier vœu du bon roi Charles, demanda l’accomplissement de cette paternelle volonté. Il refusa de payer, et bientôt il répondit par des émeutes aux violences des soldats. Vers le 8 octobre, environ deux cents Parisiens de la classe la moins fortunée s’attroupèrent, se rendirent à l'Hôtel-de-Ville, forcèrent le prévôt des marchands, Jean Culdoé, à les conduire au palais et à requérir l’abolition des subsides. Ce magistrat exposa au régent la misère du peuple, et le supplia de supprimer les impôts dont il était accablé. Effrayé par ces représentations suivies des cris du peuple, le duc d’Anjou répondit avec douceur ; mais ses vagues promesses ne firent point renaître la tranquillité. Le régent continua de presser les receveurs, et fit argent de tout.

Cependant l’époque fixée pour le sacre était arrivée. Le jeune roi, qui avait été conduit à Melun quelque temps avant la mort de son père, et qui n’avait pas quitté cette ville, se mit en marche pour Reims (25 octobre 1380), accompagné du plus brillant cortège. Son entrée dans cette ville fut retardée par l’absence du régent, qui était retourné à Melun. Chemin faisant, le duc avait appris que Charles V avait jadis caché dans l’épaisseur des murs de son château des barres d’or et des lingots, qu’il avait confiés à la garde de son trésorier, Philippe de Savoisy. Ce zélé serviteur s’était engagé, sous la foi du serment, à ne découvrir ce trésor au fils du roi qu’à l’époque de sa majorité. Le duc, craignant de voir passer ce riche trésor dans d’autres mains que les siennes, prend aussitôt la résolution de retourner sur ses pas ; dans son insatiable cupidité, il fait la plus grande diligence, arrive à la demeure royale et mande le sire de Savoisy. Promesses, paroles flatteuses, menaces, tout est mis en œuvre pour l’amener à violer son serment. Savoisy demeure inébranlable, et le duc, donnant alors un libre cours à sa fureur, fait appeler le bourreau, et lui commande de couper la tête du fidèle serviteur. Mais à l’aspect de la hache, Savoisy sent fléchir ses genoux et son cœur défaillir ; une pâleur mortelle couvre son visage ; il cède enfin, et découvre au duc le lieu qui recélait le trésor si désiré. Le duc s’en empare aussitôt, et après ce glorieux exploit il revient plein de joie se mêler au cortège royal.

Le roi fit son entrée dans Reims au milieu d’une musique retentissante. Il était accompagné de ses quatre oncles, des ducs de Brabant et de Lorraine, de Bar, des comtes d’Eu et de Namur ; auprès de lui étaient le petit comte de Valois, son frère, les princes de son sang et de sa parenté, les fils du roi de Navarre, du comte d’Albret, du duc de Bar, du sire d’Harcourt, et tous les jeunes seigneurs des familles les plus illustres du royaume. L’auguste enfant sur lequel reposaient les espérances de la France était le seul qu’on cherchât, qu’on désirât voir au milieu de cette cour brillante. Partout, sur son passage, des cris extraordinaires de joie, d’amour et d’enthousiasme, se dirigeaient vers le roi, et tous les cœurs étaient à lui. Charles, qui devait aussi être reçu chevalier, passa la veille des armes dans l’église de Reims, et se soumit à quelques-uns de ces exercices préliminaires de la cérémonie par laquelle le novice allait être ceint de l’épée de chevalier. Le lendemain il se rendit à l’église, décorée avec une richesse sans égale. A côté de lui le petit comte de Valois portait la Joyeuse, célèbre épée de Charlemagne. Le roi fut sacré de la sainte ampoule par l’archevêque de Reims, entouré d’un clergé nombreux, après avoir été armé chevalier de la main du duc d’Anjou. A ce moment les cris de : Noël ! Noël ! mille fois répétés, retentirent sous les voûtes de la vaste cathédrale, où se pressait toute la noblesse de France.

Les princes ramenèrent ensuite le roi à Paris. Il fit son entrée dans sa capitale, vêtu d’une robe de la plus grande richesse, toute semée de fleurs de lis. Les bourgeois se précipitèrent en foule au-devant de lui ; deux mille portaient des robes mi-parti vert et blanc. Le cortège se dirigea vers Notre-Dame, où il fut reçu par l’évêque. De là le jeune monarque se retira dans l'hôtel Saint-Paul, la résidence favorite de son père. C’est dans cet hôtel que le jeune roi reçut les présents de la ville de Paris ; que, pendant les trois jours de fêtes célébrées à l’occasion de son entrée, il montra son adresse dans les joutes, et se livra aux plus joyeux passe-temps. Après les fêtes, les princes renvoyèrent ou exilèrent les amis et les conseillers du feu roi, et bientôt la discorde les divisa de nouveau. Le peuple, mécontent de ce que le duc d’Anjou n’avait pas encore aboli les aides et les gabelles, s’attroupa de nouveau et eut recours à la violence. Trois cents bourgeois, animés par le discours véhément de l’un d’entre eux, s’armèrent et forcèrent, comme la première fois, le prévôt des marchands à les conduire au palais, et demandèrent à grands cris le duc d’Anjou. Ce prince, qui ne manquait ni d’adresse ni de courage, monta sur la grande table de marbre du palais, avec le chancelier Miles de Dormans, qui avait remplacé Pierre d’Orgemont. Le régent écouta la harangue du prévôt, adressa lui-même au peuple quelques paroles qui le calmèrent ; et le discours du chancelier, qui promit une réponse formelle pour le lendemain, acheva le reste. Les mutins se dispersèrent ; mais ils revinrent le jour suivant, à la même heure, disposés à la révolte en cas de refus. Les princes, qui n’avaient pas de forces suffisantes pour résister, furent obligés de céder, et le chancelier annonça l’abolition des aides et des gabelles.

La foule allait se retirer paisiblement, lorsque des agitateurs et quelques gentilshommes répandus au milieu des différents groupes qui s’étaient formés sous les fenêtres du palais, les excitèrent à se porter contre les Juifs, dont ils étaient débiteurs pour de fortes sommes. Quelque temps auparavant, le duc d’Anjou leur avait confirmé à prix d’or les privilèges que leur avaient jadis accordés les rois Jean et Charles V, et avait prolongé de cinq ans leur permis de  séjour dans le royaume. Enflammés par leurs instigations, des hommes de la classe inférieure se répandirent par la ville avec de terribles clameurs, envahirent les maisons des receveurs publics, brisèrent les caisses, répandirent l’argent dans la boue, et déchirèrent les tarifs et les registres. Les autres, guidés par des gentilshommes, coururent au quartier des Juifs, pillèrent leurs maisons, remplies de vaisselle d’argent, d’or et de pierreries ; et les seigneurs reprirent les obligations qu’ils avaient souscrites. Beaucoup d’hommes et de femmes furent égorgés, et le massacre aurait été plus grand, si le reste ne se fut sauvé dans le Châtelet, comme dans un asile. Enfin le désordre s’apaisa ; le conseil du roi fit rétablir les Juifs dans leurs maisons par des gens de guerre, et maintint leurs privilèges.

Le peuple devait en grande partie ses succès aux dissensions des princes du sang ; il n’y avait pas moins d’orages dans l’intérieur du palais qu’au dehors. Le duc d’Anjou entendait blâmer tous les jours par ses frères son insatiable cupidité, qui avait désarmé le pouvoir en renvoyant les troupes sans les solder. Les barons et les prélats parvinrent encore à les réconcilier, et une nouvelle transaction eut lieu. Il fut convenu que le grand conseil serait composé des quatre ducs et de douze conseillers de leur choix ; la présidence devait en être confiée au régent. Les ducs de Bourgogne et de Bourbon continuèrent d’être chargés de la garde de la personne du roi, et le duc de Berri, jusque alors si négligé, fut nommé gouverneur du Languedoc avec la plénitude des droits régaliens. Le duc d’Anjou tournait toutes ses pensées vers son expédition de Naples, et le duc de Bourgogne, que les affaires de France tenaient depuis longtemps éloigné de ses États, sentait que sa présence était nécessaire dans son comté de Flandre. Aussi fit-on la paix avec le duc de Bretagne, Jean de Montfort, empressé de se délivrer des Anglais qu’il avait appelés sous le règne précédent, et qui rentra sous la suzeraineté du roi de France (1381). Une trêve de six mois fut conclue peu de temps après avec l’Angleterre. Les princes n’avaient pas encore réglé leurs contestations sur la régence, que le duc de Berri partait pour le Languedoc. Mais lorsque les habitants apprirent que l’administration de leur pays était enlevée au comte de Foix, Gaston Phœbus, que son noble caractère et ses brillantes qualités avaient rendu cher au peuple, et qu’on les livrait à un prince inepte et rapace, l’irritation fut au comble. Les états du Languedoc, assemblés à Toulouse, se rappelant tout ce que les contrées méridionales avaient souffert sous l’administration du duc d’Anjou, et les intolérables exactions, dans le Poitou, du gouverneur qu’on leur imposait, décidèrent qu’ils ne recevraient point le duc de Berri. Ils envoyèrent des députés au roi pour le prier de leur conserver le comte de Foix, qui avait tant de titres à l'affection de la province. Charles, dirigé par ses oncles, rejeta avec indignation la requête de sujets rebelles, et qui avaient osé fournir de l’argent et des hommes au comte de Foix pour faire la guerre au duc de Berri. Décidé à étouffer cette révolte par la force, il alla prendre l’oriflamme à Saint-Denis pour marcher contre Gaston. Mais il ne partit point pour le Languedoc, il en fut empêché par une nouvelle révolte des Parisiens et par Philippe-le-Hardi, qui voulait employer contre un autre ennemi la fougue de son neveu. Sur la nouvelle d’une résistance organisée avec habileté, Jean de Berri rassembla quelques troupes dans l’Auvergne, le Vêlai et les cantons voisins, entra dans le Languedoc et fit le siège de Revel. Le brave comte de Foix l’envoya défier sous les murs de cette ville, et lui offrit la bataille (15 juillet). Les vieilles compagnies du duc de Berri ne purent résister à l’attaque impétueuse des milices languedociennes ; elles furent vaincues. Il rallia cependant ses troupes, et continua la guerre. La province fut cruellement ravagée, et Gaston, qui avait épuisé toutes ses ressources, ne put chasser le duc. Il prêta bientôt une oreille favorable à la médiation du pape Clément VII, fit la paix avec son rival, auquel il céda le gouvernement du Languedoc, et alla jouir du repos dans son château d’Orthez. Exaspéré par la longue résistance du Midi, le duc signala sa prise de possession par d’horribles supplices, au lieu de recourir à une sage douceur. Ainsi, à Nîmes, il fit jeter une soixantaine de bourgeois de cette ville dans des puits ; à Béziers, il en fit pendre une centaine. Il excita de nouvelles révoltes par ces sanglantes exécutions et par ses exactions de tout genre. Dans le Poitou, l’Auvergne et le Limousin, les paysans prirent les armes, abandonnèrent leurs villages ruinés, et cherchèrent un asile dans les bois, dans les cavernes et dans les rochers des Cévennes, d’où leurs bandes sauvages se précipitaient sous le nom de Tuchins, pour attaquer les châteaux, les brûler et massacrer leurs habitants. Les supplices seuls purent triompher de cette nouvelle jacquerie, qui entassait les ruines et faisait naître le désert dans les provinces jadis les plus fertiles de la France.

Cependant le calme ne s’était pas rétabli dans Paris. Tous les jours éclataient au sein de cette ville de nouvelles séditions, qui ne ralentissaient point les efforts du duc d’Anjou pour les subsides. Les notables ou les états convoqués sept fois dans l’espace d’un an, refusèrent tous les nouveaux sacrifices qu’on exigeait de la nation, et n’oublièrent pas chaque fois de réclamer le rétablissement des libertés nationales. Le régent tâcha d’obtenir des états de chaque province les impôts dont le gouvernement ne pouvait se passer. Le Languedoc, le Ponthieu, l’Artois, le Boulenois, le comté de Saint-Pol et les cantons de France les plus exposés aux incursions des Anglais, cédèrent aux instances qui leur furent faites, et accordèrent une aide ; mais Rouen et Paris furent intraitables.

À cette époque, en Angleterre, Richard II triomphait avec peine des paysans conduits par Wat-Tyler, Jacques Straw et John Bail, et excités à l’insurrection par les funestes opinions de l’hérétique Wicklef, qui devaient se propager d’écho en écho jusqu’à Luther. Le jeune roi de France allait bientôt passer par les mêmes épreuves que celui d’Angleterre. En effet, tandis que le flot populaire commençait à gronder à Paris, Rouen se souleva, et l’on vit couler le sang dans cette ville au milieu des scènes les plus étranges. Une troupe de gens de métiers, irrités par une taxe arbitraire que le duc d’Anjou avait essayé d’établir sur les boissons et sur les draps, proclamèrent roi, par une sorte de dérision, un marchand mercier, qu’on nommait Le Gras, à cause de son embonpoint. Ils firent monter ce roi, bon gré, mal gré, sur un chariot, le conduisirent en triomphe sur la place du Marché, lui présentèrent requête pour abolir les aides, et l’obligèrent à proscrire par un arrêt les collecteurs de l’impôt. Aussitôt la populace se répandit dans toutes les rues, massacra les percepteurs et les gabeleurs, et se partagea leurs biens[2]. Sur le bruit que l’abbaye de Saint-Ouen jouissait de plusieurs privilèges nuisibles à la ville, elle s’y porta en poussant d’affreuses vociférations, et abattit la tour qui l'enfermait les Chartres de l’abbaye, s’en empara et les déchira. Elle assaillit ensuite le château de Rouen, qu’elle voulait détruire ; mais la garnison se défendit vaillamment, et la multitude furieuse fut repoussée avec quelque perte.

Quatre mois s’écoulèrent avant que les princes entreprissent de recourir à la force pour tirer un châtiment exemplaire de la ville de Rouen. Les ducs d’Anjou et de Bourgogne y menèrent enfin le roi au milieu d’un grand appareil militaire. Les rebelles parurent d’abord disposés à la résistance ; mais les plus sages des bourgeois l’emportèrent, et firent décider que les portes de la ville seraient ouvertes au roi. Charles VI y fut reçu avec les princes au milieu d’une morne tristesse. Ils firent aussitôt abattre la porte par laquelle ils étaient entrés, enlevèrent la cloche du beffroi, et réprimèrent par les peines les plus sévères la sédition qui avait ensanglanté la ville. Les principaux auteurs de l’émeute furent mis à mort en présence de la foule tremblante (février 1382).

La joie du roi et de ses oncles, qui venaient de triompher de la révolte de Rouen, fut troublée par les nouvelles reçues de la capitale. Le gouvernement, pressé d’argent, avait ordonné le rétablissement des aides, et les fermes en avaient été adjugées, au Châtelet, à des enchérisseurs alléchés par l’appât du gain. Mais la difficulté de trouver quelqu’un qui osât se charger de signifier cette ordonnance au peuple, l’avait tenue jusque alors mystérieuse. Enfin un huissier, plus hardi que les autres et largement payé, monte à cheval, se transporte aux halles, annonce qu’une partie de la vaisselle du roi vient d’être volée, et qu’une bonne récompense serait accordée à celui qui la rapporterait. Quand il voit la foule un peu occupée de cette fable, il lance son cheval au galop, en criant que le lendemain on percevrait l’impôt. Cette publication, accompagnée des mêmes circonstances, est faite ensuite dans toutes les rues de Paris.

A cette nouvelle, une rumeur violente se répand dans la capitale. Ici se forment des attroupements nombreux ; là se tiennent des assemblées secrètes, des conseils tumultueux, dans lesquels des hommes grossiers, propres à tout oser, se conjurent par serment à la vie et à la mort pour tuer tous les percepteurs de l’impôt. Ces hommes ne furent que trop fidèles à leur serment.

Le lendemain, 1er mars, malgré l’aspect sombre et peu rassurant de la ville, les agents du fisc osèrent se présenter aux halles. L’un d’eux, s’approchant d’une pauvre vieille qui vendait du cresson, lui demanda l’impôt. La vieille pousse un cri, et à l’instant le percepteur est terrassé, percé de mille coups, et son corps foulé aux pieds. Les rues retentissent bientôt de cris confus et de chants menaçants. De nombreuses bandes de séditieux les parcourent, armés d’épées, de lances, d’arbalètes, de massues et de haches. Les officiers et les conseillers du roi, le prévôt et l’évêque de Paris, épouvantés du caractère que prend l’émeute, quittent secrètement la ville[3]. Le nombre des séditieux va toujours croissant, et lorsque l’un d’eux jette un cri, les autres y répondent par mille cris. Dans cette multitude, ceux qui manquent d’armes se portent à l’Hôtel-de-Ville. Au même instant la porte retentit de coups effrayants ; bientôt elle est enfoncée, et les rebelles se saisissent de bâtons de guerre et de maillets de plomb fabriqués jadis par l’ordre de Charles V. d’où le nom de Maillotins donné à ceux qui s’en servirent. On se met ensuite à la recherche des collecteurs des aides ; tous ceux qui sont rencontrés sont massacrés sans pitié, au milieu des hurlements de cette population furieuse. Beaucoup de ces infortunés, qui, en raison de leurs fonctions, avaient à redouter la rage des rebelles, fuyaient çà et là, sans savoir où. Lorsqu’ils étaient saisis, on ne répondait à leurs plaintes et à leurs prières qu’eu les insultant et en les assommant. Leurs corps, dépouillés de vêtements, étaient poussés dans un coin, où chaque forcené qui passait par là leur jetait des pierres ou de la boue, en accompagnant ces insultes de railleries et de malédictions. Quelques-uns défendent vigoureusement leur vie, et éprouvent le même sort que les autres. Un de ces malheureux se réfugie, comme en un asile sacré, dans l’église de Saint-Jacques-de-l‘Hôpital, au pied du grand autel, et tient étroitement embrassée la statue de la Vierge Marie ; mais ceux qui l’ont poursuivi sont impitoyables ; ils l’en arrachent, et ne font pas difficulté d’égorger leur victime sur les degrés du sanctuaire.

Le pillage suivit les massacres. La foule se rendit aux maisons des victimes de cette triste journée et au quartier des Juifs. Les uns emportent tout ce qu’ils trouvent ; les autres brisent les ameublements, en dispersent au loin les débris, déchirent les lettres et les papiers qui leur tombent sous les mains, et défoncent les tonneaux après s’être enivrés. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, où plusieurs fermiers et receveurs de l’impôt avaient cherché un asile, fut aussi assaillie. Mais ceux de l’intérieur se défendirent avec tant de courage, qu’ils forcèrent les assiégeants à se retirer. De là les séditieux allèrent au grand Châtelet, où étaient renfermés deux cents prisonniers pour délits et pour dettes. Ils en forcèrent les portes, et les malfaiteurs s’en échappèrent pêle-mêle avec les débiteurs. Ils délivrèrent également les prisonniers de l’évêque de Paris, et entre autres un ancien prévôt royal, Hugues Aubriot, condamné au feu l’année précédente par l’inquisition, mais dont la peine avait été commuée, sur les instances des princes, en celle de la prison perpétuelle, et ils le proclamèrent capitaine de Paris. Après avoir passé la nuit au milieu des festins, où ils se gorgèrent de viandes et de vin, ils se rendirent, au point du jour, à l’hôtel de Hugues Aubriot, pour le mettre à leur tête. Peu ambitieux de ce dangereux honneur, Aubriot avait quitté Paris à la faveur de la nuit, pour retourner en Bourgogne, son pays natal. Lorsqu’ils apprirent son départ, ils entrèrent dans une telle fureur, qu’ils voulaient rompre le pont de Charenton ; mais Jean Desmarets les arrêta. Lorsque la populace eut pleinement satisfait sa colère et sa vengeance, elle réfléchit sur les désordres et les forfaits qu’elle avait commis. Les bourgeois de Paris, qui étaient innocents de tous ces excès, et qui s’étaient contentés de veiller sur leurs propriétés, regardèrent autour d’eux et éprouvèrent un sentiment de terreur et de découragement, car ils redoutaient la vengeance du duc d’Anjou.

À la nouvelle de cette sédition, le roi et ses oncles abandonnèrent Rouen avec précipitation, et revinrent s’établir au château de Vincennes. Le conseil paraissait disposé à tirer une cruelle vengeance de la révolte ; une députation de l’Université et les anciens de la ville furent chargés d’aller à Vincennes pour présenter au roi des excuses sur les désordres qui avaient été commis. Le jeune monarque consentit à pardonner aux habitants de Paris, excepté aux chefs de la révolte et à ceux qui avaient forcé les prisons. Jean Desmarets, fort estimé du peuple, malgré son attachement aux intérêts du duc d’Anjou, et qui, par ses soins et son éloquence, avait arrêté les progrès de plusieurs émeutes, parcourut les rues de Paris, monté sur une litière, à cause de ses infirmités, proclamant la clémence du roi. Le prévôt avait déjà saisi quelques-uns des principaux instigateurs de la révolte pour en faire justice ; quand il voulut les faire conduire au supplice, le peuple se souleva de nouveau. Averti de ce tumulte, le conseil du roi ordonna de différer le châtiment des coupables ; mais, chaque nuit, la Seine reçut dans ses flots, d’après un ordre secret donné au prévôt, un certain nombre de prisonniers renfermés dans des sacs de cuir.

Cependant Charles VI n’avait pas encore osé rentrer dans Paris, où régnait une trop grande agitation. Le 15 avril 1382, afin de procurer quelque argent au duc d’Anjou, qui voulait partir pour Naples, il convoqua les états généraux à Compiègne. Quelques négociations furent ouvertes en même temps avec les habitants de Paris ; mais ces tentatives n’eurent aucun succès. Après la dissolution des états, les Parisiens ayant refusé de se désarmer, de laisser entrer le roi en appareil de guerre, de cesser de tendre les chaînes des rues la nuit, et de tenir ouvertes toutes les portes de la ville, le duc d’Anjou commença contre eux les hostilités. Par ses ordres, des troupes se répandirent dans les environs de Paris, pour piller et maltraiter les habitants et brûler leurs maisons. La famine commença bientôt à tourmenter les Parisiens, désolés d’ailleurs de voir dévaster leurs propriétés ; ils conclurent enfin la paix à Saint-Denis. Il fut convenu que le roi accorderait amnistie générale, et que la ville lui ferait un présent de cent mille francs (mai 1382). Le calme se rétablit promptement dans cette immense cité, et le roi put y faire son entrée au milieu de la joie et des acclamations publiques.

Le duc d’Anjou, qui avait travaillé avec tant de succès à cette paix, ou plutôt à cette trêve, toucha tout ce qu’il put de la somme qui avait été stipulée. Les mauvaises nouvelles qu’il avait reçues d’Italie l’été précédent le décidèrent à partir pour son expédition de Naples. Il prit aussitôt la route du midi, avec une brillante chevalerie et un train que le Religieux de Saint-Denis compare à celui de Xerxès. Il emportait avec lui les dépouilles de la France et les trésors si laborieusement amassés par Charles V pour en expulser les Anglais[4]. Il fut obligé de faire la conquête de la Provence, de ce beau pays qui avait retrouvé son indépendance sous les descendants de saint Louis. Après avoir été reçu dans Avignon par le pape Clément VII, qui lui donna l’investiture du royaume de Sicile, Pouille et Calabre, et à la cour duquel il apprit la mort tragique de sa mère adoptive, il franchit les Alpes, brûlant de se mesurer avec son compétiteur, Charles de Durazzo.

Le départ du duc d’Anjou laissa le gouvernement de la France au duc de Bourgogne, qui, en qualité de gendre et d’héritier présomptif du comte de Flandre, Louis de Male, usa de son pouvoir pour engager le conseil du roi à intervenir dans la guerre civile de Flandre, et accéléra ainsi de funestes catastrophes. Les Flamands passaient d’ailleurs pour exciter les Parisiens par leur exemple, leurs messages et leurs exhortations. Pendant les deux années que les affaires de France avaient retenu Philippe-le-Hardi, la Flandre avait été le théâtre des plus graves événements. Des défaites réitérées et sanglantes, la mort de Jean Hyons, le chef des Chaperons blancs, n’avaient pu forcer les Flamands à renoncer à leur projet d’anéantir la noblesse, de chasser leur comte et de se donner un gouvernement populaire. Les supplices que Louis de Mâle multipliait autour de lui ne pouvaient triompher de l'effroyable énergie de ses sujets. Il lui fallut assiéger et prendre Oudenarde, Ypres et beaucoup d’autres villes, les unes après les autres, et arriver enfin devant Gand, où l’insurrection était pour ainsi dire permanente. Mais l'approche de l’hiver força bientôt l’armée du comte à lever le siège. Au printemps de 1381, rendus présomptueux par un léger succès qu’ils avaient obtenu sur les chevaliers du comte, les Gantois, sous les ordres de Rasse de Liede-kenke, seigneur de Herzele, de Jean de Lannoi et de Pierre du Bois, capitaines aussi habiles que braves, osèrent attaquer le gros de l’armée du comte à Nevelle. Après une résistance désespérée de la part des rebelles, les troupes de Louis de Mâle furent victorieuses. Basse de Liedekenke resta sur le champ de bataille. Jean de Lannoi chercha un refuge dans le clocher de Nevelle, où il fut bientôt environné ; les ennemis, fatigués de sa défense opiniâtre, livrèrent le monastère aux flammes. L’infortuné, qui venait d’être témoin du martyre d’une grande partie de ses compagnons dévorés par le feu, et qui se voyait menacé du même genre de mort, se mit à crier à ceux qui étaient au bas du clocher : « Rançon ! rançon ! » Il leur montra sa cotte remplie de florins, et les leur offrit. Mais, loin d’être touchés de son sort, les ennemis l’insultaient par d’amères ironies, et lui disaient : « Sautez, comme vous en avez tant fait sauter des nôtres. » Jean de Lannoi, voyant que les flammes le gagnaient, se précipita par les fenêtres au milieu de ses ennemis. Ceux-ci le reçurent à coups d’épée, et coupèrent son corps en morceaux, qu’ils jetèrent au feu[5].

Pierre du Bois, qui jouissait d’un grand crédit à Gand, y ramena les débris de l’armée ; et pour empêcher les riches bourgeois de se réconcilier avec le comte, ainsi qu’ils paraissaient le désirer, il résolut de ranimer les forces de l’insurrection en lui donnant un nouveau chef. Les choses qu’il avait entendu raconter du fameux Jacques d'Artevelde par son maître Jean Hyons et par les anciens de la ville, lui firent jeter les yeux sur le fils de ce grand agitateur d’un peuple turbulent, Philippe, qui, ainsi que Jacques, avait été patron des brasseurs. Ce Philippe d’Artevelde était alors âgé de quarante ans, jouissait d’une honnête fortune, et ne prenait aucune part aux affaires de la ville. C’était, selon le Religieux de Saint-Denis, un homme de petite taille et d’un caractère peu agréable, mais d’un grand courage, d’un esprit vif et d’une éloquence facile et abondante.

Un soir, Pierre du Bois vint trouver Philippe d’Artevelde, et lui dit : « Si vous voulez suivre mon conseil, je vous ferai le plus grand de toute la Flandre. — Et comment cela ? répondit Philippe. —Nous avons maintenant très-grand besoin de choisir un souverain capitaine d’un grand renom. Vous aurez le gouvernement et l’administration de la ville de Gand, vous ressusciterez en ce pays votre père, Jacques d’Artevelde, qui fut de son vivant tellement aimé et craint en Flandre. Il m’est facile de vous mettre en sa place ; mais vous vous gouvernerez par mon conseil jusqu’à ce que vous vous soyez mis au fait, ce qui ne tardera guère. — Pierre, repartit Philippe, vous m’offrez là une grande affaire ; je vous crois, et vous promets que si vous me placez là, je ne ferai rien sans votre conseil. — Ah ça, ajouta Pierre du Bois, saurez-vous bien être hautain et cruel ? car un homme de la commune, ainsi que nous sommes, et spécialement pour ce que nous avons à faire, ne vaudrait rien s’il n’était pas fort redouté pour sa cruauté. Les Flamands veulent être ainsi menés, et avec eux il ne faudra pas plus tenir compte de la vie des hommes que de celle des alouettes quand vient la saison d’en manger. — Je ferai ce qu'il faudra, » dit Artevelde ; et ils se quittèrent là-dessus[6].

Le lendemain, Pierre du Bois proposa ce choix à l’assemblée, qui le reçut avec des acclamations unanimes ; et Philippe d’Artevelde, élu souverain capitaine de Gand, fut conduit sur la place du Grand-Marché, où il trouva rassemblés tous les syndics des métiers. Il prêta serment, et reçut celui du maire et des échevins.

Pierre du Bois avait jugé avec intelligence ; Jacques d’Artevelde ressuscita dans son fils. Par sa douceur et sa sagesse, par l’affabilité avec laquelle il recevait tous ceux qui avaient affaire à lui, Philippe se concilia promptement la faveur du peuple. Docile aux conseils de Pierre du Bois, il saisit avec autant d’énergie que d’habileté les rênes du pouvoir. Philippe et Pierre du Bois tuèrent sur la place, à coups de poignard, Ghisbrecht et Simon Bèthe, qui avaient osé traiter avec les gens du comte au parlement d’Harlebecque, et firent trancher la tête à dix autres bourgeois, leurs collègues, dont plusieurs avaient autrefois pris part au meurtre de Jacques d’Artevelde. Pour rétablir l’ordre à l’intérieur, le souverain capitaine promulgua des lois sévères, se choisit quatre lieutenants, au nombre desquels figurait Pierre du Bois, et confia le commandement d’un corps de 3.000 hommes d’élite à Frank Ackerman, pour aller à la recherche des vivres.

Louis de Mâle, plus outré que jamais, vint mettre de nouveau le siège devant la ville, la bloqua presque de tous côtés, dans un rayon de plusieurs lieues, par le moyen des garnisons féodales, qui lui étaient entièrement dévouées. Bientôt les vivres commencèrent à manquer ; les greniers étaient vides, on avait même forcé ceux des abbayes. La détresse devint extrême dans cette grande ville, malgré un convoi de six cents chariots de blé que Frank Ackerman, suivi de 12.000 hommes, avait conduit heureusement de Liège à G and. Hommes, femmes et enfants, tout hâves et tout jaunis par la faim, exténués de misère, demandaient la paix, quoi qu’il en prit coûter. Les princes des Pays-Bas s’interposèrent vainement alors comme médiateurs, le comte résista à toutes leurs instances et aux supplications de la ville de Gand. Artevelde et ses amis, touchés des maux de leurs concitoyens, désiraient sincèrement la paix et consentaient à se dévouer pour leur salut. Ils demandaient seulement la vie sauve, et offraient aux gens du comte de s’en aller en perpétuel exil. Mais Louis de Mâle, peu disposé à pardonner, ne voulut leur accorder d’autre capitulation que tous les Gantois, depuis quinze ans jusqu’à soixante, ne vinssent pieds nus, en chemise et la corde au cou, à moitié chemin de Gand à Bruges, se livrer à sa discrétion. A cette nouvelle, des cris de désespoir retentirent dans la ville ; mais lorsque le premier trouble fut un peu apaisé, Artevelde ranima les cœurs par ses discours, et tous les Gantois se résolurent à mourir en combattant. Il choisit 5.000 hommes des mieux équipés et des plus déterminés de chaque paroisse. Ils sortirent de Gand sous les ordres d’Artevelde, pour surprendre le comte à Bruges, après avoir reçu les tristes adieux de ceux qui restaient. Ils étaient suivis de deux cents chariots chargés de bombardes, de canons, de coulevrines, et de cinq chariots portant des pains et deux tonneaux de vin.

Les Gantois arrivèrent sous les murs de Bruges, près du bois de Beverholt, le 3 mai, jour où l’on célébrait la fête du sang de Notre-Seigneur par de magnifiques processions, qui avaient attiré à Bruges une foule immense venue de toute la Flandre. Ils se retranchèrent derrière leurs chariots, après avoir été excités par un discours éloquent de leur souverain capitaine. Puis, se sentant pleins de courage, ils attaquèrent aux cris de « Gand ! Gand ! » le comte, qui avait réuni 40.000 hommes sous ses bannières. Enfoncées du premier choc, les milices de Bruges abandonnèrent leurs armes et se dispersèrent. Les chevaliers du comte ne purent même pas essayer de rallier ces lâches combattants, qui la veille étaient si présomptueux, et furent entraînés par la déroute. Les Gantois, s’avançant en bataillon épais, piques baissées, répandaient partout l’épouvante et la mort. Le comte de Flandre lui-même fut renversé de cheval, et courut le plus grand danger. Les Gantois, attachés avec ardeur à la poursuite des fuyards, entrèrent avec eux dans la ville, au commencement de la nuit, au milieu d’un affreux désordre que la pompe des processions augmentait encore. Le comte faillit être pris par Artevelde sur la place du Marché, où il avait espéré réunir ses chevaliers pour repousser l’ennemi. Il n’échappa qu’en faisant éteindre les lanternes. Il erra de rue en rue pendant la nuit, déguisé sous la pauvre houppelande d’un de ses valets, tandis que les soldats d'Artevelde poursuivaient ses partisans et massacraient tous ceux qui leur tombaient entre les mains. La moitié delà nuit était déjà écoulée, et il avait échappé à de nombreux dangers, lorsqu’il se trouva dans une rue étroite et d’une obscurité profonde, devant la maison d’une pauvre femme, qui ne se composait que d’une salle basse et d’une soupente à laquelle conduisait une mauvaise échelle. Le comte se jette tout tremblant dans cette misérable demeure, et s’adressant à la femme saisie de crainte : « Femme, lui dit-il, sauve-moi ; je suis ton seigneur le comte de Flandre ; les ennemis me poursuivent ; cache-moi, et ce service ne restera pas sans récompense. » La pauvre femme le reconnut, car plusieurs fois elle avait reçu l’aumône à la porte de son palais ; plusieurs fois elle l’avait vu entrer et sortir. « Sire, lui répond cette femme, montez vite à cette échelle, et cachez-vous dans le grabat où reposent mes enfants. « Sans lui parler davantage, elle se met à jouer auprès du feu avec un de ses enfants. Aussitôt le comte de monter à la soupente et de se blottir entre la paillasse et le lit de plume. Il était temps ; les routiers de Gand entraient dans la cabane. « Femme, où est l’homme que nous avons vu entrer ici et fermer la porte sur lui ? — Par ma foi, je n’ai vu de cette nuit homme entrer en mon logis ; c’était moi qui rentrais ; vous voyez ma demeure ; voici mon lit, là donnent mes enfants ; cherchez. « L’un d’eux prit une chandelle, monta l’échelle et ne vit dans la soupente que les enfants reposant sur le grabat. « Allons, allons, dit-il à ses compagnons, après avoir regardé partout ; nous perdrons le plus pour le moins. La pauvre femme dit vrai, il n’y a qu’elle et ses enfants dans cette maison[7]. » A ces paroles, ils se retirèrent. Le comte parvint ensuite à s’échapper de la ville, et s’enfuit à Lille avec les débris de sa noblesse.

Pendant ce temps le parti populaire de Bruges guidait les Gantois au carnage ; des corporations qui avaient toujours tenu le parti du comte furent anéanties ; le magnifique château de Mâle, situé à une demi-lieue de la ville, fut saccagé, et les richesses qu’il renfermait furent dévolues à Philippe d’Artevelde. Cette bataille livra, pour ainsi dire, la Flandre aux Gantois, car presque toutes les villes se soumirent à Philippe d’Artevelde, qui s’empressa de faire reconnaître son autorité dans toute la comté. Partout, dans les villes alliées on lui rendit les honneurs dus à un comte de Flandre. Les Gantois, qui lui devaient leur salut, le reçurent avec toutes les démonstrations de la joie la plus vive, comme un père, comme un sauveur envoyé du Ciel. Il prit alors le titre de régent de Flandre, affecta le faste et les manières des plus grands seigneurs féodaux.

La bataille de Beverholt fut célébrée comme une brillante victoire à Louvain, à Bruxelles, dans tout le Brabant, à Liège et dans tout le Hainaut, et la bruyante joie des Gantois trouva de l’écho à Rouen, à Paris, et dans plusieurs autres communes de l’intérieur de la France. Mais la noblesse française ne considérait qu’avec indignation et terreur les périls auxquels l’exposaient les succès des Flamands rebelles. On savait combien il importait d’abattre l’orgueil de ces Gantois, avec lesquels les séditieux de Paris se mettaient en relation. Il fallait détourner le danger dont la puissance de Gand menaçait toute la noblesse, mettre un terme à cette révolte universelle des peuples et terrasser la rébellion dans son centre : c’était à Gand qu’il fallait triompher de Paris. D’ailleurs le comte de Flandre, qui était venu trouver son gendre à Bapaume, et les seigneurs de ce pays imploraient le secours de la France. Le duc de Bourgogne, que cette guerre regardait plus que tout autre, en conféra d’abord avec le duc de Berri, et fit valoir auprès du roi, sur l’esprit duquel il exerçait la plus grande influence, l’insulte que les rebelles de Gand venaient de faire à la couronne de France. Les oncles du roi convoquèrent à Compiègne une assemblée des principaux seigneurs du royaume, dans laquelle il n’y eut pas longue délibération : avide de monter à cheval et de porter une lance, le roi ne rêvait que la guerre contre les sujets révoltés de son vassal. Elle fut résolue, et la ville d’Arras fut désignée comme le rendez-vous général des troupes qui devaient marcher contre la Flandre.

Le bruit des résolutions hostiles du conseil de France arriva bientôt jusqu’à Philippe d'Artevelde ; celui-ci essaya de détourner l’orage qui menaçait son pays, par des lettres soumises et respectueuses. Ces lettres furent lues dans le conseil, qui n’en fit que rire ; et le messager fut jeté en prison. C’est en vain que Philippe implora le secours de l’Angleterre ; la noblesse anglaise n’était pas disposée à soutenir les communes de Flandre contre la noblesse de France. Pendant ce temps-là, les barons, les chevaliers et les écuyers arrivaient en foule à Arras, et l’armée royale réunit jusqu’à 10.000 lances, sans compter l’infanterie et la cavalerie légère. Vers la fin d’octobre 1382, le roi alla prendre l’oriflamme à Saint-Denis, comme dans les guerres contre les infidèles ; et cette bannière fut confiée à Pierre Villiers, maître de sa maison. Quelques jours après, le duc de Bourgogne rassembla les principaux bourgeois de Paris, et les harangua pour les engager à l’obéissance et à la fidélité pendant l’absence du roi, et partit ensuite pour l’armée avec son neveu, qui brûlait de voir l’ennemi.

Ce fut dans la ville d’Arras que le roi trouva le comte de Flandre, auprès duquel s’était rassemblée la noblesse flamande avec une partie de la haute bourgeoisie. L’armée s’ébranla dans les derniers jours d’octobre, et se dirigea sur la Flandre. La mer, l’Escaut et la Lys entouraient le pays ennemi. Il s’agissait pour les Français de passer ce dernier cours d’eau, mais tous les ponts avaient été rompus par ordre d’Artevelde, à l’exception de ceux de Warneton et de Comines, dont la garde était confiée à de nombreux corps de troupes aux ordres de Pierre du Bois et de Pierre Winter. L’avant-garde, forte de 6.000 hommes d’élite, commandés par le connétable Olivier de Clisson et par les deux maréchaux de France, se porta sur Comines. Pierre du Bois avait donné l’ordre de rompre le pont. Le connétable se trouva dans un grand embarras ; car quel moyen de rétablir le pont en présence d’ennemis nombreux et déterminés ? Et partout la rivière était profonde. Mais quelques seigneurs, qui avaient une connaissance exacte du pays, triomphèrent de tous les obstacles. Ils firent transporter de Lille trois petites barques et établirent un passage entre Comines et Werwick, dans un endroit où les bords de la rivière étaient assez couverts, et que les Flamands, qui croyaient impossible toute attaque de ce côté, ne faisaient point garder. Pendant que le connétable, à la tête de ses arbalétriers, dirigeait une fausse attaque sur le pont de Comines, les barques transportaient sur l’autre rive de la Lys plus de 400 barons et gentilshommes français et bretons. Le lendemain, au point du jour, Pierre du Bois attaqua vigoureusement cette petite troupe, la fleur de l’armée ; mais elle soutint le choc avec avantage. Pierre du Bois, qui combattait vaillamment dans les premiers rangs, tomba atteint d’une blessure dangereuse, et le désordre se mit aussitôt parmi ses soldats, dont un grand nombre resta sur le champ de bataille. Le connétable, saisissant l’occasion favorable, faisait achever le pont, afin de porter secours à ses gens. Comines, évacuée par les Flamands, est saccagée, et plus de 4.000 personnes y sont massacrées. Menin, Werwick et Warneton, livrées à la dévastation, n’offrent bientôt plus que des ruines. Après ces terribles exécutions, la terreur marche devant les Français ; les Flamands voient leurs espérances et leur orgueil abattus. Ypres égorge Pierre Vauclair, le capitaine que lui avait donné Artevelde et qui conseillait la résistance ; elle se rend sans combat, et consent à payer au roi 40.000 francs pour les frais de la guerre. L’exemple donné par Ypres fut bientôt suivi par toutes les villes delà West-Flandre : Cassel, Bergues, Bourbourg, Gravelines, Poperingues, Funes, Dunkerque et Thouroult ouvrirent leurs portes aux Français, et tous les lieutenants d’Artevelde, qui leur furent livrés, furent décapités sur le mont d’Ypres. Le comte de Flandre était étranger à tout cela ; souvent il n’était pas admis au conseil, et souvent l’armée française, qui redoutait quelque trahison, témoignait aux nobles flamands une défiance injurieuse.

Le roi n’avait pas encore quitté le mont d’Ypres, lorsqu’il reçut des nouvelles alarmantes de l’intérieur de la France. Les Parisiens s’étaient révoltés, et avaient projeté de détruire les châteaux de Beauté et du Louvre et toutes les maisons fortes des environs de leur ville, qu’ils regardaient comme autant d’asiles de la tyrannie. Ce dessein eût été exécuté sans Nicolas le Flamand, riche marchand drapier, qui leur conseilla de différer jusqu’à ce qu’ils eussent appris comment tourneraient les affaires du roi en Flandre, et celle des Gantois, que l’on espérait voir réussir. « Alors il sera temps d’agir, leur dit-il ; ne faisons pas actuellement des choses dont nous pourrions nous repentir. » Ce conseil fut suivi ; mais en attendant, les Parisiens se tenaient pourvus de toutes choses, et surtout de bonnes et de riches armures, comme les grands seigneurs. Plus de 30.000 d’entre eux se trouvaient armés de pied en cap ; ils avaient un pareil nombre de maillets ; nuit et jour ils faisaient fabriquer des casques, et achetaient harnais de toute espèce ce qu’on les voulait vendre. Cet exemple se propageait comme un effroyable incendie. A Reims, à Châlons en Champagne, sur la rivière de Marne, aussi bien qu’à Orléans, à Blois et à Rouen, les vilains prenaient les armes et menaçaient les nobles, les dames et les enfants qui étaient demeurés derrière[8].

C’est aussi pendant le séjour du roi au mont d’Ypres, que furent ouverts de grands marchés où l’on mettait en vente le butin. Les gens de Lille, de Douai et de Tournai, venaient y acheter au plus vil prix les plus beaux draps des villes manufacturières. D’autres gens d’armes, et surtout les Bretons, qui avaient mieux le temps d’attendre, emballaient et chargeaient sur des chevaux et sur des chariots les draps, les toiles, les coutils, l’or, l’argent, la riche vaisselle, et envoyaient tout cela en France avec l’escorte de leurs valets.

Les habitants de Bruges, apprenant la soumission d’Ypres et de toutes les villes dont nous avons parlé, auraient bien voulu se rendre ; mais un grand nombre des leurs avaient accompagné Philippe d’Artevelde au siège d'Oudenarde ; ils avaient donné des otages aux Gantois ; ils étaient d’ailleurs encouragés et contenus par Pierre le Mitre et par Pierre du Bois qui s’y était fait transporter après sa blessure. Ces deux capitaines les engageaient à ne pas craindre la puissance des Français ; leur racontaient comment les forces de Philippe-le-Bel étaient venues se briser à Courtrai ; comment elles n’avaient pu soutenir les belliqueux efforts de leurs ancêtres. Pendant ce temps-là le souverain capitaine de Gand commettait la faute d’abandonner son camp d’Oudenarde, où ses ennemis, à cause de la difficulté des chemins, ne pouvaient arriver jusqu’à lui sans s’exposer aux plus grands dangers. Laissant donc un corps nombreux sous les murs d’Oudenarde pour en continuer le siège, il courait de cette ville à Gand, et, plein d’une présomption que sa dernière victoire ne faisait qu’augmenter, il se préparait à combattre les Français ; 50.000 hommes bien armés et remplis de courage se réunirent sous ses bannières, et aussitôt il marcha vers l’armée royale, qui était sortie d’Ypres et s’était arrêtée à Roosebeke, entre cette dernière ville et Courtrai. Il vint camper à une lieue de distance des Français, et de part et d’autre on se prépara au combat. La veille au soir, d’Artevelde tint ce discours à ses capitaines, qu’il avait réunis à souper : « Mes compagnons, demain, je l’espère, nous aurons rude besogne, car le roi de France, qui a grand désir de nous combattre, est là, à Roosebeke. Conduisez-vous tous loyalement ; ne vous alarmez point ; nous combattrons pour la défense de l’indépendance et des privilèges de la Flandre. Exhortez vos gens à bien faire ; que vos sages dispositions nous procurent la victoire. Demain, à la grâce de Dieu, nous ne trouverons aucun seigneur qui ose se mesurer contre nous, si ce n’est pour rester sur le champ de bataille. Nous en aurons plus d’honneur que si les Anglais nous eussent secourus : s’ils fussent venus, ils nous auraient dérobé la gloire de la journée. Le roi de France est entouré de toute la fleur de son royaume, car il n’a rien laissé derrière lui. Or, dites à vos gens de tout tuer et de ne faire nulle merci ; c’est ainsi que nous aurons la paix. Je veux qu’on ne fasse aucun prisonnier, si ce n’est le roi de France : c’est un enfant, on doit lui pardonner ; il ne sait ce qu’il fait et va où on le conduit. Nous l’emmènerons à Gand, apprendre à parler flamand ; mais quant aux ducs, comtes et autres gens d’armes, tuez-les tous ; les communes de France ne nous en sauront pas mauvais gré, car elles voudraient, j’en suis assuré, que nul d’eux ne retournât en France. »

Les compagnons d’Artevelde applaudirent à ces paroles, qui s’accordaient avec leurs sentiments, et lui répondirent tout d’une voix : « Vous dites bien, et ainsi sera fait. » Ils prirent alors congé de leur chef et se retirèrent pour instruire leurs soldats de la volonté d’Artevelde ; — ce dernier rentra aussi dans sa tente. Depuis quelque temps le silence régnait dans le camp, lorsque, bien avant dans la nuit, les sentinelles crurent entendre un grand bruit vers le mont d’Or, colline entre leur camp et Roosebeke. Les capitaines y envoyèrent quelques hommes pour découvrir ce que ce pouvait être, et si ce n’était point les Français qui voulaient profiter des ténèbres pour attaquer le camp. Ils revinrent bientôt, rapportant qu’ils étaient allés jusqu’à l’endroit d’où le bruit venait, et qu’ils n’y avaient rien trouvé. Toutefois ce bruit se faisait encore entendre, et il semblait à quelques-uns que les ennemis étaient sur le mont, à une lieue d’eux. Une femme qui était dans le camp le crut aussi. On rapportait que, ne pouvant trouver le sommeil, cette femme sortit à l’heure de minuit environ, pendant qu'Artevelde dormait, pour regarder le ciel et les étoiles. Elle aperçut du côté de Roosebeke, en plusieurs endroits du ciel, les flammes et la fumée des feux que les Français avaient allumés dans leur camp ; en même temps elle prête l’oreille, et il lui semble entendre, sur la colline qui séparait les deux armées, un grand bruit d’armes et le cri de guerre des Français : « Mont-Joye et Saint-Denis. » Saisie de frayeur, elle rentre dans la tente d'Artevelde et l’éveille. « Levez-vous, s’écria-t-elle, levez-vous, seigneur, prenez vos armes, car je viens d’entendre de grands cris sur le mont d'Or ; et je crois que ce sont les Français qui vous viennent assaillir. » A ces paroles, Artevelde se leva, passa en hâte une robe, prit sa hache et sortit de sa tente. Il crut entendre le même bruit, et fit sonner la trompette. Les Flamands, éveillés, coururent à la tente d’Artevelde pour prendre ses ordres. Il demanda si l’on avait entendu du bruit sur la colline. Plusieurs capitaines lui répondirent que oui, et qu’ils y avaient déjà envoyé des hommes pour savoir ce que ce pouvait être, et qu’ils n’y avaient rien trouvé ; que, n’ayant vu aucune apparence de mouvement, ils n’avaient pas voulu réveiller l’armée. Philippe fut étonné, et quelques-uns dirent que c’étaient les démons sortis des enfers qui faisaient entendre leurs hurlements au milieu des ombres de la nuit, et qui couraient sur le lieu du combat, réclamant déjà leur proie. Cette circonstance merveilleuse jeta le trouble dans l’âme des flamands ; leur assurance diminua, et dès lors ils craignirent quelque trahison et quelque surprise[9].

Tandis que ces choses se passaient dans le camp ennemi, Charles VI avait autour de lui à souper les princes ses oncles, le comte de Flandre, le connétable, et une foule de preux chevaliers venus de F rance, de Flandre, d'Allemagne et de plusieurs autres pays, et qui attendaient avec impatience le moment de se mesurer avec les Gantois. Là était réglé l’ordre de bataille pour le lendemain, et huit chevaliers des plus braves et des plus renommés étaient chargés d’entourer, et de ne pas quitter un seul instant, pendant le combat, le jeune roi, que les gens sages blâmaient le duc de Bourgogne d’avoir conduit à cette guerre hasardeuse.

Le lendemain, une heure avant le jour, les flamands prirent les armes ; la terre était froide et humide sous leurs pieds ; un épais brouillard enveloppait les deux camps. Ennuyés d’attendre l’ennemi, les soldats d’Artevelde demandèrent à grands cris à marcher à la rencontre de l’armée royale. Artevelde, cédant à ces clameurs, commit encore la faute de quitter la position avantageuse qu’il avait choisie entre un large fossé assez nouvellement relevé, un bosquet et des fourrés de ronces et de genêts qui formaient de tous côtés pour ses gens un rempart naturel. Plusieurs chevaliers français, envoyés à la découverte, rencontrèrent cette armée qui se dirigeait sur la colline. Chaque ville avait sa bannière, et ses hommes étaient habillés de sa livrée, afin que Ton pût distinguer les milices des bonnes villes et châtellenies. Le souverain capitaine était à la tête de ses fidèles Gantois, qui, au nombre de 9.000, occupaient les premiers rangs. Après eux venaient ceux de la châtellenie d’Alos et de Grantmont, ceux de la châtellenie de Courtrai, puis les milices de Bruges, du Dan et de l’Écluse, et celles du Franc. La plus grande partie de ces soldats étaient armés de piques, de maillets, de chapeaux de fer, de hoquetons, de gants de cuir de baleine. Ils avançaient les rangs serrés, les bras entrelacés, comme ils avaient fait à ce combat de Bruges qui avait si fort relevé leurs espérances. Près d’Artevelde marchait son page, conduisant un magnifique cheval qui valait bien cinq cents florins, et que le régent de Flandre devait monter pour s’élancer le premier à la poursuite des Français dans leur déroute, pour parcourir les rangs de ses soldats, et leur ordonner de ne point faire de prisonniers.

Du côté des Français, le connétable de Clisson avait déjà tout réglé et ordonné pour le plus grand honneur du roi et de ses gens. Les préparatifs du combat eurent une solennité inaccoutumée. Le roi et les seigneurs assistèrent à la messe, prièrent le Dieu des batailles de bénir leurs armes, et conférèrent l’ordre de chevalerie à quatre cent soixante-sept jeunes nobles qui levèrent bannière pour la première fois. Bientôt après, dociles à l’ordre qui leur était donné, les gens d’armes mirent pied à terre ; le roi demeura seul à cheval avec son jeune frère et les huit chevaliers auxquels on avait confié la garde de sa personne. Parmi eux on comptait le Bègue de Villaines, le seigneur de Pommiers, le vicomte d'Acy, messire Guy-le-Baveux et Enguerrand Hubin. L’oriflamme, que portait Pierre de Villiers, fut ensuite déployée. A peine cette antique et mystérieuse bannière de la royauté eut-elle été développée, que le brouillard épais du matin se dissipa, et que le soleil, caché depuis plusieurs jours, brilla d’un vif éclat sur l’armée entière, ce que les Français attribuèrent à la vertu miraculeuse de l’oriflamme, qu’ils croyaient descendue du ciel, comme la sainte ampoule.

Quelques-uns d’entre eux virent aussi dans ce moment une colombe blanche voler au-dessus du roi et se reposer ensuite sur l’une de ses bannières. C’était donc avec le courage et la confiance que leur inspiraient ces présages, qu’ils regardaient comme heureux, que nos vaillants soldats quittaient Roosebeke ; ils marchaient fièrement au combat et portaient déjà la victoire dans leurs yeux.

Pour recevoir le choc des Flamands, qui se présentaient en une seule masse serrée, sans ailes ni réserve, comme à la journée de Beverholt, le connétable avait déployé le principal corps de bataille, où étaient le roi et ses oncles, et disposé les ailes de l’armée française de manière à pouvoir les développer. Ce premier choc fut irrésistible. Ils allaient droit devant eux, sans tourner la tête, descendant la colline comme un sanglier furieux, et les rangs tellement serrés, qu’il était impossible de les ouvrir ou de les rompre. Le centre de l’armée royale fut d’abord ébranlé, et aussitôt une anxiété extrême s’empara de ceux qui veillaient sur les jours du roi. Dans ce moment, le sire d’Albarvin, banneret, Morelet de Harvin et Jacques Doré furent tués par une décharge de l’artillerie ; plusieurs autres trouvèrent leur dernier jour après avoir laissé de cruelles blessures à un plus grand nombre d’ennemis. Mais le cri de « Notre-Dame, Mont-Joye, Saint-Denis ! » poussé par un intrépide chevalier, retentit bientôt dans tous les rangs ; et les Français, animés d’un nouveau courage, pressèrent vivement les Flamands à droite et à gauche, et parvinrent à les envelopper sur leurs flancs. Le désordre ne tarda pas alors à se mettre parmi eux. Artevelde combattait vaillamment, lorsqu’il fut percé de plusieurs coups de lance. Ses compagnons, l’ayant vu tomber dans un fossé, volèrent à sa défense ; mais ils ne lui firent pas longtemps un rempart de leurs corps ; abattus sur lui, ils l’étouffèrent de leur poids. À cet instant le page d'Artevelde prit la fuite sur son cheval, abandonna son maître qu’il ne pouvait plus secourir, et tourna vers Courtrai, pour de là se rendre à Gand.

Alors on se précipita de toutes parts sur les Flamands avec une égale furie. On n’entendait que le cliquetis des épées, des haches, des maillets plombés et des maillets de fer qui frappaient sur les casques. Le massacre fut horrible ; on ne fit pas un seul prisonnier. Environ vingt-cinq mille hommes des communes de Flandre trouvèrent la mort sur le champ de bataille. Aucun Gantois, au milieu de la déroute, qui fut complète, n’avait pris la fuite ; tous, au nombre de neuf mille, avaient été frappés par devant, et leurs cadavres gisaient en un seul monceau. Du côté des Français la perte ne fut pas grande[10]. (27 novembre 1382.)

Le lendemain de cette mémorable bataille de Roosebeke, qui sauva toute la noblesse du sort cruel qui la menaçait, le roi ordonna qu’on lui amenât Artevelde mort ou vif. Une récompense de cent francs fut promise à celui qui le trouverait. Et les valets de se répandre aussitôt sur le champ du carnage et de chercher en vain au milieu des morts. Mais un capitaine flamand, blessé non loin du lieu où Philippe Artevelde était tombé, se fit porter dans l’endroit où étaient entassés les cadavres, reconnut le corps de son chef parmi un monceau de Gantois qui avaient trouvé la mort en le défendant, et se jeta sur lui en versant des larmes. Le roi et sa suite regardèrent le visage de ce fameux régent de la Flandre, qui conservait encore dans ses traits la fierté qu’il avait eue de son vivant. Charles VI le fit ensuite pendre à un arbre. Les Français, en poursuivant les fuyards, arrivèrent jusqu’à Courtrai, qu’ils trouvèrent sans défense. Ils y entrèrent, et se sentirent animés d’un grand désir de vengeance contre cette ville, qui depuis la défaite de Philippe-le-Bel gardait cinq cents paires d’éperons dorés dans l’église de Notre-Dame, où chaque année elle célébrait l’anniversaire de sa victoire. Le roi voulut la châtier de son orgueil, malgré les supplications du comte de Flandre ; et en la quittant il la livra au pillage et aux flammes. Tous ceux des habitants qui n’avaient pas cherché un asile à Gand furent massacrés, ou emmenés comme en servitude jusqu’à ce qu’une riche rançon pût les délivrer.

La défaite de Roosebeke avait répandu un si grand trouble et une si grande consternation dans la Flandre, que le pays était frappé au cœur si le roi et les princes eussent aussitôt marché sur Gand, le foyer de la révolte. Mais le pillage auquel se livra l’armée lui donna le temps de se remettre de sa frayeur. Le camp laissé devant Oudenarde par Artevelde abandonna le siège en désordre. Les habitants de Bruges croyaient voir arriver à chaque instant l’heure de leur destruction ; craignant la rapacité des Bretons, ils avaient envoyé en Hollande et en Zélande tout ce qu’ils avaient de plus précieux ; et lorsque les Français y entrèrent, ils ne purent trouver une seule cuiller d’argent dans tous les hôtels de cette ville. Bruges se mit en l’obéissance directe du roi, et obtint son pardon moyennant 120.000 francs de rançon. Gand était tellement consterné du désastre de Roosebeke, où la fleur de ses citoyens avait trouvé la mort, que pendant trois jours ses portes demeurèrent ouvertes, et ses murs sans gardiens. Mais Pierre du Bois, qui se fit transporter de Bruges à Gand en litière, rendit aux habitants, par son exemple et par ses discours, toute leur énergie. Les Gantois entamèrent cependant avec le roi des négociations, qu’ils ne tardèrent pas à rompre, en voyant l’impossibilité où se trouvait l’armée française d’entreprendre le siège de leur ville, à cause de la saison froide et pluvieuse, du débordement des canaux et des rivières, et des routes fangeuses du pays.

Le roi, animé par ses premiers succès, voulait pousser la guerre ; mais le conseil décida qu’on laisserait de fortes garnisons dans les villes soumises, et qu’on retournerait en France. Après avoir passé les fêtes de Noël à Tournai et congédié les milices des provinces méridionales, le roi et ses oncles reprirent la route de France avec les Bretons et les Normands, qu’ils avaient retenus auprès d’eux sous les drapeaux. Le connétable et les maréchaux sauvèrent Arras du pillage des Bretons, en leur promettant qu’à Paris ils recevraient l’arriéré de leur solde. Lorsqu’ils furent arrivés à Senlis, ils cantonnèrent l’armée dans les environs de cette ville, croyant qu’ils devaient s’entourer de toutes les précautions nécessaires pour entrer à Paris, dont ils ne connaissaient pas les dispositions. Le roi s’était avancé jusqu’au Bourget, lorsque les Parisiens, pour le mieux fêter et pour lui faire voir la grande puissance de sa capitale, sortirent au nombre de 20.000 hommes bien armés, et se mirent en bataille devant Saint-Lazare, sous Montmartre. La cour fut alarmée de l’étalage de cette pompe militaire, et le connétable, accompagné de quelques seigneurs, se rendit auprès d’eux, et les engagea à rentrer paisiblement dans leurs foyers et à quitter leurs armures.

Arrivé à Saint-Denis, le roi déposa, tête nue et sans ceinture, entre les mains de l’abbé, l’oriflamme qu’il en avait reçue. Il rendit de solennelles actions de grâces au patron du royaume pour la victoire signalée qu’il venait de remporter sur les Flamands, et fit de riches présents à son église (10 janvier 1383). Le prévôt des marchands et les principaux habitants de Paris vinrent trouver le roi à l’insu du menu peuple, l’assurèrent que cette ville jouissait du plus grand calme, et qu’il pouvait y entrer en toute sécurité. Le 11 janvier au matin, les princes et le jeune roi partirent de Saint-Denis, suivis de trois corps d’armée. Le premier était commandé par le connétable et le maréchal de Sancerre. A la tête du second était le roi, escorté de tous ses parents ; lui seul était à cheval. Il s’avançait majestueux et imposant, la lance sur la cuisse. A cette nouvelle le prévôt des marchands et les échevins accoururent au-devant d’eux, et déposèrent respectueusement aux pieds du roi les présents d’usage et les clefs de la ville. Mais le roi, bien préparé au rôle qu’il devait jouer, rejeta les offrandes de ces magistrats, et passa outre sans vouloir les entendre. Les gens d’armes que commandait le connétable, dociles aux ordres qu’ils avaient reçus, commencèrent par jeter bas les barrières, arrachèrent ensuite les portes de leurs gonds, et les renversèrent sur le chemin du roi, qui passa dessus avec tout son cortège, comme pour fouler aux pieds l’orgueil des bourgeois[11]. L’armée conduisit ensuite le roi à Notre-Dame, où il fit sa prière, et de là au palais. De nombreuses troupes occupaient les rues, les places, les postes les plus importants de Paris ; elles y établissaient des corps de garde, elles se logeaient militairement chez le bourgeois. Le pillage fut cependant défendu sous les peines les plus sévères.

Bientôt commencent les vengeances : trois cents des plus riches bourgeois sont saisis et traînés dans les prisons. Le lundi qui suivit la rentrée du roi, deux des prisonniers, l’un orfèvre, l’autre marchand de draps, furent pendus publiquement. La femme du premier, quoique enceinte, se précipita par la fenêtre, se brisa la tête sur le pavé et mourut. Ces premières exécutions augmentèrent encore la terreur qui régnait dans la ville. On enleva ensuite et l’on transporta au château de Vincennes toutes les chaînes des rues ; on ordonna sous peine de mort à tous les bourgeois de rapporter leurs armes et leurs maillets au palais ou au château du Louvre. Pour serrer entre deux forts la ville désarmée, on bâtit une grosse tour sur le bord de la Seine, et l’on fit démolir la vieille porte Saint-Antoine ; les matériaux furent employés à l’achèvement de la Bastille, commencée sous le règne de Charles V.

La vieille duchesse d’Orléans, fille de Charles-le-Bel et belle-sœur du roi Jean, arrivée à Paris, dans le dessein d’apaiser le courroux du roi, ou plutôt de ses oncles, le supplia de pardonner à sa bonne ville de Paris. Le recteur de l’Université, accompagné de tous les docteurs les plus célèbres de l’époque, se présenta aussi devant le roi, et prononça une harangue touchante sur les avantages de la clémence des souverains. Mais la réponse du duc de Berri ne laissa pas d’espoir à ceux qui imploraient une grâce que le roi eût probablement accordée sur-le-champ. « On doit faire exemple, dit-il, sur les auteurs de tant de rébellions ; mais on verra à distinguer l’innocent du coupable. » En effet, les supplices continuèrent, et chaque jour quelques Parisiens périssaient sur l’échafaud ; d’autres étaient égorgés secrètement pendant la nuit, et jetés dans la rivière. Une des principales exécutions fut celle de Nicolas Flamand, qui, pendant la guerre de Flandre, avait apaisé la dernière sédition des Maillotins. Il avait, disait-on, sous le règne du roi Jean, participé au meurtre des maréchaux de Champagne et de Normandie, et avait été l’un des amis d’Étienne Marcel. Il eut la tête tranchée sur le pavé des halles.

Le 27 janvier fut un jour de deuil et de désespoir pour la ville de Paris. Par la publication de deux ordonnances de ce jour, le roi supprimait la prévôté des marchands et les institutions municipales dont Paris jouissait depuis des siècles, et accordait au prévôt royal toute la juridiction qui appartenait à celui des marchands et aux échevins. La veille, le roi, sur l’avis de son conseil, avait rétabli les aides et les impôts, le quart du prix des vins débités et la taxe de douze deniers pour livres de toutes marchandises vendues. Le jour où les habitants de Paris se voyaient ainsi privés de leurs libertés municipales, une horrible exécution couronnait toutes les autres. Dans cette fatale charrette qui conduisait ordinairement au supplice les plus vils criminels, douze citoyens les plus notables de Paris furent garrottés et traînés aux pavés des halles pour y avoir la tête tranchée. Parmi eux se trouvait le vertueux avocat général Jean Desmarets. Ce respectable vieillard, qui avait des droits incontestables à la reconnaissance du trône par les fréquents et importants services qu’il lui avait rendus ; qui, loin d’être complice des séditions, leur avait toujours opposé l’autorité de sa vertu, avait été pris, conduit au Châtelet, et condamné à mort comme auteur des révoltes qui avaient inspiré tant d’alarmes aux princes. Mais c’était son autorité, et l’estime des grands et du peuple qu’il avait su se concilier à de justes titres, qui l’avaient perdu. Son crime était sans doute d’avoir soutenu jadis dans les débats du conseil royal la prérogative du duc d’Anjou contre les ducs de Bourgogne et de Berri, dont il avait contrarié les intérêts et blessé l’amour-propre[12]. On poussa l’animosité contre lui jusqu’à le placer dans la charrette au-dessus des douze autres condamnés, afin que, plus exposé que tous ses compagnons d’infortune aux regards du peuple, il éprouvât plus de confusion. « Où sont-ils ceux qui m’ont jugé ? disait-il. Qu’ils viennent, et qu’ils expliquent pour quel motif ils m’ont condamné à mourir. » Pendant qu’on le menait à l’échafaud, il haranguait le peuple, qui versait des larmes, sans que personne osât parler ; et par ses pieuses exhortations il ranimait le courage de ceux qui devaient être décapités avec lui. Arrivé au lieu du supplice, on commença par abattre devant lui la tête des autres condamnés ; ce fut bientôt à lui de mourir, et déjà le bourreau s’approchait, lorsqu’on lui cria : « Demandez merci au roi, maître Jean, afin qu’il vous pardonne vos forfaits. » Alors il se retourna, et répondit d’une voix ferme : « J’ai servi bien et loyalement le roi Philippe, son bisaïeul, le roi Jean, son aïeul, et le roi Charles, son père ; jamais aucun d’eux n’a rien eu à me reprocher ; et si le roi avait connaissance d’homme et pouvait gouverner par lui-même, il ne se rendrait pas coupable d’un tel jugement envers moi. Je n’ai donc pas besoin de crier merci au roi, mais à Dieu seul, et je le prie de me pardonner mes péchés[13]. »

Parmi les habitants de Paris, un grand nombre avaient été condamnés à des amendes excessives, quelques-uns au bannissement, et d’autres à la mort ; et il y avait plus d’un mois que duraient ces odieuses exécutions, lorsque une grande scène y mit fin. On convoqua le peuple dans la cour du palais. Au plus haut des degrés du grand escalier on avait dressé un magnifique théâtre. Le roi, entouré de ses oncles et de ses grands officiers, parut sur ce théâtre, et s’assit sur un trône qu’on y avait élevé. Les femmes et les filles des malheureux citoyens qui gémissaient encore en prison, y accoururent en désordre, tout échevelées, en habits de deuil, se jetèrent à genoux devant le roi en poussant des cris déchirants, et implorèrent sa clémence. Au milieu de ces sanglots et de ces larmes, le chancelier Pierre d’Orgemont éleva une voix tonnante, et dans un long discours il énuméra la mort du roi Charles V, le sacre et le couronnement du jeune monarque qui l’écoutait, l’expédition de Flandre, la victoire du roi, l’histoire des séditions de Paris depuis le temps du roi Jean, les désordres et les délits des habitants de cette ville pendant l’absence du roi. Il en fit ressortir toute l’énormité, parla des justes punitions qui avaient déjà frappé les coupables et de celles qui paraissaient encore nécessaires. Après cette véhémente déclamation qui répandit l’effroi parmi la foule, le chancelier se retourna vers le roi, et lui demanda s’il ne venait pas d’exprimer sa pensée. « Oui, » répondit le roi. A cette scène qui a consterné les habitants, qui voyaient déjà tomber la foudre, succède une scène pathétique. Les oncles et le frère du roi se mettent à genoux devant lui et le supplient de pardonner à sa bonne ville de Paris. Les dames et damoiselles, s’arrachant les cheveux, unissent leurs prières à celles des princes, et le peuple, nu-tête, baisant la terre, commença de crier : Miséricorde ! Le roi répondit enfin qu’il y consentait, et qu’il voulait bien commuer la peine de mort en une amende. Les prisonniers furent aussitôt délivrés, et tous les riches bourgeois de Paris furent taxés à de grosses sommes, à trois mille, à six mille, à huit mille francs. Plusieurs payèrent plus qu’ils n’avaient, et s’il faut en croire Froissart, le montant des amendes s’éleva à la somme énorme de 960.000 francs d’or. Toutes ces sommes furent partagées entre les ducs de Berri, de Bourgogne, les seigneurs et les capitaines, sous prétexte de solder les gens d’armes. Mais les seigneurs gardèrent tout pour eux, et les gens d’armes, congédiés par le roi, se mirent, contre la promesse qu’ils avaient faite, à rançonner les habitants des environs de Paris, à piller les villages, à commettre d’innombrables excès ; en un mot, le pays fut traité comme l’avait été la Flandre.

Les villes de Rouen, de Reims, de Châlons, de Troyes, d’Orléans, de Sens, éprouvèrent les mêmes calamités que la capitale du royaume. Rouen se vit enlever sa cloche, qui fut donnée à Pierre Debuen et à Guillaume Heroval, panetiers du roi. Dans quelques-unes les portes furent abattues ; dans toutes l’échafaud fut dressé, la haute bourgeoisie fut décimée et ruinée, pour satisfaire la cupidité des oncles du roi, qui, étrangers à tout principe de moralité et de justice, abusaient cruellement de la jeunesse de Charles VI. C’étaient eux qui commettaient toutes ces iniquités, qui pressuraient ainsi le peuple pour trouver les moyens d’entretenir le luxe de leurs maisons, dont la dépense égalait celle des souverains.

Après que toutes les affaires de Paris eurent été réglées, le duc de Bourgogne conduisit directement à Lyon le roi, qui passa deux mois dans cette ville importante. Les états du Languedoc y furent convoqués au mois d’août par le duc de Berri ; ils accordèrent sans résistance les impôts qui venaient d’être rétablis dans la langue d’oïl. Outre les impôts, le Languedoc fut soumis à une amende de 800.000 francs d’or payable en quatre ans, pour le punir d’avoir levé l’étendard de la révolte contre le duc de Berri : ce qui ajouta encore à la désolation de cette province, dont quelques villes n’offraient plus que des ruines, et dont les fertiles plaines étaient presque converties en déserts.

Par tout le royaume de France, à l’exception de l’indomptable habitant des Cévennes, les vilains courbaient la tête sous le joug. Il n’en était pas de même en Flandre, dans ce pays qu’on disait vaincu et soumis. La ville de Gand, depuis le départ des Français, avait repris son audace et sa fierté, et servait d’asile à tous les malheureux ruinés par l’invasion, à tous ceux que proscrivait la vengeance de Louis de Mâle. En même temps, les Anglais, jaloux des succès des Français à Roosebeke, et animés d’ailleurs par le fanatisme religieux qui les portait à soutenir le pape de Rome contre les alliés du pape d’Avignon, préparèrent une croisade contre eux, comme schismatiques et partisans de Clément VII. Cette croisade, à la tête de laquelle était l’évêque de Norwich, Henri Spencer, jeune et aventureux, devait, disait-on, attaquer la Picardie ; mais elle tomba sur la Flandre, dont le West-Quartier, qui s’était racheté du pliage l’année précédente, renfermait assez de richesses pour satisfaire l’avidité des Anglais. C’est en vain que les Flamands représentèrent à l’évêque qu’ils étaient amis des Anglais et qu’ils n’étaient point schismatiques, puisqu’ils reconnaissaient avec eux Urbain VI pour chef véritable de l'Église ; l’évêque, qui aimait le métier des armes, s’obstina à croire que la Flandre était devenue française par la conquête, et que faire la guerre aux habitants de ce pays, c’était la faire aux Français et aux Clémentins. Gravelines, emportée d’assaut par les troupes d’Henri Spencer, fut livrée au pillage, et une grande partie de ses habitants furent massacrés ; 12.000 hommes, commandés par le bâtard du comte de Flandre, marchèrent hardiment à la rencontre des Anglais, près de Dunkerque ; mais ils furent vaincus dans un combat acharné. Les Anglais les poursuivirent avec tant d’ardeur, qu’ils entrèrent en même temps qu’eux à Dunkerque et restèrent maîtres de la ville. En peu de jours, Bourbourg, Bergues, Gassel, Fumes, Nieuport, Poperingues, tombèrent en leur pouvoir, et bientôt l’évêque de Norwich vint mettre le siège devant Ypres, où le duc de Bourgogne et le comte de Flandre avaient envoyé une forte garnison (13 juin 1383), et demanda du secours aux Gantois. Ceux-ci envoyèrent 20.000 hommes sous la conduite de Pierre du Bois, de Pierre le Mitre et de quelques autres capitaines. Les Anglais les reçurent avec les témoignages de la joie la plus vive, leur dirent que bientôt ils seraient maîtres d’Ypres, qu’ensuite ils soumettraient Bruges, le Dan et l’Écluse, et qu’avant la fin de septembre ils auraient conquis toute la Flandre.

Louis de Mâle, voyant qu’il ne pourrait chasser les Anglais avec ses propres forces, envoya demander des secours au roi de France. La grande armée féodale fut convoquée pour la seconde fois à Arras, et Charles VI se trouva bientôt à la tête de 26.000 mille lances et de 60.000 fantassins. Cette armée, l’une des plus formidables qu’aucun roi de France eût encore mises sur pied, entra en Flandre dans le courant du mois d’août, et marcha sur Ypres, qui était vivement pressée par les assiégeants. Mais cette ville résistait depuis longtemps aux assauts multipliés des Anglais et des Gantois réunis, lorsque l’évêque de Norwich, apprenant l’arrivée des Français, se hâta de lever le siège. Les Gantois se retirèrent dans leur ville, et les Anglais, après avoir brûlé les faubourgs d'Ypres, se portèrent devant Cassel, qu’ils assiégèrent. A cette nouvelle, le connétable Olivier de Clisson, et le duc de Bretagne, qui s’était joint à l’armée française pour secourir son beau-frère le comte de Flandre, se dirigèrent sur cette ville. Mais, au lieu de les attendre, les Anglais levèrent le siège, mirent le feu à leurs tentes et se réfugièrent pendant la nuit dans les places qu’ils avaient conquises[14]. Bergues, reprise par les troupes du roi, fut pillée, brûlée et détruite. Les Anglais se retirèrent alors dans Bourbourg, où ils se virent bientôt assiégés.

Le jour même que les Français entraient dans Bergues, Frank Ackerman enlevait par un coup de main Oudenarde, qui avait jadis résisté avec succès à Philippe d’Artevelde. Depuis qu’il était revenu du siège d’Ypres avec les autres capitaines de Gand, il ne songeait, comme ses collègues, qu’aux moyens de nuire aux ennemis. Il apprit enfin que le commandant de la garnison d'Oudenarde, Gilbert de Lieneghen, était allé rejoindre l’armée française avec la plus grande partie de ses gens d’armes ; que la garde de la ville n’était plus confiée qu’à un petit nombre d’hommes, et que les fossés du côté des prairies qui conduisaient à Hem avaient été mis à sec ; qu’on pouvait arriver aisément jusque sous les murs de la ville et y entrer par escalade. Ackerman était informé de tous ces détails par ses nombreux espions, qui, nuit et jour, surveillaient Oudenarde, car les gardes ne tenaient aucun compte de ceux de Gand et les avaient oubliés. Il s’en vint donc trouver Pierre du Bois, et lui fit savoir ce qu’il venait d’apprendre par ses espions. « Pierre, lui dit-il, je veux me mettre à l’aventure pour escalader les murs d'Oudenarde ; jamais occasion n’a été plus favorable, car le capitaine et ses gens d’armes sont allés trouver le roi de France, et ne se doutent de rien. » Pierre du Bois apprenant ce projet : « Frank, lui répondit-il, si vous pouvez venir à bout de votre entreprise, jamais homme n’aura mieux fait ; et pour cette action vous serez comblé d’éloges. —Je ne sais, répliqua Frank ; mais le courage m’y porte, et le cœur me dit que cette nuit nous serons maîtres de cette ville. « Frank Ackerman se mit donc à la tête de quatre cents hommes d’élite, dans lesquels il avait la plus grande confiance, et partit de Gand à la nuit tombée, pour surprendre Oudenarde. C’était au mois de septembre, lorsque les nuits sont déjà assez longues ; le ciel était clair et pur. A minuit environ, ils se trouvèrent dans les prairies d’Oudenarde. Lorsqu’ils passaient dans les marais, une pauvre vieille femme qui cueillait de l’herbe pour ses vaches, les vit s’avancer avec leurs échelles et les entendit parler. Elle reconnut que c’étaient des Gantois qui venaient pour s’emparer de la ville. Cette femme fut d’abord effrayée, puis elle reprit courage, se mit à courir par un chemin qu’elle connaissait, et arriva sur les fossés avant les Gantois. Alors elle commença à parler et à se plaindre, et fit tant, qu’un homme qui faisait le guet cette nuit-là lui demanda : « Qui es-tu ? —Je suis une pauvre femme, répondit-elle, je vous préviens que j’ai vu près d’ici un bon nombre de Gantois, qui portent des échelles pour enlever Oudenarde, s’ils le peuvent. Je m’en vais, car s’ils me trouvaient ici, je serais morte. » A ces mots, la vieille se retira et laissa cet homme tout étonné. Cependant il se tint tranquille et écouta pour savoir si cette femme disait vrai. Frank envoya en avant quatre de ses compagnons, et leur dit : « Allez dans le plus grand silence, sans mot dire, ni tousser ; examinez de tous côtés, en haut et en bas, si vous n’entendez aucun bruit, si vous n’apercevez rien. » Pendant qu’ils s’avançaient, Frank et les autres restèrent dans les marais, non loin de la pauvre femme, qui les entendait et les voyait, sans être aperçue d’eux. Les hommes envoyés par Frank revinrent et annoncèrent qu’ils n’avaient rien vu, rien entendu. « Je crois bien, dit Frank, que la sentinelle, après avoir fait sa ronde, est allée se coucher. Allons par ce haut chemin, vers la porte, puis descendons le long des fossés. » La femme recueillit encore ces paroles, prit le même chemin que la première fois, et vint trouver l'homme du guet qui écoutait sur les murs, et lui rapporta, comme la première fois, tout ce qu’elle avait vu et entendu. « Pour Dieu, ajouta-t-elle, tenez-vous sur vos gardes, allez à la porte de Gand, voir ce que font les hommes à la vigilance desquels elle est confiée ; il y a des Gantois assez près de là. Je me retire, parce que je n’ose plus rester ici. Je vous avertis de ce que j’ai vu et entendu ; faites-y attention, car je ne reviendrai plus cette nuit. « La bonne femme partit aussitôt, et l'homme demeuré seul n’oublia point ses paroles. Il se rendit à la porte de Gand, où les gardes veillaient ; il les trouva jouant aux dés : « Seigneurs, leur dit-il, avez-vous bien fermé vos portes et vos barrières ? Une femme est venue me trouver. « Il leur raconta ensuite tout ce qui s’était passé entre elle et lui. « Nous avons bien fermé nos portes et nos barrières, répondirent-ils. Peste de la vieille femme ! Quand elle vous tourmente à cette heure, c’est pour ses vaches et ses veaux qui sont déliés, et vous croyez que ce sont les Gantois qui voyagent par les champs ; ils n’en ont pas la volonté. » Pendant que l’homme du guet parlait aux gardes de la porte, Frank Ackerman et ses compagnons exécutaient leur projet. Ils descendirent dans les fossés, où il n’y avait pas d’eau, et coupèrent quelques pieux qui étaient devant le mur. Ils dressèrent ensuite leurs échelles, entrèrent dans la ville et se rendirent tout droit sur la place du Marché, et dans le plus grand silence, jusqu’à ce qu’ils fussent tous réunis. Là, ils trouvèrent un chevalier, Jean Florens de Huile, lieutenant du capitaine de la ville, qui faisait le guet avec environ trente hommes d’armes. Aussitôt ils se mirent à crier : « G and ! Gand ! » se jetèrent sur la garde, et Jean Florens et tous ceux qui étaient près de lui tombèrent percés de coups. C’est ainsi qu'Oudenarde fut prise. Un grand nombre d’habitants, réveillés aux cris de « Gand ! » se sauvèrent à demi nus, sans pouvoir essayer de se défendre. Les hommes sautaient par-dessus les murs, et s’efforçaient de traverser les étangs et les fossés de la ville ; les riches ne se donnaient pas le temps de rien emporter ; heureux étaient ceux qui pouvaient échapper à l’ennemi, car, dans cette nuit désastreuse, beaucoup furent tués, beaucoup se noyèrent dans les étangs. Au point du jour, les Gantois, maîtres de la ville, en firent sortir les femmes et les enfants, leur laissant à peine un vêtement. Les habitants de Tournai donnèrent un asile à tous ces infortunés. A la nouvelle de cet heureux coup de main, Gand se livra à la plus vive allégresse ; Frank Ackerman fut comblé d’éloges pour cette haute et grande entreprise, et reçut la récompense de son courage. Il fut nommé capitaine d'Oudenarde[15].

Le roi était dans son camp devant Bourbourg, lorsqu’il apprit l’heureux fait d’armes des Gantois, et cette nouvelle hâta les traités qui se négociaient depuis quelques jours avec les Anglais. Bourbourg avait déjà beaucoup souffert, et les Anglais n’étaient plus en force pour soutenir l’assaut général que préparaient les Français, lorsque, sur les instances du comte de Flandre et du duc de Bretagne, et malgré les avis de presque tous les autres seigneurs du conseil, la ville fut reçue à composition. Les Anglais, qu’on regardait comme perdus, obtinrent de quitter Bourbourg avec leurs armes et leurs biens, et de repasser la mer. Avant d’abandonner la ville, le sire de Courtenay et quelques autres chevaliers, vêtus de leurs plus riches habits, se présentèrent au camp du roi, pour le remercier de la bienveillante composition qu’il leur accordait. Ils furent accueillis avec tous les égards dus au courage. Ils se rendirent ensuite avec leurs gens d’armes à Gravelines, qui était comprise dans la capitulation, y séjournèrent, et la livrèrent aux flammes à leur départ. Arrivés à Calais avec leur butin, ils attendirent un vent favorable pour retourner en Angleterre. Le départ des Anglais causa un vif mécontentement aux Bretons, aux Bourguignons et aux Allemands, qui étaient venus se réunir à l’armée royale, sous la conduite du duc de Bavière ; car ils perdaient ainsi l’espoir de s’emparer de leurs riches dépouilles. La ville de Bourbourg en souffrit ; on ne put empêcher les troupes de la piller. Les Bretons osèrent briser les portes des églises pour en enlever les richesses. Un d’eux, entré dans une église consacrée à saint Jean, monta sur l’autel pour arracher une pierre précieuse de la couronne d’une statue de la sainte Vierge ; mais l’image se tourna, dit-on, et le sacrilège tomba mort sur-le-champ au pied de l’autel. Un autre vint, et voulut encore prendre ce diamant ; au même instant toutes les cloches sonnèrent, sans que nul y mît la main. Ces miracles attirèrent une foule nombreuse dans l’église ; le roi lui-même y vint, et fit de riches présents à l’image Notre-Dame ; tous les seigneurs imitèrent sa dévotion et sa générosité[16].

Le comte de Flandre, qui voulait soumettre les Gantois rebelles, insistait pour qu’on poussât la guerre avec vigueur ; mais tout le monde était las, et quelques-uns des princes voulaient en finir à tout prix. Le roi licencia donc son armée, et revint en France. Quelque temps après, des conférences s’ouvrirent à Lelinghem, entre Calais et Boulogne. Le duc de Lancastre y représenta l’Angleterre, et le duc de Berri la France, avec le duc de Bretagne, le comte de Flandre, et plusieurs autres seigneurs et prélats. Les demandes exagérées des Français rendirent la paix impossible, et il fut question d’une trêve seulement. Elle fut signée pour un an, le 26 janvier 1384, et les Gantois y furent compris malgré le comte de Flandre, qui avait voulu les en exclure. Ce prince, qui, indigné de cet affront, s’était retiré à Saint-Omer avant la fin des négociations, y était mort le 9 du même mois, après une courte maladie, causée par le chagrin.

Avec Louis de Male finit la maison de Flandre-Dam-pierre. Philippe de Bourgogne hérita alors, au nom de sa femme, des comtés de Flandre, d’Artois, de Nevers et de Rhetel, des seigneuries de Malines et de Salins, des terres de l’Isle en Champagne, de Beaufort et de Jaucourt. Cette succession le rendit le plus puissant des princes de la chrétienté qui ne portaient pas la couronne royale. Les funérailles du comte furent célébrées avec la plus grande magnificence ; bon nombre de seigneurs de France, de Flandre, de Hainaut et de Brabant, y assistèrent ; son corps fut déposé dans l’église de Saint-Pierre à Lille, auprès de celui de sa femme, morte cinq ans auparavant.

 

 

 



[1] Henri Martin, Histoire de France.

[2] Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI.

[3] Juvénal des Ursins.

[4] Henri Martin, Histoire de France.

[5] Froissart, t. II.

[6] De Barante, Hist. des ducs de Bourgogne. — Froissart, t. II.

[7] Froissart, t. II, ch. XCVIII.

[8] Froissart.

[9] Froissart, t. II, ch. CXXII.

[10] Froissart, t. II, ch. CXXV. — Juvénal des Ursins.

[11] Religieux de Saint-Denis, I, 234.

[12] Juvénal des Ursins.

[13] Froissart, t. II, ch. CXXX.

[14] Juvénal des Ursins.

[15] Froissart.

[16] Froissait, t. II, ch. CXLV.